"Vos entrailles à nos chiens" de Pascal Thiriet

 

Vos entrailles à nos chiens
Auteur : Pascal Thiriet
Éditions : Jigal (15 Septembre 2022)
ISBN : ‎978-2377221752
178 pages

Quatrième de couverture

Lydia de retour au village est accueillie par le maire, son oncle Bartolomé, qui s’est porté garant suite à la condamnation dont elle a fait l’objet. Zia, sa tante, soigne et propose ici des remèdes pour conjurer le mauvais sort… Andréa, un gamin mazzéru, s’endort, rêve qu’il part à la chasse et qu’au matin il ramène une bête dont la tête est celle de quelqu’un du village qui mourra dans l’année…

Mon avis

La Corse, son maquis, ses taiseux, ses silences, ses cris, ses animaux, ses habitants qui savent tout mais ne disent rien. Une atmosphère particulière sublimée par un phrasé au cordeau.

Lydia revient au village après une condamnation, elle ira chez « son oncle » (oui sur cette île, tout le monde est de la même famille) qui s’est porté garant. Elle est proche de Zia, une femme bizarre qui a des pouvoirs ou qui fait comme si. Et puis il y a Andréa, un jeune garçon avec un cœur d’homme trop grand pour lui. Il rêve beaucoup, et c’est perturbant car il ne sait plus (el lecteur itou) où est la limite entre la réalité et la rêverie. Il est proche de Lydia, parce que, sans aucun doute, comme lui, elle n’est pas vraiment de ce monde. Ils sont entre deux univers. Alors ils se retrouvent et se comprennent, l’adulte et le môme, presque comme deux amis. Et ils partagent, des choses qui ne s’expliquent pas car ils ont besoin de peu de mots, si peu pour échanger et être en phase…

Des hommes meurent mais personne n’a rien vu, encore moins entendu, pourtant les corps sont mis en scène d’une drôle de façon. Le juge qui est sur place observe, essaie de démêler tout ça mais n’avance pas…. Il faudrait peut-être que le merle, qui voit tout, raconte … mais rien à faire, il ne se confie pas…

J’ai aimé la place des femmes dans cette aventure. On peut les imaginer (nous sommes en Corse) silencieuses, vêtues de noir, disciplinées mais il n’en est rien. Elles vivent, animées par un feu qui brûle en elles …..

C’est avec une écriture minimaliste que Pascal Thiriet s’exprime. Cela peut sembler déstabilisant tant il faut imaginer ce qui est écrit entre les lignes, voire même entre les mots. Mais finalement c’est très bien. À chacun d’imaginer le récit, ce qui est suggéré, ou tout simplement insufflé par ce qui existe déjà. J’ai apprécié cette espèce de dépouillement qui oblige l’auteur à choisir chaque mot avec précision, car comme ils sont peu nombreux, ils doivent être forts pour transmettre beaucoup. Et cela incite ceux qui lisent à se laisser porter vers d’autres ailleurs qu’ils devinent …

C’est un roman inclassable, noir, atypique, au style épuré, vif et empli de poésie, de nature et de vent ….. Il se glisse en vous et vous emmène sur d’autres sentes …..

"Le manuscrit" de Luc Fivet

 

Le manuscrit
Auteur : Luc Fivet
Éditions : IGB Éditions (26 octobre 2022)
ISBN : 978-2491770679
272 pages

Quatrième de couverture

Paul Miller est un jeune éditeur en pleine ascension. Rusé et sûr de lui, il a le don de repérer les auteurs à succès. Lors d’une soirée de lancement d’un futur bestseller, il croise une jeune femme énigmatique. Entièrement vêtue de noir, celle-ci lui remet une clé USB puis disparaît aussitôt. Intrigué, Miller prend connaissance du contenu de la clé. Il s’agit d’un roman intitulé Le Manuscrit, d’un certain Alexandre Mascaret. Cette lecture bouleverse Paul Miller : il sait qu’il tient un roman exceptionnel.

Mon avis

Avec son dernier roman, Luc Fivet nous plonge dans le monde de l’édition. À l’intérieur avec les attachés de presse, les comités de lecture qui sélectionnent les livres susceptibles de plaire, les éditeurs et les archives poussiéreuses. À l’extérieur, avec les écrivains qui espèrent être choisis, qui vivent par et pour l’écriture en étant parfois pas du tout compris…. Et au milieu de tout ça, l’ambiance que suscitent les remises des prix plus ou moins convoités, les salons à organiser….
C’est très bien décrit, analysé au niveau des sentiments, des ressentis, des émotions de chacun, notamment quand une personne cherche à se débarrasser d’un importun…. On s’aperçoit que tous les moyens sont bons !

Paul Miller travaille pour une maison d’éditions et sa situation est plutôt confortable. Il a du nez pour repérer ceux qui vont avoir du succès. Il est un peu trop sûr de lui et il ferait bien de ne pas trop se la jouer au risque de se casser la figure… On le sent très vite mais lui, ne s’en rend pas compte et comme le lecteur ne peut pas intervenir … Voilà qu’au cours d’une soirée, une jeune et belle femme lui remet une clé usb en lui conseillant de regarder rapidement son contenu.

Paul se penche aussitôt sur son ordinateur et découvre un livre exceptionnel dont il ne lit que les premières pages car il est dérangé. Il est persuadé d’avoir entre les mains « le » chef d’œuvre que toutes maisons d’éditions rêve de présenter au public. Malheureusement le manuscrit disparaît et Paul est catastrophé.

Il veut savoir qui a agi contre lui, et en même temps il recherche la jeune femme qu’il a croisée pour comprendre comment elle a eu la clé et surtout découvrir qui est l’auteur de ce (début puisqu’il n’ a pas tout lu) de texte prometteur…

C’est toute cette quête que nous allons suivre dans ce récit rythmé, agréable à suivre. Au départ, on s’attend à une histoire assez simple et puis, pas du tout ! Il y a des ramifications bien pensées avec des personnages, parfois ambigus, très intéressants. De plus, la tension monte au fil des pages, on sent que Paul Miller risque de perdre pied et on s’interroge sur son avenir…

Avec une écriture vive et enlevée, des pointes d’humour et une belle réflexion générale, Luc Fivet parle d’un microcosme qu’il connaît, il en démontre les forces et les faiblesses, les roueries, les jalousies, les accords…. On peut se demander s’il s’est beaucoup inspiré de son vécu ou pas, mais à chacun de se faire son opinion ….


"L’antre du diable" de Douglas Preston & Lincoln Child (Diablo Mesa)

 

L’antre du diable (Diablo Mesa)
Auteurs : Douglas Preston & Lincoln Child
Traduit de l’américain par Sebastian Danchin
Éditions : L’Archipel (17 Novembre 2022)
ISBN : 9782809845082
420 pages

Quatrième de couverture

La troisième enquête de Nora Kelly & Corrie Swanson. Brutalement licenciée de son poste d'archéologue en chef à l'Institut de Santa Fe, Nora Kelly rebondit de façon pour le moins surprenante en acceptant la proposition du milliardaire Lucas Tappan : effectuer des fouilles sur le site de Roswell, où un ovni se serait écrasé en 1947 !

Mon avis

C’est toujours agréable de retrouver des personnages qu’on apprécie. C’est le cas pour Nora Kelly et Corrie Swanson. La première est une excellente archéologue et la seconde est agent du FBI.  Elles ont en commun un caractère impétueux bien que Nora soit, globalement, un peu plus posée.  Corrie est plus un électron libre, avec une personnalité atypique mais au fil des livres, elle apprend à vivre avec les autres, et elle est plus intégrée.

Nora vient d’être licenciée de l’Institut archéologique de Santa Fe suite à un conflit avec ses supérieurs. Il faut dire qu’elle n’aime pas qu’on lui dise que faire …. Elle refuse donc de suivre un chantier de fouilles sur le site de Roswell où un OVNI se serait écrasé en 1947 (ce qui est un fait historique avéré entre parenthèses). Nora ne croit pas aux extra-terrestres et autres billevesées alors elle part en claquant la porte. Sur le parking, un homme l’aborde, c’est lui qui a proposé cette mission par l’intermédiaire de l’établissement. Il lui fait une offre : être directement sous contrat avec lui et pour une belle somme …  Il a, entre-temps, embauché Skip, le frère de Nora, qui est physicien. Elle décide donc de dire oui. Leur nouveau patron s’appelle Lucas Tappan. Il est milliardaire, responsable d’Icare Espace et s’intéresse à l’énergie verte. Il n’est peut-être pas si mal après tout, même s’il pense qu’un PAN (phénomènes aérospatiaux non identifiés) a atterri dans le désert.

Nora se retrouve sur le chantier de fouilles. C’est magnifiquement aménagé. Tappan a recruté les meilleurs dans tous les domaines : astronome, ingénieurs, etc…. Quand on a les moyens, on ne se refuse rien … C’est dans des conditions exceptionnelles que peuvent commencer les recherches …. Mais Nora met au jour deux cadavres ce qui n’était absolument pas prévu. D’où un appel au FBI et l’arrivée de Corrie avec qui elle a déjà collaboré ….

Rien ne se passe comme prévu finalement, et ce n’est que le début… C’est une nouvelle aventure pour les deux jeunes femmes et d’autres protagonistes qu’on connaît. C’est bien animé et intéressant. Au-delà des faits d’espionnage, de course poursuite (la dernière est peut-être un peu exagérée), d’individus louches jouant un double-jeu, l’approche scientifique m’a bien plu. Je n’avais jamais entendu parler du paradoxe de Fermi, du mystère de Roswell et cela m’a donné envie d’en savoir plus donc j’ai fait quelques recherches. J’aime bien les romans qui me donnent le souhait de vérifier ce qui est présenté pour aller plus loin que la fiction.

Simples et efficaces, l’écriture et le style des deux auteurs sont très vifs, visuels, prenants. Le fidèle traducteur, Sebastian Danchin, connaît les tics de langage de Preston et Child ce qui nous permet de retrouver un environnement familier tant dans la forme que le fond. Sans temps mort d’un lieu à l’autre, les événements s’enchaînent. On sent l’angoisse qui monte mais on n’a pas vraiment peur car on se doute que tout finira par s’arranger (c’est une des marques de fabrique de Preston et Child, rester positifs !).  Certains pourront reprocher une forme de manichéisme et un aspect psychologique peu creusé mais, de temps en temps, des lectures sans prise de tête ça fait du bien ! De plus, le rôle de l’armée interroge et on se demande ce qu’il en est réellement sur le terrain…

Un récit plaisant qui m’a permis de passer un bon moment !

"Les Trois Meurtres de William Drever" de John Wainwright (The Distaff Factor)

 

Les Trois Meurtres de William Drever (The Distaff Factor)
Auteur : John Wainwright
Traduit de l’anglais par Clément Baude
Éditions : Sonatine (13 octobre 2022)
ISBN : 978-2355849343
242 pages

Quatrième de couverture

William Drever, un comptable sans histoires, vient d'être condamné pour le meurtre de trois femmes. Après plus de vingt ans de mariage, son épouse Carol est sous le choc. William est coupable, cela ne fait de doute pour personne. Il s'est défendu sans conviction, il n'a pas fait appel. Pour sa famille, désormais, c'est comme s'il avait cessé d'exister. L'homme qu'ils ont connu n'est plus. Alors que Carol essaie tant bien que mal de reprendre une vie normale, une certaine Ruth Linley cherche à la contacter. Avec une nouvelle stupéfiante à propos de William. Qui va conduire les siens à reprendre l'enquête pas à pas, à la recherche des pièces manquantes.

Mon avis

Un couple sans histoire, deux enfants adolescents (Anne et Robert), une maison. Et puis, le procès du père qui a été arrêté pour les meurtres horribles de trois prostituées. L’horreur et la stupéfaction pour sa femme, ses parents, sa belle-sœur et sa sœur. Il a dit qu’il n’était pas coupable mais n’a rien fait pour se défendre… Que faire ? Chacun choisit d’aller de l’avant, de l’oublier…

Parce que finalement, ce qui dérange, c’est le fait que ça fasse désordre, le père qui a tué. Robert se demande s’il peut garder ses copains, avoir une amoureuse…. Les parents de l’assassin pensent que ça fait tache. Personne n’essaie de comprendre ce qui l’a poussé à agir ainsi. Non, surtout éviter les vagues et les éclaboussures, pas de répercussion si possible ….

Mais ce n’est pas si simple. Une visite peut tout bouleverser, voire remettre en cause les certitudes.
Et c’est ce qui arrive.

John Wainwright (1921-1995) nous présente un récit qui paraît lent, mais où tout est tellement décortiqué, analysé qu’il y a toujours à découvrir, à apprendre. On ne sait pas quelle est l’époque mais on peut envisager les années 60 ou 70. L’écriture est un peu à l’ancienne, comme la période évoquée mais j’y ai trouvé un certain charme.

Les protagonistes ne sont pas si lisses qu’ils en ont l’air. Le vernis craque pour certains et dessous, ce n’est pas joli, joli …. La force de ce roman c’est que l’auteur installe petit à petit le contexte, puis redéstructure tout en détricotant les caractères, les relations … Et on s’aperçoit que sous les apparences, rien n’est comme on l’imagine.

Malgré une atmosphère anglaise assez indolente, j’ai beaucoup apprécié cette histoire, son aspect psychologique et comment les différents éléments sont amenés.


"Le palais des mille vents - Tome 2 : Les nuits de Saint-Petersbourg" de Kate McAlistair

 

Le palais des mille vents - Tome 2 : Les nuits de Saint-Petersbourg
Auteur : Kate McAlistair
Éditions : L’Archipel (20 octobre 2022)
ISBN : 978-2809844634
418 pages

Quatrième de couverture

1848. John et Maura, jeune couple de scientifiques, sont à la recherche, près de Saint-Pétersbourg, d'une relique de grande valeur ayant appartenu à Gengis Khan. Le père de Maura, un officier irlandais, poursuit le même but. Celui-ci n'a jamais accepté que sa fille se marie avec un Anglais sans son consentement. Désireux de se débarrasser de son gendre, il le dénonce au tsar comme espion. John est contraint de fuir avec sa femme et leur fils nouveau-né alors que s'annonce une violente tempête de neige.

Mon avis

Pouvant être lu indépendamment du tome un, cette lecture a été pour moi un pur bonheur. Dépaysement garanti ! L’écriture très visuelle de l’auteur nous entraîne en Russie où l’on suit les personnages sur une dizaine d’années à partir de 1848. Le contexte historique est richement exploité (on sent que Kate McAlistair s’est bien renseignée), les traditions sont bien expliquées (notamment en termes d’héritage, de quotidien des riches et de leurs moujiks), la nature, la famille, la vie tout simplement ont une place extraordinaire dans ce roman. Le récit mêle habilement espionnage, aventure, amour, drame, secrets de famille, magouilles politiques, conflits de pouvoirs autour d’individus intéressants, dont la princesse Iéléna principalement attachante dans ses forces et ses faiblesses.

Dans une belle demeure, Iéléna et son mari, Vassili, vivent heureux. Elle vient de mettre au monde des jumeaux, deux beaux garçons : Viktor et Alekseï. Mais, peu de temps après la naissance, un des deux chérubins est retrouvé mort dans son berceau. La jeune mère sombre, entre folie et désespoir, plus rien ne la tient debout. Elle part avec son cheval, pour hurler sa douleur jusqu’à ne plus sentir sa voix, pour évacuer sa peine et l’horreur de cette absence qu’elle ne supporte pas. Lors de sa fuite, elle tombe sur une troïka accidentée où le cocher ainsi que le jeune couple qu’il transportait, ont été sauvagement assassinés. Dans les couvertures, un bébé épargné car les malfrats ne l’ont pas vu. Et si c’était un signe du ciel pense aussitôt Iéléna ? Elle ramène le tout petit dans son foyer, met son époux dans la confidence. Ce petit être va prendre la place de celui qui est parti trop tôt. Tous les moujiks, fidèles à ces deus amoureux qui les considèrent non pas comme des esclaves, mais bien des personnes à part entière, tous jurent qu’ils garderont le secret. Leurs maîtres sont des personnes exceptionnelles et ils entendent bien prouver leur fidélité en respectant ce pacte. Parmi eux Pavel et son fils Nicolaï qu’il élève seul depuis le décès de sa femme. Pavel qui donnerait sa vie pour ses maîtres. Son fils sera plus particulièrement destiné à accompagner les jumeaux, à grandir avec eux.

Mais qui est ce bambin qui fait irruption dans leur vie ? Il s’avère qu’il est l’enfant de ceux qui ont été tués. Puisqu’il a échappé au crime et qu’il est, semble-t-il, sans famille autant prendre soin de lui malgré ses origines anglaises comme le montrent des papiers officiels retrouvés dans le véhicule abandonné. Il vaut mieux que rien ne se sache, d’autant plus qu’à l’époque les relations sont plus que tendues entre la Russie et l’Angleterre (elles donneront lieu à la guerre de Crimée).

Est-ce que les jours vont continuer de s’écouler heureux ? Ce serait sans compter sur le frère de Vassili, d’une jalousie maladive et prêt à toutes les fourberies pour obtenir la moitié du domaine.

Cette histoire m’a enthousiasmée, on rentre immédiatement dedans (même sans avoir lu le tome précédent), on prend fait et cause pour la princesse, on veut qu’elle soit heureuse et on est révolté lorsqu’elle est malheureuse, on serre les poings ou on sourit avec elle. De plus, les paysages, les scènes sont magnifiquement décrits, je voudrais bien une série inspirée du palais des mille vents. Le vocabulaire est adapté avec quelques mots en russe, ce qui apporte une touche exotique. J’ai apprécié tout ce qui est présenté autour de l’élevage des barzoïs, là aussi, Kate McAlistair a dû se documenter. L’écriture et le style sont prenants, fluides, plaisants et surtout captivants. Il y a du rythme, c’est passionnant ! Je n’arrivais pas à me détacher du livre !

NB pour l’auteur : j’ai suivi votre conseil (page 161), je suis allée admirer une lezginka !

"Souviens-toi du Joola" de Patrice Auvray

 

Souviens-toi du Joola
Auteur : Patrice Auvray
Éditions : Globophile (20 Août 2012)
ISBN : 978-2953896428
260 pages

Quatrième de couverture

Ce récit est un serment fait aux victimes de la plus grande catastrophe maritime de tous les temps et à leurs familles, celui de ne jamais les oublier, de ne jamais oublier cette tragédie. Le voudrait-il, comment Patrice pourrait oublier la disparition de Corinne sa compagne ? Comment pourrait-il oublier cette nuit invraisemblable sur la coque retournée face aux pêcheurs qui attendent des militaires l’autorisation de récupérer les survivants ? Comment pourrait-il oublier les centaines de personnes prisonnières des entrailles du navire qui n’ont pas été secourues ?

Mon avis

Bouleversant

26 Septembre 2002, le ferry « Joola » entreprend un trajet habituel de treize heures, entre Dakar et la Casamance. Ce voyage, il le fait quatre fois par semaine, car la mer est plus sûre que les routes où se trouvent les rebelles. Patrice Auvray est sur le bateau avec Coco, Corinne, sa compagne. Elle a déjà voyagé par ce biais, pour lui, c’est une première. Ils ont réservé une cabine car elle souffre d’une crise de paludisme. Ils observent les passagers qui s’installent, nombreux, très nombreux, les militaires qui arrivent sans billet et qui montent eux aussi sur le transbordeur….

La traversée commence et puis vers 23 heures, le drame. A quarante kilomètres des côtes, c’est le naufrage, à force de pencher (ce qu’avait remarqué Patrice Auvray), le navire coule. Les secours n’arrivent pas, les canots de sauvetage ne sont pas opérationnels, beaucoup de manquements à la sécurité (bâtiment pas entretenu) … Patrick et Coco essaient de nager, de trouver de quoi s’accrocher pour flotter….

Il y avait quatre fois plus de passagers que ce qui était autorisé. Le gouvernement sénégalais a, dans un premier temps, pris une position de déni, en disant aux familles qui attendaient l’arrivée que tout allait bien. Les naufragés, eux, doutent, va-t-on les aider ? 1863 morts, 64 rescapés …. Ce n’est pas la mer qui a été mauvaise mais bien la gestion d’un moyen de transport qui a été catastrophique !

C’est pour que ce drame (avec plus de décès que Le Titanic) ne soit pas oublié que Patrice Auvray témoigne dans ce livre exceptionnel et remarquable. Il explique les faits, donne son ressenti, analyse, et transmet ce qu’il a découvert après (les commentaires sont alors en italiques). Lorsque vous lisez « on vend des billets tant qu’on nous en demande », il y a de quoi être révolté ! Il y a d’excellentes réflexions sur les relations avec l’Afrique et les habitants de ce pays. Patrice y habitait mais il restait un toubab. Les africains sont assez fatalistes, deux mondes opposés …

C’est un an après qu’il a commencé à rédiger son texte et il lui a fallu cinq longues années pour trouver un éditeur. Cela s’explique, il pointe du doigt la négligence du gouvernement sénégalais et c’est le genre de choses qui dérangent…. Mais il s’était juré que les victimes ne tomberaient pas dans l’oubli alors il a écrit. Il a eu un fort sentiment d’abandon, comme d’autres qui ont survécu, comme si les autorités voulaient minimiser, taire les faits ….

Ce récit n’est pas larmoyant, on ne se sent pas voyeur, on est vraiment au cœur des événements avec le recul que s’est imposé l’auteur pour une observation fine et intelligente. J’ai notamment trouvé très intéressant ce qu’il dissèque sur la solidarité. Faut-il vivre des horreurs ensemble pour se soutenir ? Et jusqu’où peut aller l’entraide ?

La gestion de cette tragédie a été honteuse, choquante, indigne, le manque d’humanité m’a noué le ventre. Pourquoi tant de silences, de refus de reconnaître la réalité ?

Je n’oublierai pas le Joola et je remercie l’auteur et l’éditeur d’avoir pris pour l’un et publié pour l’autre, la parole d’un survivant.


"Aimez-vous les uns les autres !" de James Holin

 

Aimez-vous les uns les autres !
Auteur : James Holin
Éditions du Caïman (13 Octobre 2022)
ISBN : 978-2493739032
342 pages

Quatrième de couverture

Il est six heures du matin quand la police défonce la porte du jeune Nolan Dardanus à Bobigny. Les policiers cherchent son frère impliqué dans un trafic de stups. Si le frangin a échappé au commissariat, il reste en mauvaise posture, séquestré par Nacer à qui il doit 10 000 euros. Nolan affranchi par le caïd a jusqu’à 22 heures pour apporter l’argent. Heureusement, il reçoit une lettre d’un notaire de Laon, l’invitant le jour même aux obsèques et à la succession d’un inconnu.

Mon avis

Nolan, lycéen, vient d’avoir dix-huit ans, il est guadeloupéen et vit en appartement, dans une cité à Bobigny avec son frère aîné et leur mère. Le frérot trafique un peu et c’est pour ça qu’un matin, la police défonce la porte, dans l’intention de l’arrêter. Sauf que le frangin, Fabrice, est aux abonnés absents. Nolan et sa mère sont un peu secoués mais les flics repartent bredouilles. Un peu plus tard, le cadet se fait coincer par Nacer et sa bande qui réclament 10000 euros pour rendre l’aîné qui a, selon eux, une dette à honorer.

Comme s’il pouvait trouver une telle somme …  La mère est inquiète de l’absence de son « grand ». Nolan, lui l’est encore plus car il a un marché en main, des caïds prêts à luis sauter sur le dos et pas un sou en poche. Mais voilà qu’une lettre va tout bouleverser. Un courrier d’un notaire, adressé à Nolan, qui lui demande de venir à des obsèques puis à la lecture d’une succession. C’est quoi ce truc de ouf se demande le jeune homme. Lui, ce qu’il veut, c’est aller au lycée. Mais sa Maman qui trouve les fins de mois difficiles se dit que peut-être, s’il acceptait d’aller à ce rendez-vous, il pourrait récupérer trois sous, voire un peu plus. Pourquoi aurait-il droit à quelque chose ? Vous avez envie de savoir ? Et bien foncez dans cette histoire et je vous donne ma parole que vous ne serez pas déçu !

Nolan se rend à la cérémonie funéraire et chez le notaire. Il va être confronté aux membres d’une famille atypique, à des situations inédites, embarqué dans une aventure digne des meilleurs films que l’on connaît, et comme c’est un garçon plein de bon sens, il agira avec intelligence.

Ce roman est une bouffée d’air frais, jubilatoire, plein d’ironie et avec des dialogues savoureux, drôles, des répliques qui n’ont rien à envier à Audiard. J’ai adoré ! La plume est enlevée, vive, sans temps mort, ça dérouille les zygomatiques, j’ai beaucoup ri ! Il y a du rythme, des scènes cultes qui feraient un bon téléfilm (je visualisais le rond-point avec les gilets jaunes et c’était jubilatoire).

Les personnages, hauts en couleur, et dont certains traits de caractère sont un peu (volontairement) caricaturés, sont un vrai régal. Leur comportement est une très bonne représentation des dérives de certains qui se croient « arrivés » (pour une raison ou une autre) et qui imaginent que tout leur est dû. L’attitude face aux employés de l’entreprise est, par exemple, une approche juste de ce qui peut être vu dans des cas semblables.

Nolan, par qui tout arrive et qui nous permet de rencontrer cette galerie de portraits, est vraiment quelqu’un de bien. L’antithèse des racailles de banlieue. Un jeune homme droit dans ses bottes, humain, à l’écoute, capable de prendre des initiatives, de réagir vite, sensé.

Tout se déroule en peu de temps et pourtant, il s’en passe des choses ! C’est totalement jouissif comme lecture, un tantinet décalé mais bien pensé, parfaitement enchaîné et sous des dehors humoristiques c’est une observation fine des rapports humains.


"Entretien avec Emmanuel Guibert" de Bettina Egger

 

Entretien avec Emmanuel Guibert
Auteur : Bettina Egger
Éditions : Jarjille ((25 janvier 2018)
ISBN : 978-2918658658
66 pages

Quatrième de couverture

L'atelier d'Emmanuel Guibert est un endroit mythique pour une interview de l'artiste. Une petite pièce étroite remplie de nombreux livres. Une grande table à dessin. Des bandes dessinées, des romans mais aussi une collection de ses propres ouvrages dans différentes langues. Dans un rayon, je crois voir beaucoup de carnets de croquis ..., c'est ainsi que commence le livre d'entretien de Bettina Egger qu'elle poursuit en bande dessinées où elle décode pour nous le travail de reportages dessinés réalisé par Emmanuel Guibert ...

Mon avis

Après avoir lu « Le photographe », livre auquel Emmanuel Guibert a contribué, il m’a été donné de découvrir ce recueil où il évoque notamment sa passion pour la bande dessinée.

Bettina Egger l’a rencontré, questionné, écouté. Elle s’est servie de ces conversations pour nous transmettre de nombreuses informations sur Emmanuel qui est tombé dans la BD quand il était tout petit.

« La bande dessinée m’a donné l’impression, petit, qu’elle m’attendait. La bande dessinée associe deux modes d’expression autonomes. L’écriture et le dessin. »

Il explique que pour dessiner, il se renseigne afin que ce qu’il représente soit le plus « juste » possible. Parfois, il fait le choix d’un croquis plus sommaire pour ne pas avoir, par exemple, à compter des boutons ;- )

Les illustrations de Bettina ne sont pas dans des cases et sont en noir et blanc, elles se suffisent à elles-mêmes et le texte assez important le plus souvent, apporte un complément. Pour autant, il n’est pas indigeste car les informations que l’on découvre sont captivantes.

Avec cet entretien, on passe un peu de l’autre côté du miroir. J’ai beaucoup apprécié qu’Emmanuel Guibert partage sa passion, qu’il donne des détails. On sent qu’il ne peut pas vivre sans son crayon.

J’ai été assez impressionnée par le fait qu’il reste ouvert, curieux de tout, prêt à de nouvelles rencontres et qu’il refuse de dessiner certaines choses car il ne se sent pas à l’aise. Cela prouve qu’il ne crayonne pas sans but mais bien pour transmettre et il le fait de belle manière.

Bettina a un beau coup de crayon, c’est vivant, expressif, agréable à consulter, à lire.



"Le bouquet empoisonné" de Daniel Veaux

 

Le bouquet empoisonné
Auteur : Daniel Veaux
Éditions au Pluriel (15 Novembre 2022)
ISBN : 978-2492598043
248 pages

Quatrième de couverture

La vie au bureau, à la maison... une routine pour Robert comme pour Alain ; et puis Françoise reçoit ce bouquet ! Des sentiments de jalousie, d’amour, de haine vont les faire basculer dans l’irréparable. Pourront-ils retrouver une vie paisible ? Ce roman se présente d’abord par une galerie de personnages à la vie monotone... puis il semble tourner à la comédie burlesque classique de trio amoureux avant de se transformer en un thriller machiavélique. Déroutant !

Mon avis

Dans la famille Ripolin, il y a le père : Robert, la mère : Jeanine et les deux enfants : Patrick et Muriel, respectivement quinze et seize ans. Rien d’extraordinaire dans leur vie bien réglée. Tous les dimanches, la messe, le repas pris dans la salle à manger et la balade en forêt pour sortir le chien et la grand-mère. Ajoutés à ça, quelques sorties avec des amis au restaurant, un séjour chez les grands-parents, le parrain ou la marraine. Une routine bien huilée, un quotidien calme sans fantaisie.

Robert travaille dans les assurances, il a une secrétaire personnelle, des collègues dont Alain avec qui il peut déjeuner, discuter. Bien lisse Robert ? Euh, chut, je vais vous confier quelque chose… Il a un jardin secret ! Dans les transports en commun, il semble lire le journal mais …. un magazine un peu (beaucoup) osé est glissé entre les pages ….. Vous me direz que cela reste virtuel, c’est toujours mieux que de tromper sa femme. Une revue, quelques rêves érotiques et Robert est satisfait. Les jours s’écoulent …

C’est bientôt la date de l’anniversaire de mariage du couple. La fidèle collaboratrice de Robert commande un bouquet, il ne traîne pas trop au bureau et rentre à la maison. Là, une belle surprise l’attend, Jeanine est affriolante, en petite tenue, c’est le feu d’artifice, bien mieux que dans tous ses rêves ! Mais…il y a un mais…Un livreur apporte un second bouquet avec une carte assez explicite…  Canular ou pas ? Le doute s’immisce dans l’esprit du mari et une fois que le ver est dans le fruit…

À partir de là, ce roman à l’allure tranquille dévie complètement. Robert est inquiet, puis sa peur augmente et il devient carrément paranoïaque. On le voit espionner son épouse, dériver au bureau, il ne sait plus où il en est. Il fait n’importe quoi, perd les pédales, s’enlise, se perd …. Sa femme ne supporte plus et leur amour en prend un coup … Que faire pour retrouver confiance ?

Ce récit se déroule quelques années en arrière et il a un petit quelque chose de délicieusement suranné. Le logement, les relations, la vie est un peu « à l’ancienne ». J’ai vraiment aimé cette atmosphère. Le bouquet surprise va empoisonner la vie de plusieurs personnes, déstabilisant cet équilibre soit-disant parfait, qui convenait à tous.

L’auteur, avec une belle plume, nous entraîne dans les méandres de son histoire, dans la tête de certains protagonistes qui jouent un double jeu pas très honnête. Ces personnages ambivalents sont un régal ! J’ai apprécié le «renversement » dû à quelques fleurs. J’ai pensé que peut-être, il y avait, en amont, une certaine fragilité entre les deux époux et que cette livraison était, finalement, le catalyseur.

Daniel Veaux, a également, décrit avec finesse, l’ambiance dans une société où les gens se côtoient tous les jours, font de bons semblants, s’observent, se jalousent, se détestent ou s’apprécient sans jamais dire réellement ce qu’ils pensent.

L’écriture de Daniel Veaux m’a charmée, son expression est fluide et son propos intéressant, on est au cœur des événements, il y a du rythme juste ce qu’il faut pour maintenir notre intérêt. Les relations humaines sont bien explorées et le final est surprenant.

Cette lecture a été très plaisante et c’est une belle découverte !


"Bêta-tueurs" de Cendrine Bertani

 

Bêta-tueurs
Auteur : Cendrine Bertani
Éditions : Bookelis (22 septembre 2022)
ISBN : 979-1035958886
310 pages

Quatrième de couverture

Lyon, 1er arrondissement. La PJ est envoyée sur les lieux d'un crime sanglant à la Croix Rousse. Pas de vol, pas de trace d'effraction... Juste un détail troublant découvert sur le corps de la victime. Que signifie cette mise en scène morbide ? Les policiers restent perplexes. Les meurtres s'enchaînent alors avec un modus operandi qui ressemble fort à celui d'un roman de la sélection de la rentrée littéraire. Bad buzz, pour son auteur, pressenti pour devenir la star des prochains Polars des Quais ? Et si la réalité était plus complexe qu'il n'y paraît ?

Mon avis

Premier polar pour Cendrine Bertani et il faut reconnaître qu’elle n’a pas choisi la facilité. Elle s’est attaquée à un projet ambitieux avec une mise en abyme d’un roman en construction dans le sien.

Avec ce procédé, on suit deux enquêtes (une réelle et une fictive) et on découvre pas mal de choses concernant l’écriture, les relations avec des bêta lecteurs, les libraires, les services presse, les salons…
Comme l’histoire se passe à Lyon (que connaît l’auteur et moi également), on visualise bien les lieux et quartiers qu’elle évoque. Elle parle même des « polars du quai », belle allusion aux quais du polar, manifestation lyonnaise d’envergure.

Au début, il m’a fallu être attentive pour repérer les différents personnages et la fiction à laquelle ils appartenaient. C’est probablement de ma faute dans la mesure où je lis plusieurs livres en même temps, j’aurais dû me consacrer uniquement à celui-ci. Pas grave, j’ai pris mes repères assez rapidement malgré tout. Mais, c’est une suggestion, une petite liste des principaux protagonistes en début d’ouvrage m’aurait bien aidée.

Dès les premières pages nous plongeons dans le sordide, un crime terrible, un homme assassiné, sans raison apparente. Qui a agi ? Pourquoi ? Les enquêteurs ont fort à faire et ne savent par quel bout prendre le peu d’éléments qu’ils ont en mains. Comment mener des investigations quand on ne sait rien ? Nous assistons à leurs tâtonnements, leurs échanges (parfois musclés), leurs déductions.

Tout l’art de ce récit est de nous balader en permanence. D’abord d’un texte à l’autre, ce qui implique une bonne concentration, puis dans chaque texte d’un individu à l’autre. Qui se cache derrière les noms, les pseudos, qui est qui ? Et surtout qui est honnête, qui triche ?
Ensuite, l’auteur nous balade en offrant des intrigues travaillées, des ramifications, et des individus au profil psychologique recherché.

Au départ, je me suis demandée comment les deux entrées allaient être reliées car, forcément, on se doute qu’il y aura quelque chose. C’est amené avec doigté mais peut-être que la conversation entre les deux copines (je ne dévoile rien, je ne dis pas qui, ni quand, ni où) est un peu expéditive et rapide, on ne sent pas vraiment de doute, ni de questionnement ….

Le style est percutant, l’écriture incisive, pas de temps mort. La principale thématique, dont je ne dirai rien, a déjà été abordée mais elle l’est sous un autre angle et c’est intéressant. Il y a des pointes d’humour pour alléger le propos, des sentiments amoureux qui se délitent ou pas pour donner de l’humanité aux individus, de nombreuses références…. On sent qu’il y a eu un sérieux travail de recherches pour aborder au mieux tous les sujets présentés. D’ailleurs, on pourrait penser que Cendrine Bertani a mis beaucoup (trop ?) de choses dans son livre mais elle a su agencer tout ce qu’elle voulait transmettre pour une rédaction relativement équilibrée et puis au moins, ça ne sonne pas creux !

"Le photographe" de Didier Lefèvre, Emmanuel Guibert et Frédéric Lemercier

 

Le photographe (L’intégrale)
Auteurs : Didier Lefèvre, Emmanuel Guibert, Frédéric Lemercier
Éditions : Dupuis (4 Novembre 2010)
ISBN : 9782800147956
pages

Quatrième de couverture

En 1986, le photographe Didier Lefèvre rejoint une mission de Médecins sans frontières en Afghanistan, alors en guerre contre l'Union soviétique, pour acheminer une aide médicale à travers les montagnes. C'est ce long périple, jalonné de rencontres et de dangers, que nous racontent Didier Lefèvre et Emmanuel Guibert, sur la trame du reportage photographique réalisé sur place par Didier Lefèvre. À la croisée du dessin et du photoreportage, un récit poignant et profondément humain, habité de figures exceptionnelles.

Mon avis

Cette bande dessinée reportage est tout à fait exceptionnelle.

En 1986, Didier Lefèvre (1957-2007) est parti pour trois mois en immersion, comme photographe, en Afghanistan (envahi depuis 1979 par les russes et en guerre contre eux) avec Médecins Sans Frontières. MSF se rendait sur place afin de former le personnel local. Mais pour y arriver il fallait marcher trente-cinq jours (si tout allait bien), entourés d’ennemis, sur plusieurs centaines de kilomètres, en montagne avec des cols dangereux à franchir.

Le but pour Didier? Rapporter des photos et témoigner. Six clichés (sur près de quatre mille) paraîtront dans Libération en décembre 1986, une reconnaissance pour lui. C’est tout. Le reste, le vécu sur place, il en parle à quelques proches dont son copain Emmanuel Guibert (il est illustrateur). C’est lui qui, treize ans après, suggère « et si on faisait un livre ? ». Didier ressort les cartons de photos, son mini dictionnaire, et se replonge dans cette aventure unique. Frédéric Lemercier complètera le trio en s’occupant de la mise en page et des couleurs. Présenté comme un reportage linéaire qui reprend la durée du séjour sur place, les planches alterneront dessins et photos.

Le lecteur en prend plein les yeux et plein le cœur. On suit une équipe qui n’a qu’un seul but : soigner. Les conditions sont plus que dures, déjà pour arriver sur place, il faut traverser des terrains hostiles, subir une météo peu agréable, se cacher, passer les frontières en espérant ne pas être pris. Puis une fois là-bas, faire de la médecine dans des conditions précaires, voire pire. Le tout en gardant « la foi » en son métier. Les déplacements se font sans véhicule accompagnés par des ânes ou des chevaux (choisis soigneusement) et quelques personnes du coin (attention à ceux qui profitent de la situation). Comme il n’y a pas de locaux, tout se fait dehors ou dans une pièce ouverte à tous les vents car il n’y a que trois murs. Ce qu’on découvre est poignant, révoltant et ceux qui agissent pour améliorer la situation sanitaire sont admirables. Ils ne se plaignent pas, arrivent à faire de l’humour, par exemple, avec un rocher qui ressemble à un rocher Suchard. Ils sont solides mentalement et physiquement. Ils mettent leur vie entre parenthèses pour se consacrer aux autres.

 Il y a également le quotidien des autochtones, comment ils s’y prennent pour acheter ou marchander (en cachant leurs mains sous un tissu). Il faut entrer en communication avec eux sans s’imposer de trop mais sans se faire avoir, un juste équilibre à trouver ! Vers la fin de la mission, Didier a voulu rentrer seul à travers la montagne car il était « au bout du bout », et bien… s’il avait su….

À la fin du livre, on a des nouvelles de beaucoup de protagonistes cités et c’est vraiment intéressant de voir ce qu’ils sont devenus. Ce qui est certain, c’est que ces hommes et ces femmes ont tissé des liens indéfectibles.

« Le photographe » dit que pour faire de bonnes photos, cela passe par une amélioration des relations avec les gens. Sans doute parce que si on les comprend, lorsqu’on appuie sur le déclencheur, on sait sublimer ce qu’ils expriment.

Cet ouvrage de près de trois cents pages est une réussite. Texte, clichés et dessins, tout est parfaitement équilibré et le contenu est fort, puissant.

J’ai été secouée par cette lecture. Par tout ce qui est dit, et par ce qu’on saisit entre les lignes. La violence des combats, la peur des blessés qui restent courageux, l’angoisse des familles face à tout ça. Il y a forcément eu un avant et un après pour Didier Lefèvre. Son corps a ramassé, il a souffert et pourtant il est reparti, pris par le virus de montrer la vie, la vraie, sans retouche, de ceux qui là-bas ou dans d’autres lieux, souffrent d’une façon injuste.

NB : en dernière page : un DVD bouleversant qui complète la lecture.


"Bigoudis & petites enquêtes - Tome 2 : Panique aux pompes funèbres" de Naëlle Charles

 

Bigoudis & petites enquêtes - Tome 2 : Panique aux pompes funèbres
Auteur : Naëlle Charles
Éditions : Archipoche (6 octobre 2022)
ISBN : 979-1039202060
466 pages

Quatrième de couverture

Après une première enquête brillamment menée, Léopoldine Courtecuisse reprend du service pour élucider une double enquête : le décès du croque-mort du village et la disparition de la fille de ce dernier. Coiffeuse à Wahlbourg, en Alsace, Léopoldine Courtecuisse est mère de deux ados intenables. Elle est séparée de leur père. Entre sa passion pour les polars et les faits divers, ses enfants, et les clientes de son salon qui répandent ragots et autres rumeurs, sa vie est bien remplie.

Mon avis

Deuxième rencontre avec Léopoldine et je suis toujours sous le charme, attendant avec impatience le mois d’avril 2023 pour la suite de ses aventures.

Pour ceux qui ne la connaissent pas, c’est une coiffeuse dans une petite bourgade alsacienne. Séparée, elle élève à mi-temps deux adolescents de notre époque, grognons, pas toujours dociles…. Elle est associée avec Magalie et elles ont une boutique dans une galerie marchande. Comme dans la plupart des salons de coiffure, la clientèle, principalement féminine, se confie, commente les affaires des uns et des autres, colporte les ragots. Léo, elle, reste vigilante et n’en dit pas trop. Par contre, elle enregistre tout ce qui se dit et si besoin, s’en sert…. C’est d’ailleurs, grâce à cela qu’elle a pu aider, dans le premier tome, le lieutenant Quentin Delval à résoudre une affaire difficile. Il faut dire que la jeune femme aurait aimé être enquêtrice. Pour compenser elle se passionne pour les séries policières et les polars. Elle est pleine de vie, attachante, toujours optimiste malgré les galères et elle ne baisse jamais les bras. Parfois, elle ne s’embarrasse pas de trop nombreuses formules de politesse et elle va à l’essentiel. Mais c’est pour ça qu’on l’aime !

On est en Janvier 2019, c’est plutôt calme côté coupe de cheveux, permanentes et couleurs. Les gens ont trop dépensé pour les fêtes de fin d’année. Il faut attendre février pour espérer un regain d’activité, et Léo s’ennuie. Mais voilà le croque-mort de la ville, Oscar Gauner, et son épouse qui viennent lui parler. Leur fille, Manon, a disparu et la police n’a pas l’air de prendre ça au sérieux…. Alors si elle pouvait aider…  Léo va être obligée d’agir, d’autant plus que la gosse est la petite amie de son fils !

Première chose à faire : contacter Quentin et lui dire ce qu’elle pense de ses adjoints qui n’ont pas accueilli cette famille en détresse correctement, puis ensuite lui proposer son aide. Bien sûr, elle sait que :

« Ce n’est pas de la coiffeuse qu’il a besoin, mais de la femme qui a passé toute sa vie dans cette ville et qui connaît tout le monde. »

Mais elle adore l’idée de fouiner, de jouer au détective, d’autant plus qu’un petit détail la titille suite à la visite du couple.

La voilà repartie, prête à donner beaucoup d’elle-même pour retrouver cette ado dont personne ne peut dire où elle est. De plus, un autre événement grave se produit. Un lien entre les deux ? Peut-être ou pas…. Léo active son réseau, observe, questionne, se renseigne… Elle s’en veut parfois car elle a l’impression de négliger ses enfants, de les faire passer au second plan…. Mais le désir de ramener Manon vers sa famille est le plus fort.

J’ai énormément apprécié cette nouvelle histoire. L’écriture est pétillante, avec des pointes d’humour et de la dérision. Les rebondissements sont bien pensés et il n’y a pas de temps mort. De plus, il y a une réflexion intéressante sur la vie en maison de retraite. J’aime beaucoup les raisonnements et les déductions de Léo, elle a sans aucun doute, cette intuition féminine qui fait défaut au lieutenant et à ses coéquipiers. Elle est vive, elle ose, elle cause, elle fonce, elle sait faire parler les récalcitrants-es…. En résumé, c’est une femme ! Et je suis enchantée de la connaître !


"Flic" de Thierry Chavant et Valentin Gendrot

 

Flic (roman graphique)
L’histoire vraie du journaliste qui a infiltré la police
Auteurs : Thierry Chavant & Valentin Gendrot
Éditions : La Goutte d’or (14 Octobre 2021)
ISBN : 979-1096906307
148 pages

Quatrième de couverture

Une arme à la ceinture, Valentin Gendrot a rejoint une brigade parisienne dont certains membres tutoyaient, insultaient et distribuaient des coups à des jeunes hommes noirs et d’origine arabe qu’ils surnommaient « les bâtards ». Ses révélations publiées aux éditions Goutte d’Or en septembre 2020 ont fait la Une de journaux internationaux. Le ministre de l’intérieur avait alors réagi à la parution du livre et déclenché une vaste enquête de l’IGPN.

Mon avis

Après le livre « Flic » de Valentin Gendrot où il raconte son infiltration dans le monde de la police, je viens de découvrir le roman graphique éponyme.

Les deux se complètent. Si dans la bande dessinée, les faits sont les mêmes que dans le témoignage, il y a, en plus, l’interrogatoire de Valentin Gendrot par l’IGPN suite à ses révélations.

Pour ce qui est des dessins, on peut être surpris que les humains aient des têtes de chat.  Ils ont tout des humains, le corps et les expressions du « visage », notamment le regard ainsi que l’attitude. J’ai lu sur le site de l’éditeur que c’était volontaire. En effet, pour garantir l’anonymat des personnes nommées et pour éviter tous les a priori, mettre des personnages animaux permet au lecteur d’entrer dans l’histoire de façon différente, en gardant du recul. En ce qui concerne toutes les formes de violence, il y a des tâches rouges.

Les situations présentées sont les mêmes que dans le livre. Mais parfois, le fait de les voir « en images » marque plus, interpelle et on comprend que certains choisissent de fermer les yeux ou de tourner la tête. Je suis révoltée contre le manque de formation et d’accompagnement des ces hommes.

Dans les dernières pages, des extraits d’articles de presse sur « Flic ». Qu’a réellement donné l’enquête ? Quelles ont été les réponses ? Peut-être serait-il intéressant que Valentin Gendrot nous informe sur la suite donnée à ses fracassantes révélations.



"Le directeur n’aime pas les cadavres" de Rafael Menjívar Ochoa (Al director no le gustan leos cadáveres)

 

Le directeur n’aime pas les cadavres (Al director no le gustan leos cadáveres)
Auteur : Rafael Menjívar Ochoa
Traduit de l'espagnol (Salvador) par Thierry Davo
Éditions : Quidam Editeur (4 Mai 2017)
ISNB : 978-2-37491-061-1
168 pages

Quatrième de couverture

Depuis qu’il a vu la dépouille de sa mère, le Vieux, directeur d’un grand quotidien proche du parti au pouvoir, ne supporte plus la vue des cadavres. Le Vieux est mal en point. Il a beau tirer les ficelles, il a de gros ennuis, pris en tenaille dans la guerre implacable que se livrent les tueurs d’Ortega et du Colonel. Et avec la folie auto-destructrice de Milady, sa deuxième femme, il risque d’affronter bientôt un cadavre de plus…

A propos de l’auteur 

Né en 1959, Rafael Menjívar Ochoa a vécu en exil pendant la guerre civile au Salvador. Après avoir exercé des fonctions de journaliste, notamment au Mexique, il rentre à San Salvador, en 1999, où il crée la Maison de l’écrivain. Traduit et étudié aux États-Unis, il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, dont huit ont été traduits aux éditions Cénomane. Il fut également compositeur, traducteur et éditeur. Rafael Menjivar Ochoa est considéré comme l’un des très grands écrivains de sa génération en Amérique centrale. Il est décédé le 27 avril 2011 des suites d’un cancer.

Mon avis

Nous payons le manque d’espoir ….

Jusqu’à dix-neuf ans, il a vécu entouré de gardes du corps, d’abord avec sa mère puis avec son père et sa nouvelle très jeune compagne lorsque sa maman est décédée. Pour lui, son paternel est  le «Vieux » et sa conjointe Milady…. Il est parti étudier mais s’est lassé et s’est retrouvé à tenir des rôles courts mais bien payés au cinéma (je ne vous dirai pas quel type de personnage mais la description du savoir faire particulier pour cette situation est jubilatoire : racontée comme s’il s’agissait d’un fait ordinaire et neutre alors que c’est tout le contraire….)

Le Vieux le rappelle quelques années plus tard (sent-il la mort se rapprocher ?) et il revient à la maison. Il découvre d’un peu plus près le Journal sur lequel règne le Patriarche en homme ne s’encombrant ni de manières ni de discours. Il ne sait pas trop où se situer, lui, le fils, qui était distant et pas seulement en kilomètres….. Comment créer des liens avec quelqu’un que l’on a peu vu, que l’on connaît mal et surtout, à quoi bon ? Le fils a vécu sa vie et se demande s’il faut vraiment se pencher sur les affaires du père…. D’ailleurs, sont-elles vraiment honnêtes ?

 Dans ce coin du Mexique, les hommes sont « bruts de décoffrage », lorsqu’une personne dérange, on ne discute pas, on sort une arme et hop, le gêneur disparaît…. Il y a des clans, des non-dits, des trahisons, de la méfiance et personne ne peut être sûr de quoi que ce soit….

Avec une écriture acérée, à l’humour sec, ne s’encombrant pas de mots inutiles, l’auteur nous plonge dans un mélange de réflexions assez profond. Le Vieux est confronté à la mort et cela permet d’aborder les sujets qui sont liés à un décès. Que laisse-t-on derrière nous, pour qui, pourquoi, dans quel but ? Comment faire comprendre à nos enfants les valeurs que l’on souhaite leur transmettre ? Et lesquelles choisir ? Dans un pays où la guérilla règne, les conflits sont importants. On le sent entre les lignes, dans les relations entre les hommes évoqués dans ce roman. Il faut bien le dire, il y a peu de femmes et leur présence, pffff…..  Rafael Menjívar Ochoa nous offre également un panel de relations humaines, présentées en quelques mots, on sait tout de suite qui est qui….

On dit souvent que l’on ne parle bien que de ce qu’on connaît. L’auteur a été journaliste au Mexique et lorsqu’il décrit la face « cachée » d’un quotidien, l’ambiance, la construction et le contenu des articles qui seront mis sous presse, on ne peut que penser qu’il s’est inspiré de son vécu….

C’est un livre que j’ai apprécié de par son originalité, son regard sur la presse, sur la vie, les relations familiales, les rivalités décrites dans un pays qui se cherche comme certains des personnages que l’on croise dans cet opus.

"L'expression des sentiments" de Patrick Poivre d'Arvor

 

L’expression des sentiments
Auteur : Patrick Poivre d’Arvor
Éditions : Stock (2 Novembre 2011)
ISBN : 978-2298057485
144 pages

Quatrième de couverture
 :

« Ma mère est morte cet été. Le sol s´est dérobé sous mes pieds. J´ai perdu mes repères, tout autant que ma mère. Après la disparition de mes deux filles, la mort rôde une nouvelle fois. J´ai du chagrin, mais je ne peux pas le dire, ma mère me l´a toujours interdit. Une femme secrète, retenue, emmurée, droite, digne, qui détestait la maladie et l´hôpital. Pour elle comme pour les autres. A-t-elle aimé ses enfants ? Évidemment. Le leur a-t-elle dit ? Non. Les a-t-elle jamais embrassés ? Pas sûr. Combien de non-dits qui auront surgi entre pudeur et impudeur ? Des souvenirs lumineux d´enfance qui éclatent comme des bulles. » Plus qu´une introspection, qu´une thérapie, ce livre est l´hommage d´un homme redevenu petit garçon.

Mon avis :

Mon premier PPDA, c’était «Les enfants de l’aube » et plagiat ou pas (pour un de ses derniers ouvrages), j’ai très souvent lu ses livres, appréciant sa façon de manier « le verbe ».
Cet homme possède une sensibilité à fleur de mots, poussant chacun des termes à donner le meilleur de lui-même tant il sait bien l’utiliser, le faire vivre dans des phrases qui vous touchent au cœur.

Dans ce court mais intense opus, il raconte sa mère, sa maman, celle qui lui a lâché la main, celle dont il se sent amputé parce qu’elle est décédée. Il explique qu’il a l’impression qu’à partir de cette mort, il sera toujours bancal, en mauvais équilibre …
Non pas qu’il s’appuyait sur elle …. Non, c’est une famille où « on se tient », où on fait face, où les yeux parlent à la place des mots et des gestes … On s’embrasse peu, mais ça ne veut pas dire qu’on ne s’aime pas …

L’écriture de l’auteur est pleine d’émotions contenues, de respect pour cette femme qui a refusé la maladie, la déchéance et l’hôpital jusqu’au bout …
Les souvenirs évoqués le sont avec pudeur, délicatesse …. On sent la tendresse, l’amour inconditionnel d’un fils pour sa mère …

Tout simplement beau ….

Est-il besoin d'entendre "Je t'aime" pour savoir qu'on est aimé?


"Comme une image" de Magali Collet

 

Comme une image
Auteur : Magali Collet
Éditions : Taurnada (6 Octobre 2022)
ISBN : 978-2372581080
246 pages

Quatrième de couverture

Lalie a 9 ans, un teint de pêche et des joues roses. Elle a aussi deux frères et des chatons, une belle-mère et deux maisons. C'est une enfant intelligente et vive, une grande soeur attentionnée et une amie fidèle. C'est la petite fille que chacun aimerait avoir. D'ailleurs, tout le monde aime Lalie. Tout le monde doit aimer Lalie. C'est une évidence. Il le faut.

Mon avis

Regardez cette petite fille, elle est sage comme une image. On a tous, un jour entendu cette phrase, n’est-ce pas ? C’est l’impression que donne Eulalie, qui préfère d’ailleurs qu’on l’appelle Lalie. Elle aura bientôt dix ans, ses parents sont séparés, elle a un frère, une belle-mère et un demi-frère.

Le divorce agit sur elle comme un catalyseur, on comprend très vite qu’elle ne supporte pas cet état de faits. Deux personnalités vont s’opposer en elle. Celle qui est lisse, obéissante, qui parle comme une petite fille de son âge et l’autre, la face cachée, violente, perverse, qui s’exprime dans un langage châtié. Est-ce possible d’être comme ça à cet âge-là ? On peut légitimement se poser la question. Et que la réponse soit oui ou non, cela n’empêche pas de continuer la lecture. Pourquoi ?

- Parce qu’on pénètre dans l’univers de cette gamine qui mène le monde comme elle l’entend, sans peur, sans sentiment ou avec des sentiments qui n’appartiennent qu’à elle. Oui, ça met mal à l’aise, ça semble malsain et on se demande jusqu’où ça peut aller. Mais n’est-ce pas le but des romans de nous bousculer dans nos habitudes, voire nos certitudes ?

Lalie fait des apartés. Nous pénétrons dans son cerveau particulier, elle analyse, observe, mène la danse et manipule avec beaucoup de doigté. Le mensonge est sans doute ancré en elle et certaines scènes où elle retourne la situation et coince les adultes sont dignes de Hitchcock. Elle arrive toujours à ses fins et redevient aussitôt la petite fille sage comme une image que tout le monde connaît. À l’école, tout est parfait, on aurait bien du mal à croire qu’elle puisse être méchante…… et pourtant ….

- Parce qu’à travers ce récit, Magali Collet montre les dégâts psychiques lorsque des préadolescents sont rongés par la jalousie, la volonté d’être le centre et le souhait de décider. Bien sûr, il faut une âme torturée, un esprit tourmenté pour en arriver à de telles extrémités. Ce qui est impressionnant, c’est l’impuissance des adultes qui connaissent le côté noir de Lalie, face à ceux qui n’y croient pas (ou qui refusent, même une fraction de seconde, de penser à de telles éventualités).

Je crois que c’est là le point fort de ce récit, ce grand écart entre deux Lalie et l’impossibilité de la stopper. L’autrice s’est attaquée à un sujet difficile. Il fallait qu’elle dose son histoire, qu’elle n’en fasse pas trop, que ce soit presque, je dis bien presque, vraisemblable. Trouver un équilibre, maintenir le lecteur dans l’angoisse, ne pas grossir le trait…. Vaste travail.

Avec son écriture au cordeau, les différents points de vue des protagonistes et cette plongée en apnée dans la tête de Lalie, Magali Collet a réussi son pari. J’avoue que les passages, où Lalie s’exprime à la première personne sont flippants, on n’a pas envie de « l’entendre », de « l’écouter », on voudrait la faire taire. Cela met des frissons, on est en colère, on ne peut pas agir, brr…. Et ça c’est bon signe, cela signifie que l’auteur a su nous captiver !


"On n’aurait jamais dû lui ouvrir la porte" de Romuald Olb

 

On n’aurait jamais dû lui ouvrir la porte
Auteur : Romuald Olb
Éditions au Pluriel (7 Novembre 2022)
ISBN : 978-2492598074
150 pages

Quatrième de couverture

Léon a tout pour être heureux : des parents aimants et protecteurs, une belle maison au bord de la Garonne, un chien et une scolarité qui se passe bien dans l’un des meilleurs lycées de Bordeaux. Pourtant, le bonheur de Léon et de ses parents commence à se fissurer le jour où une tour de huit étages s’élève juste en face de leur maison.

Mon avis

Léon a dix-sept ans et dans ce roman, c’est lui qui s’exprime. Il est en terminale, vit avec ses parents dans une petite maison au bord de la Garonne. Sa mère, fille d’immigrés, très bosseuse, a une bonne situation. Son père, nettement moins courageux, a été porté à bout de bras par son épouse et s’en sort malgré tout. Ils remboursent leur crédit de façon régulière. Tout va donc pour le mieux dans le joli pavillon bien ensoleillé.

Mais…Il y a souvent un « mais » n’est-ce pas ? Un projet urbanistique écoresponsable et citoyen (porté par la nouvelle mairie écologiste de Bordeaux) voit le jour. Une tour de huit étages avec vue sur le fleuve ou pour les appartements moins bien lotis sur un boulevard et la voie de chemin de fer, voire sur l’habitation de la famille de Léon… Bien sûr, un collectif de propriétaires, dont Armand, le père de Léon, s’est échiné à faire annuler le permis de construire mais tout était dans les clous, donc rien à espérer…. Déprime pour Armand, incapable de penser à quoi que ce soit d’autre, le soleil moins présent parce que caché par l’immeuble, tout ça ce n’est pas bon pour le moral …. Et quand on commence à s’enfoncer…. Il devient moins performant au boulot et risque un licenciement….

Léon, lui, observe, presque jusqu’à épier, les quelques personnes qui s’installent dans la tour. Un couple, en particulier, l’intrigue…. Oui, ce n’est pas une bonne idée d’espionner les gens surtout quand on doit passer le bac et essayer d’avoir une mention, on perd du temps derrière les carreaux. Mais Léon est un adolescent curieux. D’ailleurs, le lecteur s’en rend vite compte. Ses observations sont minutieuses, réfléchies, il analyse ce qu’il entend, ce qu’il voit, établissant un parallèle avec ce qu’il sait déjà ou extrapolant de temps à autre.

Le décor est planté. Quant au contexte familial, il est décrit avec minutie mais l’auteur a eu l’intelligence de ne pas tout révéler en une seule fois, ce qui évite tout effet de lourdeur. C’est au long des différents chapitres, petit à petit, que l’on comprend comment s’est construit le couple Armand / Malika, quelles sont leurs racines, leurs choix de vie, la place de chacun dans le foyer. Plus on avance plus on ressent le mal-être du père, incapable de relativiser la présence de l’édifice qui pourrit son quotidien.

Forcément, ça risque de rejaillir sur la vie de couple, d’autant plus qu’une voisine de ce bâtiment détesté se présente et demande de l’aide. Lui fermer la porte au nez ? Faire preuve d’un peu d’humanité ? A-t-elle vraiment des problèmes ? Il arrive qu’une décision, comme l’effet papillon, vous entraîne plus loin que vous le souhaitiez au départ.

Ce récit commence doucement, comme le journal intime d’un jeune adolescent regardant ses parents et son environnement. Puis au fil des pages, une tension s’installe, on la sent qui grandit en nous et entre les protagonistes. On se demande si ça va s’arrêter ou empirer. Romuald Olb a très bien construit son histoire, il sème le doute, nous inquiète, fait monter la pression. On réalise que la nouvelle construction a déstabilisé tous les liens familiaux et que l’équilibre a disparu.

L’écriture est plaisante, racée, il n’y a pas de fausse note. La couverture sobre, se suffit à elle-même. Il y a une belle approche psychologique des personnages. Leurs émotions sont retranscrites avec doigté.

Une belle découverte d’un nouvel auteur à suivre de près.

"Dictionnaire amoureux des oiseaux" d'Allain Bougrain Dubourg

 

Dictionnaire amoureux des oiseaux
Auteur : Allain Bougrain Dubourg
Dessins d’Alain Bouldouyre
Éditions : Plon (20 Octobre 2022)
ISBN : 978-2259311014
562 pages

Quatrième de couverture

Ce Dictionnaire amoureux des oiseaux retrace la complicité exceptionnelle d'Allain Bougrain-Dubourg avec le peuple des airs. Il revisite aussi tant de combats et d'espoir et valorise les oiseaux les plus admirables, de même que ceux qui s'épanouissent en cohabitant à nos côtés.

Mon avis

Dans la famille « Dictionnaire amoureux de… » je demande « les oiseaux » !

Allain Bougrain Dubourg est, entre autres missions, président de la LPO (ligue de protection des oiseaux), association qui a 110 ans. Parfois controversé, il n’en reste pas moins un homme convaincu, passionné, combattif.

Au gré des vingt-six lettres de l’alphabet, il nous livre de petits articles (plusieurs parfois pour une même lettre) sur des sujets en lien avec l’ornithologie. Pas besoin d’être expert pour lire ce recueil. Il est à la portée de tous.

Très complet, il aborde différents thèmes : des espèces menacées ou non, des anecdotes, des personnes (Brigitte Bardot, Jean-Paul Belmondo etc), des techniques, des lieux d’observation ou pas, des conseils …. Il y a même des citations qui sont bien choisies :

"Demande de logement : petit oiseau sentimental cherche abri dans cage thoracique, près du cœur sensible." Pierre Dac

Accompagné par les croquis d’Alain Bouldouyre (au crayon noir fin), l’ensemble est remarquablement documenté.

J’ai apprécié le ton employé. Ce n’est pas dans le style « donneur de leçons », faites comme ci, faites comme ça. C’est plus ouvert et chacun pourra y prendre ce qu’il souhaite. L’auteur n’oublie pas de rendre hommage à ceux qui ont œuvré pour les oiseaux, en expliquant ce qu’ils ont développé (ouvrage sur les chants d’oiseaux par exemple). Il explique ses peurs face aux maladies qui les touchent, il partage les gazouillis de ceux qui vont bien. Il raconte les belles découvertes que l’on peut faire si on met des nichoirs, les erreurs à éviter, les actions mises en place (les comptages Wetlands, les campagnes de protection…)

Que l’on habite en ville ou à la campagne, qu’on ait envie ou pas de prendre des jumelles pour observer ces petites bêtes, on est tous concernés par la nature, l’environnement, et ce livre peut aider à une prise de conscience. De plus les lieux où voir les oiseaux sont indiqués donc on peut partir se promener !

Au-delà du contenu, ce dictionnaire est un bel objet, relativement facile à manipuler. À offrir ou à s’offrir sans hésiter !


"Bigoudis & petites enquêtes - Tome 1 : Panique à Wahlbourg" de Naëlle Charles

 

Bigoudis & petites enquêtes - Tome 1 : Panique à Wahlbourg 
Auteur : Naëlle Charles
Éditions : Archipoche (14 Avril 2022)
ISBN : 979-1039201148
416 pages

Quatrième de couverture

Léopoldine Courtecuisse est coiffeuse dans le bourg alsacien de Wahlbourg. Depuis toujours, elle déteste son nom de famille et supporte de moins en moins ses parents qui ne jurent que par leur cadette. Mais elle reste résolument optimiste grâce à ses séries policières préférées qui n'ont pas plus de mystère pour elle que les petits secrets des clientes de son salon. Un soir, elle découvre le corps sans vie d'une caissière sur le parking de l'hypermarché.

Mon avis

Les romans mettant en scène Léopoldine Courtecuisse s’apparentent au genre littéraire « Cosy Mystery » qui dépend du groupe des policiers. Il s’agit d’enquêtes sans bain de sang, ni violence explicite, avec de l’humour, voire un peu d’ironie, dans un microcosme. Il y a souvent un détective amateur.

C’est ma première rencontre avec Léo (Léopoldine) et je sais déjà que ce ne sera pas la dernière. Une lecture amusante, jubilatoire, des personnages hauts en couleur et une belle observation d’une micro société dans la bourgade de Wahlbourg. Si parfois, le trait est un peu exagéré, peut-être pour nous faire rire encore plus, cela ne m’a en rien dérangé tellement j’avais du plaisir à découvrir ce qui se passait. D’ailleurs, j’ai dévoré les quatre cent seize pages en une journée et j’en redemande !

Léo est coiffeuse, associée avec Mag et comme dans tous les salons de coiffure, les gens se confient et racontent pas mal de choses sur eux, leur famille mais aussi sur d’autres personnes. Léo et sa collègue écoutent, se gardant bien de dire quoi que ce soit sur leur vie personnelle car elles savent qu’aussitôt, ça ferait le tour de la ville !

Leur boutique est dans la galerie marchande d’un hypermarché et un soir en retournant vers sa voiture après la fermeture, Léopoldine aperçoit une femme assassinée dans son véhicule. Elle appelle la police. Elle fait ainsi la connaissance du lieutenant Quentin Delval, nouvel arrivant dans la gendarmerie. C’est assez explosif entre eux.

Léopoldine est une femme toujours positive, malgré les difficultés. Un ex volage, deux adolescents à gérer (à mi-temps heureusement), des parents pas à l’écoute. Et pourtant elle s’accroche, elle fait face et ne baisse jamais les bras. Elle m’a emballée par son énergie. Elle fait partie des personnes qui auraient rêvé d’une autre profession. Son souhait ? Être policier. Alors ce meurtre, pas loin de son magasin, d’une personne qu’elle connaît, la titille. D’autant plus que le mari de la morte est son premier amour et qu’elle est persuadée qu’il n’a rien fait, même si tout semble l’accuser. Elle a envie de comprendre, de démêler le vrai du faux. Elle convainc le lieutenant, chargé des investigations, qu’elle peut obtenir des informations qui lui échappent et que ça l’aidera. Entre les ragots entendus lorsqu’elle est au boulot, le fait que dans une petite cité tout le monde sait tout sur tout le monde, elle peut avoir accès à quelques secrets parce qu’elle est une fille du cru !

Nous allons donc suivre les recherches de Léo et celles plus officielles de l’équipe de gendarmerie. Les chapitres alternent les points de vue du lieutenant et de la coiffeuse. Ils « parlent » à tour de rôle à la première personne. Lui s’exprime assez sérieusement. Elle est beaucoup plus « brut de pomme, nature, mais on sent qu’elle a le cœur sur la main et qu’elle réfléchit.

L’écriture de l’auteur est emplie d’humour, et ce n’est pas si facile qu’on l’imagine de faire rire. Il y a du piment dans le style, du rythme et des rebondissements. Même si c’est survolé, des thèmes intéressants sont abordés : la place des femmes dans la société, dans le couple, la vieillesse, l’adolescence et bien d’autres encore.

J'ai ri, c'est détendant, réjouissant et pas dénué de sens. Qu’est-ce que ça fait du bien !

"Variations de Paul" de Pierre Ducrozet

 

Variations de Paul
Auteur : Pierre Ducrozet
Éditions : Actes Sud (17 Août 2022)
ISBN : 9782330169244
466 pages

Quatrième de couverture

Comment sonne un monde ? Quels rythmes, quels accords, quels instruments parviennent, ici, là, à dire la rage, la joie et les tremblements ? Un siècle de tonnerres et de chuchotements au fil du parcours d'une famille musicienne, musicale, mélomane au centre de laquelle, Paul, chambre d'échos et génie, sauvage et idiot, traverse le temps comme un boulet de canon, décidé à percer le mystère du son.

Mon avis

« Chaque musique dit quelque chose du monde dans lequel elle est née. À nous de la déchiffrer. »

Ce roman est une musique. Parfois sombre et tumultueuse, parfois douce et limpide, jamais la même, avec des hauts, des bas, grimpant dans les aigus, descendant dans les basses où elle s’arrête avant de repartir, oscillante, remuante. Portée par une bande son qui revisite plusieurs décennies de rythme, de chansons, ce livre est unique. C’est un cœur qui bat, parfois mal, allant même jusqu’à s’arrêter avant de repartir. C’est un récit qui palpite entre les mains, qui interroge et bouscule par son style et sa construction. L’écriture est syncopée, mélodieuse, elle nous entraîne dans le monde de la musique où nous suivons une famille sur plusieurs générations.

C’est un texte ambitieux qu’a rédigé Pierre Ducrozet. Il y a mis beaucoup de lui puisqu’il dit avoir des points communs avec Paul. Foisonnant, empli de nombreuses références, il fait voyager dans le temps et l’espace, entraînant le lecteur de découvertes en découvertes. Parfois, tout semble se bousculer, les souvenirs, les regrets, les erreurs, les joies ; les réussites, et on a une impression de désordre mais si on prend le temps, on sent que tout s’agence.

Il y a de nombreux (peut-être trop ?) « messages » cachés dans cet ouvrage. Je suis certaine de ne pas avoir saisi toutes les allusions, tous les liens avec ce qui a réellement existé mais ce n’est pas important. J’ai aimé l’idée que Paul soit synesthète, que la musique lui apparaisse en formes et en couleurs, qu’elle habite son environnement lorsqu’il l’écoute. Il s’agit alors d’une rencontre entre tous ses sens, une fusion qui lui permet de vivre cela pleinement.

Un recueil pas toujours évident à lire mais qui se démarque totalement. Une belle découverte !


"Tout pour plaire" d'Ingrid Desjours

 

Tout pour plaire
Auteur : Ingrid Desjours
Éditeur ‏ : ‎ Robert Laffont (2 octobre 2014)
ISBN : 978-2221145944
528 pages

Quatrième de couverture

David et Déborah ont tout pour plaire : jeunes, beaux, amoureux, une maison de rêve... Extrêmement séduisant, autoritaire et charismatique, David est coach en séduction. Très amoureux de sa femme architecte d'intérieur d'une beauté rare , il est aux petits soins pour elle, parfois même étouffant, quand Déborah lui est complètement dévouée, presque soumise. Mais leur bonheur dérange. On chuchote dans le voisinage que leur couple n'est pas aussi uni qu'il paraît, qu'il y a là un loup... et un agneau prêt à se faire égorger.

Mon avis

Au moment de me pencher sur le clavier pour écrire un avis sur cette lecture, je m’aperçois que les choses sont moins simples que je le croyais. Pourquoi ?

Je suis partagée. D’un côté : un scénario totalement bluffant où le lecteur est autant manipulé que les personnages qu’il rencontre et d’un autre : des anomalies de style et de constructions.

Ces imperfections en sont-elles ? Lorsqu’on lit que l’auteur a sans doute écrit son roman dans l’idée de son adaptation en film, tout s’explique….sauf que moi, c’est un livre que j’avais dans les mains….

Prise par la complexité des protagonistes, j’ai finalement passé outre la structure pour ne m’attacher qu’aux faits. Le fond plus que la forme. Et là, il faut avouer qu’Ingrid Desjours a su à merveille manœuvrer pour brouiller les pistes (parce que, même avec une relecture, les indices qui pourraient nous mettre sur la voie ne sont pas si nets que ça), m’entraînant de ci de là, créant le malaise que ce huis clos ne manque pas de provoquer. Malgré quelques longueurs et descriptions pas toujours utiles, les événements s’enchaînent, maintenant le lecteur sous pression.  On se pose des questions, on revient en arrière, croyant à une information oubliée ou mal interprétée. La grande force de ce récit sera de nous avoir « promenés » d’impression en sentiment, jouant de nos ressentis pour mieux nous diriger sur de fausses routes avant de nous asséner une vérité bien dérangeante…..