Résine (Harpiks)
Auteur : Ane Riel
Traduit du danois par Terje Sinding
Éditions : Seuil (4 Mars 2021)
ISBN : 978-2021429244
306 pages
Quatrième de couverture
Une presqu'île, aux confins d'un pays du Nord. C'est là que
vit la famille Haarder, dans un isolement total. Alors que le malheur ne cesse
de frapper à la porte des Haarder, Jens, obsédé par l'idée de protéger sa
famille contre le monde extérieur qui n'est pour lui que danger et hostilité,
va peu à peu se barricader, bâtir autour de la maison une véritable forteresse,
composée d'un capharnaüm d'objets trouvés ou mis au rebut, et séquestrer sa
femme et sa fille.
Mon avis
« Résine » est un roman surprenant, tragique, dur,
dérangeant et déroutant mais il est porté par une écriture lumineuse (et
probablement une excellente traduction) qui, à elle seule, vaut le détour. C’est
l’histoire d’une famille un peu sauvage au départ, des gens qui travaillent
mais qui aiment bien qu’on les laisse en paix pour vivre leur temps libre à
leur guise et choisir leur organisation. Jusque-là, rien à redire même si pour
les enfants, ce fonctionnement n’est pas toujours évident. D’autant plus que la
famille vit sur une bande de terre, en quelque sorte l’excroissance d’une île. Ainsi,
ils sont loin du reste des habitants, ce qui ne les gêne nullement. Le couple
et ses deux fils vivent de peu. Un des fils finira par quitter ce lieu car il ressent
le besoin de contact humain. L’autre restera et finira par fonder une famille
et marcher sur les traces de son paternel…. C’est sur cette époque et cette génération
que va principalement se concentrer ce livre.
Jens Haarder, le père a des méthodes bien à lui pour nourrir
et entretenir les siens. Des idées reçues également, l’école à la maison, le
pouvoir de la résine, son utilisation, le danger que peuvent représenter les
médecins, etc. C’est essentiellement Liv, la jeune fille qui se confie. Elle n’a
rien connu d’autre que cette façon de faire, d’agir, elle le dit elle-même,
elle a appris des choses que beaucoup d’enfants de son âge ne connaissent pas
et elle en ignore d’autres qu’elle aurait dû apprendre. Cela fait d’elle un
être à part, attachant, éthéré, porteur tout à la fois de sagesse et de naïveté.
Mais surtout, une personne très forte car confrontée à l’inexprimable. La
limite entre le bien et le mal, entre ce qui se fait ou ne se fait pas n’existe
pas pour elle. Elle est, malgré ses travers, d’une incroyable humanité.
Dans ce récit, nous découvrons des faits anciens par des
retours en arrière, le présent par la bouche de Liv ou d’un narrateur et quelques
lettres de la mère de Liv. L’équilibre entre les différents aspects de cette
fiction est excellent. Pas de longueurs, ni de lourdeurs. Dès les premières
pages, ça vous prend aux tripes et vous êtes dedans. Il y a une tension
permanente et en même temps une certaine forme de poésie. Les Haarder aiment la
nature, les arbres, le père inculque le respect de l’environnement à sa
progéniture. Il est habité par certaines valeurs mais petit à petit sa vision
de l’espace proche, du quotidien, de la réalité se déforme. Et à partir de là,
tout se gâte, s’altère. Obésité morbide, folie, dissimulation, et bien d’autres
terreurs se mettent en place, grignotant la liberté d’exister des uns et des
autres.
L’auteur a su trouver comment capter et fasciner le lecteur,
je suis restée le souffle court et les mains moites jusqu’à la fin. Ce qui, à mon avis, est très fort, c’est le
ressenti qu’elle nous laisse, à la fois d’être révulsée et révoltée par certains
actes mais en même temps, d’avoir envie de prendre Liv par la main. Cette
dernière n’est pas seulement une victime innocente, elle est celle qui, sans cesse,
essaie de comprendre, d’expliquer, presque de pardonner, pour continuer à
avancer, pour s’autoriser à vivre…. Ane Riel a un phrasé magnifique, elle ne
fait pas dans le pathos (et pourtant, elle aurait pu vu ce qu’il se passe),
elle offre à chaque personnage une part de bonté même si pour certains l’approche
de ce sentiment est faussée.
Cet opus, hors du temps, m’a beaucoup plu et je vais suivre
cet auteur de près.
Un extrait de la page vingt-deux résume ce recueil :
« Je ne sais pas si je dois considérer notre vie
comme un conte de fées ou comme un roman d’horreur. C’est peut-être les deux. J’espère
que tu sauras entrevoir le conte de fées. »
Merci pour vos louanges concernant ma traduction de "Résine"
RépondreSupprimerBien à vous,
Terje Sinding
Très jolie chronique pour un superbe roman !
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