Un fantôme dans la gorge (A Ghost in the Throat)
Auteur : Doireann Ní Ghríofa
Traduit de l’anglais (Irlande) par Élisabeth Peellaert
Éditions : Globe (4 Avril 2024)
ISBN : 978-2383612308
370 pages
Quatrième de couverture
C’est l’histoire d’une femme qui
passe sa vie dans les couches et le lait en tâchant de maintenir l’équilibre
précaire d’une famille de la classe ouvrière dans l’Irlande d’aujourd’hui.
Malgré la charge mentale et l’épuisement, elle s’épanouit dans la maternité et
le dévouement total à sa condition de mère. Mais quand son quatrième enfant
manque de mourir à la naissance, elle perd pied. Elle trouve alors du réconfort
dans la lecture du célèbre « Caoineadh », un poème irlandais datant du XVIIIe siècle.
Mon avis
Je l’ai écrit plusieurs fois mais je le redis. J’ai
« rencontré » « Liberté » de Paul Éluard sur mon livre de
lecture à l’âge de dix ans. La poésie était entrée dans ma vie. Pour la
narratrice de ce roman, c’est le poème « Caoineadh », rédigé par Eibhlín Dubh Ní Chonaill qui l’a bouleversée. Il date
du XVIIIe siècle. Elle aussi l’a connu alors qu’elle était écolière.
« Sa voix engendre un écho si puissant qu’il
parvient très loin, jusqu’à une petite fille aux cheveux noirs et aux ongles
rongés. Moi. »
« Ceci est un texte féminin », dès les premiers mots,
le ton est donné. C’est une femme, une mère, qui s’exprime. Elle ne cache rien
de son mal-être, de ses difficultés. Elle a quatre jeunes enfants dont la
petite dernière qu’elle allaite. Ses journées sont rythmées par ce qu’elle
écrit sur ses listes : école, lessive, laver les toilettes, poubelle,
tire-lait (elle donne son lait pour d’autres bébés) etc… Elle se noie dans ses
tâches, mais jamais elle ne se plaint de surmenage.
« On éprouve un singulier contentement à s’absenter
ainsi de son être, à le subsumer aux besoins des autres : c’est d’un tel
effacement que, pour moi, naît la joie. »
En parallèle de ses activités, elle décortique «Caoineadh » qui parle d’une femme et de son
amour pour son époux, décédé alors qu’elle était enceinte. C’est ce qui « la
tient debout ». Ce texte a d’abord traversé le temps oralement avant d’être
plus connu par écrit. Il y a peu d’informations sur son auteur et elle veut en
savoir plus sur elle. Alors, au milieu des couches, des gamins, du quotidien
parfois éprouvant, la mère de famille reprend les feuilles défraichies où se
trouve Caoineadh. Elle le relit, elle le répète, et la voix de celle qui a
écrit envahit sa gorge, comme un fantôme très présent. Dans la solitude de ses
journées, cette voix, cette espèce d’échange lui fait du bien.
À travers ce récit d’un lyrisme lumineux, une comparaison
est établie entre ces deux épouses, devenues mères. Leurs vies se tissent,
s’entrecroisent à plusieurs siècles de distance. Doireann Ní Ghríofa fait des
recherches pour mieux connaître Eibhlín Dubh Ní Chonaill. Il y a des lacunes,
des trous dans son passé. Elle se rend sur les lieux où cette dernière a vécu,
elle veut comprendre qui elle a été. C’est comme une obsession de tout cerner.
À travers cette quête, c’est une meilleure perception
d’elle-même qu’elle a aussi. Elle raconte son quotidien, ce qui la porte, ce
qui est plus délicat à gérer. Elle se met vraiment à nu, se confiant en toute
simplicité, sans fard, sans limite penseront peut-être certains.
L’écriture est très riche, merci à la traductrice qui a sans
doute choisi un vocabulaire de qualité pour que ce livre ne perde rien de sa
force. On sent toute la volonté de l’auteur de réussir ses recherches. Lorsqu’elle
n’a plus de piste, elle contourne, repart dans une autre direction, aborde le
peu qu’elle sait sous un autre angle pour relier les bribes découvertes. Elle
écrit où elle peut, quand elle peut, entre deux biberons, pendant la sieste des
petits, elle irait jusqu’à s’excuser, comme si elle n’était pas légitime mais
elle pose sur le papier son ressenti et le lien unique qu’elle a avec cette
femme et son hommage à Art, son mari décédé.
Chaque chapitre commence par un extrait du poème qu’on aura
en entier à la fin. Car le fil conducteur, le fil porteur, c’est bien lui,
extrait du passé, offert dans le présent, vibrant d’amour «Caoineadh ».
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