"Attentifs ensemble" de Pierre Brasseur


Attentifs ensemble
Auteur : Pierre Brasseur
Éditions : Payot & Rivages (27 Mai 2020)
ISBN : 978-2743650063
260 pages

Quatrième de couverture

Paris et sa banlieue sont le théâtre d'actions parfois violentes, parfois proches de l'absurde, mais toujours imprévisibles et parfaitement orchestrées. Entre le happening et l'acte terroriste, chaque agression est revendiquée par un mystérieux FRP qui se manifeste sur les réseaux par des vidéos iconoclastes. Les autorités commencent par croire à des farceurs isolés, mais elles doivent bientôt se rendre à l’évidence : le FRP a une influence pour le moins déstabilisante qu'il faut combattre...

Mon avis

« Prendre aux riches pour donner aux pauvres », c’est un peu comme ça qu’on rentre dans ce roman. On est à Clichy et un gang se présente chez l’épicier bio. En échange de la somme qu’il aurait reçu dans une grande surface, ses cageots lui sont enlevés et leur contenu redistribué à des habitants de la banlieue qui n’auraient jamais eu les moyens de se servir chez lui. C’est le premier acte revendiqué par FRP : le front républicain populaire dont la signature est une croix de Lorraine entouré d’un cœur, alors qu’ils n’ont rien à voir avec le Général. La vidéo de cette action est diffusée sur YouTube avec un message : « Nous sommes les spectres de votre confort. » Qui se cache derrière tout ça, dans quel but ? Pourquoi ? Et va-t-il y avoir récidive ?

Eh bien oui ! Le FRP contniue et cette fois ce sont des enlèvements et des situations totalement bizarres pour ceux qui en feront les frais. Plutôt amusant par le fait que FRP s’attaque indifféremment à des gens de tous milieux, les prenant en défaut par le biais de ce qui fait (en apparence) leur force au boulot. Il n’y a pas vraiment de cohérence dans le choix des « cibles » et cela questionne. Chaque fois, YouTube récupère un petit film de plus et les militants, eux, récupèrent des adeptes. Leur humour décalé, en marge, plaît car il démontre l’absurdité de la surveillance omniprésente, des choix des politiques (avec, entre autres, la destruction du service public), et bien d’autres sujets d’actualité.

Ce qui est intéressant, c’est que ce sont des hommes et des femmes issus de milieux variés, qui ont décidé d’agir dans le même groupe. Ils ne sont pas de la même génération.  Chacun a une raison d’être là. Ils n’ont pas le souhait de créer « un mouvement », ils veulent juste pointer du doigt ce qui ne tourne pas rond dans la société. Ils ont une organisation particulière, réfléchi en amont même si de temps à autre, les choses leur échappent. On découvre leur cheminement, ce qui les a amenés ici et maintenant.

C’est à Guillaume Wouters, flic quinquagénaire, qu’est confiée l’enquête. L’habit ne fait pas le moine dirait sa concierge qui le trouve plutôt négligé et qui imagine qu’il vit de l’aide des services sociaux. Lui, il rêve de monter en grade et de devenir l’expert qu’on s’arrache dans des émissions télévisées.  Il n’a pas le rôle principal dans ce recueil, le devant de la scène est occupé par ceux du FRP mais comme il essaie de les débusquer, il est quand même présent en filigrane.

Le texte de Pierre Brasseur est ancré dans un contexte politique et social très réaliste. Il nous rappelle que nous sommes dans une société où tout est (ou veut être) sous contrôle. Sous prétexte de rassurer, de vivre mieux, jusqu’où vont les hommes de pouvoir ? L’auteur parle des laissés pour compte, ceux qu’on oublie, qui ne trouvent plus de place dans un système formaté. Pour autant il ne juge pas, ne se pose pas en donneur de leçons. Il écrit avec une pointe de dérision, d’ironie, dans un style qui se démarque, il bouscule le côté bien-pensant du lecteur pour le plonger dans des esprits rebelles … Eux, ils ont osé parler, s’opposer, agir (même s’ils sont parfois sortis des clous), et nous ?



"Portraits croisés" de Odile Guilheméry


Portraits croisés
Auteur : Odile Guilheméry
Éditions : Le Chat Moiré (2 Mai 2020)
ISBN : 9782956188346
334 pages

Quatrième de couverture

Mathieu Desaulty répond avec bienveillance aux sollicitations d’un octogénaire qui lui demande de venir l’aider à replacer dans son lit son épouse qui en est tombée. Il ne se doute pas en entrant dans l’appartement d’aspect paisible du vieux couple, qu’il va bientôt subir les conséquences d’un passé où deux meurtres des plus sombres ont été commis.

Mon avis

Il s’appelle Mathieu. C’est un jeune homme bien comme il faut. Licencié récemment par son employeur, il est revenu vivre provisoirement chez ses parents retraités. Une situation pas facile ni pour eux ni pour lui. Réintégrer une chambre d’adolescent à l’âge adulte n’a rien de simple. Alors qu’il marche dans son quartier, un vieil homme l’interpelle et lui demande de l’aider : sa femme a chuté et il n’arrive pas à la relever. N’écoutant que son cœur et sa bonne éducation, il va chez dans l’appartement et….

En acceptant d’assister ce couple, il ne pensait certainement pas à tout ce qui allait se produire…. Ni que ces deux là avaient une histoire liée à celle de sa famille et de diverses connaissances. C’est par petites touches, avec des retours en arrière (parfois très loin) pour nous expliquer le passé, que l’auteur va construire son intrigue. Cela peut sembler assez complexe car elle donne beaucoup de détails. Il faut bien situer chaque personnage, ne pas se perdre dans les patronymes (surtout avec ceux qui jouent un double jeu) mais une fois qu’on est dans le récit, ça va. Pour développer la personnalité de chaque protagoniste, Odile Guilheméry n’hésite pas à fouiller leur vie, à remonter les années, à les placer au cœur d’événements historiques qu’elle nous rappelle par la même occasion. Cela offre à chacun un profil psychologique précis et étoffé. Cela peut paraître des digressions mais en l’occurrence, cela permet d’ancrer le récit dans un vrai contexte très complet.

Je ne sais pas comment le texte a été pensé mais il faut reconnaître que le contenu est complexe (je n’ai pas écrit compliqué). Il y a des nombreuses ramifications, des individus qui ne sont pas nets, des trahisons, des mensonges, des manipulations, des non-dits, des secrets, des échanges, des règlements de compte ….. Il ne faut pas perdre le fil de tous ces gens qui se croisent ou se sont croisés, qui se connaissent bien et font croire que non, que oui, qui laissent le lecteur face au doute avant de l’entraîner sur une piste ou une autre …..Au final, tout se tient et s’imbrique en se dévoilant par bribes.

Le style et l’écriture sont travaillés, aboutis, les références nombreuses complètent le contenu avec intelligence. J’ai trouvé que cet immense puzzle se révélait au fil des pages et que tout était maîtrisé. Les questions de filiation, d’influence du passé sur le présent, de tout ce que voudraient faire les hommes et qu’ils n’accomplissent pas car quelqu’un ou un fait les dévie de leur choix est évoqué avec doigté. Mathieu est intéressant, il reste le plus possible intègre, même lorsque la situation est délicate.

Au final, ce roman est une lecture qui se démarque un peu. On sent que Odile Guilheméry aime sublimer les mots, et qu’elle les choisit comme si elle écrivait de la poésie.

"Agrippine - Tome 1 : Agrippine" de Claire Bretécher


Agrippine  - Tome 1 : Agrippine
Auteur et dessinateur : Claire Bretécher
Éditions : Dargaud (19 juin 2008)
ISBN : 978-2505003823
48 pages

Quatrième de couverture

Coincée entre ses parents trop tolérants, ses crises existentielles, ses copines et son petit frère, Agrippine traverse l'âge ingrat d'une adolescente d'aujourd'hui avec un humour féroce et une mauvaise fois absolument réjouissante.

Mon avis

Avant d’être édité par Dargaud, cette bande dessinée avait été imprimée aux frais de l’auteur car personne n’en voulait… Et puis, Claire Bretécher a été reconnue comme une vraie dessinatrice de BD, elle a eu sa place parmi les hommes qui régnaient en maître dans ce domaine. Et à ce moment-là, Agrippine s’est fait connaître.

Agrippine est une adolescente, lycéenne, bien qu’elle fasse un peu plus âgée me semble-t-il. Elle a les préoccupations de sa génération : l’argent de poche (avec du baby-sitting, si possible sans gosse….), ses notes, sa silhouette, les garçons, la musique, les films ….. Elle adapte son langage et son attitude à ceux qu’elle rencontre et elle invente des mots.

Je n’aime pas vraiment les dessins et les gags ne m’ont pas fait beaucoup rire. Peut-être que ça a vieilli (ou je suis trop vieille pour le lire). Le phrasé particulier, lui, m’a amusé, car parfois, il y a une réelle recherche.

En résumé, une lecture qui ne me laissera pas un souvenir impérissable et qui ne me donne pas envie de lire d’autres tomes.
A lire pour découvrir l'univers de l'auteur



"Le Siècle - Tome 2: L'hiver du monde" de Ken Follett (Winter of the world)


Le Siècle - Tome 2: L'hiver du monde (Winter of the world)
Auteur : Ken Follett
Traduit de l’anglais par  ‎Dominique Haas et Odile Demange
Éditions : Robert Laffont (11 Octobre 2012)
ISBN : 978-2221110836
1008 pages

Quatrième de couverture

1933, Hitler s'apprête à prendre le pouvoir : l'Allemagne entame les heures les plus sombres de son histoire et va entraîner le monde entier dans la barbarie et la destruction. Cinq familles de nationalités différentes, intimement liées, vont être emportées par le tourbillon de la Seconde Guerre mondiale.

Mon avis

Soyons clair tout de suite, il s’agit d’un roman, et pas d’un roman historique bien que des événements ayant existé servent de décor à ce nouveau pavé de Ken Follett.

Une fois ce constat établi, il est plus difficile de regretter le manque de scènes détaillées, d’exactitude, de contenus, de telle ou telle période précise. Mais c’est également parce qu’il y a cette « toile de fond » que nous avons des rebondissements, des personnages de caractère et que notre attention est soutenue parce que, forcément, ça nous intéresse, ça nous happe, ça nous captive….L’époque évoquée est prétexte à mettre en scènes des familles avec leur lot de non-dits, de problèmes, de secrets, de trahisons, d’alliances honnêtes ou illicites….

Les personnages sont nombreux mais l’auteur astucieux et habitué des sagas familiales les présente dans les premières pages et c’est bien plus facile !

De temps à autre une idée nous effleure : est-ce que ce n’est pas un peu « trop » ? Trop de coïncidences, trop d’individus caricaturés, trop de ceci ou trop de cela… et puis….. l’écriture fluide, accrocheuse nous porte, nous emporte et les pages déroulent sans forcer (si ce n’est pour tenir le livre un peu lourd…) et à la fin, on pense « Déjà ? C’est pour bientôt la suite ? »

"Et la vie reprit son cours" de Catherine Bardon


Et la vie reprit son cours
Auteur : Catherine Bardon
Éditions : Les escales (28 mai 2020)
ISBN : 978-2365695176
360 pages

Quatrième de couverture

Jour après jour, Ruth se félicite d'avoir écouté sa petite voix intérieure : c'est en effet en République dominicaine, chez elle, qu'il lui fallait poser ses valises. En retrouvant la terre de son enfance, elle retrouve aussi Almah, sa mère. Petit à petit, la vie reprend son cours et Ruth – tout comme Arturo et Nathan – sème les graines de sa nouvelle vie. Jusqu'au jour où Lizzie, son amie d'enfance, retrouve le chemin de Sosúa dans des conditions douloureuses.

Mon avis

Ce roman est le troisième de la saga familiale commencée avec « Les déracinés ». L’auteur nous raconte l’histoire de ces hommes et de ces femmes qui ont fui l’antisémitisme et se sont installés peu avant la seconde guerre mondiale en République Dominicaine. C’est un pan du passé mal connu que Catherine Bardon présente avec beaucoup de brio.

Dans « Et la vie reprit son cours », on retrouve des personnages des deux livres précédents et on continue d’observer leur quotidien, leur évolution, leur vie. Certains se sont attachés à cette nouvelle terre et ont construit quelque chose, ils ont réussi à s’enraciner, à créer un passé et à s’attacher à ce lieu. D’autres ont choisi de ne pas rester, de tenter l’aventure et de partir ailleurs encore une fois.

Le récit, qui nous est conté, est ancré dans des événements historiques qui servent de toile de fond d’une façon discrète mais intelligente, permettant de voir les réactions des uns et des autres. Les faits se déroulent de 1967 à 1979. C’est Ruth qui cette fois est au cœur des différents chapitres. Elle est revenue sur la terre de son enfance puisqu’elle est née en République Dominicaine. Sa mère, Almah, a vieilli mais elle n’a rien perdu de son besoin d’indépendance, de son franc parler et surtout de son optimisme. C’est une femme magnifique de par sa « présence » et son caractère, elle rayonne dans les pages même si elle n’a pas le premier rôle. Sa fille Ruth est fougueuse, elle entend mener sa vie à sa guise. On sent qu’être « au pays » l’apaise comme si se poser lui apportait une certaine forme de sérénité et parfois de sagesse mais pas toujours, elle reste un peu impétueuse …. Elle va revoir son amie Lizzie qui apprécie les hippies et leur côté libre sans réaliser que cela peut être des fréquentations risquées et une pente dangereuse….. Leur amitié résistera-t-elle à leur approche de la vie qui n’est pas identique ? Vont-elles continuer à se comprendre ou le fossé va-t-il se creuser ?

L’écriture de Catherine Bardon est un régal. Son texte est vivant, ses descriptions précises sans fioritures inutiles. Il y a un côté film dans ce qu’elle présente, je pense que cela ferait une très belle adaptation pour une série télévisée. L’intérêt principal réside dans le fait que les protagonistes sont très réalistes et que le contexte historique est captivant à découvrir. Ceux qu’on côtoie sont des individus comme nous avec leur jardin secret, leurs soucis, leurs joies, leurs peines. Ils sont « palpables » et forcément attachants.  Comme Ruth, sa famille et ses amis connaissent du monde dans d’autres contrées, cela permet à l’auteur « d’étoffer le décor », d’évoquer des actes dans d’autres coins du monde (l’assassinat de Martin Luther King entre autres), de parler de politique, de musique, de manifestations ou divers mouvements de foule…. Ne croyez pas que tout cela soit en surabondance, pas du tout. C’est en filigrane, et ça nourrit le texte avec justesse. Je trouve qu’il y a un bel équilibre entre la vie de nos héros et les références à l’époque où se déroule cette partie de la saga.

Des thèmes variés sont abordés avec doigté. Les choix de chacun obligent le lecteur à se questionner : qu’aurais-je fait à leur place, aurais-je vécu tranquille, culpabilisé, pris une autre décision ? On s’aperçoit que tous ont du caractère, le souhait de s’en sortir, d’avancer mais ils ne sont pas armés de la même façon et en ça, l’auteur montre combien il est difficile pour chacun de trouver sa place.

Cette lecture a été un vrai plaisir et j’espère bien qu’il y aura une suite !

"Le choix de revivre" de Clare Mackintosh (After the End)


Le choix de revivre (After the End)
Auteur : Clare Mackintosh
Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Françoise Smith
Éditions : Marabout (15 janvier 2020)
ISBN : 978-2501138444
464 pages

Quatrième de couverture

Max et Pip forment un couple on ne peut plus solide. Cependant, ils doivent faire face à la décision la plus lourde et importante de leur vie et ils ne parviennent pas à trouver un accord. Les conséquences de ce choix impossible menacent de dévaster leur couple.

Mon avis

Une famille unie, des parents et un enfant : Dylan. Et puis le bouleversement d’un diagnostic qui tombe tel un couperet : une tumeur cérébrale pour le petit garçon. Commencent alors les longs mois d’hospitalisation, de soins, de nuits difficiles, d’activités professionnelles en pointillés, de doutes, de peurs, d’espoirs … jusqu’à l’ultime décision : continuer ou cesser les différentes thérapies car la mort va arriver quoiqu’il en soit … Une décision, un choix à faire, à deux, ou séparément si le père et la mère ne sont pas d’accord….

Pour ce roman, Clare Mackintosh a délaissé les enquêtes, le suspense pour partir sur un sujet douloureux, difficile. Un couple face à l’obligation de se décider, en sachant qu’il n’y aura pas de retour en arrière. Quelle union peut sortir indemne d’une telle situation ? Personne et il faut continuer à vivre avec le poids de ce qui a été fait, de ce qu’on a vécu.

Dans ce livre, le Papa : Max, la Maman : Pip, le médecin : Leïla, prennent la parole tour à tour. Cela permet des regards croisés sur un même événement, une approche des faits sous différents angles. Les émotions, les ressentis de chacun sont liés à leur histoire personnelle, à leur place auprès de Dylan. L’auteur s’attache à « avant » et « après ». Elle décrit avec énormément de justesse le quotidien des protagonistes, leurs sentiments, leurs colères, leurs répits avec une pointe d’espérance, puis les incertitudes qui reviennent comme un boomerang. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise décision, l’auteur nous le rappelle en mettant en parallèle, deux futurs distincts suivant ce qui se serait passé. C’est bien car quel que soit le côté où on se place, l’avenir est là, il faut avancer et faire avec cette épreuve qui sera toujours présente.

Au-delà du point de vue des parents, il y a celui du médecin. Elle est comme eux, déchirée entre son cœur et sa raison, entre ce qui pourrait être et ne sera peut-être pas et ce qui serait mieux pour l’enfant. Est-ce égoïste de vouloir prolonger la vie ? Qu’aurais-je fait à leur place ? Et vous ? Qu’il est ardu de répondre à ces questions… Et puis, comme on le constate dans ce recueil, il y a le poids de la famille, des amis, des médias, de tous ceux qui auraient dit, auraient fait, auraient aimé…Mais tout cela, c’est du conditionnel, et seuls Max et Pip doivent choisir en essayant de faire front uni….s’ils y arrivent….. Face à la souffrance de ceux qu’on aime, personne ne réagit de la même façon, chacun vit tout cela avec ses tripes, avec ce qu’il est, ce qu’il ressent et parfois, le fossé se creuse….

C’est une lecture émouvante, bien écrite, bien traduite. Lorsqu’on est parents, on ne peut pas s’empêcher de s’interroger sur la façon dont on aurait agi. Clare a su poser des mots sans jamais porter de jugement, elle a su évoquer les relations entre les personnages, combien tout ce qui se passe modifie le rapport aux autres, le besoin de les sentir proches et en même temps, le rejet de ceux qui continuent d’avoir une vie « normale »…. Tous les liens sont changés, le naturel disparaît parfois, et beaucoup ne savent plus comment agir. L’auteur a également réussi à surmonter l’écueil du pathos, elle n’en a pas trop fait et son récit est tout à fait réaliste, crédible. C’est poignant et j’espère que l’écriture de cette histoire lui a fait du bien par rapport à son vécu de Maman.

"Une odeur de gingembre" d'Oswald Wynd (The Ginger Tree)


Une odeur de gingembre
Auteur : Oswald Wynd
Traduit de l'anglais par Sylvie Servan-Schreiber
Éditions : Gallimard (18 Novembre 2004)
ISBN : 9782710327226
475 pages


Quatrième de couverture

En 1903, Mary Mackenzie embarque pour la Chine où elle doit épouser Richard Collinsgsworth, l'attaché militaire britannique auquel elle a été promise. Fascinée par la vie de Pékin au lendemain de la Révolte des Boxers, Mary affiche une curiosité d'esprit rapidement désapprouvée par la communauté des Européens. Une liaison avec un officier japonais dont elle attend un enfant la mettra définitivement au ban de la société. Rejetée par son mari, Mary fuira au Japon dans des conditions dramatiques. À travers son journal intime, entrecoupé des lettres qu'elle adresse à sa mère restée au pays ou à sa meilleure amie, l'on découvre le passionnant récit de sa survie dans une culture totalement étrangère.


Quelques mots sur l’auteur

Né à Tokyo en 1913, Oswald Wynd y vécut jusqu'à l'âge vingt ans. Il est devenu l'un des maîtres du polar que cet sous divers pseudonymes. II ne signa de son nom cet unique roman historique, aux fortes résonances autobiographiques. Une odeur de gingembre s'est dès sa publication, comme un livre culte.

Mon avis

L’originalité de ce livre (même si cela existe par ailleurs) c’est qu’il est écrit par un homme et que le contenu est d’une part le journal intime d’une femme, d’autre part certaines des lettres qu’elle envoie (entre autres à sa mère et à une amie). On ne voit jamais les réponses à ses courriers, ni des scènes décrites par un narrateur. Tout vient de ses écrits et il est intéressant de voir qu’un homme a su s’exprimer avec une sensibilité toute féminine.

Nous suivons ainsi Mary de 1903 à 1942.
Jeune femme écossaise, elle part en bateau pour la Chine où elle doit épouser Richard, rencontré quelque temps auparavant. Elle quittera ensuite la Chine pour le Japon. A travers son vécu de femme, étouffée dans le rôle qu’on veut lui donner, nous allons l’accompagner dans son combat féministe. Mais surtout nous découvrons ces deux pays, leurs habitudes, leurs mœurs (rien que la nourriture …… Mary vit de grands moments de solitude ….), leur mode pensée etc …. et se posent alors les questions des mariages mixtes, des déracinements de personnes d’une même culture pour aller vivre ailleurs, des styles de vie si différents d’une contrée à l’autre (l’étude des diverses courbettes est un vrai régal) de ce qui paraît incongru à un endroit et si naturel à deux pas de là, des choix d’éducation, de la place de la femme dans différentes sociétés, des relations entre hommes et femmes si délicates lorsqu’on n’est pas dans un environnement connu etc …
On vit avec elle le tsunami, les tremblements de terre et on lit l’évolution de son mode de pensée face à ses situations parce qu’elle s’est, en partie (en partie seulement ! heureusement !) imprégnée du ressenti japonais face à ces phénomènes naturels. « La discipline de ce pays a déjà commencé à s’infiltrer en moi. » « ….consciente comme je ne l’avais jamais été jusque-là de l’insécurité physique presque totale dans laquelle chacun doit passer sa vie entière. » Et c’est tellement vrai même maintenant en 2011 !

J’ai beaucoup aimé l’idée de la malle dans laquelle on entasse ses souvenirs (matériels ou ressentis) et du tri qu’il faudrait faire pour ne remplir qu’une petite valise où on ne garderait que l’essentiel … Que mettrais-je, moi, dans cette petite valise ?

En suivant l’évolution historique de ces deux pays, on voit aussi les changements qui habitent Mary. De page en page, la jeune fille un peu effacée devient femme, mère, battante, combattante, bien décidée à prendre sa vie en mains.

Les deux aspects de ce beau roman (vie de Mary et approche historique) se complètent et permettent de ne pas voir le temps passer, tant on est intéressé pour en savoir plus soit sur la vie de Mary, soit sur les événements du pays concerné.

L’écriture est douce, parfois un peu lente, tout en ressentis puisqu’il s’agit d’écriture au sens noble du terme. Certains pourront penser qu’il se passe peu de choses mais Mary est si attachante dans ses questionnements, ses luttes, ses peurs, ses envies, sa vie, qu’on ne peut pas l’abandonner.

NB : et si vous avez envie de savoir pourquoi le titre est « Une odeur de gingembre », lisez le livre !

"Peindre la pluie en couleurs" d'Aurélie Tramier

Peindre la pluie en couleurs
Auteur : Aurélie Tramier
Éditions : Marabout (20 Mai 2020)
ISBN : 978-2501138529
340 pages

Quatrième de couverture

Morgane est une directrice de crèche solitaire et revêche qui ne supporte plus les enfants. A 35 ans, elle vit dans le rêve paisible de racheter une pension de luxe pour chiens. Tout vole en éclats lorsque sa sœur meurt dans un accident de voiture, lui laissant ses deux enfants en héritage. L’arrivée d’Eliott 10 ans, et de Léa, 6 ans, bouscule son quotidien maniaque et fait ressurgir un passé douloureusement enfoui.

Mon avis

Morgane a une vie rangée qui lui convient. Directrice de crèche, bosseuse à l’extrême, un appartement moderne, pas d’homme dans sa vie, elle est suffisamment occupée comme ça, ce quotidien lui convient, surtout qu’elle est un tantinet maniaque. Elle a une sœur mariée et mère de deux enfants. Les relations avec ses parents sont cordiales, un peu lointaines.
Au travail, elle entend les employées qui parlent d’elle, qui la trouvent peu empathique, plutôt sèche et pas diplomate. Elle ne comprend pas forcément qu’elle donne cette image d’elle et je crois qu’elle s’en fiche un peu.

Du jour au lendemain, brutalement, sans qu’elle soit préparée, son quotidien va être bouleversé. Sa frangine et son mari décédés dans un accident de voiture, c’est elle qui va récupérer les enfants : Eliott, dix ans, et Léa, six ans. Elle a beaucoup de chagrin car elle état très attachée à sa sœur mais elle est principalement en colère, en rage. Elle n’en veut pas de ses neveux, elle n’a pas le temps, pas la place, pas l’envie. On ne lui a rien demandé. Pourquoi sa sœur l’a-t-elle désignée ? Les grands-parents étaient prêts à les accueillir eux, et la mamie va même se mettre en tête de se battre pour avoir la garde.

Alors, bien entendu, la famille ne va pas montrer un front uni. Tensions, tiraillements, non-dits, tout va y passer entre Morgane et sa mère. La première rappelant régulièrement à la seconde son incompétence. Et au milieu, il y a les deux petits, avec leur chagrin, leurs peurs, leurs silences, leurs doutes….

Ce roman est construit avec deux voix, celle de Morgane et celle d’Eliott, chacun s’exprimant tour à tour. Avec finesse, doigté, l’auteur a su adapter le phrasé, le vocabulaire, le style à la personne qui s’exprime. On découvre ainsi le cheminement de chacun. La rage de la tante qui s’apaise, la douleur de la perte de l’être aimé qu’elle apprivoise pour vivre avec et avancer.  On voit comment Eliott et sa sœur s’acclimatent petit à petit chez Morgane. Rien n’est facile, rien ne se passe jamais comme prévu mais il faut croire en l’amour qui peut renverser bien des obstacles si tant qu’on se décide d’ouvrir son cœur.

Peindre la pluie en couleurs est une lecture très agréable, plaisante mais ne vous imaginez pas que c’est léger. Des sujets graves sont abordés : le deuil, les secrets de famille, l’enfance, le poids du passé, la construction de la personnalité, les choix qu’il faut faire etc…. Aurélie Tramier parle de tout cela d’une façon subtile, délicate, attendrissante. Elle a beaucoup de tact, de délicatesse. Son récit est fort, porteur de messages. Les points de vue éclairent les événements sous différents angles nous offrant les ressentis de chaque protagoniste.

J’ai beaucoup apprécié cette histoire, je me suis retrouvée plusieurs fois le mouchoir à la main, reniflant discrètement pour cacher mon émotion. L’auteur a su trouver les mots pour emballer mon cœur, me faisant pénétrer dans son univers que j’ai lâché à regret mais avec le sourire….

"L'échappée" de Julie Tremblay


L’échappée
Auteur : Julie Tremblay
Éditions : Emoi (5 Octobre 2016)
ISBN : 978-2709657303
370 pages

Quatrième de couverture

À vingt-deux ans, son diplôme de la Sorbonne en poche, Anne Menard décide de partir au Canada. De petits boulots en petits boulots, son itinéraire la mène jusqu’au Myers Lake, un petit coin de paradis perdu au fond de l’Ontario. Ce qui ne devait être qu’un simple travail saisonnier va prendre une tournure différente lorsqu’Anne fait la rencontre des fils du domaine. Si Nathan se montre très avenant avec Anne, Ethan est beaucoup plus difficile à cerner… Ex-star de hockey, il a vu sa carrière prendre brutalement fin et tous ses rêves s’envoler. Déterminée à mieux le connaître, Anne ne se laisse pas intimider par l’attitude revêche du jeune homme. Encore faut-il que celui-ci baisse la garde et accepte de s’ouvrir…

Mon avis

« C’est un beau roman… »

En musique de fond : « Stubborn Love » de « The Lumineers » (cité dans le roman à la page 269), et même tout le CD pour lire en toute quiétude…
Contexte : un canapé, une chaise longue, une cheminée ou un paysage à perte de vue, une théière fumante ou une boisson givrée juste ce qu’il faut (fraîche mais pas glacée).
Vous : des étoiles dans les yeux devant l’évocation des immenses paysages majestueux  du Canada (on s’y croirait) associés à une  histoire d’amour pas simple, avec des personnages en pleine résilience.

Julie Tremblay, dans cet opus, nous raconte le Canada et y place ses êtres de papier. On sent qu’elle est tombée sous le charme des grands espaces qu’on rencontre là-bas et je pense que l’on peut écrire que le lieu a pour elle autant d’importance que ses protagonistes, comme s’il était également un personnage à part entière.

C’est dans un coin assez sauvage, loin des villes qu’Anne atterrit. En effet, elle allie « Voyage Vacances Travail » et il lui faut bien, de temps à autre, remettre un peu d’argent dans sa bourse pour poursuivre sa route. La voilà donc à Myers Lake. Bien que le lieu soit loin de tout, elle « fall in love »,  flashe sur cet endroit et s’y sent bien malgré le peu d’intérêt qu’elle trouve dans les tâches qu’elle doit accomplir. L’ambiance est bonne et elle apprécie les autres jeunes avec qui elle travaille, c’est déjà ça. Et puis lorsqu’elle est de repos, elle marche et explore les environs. Et là, la plume de l’auteur devient légère, poétique, « peignant » les décors qu’elle nous décrit avec beaucoup de goût. Son écriture prend alors sa pleine mesure et j’ai pensé à la phrase qui dit « qu’on ne parle bien que de ce qu’on connaît ». Et c’est bien vrai !

C’est un récit à deux voix, Ethan et Anne prennent la parole tour à tour, on sait qui parle car le prénom de l’un ou de l’autre est annoncé en titre de chapitre. Chacun s’exprime, présentant ses ressentis, ses envies, ses angoisses, ses peurs dont celle de l’inconnu au sens large du mot.  Il n’est jamais simple de faire le deuil, de faire des choix et de décider de continuer à avancer autrement malgré tout. C’est ce qui ressort principalement tout au long des chapitres.  Chacun des deux héros a dû ou doit faire « avec » et admettre que rien ne peut être comme il l’avait pensé, envisagé, espéré…. C’est tout un cheminement douloureux, long mais indispensable….

Certains reprocheront un côté « fleur bleue », une approche assez prévisible des événements, des sentiments et alors ? La collection « Emoi » porte son nom sans le cacher.

Cette lecture n’est pas de celle que je lis le plus mais je n’ai aucun regret. J’ai passé un excellent moment, j’ai découvert une musique dans les mots et dans le morceau dont je parle en début d’avis, qui m’ont portée sur une route faite de douceur et de tendresse que j’ai eu plaisir à parcourir aux côtés de ceux qui sont présents dans  ….. cette belle histoire….

"Une ritournelle ne fait pas le printemps" de Philippe Georget


Une ritournelle ne fait pas le printemps
Auteur : Philippe Georget
Éditions : Jigal (17 Septembre 2019)
ISBN : 978-2377220823
266 pages

Quatrième de couverture

Un Vendredi Saint à Perpignan. Comme chaque année depuis cinq siècles, la procession de la Sanch se met en marche. Soudain, quelques pétards brisent le silence et la panique gagne la procession. Quand le calme revient, un pénitent ensanglanté reste étendu à terre, poignardé. Au même moment un violent hold-up se produit, non loin de là, dans une bijouterie... L'enquête conduit très vite le lieutenant Sebag des ruelles encombrées du quartier gitan de Saint-Jacques aux appartements feutrés de la bonne société catholique catalane.

Mon avis

Douce France …

Et oui, douce France comme la chanson du fou chantant, dont il va être question dans ce roman. Charles Trenet était propriétaire d’une maison Perpignan et cette dernière va être liée à l’intrigue. Pourquoi ? Parce que son possesseur vient d’être assassiné au cours de la procession de la Sanch pendant la semaine sainte. Cette tradition perdure depuis de nombreuses années.  Les pénitents de la Confrérie de la Sanch revêtent la caparutxa, noire pour les pénitents et rouge pour le Régidor qui symbolise le condamné à mort que les confrères accompagnent au gibet. Au rythme des tambours, des chants funèbres, le cortège s’ébranle suivi par des adeptes et des curieux. L’homme qui a été tué était un des participants. Qui a commis ce crime et pourquoi ? En parallèle, une bijouterie, située non loin du lieu où se déroule ce rassemblement, vient d’être braquée. Le lieutenant Sebag et son équipe vont se retrouver confrontés à deux enquêtes sans lien apparent….mais je ne vous apprendrai rien en écrivant que tout n’est qu’apparence justement ….

Ce roman a été une belle lecture pour plusieurs raisons.
La ville de Perpignan en toile de fond est un beau décor. Sous des apparences de soleil et de légèreté, on s’aperçoit que, comme partout, on peut y rencontrer la misère et des difficultés.
Le personnage du libraire est un point d’orgue, une de ses subtilités qui change le récit, lui apportant une part d’humanité. De plus, cette rencontre permet à Sebag de montrer une part cachée de lui-même.
Le cheminement des individus liés à la procession est intéressant. On découvre ce qui les unit ou les divise, l’importance de la Sanch a un moment donné de leur vie. Le poids des traditions est lourd, les secrets également…
La « présence » en filigrane du fou chantant apporte un plus à toute l’intrigue. Des faits réels ou romancés sont associés à l’histoire avec intelligence et c’est un vrai climat qui s’instaure ainsi.
L’ensemble des protagonistes est réfléchi, étoffé, on va plus loin qu’une présentation basique. Il y a un vrai contexte porteur de sens. Chacun a une part d’ombre en rapport avec son histoire personnelle, son passé. Certains essaient d’oublier, d’autres veulent avancer, et il reste ceux qui se résignent ou se taisent et qu’il faut alors bousculer un tantinet pour qu’ils s’expriment.

Au-delà de toutes ces considérations, il y a le style et l’écriture de Philippe Georget, un phrasé qui résonne en vous, parce qu’il délivre, entre les lignes, des messages qui vont plus loin que l’enquête, qui entraînent une réelle réflexion sur le sens qu’on veut donner à sa vie, à son quotidien, à ses relations aux autres.  Il ne se contente pas de nous dérouler les investigations des enquêteurs, il parle aussi de la vie, la leur et celles de ceux qu’on côtoie au fil des chapitres.

Un excellent roman policier mais pas que… il y a également une approche sociétale. Trouver sa place dans une cité n’est pas si évident qu’on peut l’imaginer. Des « codes » régissent les enjeux et les « rôles » des citoyens comme sur un immense échiquier et dès qu’un pion trompe la règle générale, tout s’écroule et devient différent. L’auteur nous rappelle avec brio, qu’il suffit de peu pour qu’on bascule d’un côté ou d’un autre, car il y a des événements qui se vivent et d’autres qu’on se doit de taire (au nom de quoi ? vaste question, ah, le qu’en dira-t-on a encore de beaux jours devant lui) ….

"Personne ne le croira" de Patricia MacDonald (I See You)


Personne ne le croira (I See You)
Auteur : Patricia MacDonald
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicole Hibert
Éditions : Albin Michel (18 Mars 2015)
ISBN: 978-2226314697
352 pages

Quatrième de couverture

Nouveau nom, nouvelle ville, nouveau départ : Hannah et Adam Wickes n’aspirent à rien d’autre qu’ à mener une vie paisible et sans histoires, entourer leur petite-fille Sydney de toute leur tendresse, et tenter d oublier d anciennes blessures. C’est compter sans la tragédie inattendue qui vient bouleverser leurs plans. Hannah et Adam le savent, tôt ou tard ils devront affronter les démons d un passé, qui en dépit de leurs efforts, a fini par les rattraper...

Mon avis

Patricia MacDonad sort de nouveaux opus avec la régularité d’un métronome.
Parfois ils sont quelconques, d’autres fois bien meilleurs. Celui-ci n’est certes pas un des mieux mais il est intéressant à découvrir.

On est confronté dès les premières pages à un couple qui se cache avec sa fille, pourquoi, comment, à cause de quoi, ou de qui, on ne sait pas mais dès le début, on sent le climat délicat dans lequel ils vivent, une tension permanente qui les empêche de se « lâcher ».
Un événement met à mal ce trop fragile équilibre et nous voilà repartis des mois en arrière pour entrevoir comment ils s’en sont arrivés là. Et paf, le choc, la claque….. ça peut exister des choses pareilles ailleurs que dans les livres ? Oui, sans doute, l’auteur n’a pas écrit cela au hasard…. Brrrrr….  Attention, n’en demandez pas plus sinon il n’y aura aucun intérêt à la lecture.

Patricia MacDonald sait s’y prendre pour nous tenir en haleine. Chapitres courts, dialogues vifs alternent avec quelques réflexions, remarques et pensées mais l’essentiel est dans les actes. On peut regretter à juste titre, qu’elle ne choisisse pas d’approfondir l’aspect psychologique mais elle fonctionne toujours ainsi, de manière simple et efficace (je n’ai pas écrit « simpliste »). Parmi les différents protagonistes, c’est surtout la mère qui est observé et qui s’exprime, le père parle peu (mais très fermement) et si on sait ce qu’il pense, il ne le développe pas (c’est un homme donc normal …. moins bavard…)

Que fuient-ils ? Une situation difficile, cruelle, horrible, presque irréelle et un être malsain… Cette personne aurait sans doute mérité d’être plus « étudiée » dans sa pathologie qui est décrite de façon sommaire (mais je rappelle que ce n’est pas le but de l’auteur). Je pense que Patricia MacDonald apprécie d’être lu aisément, sans prise de tête et elle ne recherche pas à faire dans le thriller psychologique avec de longues explications, ni à rentrer dans les détails.

Par contre, pour ce titre, elle a abordé, avec doigté, un sujet délicat. Sans trop en faire, elle met en exergue les difficultés auxquelles il faut faire face lorsque le mensonge est présent, pouvant devenir vérité pour les détracteurs. Comment agir face au danger lorsqu’on risque de ne pas être crus et que l’on veut protéger un enfant ? Et puis, bien entendu, on prend en pleine face les tourments des parents découvrant l’inconcevable. La mère en cela est terriblement humaine. Elle a des doutes, elle s’interroge mais en bonne maman, elle pardonne, elle trouve des raisons et elle occulte ce qui la dérange. Est-ce que l’amour rend aveugle ? Est-ce que c’est plus facile de faire comme si, sans aller au fond de ce qui gêne, de ce qui dérange ?  Je crois que oui, de temps à autre, on préfère mettre des œillères et ne pas savoir, parce que cela ferait trop mal….. Peut-être également, parce qu’on garde toujours, chevillée au corps, l’espoir, la petite lueur qui fait tenir ….

J’ai apprécié ce roman. L’écriture fluide, les événements clairs (on peut pointer une ou deux invraisemblances mais bon, on ne sait jamais, en Amérique tout est possible…) en font une lecture agréable et rapide.  Le sujet approché (on ne rentre pas dans les détails) est original et fait froid dans le dos….





"La petite fabrique du bonheur" d'Alice Quinn


La petite fabrique du bonheur
Auteur : Alice Quinn
Éditions : Alliage (15 Mai 2020)
ISBN : 9782369100430 
400 pages

Quatrième de couverture

Meryl est une jeune danseuse brisée en plein élan par un accident. Elle devient serveuse à La Petite Fabrique, café fréquenté par des personnes meurtries par l’existence. Ce récit de destins entrecroisés, tissé d’émotions, se déroule au temps du coronavirus, acteur involontaire qui s'est introduit sans prévenir dans le roman comme dans notre quotidien.


Mon avis

Alice Quinn a écrit ce roman entre Janvier et Mai 2020. C’est important pour comprendre. Comme dans notre vie pendant cette même période, un inconnu s’est invité dans son récit. COVID 19, le « fameux coronavirus » a sans doute modifié son histoire comme il a modifié nos vies.

Au départ, c’est l’histoire d’une jeune femme, Meryl, qui a eu un accident alors qu’elle postulait pour une prestigieuse école de danse. Sérieusement blessée, elle essaie de redonner du sens à sa vie et trouve un emploi dans un café : « La Petite Fabrique ». C’est un lieu improbable comme il en existe parfois dans la vraie vie, avec des patrons qui essaient de ne pas vendre trop cher les boissons et les pâtisseries, qui donnent une vraie place à chaque client, une écoute et un échange mais qui, de ce fait, galèrent financièrement. Dans cet espace, pas mal de personnes gravitent, d’autres vont arriver petit à petit et il y a ceux qui en dehors, auront un lien avec l’un ou l’autre des protagonistes que l’on découvre au café.

L’auteur rend rapidement tout ce petit monde très humain, très « visuel », ils deviennent vite des familiers du lecteur La logeuse italienne de Meryl, très au fait de l’actualité parle d’un virus mais les médias et gouvernants français expliquent qu’il ne faut pas s’inquiéter. Le lecteur découvre les réactions des uns et des autres…. C’est hyper réaliste, ancré dans ce qu’on a vu et entendu depuis des semaines. Au passage, Alice Quinn écorche les contradictions de nos hommes politiques, leurs mensonges, leurs silences coupables, leur façon de détourner la conversation ou les questions quand ça les dérange. Elle nous rappelle que des hommes et des femmes se sont battus, ont manifesté pour l’hôpital et que…. vous connaissez le résultat…. Les références sont nombreuses et malheureusement véridiques. La grande force de l’auteur a été de les intégrer à son histoire. Je trouve ça très bien fait et astucieux, parce que, l’air de rien, grâce à son livre, on gardera une trace de certaines absurdités surprenantes dont la plus forte a été : allez voter, ça ne craint rien pour le lendemain dire : restez chez vous…. Pour autant, ce n’est pas un livre politique, Alice ne se pose pas en justicière masquée (c’est le cas de le dire), elle présente des faits, des phrases, des réflexions qu’on a tous vus ou entendus et qui nous ont fait (ou pas ) bondir. Et comme c’est glissé au milieu des chapitres où nous suivons Meryl et ceux qu’elle côtoie, ça reste léger. Néanmoins le message est là.

Dans ce recueil, les personnages évoluent tout doucement, à leur rythme, comme s’ils prenaient en compte leurs besoins, leurs désirs et se mettaient à oser. Ils avancent vers un mieux être pour la plupart et c’est normal le but d’un texte feel good, c’est de nous faire du bien. J’ai particulièrement apprécié deux éléments : des individus crédibles, humains avec leurs forces et leurs faiblesses, qui, pour la plupart, croient en l’Homme ; et un contexte particulier, celui de l’approche du confinement avec un panel de réactions, comme nous l’avons réellement vécu. Tout cela donne un ensemble équilibré, abouti et porteur de sens. L’écriture est délicate, teintée d’humour de bon aloi. Le style est fluide et c’est un très bon moment de lecture. Il n’y a pas de mal à se faire du bien et cet opus met de bonne humeur, ce n’est pas négligeable, n’est-ce pas ?

Cassiopée qui a été confinée, masquée mais jamais résignée

NB : Ce roman concourt pour Les Plumes Francophones.


"Mes conversations avec les tueurs" de Stéphane Bourgoin


Mes conversations avec les tueurs
Auteur: Stéphane Bourgoin
Éditeur: Grasset (30 Mai 2012)
ISBN : 978-2-246-79824-8
210 pages

Quatrième de couverture

"Cela fait trente ans que j'interroge les serial killers. J'ai rencontré plus de soixante-dix de ces tueurs et tueuses multirécidivistes aux quatre coins de la planète. J'ai accumulé des ouvrages de criminologie, journaux de faits divers, archives de police, photos et vidéos de scènes de crimes, confessions, dessins et écrits. Dans mes livres, j'ai toujours présenté les serial killers de manière distanciée, sans porter le moindre jugement ni faire part de mon ressenti. Dans Mes conversations avec les tueurs, je désire vous faire partager l'envers du décor. Vous montrer l'épreuve physique de ces rencontres, les moments d'angoisse qui précèdent les entretiens, la peur, parfois. Vingt ans plus tard, mon corps se souvient encore de la terreur qui s'est emparée de moi lors de ma rencontre avec Gerard Schaefer, un ex-policier accusé du meurtre de 34 femmes en Floride.
Dès l'instant où je me suis trouvé face à lui, j'ai eu le sentiment d'être confronté au Mal absolu.Je suis préparé, mentalement, à rencontrer ces "personnages" plus ou moins hors du commun. Mais à mon retour à Paris, je me demande parfois si ces voyages ont eu lieu. Oui, ils sont bien réels. Et incroyables."S.B.

Mon avis

Je lis, tu lis, nous lisons des polars, des thrillers…

Nous sommes bouleversés (mais où l’auteur est allé chercher tout ça ?), ébahis (mais quelle imagination !), nous avons peur parfois (mais nous avons commencé il y a longtemps avec « Le petit chaperon rouge » !), nous pensons à d’autres moments que ça fait beaucoup tout ce qui arrive aux victimes (mais ce n’est quand même pas comme ça dans la vraie vie ? ….euh….)
Mais nous savons que nous sommes dans un roman…..

Là, c’est le contraire…
Stéphane Bourgoin nous fait toucher du doigt la réalité du tueur, des tueurs en séries ou pas…
Il va à leur rencontre, les interroge et nous retransmet tout cela comme il l’a vécu, avec quelque fois l’angoisse au ventre….son texte est accompagné de photos des assassins, d’articles de presse, de témoignages de reconstitutions de crime, d’extraits de lettres….
Il écrit cela comme une biographie avec les dates, les lieux et des précisions sur les évènements liés aux entrevues, ses propres impressions.

Comment un homme peut-il s’intéresser à ces serials killer ?
Le viol et le meurtre de sa compagne par l’un d’eux en 1976 est à l'origine de son intérêt pour ce type de criminel.

Il leur a consacré beaucoup de livres et a réussi à faire parler un grand nombre d’entre eux qui ne voulaient rien dire…
Est-ce pour lui une façon d’exorciser la souffrance ? De comprendre l’intolérable ? De s’occuper l’esprit ?

Il rencontre ceux qui ont tué mais aussi ceux qui ont suivi les enquêtes…
Il nous montre par l’intermédiaire des extraits d’interviews, par ses réflexions, par ses résumés, comment ces hommes ont basculé, le cheminement de leurs pensées, le pouvoir qu’ils ont sur les victimes et comment ils les manipulent, les mettent en confiance pour ensuite mieux les faire souffrir (un homme utilisait sa voiture de service pour rassure les jeunes autostoppeuses, les raccompagnait chez elles, et une fois en confiance proposait de les transporter à nouveau jusqu’à …. ce que tout bascule).
Il y a même des meurtriers qui ont écrit leur propre livre …

Dans la courte biographie consacrée à chaque personnage, on aperçoit un peu de leur enfance, de leur parcours et de temps à autre, cela nous éclaire sur le chemin parcouru pour arriver à de telles extrémités de violence, d’horreur… Certains n’ont pas eu d’enfance, d’autres pas de parents aimants, mais la question reste posée « comment peut-on en arriver là ? ».
Ces hommes qui n’ont connu que les viols, la violence, …. peuvent-ils penser qu’il existe d’autres moyens de communiquer, d’autres façons de se pencher sur l’autre ? Ils expliquent le plaisir de tuer, la toute puissance ressentie, la poussée d’adrénaline et l’engrenage implacable

Stéphane Bourgoin ressort vidé, épuisé, usé de ces entretiens et pourtant il continue, il parcourt le monde, va les voir, les questionne et reprend le stylo et le clavier pour nous partager avec nous….

Maintenant, me direz-vous, comment une lectrice peut-elle s’intéresser à un livre comme celui-ci ?
Ce n’est pas facile de lire de tels récits, ce n’est pas reposant pour l’esprit mais avec ma manie de tout vouloir comprendre, j’avais le souhait de savoir comment ces hommes ont franchi le pas et pourquoi…
Je ne sais pas tout mais ce livre m’a donné quelques éléments de réponses.


"Emma dans la nuit" de Wendy Walker (Emma in the night)


Emma dans la nuit (Emma in the night)
Auteur : Wendy Walker
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Karine Lalechère
Éditions : Sonatine (15 Février 2018)
ISBN : 978-2355845253
312 pages

Quatrième de couverture

Emma, 17 ans, et Cass, 15 ans, sont les sœurs Tanner, devenues tragiquement célèbres depuis leur inexplicable disparition. Après trois ans d'absence, Cass frappe à la porte de chez ses parents. Elle est seule. Que s'est-il réellement passé trois ans auparavant ?

Mon avis

Les gens croient ce qu’ils ont envie de croire…..

C’est le deuxième roman que je lis de Wendy Walker et comme dans le premier, une grande part est donnée à l’approche psychologique des personnages. Non seulement pour expliquer leur caractère mais surtout pour décortiquer leur mode de fonctionnement, leurs réactions et leurs rapports humains. Ici, c’est le thème du narcissisme (et ses dérives) qui est abordé avec brio.

Deux sœurs ont disparu il y a trois ans et malgré leurs efforts les policiers du FBI en charge des recherches (dont Leo et Abigail (psychiatre) ) n’ont rien trouvé. Si Leo s’en est accommodé, Abigail, elle n’a pas digéré et elle n’a jamais oublié cette affaire. Aussi lorsqu’une des sœurs réapparaît, elle veut reprendre les choses en mains pour relancer l’enquête. C’est une femme dont le passé familial est assez chargé. Elle a souffert de l’attitude de sa mère et a mis en parallèle quelques observations de sa vie personnelle avec ce qu’elle a constaté chez les Tanner. Mais rien d’assez probant ou d’assez « utilisable » pour que ses collègues la suivent sur cette voie….. Avec Cass, la plus jeune des frangines, qui réapparaît, c’est l’occasion de replonger au cœur de cette double disparition jamais élucidée.

Cass est troublante, on la suit de l’intérieur, dans ses réflexions personnelles
« Je pense qu’il a deux sortes de personnes: celles qui ont un cri à l’intérieur et les autres.[…]. Si vous n’avez pas le cri, vous ne pouvez pas comprendre. »
et de l’extérieur lorsqu’on a le regard de la psychologue sur les faits. Comment elle a agi par le passé et ce qu’elle souhaite essayer maintenant. Cass, c’est une jeune fille, elle a grandi et changé en trois ans, sa mère est désarçonnée, perdue devant cet enfant dont une part lui a échappé. De plus, la relation entre les sœurs et avec la mère n’est pas nette, on le sent, il y a quelque chose de bizarre dans cette famille, mais quoi ?

C’est là qu’Abby contribue à nous éclairer, disséquant les liens qui ont été établis dans la fratrie in et off puisque la famille a été « recomposée ». Le thème du narcissisme en psychologie est présenté, expliqué et tout ce qu’on apprend est introduit au fil des pages, en suivant les pensées ou les actes des uns et des autres. Petit à petit, les « contours » se précisent, on comprend ce qui a pu se passer, même si on refuse de croire que ce soit possible. D’ailleurs, est-ce que la rescapée dit la vérité ? Est-ce que ses parents, leurs conjoints , les demi frères mentent pour cacher certains événements ? C’est très complexe entre toutes ces personnes car aucune ne semble vraiment clair dans ses propos, omettant volontairement ou non, de tout dévoiler….

L’auteur s’y prend à merveille pour explorer la part d’ombre, les failles de l’âme humaine, les troubles de la personnalité. C’est prenant et intéressant car on découvre pourquoi les narcissiques ont besoin d’être adulés, de contrôler leur entourage et combien leur attitude peut être étouffante et anxiogène….

J’ai trouvé ce roman bien écrit, bien traduit également. Wendy Walker nous passionne. Nous allons avec elle alternativement, dans le passé, le présent, et l’esprit des protagonistes. Il n’y a pas pléthore de rebondissements, ni de scènes difficiles et pourtant on ressent le malaise en filigrane. On s’interroge sans cesse. Qui manipule qui ? C’est ce qu’il faudra démêler pour avoir les tenants et les aboutissants de ce recueil qui en surprendra plus d’un….

"Tout n'est pas perdu" de Wendy Walker (All is not forgotten)


Tout n’est pas perdu (All is not forgotten)
Auteur : Wendy Walker
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Fabrice Pointeau
Édition : Sonatine (12 Mai 2016)
ISBN : 978-2355845154
352 pages

Quatrième de couverture

Alan Forrester est thérapeute dans la petite ville cossue de Fairview, Connecticut. Il reçoit en consultation une jeune fille, Jenny Kramer, quinze ans, qui présente des troubles inquiétants.
Celle-ci a reçu un traitement post-traumatique afin d'effacer le souvenir d'une abominable agression dont elle a été victime quelques mois plus tôt. Mais si son esprit l'a oubliée, sa mémoire émotionnelle est bel et bien marquée.
Bientôt tous les acteurs de ce drame se succèdent dans le cabinet d'Alan, et lui confient leurs pensées les plus intimes, laissant tomber leur masque pour faire apparaître les fissures et les secrets de cette petite ville aux apparences si tranquilles.

Mon avis

Autopsie d’un viol….

Au cours d’une soirée festive, dans la petite ville de Fairview, Jenny a été violée, non loin de la maison où se déroulait la fête Elle a reçu un traitement pour « l’oubli » des faits mais elle reste marquée par les douloureux événements et va devoir rencontrer un thérapeute. Cet homme est spécialisé dans l’étude des stress post-traumatiques et il fera le maximum pour aider la jeune fille, sa famille et ceux qu’il reçoit dans son cabinet….

C’est lui qui (se) raconte dans le roman, qui nous entraîne à sa suite dans de longues conversations avec ses patients et avec lui-même. A la manière d’une autopsie, allant de plus en plus profond, enlevant « les couches » les unes après les autres, il va décortiquer les faits, les analyser, les étudier pour faire émerger une vérité terrible qui le renverra à sa propre histoire…. L’écriture est pointilleuse (bravo au traducteur), chaque détail est important, chaque indice glissé ça et là aura son rôle à jouer à un moment ou un autre.

On pourrait se poser la question de ce « médicament de l’oubli » mais là n’est pas le principal sujet. Il faut plutôt se pencher sur les dégâts que des situations traumatisantes peuvent provoquer et comment chacun peut les gérer (car il n’y a pas que Jenny, il y a Sean aussi…), se demander également quelles sont les limites à ne pas franchir pour les praticiens … Jusqu’où peuvent-ils aller pour aider leurs patients, quelle est la frontière entre le travail et l’empathie qui peut les envahir ?
« Nous luttons chaque jour pour contrôler le regret, pour l’empêcher de nous ravir notre bonheur. »
Alan Forrester flirte dangereusement avec le code de déontologie. L’air de rien, il insinue, oriente pour obtenir ce qu’il désire, ce qu’il pense être le mieux….

Les chapitres se succèdent, chaque fait nous emmène vers un autre, à la manière d’un labyrinthe dont chaque virage révélerait une nouvelle surprise. On croit que c’est fini, que l’on a, en mains, tous les morceaux du puzzle, et puis surgit devant nous un autre élément qui nous emporte plus loin dans la découverte de la personnalité des individus croisés ici ou là… On peut s’interroger. Est-ce que toute vérité est bonne à dire, à connaître, comment ressortiront ceux qui découvriront la face cachée des gens en qui ils avaient toute confiance… Est-ce que l’amour que l’on porte aux siens peut tout justifier, tout expliquer ? Comment une famille se remet-elle après un acte pareil ? A quel point la culpabilité peut être présente chez les parents et pourquoi ?

J’ai eu beaucoup de plaisir à lire ce récit malgré la dureté du propos. La construction et la façon d’aborder les choses, originales, y sont pour beaucoup. Donner la parole ainsi au psychanalyste n’est pas ordinaire. Je me suis même demandée si cela orientait un peu, beaucoup ou totalement notre ressenti. Finalement, l’approche de tout ce qui s’est passé est faite principalement par sa voix car, même si ses consultants s’expriment, c’est lui qui retranscrit…. En tout cas, ce procédé offre une « entrée » surprenante, captivante et on ne voit pas le temps passer.

En conclusion, une lecture qui sort des sentiers battus et qui est très prenante.

"Harpo" de Fabio Viscogliosi


Harpo
Auteur : Fabio Viscogliosi
Éditions : Actes Sud (8 janvier 2020)
ISBN : 978-2330130657
180 pages

Quatrième de couverture

Une aventure inédite d'Harpo Marx, qui débute lors d’une tournée théâtrale en Union soviétique avant de bifurquer brutalement au volant d’une Torpédo bleu pâle dans un ravin de Haute-Ardèche, à l’hiver 1933. Une odyssée de poche de l’icône du cinéma américain devenu, un temps, probable vagabond amnésique sur les routes de France.

Mon avis

Les Marx Brothers, ça vous dit quelque chose ? Ils sont cinq nés entre 1887 et 1901. Ce sont des comédiens, jouant dans un registre burlesque. Tous avaient choisi des noms de scène se terminant par O. Harpo est l’un d’eux, celui qui n’ouvrait jamais la bouche dans les films.

Dans ce court roman, Fabio Viscogliosi a imaginé qu’après une tournée en Russie, Harpo choisissait de ne pas rentrer au pays. Ayant acheté une voiture, il est parti sur les routes de France au lieu de prendre le bateau au Havre mais il a eu un accident. A son réveil, il est amnésique…. Pendant ce temps, aux Etats-Unis, c’est la panique car tout le monde se demande où il est, si cette disparition est volontaire ou pas.

Harpo, tel un candide, se laisse porter par les événements et surtout par les rencontres. Des français le recueillent, l’envoient chez d’autres, un journaliste fait un article… Lui, il découvre la campagne française, parle peu, rêve …

L’écriture de ce roman est subtile, exquise, finement ciselée, c’est à la fois tendre, jubilatoire, délicat.
Cette lecture a été une parenthèse enchantée.

"Une sirène à Paris" de Mathias Malzieu


Une sirène à Paris
Auteur : Mathias Malzieu
Éditions : Albin Michel (6 Février 2019)
ISBN : 9782226439772
240 pages

Quatrième de couverture

« Surprisiers : ceux dont l'imagination est si puissante qu'elle peut changer le monde - du moins le leur, ce qui constitue un excellent début. »

Mon avis

C’est la première fois que je lis cet auteur et je ne savais pas trop à quoi m’attendre (à part les chaudes recommandations d’une amie).

Je suis rentrée sur la pointe des pieds dans l’univers de Gaspard et il m’a ensorcelée. J’ai aimé l’histoire en elle-même. C’est un conte empli d’amour qui fait accepter l’autre dans sa différence, qui rend les hommes et les femmes plus beaux et plus belles parce qu’ils se sont apprivoisés, respectés, aimés. L’écriture a juste ce qu’il faut de magie et d’imagination pour charmer, envouter et vous parler comme une musique. Il y a un petit côté décalé qui est séducteur avec des mots nouveaux, inventés mais qui ont du sens.

Le style m’a enthousiasmée. Le contexte est bien pensé, réfléchi avec intelligence. Moi qui dis souvent que je  veux garder intacte ma capacité d’émerveillement, je l’ai sentie se réveiller et je peux dire qu’elle a vibré en moi.

L’auteur parle de rééducation à la joie. Cette expression montre bien le message qu’il fait passer dans son roman : être heureux, se laisser porter par les mots et rêver…..

A celle qui se reconnaîtra : merci !

"Viva la Madness" de J.J. Connolly (Viva la Madness)

 

Viva la Madness (Viva la Madness)
Auteur : J.J. Connolly
Traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau
Éditions : Sonatine ( 17 Mars 2016)
ISBN : 978-2-35584-304-4
608 pages

Quatrième de couverture

Heureux propriétaire d’un hôtel à la Jamaïque, X, ex-trafiquant de cocaïne londonien, a raccroché les gants. Interrompre cette retraite au soleil serait forcément une mauvaise idée. Mais le mal du pays, la nostalgie d’une vie pleine d’adrénaline et la promesse d’un coup exceptionnel finissent par emporter toutes ses réticences. Le pied à peine posé sur le sol britannique, notre homme s’aperçoit bien vite que ce coup exceptionnel qu’on lui a proposé est surtout exceptionnellement dangereux. Entre mafieux anglais, cartels vénézuéliens sensibles de la gâchette et Irlandais psychotiques, il va falloir que X use de sa dextérité légendaire s’il veut une nouvelle fois s’en tirer à bon compte.

Mon avis

S’arrêter c’est mourir

Bienvenue dans le monde des gangsters sans vergogne, sans foi, ni  loi. Ils ne croient en rien, peut-être même pas en eux-mêmes, et encore moins en leurs amis …. Personnages hauts en couleurs, au langage fleuri, ils sont très visuels (l’adaptation cinématographique est d’ailleurs déjà prévue) et les situations le sont tout autant. On passe d’un événement à l’autre, ricochant d’un individu à un autre, à une vitesse folle. Les temps morts n’existent pas et le rythme est trépidant.

« Rangé des voitures », notre homme, appelons le X, coule des jours heureux et calmes, peut-être trop… Aussi lorsqu’on lui propose un coup fantastique à Londres, où il est persona non grata, la tentation est trop forte…. Et il dit oui…peut-être s’est-il trop précipité mais cela il ne le découvrira qu’après…. Négociation, arnaque, drogue, malfrats en pagailles, morts qui n’en sont pas, et qui réapparaissent, ce roman a de quoi surprendre. Humour à la « tontons flingueurs », comique de situations mais également montées d’adrénaline,  tout y est.  Ça décape, ça fouette les neurones.  Les dialogues sont « enlevés » et tout s’enchaîne à une allure folle comme dans un film qu’on regarderait en appuyant sur « avance rapide »….

Régulièrement, des « questions » jalonnent le récit, posées par une voix off, permettant ainsi à X de donner son avis, d’avancer dans son introspection et sans doute de comprendre ce qui lui a échappé. Le chapitre 44, intitulé « Qu’est-ce que la folie ? » est un vrai régal. La folie y est déclinée à tous les temps, tous les modes, au sens propre et figuré, avec gravité et avec humour. Elle y est décortiquée, analysées, ciblée….

Ici, les méchants sont méchants, très très méchants, ils alignent les corps, et les tirs pleuvent mais comme le regard de l’auteur sur cette pègre est « presque bienveillant », on a du mal à les trouver vraiment méchants…. Vous comprenez ? Ici, les mafieux sont mis en exergue, comme des héros…. Ils sont tous plus déjantés les uns que les autres et nous font plus rire (de temps à autre jaune, comme la couverture) qu’autre chose….

Ce n’est pas un polar ordinaire car on se rapproche plus de la comédie policière que du thriller psychologique ou de l’enquête. Ce qu’on découvre entre les pages,  c’est l’univers des scélérats, des sales types, j’ai presqu’envie d’écrire « des sales gosses »…. Comme écrit dans cet opus, pour eux « S’arrêter c’est mourir ». Je pense que c’est mourir au sens propre et figuré, ne plus agir dans l’illégalité, pour une fripouille, revient à ne plus exister donc à mourir…. D’où cette obligation sous jacente, entre les pages, d’être toujours et encore dans l’action…

Ce n’est pas le style de recueil que j’apprécie habituellement et mon avis reste tempéré. On va dire que ça ne m’emballe pas plus que ça. Je pense que le nombre de pages y est pour beaucoup. A petites doses, c’était plutôt dépaysant, atypique et amusant  mais sur la durée, ça m’a un peu lassée. Il me semble que ça ne m’apportait pas assez. L’univers décrit est malgré tout très masculin (ce qui pourrait être bien ;-) , mais aucun des hommes présentés ne m’a attirée l’œil. Ils avaient une fâcheuse tendance à m’insupporter (d’où l’expression plus haut « sales gosses ») et c’est peut-être pour cela que je suis restée à l’extérieur de ce livre sans vraiment y pénétrer….

 

 


"Nirliit" de Juliana Léveillé-Trudel


Nirliit
Auteur : Juliana Léveillé-Trudel
Éditions : La Peuplade (6 Octobre 2015)
ISBN : 978-2-924519-07-3
184 pages

Quatrième de couverture

Une jeune femme du Sud qui, comme les oies, fait souvent le voyage jusqu’à Salluit, parle à Eva, son amie du Nord disparue, dont le corps est dans l’eau du fjord et l’esprit, partout. Le Nord est dur – «il y a de l’amour violent entre les murs de ces maisons presque identiques» – et la missionnaire aventurière se demande «comment on fait pour guérir son cœur». Elle s’active, s’occupe des enfants qui peuplent ses journées, donne une voix aux petites filles inuites et raconte aussi à Eva ce qu’il advient de son fils Elijah, parce qu’il y a forcément une continuité, une descendance, après la passion, puis la mort.

Mon avis

« Vous autres les Blancs, vous êtes obsédés par le temps. »

Nirliit est un livre qui prend le temps, qui parle au cœur autant qu’à la tête, qui se laisse découvrir et qu’il faut apprivoiser. Avec une écriture particulière, percutante, emplie de poésie, l’auteur nous plonge dans le monde inuit, ceux qui là-bas dans le Grand Nord canadien, vivent de peu comme ils peuvent avec les moyens du bord, oubliés de tous. Car tout n’est pas rose là-bas, la violence, l’alcool, la pauvreté sont présents mais il y a aussi de rares beaux moments et de magnifiques rencontres.

C’est ce qui s’est passé entre la narratrice et Eva. Celle qui conte vient tous les ans, passer quelques semaines dans ce lieu pour aider, vivre avec et au milieu des autochtones, offrir un peu de son aide, de son temps. Cette fois-ci quand elle revient, Eva n’est plus. Elle a disparu. Alors, elle revit leur amitié, leurs liens tout en revisitant l’histoire de ce peuple, du quotidien difficile.

Ce roman est un cri d’amour, un cri de détresse aussi … L’auteur nous plonge dans la tourmente avec des mots forts, du rythme puis elle pose un peu plus son phrasé pour évoquer son amie. La réalité des faits est cash, on la prend en pleine face. Mais on sent également que son cœur vibre lorsqu’elle écrit et par écho le notre vibre à l’unisson. Une belle lecture.