"L'enfant dormira bientôt" de François-Xavier Dillard

 

L’enfant dormira bientôt
Auteur : François-Xavier Dillard
Éditions : Plon (23 Septembre 2021)
ISBN : 978-2259306485
336 pages

Quatrième de couverture

Michel Béjard tente de mener une vie normale avec son fils Hadrien, un jeune adulte perturbé qui ne guérira jamais du drame familial qui a envoyé sa mère en prison et l'a rendu handicapé à vie. Son père passe la majeure partie de son temps à la Fondation Ange qu'il a créé pour la protection de l'enfance et l'aide à l'adoption. Un matin, Michel Béjard voit débarquer le commissaire Jeanne Muller en charge d'une enquête très particulière. Deux nourrissons viennent d'être enlevés. Leur point commun ? La proximité de leurs parents avec la Fondation Ange...

Mon avis

Ce thriller est absolument glaçant et le final vous laisse sans voix…

Le personnage principal de de roman est l’enfant. Le bébé qui vient de naître et qui a besoin de ses parents, le gamin qui grandit, l’adolescent qui se cherche et qui fait parfois les mauvais choix et l’adulte parce que chaque homme, chaque femme est le fils ou la fille de quelqu’un. Notre enfance, notre passé nous construisent et plus que jamais, dans ce livre, c’est flagrant.

Peut-on lutter contre ses racines, contre ce qu’on a vécu et qui nous a marqué au fer rouge ? Peut-on lutter contre les influences, le qu’en dira-t-on, le poids des non-dits ?

C’est tout cela et bien plus encore qui sera évoqué, avec brio, dans ce thriller.

Jeanne Muller, une commissaire atypique, qui ne s’embarrasse pas de fioritures mène une enquête difficile sur des disparitions de nourrisson dans des maternités. Le lieu n’est pas le même et elle recherche ce qui peut relier les différents méfaits. Un point commun est trouvé. Est-ce que ce sera suffisant pour comprendre qui agit dans l’ombre et retrouver les bébés au plus vite ? Pas sûr … D’autant plus que Jeanne, femme au grand cœur, a pris sous son aile Samia, une jeune fille paumée, qu’elle espère sauver de la rue. Il y a donc plusieurs histoires en parallèle, dont le ressenti de Samia, raconté à la première personne.

Si quelques situations m’ont paru un peu « surjouées » ou exagérées, cela ne m’a pas dérangée tant j’étais prise par le récit. Les différents personnages sont très intéressants. Après un drame personnel, Michel Béjard vit seul avec son fils, un jeune adulte, assez mystérieux, plutôt bizarre. Ils sont tous les deux tourmentés, hantés, par des souvenirs terribles et le dialogue est quasiment inexistant. La policière est elle aussi une personne peu ordinaire, pas toujours raccord avec la loi alors qu’elle la représente. Il faut voir comme elle mène les interrogatoires ! C’est un des atouts de ce recueil, les protagonistes, pour la plupart, ne sont pas entièrement blancs ou noirs. Ils sont tous en contraste, avec des failles et le lecteur ne peut pas savoir qui ils sont réellement, les caractères sont ambigus.  

Je ne connaissais pas cet auteur et je le relirai probablement. Son style est accrocheur, les thèmes qu’il aborde sont de vrais sujets de société et il les développe avec doigté et intelligence. Son écriture est fluide, il y a de nombreux dialogues qui rythment le texte. On suit les principales intrigues d’un chapitre à l’autre mais sans jamais perdre le fil. Je pensais qu’il avait forcément des « ponts » et j’ai cherché lesquels. J’étais loin de tout imaginer !

J’ai trouvé particulièrement réfléchi le cheminement des hommes et des femmes qui avancent vers la résilience. Certains ne trouvent la paix que difficilement et à un prix vraiment lourd. Cela pose la question du pardon et de la paix dans nos vies. Jusqu’où sommes-nous capables d’aller pour les obtenir ? Et sera-t-on sereins pour autant ?

C’est un roman noir, avec des scènes parfois dures mais je ne regrette en rien ma lecture, bien au contraire !

 

"D'Est en Ouest" de Ludovic Mezey

 

D’Est en Ouest
Récit autobiographique
Auteur : Ludovic Mezey
Éditions : Déhache (20 Mai 2021)
ISBN : 978-2382310182
290 pages

Quatrième de couverture

Après une enfance marquée par la survie dans le ghetto juif de Budapest, puis une adolescence opprimée par le stalinisme, György Mezey décide de rejoindre la France « pour sa littérature et sa poésie ». De Strasbourg à Cannes, en passant par Paris et Nancy, il découvre le « luxe occidental », vit selon son bon plaisir et fait la connaissance d’Agnès, une Vosgienne pure souche. Cinquante ans plus tard, leur fils Ludovic reconstitue l’histoire rocambolesque de cette famille en donnant la parole à ses protagonistes : une manière d’assumer un héritage complexe avant de s’en émanciper, et, peut-être, transmettre à son tour le sien à ses contemporains.

Mon avis

Cela fait dix ans que l’auteur pensait à écrire l’histoire de sa famille. Sans doute, le meilleur moyen pour connaître tous ceux qui lui sont chers et s’affranchir du passé familial. C’est un remarquable travail qu’il a effectué pour rédiger ce récit. Il a interrogé chacun, puis retranscrit les différents points de vue, présentant ainsi les souvenirs des uns et des autres, leurs ressentis, leurs envies, leurs peurs, leurs réussites, leurs joies….

Parfois ça se télescope, tout le monde ne se souvient pas de la même façon d’un fait identique, il y a des divergences, c’est normal après tout ce temps ! C’est quelques fois amusant, par exemple lorsque la mère découvre l’enfance du père qui n’en avait pratiquement pas parlé avec elle. Atypiques, extra-ordinaires (en deux mots), tous les protagonistes sont intéressants. Ce qu’ils racontent, entrecoupés des réflexions, des retours « sur images » et du cheminement personnel de l’auteur, a beaucoup de valeur. Non seulement, parce que cela offre un regard différent sur certains événements historiques mais également parce que le parcours de György Mezey n’a rien de banal. Avancer, ne pas baisser les bras, prendre les jours les uns après les autres, on pourrait dire que c’est leur devise. Bien sûr, il y a des erreurs (qui n’en fait pas ?), des non-dits, des silences, peut-être des mensonges mais c’est la vie. Elle est ainsi faite, de hauts, de bas, d’embûches, de raccourcis qu’il faut tenter de prendre ou pas …..

Chaque personne dévoilée dans ce recueil s’est construite avec ce qu’elle a pris, embrassé de la vie, avec ce qu’elle n’a pas pu avoir aussi mais avec beaucoup d’énergie, de volonté. Elle est là, la force familiale, se relever toujours et encore.

Le texte de Ludovic Mezey m’a touchée. Il est émaillé de références historiques (avec une annexe très utile dans les dernières pages). Il parle de musique, de Bernard Friot, de diverses rencontres, mais tout est bien intégré dans les chapitres et le dernier qui s’appelle « Ouverture » résume bien ce que j’ai ressenti en lisant cet opus. Il n’est pas une fin en soi, il est le pont, le tremplin, le gué qui permet à l’auteur d’aller vivre sa vie avec les racines, qui, maintenant qu’il les connaît mieux, sont l’ancrage du terreau familial nécessaire à la « pousse » de chacun…..


"Sacré Braillotti !" de Claude Millot

 

Sacré Braillotti !
Auteur : Claude Millot
Illustrations de Lucie Gay et Patrice Moreau
Éditions : Globophile (6 Juillet 2021)
ISBN : 979-1094423134
211 pages

Quatrième de couverture

En Tunisie, au début des années cinquante, un gamin laissé à lui-même, fait les 400 coups. Claude Millot nous raconte sa jeunesse, un récit entre Tom Sawyer et Poil de carotte.

Mon avis

Bizerte, Tunisie, les années 50. Dans ce livre, Claude Millot, alias Braillotti, raconte sa chère Tunisie, son enfance heureuse, ses amis, ses découvertes, ses bêtises de gosse, sa liberté d’agir. En 1954, il dû quitter le pays pour Toul, en Meurthe et Moselle, afin de tenir compagnie à sa grand-mère, un déchirement de laisser derrière lui cette terre ensoleillée.

C’est lui qui s’exprime, des années après mais son regard sur les événements est bien celui du petit garçon qui se confie à nous dans ces pages. En 1947, il fallut partir de « Casa » pour Bizerte, où le père, militaire, a été nommé. Bien installée, la famille a un quotidien agréable. Les parents ont une vie sociale bien remplie. Lui, Braillotti ne va à l’école que lorsqu’il en a envie, ça lui laisse de sacrées plages de liberté pour assouvir une curiosité insatiable. Il a une soif de connaissances diverses. Et pour ça, il se glisse partout, il écoute, il observe, il essaie de questionner et d’avoir des réponses. J’ai trouvé très intéressant que ce jeune garçon ait un tel besoin de comprendre le monde qui l’entoure.

Il se fait des amis, pas forcément des enfants de « son monde », puisque lui, il est plutôt du côté des nantis. Il découvre le « gourbi », des habitations précaires, parfois peu meublées, sans électricité. Il n’y est pas toujours le bienvenu. Il rencontre des garçons contents d’aller en classe alors que lui s’offre souvent, très souvent, l’école buissonnière. Il est jeune, se rend-il compte de la chance qu’il a par rapport à d’autres ? Oui, et s’il peut apporter un quelconque soutien il le fait.

J’ai vraiment beaucoup aimé ce récit, témoignage vivant et bien écrit. Le style est adapté aux propos que l’on découvre, un préadolescent qui joue, profite de la vie, aime ce qu’il fait. Braillotti a sans cesse l’envie de bouger, il ne tient pas en place et se met parfois en danger, mais il s’en sort toujours bien ! Les souvenirs sont précis la plupart du temps, le phrasé amusant, il ne se prend pas au sérieux et il nous intéresse. A travers son texte très « photographique », on visualise sans peine les scènes, les lieux, les personnages, on entend les dialogues, les bruits, les murmures…. Les illustrations qui accompagnent le récit çà et là nous montrent quelques scènes marquantes dont certaines amènent le sourire. De plus, ce recueil est une bonne « peinture », même restreinte à Bizerte, des relations entre les gens, de la conjoncture, de l’activité humaine là-bas, à l’époque des faits.

Une très belle découverte !

"In Purgatorii" de Johann Moulin

 

In Purgatorii
Auteur : Johann Moulin
Éditions : Aconitum (17Février 2017)
Collection : Frisson
ISBN : 979-1096017133
285 pages

Quatrième de couverture

Souhaitant changer de vie, un couple parisien quitte la capitale pour une nouvelle maison. Des phénomènes étranges se succèdent alors. Le mari, obnubilé par l’envie de transformer son sous-sol en atelier de travail, sera assailli par des visions, harcelé par des créatures qu’il croit d’abord imaginaires...

Mon avis

Une collection qui porte bien son nom…

Richard travaille dans le cinéma, les finances suivent et il n’a pas de problèmes d’argent. Rachel, sa compagne, est une parisienne dans l’âme, elle aime la ville, le mouvement… Richard lui a préparé une surprise : il a acheté, en Picardie, une maison très très chère, immense sur un terrain encore plus immense. Mais il a tout prévu : connexion haut débit, confort, aménagements pour sa douce moitié… Il l’emmène, là bas, à un peu moins de deux heures et demi de la capitale en espérant que, comme lui, elle aura le coup de foudre pour la demeure et les environs. On la sent un tantinet dubitative au début mais elle y va et lorsqu’elle découvre la petite dépendance que son cher et tendre a prévu pour elle, elle tombe sous le charme. Le soir venu, un tour au village du coin tend à prouver que finalement la Picardie n’est pas un trou perdu…. En ce qui concerne Richard, il a pensé à aménager le sous-sol pour en faire un atelier : puits de lumière, une grande pièce pour sculpter, peindre, penser aux décors de cinéma qu’il veut faire… La belle vie !! Et Paris n’est pas si loin… pour les jours de gros blues…. Tout devrait bien se passer !

Le silence de la campagne environnante les surprend mais ils s’habitueront, ils sont jeunes, enthousiastes et amoureux ! Sauf que… des choses bizarres se produisent ou semblent se produire puisque seul Richard en est le témoin (oculaire ou auditif…) Serait-il en train de souffrir d’hallucinations, est ce le surmenage ? Rien n’est rationnel, car ce qu’il voit ou entend est à la fois différent et semblable à chaque « contact »…. Se taire, en parler, attendre ? Et surtout que faire ? Faut-il prendre le risque de déstabiliser son couple en racontant à Rachel des phénomènes inexplicables qu’elle ne constate pas ?

Richard ne sait pas, ne sait plus, mais un événement qu’il va prendre à cœur l’entraînera dans un choix. Est-ce le bon ? A-t-il raison, ne se met-il pas en danger sans mesurer tous les risques qu’il prend ? Se passe-t-il vraiment quelque chose de surnaturel et si c’est le cas, quoi ? Ou se crée-t-il un monde, lui qui a l’habitude du contexte du cinéma où la réalité est faussée et n’est jamais celle qu’on croit ?

Johann Moulin commence tout doucement puis va crescendo. Avec une écriture parfaitement maîtrisée, il nous entraîne dans les délires et les tourments de Richard. De l’enthousiasme communicatif (le lecteur serait presque envieux de cette belle baraque et de son terrain démesuré) à l’accablement face aux problèmes, il décrit avec aisance les frayeurs, les mini espoirs, les dégoûts des différents protagonistes. On passe par toute une palette de sentiments jusqu’à l’estocade finale. Restant à la limite du crédible, n’en faisant pas trop dans le paranormal, ce récit est addictif, prenant et démontre combien, dans un couple, il est nécessaire de se parler, de s’écouter, de se comprendre avant de se lancer dans des projets qui modifient totalement le quotidien….

J’ai beaucoup aimé ce recueil, j’ai eu peur juste ce qu’il faut ;-) L’écriture et le style de l’auteur m’ont beaucoup plu : vif, acéré, sans temps mort et laissant une part intéressante au profil psychologique de chacun, sans tomber dans l’exagération. Un ensemble bien dosé, à découvrir.


"Parce que Vénus a frôlé un cyclamen le jour de ma naissance" de Mona Høvring (Fordi Venus passerte en alpefiol den dagen jeg blei født)

 

Parce que Vénus a frôlé un cyclamen le jour de ma naissance (Fordi Venus passerte en alpefiol den dagen jeg blei født)
Auteur : Mona Høvring
Traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud
Éditions : Noir sur Blanc (9 Septembre 2021)
ISBN : 9782882506900
162 pages

Quatrième de couverture

Ella et Martha ont la petite vingtaine. Nées le même jour à seulement un an d’intervalle, les deux sœurs ont grandi comme des jumelles. Pourtant, la sombre et maussade Ella, et la brillante et impulsive Martha sont aussi différentes que les deux faces d’une même pièce. Quand Martha fait une dépression nerveuse, c’est Ella qui prend soin d’elle.  En plein cœur de l’hiver, elles partent se réfugier dans un hôtel perdu au milieu des montagnes.

Mon avis

Sur la couverture, deux moitiés de visage, un œil sombre, l’autre plus gaie, plus espiègle. Comme ces deux sœurs dont nous parle le roman. Élevées comme des jumelles car nées à un an d’intervalle, elles sont très différentes. La première plus dominante, la seconde plus à l’écoute. C’est pourtant Martha, celle qui décide, qui ordonne, qui fait une dépression nerveuse. Alors avec Ella, la discrète, la dévouée, elles partent à la montagne dans un hôtel perdu dans la neige et le brouillard.

C’est là-haut, près des sommets enneigés qu’Ella revisite le chemin parcouru. Les souvenirs l’assaillent. Cette frangine imprévisible, la séparation difficile mais nécessaire quand on devient adultes. Les secrets, les non-dits, les silences, les échanges sans fard rares mais précieux. Cette dépendance, pas toujours réciproque, qui peut empêcher de grandir, de s’épanouir, tant le regard de l’autre est important, surtout quand l’autre est votre complément. La peur ou le besoin de blesser par un mot, un geste, comme pour se rebeller, se prouver qu’on existe seule, avant d’être à deux. Pendant le séjour, elle avance pas à pas et en le faisant, elle se connaît mieux, elle accepte Martha comme elle est, elle s’affranchit d’elle bien que ce soit douloureux.

La narration est détachée, donnant parfois un sentiment de froideur mais entre les lignes monte le désir d’être soi. Il y a des silences, des rêves, des soupirs, des non-dits, des secrets murmurés mais tout n’est pas dévoilé. On oscille entre songe et réalité, se demandant où l’écriture poétique de Mona Høvring, aux mots soigneusement choisis (bravo au traducteur pour sa finesse), va nous entraîner…

Parler de sororité en si peu de pages n’est pas aisé. Pourtant l’auteur le fait, par petites touches, laissant le soin à chaque lecteur de compléter ce qui n’est pas écrit parce qu’il est des silences, des pages blanches, qu’il faut deviner pour les faire vivre ….

 


"Jusqu'à mon dernier souffle" de Sylvie Lepetit

 

Jusqu’à mon dernier souffle
Auteur : Sylvie Lepetit
Éditions : Les Unpertinents (21 Août 2021)
ISBN : 9791097174507
262 pages

Quatrième de couverture

1929. Blanche, 30 ans, est atteinte de la tuberculose. Elle part au sanatorium du plateau d'Assy, en Haute-Savoie, laissant dans le Nord son mari Abel et leurs deux petits garçons. Son séjour lui permet de connaître le bonheur que son mariage ne lui a pas donné. Après son décès, Abel découvre le vrai visage de sa femme en lisant son journal intime.

Mon avis

« Regretter, est-ce encore vivre ? »

Pendant quelques jours de lecture, j’ai accompagné Blanche, je l’ai « écoutée » et je lui ai tenu la main. Fragile et forte à la fois, portée par une personnalité qui ne demandait qu’à se développer, s’épanouir, cette femme est de celles qu’on ne peut oublier.

1929, mariée depuis quelques années, plus par convenance que par amour, Blanche a deux petits garçons et un mari qui travaille à la fonderie de son beau-père. Fatigue, fièvre, toux, le diagnostic est posé, elle souffre de tuberculose et doit partir à la montagne à « L’hôtel du Mont-Blanc » (doux euphémisme pour parler d’un sanatorium !)  pour se soigner et guérir. Là-bas, elle n’aura qu’à prendre soin d’elle pour revenir au plus vite. Pendant ce temps, sa mère et la sœur de son époux veilleront sur le foyer et surtout sur les deux petits.

Isolée, loin des siens, elle se confie à un journal intime. C’est lui que nous découvrons dans ce livre, ainsi que les réactions de son compagnon lorsqu’il lit ses écrits. On s’aperçoit très vite qu’un fossé s’est creusé entre eux et que partir va, peut-être, permettre à Blanche de renaître, d’être elle-même. Elle explique leurs incompréhensions, les silences, le manque de dialogue, tout ce qui les a étouffés petit à petit. En pleine nature, elle ne sent pas de jugement, de regard lourd sur ce qu’elle est, ce qu’elle pense, ce qu’elle désire… Petit à petit, elle relâche la pression, s’autorisant à être « ici et maintenant ». Lui, il « commente » ce qu’elle a rédigé, offrant une autre approche, un autre regard, une autre interprétation. Chacun sa sensibilité, son ressenti …. Ont-ils des regrets ? Est-ce que tout aurait pu être différent ? Est-ce que le poids des conventions, de la société, a empêché qu’une vraie complicité amoureuse s’installe entre ces deux-là ?

J’ai beaucoup aimé Blanche. Elle a un petit côté rebelle qui m’a enthousiasmée, elle essaie de se « révolter » en douceur, encore encombrée du carcan de son éducation. Elle ne sait pas dire non…. C’est intéressant de voir son évolution au fil des mois lors de son séjour en montagne. Elle ne perçoit plus la nature de la même façon, ne se comporte pas comme les premiers jours, elle ose plus … On peut se demander si c’est parce qu’elle sait qu’elle peut mourir, ou si être loin de sa famille la « libère » ou s' il y autre chose. C’est tout un apprentissage de devenir « soi ».

Dans son cahier, Blanche présente son quotidien, ses relations aux autres, son lien avec son conjoint. Elle explique ce qui l’a bloquée, ce qui l’a aidée, ce qui l’a interrogée… C’est écrit avec beaucoup de délicatesse, de doigté, comme « porté » par un souffle harmonieux, subtil. J’ai été sous le charme du style, du contenu. Des références poétiques, musicales sont glissées çà et là et comme le dessin sur la couverture, c’est tout en finesse qu’elles sont évoquées.

Ce livre a vraiment été une très belle découverte pour moi !


NB : le format du livre se prête parfaitement à l’évocation d’un journal intime.


"Ejo" de Beata Umubyeyi Mairesse

 

Ejo
Auteur : Beata Umubyeyi-Mairesse
Éditions : La Cheminante (29 mai 2015)
ISBN : 978-2371270244
145 pages

Quatrième de couverture

Des fragments de vies à lire comme une entité bruyante, colorée, parfumée et savoureuse où les destins s'enchevêtrent. Le titre de ces nouvelles : « Ejo », signifie en même temps hier et demain. L'auteure peut ainsi aborder la terrible histoire récente du Rwanda, en évoquant sa culture d'origine et en misant sur l'avenir. N'en demeure pas moins l'existence précaire des femmes héroïnes de ces nouvelles auxquelles Beata Umubyeyi Maraisse donne voix, dans une approche singulière d'un présent à recréer de toutes pièces.

Mon avis

Demain est un autre jour…

C’est ce qu’on dit, ce qu’on croit.

« Ejo » signifie hier et demain, un seul mot pour deux entités de temps…

Pourquoi ?

Est-ce parce que seul compte « aujourd’hui, ici et maintenant » ?

« On rit beaucoup quand on ne pleure pas » (page 106)

Histoires de femmes, de tendresse, sous forme de lettres ou de nouvelles, Ejo nous interpelle, nous offre des « photographies » vivantes, des instantanés de vie comme autant de clichés d’un coin du monde qui crie sa douleur passée, réminiscence qui apparaît dans les souvenirs de chacun, les hantant de façon différente ; mais aussi son amour de l’autre, de la vie …

Ejo, c’est une écriture tendre, empreinte d’humour, délicate, posée comme les dentelles à points comptés. Elle est faite de beaucoup de fraîcheur et entre les lignes, on sent tout l’amour de Beata Umubyeyi Mairesse pour son pays.

C’est une lecture délicate, colorée, qui offre un regard jeune et neuf qu’il est bon de partager….


"Le collectionneur de sons" d'Anton Holban (Colecționarul de sunete)

 

Le collectionneur de sons (Colecționarul de sunete)
Auteur : Anton Holban
Traduit du roumain par Gabrielle Danoux
Éditions : CreateSpace Independent Publishing Platform (26 janvier 2015)
ISBN : 978-1505806892
140 pages

Quatrième de couverture

Dans un texte de 1935, plutôt que de nouvelles c'est de « fragments » que l’auteur voudrait qu'on qualifie sa prose courte, dont l'histoire de la « petite Japonaise » est remarquable de concision. « Le lecteur est le plus souvent déconcerté. […] Dans « Hallucinations » les couleurs sont plus vives et plus prégnantes. Faire quelque chose à partir de rien. L'ambition suprême de Racine. Existe-t-il plus noble ambition ? Et puis, estomper la ligne entre le réel et l'irréel. Le lecteur manque d'habileté, disons-le, tant qu'il présume chez moi une conscience du travail achevé. Mais dans notre pays la question du lecteur est encore plus critique. »

Mon avis

Anton Holban (1902-1937) est un écrivain roumain, mort à 34 ans dont les œuvres ont été publiées à titre posthume.

Le collectionneur de sons est un recueil de neuf nouvelles qui a été traduit en 2015 par Gabrielle Danoux. Elle a accompagné les textes de nombreuses notes de bas de page ce qui permet au lecteur de comprendre ce qui est évoqué (personnes, lieux ou autres). Cela démontre combien elle a pris connaissance des nouvelles pour nous apporter tous les éléments nécessaires pour bien appréhender le contenu.

L’auteur est décédé très jeune. Son écriture est poétique, parfois langoureuse. Il semble tourmenté, se posant énormément de questions sur la mort qu’il cite dans plusieurs textes. S’il faut chercher un point commun entre les écrits, c’est certainement l’acuité dont fait preuve Anton Holban. Quelle que soit la situation qu’il observe et qu’il décrit, il le fait avec énormément de finesse. C’est d’autant plus fort que la nouvelle est par définition un concentré. En peu de mots, il faut que le lecteur cerne les faits, les émotions, les ressentis, les actions, le décor et les mouvements. D’où l’importance de la traductrice qui doit choisir le vocabulaire le plus « parlant » tout en respectant l’œuvre de départ.

J’ai apprécié ces neuf petites histoires. Ce sont des « tranches de vie » très variées. On peut voir des jeunes dans un établissement scolaire, une personne âgée en fin de vie, une brève mais intense rencontre etc…. Les thèmes sont d’actualité et c’est intéressant.

Je ne connaissais pas cet auteur et je suis contente de l’avoir découvert               .



"Transaction", de Christian Guillerme

 

Transaction
Auteur : Christian Guillerme
Éditions : Taurnada (9 Septembre 2021)
ISBN : 978-2372580908
256 pages

Quatrième de couverture

Un site de petites annonces en ligne comme il en existe des dizaines.
L'arnaque de trois amis, noyée parmi des milliers de bonnes affaires.
Un individu dangereux qui sommeille au milieu des acheteurs potentiels.
Quelle était la probabilité qu'ils se croisent ?

Mon avis

Johan et Alphone (Al) se connaissent depuis la maternelle, Manal les a rejoints en CE2. Ces trois-là savent ce que c’est que l’amitié. Celle qu’on cultive, qu’on garde intacte malgré le temps qui passe et les différences. Elle, c’est un petit bout de femme, d’origine libanaise, indépendante et fière. Après son DUT, elle a trouvé un emploi de vendeuse. Elle vit avec son compagnon et ce n’est pas toujours facile mais elle évite de trop en dire à ses potes. Ce sont eux qui devinent, ils souhaitent la protéger mais ce n’est pas facile. Alphonse a des racines camerounaises et comme son père avant lui, il est mécanicien dans un garage. Il est complexé par son physique et vit seul. Johan complète le trio. Il semble plus intellectuel dans le sens où il observe, analyse ce qu’il voit. Ils se retrouvent régulièrement au café, leur QG, dans la cité où ils ont grandi. Leurs relations sont riches d’échanges, de complémentarité, ce sont de vrais amis.

Al a acheté une caméra sur un site de petites annonces. Il s’aperçoit rapidement qu’il s’est fait avoir. Que faire ? il a perdu une belle somme et se décide à en parler à ses copains. Ensemble, ils décident de revendre la caméra et basta, chacun son tour d’être arnaqué. Malgré des hésitations, ils passent à l’acte. A partir de là, tout s’emballe très vite. L’atmosphère se durcit et le rythme s’accélère. L’acheteur s’aperçoit qu’il a été dupé et il ne veut pas en rester là.

Si certains lecteurs seront, peut-être, déstabilisés par la construction de ce roman qui commence par la fin, je leur conseille de persévérer. Pour les premières pages, je me suis même demandée si je n'avais pas une quatrième de couverture qui n'allait pas avec l'histoire… mais très vite tout s’explique.

C’est excellent, parfois violent mais bien construit, bien pensé, bien ficelé. La tension monte crescendo, le phrasé est incisif. J’ai beaucoup aimé ce qui lie les trois amis, l’influence de leur passé, ce qu’ils essaient de faire pour vivre mieux que leurs parents qui ont galéré. Il y a également un aspect intéressant, c’est de voir que suivant les personnes, les faits ne sont pas interprétés de la même façon et que les approches diffèrent. L’auteur, au-delà de l’intrigue concernant la vente, a créé des personnages étoffés, avec des caractères marqués. On apprend à les connaître au fil des chapitres et on découvre leur quotidien. Cet aspect complète parfaitement l’intrigue principale et apporte un autre éclairage sur chacun.

La colère a une place importante dans ce récit. Elle peut être rentrée, explosive, étouffée, on peut aller jusqu’à se battre, ou bien agir en dessous pour se venger et surtout elle peut être provoquée par des tas de situations qui peuvent nous concerner ou être en lien avec la souffrance de ceux qu’on aime…. Ce qui est sûr, c’est qu’une colère mal gérée peut entraîner bien des déboires….

L’écriture de l’auteur s’affirme de plus en plus, ses textes prennent du « poids », de la consistance.
Il est parti d’un fait banal et a monté une histoire captivante. On sent une progression et j’ai hâte de savoir dans quel univers il nous emmènera la prochaine fois.

"Le péril bleu" de Maurice Renard

 

Le péril bleu
Auteur : Maurice Renard
Éditions : Archipoche (26 août 2021)
Première publication en 1910
ISBN : 979-1039200165
450 pages

Quatrième de couverture

Depuis plusieurs nuits, dans la campagne du Bugey, des monuments sont vandalisés, des bêtes et des personnes disparaissent. Les habitants de ce secteur du Jura ne voient qu'un coupable plausible : les " Sarvants ", créatures malveillantes du folklore local.

Mon avis

L’auteur de ce roman de science-fiction est né en 1875. Après des études de droit, il se destinait au barreau. Mais il n’était pas très motivé et écrivait des nouvelles avec un certain succès. Il s’est alors mis plus sérieusement à l’écriture et a rédigé des romans dont certains ont été adaptés au cinéma.

« Le péril bleu » est son troisième titre. A l’époque on le compare aux écrits de H.G. Wells, une très bonne référence. Le récit tombe dans l’oubli, est réédité en 1955 (avec des passages tronqués) puis d’autres fois. Les éditions de l’Archipel viennent de le remettre au goût du jour dans leur collection Archipoche. Ce format convient bien à ce texte, facile à transporter avec soi, car comme il est addictif, on n’a pas envie de le lâcher.

Mais qu’en est-il d’une histoire datant de 1910 ? Comment a-t-elle vieilli ?

Nous sommes dans le Jura, plus précisément dans le Bugey. Depuis quelque temps, des événements bizarres surviennent et déstabilisent la population. Objets volés, plantes ou branches coupées, animaux disparus, jamais deux fois les mêmes, jamais deux fois aux mêmes endroits. Des farceurs ? Les « Sarvants » (sorte de trolls dans le folklore local) ? Des travailleurs qui ne sont pas du coin ? Chacun y va de sa supposition et les spéculations sont très nombreuses. Des tours de garde sont organisés mais impossible de coincer les malotrus, ils semblent se glisser chaque fois où on ne les attend pas. D’ailleurs de quels moyens disposent-ils ? Il est surprenant de ne pas les voir agir avec une grande échelle lorsqu’ils vont voler une girouette haut placée sur un toit….. Et puis, un jour, ce sont des êtres humains qu’on ne retrouve pas. Là, c’est la panique. Kidnapping, disparition volontaire, accident ? On accuse, on suppute, on enquête, on suppose et surtout on a peur. D’autant plus que les derniers disparus sont des gens de la bonne société, liés à un grand astronome, Monsieur Le Tellier. Et si demain, c’était ma famille ?

Au début, on reste dans le Bugey, les superstitions ont bon dos, et tout le monde pense que l’affaire va se régler d’elle-même. Puis la situation évolue, l’angoisse va crescendo. Il faut en parler à Paris. Les gens de la capitale regardent ça de loin, ne sont pas décidés à se bouger. Les habitants du Bugey aimeraient qu’on les écoute, qu’on prenne en considération leurs demandes…

L’histoire se partage entre une enquête policière (ah, la petite moquerie de l’adepte de Sherlock Holmes, que c’est drôle), texte fantastique bien dosé et réflexions sur les liens de l’homme avec la science, son sentiment de supériorité sur le monde du vivant et sur les choix de vie de chaque personne (est-il possible de s’opposer aux volontés de sa famille ?).

Si les méthodes d’investigation sont désuètes, le texte en lui-même se lit bien sans le sentiment de se trouver face à un vocabulaire de « vieux » ou des remarques totalement dépassées. Au contraire, c’est intéressant d’observer les réactions des hommes et des femmes de cette époque face à des phénomènes qu’ils ne peuvent ni expliquer, ni maîtriser. Rien n’a vraiment changé…

Je n’avais jamais entendu parler de Maurice Renard et ce recueil a été une très belle découverte. C’est de la science-fiction comme je l’aime avec un univers réel d’hommes et de femmes ordinaires et quelques faits qui les dépassent, car totalement irrationnels. L’écriture fluide, les rebondissements réguliers maintiennent l’attention du lecteur qui aura des explications et des révélations dans la dernière partie de cet opus.


"Les lendemains" de Mélissa Da Costa

 

Les lendemains
Auteur : Mélissa Da Costa
Éditions : Albin Michel (26 février 2020)
ISBN : 978-2226447104
360 pages

Quatrième de couverture

Amande ne pensait pas que l'on pouvait avoir si mal. En se réfugiant dans une maison isolée en Auvergne pour vivre pleinement son chagrin, elle tombe par hasard sur les calendriers horticoles de l'ancienne propriétaire des lieux. Guidée par les annotations manuscrites de Madame Hugues, Amande s'attelle à redonner vie au vieux jardin abandonné. Au fil des saisons, elle va puiser dans ce contact avec la terre la force de renaître et de s'ouvrir à des rencontres uniques. Et chaque lendemain redevient une promesse d'avenir.

Mon avis

Résilience. C’est un mot doux à l’oreille, doux au cœur, un mot pour dire qu’on se fait du bien, qu’on pardonne, qu’on se pardonne (ce qui est beaucoup plus difficile), qu’on accepte le pardon.

C’est ce vaste programme qui attend Amande. Elle a vécu un drame, elle est détruite mais tient encore, même difficilement, debout. Elle ne veut plus voir personne, ne supporte plus la lumière, les gens. Alors, elle met son travail en pause, quitte son appartement et s’installe dans un coin perdu, en Auvergne, loin de tout.

Dans des conditions sommaires, coupée du monde, elle prend petit à petit possession des lieux qu’elle a loués. Elle découvre les « archives » de l’ancienne propriétaire. Des calendriers où sont annotées des conseils de jardinage, des recettes, des idées de décoration ou autres. Elle se plonge dedans et ça lui donne une motivation pour avancer de nouveau vers la vie, dans la vie.

C’est son parcours que nous suivons dans ce roman. Porté par l’écriture délicate de Mélissa Da Costa, ce récit est agréable, bien que je n’aie pas ressenti la puissance de « Tout le bleu du ciel » du même auteur. J’ai sans doute été moins « surprise ». Je me suis sentie moins bouleversée, moins touchée malgré ce qu’a vécu la jeune femme.  Peut-être que le fait que ça se passe « en presque huis clos » empêche qu’il y ait beaucoup d’actions, de rencontres, donc peu de rythme.

Il n’en reste pas moins que j’ai apprécié cette lecture et que je comprends que certaines personnes s’enthousiasment en la découvrant.


"Le carnaval des hyènes" de Michaël Mention

 

Le carnaval des hyènes
Auteur : Michaël Mention
Éditions : Ombres Noires (8 Juillet 2015)
ISBN : 978-2081347922
224 pages

Quatrième de couverture

Carl Belmeyer est une figure emblématique du paysage audiovisuel français. Présentateur du JT depuis plus de trente ans, il dissimule derrière son sourire une personnalité narcissique. Arrogant et manipulateur, il méprise tout le monde, à commencer par son public qui l'adore. Quand Barbara, une bimbo de l'émission de téléréalité Villa Story, meurt en direct sous les yeux horrifiés des téléspectateurs, le scandale secoue durement la chaîne. Elle doit rapidement redorer son blason et compte bien utiliser l'image charismatique de Belmeyer. Il redevient alors reporter de terrain et part couvrir la guerre civile qui fait rage au Liberia. Le message doit être clair pour l'audience : la chaîne se recentre sur l'essentiel.

Mon avis

En plein dans le PAF !!!

Carl Belmeyer a été journaliste, mais ça, c’était il y a longtemps… Maintenant, il est le roi du PAF, le Monsieur Journal Télévisé incontournable, connu de tous, adulé, depuis trente ans….
Il sait ce qu’il faut faire pour que le téléspectateur se scotche sur l’écran, l’écoutant comme un divin récitant. Juste ce qu’il faut mais pas trop, le bon dosage quoi… Et ce dosage, pour l’obtenir, et bien, il faut un peu d’exagération (mais c’est pour la bonne cause, pour que les gens comprennent mieux, pas vraiment du mensonge…), un peu de buzz (si c’est trop « lisse », comment voulez-vous que les personnes s’intéressent ??), un peu de provocation, un peu de suggestion… mais juste un peu, n’est-ce pas, comme si, finalement, il n’y avait presque rien…. Et de toute façon, c’est pour l’audimat….Et l’audimat, tout le monde le sait, c’est le nerf de la guerre….

Ah bon ? Cela vous fait penser à des situations existantes ou ayant existé… Euh, je vous arrête, c’est un roman donc…. Enfin, moi, ce que j’en dis…l’auteur n’a pas cité ses sources d’inspiration….

Carl est donc le « boss », le meilleur, le patron … et il le sait…. et il s’en sert….. Méprisant, puant, arrogant, il est détestable dans le quotidien sous un faux sourire et des airs affables…  Comment lui « rabattre son caquet » alors que tous ceux qui le côtoient souffrent d’un sentiment d’infériorité ?

Un problème sur la chaîne qui le fait travailler et le voilà pressenti pour redorer le blason… Partir sur le terrain, à nouveau, comme à ses débuts, et revenir plus haut, plus fort… En voilà une idée qu’elle est bonne !! Il hésite peu et n’oublie pas de négocier un petit (euh non, très gros, il ne perd pas le Nord) pécule qu’il trouvera à son retour…

Et le voilà parti, là-bas, loin, en Afrique, au Libéria, pour un reportage détonnant, un super coup médiatique…. Ce reportage exceptionnel  sera porté  par qui ? Je vous le demande…. Le fantastique Carl Belmeyer !!!! (Là, on se met debout et on applaudit bien fort – Pardon, je m’emballe, le livre a déteint sur moi  –). Le beau gosse pense, qu’une fois encore, il va tout maîtriser, manipuler, orchestrer, comme à son habitude. Pourquoi, d’ailleurs, en serait-il autrement ?
Parfois, c’est facile, « sur le papier », et puis, une fois confronté à la réalité, à  la vraie vie … les choses sont différentes… Et notre homme va l’apprendre à ses dépens….

Accompagné par une playlist tonitruante (les titres choisis et glissés ça et là par l’auteur cadencent la lecture),  l’intrigue est elle-même rythmée par une écriture décapante, brute de décoffrage, ne se cachant pas derrière de faux semblants. Michaël Mention écorche le paysage audiovisuel, et pas que… Il ose, il dit, il dénonce et on prend plein les yeux…. Qui manipule qui ? Pourquoi de nombreux spectateurs sont-ils passionnés par la télé réalité, qu’est-ce qu’un vrai journaliste ? Jusqu’où les informations qu’on nous livre quotidiennement sont-elles crédibles ?

Sous un aspect romancé, l’auteur pose les vraies questions, nous renvoie en pleine face notre crédibilité, notre facilité à croire ce qu’on nous offre comme « nouvelles », sans chercher à aller plus loin… Est-ce que parce qu’on fait confiance trop facilement, ou parce que c’est plus facile, que ça nous arrange de ne pas chercher à approfondir, à vérifier ….Parce qu’après tout « on n’est pas si loin de la vérité » (vieil adage bien connu…)

Cet opus en énervera quelques-uns (il n’en rajoute pas un peu là, il n’en fait pas trop ?), en ravira d’autres (ah enfin un écrivain qui met des mots sur ce qu’on pense tout bas,), interpellera peut-être certains (ou beaucoup)…..
« ….et nous voilà aujourd’hui dans un drôle de monde. L’homme n’y existe plus qu’à travers son besoin de représentation. » est-il écrit page 197… à chacun de se faire sa propre opinion….


"Souvenirs du rivage des morts" de Michaël Prazan

 

Souvenirs du rivage des morts
Auteur : Michaël Prazan
Éditions : Payot & Rivages (8 Septembre 2021)
ISBN : 978-2-7436-5369-9
370 pages

Quatrième de couverture

M. Mizuno coule une retraite heureuse après une vie sans histoire. Du moins c’est l’image qu’il s’applique à donner. Car son vrai nom est Yasukazu Sanso, ancien activiste de l’Armée rouge japonaise ayant déjà tué, et de sang-froid. La rencontre fortuite, à Bangkok, avec un vieux camarade va déclencher la mécanique implacable du souvenir. Comment, en quête d’idéal, s’est-il laissé embrigader dans les mouvements universitaires des années 1960 ?

Mon avis

C’est un grand-père paisible, veuf depuis peu. Il passe quelques jours de vacances dans un hôtel luxueux avec ses petits-enfants et sa belle-fille, Hiromi. Il n’a pas une grosse retraite mais son fils, qui a bien réussi, paie le séjour. D’ailleurs, ce dernier rejoindra les siens bientôt. Ce papy, Monsieur Mizuno, profite de sa famille, des agréables moments passés avec les petits, apprenant à nager à l’un, racontant des histoires, « tricotant » des souvenirs, se reposant aussi ….

Et puis un regard et tout bascule…. Un regard ce n’est rien pourtant, mais celui-ci va faire office de grain de sable dans la belle mécanique bien huilée de sa vie. Pourquoi ? La personne dont il croise les yeux est un allemand, connu il y a longtemps dans un passé qu’il a voulu oublier, soigneusement enfoui au plus profond de lui.

Un regard et tout change. Les cauchemars reviennent, les nuits agitées se réinstallent, la peur lui noue les tripes, il perd la maîtrise. Il tremble. Et si ce qu’il a construit année après année s’écroulait ?  Quel avenir aurait-il ? Il essaie de se faire discret, de ne plus y penser. C’est peine perdue. Les réminiscences remontent, violentes, encombrantes, effrayantes, douloureuses. Elles l’envahissent, le submergent et le laissent vidé, défait… Mais pourquoi ? En plus, Hiromi semble se poser des questions….

Cet homme, dont le véritable nom est Yasukazu Sanso, a été combattant de l’Armée rouge japonaise. Qu’est-ce qui l’a conduit à faire ce choix, lui qui était parti étudier à Tokyo ? Qu’est-ce qui pousse un être humain à commettre l’irréparable, à devenir une machine de guerre ? Comment Yasukazu s’est-il construit ? Quelles ont été ses décisions ? En quoi ont-elles influencé le cours de son existence ? Aurait-il pu faire autrement ?

C’est avec une plume d’une qualité indéniable que Michaël Prazan nous présente le passé et le présent de cet aïeul. Trois jours pour ici et maintenant, plusieurs années (de 1968 à 1974) pour « l’avant Monsieur Mizuno ». On découvre le cheminement de l’étudiant, les raisons qui l’ont poussé à faire sien les combats des activistes de l’Armée Rouge. Monsieur Mizuno est attachant, il semble fragile, fatigué, on s’interroge sur ce qu’il va devenir. En retournant en arrière, le lecteur découvre ce qui a été vécu dans différents lieux du monde (je ne veux pas en dire trop). C’est parfois très dur, et lorsqu’on sait que ça a existé, c’est encore pire.

Remarquablement documenté, (en fin d’ouvrage l’auteur a écrit une note complémentaire), ce récit globalement véridique fait froid dans le dos. C’est âpre, terrible, dur. C’est la folie des hommes dont il est quasiment impossible de sortir indemne. Monsieur Mizuno vit avec ce fardeau sur les épaules. Pendant quarante ans, il a réussi à vivre avec, non sans peine, et puis un regard a tout déséquilibré.

L’écriture de l’auteur est puissante. Les phrases courtes, parfois sans verbe, résonnent en nous. Comme les bruits qui accompagnent certains actes et qui hantent le vieillard. Ils rythment le récit, comme autant de coups de poings reçus pour ne pas oublier, pour ne pas faire « comme si » …. Ce recueil est passionnant, intéressant, il tient le lecteur en haleine sur les deux aspects qu’il présente.

Cette lecture m’a secouée car elle m’a fait connaître des faits que j’ignorais et qui interrogent sur l’homme et ses dérives. Je ne connaissais pas cet auteur et je suis admirative du travail de recherches qu’il a dû effectuer. De plus, tout sonne juste, nous interpelle, et nous captive. C’est un ouvrage à lire absolument !


"Genève trois pour sang" de Corinne Jaquet, André Klopmann et Sandra Mamboury

 

Genève Trois pour sang
Auteurs : Corinne Jaquet, André Klopmann, Sandra Mamboury
Éditions : Slatkine (4 Mai 2017)
ISBN : 9782832108086
160 pages

 Quatrième de couverture

Corinne Jaquet, Sandra Mamboury et André Klopmann ont publié une soixantaine de livres, dont beaucoup d’histoires criminelles. Tous trois vivent à Genève. Ils ont conclu un pacte : donner une suite à Genève Sang dessus dessous, le recueil de nouvelles policières qui les a réunis. Dans Genève Trois pour sang, leurs styles se répondent et se complètent.

Mon avis

Trois auteurs qui s’unissent pour vous entraîner dans leur univers. Trois mini romans, différents mais tous écrits avec un style de qualité, un phrasé soigné et un vocabulaire bien ciblé. Des retournements de situation qu’on ne devine pas, des personnages attachants (ou parfois détestables lorsqu’on découvre vraiment qui ils sont) et crédibles. Des scènes dans un contexte décrit sans lourdeur et un contenu fluide qui se lit avec plaisir.

Le point commun pourrait être l’art et la perversion des hommes. En effet, manipulations, tromperies, faux semblants sont présents. Le lecteur se fait balader, tant chaque rédacteur offre des pistes, qui semblent tout à fait crédibles…. Et puis, bang ! Nos certitudes s’ébranlent…..et on repart sur une autre route….

J’ai beaucoup apprécié ces trois histoires. Toutes  m’ont procuré des émotions diverses, aucune ne m’a laissé indifférente et j’ai trouvé les différentes approches originales et intéressantes.

Ce livre est une belle réussite !


"Le Mississippi dans la peau" de Eddy L. Harris (River to the Heart)

 

Le Mississippi dans la peau (River to the Heart)
Auteur : Eddy L. Harris
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pascale-Marie Deschamps
Éditions : Liana Levi (2 Septembre 2021)
ISBN : 979-1034904402
260 pages

Quatrième de couverture

On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Eddy le sait. Pourtant il décide, trente ans après une première descente du Mississippi en canoë, de réitérer l’exploit. Mais justement, ce n’est pas l’exploit qui l’intéresse cette fois. Il n’a rien à se prouver. Il veut juste prendre la mesure du temps écoulé. Eddy a changé, le fleuve a changé, le pays a changé.

Mon avis

« Je n’ai pas trouvé meilleur endroit pour prendre le pouls de l’Amérique qu’en son centre, le long du Mississippi. »

En 2016, trente ans après son premier périple (en 1986), Eddy L. Harris est reparti. Avec son canoë, il a décidé de redescendre le Mississippi, de longues semaines de navigation et 4000 kilomètres à pagayer. Qui a le plus changé ? Le fleuve, lui, le pays tout entier ? Les rencontres seront-elles les mêmes ? Riches d’échanges, perturbantes, agréables ? Peu importe, l’essentiel pour lui, c’est de relever ce défi qu’il s’est fixé, de repartir et de réussir.

La première fois, il ne savait pas à quoi s’attendre, cette fois-ci, c’est différent, il connaît les risques, les dangers. Est-ce que ça le rend plus fort ? Pas forcément car la difficulté sera présente et le corps a pris trois décennies, peut-être que l’expérience compensera et l’aidera à faire face aux impondérables.

Il est parti fin août avec son bateau, prêt à se jeter à l’eau, c’est le cas de le dire. Pratiquant un certain fatalisme, l’autodérision et parfois l’humour face au danger, se moquant de ses erreurs, il nous explique le bonheur qu’il ressent seul sur l’eau. Quand il rame, son esprit est libre, il pense, s’évade, analyse. Il ne veut pas revivre la même chose que la première fois. De temps à autre, un souvenir remonte, il en parle mais il ne cherche en aucun cas à reproduire ce qu’il a vécu, il n’est plus le même homme.

Il connaît ses limites, notamment en botanique, ou sur le chant des oiseaux et en zoologie. Cela ne l’empêche pas d’apprécier la nature, ce qu’il voit, de profiter de l’instant avec les carpes qui sautent partout ou le nuage d’éphémères. Il observe, il ramasse du riz avec des indiens, il mange une soupe chez l’habitante qui lui ouvre sa porte, il vit intensément chaque moment de bonheur.

« Mais quelque chose de racial couve dans les recoins obscurs de l’Amérique. »

En filigrane, reviennent régulièrement des réflexions profondes sur le racisme, sur les personnes à peau noire. Sur l’espoir qui a été mis en Barack Obama, un président noir qui pouvait faire, qui allait faire, qu’on a élu deux fois etc… et qui au final l’a déçu…. En repartant sur le fleuve, il voulait voir si le pays avait vraiment changé….

Il y a quand même ces deux paroisses, une blanche, une noire qui sont devenues une seule paroisse. « Pas une église unie mais une église qui unit. » Est-ce que ça suffit pour espérer en l’homme ?

Quels que soient les obstacles, les contrariétés, les désillusions, Eddy L. Harris aime la vie, profondément, et il transmet cet amour dans son écrit. Il vit une relation particulière avec le Mississipi, chaque périple étant l’occasion de se retrouver, de faire le point, de prendre le temps, de se sentir exister. Il le dit lui-même, être arrivé n’est pas la fin du voyage, ça ne se termine jamais.  

« Le voyage est souffrance et plaisir, déception, apprentissage et perte. Il est ce qu’on découvre, ce qu’on laisse, les gens qu’on rencontre, ce qu’on prend et ce qu’on donne, ce qu’on pense. »

L’écriture est magnifique, fluide (merci à la traductrice), clairvoyante, humble, posée, emplie d’humanité. Ce témoignage est intéressant et captivant pour de multiples raisons. Quant à l’auteur, écoutez-le :



"Un tesson d'éternité" de Valérie Ton Cuong

 

Un tesson d’éternité
Auteur : Valérie Tong Cuong
Éditions : Jean-Claude Lattès (18 Août 2021)
ISBN : 9782709668934
272 pages

Quatrième de couverture

Anna Gauthier mène une existence à l’abri des tourments entre sa pharmacie, sa villa surplombant la mer et sa famille soudée. Dans un climat social inflammable, un incident survient et son fils Léo, lycéen sans histoire, se retrouve aux prises avec la justice. Qu’advient-il lorsqu’un grain de sable vient enrayer la machine et fait voler en éclats les apparences le temps d’un été ?

Mon avis

Une belle maison, avec piscine, terrasse et vue imprenable, sur les hauteurs du Village. De l’extérieur, une famille sans histoire. L’habitation était celle de ses parents, à lui. Des gens hauts placés, avec une certaine notoriété qui a rejailli sur le fils, comme un héritage. Il a été journaliste, un peu par hasard, puis a perdu son boulot. Là, les amis, les connaissances se sont éloignés, des fois que ce soit contagieux, et puis, les sujets de conversation ne sont plus les mêmes, quand on n’a plus d’activité professionnelle…. Heureusement, il a pu rebondir et il est à nouveau dans le rythme. Ses relations l’aident pour sa nouvelle activité, il est nécessaire de se faire voir, au bon endroit, au bon moment et il le fait, avec sa femme, superbe, qui l’accompagne et tient son rôle à la perfection dans les réceptions, les cocktails, les dîners.

Elle, Anna, est propriétaire de la pharmacie du Village. Une situation acquise à la suite d’un combat de chaque jour jusqu’à son mariage. Issue d’un milieu modeste, son parcours n’a pas été semé de pétales de roses. En observant, en apprenant, elle s’est composée une personnalité nouvelle, parfaite, qui lui donne une aura. Mais à quel prix ? N’est-elle pas obligée de s’étudier, de retenir ses gestes, ses mots, de sanctionner ce qu’elle voudrait faire instinctivement ?

A eux deux, ils ont construit une vie que certains leur envient. Villa bien placée, argent facile, un fils en terminale qui intègrera une école prestigieuse pour rester dans ce qui est devenu leur choix, leur quotidien, un luxe discret mais bien présent. Il n’a jamais eu à lutter pour arriver, elle, si. Ils se complètent, à chacun son personnage.

Et puis, le tsunami. Leur fils Léo est arrêté pour violences sur un policier au cours d’une manifestation. En quelques heures leur monde s’écroule, se liquéfie, tout est balayé. L’équilibre se fissure, se délite… Pourquoi ? Tout n’était-il qu’apparence ? Que deviennent les amis, les proches, que disent-ils ? Que pensent-ils ? Que font-ils ? Empathie ? Une forme de voyeurisme ? Soulagement (ouf, ce n’est pas notre enfant) ? Ne penseront-ils pas « Et bien après tout, même chez les riches, il y a des failles…. » Sur qui peuvent-ils compter ? Comment l’histoire, leur histoire, a t-e-elle pu leur échapper ? Ont-ils raté quelque chose avec Léo ? Mais bon sang, il avait tout pour réussir ! Tout ? Trop ? Il n’y a finalement que deux lettres de différence…. Léo est un héros pour certains, un lâche pour d’autres….  

Avec son écriture incisive, précise, aux phrases souvent courtes qui tapent en plein cœur, Valérie Tong Cuong évoque la construction (puis la destruction) d’une vie pierre après pierre. En glissant, çà et là, des allusions sur le passé des parents, on découvre ce qui les a motivés, et comment ils sont arrivés ici et maintenant. Avec l’arrestation de leur fils, les lézardes intérieures, soigneusement dissimulées, étouffées, sont remontées à la surface, devenant des crevasses, des béances …. creusant un fossé qui sera difficile à combler.

Une fois encore l’auteur examine, dissèque des destins d’hommes et de femmes. Son analyse est fine, les mots qu’elle choisit sont les bons. Elle n’en fait pas trop, trouvant le ton juste. Le couple, la famille, l’avenir…. Que sera l’après pour tous ceux-là ? Y-aura-t-il des dégâts irrémédiables ? Sortiront-ils de cette épreuve indemnes, unis ou défaits ?

Ce court, mais très beau roman, nous rappelle combien tout peut basculer très vite….


"Fletch, à table ! " de Gregory Mcdonald 'Confess, Fletch !)

 

Fletch, à table ! (Confess, Fletch !)
Auteur : Gregory McDonald
Traduit de l’américain par Jean-François Defosse
Éditions : Archipoche (26 août 2021) 5publication originale en 1976)
ISBN : 978-2377354764
340 pages

Quatrième de couverture

Une nouvelle enquête du reporter-détective Fletch, aux méthodes peu orthodoxes, héros créé par Gregory Mcdonald et adapté au cinéma avec Chevy Chase dans le rôle-titre.
– Donc, vous arrivez dans une ville que vous ne connaissez pas, vous vous rendez dans un appartement que l'on vous a prêté et, le soir même, vous trouvez sur le tapis du salon le cadavre d'une splendide jeune fille nue que vous n'aviez jamais rencontrée auparavant. Ai-je bien résumé votre version ? conclut l'inspecteur Flynn.
– Oui, répondit Fletch.

Mon avis

So British

Ce roman est paru en 1976, mais si ce n’est le contexte (pas de téléphone portable, ni de GPS etc), il n’a pas du tout mal vieilli. Au contraire, c’est un régal de lecture, d’humour anglais, de dérision, de moquerie bien ciblée, de quiproquos, de manipulation de bon aloi. C’est amusant et plein d’esprit, excessivement plaisant à lire.

Fletch vit en Italie avec sa fiancée. Le père de celle-ci s’est remarié avec une femme assez jeune. Sa fortune se situe principalement dans une collection d’œuvres d’art qu’il s’est fait voler. Pensant au futur héritage de sa belle, Fletch s’envole pour Boston où il pense, sur la foi de quelques indices, retrouver tableaux et sculptures. Pour éviter des frais d’hébergement, il a échangé sa villa italienne avec un appartement. C’est là que, peu après son arrivée, surprise, il découvre le cadavre d’une jeune femme nue. Il prévient immédiatement la police. L’inspecteur Flynn débarque et se met à interpréter les faits à sa façon. Pour lui, Fletch est coupable et cherche à l’endormir avec un lot de mensonges. Ce qui est totalement désopilant, c’est la façon dont le policier commente ce qu’il croit être la vérité. Il est capable de retourner une situation pour en donner une version complétement différente.

En tant que lectrice, je me suis amusée à essayer d’anticiper ce que Fletch et Flynn allaient faire, l’un pour prouver sa bonne foi, l’autre pour inculper un innocent en se glosant d’avoir tout compris. Bien sûr, j’étais loin d’imaginer tous les stratagèmes mis en place et c’est tant mieux car cela a rendu ma lecture captivante et intéressante.

Fletch ne veut pas être arrêté car cela l’empêcherait de retrouver le « trésor » volé au père de celle qu’il va bientôt épouser. Alors il se décide à mener l’enquête en usant de toutes les ruses auxquelles il pense. Et bien, je peux affirmer que cet homme a de l’idée et que, notamment le coup du fourgon, je n’avais rien vu venir.

C’est un récit subtil, les deux hommes jouent sans cesse au chat et à la souris, s’espionnant, se surveillant, essayant d’obtenir une information, en prêchant parfois le faux pour savoir le vrai. Fletch est assez détaché, il ne semble pas avoir peur, il se tient à la ligne de conduite qu’il s’est fixée.

Les dialogues sont savoureux, merci au traducteur, Jean-François Defosse, qui a su leur donner un ton juste. Ces échanges, entre tous les personnages, ont leur importance, ils apportent de temps à autre, un éclairage, un indice sur les événements. Il n’y a pas forcément des éclats de voix, des cris, de l’action, des revirements, et pourtant, on accroche tout de suite.

C’est typique de l’humour anglais avec la noirceur tournée en dérision et un côté absurde mais réaliste. L’atmosphère n’est pas tendue, il y a sans cesse quelque chose qui prête à sourire.

Je comprends aisément que ce roman est reçu l’Edgar Award du suspense. L’écriture et le style de l’auteur nous maintiennent sous tension, l’air de rien. On s’en voudrait presque de ne pas pouvoir agir, ce qui est bien la preuve qu’on rentre dans cette histoire comme si on y était !

 


"Antonietta Lettres à ma disparue" de Gérard Haddad

 

Antonietta
Lettres à ma disparue
Auteur : Gérard Haddad
Éditions : du Rocher (1 er Septembre 2021)
ISBN : 9782268105802
207 pages

Quatrième de couverture

Alors que la maladie d'Alzheimer de sa femme Antonietta progresse, Gérard Haddad prend la plume pour écrire à celle qui ne parle déjà̀ plus. Ces lettres retracent la lente progression de la maladie : d'abord le déni, puis la lutte, les traitements et l'espoir de revivre « comme avant », puis les rechutes et l'entrée à l'Ehpad, peu avant l'épidémie de Covid et l'absolue solitude qu'elle impose pendant plusieurs longs mois.

Mon avis

« Ce livre est le temple de notre mémoire »

C’est l’histoire d’un amour, celui d’un couple : Gérard (l’auteur) et Antonietta, son épouse. Il l’a aimée et accompagnée jusqu’au bout, même lorsque son esprit a pris le chemin de l’errance, perdant toute rationalité. Alors, il lui écrit, ou plutôt, il crie en silence combien elle a été présence, combien il voudrait encore partager, écouter, discuter avec elle.

Les mots le brûlent, merci, pardon, se bousculent en lui. Peut-être pour la faire exister encore et encore alors qu’elle prend le chemin de l’oubli, il raconte, il explique. Les premiers troubles, son déni, puis le diagnostic et son idée absolue qu’un traitement allait stabiliser les « absences » et que ça n’irait pas plus loin. Puis la situation qui se dégrade, les choix difficiles qu’il faut faire, le deuil de celle qui a été et qui n’est plus, les petites, si légères, si improbables, rémissions…. Et enfin le basculement, le placement qui a des accents de culpabilité, n’aurais-je pas pu, pas dû, faire autrement ? Et le COVID qui s’invite par-dessus tout ça et qui limite, interdit, les visites …Quelle décision prendre à ce moment-là, existe-t-il une solution ? Peut-on laisser l’autre seul, abandonné ?

Gérard Haddad nous offre un texte lumineux, avec une écriture empreinte de tendresse, de respect, d’amour, pour celle qui a été sa compagne. Il ne larmoie pas, il ne se plaint pas. Il exprime les hauts, les bas de leur couple, les difficultés, les ressentis face à la maladie, les amis qui viennent moins, les conseils des uns et des autres, les peurs, les espoirs …

Ce qui ressort toujours et encore, c’est l’amour infini qui a uni ces deux êtres. Elle tenait la barre et ils avançaient ensemble contre vents et marées. Il a pris le relais quand elle n’a plus pu le faire.

Malgré le sujet difficile, qui évoque la perte d’autonomie d’un être cher, cette lecture n’est pas déprimante. Sans doute, parce que l’auteur a évité de s’épancher sur les moments difficiles qu’il présente, sans non plus trop les détailler, ce qu’il en dit suffisant largement à nous faire comprendre sa détresse, sa tristesse, son mal-être.

L’amour lui a donné la force, le courage, nécessaires pour faire face et être là, toujours, pour Antonietta …. comme elle l’aurait sans aucun doute fait pour lui.