"La mort imaginale" de Philippe Paternolli

 

La mort imaginale
Auteur : Philippe Paternolli
Éditions : du Caïman (23 Avril 2024)
ISBN : 978-2493739162
308 pages

Quatrième de couverture

On ne réalise pas le casse informatique du siècle sans se mettre du monde à dos. Surtout quand on a arnaqué beaucoup de monde... Marseille, la Grande-Bretagne et la montagne Sainte-Victoire. Trois lieux successifs. Pour échapper à la vengeance du parrain marseillais Dédé de Rocca, des frères Gentile – natifs des Abruzzes – et du gang du Serbe Marko Tzabo. Mais aussi aux recherches d’une cellule spéciale de la police française.

Mon avis

Ça commence sur une évasion de prison, violente. On se dit : « Ah oui, je suis dans un roman. » et puis on se souvient de l’actualité récente et le cœur serré on sait que ça existe dans la vraie vie. L’écriture addictive nous a déjà « ferré » alors on continue car ce malfrat, il faudra bien que quelqu’un le coince, non ?

Ensuite on fait connaissance avec Éric et Nora, installés avec leur fille près de la montagne Sainte-Victoire où ils tiennent des chambres d’hôtes. Une petite vie tranquille loin du tumulte de la ville. On réalise très vite qu’ils ont eu de l’argent pour acheter ce domaine et que s’ils sont là c’est pour se faire oublier en vivant comme tout le monde. Quelques retours en arrière, bien construits, avec de nombreuses explications, nous aideront à comprendre comment ce couple est arrivé là. Lui, petit magouilleur de base n’a pas fréquenté les bonnes personnes. Très doué, il a été recruté « de force » pour un gros coup. Mais il a été gourmand et ne s’est pas contente de la petite part qu’on lui a donnée. Mais tout ça c’est du passé. Il a su louvoyer, changer de pays, d’identité et devenir un autre, discret, « rangé des voitures »…. Personne ne peut le retrouver. Personne, vraiment ?

Aucune raison pour que l’évadé, qui l’a connu dans une autre vie, vienne se promener vers Aix en Provence. Aucune raison pour qu’une improbable rencontre se fasse… Mais quand Éric apprend par la presse les événements de la prison, il sait qu’il va falloir être vigilant.

Tout pourrait s’arrêter là, chacun chez soi. Mais Philippe Paternolli nous emmène dans un récit captivant. Avec les flash-backs on va découvrir la personnalité d’Éric et de sa compagne, on va connaître leur histoire, leurs choix. Avec le présent, on va suivre leur quotidien et celui d’autres personnages plus ou moins liés à eux.

Suspense, rebondissements, adrénaline au maximum, construction parfaitement mise en place, c’est avec une écriture rapide, alerte, que l’auteur m’a accrochée dès les premières pages. Je suis rentrée dans le milieu du grand banditisme et j’ai cerné toutes les conséquences de ce genre de choix. Ce n’est pas la liberté, c’est être ficelé, surveillé, vivre sur le qui vive permanent, avoir peur, prendre des risques, ne pas avoir une vraie vie de famille, jouer avec sa vie à chaque instant…

J’ai beaucoup apprécié cette lecture. Les scènes sont visuelles, on se croirait dans un film, ça bouge, ça bouscule et on sent que tout peut déraper d’une minute à l’autre. Les dialogues sont vifs, adaptés au rythme du récit. Dans les passages plus calmes, les protagonistes se posent et on sent une réelle réflexion sur les décisions prises ou à prendre.

Je n’ai ressenti aucun temps mort, j’avais sans cesse envie de connaître la suite, de découvrir l’évolution des individus J’appréhendais la conclusion, j’avais peur des clichés, d’avoir tout deviné et finalement, j’ai trouvé la fin dure mais assez réaliste.

NB : les mues : quelle idée originale !


"Seul le silence" de Fabrice Colin & Richard Guérineau

 

Seul le silence
Auteurs : Richard Guérineau (Dessin, Couleurs) | Fabrice Colin (Scénario)
Éditions :Phileas (28 Octobre 2021)
ISBN :
116 pages

Quatrième de couverture

Joseph Vaughan, devenu écrivain à succès, revient sur des événements qui ont bouleversé son enfance et qui vont le hanter, le poursuivre toute sa vie d'adulte : des meurtres de jeunes filles perpétrés sur plusieurs décennies, dont il a été le témoin.

Mon avis

Fabrice Colin a traduit « Seul le silence » magnifique roman de R.J. Ellory. Avec cette bande dessinée, il reprend la genèse de ce roman en l’adaptant, en dessins avec Richard Guérineau. Tâche difficile mais parfaitement réussie !

On retrouve l’atmosphère lourde d’un coin reculé des Etats-Unis dans les années quarante. Une fillette est sauvagement assassinée, Joseph et ses copains d’école se promettent de protéger les autres mais les meurtres continuent….

Les pages se succèdent et comme dans le livre éponyme, le suspense va crescendo jusqu’à la révélation finale. Les dessins en nuances de sépia sont d’une justesse incroyable. On dirait un reportage photo, les expressions des visages sont très précises.

J’ai lu « Seul le silence » qui a un nombre de pages conséquent et je me demandais comment ce récit pouvait être condensé au niveau du texte pour ne rien perdre de sa force, d’autant plus qu’il s’étale sur plusieurs dizaines d’années. Et bien chapeau, l’essentiel est bien là, dialogues, pensées de Joseph, obsédé par les drames qui jalonnent sa vie et son besoin d’écrire pour extirper la douleur qui le « bouffe ». Il est sans cesse écartelé entre son besoin de vivre un quotidien calme, « normal et le désir de comprendre les événements pour qu’il n’y ait plus de femmes ou de jeunes filles tuées.

Une formidable bande dessinée !


"Sur le chemin des flamboyants" de Murielle Guerrero-Gillet

 

Sur le chemin des flamboyants
Auteur : Murielle Guerrero-Gillet
Éditions : Taraxacum (1er Juillet 2022)
ISBN : 9782953456448
242 pages

Quatrième de couverture

L’enfer est pavé́ de belles intentions.
Londonien, Martin revient à Guéret après plusieurs années d’absence, pour le décès de sa mère… Quel secret de famille a-t-elle laissé en héritage ?
Entre la Creuse et La Réunion, Martin, Philippe et Joseph partent à la rencontre de leur enfance.
Un roman plein de sensibilité́ et d’optimisme qui croise la grande Histoire. Comment, il y a à peine cinquante ans, la République, dans ses plus belles intentions, a-t-elle pu provoquer autant de malheur, de destins fracassés et de destruction morale ?

Mon avis

Martin et Philippe sont frères. Leurs parents avaient une ferme près de Guéret mais aucun des deux n’a repris l’affaire familiale. Le premier a suivi un beau cursus scolaire et habite Londres avec sa compagne et sa fille. Le second, plus âgé de quelques années, est resté sur place et tient une épicerie où il a commencé à travailler à dix-huit ans en quittant la maison de ses parents sur un coup de tête.

2013, le père est décédé depuis quelques années et la mère vient de mourir. Martin, cinquante-deux ans, revient en France pour les funérailles, la vente des biens, et toutes les formalités. Il est heureux de retrouver son frangin et son ami Joseph, qui lui est coiffeur.

Philippe est un peu expéditif dans certains rangements, Martin s’interroge mais sans plus, jusqu’au jour où il trouve une petite valise avec quelques documents édifiants. Ce qui aurait dû rester un secret car son aîné l’a toujours protégé de cette révélation (car lui savait), est découvert. Ils sont nés sur l’île de la Réunion. Ils font partie des plus de deux milles enfants de la Creuse, envoyés en métropole pour repeupler les campagnes, et parfois fournir de la main d’œuvre pas chère, dans les années 1960 et 1970. Leurs prénoms ont été changés, leurs racines oubliées, tues, comment cela a-t-il été possible ?

C’est un choc pour le plus jeune. Que faire ? Il réalise que Joseph est probablement comme lui, un enfant adopté et c’est le cas. Les trois hommes vont partir à la Réunion pour essayer de connaître leurs origines, de comprendre pourquoi et comment ils ont été envoyés si loin de chez eux chez des inconnus… On va les suivre pendant leur séjour sur l’île où les révélations seront nombreuses, surprenantes et parfois douloureuses.  On découvre les dégâts, causés par cet arrachement, sur les enfants mais aussi sur leurs père et mère.

Le récit de l’auteur est très intéressant, documenté (avec des explications historiques dans les dernières pages), bouleversant. Son écriture est fluide, plaisante, elle donne envie de lire encore et encore… Son roman est un bel hommage pour toutes ces personnes ici ou là-bas qui ont subi cette séparation de plein fouet sans pouvoir réellement dialoguer ….

Le scandale des enfants de la Creuse est un mensonge d’état. Les services sociaux ont menti aux familles, certaines ont dû signer un papier d’abandon sans en comprendre l’enjeu. On leur a promis que les enfants reviendraient, qu’ils feraient des études, qu’ils mangeraient à leur faim (et comme certains étaient très pauvres sur l’île, ils pensaient sauver leurs enfants) etc… Certains ont souffert, ont été maltraités, mal aimés, rien à voir avec les promesses …

Cette pratique migratoire a duré jusqu’en 1984 ! Et c’est seulement dans les années 2000 que les médias ont commencé à en parler. Jean-Jacques Martial après avoir découvert qu’il avait une famille à la Réunion a porté plainte contre l'État pour « enfance volée ». Petit à petit, mais très lentement, une forme de « reconnaissance » de la souffrance de ces enfants et de leurs parents a été « nommée » mais rien n’a été résolu. Un mémorial à Paris, un à la Réunion, des associations (dont Rasinn Anler 974), est-ce que ça permet de pardonner ce qui n’aurait jamais dû exister ? Certainement pas mais au moins, ceux qui sont finalement des victimes sont aidés dans leurs démarches, et ce pan historique, soigneusement tu et déformé, est enfin connu.

Elle s’appelle Marie-Line, elle est réunionnaise. C’est mon amie depuis de nombreuses années. Elle m’a offert ce livre pour mieux comprendre son île et ses habitants. Je la remercie infiniment.








"Châtiment" de Céline Denjean

 

Châtiment
Auteur : Céline Denjean
Éditions : Michel Lafon (8 février 2024)
ISBN : 978-2749956312
400 pages

Quatrième de couverture

Une violence sourde ronge la très respectable famille Bellegarde dont la mère, Marie-France, a été sauvagement assassinée. Les fondations de l'édifice familial vacillent. La major Louise Caumont trouvera-t-elle la faille pour percer à jour les secrets du clan ?

Mon avis

La major Louise Caumont doit enquêter sur le meurtre d’une femme. Une mère et épouse appréciée de tous, catholique limite intégriste, disponible, impliquée pour aider les uns et les autres. Son assassinat n’est pas sans rappeler ceux commis par un tueur en série. Affaire résolue ? Et bien non … parce que, matériellement, ça ne peut pas être lui. Alors qui ? C’est bien ce que Louise et son équipe ont l’intention de trouver.

En parallèle, une bénévole dans une association a disparu et son neveu demande à un détective privé de faire des recherches. Ce dernier est très doué, il a beaucoup de recul sur ce qu’il observe et de l’intuition.

On se doute, bien entendu, que les deux affaires vont se rejoindre mais on est loin d’imaginer pourquoi et comment.

Plusieurs narrateurs s’expriment, des scènes du passé resurgissent, Céline Denjean nous emmène dans l’univers des établissements catholiques hors contrat où le cadre et les règles strictes imposent la loi du silence. C’est, malheureusement, très réaliste. On se rend compte de ce que vivent ces jeunes élèves qui n’ont d’autres choix qu’obéir. Pour peu que la famille soit un peu « coincée », le dialogue ne sera pas possible et ils subiront sans pouvoir se défendre que ce soit une discipline trop rigoureuse ou autre chose ... Elle décrit très bien l’omerta intra familiale, le poids de la culpabilité qu’on pose sur les épaules des gosses, tout ce qu’on leur impose sans jamais écouter leur ressenti. Évidemment, ce n’est pas une généralité concernant ces écoles mais être vigilant est primordial.

D’un autre côté, on suit l’enquêteur. J’ai apprécié la façon dont il s’y prend pour ses investigations, sans rien bousculer, sans prendre les personnes de front, mais en restant opiniâtre. Il sait où il veut aller et avance petit à petit et ce qu’il pense découvrir le laisse ébahi, mesurant le danger réel qui existe tout près.

L’auteur a une plume sûre, précise, quasi chirurgicale. Elle livre un récit complet, aux nombreuses ramifications (mais on ne se perd pas). Tout est tissé très fin, serré. Quand on croit que tout est presque clair, il peut y avoir un revirement de situation et on ne sait plus que penser… Les personnages ont des caractères, des comportements, travaillés, en lien avec le contexte présenté. C’est très intéressant, notamment sur la part des traumatismes du passé.

Menée de main de maître, cette nouvelle aventure avec Louise Caumont m’a permis de passer un excellent moment avec son lot de frissons, bien obligé lorsqu’on lit un thriller de qualité….


"La croisière" de Catherine Cooper (The Cruise)

La croisière (The Cruise)
Auteur : Catherine Cooper
Traduit de l’anglais par Maryline Beury
Éditions : L’Archipel (16 Mai 2024)
ISBN : ‎ 978-2809848397
386 pages

Quatrième de couverture

L'atmosphère est à la fête sur l'Immanis, paquebot de luxe qui sillonne la mer des Caraïbes.
Jusqu'à ce que Lola, la danseuse vedette, se volatilise sans laisser de trace.
Quelques jours plus tard, c'est au tour d'un technicien de maintenance de disparaître.
La croisière serait-elle maudite ?

Mon avis

Je m’attendais à huis-clos avec un ou quelques meurtres sur un paquebot de luxe mais j’étais loin d’imaginer ce que présente ce roman !

Plusieurs temporalités, plusieurs narrateurs mais jamais je n’ai été perdue. Je me doutais bien que les histoires allaient se rejoindre mais je ne savais pas comment. En outre, chaque fois que l’on croit que tout est réglé, que ça rentre dans l’ordre, ça repart de plus belle.

Sur le bateau, on s’intéresse surtout à une partie du personnel, ce qui fait qu’il n’y a pas trop d’individus à repérer. Un couple de danseurs, le capitaine, le médecin, la chef de cuisine… Leurs rapports sont plutôt fluides. Pourtant le soir du réveillon, la danseuse vedette disparaît. Y-avait-il des tensions, quelqu’un qui lui en voulait ? S’est-elle suicidée ? L’atmosphère se tend, les conversations sont plus délicates, moins naturelles, personne n’est vraiment à l’aise ni tranquille. D’autant plus qu’un technicien de maintenance manque également à l’appel quelques jours plus tard alors que le bateau est en période d’entretien, donc sans passagers.

À ce moment-là, les employés peuvent s’installer dans de belles suites, au lieu de leur petite cabine, et ont moins de pression au niveau du travail. Par contre, avec tous les événements déstabilisants qui « tombent » sur chaque corps de métier, tous sont sur les nerfs.

Par l’intermédiaire des différentes personnes qui prennent la parole, on découvre que quelques-uns ont des choses à cacher. En parallèle, on suit des faits du passé et on se demande bien comment ils seront rattachés au présent. On pourrait penser que tout cela va s’embrouiller mais pas du tout !

J’ai été surprise par toutes les « entrées » de ce récit. Date, lieu, personnage qui s’exprime sont notés en début de chapitre donc rien de difficile pour suivre. On passe de l’un à l’autre en quelques pages, ça donne un rythme soutenu, plutôt rapide et tout est captivant et prenant car on n’a qu’une envie : retrouver le ou la précédent-e pour connaître son évolution. Si quelques éléments peuvent sembler un peu tirés par les cheveux, ils n’enlèvent en rien la qualité de l’intrigue, particulièrement réfléchie et travaillée.

L’écriture de l’auteur s’adapte (vocabulaire, expressions) à chaque protagoniste, homme ou femme, qui confie ce qu’il, elle, a fait, vu, éprouvé face à chaque situation. C’est très réussi car ce n’est pas chose aisée de se mettre dans « la peau » de chacun. Je n’ai pas senti de fausse note à la traduction. Tout est fluide, plaisant à lire.

Les relations tissées entre les uns et les autres sont un grand point fort de ce livre. C’est bien ficelé, ça s’emboîte petit à petit comme les pièces d’un puzzle pour faire un ensemble particulièrement réussi. J’ai trouvé intéressant de voir comment l’auteur analyse le passé en expliquant son impact psychologique sur le présent. Elle démontre combien ce que vit un enfant peut influencer son avenir, voire le transformer et lui fait perdre le sens des réalités ou le culpabiliser à vie si on lui fait porter des responsabilités qui ne sont pas de son âge, ni de son fait.

Je n’ai pas vu le temps passer tout au long de cette lecture et j’ai vraiment apprécié de découvrir Catherine Cooper !

"Pleurer au supermarché" de Michelle Zauner (Crying in H Mart)

 

Pleurer au supermarché (Crying in H Mart)
Auteur : Michelle Zauner
Traduit de l’anglais (États- Unis) par Laura Bourgeois
Éditions : Bourgois (2 Mai 2024)
ISBN : 9782267048919
320 pages

Quatrième de couverture

Michelle Zauner vit à Philadelphie et jongle entre trois jobs alimentaires et un groupe de rock dont la carrière ne décolle pas quand elle apprend que sa mère est malade. Elle rentre alors dans l’Oregon pour l’accompagner dans son combat contre le cancer, et pour essayer de rattraper le temps perdu. Car Michelle a été une adolescente rebelle, ne se sentant jamais à la bonne place, et fuyant cette figure maternelle qui incarne l’exigence mais aussi la culture coréenne, si proche et si lointaine. Le souvenir des étés passés dans le pays natal de sa mère, et celui de la passion avec laquelle cette dernière cuisinait et mangeait, vont aider Michelle à surmonter son chagrin, à trouver un chemin vers l’apaisement.

Mon avis

Gwaenchanh-a (Ça va aller)

Qui n’a pas ressenti de l’émotion, voire eu les larmes aux yeux en repensant au plat délicieux concocté par une personne maintenant décédée ?

Michelle Zauner est née 1989, elle est compositrice et la chanteuse principale du groupe indie pop Japanese Breakfast. Sa mère, coréenne et son père, américain, l’ont élevée aux Etats-Unis. Presque tous les étés, elle se rendait en Corée avec sa Maman pour retrouver la famille de ce pays. Elle a longtemps galéré avant de pouvoir vivre de sa musique. Elle a même accepté des « boulots alimentaires » pour avoir un peu d’argent.

« Pleurer au supermarché » a connu un immense succès aux Etats-Unis et vient d’être publié en France. C’est en allant faire ses courses régulièrement chez H Mart que l’auteur a compris que dans ce magasin coréen, elle venait chercher de la nourriture mais aussi les souvenirs de tout ce qui la liait à sa mère. Cette dernière est décédée d’un cancer du pancréas alors que Michelle avait vingt-six ans. Le choc a été violent et elle a eu besoin de créer des chansons, de faire une thérapie, de rédiger ce récit avec ce qu’elle a vécu de petite fille jusqu’à l’âge adulte.

Elle analyse finement la relation mère/fille. « Ma mère essayait constamment de me façonner selon l’idéal de perfection qu’elle imaginait pour moi. »
Elle explique les difficultés de sa double culture. À l’école on l’appelait chinoise ou japonaise, pas coréenne, comme si la Corée n’existait pas. Trouver un équilibre, se sentir bien dans ce qu’elle faisait et choisissait n’a pas été aisé. Elle raconte les obstacles, les coups de stress mais également le bonheur de revenir à la maison, chez ses parents pour partager des fous-rires, des repas, montrer qu’elle devenait adulte. Et puis, les liens familiaux se distendent un peu. Jusqu’à l’annonce de la maladie, d’abord minimisée avant d’être suivi du verdict brut et douloureux. Comment se comporter, que faire ? Elle revient près de ses parents. L’envie de ne pas perdre un instant malgré la lourde pathologie est primordial.

« Je ne soupçonnais même pas l’effort colossal qu’il lui fallait mobiliser pour simplement se lever. »

Petit à petit, elle a réalisé que la cuisine pouvait la rapprocher de celle trop tôt disparue, lui redonner un équilibre. À l’hôpital, elle lui apportait des mets (dont certains comme le jatjuk « spécial malades »). C’était une façon d’établir un « pont » entre elles, de trouver une « culture » commune.  Quand elle prépare un doenjang jjigae (sorte de ragout), elle connaît les ingrédients de base parce qu’elle a beaucoup observé. De nombreux plats sont évoqués dans ce récit (l’éditeur aurait pu proposer un petit recueil de recettes en supplément), ils sont tous liés à des moments particuliers de la vie de l’auteur, elle les partage avec beaucoup de délicatesse.

Est-ce que la mort de sa mère, lui a donné le sentiment qu’elle perdait une partie d’elle-même, qu’elle ne savait pas tout de ses origines ? Prendre des cours de cuisine coréenne est-ce un moyen de s’approprier ses racines ? Sans aucun doute, comme le fait que l’auteur vient de s’installer en Corée pour apprendre la langue.

J’ai beaucoup aimé ce livre, Il n’est pas larmoyant malgré le sujet, il est empli d’amour et peut faire écho à notre propre histoire. Il est écrit dans un style fin et agréable (merci à la traductrice !) et c’est très émouvant car l’auteur se confie à nous en toute confiance.



"Les armes de la lumière" de Ken Follett (The Armour of Light)

 

Les armes de la lumière (The Armour of Light)
Auteur : Ken Follett
Traduit de l’anglais par Odile Demange, Valentine Leÿs, Christel Gaillard-Paris, Renaud Morin
Éditions : Robert Laffont (5 Octobre 2023)
ISBN : 978-2221157718
802 pages

Quatrième de couverture

En cette fin de XVIIIe siècle, l'Angleterre est dirigée par un gouvernement conservateur qui réprime toute tentative de révolte. De l'autre côté de la Manche, Napoléon Bonaparte accroît inexorablement son pouvoir. Alors que la guerre est aux portes de l'Europe, la vie des habitants de Kingsbridge est sur le point de basculer.

Mon avis

Ce roman est le dernier de la saga Kingsbridge, commencée avec « Les piliers de la Terre ». Mais, comme les autres, il peut se lire indépendamment.

Ken Follett est un excellent conteur. Il embarque le lecteur, la lectrice, dans ses livres où tout est soigneusement dosé et mis en place. Un riche contexte historique parfaitement documenté, des personnages attachants aux destins difficiles mais portés par une volonté de s’en sortir, de l’amour légitime ou pas, des bons et des méchants, terriblement humains avec leur part d’ombre parfois.

« Toutes les vies, observées de près, sont comme une mosaïque­­­ – à l’exception de celles des saints. »

Dans ce récit, de 1792 à 1823, on assiste à la révolution industrielle. On découvre les tisserands, les fileuses, les machines (et l’auteur explique bien le fonctionnement) qui vont plus vite que les hommes et ceux qui se battent pour garder leur travail. La mécanisation est-elle un ennemi ou y-a-t-il moyen d’avoir encore du boulot malgré tout ? Certains sont suspicieux et baissent les bras, d’autres essaient de trouver des solutions. Le gouvernement ne fait rien pour aider les ouvriers, le prix du pain augmente, la révolte gronde, la guerre (avec Napoléon) n’est pas loin.

L’écriture (pas moins de quatre traducteurs/trices pour ce grand monsieur) est addictive, fluide, plaisante. Tout est très visuel, on imagine sans peine les lieux, les scènes. Les dialogues sont vivants.

En ce qui concerne les personnages, ils sont suffisamment décrits tant au niveau physique que psychologique pour qu’on les cerne. Mais l’auteur n’en fait pas trop, ce n’est jamais lourd. J’ai beaucoup aimé les femmes de cette histoire, pour la plupart, elles ont du tempérament ! Sal est formidable mais en raison de sa volonté de créer l’école du dimanche, c’est Elsie qui a été ma préférée.

« Vois-tu, mon enfant, il n’est pas bon que les classes laborieuses apprennent à lire et à écrire. Les livres et les journaux leur farcissent la tête d’idées qu’ils ne comprennent qu’à demi, ce qui les incite à ne plus se satisfaire du rôle que Dieu leur a assigné dans l’existence. Ces gens-là se mettent à cultiver d’absurdes idées d’égalité et de démocratie. »

Ce discours, elle n’en aura cure et elle maintiendra son projet malgré tous les obstacles. Quelle belle personne !

Aucun temps mort, juste un petit coup de mou, vers les deux tiers du texte, parce que j’avais envie de savoir la suite et qu’on restait un peu trop sur les champs de bataille à mon goût. Encore une belle réussite !

"Un fantôme dans la gorge" de Doireann Ní Ghríofa (A Ghost in the Throat)

 

Un fantôme dans la gorge (A Ghost in the Throat)
Auteur : Doireann Ní Ghríofa
Traduit de l’anglais (Irlande) par Élisabeth Peellaert
Éditions : Globe (4 Avril 2024)
ISBN : 978-2383612308
370 pages

Quatrième de couverture

C’est l’histoire d’une femme qui passe sa vie dans les couches et le lait en tâchant de maintenir l’équilibre précaire d’une famille de la classe ouvrière dans l’Irlande d’aujourd’hui. Malgré la charge mentale et l’épuisement, elle s’épanouit dans la maternité et le dévouement total à sa condition de mère. Mais quand son quatrième enfant manque de mourir à la naissance, elle perd pied. Elle trouve alors du réconfort dans la lecture du célèbre « Caoineadh », un poème irlandais datant du XVIIIe siècle.

Mon avis

Je l’ai écrit plusieurs fois mais je le redis. J’ai « rencontré » « Liberté » de Paul Éluard sur mon livre de lecture à l’âge de dix ans. La poésie était entrée dans ma vie. Pour la narratrice de ce roman, c’est le poème « Caoineadh », rédigé par Eibhlín Dubh Ní Chonaill qui l’a bouleversée. Il date du XVIIIe siècle. Elle aussi l’a connu alors qu’elle était écolière.

« Sa voix engendre un écho si puissant qu’il parvient très loin, jusqu’à une petite fille aux cheveux noirs et aux ongles rongés. Moi. »

« Ceci est un texte féminin », dès les premiers mots, le ton est donné. C’est une femme, une mère, qui s’exprime. Elle ne cache rien de son mal-être, de ses difficultés. Elle a quatre jeunes enfants dont la petite dernière qu’elle allaite. Ses journées sont rythmées par ce qu’elle écrit sur ses listes : école, lessive, laver les toilettes, poubelle, tire-lait (elle donne son lait pour d’autres bébés) etc… Elle se noie dans ses tâches, mais jamais elle ne se plaint de surmenage.

« On éprouve un singulier contentement à s’absenter ainsi de son être, à le subsumer aux besoins des autres : c’est d’un tel effacement que, pour moi, naît la joie. »

En parallèle de ses activités, elle décortique «Caoineadh » qui parle d’une femme et de son amour pour son époux, décédé alors qu’elle était enceinte. C’est ce qui « la tient debout ». Ce texte a d’abord traversé le temps oralement avant d’être plus connu par écrit. Il y a peu d’informations sur son auteur et elle veut en savoir plus sur elle. Alors, au milieu des couches, des gamins, du quotidien parfois éprouvant, la mère de famille reprend les feuilles défraichies où se trouve Caoineadh. Elle le relit, elle le répète, et la voix de celle qui a écrit envahit sa gorge, comme un fantôme très présent. Dans la solitude de ses journées, cette voix, cette espèce d’échange lui fait du bien.

À travers ce récit d’un lyrisme lumineux, une comparaison est établie entre ces deux épouses, devenues mères. Leurs vies se tissent, s’entrecroisent à plusieurs siècles de distance. Doireann Ní Ghríofa fait des recherches pour mieux connaître Eibhlín Dubh Ní Chonaill. Il y a des lacunes, des trous dans son passé. Elle se rend sur les lieux où cette dernière a vécu, elle veut comprendre qui elle a été. C’est comme une obsession de tout cerner.

À travers cette quête, c’est une meilleure perception d’elle-même qu’elle a aussi. Elle raconte son quotidien, ce qui la porte, ce qui est plus délicat à gérer. Elle se met vraiment à nu, se confiant en toute simplicité, sans fard, sans limite penseront peut-être certains.

L’écriture est très riche, merci à la traductrice qui a sans doute choisi un vocabulaire de qualité pour que ce livre ne perde rien de sa force. On sent toute la volonté de l’auteur de réussir ses recherches. Lorsqu’elle n’a plus de piste, elle contourne, repart dans une autre direction, aborde le peu qu’elle sait sous un autre angle pour relier les bribes découvertes. Elle écrit où elle peut, quand elle peut, entre deux biberons, pendant la sieste des petits, elle irait jusqu’à s’excuser, comme si elle n’était pas légitime mais elle pose sur le papier son ressenti et le lien unique qu’elle a avec cette femme et son hommage à Art, son mari décédé.

Chaque chapitre commence par un extrait du poème qu’on aura en entier à la fin. Car le fil conducteur, le fil porteur, c’est bien lui, extrait du passé, offert dans le présent, vibrant d’amour «Caoineadh ».


"Trois fois la mort de Samuel Ka" de Jean-Marc Fontaine

 

Trois fois la mort de Samuel Ka
Auteur : Jean-Marc Fontaine
Éditions : Globe (2 Mai 2024)
ISBN : 978-2383612902
260 pages

Quatrième de couverture

Juin 2023, des émeutes éclatent à Marseille suite à la mort du jeune Nahel à Nanterre. Antoine se remémore l’époque où il travaillait aux Boqueteaux, une cité entre Aubervilliers et Pantin. En janvier 2012, un braquage y a entraîné une descente de police, puis des affrontements et des nuits d’émeutes jusqu’à la mort d’un homme, Samuel Ka. Il était armé d’un fusil à pompe, il meurt sous les balles d’un policier : de la légitime défense aux yeux de la justice. Affaire classée. Même dans le quartier, on a du mal à pleurer celui qui gérait ses trafics d’une main de fer. Pourtant, tous sont marqués par cette nuit-là. Et chacun nourrit sa propre version des faits.

Mon avis

« Résistante ? On va retirer la majuscule et dire « résistante » avec un petit r. Résistante au quotidien. Aux forces armées de la quotidienneté. À l’occupation par l’état des choses. À l’état de fait. À l’état de fait des choses comme elles sont. »

À Nanterre, en ces jours de Mai 2024, une reconstitution est faite pour comprendre la mort du jeune Nahel. Pourquoi un motard de la police a-t-il tiré sur lui ? Était-il en danger de mort ? Face aux déclarations contradictoires, qui croire ?

À Marseille, en Juin 2023, certains quartiers sont à feu et à sang. Antoine se souvient des Boqueteaux, une cité près de Paris. Un vol avec violence dans une bijouterie commis par trois jeunes avait eu de fâcheuses conséquences. Descentes de police, mutineries, insurrection. Et puis la mort de Samuel. Légitime défense vu qu’il avait dans les mains un fusil à pompe. On passe à autre chose, rien à justifier, à expliquer, d’autant plus que le mort n’avait pas bonne réputation.

Mais Jean-Marc Fontaine décide d’aller plus loin pour comprendre, analyser, disséquer. Comment peut-on en arriver là ? Par l’intermédiaire du personnage d’Antoine, il présente plusieurs points de vue sans jamais juger, en restant observateur et en écoutant ceux qui s’expriment. Chacun son ressenti, son approche. Pour une même situation, les interprétations peuvent être nombreuses et très différentes les unes des autres.

Quand il y a une révolte, il y a obligatoirement une cause, un catalyseur, des conséquences. Un policier fait partie d’une « famille » avec ses collègues. Ils ont été formés à une certaine « vision » des « incidents », ça fait partie de leur « job ». Un mort ça fait désordre, il faut calmer tout ça. La solution ? Surveiller, réprimer si besoin, étouffer, gérer. Mais en face, les jeunes sont mal à l’aise.

« En plus, ça ne leur suffisait pas d’avoir tué Samuel. On aurait dit que c’était nous aussi qu’ils voulaient tuer, nous tous. Tous ceux de la cité. Peut-être pas tuer au sens légal du terme -médecin légiste et tout ça. Tuer dans nos têtes. »

Les jeunes ne comprennent pas ce « flicage », ils ont l’impression de ne pas être libres, d’être en permanence « espionnés », comme s’ils étaient sans cesse coupables de dérives.

Deux clans ? Les ados des cités et les flics ? Il y a également les parents, les éducateurs, les journalistes, Antoine le sociologue. Est-ce qu’on peut éviter ces drames, ces altercations ? L’auteur s’interroge, et nous renvoie ses questions.

Son propos est fin, très juste. Son écriture pointue, précise, au scalpel avec des phrases courtes fait mouche. Il va droit au but, sans concession. Depuis longtemps, impliqué dans les luttes politiques et sociales, il sait de quoi il parle. Il a le regard intelligent de celui qui prend du recul, qui ne laisse pas ses émotions l’envahir pour décrire ces banlieues où tout peut être vécu : le meilleur comme le pire.

Cette lecture a été édifiante, j’ai vraiment eu l’impression d’être au cœur des événements, d’être au plus près de ces hommes et femmes qui vivent la violence de près ou de loin, qui, officiellement, souhaitent tous la paix mais en oubliant parfois de discuter, de dialoguer afin de cerner les solutions les plus appropriées, celles où l’écoute, la confiance, le dialogue prendront le pas sur la haine et la brutalité …


"Et ils revêtirent leurs fourrures d’aiguilles" de Zuzana Říhová (Cestou špendlíků nebo jehel)

 

Et ils revêtirent leurs fourrures d’aiguilles (Cestou špendlíků nebo jehel)
Auteur : Zuzana Říhová
Traduit du tchèque par Benoît Meunier
Éditions ‏ : ‎ Seuil (29 Mars 2024)
ISBN : 978-2021518818
338 pages

Quatrième de couverture

Bohumil, Bohumila et leur fils ont quitté Prague pour sauver leur couple. Mais les habitants du village reculé où ils ont choisi de s’installer ne leur font pas bon accueil. Les regards en biais, les mensonges et les coutumes obscures trahissent une hostilité persistante. Chaque nuit, dans les bois épais qui entourent la maison où vit la famille praguoise, une présence rôde. Est-ce un loup ? Un des villageois ? Un jeu macabre se met en place dans la moiteur étouffante de l’été. Puis, lors d’une fête arrosée, tout va basculer.

Mon avis

Un couple quitte Prague avec leur fils pour s’installer à la campagne. Une façon pour eux de redémarrer, de donner un nouvel élan à leur union. Leur garçon (qui ne sera jamais nommé) souffre d’une déficience légère. Il aime les histoires de loup, les contes. Il les « revisite » à sa manière, découpe, colle, dessine, trace …. Leur maison, près d’un village, est isolée, mal placée, et semble habitée par un sombre passé.

Dès le début, on sent poindre une forme de méfiance, voire d’hostilité, de la part des villageois. Ils ne semblent pas franchement honnêtes, droits dans leurs baskets, ni heureux de voir arriver des « étrangers ». On sent tout de suite que rien ne sera facile pour Bohumil et Bohumila. Déjà que c’est compliqué entre eux et avec leur gosse, si l’environnement n’aide pas et devient presque hostile, arriveront-ils à s’en sortir, à inverser le cours des événements ? On le comprend à demi-mots, tous, dans ce coin perdu, se surveillent, et regardent dans le même sens seulement lorsqu’il s’agit de « zieuter » ces deux nouveaux qui ont débarqué avec un gamin bizarre.

Ce roman est une expérience de lecture singulière, totalement atypique. De temps en temps, des extraits de contes, de chants, de comptines nous emmènent dans un univers onirique parallèle, mais lié au récit par des métaphores, elles-mêmes rattachées aux faits décrits.

« Mais, même ici, la sueur leur sourd des oreilles pour disparaître comme un lézard effrayé derrière les cols sales de leurs chemises. »

On oscille entre réalité déformée et chimères plus ou moins stressantes. C’est presqu’indescriptible mais tellement bien pensé ! L’écriture est précise, les mots choisis (et ça là qu’on réalise l’importance d’un excellent traducteur, merci à Benoît Meunier !) pour exprimer toute une palette d’émotions, de ressentis. L’horreur peut côtoyer le beau ou le partage mais dans quel monde est-on ? Celui où les gens sont réellement ce qu’ils montrent ou un autre où ils se jouent des autres comme dans un livre d’enfant ?

Nombreux sont ceux qui ont tremblé en lisant Perrault, puis à l’âge adulte, des thrillers pour se faire peur et se rassurer en même temps. Les deux parents sont au milieu d’une de ces aventures. Dans ce texte, une ironie mordante peut succéder à une douceur déroutante. Il faut accepter d’être un peu bousculé par cet écrit où le rationnel n’existe pas, où, malgré tout, on se prend à espérer que les gens de la ville de Prague retrouvent un équilibre, un quotidien apaisé alors qu’on sait dès le départ que leurs chances sont infimes, quasi inexistantes.

La couverture nous met déjà dans une atmosphère particulière. On ne peut pas ignorer qu’on va rentrer dans une « autre dimension ». Zuzana Říhová a un style indéfinissable, ça gratte, ça pique, comme le décor décrit, ça dérange, ça interroge mais c’est inoubliable.

J’ai forcément pensé à la phrase : « L’homme est un loup pour l’homme ». Bohumil et Bohumila ne s’aiment plus, alors ont-ils besoin de souffrir pour ressentir quelque chose et se sentir vivants ?

C’est une lecture exigeante, peu ordinaire mais je ne regrette en rien ma découverte !


"Terre, mange tes morts" de Pascal Alliot

 

Terre, mange tes morts
Auteur : Pascal Alliot
Éditions : Dehache (2 Février 2024)
ISBN : 978-2382310328
230 pages

Quatrième de couverture

" Ce village ne possède ni nom ni toponyme hormis celui de la terre reculée ".
Celui de la dernière chance lui siérait à ravir également. Tant ceux et celles qui s’y réfugient viennent expier leurs enfers privés et s’abandonner aux méandres des paroles sacrées. Plonger dans les abîmes et ne pas remonter. Découvrir les tréfonds d’une génération perdue, laminée, détruite par sa propre candeur et modernité futile. Et donc se trouver accolé à ce bout de terre pour le restant de ses jours et oublier.

Mon avis

Ce roman est un thriller glaçant et noir à l’atmosphère violente (âme sensible s’abstenir) où l’on voit beaucoup de mauvais côtés des hommes, leurs esprits tourmentés, torturés les poussant à commettre l’irréparable.

On découvre une communauté bien particulière, celle des missionnaires désabusés. Des personnes qui se sont regroupées pour racheter leurs fautes ou leur mauvais comportement. Ils vivent coupés de tout dans un lieu paumé au milieu de la lande, sous l’influence d’un gourou qui leur dicte leur conduite.

Pas très loin de ce lieu atypique, une scène insoutenable de mise à mort est découverte. L’auteur en fait une description qui noue les tripes. C’est Sophie Debreuil, capitaine de police depuis peu dans le métier, qui récupère l’enquête. Elle a un parcours hors du commun, on le découvre au fil du récit par petites touches. Ça la rend plutôt attachante de mieux la connaître, rien n’a été vraiment simple pour elle. Elle prend cette affaire avec une grande énergie, prête à s’investir corps et âme, peut-être trop d’ailleurs…

Elle est dans l’obligation de collaborer avec des militaires. Pas facile car ils ne parlent que très peu. Chez eux, c’est la « grande muette » et on évite d’en dire trop, tout reste « en famille ». Il est nécessaire de trouver un terrain d’entente, de s’écouter, voire de collaborer… Attention aux égos et aux susceptibilités.

Pour Sophie et son équipe, les investigations sont douloureuses, ils touchent du doigt la noirceur de l’âme humaine, l’horreur de certains sacrifices. Malgré les visions cauchemardesques, ils doivent avancer et tout faire pour que tout ça cesse, que la confiance et le calme reviennent.

Les faits ne sont pas linéaires, on part, on revient, on plonge dans les méandres du mal. C’est une construction qui correspond bien au contenu. L’écriture est adaptée aux différents propos, à ce qui est présenté. L’auteur me semble plus à l’aise lorsqu’il décrit des scènes obscures, des pensées ésotériques et lorsqu’il exploite les idées d’un esprit pervers. Quand il parle du suivi des recherches, il y a plus de petites répétitions, comme s’il prenait moins de plaisir à rédiger ce genre de paragraphes. Mais je suis persuadée que ça s’affinera dans ses prochains titres.

Ce livre se démarque par l’univers évoqué, son agencement et le style de Pascal Alliot.


"La robe du jaguar" de Valérie Fayolle

 

La robe du jaguar
Auteur : Valérie Fayolle
Éditions : Récamier (2 Mai 2024)
ISBN : 978-2385771263
258 pages

Quatrième de couverture

Rose Dessables mène la vie dont elle a toujours rêvé. Celle d'une femme épanouie, d'une mère comblée et d'une artiste en devenir. Mais alors que tout semble lui sourire, elle décide de partir sur un coup de tête au Pérou, prétextant un film documentaire sur les chamans. Les échanges de Rose avec les siens ainsi que les fragments de son journal intime permettent de prendre la mesure des événements qui vont se dérouler entre le 12 mai et le 30 juin.

Mon avis

Rose a quitté le père de ses enfants, elle est maintenant en couple avec un homme plus jeune et a chanté avec lui un titre qu’elle a écrit. Elle a deux grands enfants. Son fils vit aux Etats-Unis et sa fille est installée avec elle.

Un jour, sa fille trouve un mot sur la table. Sa mère est partie au Pérou pour réaliser un documentaire sur les chamans et les peuplades méconnues. À l’aéroport, elle a acheté un carnet dans lequel elle a l’intention de consigner ses impressions. Elle a également son téléphone mais a décidé de ne pas répondre aux appels. Elle communiquera par mail.

Dans ce livre, on découvre les échanges de correspondances informatiques avec ses enfants, son ex-mari, son amant et des extraits de son journal intime.

J’ai toujours eu un faible pour les romans épistolaires. Je pense que dans ces cas-là, l’écriture peut être plus forte que les paroles. Se poser pour rédiger une lettre ou un mail, c’est prendre le temps, choisir les mots, les tournures de phrases car une fois envoyés les courriers ne peuvent pas être rattrapés, difficile à effacer !

Face à l’affolement de ceux qui l’aiment, Rose fait tout pour être rassurante, en édulcorant ce qu’elle vit vraiment. Car perdue en pleine forêt amazonienne, accueillie par des personnes dont elle ne sait rien, qui lui font boire des décoctions bizarres, elle ne se sent pas vraiment épanouie, ni heureuse dans cet univers.

« Je suis ici en pèlerinage, pour regarder à l'intérieur de moi. » écrit-elle. Et on s’interroge ? Son reportage lui sert-il d’excuse pour faire le point sur sa vie ? Pourquoi ne l’a-t-elle pas dit ? Que cache-t-elle ? On chemine à ses côtés, on essaie de lire entre les lignes. On apprend à connaître Rose, les inconnus de la forêt, sa famille, son chéri. Chacun évolue au fil des discussions à distance. Il faut accepter, comprendre, « écouter », ne pas juger, avoir la bonne attitude, ne pas être trop intrusif ou à l’inverse trop loin …

Le voyage de Rose est édifiant pour elle mais aussi pour nous. On s’attache au peuple qu’elle décrit, elle transmet l’amour des lieux présentés, leur puissance, leur force. On sait qu’il faut préserver les ethnies, leurs modes de vie, leurs croyances et l’auteur nous le rappelle par le biais de son récit. Et on se dit : Qu’est-ce qu’on fait pour eux ?

L’écriture de Valérie Fayolle est très belle. Dans les messages électroniques, elle adapte son phrasé à celui ou celle qui s’exprime. Petit à petit, les caractères apparaissent, chacun lève le voile et la confiance est là.

Rose paraît assez irresponsable au départ, un peu fantasque, imprévisible, et il sera nécessaire d’avancer avec elle pour cerner qui elle est réellement et réaliser que ce choix de s’enfuir n’était pas anodin.

J’ai beaucoup aimé cette lecture. La couverture est belle et le titre en lien avec le vécu de Rose au Pérou. L’alternance entre les mails et le contenu du carnet personnel donne du rythme et évite toute lassitude. Les sentiments des uns et des autres sont décrits avec finesse, sensibilité, le style est vraiment délicat, posé.

C’est une magnifique histoire emplie d’émotion et un beau portrait de femme !

"Bigoudis et petites enquêtes - Tome 5 : Panique au festival du livre" de Naëlle Charles

 

Bigoudis et petites enquêtes - Tome 5 : Panique au festival du livre
Auteur : Naëlle Charles
Éditions : L’Archipoche (2 Mai 2024)
ISBN : 979-1039205108
546 pages

Quatrième de couverture

Une nouvelle enquête s'annonce pour Léopoldine Courtecuisse, la coiffeuse de Wahlbourg. Cette fois, c'est sa sœur cadette qui est dans le viseur de la justice. Elle va mener l'enquête avec Quentin Delval, son lieutenant préféré, dessaisi officiellement de l'affaire. Ils vont devoir résoudre ce crime en secret au milieu du festival du livre de la ville.

Mon avis

Cinquième aventure de ma coiffeuse préférée ! Retrouver Léopoldine Courtecuisse, c’est comme retrouver une bonne copine. On galère ensemble, on s’énerve, on rit, on râle, on s’écoute….

C’est une histoire indépendante mais il est plus intéressant de lire dans l’ordre pour voir l’évolution des personnages et de leurs relations. Si toutefois, vous commencez par ce tome, pas de panique. Dans les premières pages, les principaux protagonistes sont présentés, avec les informations à connaître sur eux.

Pour ceux et celles qui auraient oublié et qui débuteraient par ce livre, l’essentiel à savoir c’est que Léopoldine (Léo) vit seule avec ses deux adolescents (son mari l’a quittée pour s’installer avec sa sœur). Elle a aidé plusieurs fois le lieutenant Quentin Delval pour résoudre des enquêtes. Comme elle a un salon de coiffure avec sa meilleure amie, elle entend beaucoup de choses. En plus, elle est futée et a un excellent esprit d’observation et de déduction.

Cette fois-ci, sa mère a décidé d’organiser un salon du livre avec des auteurs connus, des animations, des conférences. Le temps presse et toute la famille est mobilisée. Le comité d’organisation se réunit régulièrement et des tensions commencent à exister. Ah les égos féminins ! Constance, la jeune sœur de Léo se « branche » avec une personne du groupe qui, quelque temps plus tard, est retrouvée morte. Bien entendu, Constance est placée en garde à vue. Il va falloir prouver qu’elle n’est pas coupable. Mais Quentin, trop proche de la famille Courtecuisse est dessaisi de l’affaire au profit de la police dont l’équipe vient s’installer dans sa gendarmerie, prenant les bureaux d’assaut. Il n’est pas enchanté et la collaboration ne sera pas fluide….

Ce récit nous montre les différences d’approche et de méthode de travail des deux groupes d’enquêteurs. Quentin et ses collègues décident de mener des investigations en toute discrétion, aidés de Léo et de ses enfants.

L’auteur aborde également les problématiques liées à l’écriture d’un roman. Les difficultés face à la page blanche et pour se faire connaître. La place des blogueurs, des réseaux sociaux qui influencent les futurs lecteurs, parfois sans avoir vraiment lus le recueil. C’est très intéressant parce qu’incontestablement bien « vu » et réaliste. Naëlle Charles sait de quoi elle parle !

Son écriture est enjouée, elle manie tous les langages et c’est extrêmement drôle lorsqu’elle donne la parole à son fils, d’autant plus qu’il n’a pas la langue dans sa poche et ses réparties sont hilarantes ! Il y a aussi quelques comiques de situation dans les situations amoureuses ou autres.

On alterne les chapitres entre Quentin et Léo qui prennent la parole et posent leur regard sur les événements et leurs ressentis. Ils sont souvent en train de se surveiller discrètement alors qu’ils répètent sans cesse que chacun fait ce qu’il veut. Léo est attachante, au fil des tomes, son lien avec sa frangine s’apaise et c’est une bonne chose.

J’aime beaucoup lire « Bigoudis et petites enquêtes », c’est plaisant, détendant et pas stupide du tout ! On se glisse dedans, une atmosphère faite de sourire, de bonne humeur et de surprise nous enveloppe et on est bien. C’est un moment de lecture sans prise de tête mais avec une intrigue « travaillée » où tout s’emboîte.

"De lumière, d'or et de plomb" d'Alexandre Cabot

 

De lumière, d’or et de plomb
Auteur : Alexandre Cabot
Éditions : Douro (1er Mai 2024)
ISBN : 9782384063444
184 pages

Quatrième de couverture

« De lumière, d’or et de plomb » est un roman d’initiation qui retrace la vie d’Antonin Courbet, depuis la fin de son enfance jusqu’à l’épilogue de ses études. Au fil des années, ce garçon surdoué connaît une irrésistible ascension vers la notoriété, avant d’être entraîné dans un decrescendo vers les désillusions. Une relation étroite se noue entre le héros du livre et le lecteur, qui est amené à réfléchir sur le désenchantement et les déceptions de la vie. « C’est en tirant ma révérence aux podiums et aux honneurs que j’ai réussi à me maintenir dans la course.

Mon avis

Ce recueil est le récit d’un jeune garçon, Antonin Courbet, que l’on voit grandir jusqu’à ce qu’il devienne un homme. C’est lui qui se raconte dans ce roman, à la première personne.

Enfant, curieux de tout, intéressé par les mathématiques, il s’est « cultivé » tout seul, apprenant (et comprenant) dans des livres d’excellent niveau (au-dessus de son âge). Plein d’ambition, d’envie, il a découvert et passé un concours alors qu’il n’avait que treize ans. Le début d’une vie où le besoin de reconnaissance a pris beaucoup de place. Jalousé par certains membres de la famille, Antonin a tenu bon, soutenu par ses parents admiratifs de sa réussite. Ces derniers se sont mis à souhaiter toujours plus. Plus de succès, plus de mentions, plus, plus… Un peu comme si tout cela allait leur apporter plus de pouvoir dans leur vie quotidienne …..

La pression était-elle trop forte ? Antonin, lui, sentait bien qu’il avait déjà fait le maximum, la flamme s’était éteinte, il n’avait plus foi en ses capacités, plus de « jus » … Mais quand tout le monde vous étiquette « intelligence exceptionnelle », vous ne pouvez pas décevoir. Alors il a continué et s’est heurté à de nombreux obstacles, est-ce qu’il allait s’écrouler ?

C’est avec une plume agréable, vive, qu’Alexandre Cabot porte une réflexion fine sur les relations humaines, parfois soumises au diktat du « paraître ». Antonin voit certaines personnes se détourner de lui parce que sa situation professionnelle n’est pas en adéquation avec la leur.  C’est la désillusion pour lui. Le quotient intellectuel ne mesure pas l’humanité et c’est bien dommage….

La personnalité du personnage principal est intéressante, il essaie de rester droit, de s’en sortir, de ne pas être déstabilisé par les pertes de repères, les remarques pas forcément sympathiques. Le regard des autres est parfois bien lourd….

L’histoire est très réaliste, tant dans le comportement des uns et des autres, que dans les relations d’Antonin avec ceux qu’il rencontre au fil des pages. J’ai eu beaucoup de plaisir à cette lecture à travers laquelle l’auteur nous rappelle la différence entre « réussir dans la vie » et « réussir sa vie ».