"Le cinquième témoin " de Michael Connelly (The Fifth Witness)


Le cinquième témoin  (The Fifth Witness)
Auteur : Michael Connelly
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Robert Pépin
Éditions : Calmann-Lévy (2 mai 2013)
ISBN : 978-2702141540
478 pages

Quatrième de couverture

Abandonnée par son mari, Lisa Trammel n’a soudain plus assez d’argent pour payer ses mensualités d’emprunt immobilier, et la Westland National Bank menace de saisir sa maison. Affolée, elle engage l’avocat Mickey Haller, mais elle est si révoltée par l’épidémie de saisies liée à la crise des subprimes qu’elle manifeste souvent et violemment devant la banque au point de s’en voir interdire l’accès par la justice.
Malheureusement pour Haller qui espérait gagner du temps en faisant traîner la procédure, le dossier se corse quand sa cliente est soudain accusée du meurtre de Mitchell Bondurant, un cadre dirigeant de la Westland retrouvé mort dans le parking de son agence.

Mon avis

Retrouver l’écriture de Michael Connelly est toujours un plaisir pour moi, cela ne peut pas vraiment être mauvais. J’ai un faible pour ses histoires, ses héros. Bon, je l’avoue, je préfère Harry Bosh à son demi-frère Mickey Haller, mais je commence à m’habituer au second et il deviendra peut-être, lui, aussi, au fil du temps, « un vieux pote ».

Lorsqu’on est avec Haller, on sait que ce sera moins noir, que le personnage sera moins torturé et l’ensemble sans doute plus détendant. Par contre, on est plus dans le roman judiciaire que dans le policier. L’essentiel de l’intrigue tourne autour de la justice américaine et de son cinquième amendement entre autres et une grande part de l’intérêt réside dans la façon dont on va être amené au procès puis le suivi des échanges lors de celui-ci.

Cette fois-ci, le romancier prend son temps pour installer décor, ambiance et personnages. Nous ne sombrons pas tête première, yeux ébahis dans les débats entre la défense et l’accusation ainsi que l’écoute des témoins. Non, l’auteur situe son intrigue dans cette crise économique des subprimes qui a provoqué de gros problèmes financiers aux Etats-Unis entre 2007 et 2011. En quelques mots, un subprime est un prêt immobilier concédé par une banque pour un client dont personne n’aurait imaginé qu’il puisse acheter. Mais ce sont des prêts à taux variable et la garantie est le logement lui-même…Vous avez compris… D’ailleurs Mickey Haller va expliquer ce dont il retourne à sa fille (une jeune adolescente) et c’est parfait pour le lecteur : idées claires, vocabulaire simple et adapté, j’ai tout compris de ce problème. Ce qui m’a permis « d’épouser » la colère et le désarroi de Lisa Trammel.
Bien que cette femme nous échappe un peu, on se surprend à la plaindre. Parfois, on s’interroge…. Qui est-elle vraiment ? N’est-elle pas en train de manipuler les médias, le lecteur, son défenseur ? C’est un personnage intéressant car il est difficile de la cerner et cette ambivalence a un certain « charme ».

Une fois le « paysage » mis en place avec cette atmosphère typiquement américaine, on peut assister au procès et (re)découvrir cette justice qui commence à nous être familière malgré sa complexité. Les uns et les autres vont se succéder à la barre avec les pauses inévitables, les discussions, les « coups en douce », les retournements de situation, les surprises concoctées par les uns ou les autres. Et là, je trouve que l’auteur est très fort. Ce n’est pas rébarbatif, ni lassant mais captivant. Les dialogues sont décortiqués, expliquant les événements, analysant les faits et gestes, reprenant ce qui peut être considéré comme acquis pour mettre le doute et éventuellement retourner les certitudes. C’est comme un grand jeu de logique dans lequel le lecteur essaie de repérer la vérité, de se faire son opinion.

Bien sûr, tout va s’accélérer sur la fin et si je peux me permettre de faire un petit reproche à Monsieur Connelly, c’est qu’il ne faudrait pas qu’il tombe dans le roman manquant de profondeur. Je comprends très bien qu’Harry Bosh est un homme où l’esprit prend parfois le dessus sur l’action tant il est torturé et se pose des questions mais il ne faudrait pas que Mickey Haller soit carrément l’opposé et oublie de se questionner, d’aller plus loin (en dehors de son boulot où il se donne à fond) à moins que ce soit volontaire. Mickey « bouffé » par son boulot passe à côté de tout le reste car il ne touche plus terre ??

Toujours est-il que cet opus est un bon roman, captivant par le sujet traité dont il donne une bonne approche mais aussi pour nous montrer comment les différentes interprétations d’une même situation peuvent amener des conclusions différentes….

"La ferme du bout du monde" de Sarah Vaughan (The Farm at the Edge of the World)


La ferme du bout du monde (The Farm at the Edge of the World)
Auteur : Sarah Vaughan
Traduction de l'anglais (Royaume-Uni) par Alice Delarbre
Éditions : Préludes (Avril 2017)
ISBN : 9782253107866
450 pages

Quatrième de couverture

Cornouailles, une ferme isolée au sommet d’une falaise. Battus par les vents de la lande et les embruns, ses murs abritent depuis trois générations une famille… et ses secrets.1939. Will et Alice trouvent refuge auprès de Maggie, la fille du fermier. Ils vivent une enfance protégée des ravages de la guerre. Jusqu’à cet été 1943 qui bouleverse leur destin. Été 2014. La jeune Lucy, trompée par son mari, rejoint la ferme de sa grand-mère Maggie. Mais rien ne l’a préparée à ce qu’elle y découvrira. Deux étés, séparés par un drame inavouable. Peut-on tout réparer soixante-dix ans plus tard ?

Mon avis

Une belle saga familiale

Elle abrité six générations mais nous n’en verrons que trois dans ce roman. Elle ? C’est « Skylark », la maison, la demeure ancestrale qui attire comme un aimant et qui parfois repousse les visiteurs. Elle en sait plus que tous, elle a tout vu, tout entendu , elle est la gardienne des souvenirs, des racines….

En 2014, on y retrouve la grand-mère, sa fille, son fils et la petite fille. Cette dernière au bord de l’implosion a quitté Londres et son travail d’infirmière qui ne la laisse plus souffler. De plus, son couple bat de l’aile… Alors, elle vient se poser, comme l’alouette (Skylark) dans les champs, au bord  de l’eau…. Elle va ainsi prendre conscience de quelques réalités qu’elle avait occultées….

En parallèle, la seconde guerre mondiale avec Maggie, la grand-mère qui est une jeune fille. Alternant les deux périodes, l’auteur nous entraîne sur les chemins tortueux des secrets de famille, des difficultés du monde rural, des liens indéfectibles qui se créent entre les êtres.
Portée par une écriture douce, tendre et poétique, retraçant une atmosphère où les Cornouailles sont omniprésentes, cette saga familiale se laisse lire sans interruption tant elle est prenante.

J’ai beaucoup apprécié ce roman simple, mais si vivant, où le décor me faisait rêver et où les protagonistes avaient à cœur d’être vrais.

"Ceux qui te manquent" de Nuala Ellwood (My sister's bones)


Ceux qui te mentent  (My sister's bones)
Auteur: Nuala Ellwood
Traduit de l'anglais par Claire Desserrey
Éditions: Michel Lafon (08/02/2017)
ISBN: 978-2749934044
366 pages

Quatrième de couverture

Kate est reporter de guerre et souffre de stress posttraumatique. À cause, entre autres, d'un enfant qu'elle n'a pas pu sauver à Alep. Quand elle rentre à Herne Bay pour les obsèques de sa mère, Kate se souvient de cet endroit où tout allait bien jusqu'à la mort de David, son petit frère. Un accident, dira-t-on. Ensuite plus rien n'a jamais été pareil. Leur père est devenu violent. Leur mère a perdu la raison. Puis sa sœur, Sally, a sombré elle aussi, malgré l'aide de son mari, Paul.


Mon avis

Ce roman commence doucement et installe les faits et les personnages pendant une bonne moitié. Et puis dans les deuxième et troisième parties, tout s’accélère, et on se retrouve collé au canapé, les mains moites et le cœur battant. A ce moment-là, impossible de lâcher le livre.

Kate est grand reporter, elle risque sa vie dans des endroits dangereux, comme la Syrie, loin de sa famille avec laquelle elle a peu de liens. Sa mère vient de mourir et elle revient dans la maison où elle a habité avec sa sœur et ses parents…Les souvenirs ressurgissent….. Ceux de son passé d’enfant, mais aussi ceux de son vécu de journaliste… Tout se mélange parfois comme si des fils invisibles reliaient les différents moments difficiles qu’elle a vécus….une toile d’araignée se met en place et on se demande comment elle va survivre à ce stress post traumatique qui l’empoisonne de plus en plus, qui la déstabilise et provoque beaucoup de questions chez son beau-frère, sa sœur, et même la police qu’elle interpelle…… Elle semble malade, perdue, ne sachant plus où est la vérité….

Et puis, on bascule, on change de narrateur, tout en retrouvant les mêmes lieux, les mêmes personnages et petit à petit l’indicible se fait jour. Les doutes qu’on avait pu entrevoir, l’espace d’une fraction de seconde, avant de les repousser, apparaissent, prenant de plus en plus de place…..A partir de cet instant, le sous-titre : « thriller psychologique » prend tout leur sens…..

Avec son écriture au scalpel, quasi chirurgicale, posant des mots terribles sur des situations qui le sont tout autant, l’auteur nous entraîne dans les tréfonds de l’âme humaine. Le style est vif, (bravo à la traductrice) ne laisse que peu de répit au lecteur…. Tout ce qu’il lit lui colle à la peau, le prenant en otage, spectateur invisible et impuissant des différents drames qui se nouent sous ses yeux……

Ce recueil est excellent et Nuala Ellwood a su mettre en place une construction qui en surprendra plus d’un !

"Les neuf dragons" de Michael Connelly (Nine dragons)


Les neuf dragons (Nine Dragons)
Auteur : Michael Connelly
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Robert Pépin
Éditions du Seuil (16 Mai 2011)
ISBN : 978-2757828304
408 pages

Quatrième de couverture

Harry Bosh est dépêché sur les lieux d’un meurtre, quelque part au Sud de Los Angeles : dans son petit magasin de spiritueux Fortune Liquors, le vieux Monsieur Li a été abattu de trois balles dans la poitrine. Secondé par l’Unité des Crimes Asiatiques en la personne de l’inspecteur Chu, Bosch identifie rapidement un suspect, membre de la mafia locale chinoise. Cette triade, appelée Le Couteau de la Bravoure, apprécie peu l’intrusion de la police dans ses affaires.

Mon avis

Une des difficultés premières avec les personnages récurrents, c’est de bien les « faire » vieillir. C'est-à-dire faire en sorte qu’ils évoluent comme un être de chair, que notre intérêt ne s’émousse pas et que l’envie reste intacte. Un peu comme dans les belles histoires d’amour …

Harry Bosch m’a toujours intéressée, c’est sans doute pour cela que je vais pardonner les imperfections du dernier roman de Michael Connelly.

Une couverture souple avec de belles photos, un livre pas trop lourd, une théière bien remplie, un bon canapé et Harry …
Tout était réuni pour un de ces moments où la lecture est bonheur parce qu’elle vous emporte ailleurs et vous laisse scotché au fauteuil ….

Je me suis levée plusieurs fois …. Pas bon signe ça !

Pas de gros reproches mais quelques uns malgré tout à signaler …

D’abord, une traduction de mauvaise qualité, certaines phrases sont à peine correctes et le vocabulaire m’a semblé mal choisi. Auteur non fautif : excusé (mais quand même, ça gâche un peu … attention la prochaine fois !)
Beaucoup de morts, pas toujours utiles (on aurait pu les assommer et les ficeler) mais ce n’est pas gênant, vu qu’on ne voit pas les images et le sang qui coule partout, donc : excusé !
Des ficelles et des rebondissements énormes assortis de certaines situations peu crédibles: il est tellement difficile de se renouveler (attention à ne pas s’inspirer des autres : le héros qui part en mission dans une autre contrée, c’est du déjà vu) que …. bon ……. excusé !

Des personnages qui auraient mérité une étude psychologique plus approfondi (caractère, choix
de vie …), je sais que Connelly en est capable : pas excusé !
Une intrigue sur Los Angeles peu intéressante : pas excusé !
Un léger abus de dialogues qui ne font rien avancer : pas excusé !

Mais il y a aussi ….

Une excellente approche de la vie à Hong-Kong, de ce que sont les triades avec leurs codes, leur fonctionnement, les croyances des uns et des autres … L’auteur parait s’être bien documenté et au-delà de l’intrigue, c’est une réelle découverte qui, en plus, donne le souhait d’aller plus loin pour mieux comprendre Hong-Kong, les mœurs, les triades, les relations …
Un Harry Bosch, plus père que jamais, qui se met à vibrer quand il sent que sa fille peut souffrir, un Harry Bosch qui devient hystérique (mais qu’aurais-je fait à sa place ?), ne pouvant plus se contenir tant qu’il n’aura pas retrouvé sa progéniture, un Harry Bosch humain, « une vraie tigresse », un Harry Bosch attachant malgré sa mauvais humeur, ses failles, ses erreurs et aussi à cause de cela …. Cet homme n’est pas parfait ! Il vivra avec le poids de la culpabilité, il s’échinera sans doute à trouver le chemin de la rédemption …
Un Harry Bosch décidé à devenir un bon père, au point même de renoncer à la bière dans le réfrigérateur (je n’en bois pas mais ce sacrifice n’est-il pas exagéré ? C’est l’excès qui n’est pas bon, pas la bière elle-même !), un Harry Bosch que je regarderai vieillir volontiers ….


C’est terrible de beaucoup lire, on devient difficile, on supporte moins les imperfections, on ne voudrait que du beau, du bon, bien écrit …
Vous l’aurez compris, ce n’est pas le meilleur Connelly, pas le plus mauvais non plus.
Si vous ne connaissez pas Harry, vous pouvez commencer par celui-ci même si c’est dommage car je pense que vous ne serez pas déçu, les événements s’enchaînent sans temps mort …
Si vous connaissez Harry, vous serez ravi (malgré les quelques défauts) de le retrouver.

Donc …. Bonne lecture !

"Le briseur d'âmes" de Sebastain Fitzek (Der Seelenbrecher)


Le briseur d’âmes (Der Seelenbrecher)
Auteur : Sebastian Fitzek
Traduit de l'allemand par Penny Lewis
Éditions : l’Archipel (mars 2012)
270 pages

Quatrième de couverture

Un psychopathe sévit dans les environs de Berlin. Lorsque la police retrouve ses victimes, ces dernières sont vivantes, n'ont subi aucun sévice, mais se trouvent prostrées dans un état végétatif, psychologiquement anéanties, comme privées de conscience...
D'où le surnom que lui a donné la presse : le briseur d'âmes. Quelles tortures mentales a-t-il infligé à ses proies ? Et pourquoi laisse-t-il dans leur main une phrase énigmatique ?

Mon avis

Waouhh !!! Un huis clos qui décoiffe, qui secoue, qui déroute … Une vraie réussite…

Lecture sur deux tableaux :
1) Des étudiants, avec un professeur, consultent le dossier d’un patient après avoir signé une « décharge » d’un genre particulier.
2) Le dossier du patient nous raconte une courte période dans une clinique psychiatrique où les personnes présentes se retrouvent bloquées sur place par la neige. (et subtilité amusante, lorsqu’on arrive page 89 du dossier du patient, on est page 89 dans le roman….).
Toute se mêle astucieusement, et on se laisse aller à penser « où est la vérité ? » …
Nous passons de l’un à l’autre.
De temps en temps (pas souvent mais un peu), les étudiants ou leur professeur s’expriment et on revient dans le présent. Un présent presque aussi angoissant que le récit que l’on découvre par l’intermédiaire du suivi d’un malade, le tout décortiqué dans un horaire précis, avec un passage avant la Peur (avec une majuscule) et un après …

C’est très très bien pensé. L’auteur réussit à nous manipuler, comme le sont ses personnages. Aucune conviction, aucune certitude ne peuvent nous habiter … seuls les doutes, le flou, les questions sont présentes en nous. Le tout accompagné d’une ambiance terrifiante, la tension montant en force au fil des pages, parallèlement à la terreur qui s’installe dans la clinique …

« On prétend que l’homme ne révèle sa véritable nature que dans des situations extrêmes. »
Les hommes et les femmes enfermés dans la clinique sont dans ce cas. Jusqu’où peuvent-ils aller ? Qui croire ? Comment agir pour s’en sortir ? A travers une situation qui évolue sans cesse, nous sommes comme eux, confrontés sans arrêt à des interrogations sans fin, doutant de tout et de tous …

Caspar, le « patient » est amnésique, son passé semble trouble, il ne sait plus qu’il est, il a été retrouvé sans papier d’identité. Parfois des « échos » (alors écrits en italiques) résonnent en lui, à ce moment là, des paroles ou des images s’imposent dans son esprit torturé …. Rêves, cauchemars, souvenirs réels ou déformés ? Il nous entraîne à sa suite, nous laissant entrevoir des pistes pour mieux le comprendre, le connaître … Mais est-il celui que nous croyons ?
Tout n’est-il pas qu’apparence ?
« Méfiez-vous des apparences. Oui, à première vue, on dirait un roman. Mais ce n'est que l'arbre qui cache la forêt. »
Dit le professeur à ses élèves …. avant même de les laisser lire ….

Petites énigmes pour « décompresser » (mais pas tant que ça … parfois elles rajoutent à l’oppression), réflexion sur le rôle de l’hypnose par rapport à la souffrance, influences des êtres humains sur d’autres lorsqu’ils bouleversent leur mode de pensées, leur réalité, tous ces sujets sont abordés dans ce roman.

L’écriture est acérée, cinglante, économisant le superflu pour ne laisser que les mots qui « frappent », qui envahissent cerveau, esprit, pensées … comme autant de coups de butoir déstabilisant nos piètres certitudes ….

Parler des personnages serait déflorer le roman, sachez juste que chacun d’eux est remarquablement décrit, introduit dans l’intrigue à un moment clé, pour ajouter à ce climat alarmant si bien retranscrit ….

La grande force de l’auteur est de réussir avec brio à nous faire passer sans arrêt d’un état à un autre et à retourner régulièrement la situation décrite quand elle semblerait se stabiliser ….
On s’imagine que tout va s’apaiser, que chacun a trouvé sa place et puis … il n’en est rien …

"Angoisse à louer" de Patrick S. Vast


Angoisse à louer
Auteur : Patrick-S. Vast
Éditions : Ravet-Anceau (10 Juin 2013)
Collection : Polars en Nord
ISBN : 9 782359 733365
200 pages

Quatrième de couverture

Michel Massard arrive à Béthune dans le cadre d’une mutation professionnelle. Il a besoin d’un logement dans les plus brefs délais. Par chance, l’annonce d’un studio meublé affichée dans une vitrine tombe à pic. Malgré l’attitude étrange des agents immobiliers, Michel s’empresse de visiter les lieux et de louer cet appartement providentiel. Une décision trop hâtive ? Certainement ! Dans sa résidence, les voisins ne sont pas aimables. Il y règne même une ambiance inquiétante. De plus en plus mal à l’aise, Michel veut quitter l’immeuble. Cependant, les autres résidents ne semblent pas décidés à le laisser filer…

Mon avis

Court et efficace….

Roman Polanski a tourné « Le locataire » en s’inspirant du livre « Le locataire chimérique » de Roland Topor. C’est à ce dernier que Patrick-S. Vast rend hommage en écrivant « Angoisse à louer » qui se déroule dans le Nord de la France, et plus précisément à Béthune.

Je ne sais pas jusqu’à quel point, l’auteur s’est inspiré du texte de Topor (que je ne connais pas) donc je n’en parlerai pas et je ne jugerai pas.

Personnellement, dès les premières pages, j’ai été prise dans les rets de ce récit, sentant l’ambiance s’installer, le trouble s’immiscer dans mon esprit et la tension, ressenti pat Michel Massard, m’envahir….
Les différents personnages sont un peu ambigus, juste ce qui est nécessaire pour interroger le lecteur. Entre les collègues de bureau, la concierge et sa nièce, le responsable de l’agence immobilière …. notre « assimilé fonctionnaire » ne sait plus à qui faire confiance et comment séparer le vrai du faux.
Il veut se dépêtrer d’un nœud gordien et malgré quelques prises de décision qui lui semblent efficaces, il s’’embourbe, se retrouve de plus en plus serré, coincé, au centre d’une histoire qui le dépasse.
Pourtant, au départ, rien de bien méchant, il doit libérer son logement et en découvre un en « dépannage ». Bien sûr, l’immeuble est calme et il ne doit pas recevoir de visites bruyantes et encore moins de petite amie… Puis petit à petit, un peu par négligence, il se laisse embourber pensant que tout se décantera prochainement et puis ….

L’écriture de l’auteur est très énergique : en peu de mots, décors, personnages, et atmosphère sont installés et on s’y croirait. On se prend à penser que Michel Massard manque peut-être de punch ou de volonté et parallèlement, on comprend ses réactions d’attente, se disant que demain est un autre jour.
Autour de lui, gravitent un bon nombre de protagonistes : ses collègues de travail, ses voisins d’immeuble ou de quartier, sa petite amie et même la police qui va intervenir dès qu’il y aura un problème. Tous seront reliés entre eux et de plus ou moins loin à Michel au fil de l’intrigue, arrivant au fur et à mesure du déroulement.

L’immeuble sera le fil conducteur mais d’autres pistes se présenteront à nous pour éviter au lecteur de se focaliser sur le mystère de ces logements. En filigrane, Patrick-S. Vast abordera, sans les creuser, des sujets importants : la solitude des personnes âgées, la routine dans les couples, les envies lorsqu’on n’a pas les moyens de les payer…. et surtout dans plusieurs cas, l’emprise que certaines personnes peuvent avoir sur d’autres…. Même si on est ici, dans du fictif, on sait que la réalité peut se rapprocher de ce qu’on lit et cela fait froid dans le dos…brrr….

C’est une lecture très agréable, vite lu, sans temps mort, où les situations s’enchainent sans qu’on s’ennuie une seule seconde.


"Le verger de marbre" d'Alex Taylor (The marble orchard)



Le verger de marbre (The marble orchard)
Auteur : Alex Taylor
Traduit de l'américain par Anatole Pons
Éditions :  Gallmeister (Janvier 2018)
Collection: Totem
ISBN : 978-2-35178-634-5
272 pages

Présentation de l'éditeur

En plein Kentucky rural, la Gasping River déploie son cours au milieu des falaises de calcaire et des collines. Un soir où il conduit le ferry de son père sur la rivière, le jeune Beam Sheetmire tue un passager qui tente de le dévaliser. Mais sa victime est le fils de Loat Duncan, un assassin sans pitié. Toujours accompagné de ses chiens menaçants, Loat est lui-même porteur d’un lourd secret concernant le passé de Beam. Aidé par son père, le jeune homme prend la fuite.

Mon avis

« Les gens étaient esclaves de leur fragilité… » *

On est, dès les premières pages, dans l’Amérique profonde et rurale. Une famille, Derna, la mère, Clem, le père et Beam , le fils, gèrent tant bien que mal, un bac qui permet de passer la  Gasping River dans le Kentucky. Ce n’est pas ce qu’on fait de mieux comme boulot mais lorsque le chômage est important dans le coin, on s’en contente, quitte à arrondir les fins de mois en se servant un peu au passage sur les clients.  Beam, il est ce qu’il est, un jeune de dix-sept ans, plutôt désœuvré, pas très vaillant, mais assez obéissant lorsque son Papa lui confie la tâche d’assurer quelques traversées.  La vie n’est pas reluisante mais il faut faire avec, vivoter le mieux possible et s’en accommoder.

Et puis, un jour, Beam fait une très grosse bêtise, la faute à pas de chance bien sûr mais c’est trop tard, le mal est fait. Il lui faut fuir, pour aller au bout de nulle part, dans ce coin des Etats-Unis où l’on trouve des hommes prêts à en découdre pour un rien, qu’ils soient tenanciers, routier ou autres … Ils ont la gâchette facile, le geste brutal, le verbe injurieux et sec ….  C’est sans doute pour se montrer virils, forts ….. De rencontre en rencontre, Beam nous emmène toujours plus loin, au plus près d’une certaine forme de misère, de pauvreté intellectuelle, dans une atmosphère rarement éclairée d’un rayon de soleil. Il fuit sans faire beaucoup de kilomètres,  comme incapable de quitter ce coin de terre, de se confronter à un monde différent qu’il ne connaît pas bien.

Ce roman fait ressortir de vieux secrets de famille. Alors, me direz-vous, ne va –t-on pas trouver un air de déjà vu ? Non, parce que l’auteur s’empare de cette intrigue dans un style très personnel. Il y a, en effet, un contraste saisissant entre les conversations en langage familier, directes et sans fioritures, et le reste du texte qui peut offrir de belles descriptions, des phrases résonnant comme des extraits de poèmes….(d’ailleurs « Le verger de marbre » désigne le cimetière).
« Certains coins portaient encore la balafre de veines à ciel ouvert, et la houille en surface brillait d’un éclat bleuté sous le soleil, le sol lui-même cendré et couvert de schiste présentant l’aspect morne et éreinté d’une véritable géographie du désespoir . »
 C’est façon d’écrire est bouleversante, comme si, la laideur, la méchanceté restaient dans les dialogues, les attitudes, les actes, mais que tout autour, pour un peu qu’on ouvre les yeux, la beauté, le bonté,  ne demandaient qu’à se montrer ….. Il y a un faux rythme, on avance à la cadence de Beam et de temps à autre, tout s’accélère…..

C’est noir mais ce n’est pas glauque, ça vous broie les tripes mais ça ne vous fait pas peur, ça vous serre le cœur et vous cherchez des raisons d’espérer des jours meilleurs malgré la détresse qui suinte entre les lignes.  

J’ai beaucoup apprécié cette lecture qui bouscule les codes, qui m’a mise face à des hommes durs mais quelquefois attachants (même les personnages secondaires sont étoffés et tiennent leur place), face à des femmes fortes et fragiles à la fois, aimantes le plus souvent (Derna est un modèle d’amour qui ne sait pas s’exprimer mais qui se dévoue corps et âme pour son fils), face à une région d’Amérique qui a dû se sentir abandonnée…..

* page 69

"Les dieux du verdict" de Michael Connelly (The gods of guilt)


Les dieux du verdict (The gods of guilt)
Auteur : Michael Connelly
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Robert Pépin
Éditions : Calmann-Lévy  (Octobre 2015)
ISBN : 9782702141571
380 pages

Quatrième de couverture

Après avoir perdu son élection au poste de procureur, l’avocat Mickey Haller est au plus bas. Son ex s’est éloignée de lui et sa fille ne lui parle plus-: elle lui reproche d’avoir fait libérer un alcoolique qui s’est aussitôt empressé de prendre le volant et de tuer une mère et sa fille. Mais un jour, il reçoit un texto de son assistante-: appelle-moi – 187. 187 étant le code pour «-meurtre-», Haller sait qu’il va devoir se remobiliser pour défendre l’accusé. Mais la victime, Gloria Dayton, est une ancienne prostituée que Mickey aimait beaucoup et qu’il pensait avoir aidée à rentrer dans le droit chemin. Découvrir qu’elle l’a dupé en continuant de se prostituer et imaginer que c’est peut-être lui qui l’a mise en danger le met rapidement sous pression. Sans compter que certains personnages qui devraient faire respecter la loi se montrent violents et malhonnêtes. Ils n’apprécient pas qu’Haller se mêle de leurs affaires.

Mon avis

Habeas Corpus

Chez mon ami Michael Connelly, il y a Harry Bosh, inspecteur du LAPD au caractère torturé ;  et son demi-frère, Mick Haller, l’avocat de la défense, qui fait parfois sortir des « méchants » de prison, et qui, lui, est globalement mieux dans ses baskets…. L’un est l’autre sont des personnages récurrents (plus l’un que l’autre , d’ailleurs) et j’ai du plaisir à les retrouver comme de vieux potes dont on est content d’avoir des nouvelles.  Bien sûr, il arrive que l’auteur soit un peu en dessous de ses possibilités et que son texte soit moins élaboré que celui de ces premiers livres :  le Poète ou Créance de sang mais comme à une vieille connaissance, on pardonne et on attend le prochain….

Dans « Les Dieux du Verdict », c’est l’avocat que nous retrouvons et cet opus est un bon cru. Pour ceux que l’idée d’un énième procès à suivre rebuterait, il faut signaler que cette fois-ci, le grand jeu des jurés avec celui ou celle qui sert de point de repère, n’apparaîtra que dans le dernier tiers du roman.
Pour les autres parties, c’est le passé de Mickey qui lui revient en pleine face et comme il ne connaît pas Ferré, il ne peut pas chanter « Monsieur mon passé, voulez-vous passer ? » et du coup, il est bien obligé de faire avec…même si tout ça vient bouleverser son quotidien et le déstabiliser car les révélations  vont être nombreuses…

Il croyait que Gloria s’était sortie de la prostitution grâce à lui, plutôt satisfait de sa bonne action … Mais il va découvrir des choses bizarres, peu cohérentes avec l’image qu’il avait d’elle… Mick Haller est tenace et il veut comprendre, d’autant plus que l’homme qui a fait appel à lui pour le défendre est accusé d’avoir tué Gloria, ce qu’il réfute bien entendu…. La situation est tendue et les gens qui agissent dans l’ombre tirent des ficelles bien plus importantes qu’on ne l’imagine au départ… L’escalade dans la manipulation se met en place, chacun essayant de se préparer à influencer les autres pour gagner la partie mais la vie n’est pas un jeu…les dégâts collatéraux peuvent être terribles, Mickey doit être prudent…. Alternant les passages passé présent, mêlant différents milieux : les policiers, les trafiquants, les prostituées, l’équipe autour de Haller, l’auteur nous entraine dans un récit complexe mais lisible. Les rencontres avec David, hospitalisé et à qui l’avocat fait passer de la nourriture sous le nez des infirmières sont des digressions humoristiques qui détendent l’atmosphère lorsque la tension est trop forte et pour ne rien gâcher, David se révèle de très bon conseil.

Le procès habilement mené clôturera le tout avec finesse. Ce n’est pas du tout lourd (ou alors je m’habitue aux arcanes judiciaires américaines) car le discours est clair, presque pédagogique (mais présenté avec intelligence). De plus, les nombreux dialogues enlèvent l’aspect pesant que pourrait avoir ce genre de lieu et de récit.  On pourrait penser que ce milieu de prétoire, de lois, de contraintes administratives va être pénible à suivre mais l’écriture de Michael Connelly fait merveille. Il sait fasciner, intéresser celui qui lit, le mener sur le chemin de la réflexion, lui distillant des indices lorsqu’il pourrait baisser les bras.

Le lecteur aura des sueurs froides, des angoisses mais également des pensées émues pour ce dur au cœur tendre qui regarde sa fille faire du sport en cachette. Et surtout, surtout, il passera un excellent moment avec ce roman.

"Dope" de Sara Gran (Dope)


Dope (Dope)
Auteur : Sara Gran
Traduit de l’anglais par Françoise Smith
Éditions : Sonatine (3 Avril 2008)
ISBN: 978-2-7578-0953-2
270 pages

Quatrième de couverture

Joséphine devrait être morte. D'une overdose, ou d'une balle. Pourtant elle tente de refaire sa vie. Un couple fortuné lui propose de rechercher leur fille, Nadine, disparue après avoir sombré dans la drogue. Elle relève le défi. La voici de retour dans les bars de nuit des bas fonds de Manhattan, parmi les junkies, les dealers, les prostituées et les fantômes de son propre passé.

Mon avis

Jospéhine est engagée, en tant qu’ancienne droguée pour retrouver Nadine.
Elle va donc partir sur les traces de son passé, renouer d’anciens contacts pour la retrouver.

Les cent cinquante premières pages m’ont semblé longues. Le contenu manquait d’actions et les rencontres de Joséphine n’étaient pas à mon goût assez approfondies. Il me semble que cela aurait pu être l’occasion d’une réelle réflexion sur le monde de la drogue, comment une rencontre peut en entraîner une autre et surtout comment on se laisse petit à petit entraîner vers le fond, vers le point de non retour….
Par contre les cent dix dernières pages sont un vrai plaisir, un réseau de fausses pistes savamment agencées nous emmène de droite à gauche à la suite de Joséphine, on a peur avec elle, on a peur pour elle. Les coups de théâtre sont bien amenés et le tout bien ficelé.

En ce qui concerne l’écriture, les phrases sont courtes et rythmées, les chapitres se succèdent sans difficultés. Au début, j’ai trouvé le vocabulaire simpliste mais je savais que le récit étant fait à la première personne, c’est Joséphine, une droguée, qui parlait, donc ce devait être ainsi.
Je m’y suis très vite fait, preuve que l’on rentre assez bien dans l’histoire.

L’extrait du nouveau roman de Sara Gran, à la fin de celui-ci, donne envie de retrouver cet auteur.

Un bon livre (surtout la deuxième moitié) qui a le mérite de nous surprendre sur la fin.


"Journal d'une enfant survivante" de May Kham


Journal d’une enfant survivante
Auteur : May Kham
Éditions : Les nouveaux auteurs (4 Novembre 2010)
ISBN : 978-2819500322
300 pages

Quatrième de couverture

L'histoire racontée dans ces pages, avec une sensibilité à fleur de peau, est celle d'une jeune Hmong du Laos. Depuis son enfance auprès d'un père général allié des Occidentaux, jusqu'à son exil en France, en passant par les terribles camps de la jungle thaïlandaise, mouroirs à ciel ouvert. Maykham, gamine singulière puis adolescente révoltée, est forcée de se battre contre la faim, la mort et l'oubli, mais aussi l'incompréhensible abandon d'une mère, l'éclatement d'une famille dans un milieu rétrograde, face à une société incompréhensible, une culture nouvelle et des amours insensées. Pourtant le courage de Maykham, qui parvient à nous faire sourire dans cette tourmente, précipitera son destin

Mon avis

« Mais ici, un jour, une heure, une minute, c’est déjà un cadeau du ciel. »

« Je me dis souvent que la plupart des Français ont un besoin singulier de légèreté et une frousse bleue de la profondeur. »

« C’est la première fois que je rencontre un être humain qui me dérange, me donne la possibilité et le luxe d’être tel que je suis. »

C’est May Kham (son prénom est Maykham « fil d’or ») qui parle dans ce livre. Une trentaine de chapitres alternant le passé et le présent, certains se terminant par de beaux haïkus.

Le passé, douloureux, étant évoqué à travers les pages d’un journal intime qu’elle a gardé et qu’elle évoque.
Au début, petite fille riche qui pense que « l’aisance n’a ni début ni fin. » Et puis la guerre, les camps, les atrocités, les cauchemars, la misère, la peur, la souffrance ….
Alors arrive la possibilité de venir en France. Le salut ?
C’est ce qu’on pourrait penser mais là aussi, il faut faire face : pauvreté, racisme, difficultés de tous ordres et malgré tout continuer d’avancer, de croire que « demain est un autre jour ».

May Khan nous emmène à sa suite.
Elle fera de belles rencontres :
Monsieur B, l’assistant social dont le « métier c’est d’être gentil »
L’instituteur qui lui offrira « Le petit prince »
Les moments où elle témoigne de son vécu auprès de classes d’abord dubitatives devant ce qu’elle dit (un père avec plusieurs épouses, une trentaine de frères et sœurs…), puis intéressées.
Gabriel, l’étudiant qui l’aime et veut l’aider … et d’autres encore …
Toutes ces rencontres, comme autant de rayons de soleil, de raisons de s’accrocher, de croire en la vie et d’avancer vers d’autres possibles qui seront meilleurs.

Il n'y aura pas que de belles rencontres ... mais toujours le désir, plus fort que tout, de s'en sortir, de ne pas "être locataire de sa vie" ...

On voit aussi les difficultés, les siennes, mais aussi celles de sa mère (les enfants s’adaptent plus vite, la mère, même en camp était près de tous ses semblables), le passé tenu secret, qui ressurgit à l’improviste ...

Le récit vous entraîne, une fois commencé, vous n'avez pas envie d'abandonner May. Vous savez qu'elle s'en est sortie puisqu'il y a ce livre mais vous avez le souhait de mieux la comprendre.

May Khan apparaît comme une personne ayant du caractère, capable de lutter pour ce qu’elle veut obtenir.
Elle a une force de caractère impressionnante, une sensibilité à fleur de peau qui donne de la profondeur à son récit. Elle ne s’apitoie pas, ne larmoie pas, elle livre des faits, sa vie, la vie de sa famille, le tout analysé avec délicatesse et pudeur. Son écriture est très vivante, sans jugement profond, sans regrets inutiles ...

Un seul « bémol », le mot « roman » sous le titre. Je l’ai gardé présent à l’esprit tout au long de ma lecture. Jusqu’où était le témoignage ou commençait le roman ?

"F3, 5" de Philippe Briche


F3, 5
Auteur : Philippe Briche
Éditions : Kyklos (31 Août 2011)
ISBN : 978-2918406198
264 pages

Quatrième de couverture

F3,5 fait référence à l’ouverture d’un diaphragme qu’on peut trouver sur certains objectifs. F3,5 raconte des histoires de photos ou des photos d’histoires. Des photos qui racontent des histoires. Des histoires qui se laissent prendre en photo. Mais qu’y a-t-il devant la photo ? Des rencontres, des sentiments, des souvenirs enterrés ? Et derrière ? Et à côté de la photo ?

Mon avis

Clic ....

Clac ....

Argentique, numérique, noir et blanc, couleurs, grand angle, zoom, doubleur de focale, …

Souriez-vous en prononçant cheese, ouistiti, spaghettis ou petite pomme (comme dans « Le testament français ») ….

Dis-moi comment tu photographies, dis-moi comment tu te laisses apprivoiser ou capturer par l’objectif et je te dirai qui tu es …

« La photo naît du combat entre l’homme et la lumière … »

A travers dix nouvelles, Philippe Briche nous emmène derrière l’appareil photographique, dans l’esprit de celui qui le tient, le cache, l’utilise ….
ou de l’autre côté dans l’âme du photographié ou de ceux qui contemplent, observent autour …
ou chez les derniers qui regardent les albums, les clichés souvenirs, ouvrent les boîtes où s’entasse tout un pan de vie …

Il parle de photographies et de ce qu’elles apportent d’émotions, de perceptions, de sensations, de découvertes, de couleurs, de lumière ….
Ses nouvelles sont comme des épreuves dans le bac du révélateur, elles se dévoilent petit à petit, se dessinent, se colorent, se mettent à vivre sous nos yeux …
Nos yeux étonnés, ébahis, emportés sur des rivages où l’on ne pensait pas forcément aller …

Au début de chaque texte, on ne sait pas toujours de façon très précise de qui, de quoi il s'agit, les éléments s’installent progressivement : décor, sentiments, actions s’organisent au gré des lignes qui se succèdent …

L’écriture et le vocabulaire de l’auteur sont « visuels » sans tomber dans la description lourde. Le trait est esquissé, ébauché, mis en place, l’imaginaire fait le reste puis comme si tout à coup le cliché apparaissait, la fin de la nouvelle et la chute sont là ….
On pourrait aisément fermer les yeux et se laisser porter par la musique des mots, par tout ce qui est évoqué et qui parle à nos sens …
Le fond est original, la forme également mais les deux sont bien dosés et on a beaucoup de plaisir à la lecture ....

L’écriture est ici l’œil du photographe …

« La vie constituait la moelle de ses photos. Ses photos voyaient les accents sur les E, les points d’exclamation dans la foule, les circonflexes des sourcils. Une littérature photographique pour dresser le portrait d’une mouvance en panne. »

Beaucoup de questions en filigrane de ces textes ….
Les photographes « pensent-ils » quelquefois leurs photos « à l’avance » comme un artiste qui entrevoit son œuvre ?
La photographie personnifie t’elle l’objet (au sens large du terme) ? Est-ce qu’elle le « sublime » ?
Jusqu’où peut aller le photographe ? Ne lui arrive-t-il pas de violer l’intimité des êtres ainsi exposés ?
Où s’arrêter dans le « choc des photos » ? Nous sommes nombreux à nous insurger lorsque des enfants, des femmes, des hommes malades ou souffrants sont « affichés » sans l’avoir souhaité ….
Oui, il faut savoir ce qu’il se passe dans le monde, pour bouger face à l’indifférence et la torpeur qui nous menacent mais comment trouver les bonnes limites, comment les définir ? ….

Passionnée de photographie, j’ai énormément apprécié ce recueil.
J’ai pensé à Doisneau, Arthus-Bertrand et d’autres qui ont donné d’eux-mêmes à travers leurs photos, nous faisant découvrir ou apprécier différemment des lieux, des personnages parce qu’ils ont su les mettre en lumière et s’effacer derrière l’objectif …
Je me suis revue, à l’affût, cessant presque de respirer pour prendre cet instantané qui aurait le pouvoir de fixer cet instant fugace qui pour moi resterait un moment d’éternité …..

NB: Le choix d'écrire sous forme de nouvelles est judicieux, elles s'enchaînent sous nos yeux comme autant de clichés que l'on découvrirait....

Clic .....

"Parce que la vie est un risque" de Laure Danglade


Parce que la vie est un risque
Laure Danglade
Éditions : Kyklos (10 Février 2012)
ISBN : 978-2918406228
198 pages

Quatrième de couverture

Des années 30 au début de la Seconde Guerre Mondiale, une jeune femme écrit, voyage, souffre et se bat. Moins contre un ennemi extérieur, le fascisme galopant, qu'aux fins d'ordonner son propre chaos. « Journal non intime » : la formule de l'écrivain suisse Annemarie Schwarzenbach pourrait qualifier ce récit à la première personne, d'autant plus qu'elle ne lui est pas étrangère.


Mon avis

En voyant le titre de ce livre, j’ai aussitôt pensé à cette phrase lue sur un faire-part de naissance, il y a des années. Elle disait, en substance :

« Naître, c’est vivre, c’est accepter le risque, l’imprévu, la rencontre, c’est oser … »

On devine à travers les pages, Annemarie Schwarzenbach, elle a eu une vie particulière, faite d’errance, de choix discutables, abusant de morphine, s’offrant des libertés sexuelles.
Elle était écrivain, journaliste, toujours en quête, en recherche intérieure …
Celle qui disait « Vraiment, je ne vis que lorsque j’écris… » a-t-elle inspiré Laure Danglade ou cette dernière ressent-elle un mal être proche de celui qu’évoquait Annemarie Schwarzenbach ?

Cet ouvrage est constitué d’ambigüité, tant dans le contenu que dans l’écriture :
Garçon ou fille ?
« Nous étions, fils de bonne famille, le désespoir de nos géniteurs… » (je sais que le masculin l'emporte sur le féminin)
« Dandies, nous avions vingt ans. J’ai le sentiment qu’aujourd’hui, avec dix de plus à peine, je suis comme les autres prématurément vieillie. »
Ange ou démon ?
Personne déchue ou être n’ayant plus la force de lutter car la relation à la mère l’a détruit ?
« …elle s’est rendue compte que je suis capable de vice et de fourberie dès qu’il s’agit de me procurer du poison. »

Une écriture que certains peuvent trouver décalée, que d’autres penseront lumineuse,
« Soudaine familiarité d’un horizon brisé par les sommets, qui nous bouleverse. J’appartiens à ces paysages. »
des phrases à la Rimbaud, parfois surréalistes comme hantées par des paradis qui n’en sont pas, la drogue n’étant qu’illusion, qu’éphémère plaisir et entraînant toujours plus loin dans la destruction.
Il n’y a pas de dialogues en style direct (ou si peu !)ce qui donne à l’ensemble, une approche particulière, il faut adhérer à ce type d’écrits. Aller plus loin aussi que le fait de lire l’histoire d’une jeune fille qui jouit d’une fortune qu’elle n’a pas gagné, qui joue de son statut, pour qui se droguer est un but ….

Ce livre se décline en deux parties, la première est plus longue et le style y est plus travaillé, avec des phrases longues et parfois alambiquées, la seconde est plus dans l’action, on y suit celle qui raconte dans ses tourments, sa solitude, sa lutte vers un mieux être qui arrivera ou pas …
« ….la pensée naît d’elle-même, se nourrit d’elle-même, et des mots d’une langue maternelle ! »

Je conçois que ce livre puisse déranger, choquer par son contenu mais j’ai été fascinée par l’écriture …. qui est pour moi magnifique, fascinante, envoûtante.

"Une robe couleur de vent" de Sophie Nicholls (Everyday Magic Trilogy, Tome 1)


Une robe couleur de vent (Everyday Magic Trilogy, Tome 1)
Auteur : Sophie Nicholls
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Michelle Charrier
Editions : Préludes (Octobre 2017)
ISBN : 978-2253191339
352 pages


Quatrième de couverture

Fabia Moreno vient de s’installer avec sa fille, Ella, dans la petite ville de York, où elle a ouvert un magasin de vêtements vintage. Une boutique de rêve, comme les femmes de York n’en ont encore jamais vu. Car Fabia possède un don pour dénicher la robe idéale et l’ajuster à chaque cliente. Autour de son commerce, bientôt, les destins se croisent, les identités se révèlent et les amours s’épanouissent… mais naissent aussi la méfiance et la jalousie. L’exubérance de Fabia dérange, et la jeune Ella, à la peau cuivrée, est une adolescente bien mystérieuse. Parviendront-elles à s’intégrer dans la communauté ?

Mon avis

C'est un livre comme on aimerait en écrire! Empreint de nostalgie, de tendresse, de poésie, jamais superficiel ni mièvre. Il nous raconte l'histoire de Fabia qui a fui Téhéran vers 1966 avant qu'il ne soit trop tard et qu'elle perde sa liberté. Elle a laissé là-bas sa grand mère adorée, Maadar Hozorg, qui l'a élevée. Elle a été, un temps, artiste de scène à Paris mais elle a dû fuir avec sa fille, Ella. Maintenant, installée à York, en 2011, elle possède une boutique vintage, où se côtoient vêtements et petits riens. Elle sait trouver ce qui met en valeur chaque personne, chaque silhouette. Tout pourrait bien se passer mais il y a comme une ombre en elle, malgré les tons multicolores dont elle se vêt. Comme si elle était toujours sur le qui-vive, prête à fuir, parce que pas à sa place ici et maintenant. S'intégrer, se faire une place en restant discrète, en dire le moins possible ou ne laisser échapper que ce qu'elle veut, à sa manière, pour donner des informations, soigneusement choisies, qui n'offriront que le nécessaire aux curieux.

Ella, "sa tesora ", a quinze ans, un brin sauvage, taiseuse, elle regarde le monde et n'a que peu d'amis au lycée. Elle reste, pour certains, l'étrangère, celle qui a une mère atypique.... Mais cela ne la gêne en rien.

Le roman est principalement construit autour des tenues ou accessoires qui auront une place dans les pages les évoquant (chaque titre de chapitre présente une pièce de garde robe). De plus le style est résolument tourné vers la couture, l'auteur écrit par exemple : "tisser un nouveau monde". L'écriture chatoie comme les coloris  dont elle parle, bruisse et nous enrobe comme les étoffes dont elle nous habille. J'ai vraiment beaucoup apprécié le phrasé utilisé.

"Pour la première fois, elle avait la vague l'impression de filer sa propre histoire, de projeter autour d elle ses propres couleurs."

La première publication s'est faite en 2011, ce qui explique un passage sur le mariage royal de cette année là. Ce n'est que maintenant que le texte est traduit ( de fort belle manière) et que l'on peut le découvrir. Il serait dommage de s'en priver. Le contenu est original avec son lien à la mode, à l'élégance, à chaque cliente passant dans la boutique. D'autre part, la  personnalité de Mamma (Fabia, la mère d'Ella) vaut à elle seule le détour. Elle est auréolée d'un petit quelque chose en plus qui la rend terriblement vivante à nos yeux. Présence aimante pour sa fille, gardant sa part de mystère, elle rayonne entre les pages, malgré son côté extravagant parfois, comme elle rayonne dans la ville de York, c’est une femme extraordinaire.

Les esprits chagrins ne manqueront pas de dire que l'épilogue est prévisible et que le fond n'est pas si étoffé ( ;-) la couture est partout, vous dis-je) que ça mais la forme est tellement originale qu'elle est, à elle- même, toute une aventure.

Inutile de préciser que j'ai été conquise par cette découverte, que j'aurais souhaité que le commerce de Fabia prenne vie réellement. Ne serait-ce que pour  voir de plus près comment se créent ses idées qui personnalisent les tenues qu'elle adapte à chaque femme rencontrée.

"Les loyautés" de Delphine de Vigan


Les loyautés
Auteur : Delphine de Vigan
Éditions : Jean-Claude Lattès (3 Janvier 2018)
ISBN : 978-2709661584
210 pages

Quatrième de couverture

«  J’ai pensé que le gamin était maltraité, j’y ai pensé très vite, peut-être pas les premiers jours mais pas longtemps après la rentrée, c’était quelque chose dans sa façon se tenir, de se soustraire au regard, je connais ça, je connais ça par cœur, une manière de se fondre dans le décor, de se laisser traverser par la lumière. Sauf qu’avec moi, ça ne marche pas.»Théo, enfant du divorce, entraîne son ami Mathis sur des terrains dangereux. Hélène, professeur de collège à l’enfance violentée, s’inquiète pour Théo  : serait-il en danger dans sa famille  ?

Mon avis

Les loyautés, pour Delphine de Vigan, ce sont les liens invisibles qui nous lient, des promesses , des contrats passés, des tremplins mais aussi …..

Les loyautés, c’est l’histoire de quatre personnes : deux femmes adultes et deux jeunes. L’une est prof, l’autre est mère et les deux adolescents sont dans la même classe. On suivra les personnages tour à tour. Chacun avec ses failles, ses faiblesses, ses peurs, ses doutes, sa rage de vivre et surtout celle d’exister….

Les loyautés, ce sont toutes les questions qu’on se pose lorsqu’on ne sait pas comment agir parce qu’on a l’impression d’être seul. Seule à penser que cet élève a des problèmes et qu’il faut l’aider. Seul à imaginer que cela ne sert à rien de parler parce que, de toute façon, on ne sera pas entendu, pas compris…. Est-ce qu’on a raison, est ce qu’on fait une erreur ?

Les loyautés, ce sont ces choix qu’il faut faire par « loyauté » envers soi-même, envers l’enfant qu’on a été, envers l’adulte que l’on souhaite être…. On ne veut pas trahir ce qu’on s’était promis, on ne veut pas laisser de fausse note dans notre vie …. Alors, parfois, au risque de se tromper, on fonce, on se perd dans des décisions  qu’on a cru être les bonnes, ou, à défaut, les moins mauvaises, celles qu’il fallait prendre pour continuer à se regarder dans une glace…..

Passant d’un protagoniste à l’autre adaptant son phrasé et son vocabulaire à chacun (seules les deux femmes s’expriment en disant « je »),  l’auteur explore, avec beaucoup de doigté et d’intelligence, différents mal-êtres humains. Elle démontre combien il suffit d’un grain de sable pour entraîner sur une attitude déséquilibrée, mettant à mal notre quotidien et déstabilisant notre assurance……

L’écriture de Delphine de Vigan est intimiste, elle fouille les âmes, ne laissant rien au hasard, elle va dans les recoins les plus sombres de chaque individu présenté, s’emparant de leur vie, la faisant sienne par son style, son approche….On espère avec l’un, on souffre avec l’autre, on se heurte à l’incompréhension avec le troisième et on repart en se disant que peut-être …..

S’il n’a pas la puissance des autres romans  (il est également beaucoup plus court) de Madame de Vigan, il n’en reste pas moins que ce recueil est très bon. Il explore tout ce qui fait ce que nous sommes, ce passé qui peut influencer notre regard au présent, ces intuitions dont on ne sait pas s’il faut s’en méfier ou les suivre, ces obsessions dont on ignore si elles nous parasitent ou nous aident, ces démons qui nous hantent et parfois nous étouffent en nous ôtant tous sens commun…..

Alternant, sans temps mort, la vision de chacun de ceux qui peuplent cet opus, cette lecture est rapide mais n’oublie pas de renvoyer le lecteur à ses propres questions…. Qu’est ce qu’on se cache à soi-même et qu’est ce qu’on accepte d’exposer ??

"Autisme" de Valério Romão (Autismo)


Autisme
Auteur : Valério Romão
Traduit du portugais par Elisabeth Monteiro Rodrigues
Éditions : Chadeigne (Septembre 2016)
Collection : Bibliothèque de Lusitane
ISBN : 978-2367321332
390 pages

Quatrième de couverture

À travers le prisme de la fiction, Autisme dépeint sans concession le combat sans relâche d’un couple, Rogério et Marta pour leur fils Henrique atteint d’autisme. Il dresse un constat sans appel sur l’absence de structures adaptées, le manque d’accompagnement, la solitude et le désarroi des parents. Fruit d’une expérience personnelle, Autisme est à la fois le récit de cette lutte quotidienne qui envahit peu à peu toute la vie des parents et une réflexion poignante, universelle, sur la parentalité la transmission et le couple.

Mon avis

Ce livre est le premier roman de l’auteur et, apparemment le premier d’une trilogie appelée  «paternités ratées »….
« Il s’était opéré l’inversion par laquelle Henrique cessait d’être un enfant normal avec des singularités, pour devenir un enfant spécial avec des traits communs à tous les enfants. »

Avec une écriture et une forme particulières : de longues phrases, pas de style direct et un va et vient entre le passé (la découverte pour la famille du handicap de Henrique) et le présent (l’attente aux urgences suite à l’accident dont l’enfant a été victime), l’auteur nous partage un regard sur le syndrome autistique et ses répercussions dans le foyer.

Entre les questions que les parents se posent face à des réactions qui les interrogent, l’acceptation du diagnostic, la lutte quotidienne pour espérer des progrès, une structure d’accueil  et les difficultés pour un couple d’exister en tant que tel quand le temps manque parce qu’il faut tout gérer, tout y est… Il y a même ces docteurs (fameux docteur) qui promettent des presque miracles et que vous croyez car vous vous dites « pourquoi pas ? »

L’autisme dans une famille, c’est un tsunami, un raz de marée, un tremblement de terre… Tout est ébranlé, bouleversé, remis en question… Il faut faire le deuil d’un enfant qui ne sera pas celui qu’on avait imaginé, il faut prendre de la distance avec l’opinion des autres, admettre que l’approche personnelle doit être différente, ne pas oublier que c’est « pour toute la vie »…..
« Rogerio avait une intuition du nom à donner à ce qu’avait Henrique, mais il avait peur de partager cette peur…. »
« Henrique avait des différences prononcées, m ais elle n’était pas encore persuadée qu’Henrique «était différent . »
Puissant, rythmé par un phrasé particulier, (certains passages sont presque présentés sous forme de poèmes), ce roman est fort, oscillant entre humour et désespoir comme dans la fameuse maxime « L’humour est la politesse du désespoir ».  Plusieurs voix s’expriment, chacune appréhendant à sa façon le handicap de Henrique. Le titre a lui seul résume tout : « Autisme », voilà tout est dit, et rien n’est dit… Un mot et votre vie bascule…..

Le final (une lettre), coup de poing, vous laisse les larmes aux yeux dans votre canapé.


"A l'ombre des patriarches" de Pierre Pouchairet


A l’ombre des Patriarches
Auteur : Pierre Pouchairet
Éditions : Jigal (Février 2016)
ISBN : 979-10-92016-66-6
292 pages

 Quatrième de couverture

 Alors que la région s’embrase à nouveau, que les affrontements intercommunautaires se multiplient et que les morts s’accumulent de part et d’autre, Dany et Guy, deux inspecteurs de la police judiciaire israélienne, enquêtent sur le meurtre d’une Européenne retrouvée assassinée en plein quartier arabe à Jérusalem-Est. Ils débutent leurs investigations sous haute tension d’autant que, pour les extrémistes, les coupables paraissent tout désignés et qu’une telle horreur appelle forcément vengeance… Parallèlement, Maïssa, flic palestinienne, se retrouve chargée d’enquêter sur l’enlèvement d’une de ses amies en poste dans une organisation internationale…

Mon avis

Et quand il croit ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix…..*

 Aragon avait raison… « Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force Ni sa faiblesse ni son cœur… » et si besoin Pierre Pouchairet nous le rappelle dans un excellent roman.

C’est en Israël, principalement à Jérusalem, que nous retrouvons les personnages de ce livre.  Des hommes et des femmes qui se côtoient, toujours en équilibre précaire, sur la brèche.  Avec leurs différences, leurs croyances, leurs convictions, leurs remords, leurs peurs, leurs angoisses, ils vivent les uns près des autres s’acceptant tant bien que mal. Parfois obligés de collaborer, de s’écouter, de se mettre d’accord et rien n’est plus difficile que ça…. Surtout quand il y a un meurtre, qui plus est celui d’une femme, trouvée assassinée dans un quartier chaud où elle n’aurait pas dû être ….. Ce serait tellement plus simple de prendre les coupables qui semblent tout désignés, les ennemis, ceux qui ne pensent pas pareils, qui ne prient pas pareil…. Pourquoi mener l’enquête alors que la solution offerte sous les yeux paraît évidente, arrangeant les medias et certains observateurs extérieurs…. D’autant plus que lorsque certains veulent aller plus loin dans les investigations, ils sentent bien qu’ils dérangent… Et il vaudrait mieux maintenir un semblant de paix et de bonnes relations diplomatiques….  et faire comme si ……

 On sent dans l’écriture de l’auteur, combien la tension est présente, les situations à la limite d’être explosives tant un mot, un geste, un coup de fil, un regard même, peuvent être interprétés, analysés et de temps à autre exploités à mauvais escient.

Décrire une telle mixité,  des événements aussi délicats, brûlants, sans tomber dans la caricature, l’excès  ou le voyeurisme n’est pas chose aisée. Pierre Pouchairet excelle dans cet art de trouver les mots qui frappent au cœur, tout en nous laissant l’esprit à vif pour enregistrer ce qui se passe. On est là, ébahis, devant un quotidien décrit avec force et lucidité, fortement ancré dans la vérité. Loin de la complaisance, c’est la réalité que nous renvoient les phrases chocs. Des jours ordinaires avec leurs lots de violence, de combats, de détresse humaine, de conflits sous jacents, difficiles à gérer dans chaque lieu de travail, de rencontres……  Et puis de temps à autre, une lueur, un espoir, une main qui se tend, une autre qui la rejoint. On se prend à respirer plus lentement, à savourer cette accalmie, se demandant si les armes vont à nouveau faire feu….. Ce serait tellement plus simple de rester dans cette bulle, loin du fracas…. Mais ce n’est pas ça, la vraie vie, à Jérusalem et dans les alentours…  C’est avec un accent de vérité qu’est décrit le temps qui passe, là-bas, là où les hommes apprennent douloureusement à vivre ensemble, faisant l’effort de ne pas se  méfier les uns des autres, essayant d’inscrire le mot confiance dans leur vocabulaire…..

 Les protagonistes de cet ouvrage sont très humains,  et de ce fait ils sont fragiles dans leur humanité. Bien sûr, tous ou presque, vu le contexte, font preuve de détermination, de volonté, mais ils ont une part d’ombre, ils peuvent se montrer secrets, ne se dévoilant qu’avec parcimonie, car pas totalement libérés, ni à l’aise, trouvant le regard des autres parfois suspicieux ou lourd….. J’ai particulièrement suivi le parcours de Mike et de Massa ainsi que les rapports qu’ils établissent avec autrui ….

 J’ai énormément apprécié cette lecture (une mention particulière pour la magnifique couverture et cette belle phrase : « Et c’était bien la présence des sépultures des patriarches qui rendait cet endroit aussi symbolique pour les trois religions monothéistes se prévalant d’Abraham. »)

 * Aragon

"Le Cheptel" de Céline Denjean


Le Cheptel
Auteur : Céline Denjean
Éditions : Marabout ( 18 Janvier 2018)
ISBN : 978-2501122559
660 pages

Quatrième de couverture 

Le corps d'une jeune femme est retrouvé en Lozère. Au regard des éléments qu'ils détiennent, les enquêteurs de la SR de Nîmes se forgent rapidement un avis : elle a fait l'objet d'une chasse à l'homme... Pour le capitaine Merlot, d'Interpol, les conclusions médico-légales placent cette victime dans une longue série. Les gendarmes nîmois vont alors apprendre à leur grande stupéfaction, qu'Interpol tente depuis vingt-cinq ans de démanteler un réseau de trafic d'êtres humains.

Mon avis

Au plus loin de la folie des hommes…..

Autant le dire sans attendre, ce roman aux nombreuses mais très claires ramifications, est totalement addictif. Il vous coince dans ses rets et ne vous lâche plus, vous absorbant, vous prenant votre temps, votre énergie, votre cerveau et votre cœur….  On se retrouve avec plusieurs entrées qui bien sûr, finiront par se recouper. Alternativement on suit un homme qui fait des recherches sur sa sœur, un jeune garçon qui est tombé lors d’une randonnée et qui veut trouver de l’aide, des policiers qui enquêtent sur une mort suspecte et tous ceux qui de près ou de loin semblent avoir un lien avec ce décès. Seuls indices temporels : le jour J et quelques mois avant ou peu de temps après. L’essentiel se déroulant sur une petite dizaine de jours. L’époque ? La nôtre avec tous les travers des hommes, tout ce qu’on sait et qu’on oublie souvent , soit en faisant l’autruche, soit en se disant qu’à notre niveau, on ne peut pas faire grand-chose…. C’est plus facile…enfin, c’est ce qu’on croit parce qu’à force de fermer les yeux….un jour, ça vous revient en pleine face….

Louis, soixante treize ans, cherche sa sœur, il s’exprime peu dans le livre mais il le fait en disant « je ». Pour  le reste, ce sera un récit avec  un narrateur sauf pour une petite fille qui se « parle » en employant le « tu », comme si elle ne pouvait pas exister par elle-même, comme si elle avait été effacée, d’ailleurs qui est-elle ?  Il y a également des  enquêteurs assez nombreux, d’autant plus qu’Interpol va intervenir devant la gravité des faits. Plusieurs histoires en parallèle, dans lesquelles on entrevoit, petit à petit, les rapports entre les différents protagonistes. Le contexte est installé, les personnages également. On peut plonger dans l’histoire qui va aller crescendo, s’accélérant sur la fin…

J’avais déjà entendu parler du Darknet et du fameux logiciel TOR, permettant de surfer sans être repéré er donc de flirter avec la ligne rouge, d’être hors la loi en toute impunité….. et d’aller vers des espaces où sont affichées des propositions toutes plus ou moins tordues, dangereuses pour l’homme…..mais en excitant d’autres au-delà du possible….. Savoir que cela peut exister me révulse, me révolte …. Il y a des déséquilibrés partout mais certains ne le montrent pas et il faut trouver la faille pour les coincer…. C’est dans cette faille que pourront s’engouffrer, petit à petit, les policiers de ce recueil. J’ai apprécié que ces hommes et ces femmes soient suffisamment motivés, volontaires pour croire en leur métier, espérer trouver des réponses et arrêter certaines dérives qu’ils devinent au cours de leur enquête. J’ai aimé leur pugnacité, leur remise en question, acceptant d’entendre l’avis des uns et des autres, se respectant et décidant de faire au mieux ensemble…. Eloïse, maîtresse femme, est la chef, celle sur qui tout repose, celle qui se doit d’être forte toujours et partout mais peut-elle tout accepter, tout supporter ?

Céline Denjean (bravo pour le clin d’œil page 355) a réussi un excellent thriller à la construction tout à fait remarquable avec des personnages complets et bien présentés. Je verrai bien une adaptation cinématographique de cette histoire tant les descriptions sont visuelles, claires. Son récit est, à mon sens, très abouti, ne laissant rien au hasard, permettant à chacun de s’approprier les différents lieux, l’atmosphère et tous ceux qui y gravitent.  Elle nous oblige à creuser ce qu’on sait déjà pour aller plus loin que le superficiel et son recueil est d’une grande force par ce qu’il soulève…. De plus, on ne peut que constater qu’elle a fait des recherches et que les références citées sont vérifiables… et brrrrr……

C’est un roman âpre, noir, qui laisse malgré tout quelques lueurs d’espoir se glisser ça ou là. L’écriture et le style de Céline Denjean sont vifs, acérés, pointus, chaque mot est pensé, pesé.  Les événements s’enchaînent avec fluidité et on peut se demander tant tout cela est ordonné, réfléchi, comment elle s’y est pris pour écrire son ouvrage. Elle est allée au plus loin de la noirceur humaine, peut-être pour nous rappeler que  la vie est belle lorsque tout va bien….