"La nuit des bras cassés" de Maurice Gouiran


La nuit des bras cassés
Auteur : Maurice Gouiran
Éditions : Jigal (10 Février 2019)
ISBN : 978-2-37722-063-2
280 pages

Quatrième de couverture

La découverte, un beau matin, d'une tête humaine, soigneusement déposée dans son frigo ne peut être que le prélude à de graves ennuis... Et quand les frères Asquaciati, à l'Estaque, Rome et New York, reçoivent ce sinistre message, ils sont loin d'imaginer les engatses qui vont fondre sur eux.

Mon avis

Bien mal acquis….

Marseille, New-York, Rome, trois frères établis dans différents coins du monde, découvrent chacun une tête décapitée dans leur logement. Polynésiennes, ces trois faces apportent un message mais lequel ? Très vite, les frangins doivent se rendre à l’évidence, tout cela est soigneusement orchestré mais par qui et pourquoi ?

Ce n’est pas dans le présent qu’ils vont trouver la réponse mais bien en remontant sur les traces du passé. Ubaldo, leur père était un fervent partisan du Duce. Aurait-il, dans le cadre politique, très chaud de la seconde guerre mondiale, participé à un quelconque trafic ? N’est-ce pas un peu dangereux d’aller remuer tout ça ? Ne serait-il pas préférable d’ignorer ces visites incongrues, d’autant plus qu’ils se sont débarrassés des têtes ?

1901, 1936, 1970 et maintenant, Maurice Gouiran nous fait voyager dans le temps mais également dans l’espace. On suit tour à tour les frères et leur famille, leurs amis, leurs ancêtres, et on découvre, au fil des pages, ce qui a provoqué le raz de marée dans leur quotidien. Entre ceux qui ont choisi de modifier leur prénom, ceux qui n’ont pas été clairs autrefois, ceux qui se déplacent régulièrement pour mieux se cacher, on apprend à connaître les différents individus qui peuplent ce roman. L’auteur n’oublie jamais de mettre un grain de sel, une touche de douce folie, un verre de « jaune », une blagounette ….. On sent déjà le style « Gouiran » (puisque c’est son premier titre) qui va aller en s’affirmant. C’est déjà très bon même si maintenant, les récits sont encore plus aboutis, plus mûrs.

Les trois frères ont décidé de mener les recherches à leur façon, c’est-à-dire « l’air de rien ». Ils ne se croient pas en danger mais des rappels à l’ordre les obligent à prendre au sérieux les menaces qui pèsent sur eux. Il est donc plus qu’urgent de comprendre et d’agir. Heureusement leurs fidèles amis s’avèrent de bons complices pour enrayer tout cela. On reste beaucoup dans le midi là, où les hommes et les femmes caquètent parfois un peu trop. Les murs ont des oreilles, oui mais pas que…. Ils feraient bien de se méfier et d’observer pour ne pas prendre un retour de manivelle en pleine figure…. D’autant plus qu’ils sont italiens, ils parlent aussi avec les mains …

Endiablée, emballée, cette intrigue se laisse lire avec plaisir. Elle permet de reparler de ce qui s’est passé, sous le manteau, pendant la seconde guerre mondiale. J’ai eu beaucoup de plaisir à lire ce recueil, les dialogues sont savoureux, fleuris, remplis d’humour le plus souvent. L’écriture et le style de Maurice Gouiran chantent à l’oreille et sous les yeux. On entendrait presque l’accent des protagonistes ! Un pur régal !

"Sicaria" de Amadeo Alcacer


Sicaria
Auteur : Amadeo Alcacer
Éditions : Santa Rosa (11 Juillet 2016)
ISBN : 978-1519039002
227 pages

Quatrième de couverture

Après quatre ans d’activité professionnelle ininterrompue, l’inspecteur Matich décide de retourner en Croatie, le pays de ses origines afin de s'offrir des congés bien mérités. Ses vacances n’auront pas l’effet salvateur voulu car il sera entrainé dans une opération d’infiltration de grande envergure.
A la demande du service des douanes de la ville de Pula, il devra se faire passer pour le numéro deux d’un cartel colombien afin de vendre une tonne de cocaïne et de coffrer les acheteurs.
Condamné à la perpétuité, l’Alicanto, de son côté, ne cherche qu’à s’évader. Réussira-t-il son pari fou et parviendra-t-il à se venger d’Ivo Matich ?

Mon avis

Au bout du noir….

Il est toujours difficile de retrouver un héros récurrent. On a peur de la lassitude, d’une certaine forme de monotonie, d’un manque de nouveauté et d’actions.
Mon appréhension a été balayée. En effet, Ivo Matich est un homme torturé, qui se pose énormément de questions et il a de temps à autre un comportement atypique, surprenant. Ces éléments lui donnent « du corps », de la consistance. Il est loin d’être fade et ordinaire.

Son parcours n’est pas simple. Il refuse la médiocrité mais ne sait pas toujours comment agir (notamment avec les femmes). On pourrait croire qu’il ne sait pas ce qu’il veut. Ce n’est pas vraiment cela. Son passé lui colle à la peau. Il est partie intégrante de lui. Comme tout un chacun me direz vous…. Il me semble que pour lui, c’est différent. Il est loin de ses racines, il les porte en lui et il est maladroit pour les incorporer dans son quotidien. Il se cherche en permanence. Est-ce que cela signifie qu’il n’existe qu’à travers sa profession ? L’Alicanto le hante, comme une affaire (mal) résolue. Pourtant, elle est emprisonnée donc il devrait tirer un trait…

Tout au long de cet opus, nous allons découvrir des changements chez cet homme…  J'ai beaucoup apprécié son évolution, comme si le noir l'envahissait petit à petit et voulait l’entraîner de l'autre côté de la barrière.... C'est peut-être dommage que cette "évolution" ne se sente pas plus dans ses réflexions personnelles (mais c'est très présent quand même)  ….

L’écriture de l’auteur est très agréable. Il arrive bien à montrer l’ambivalence ressentie par le policier et son mal-être permanent. Les situations sont bien décrites, sans fioriture excessive
Un roman noir comme je les aime.






"Demande à la savane" de Jean-Pierre Campagne


Demande à la savane
Auteur : Jean-Pierre Campagne
Éditions : Jigal (15 Février 2019)
ISBN : 978-2377220601
152 pages

Quatrième de couverture

Alors que, nuit et jour, Nairobi feule de plus en plus fort, Coeur léger, policier sans police, et son amie Jane, brillante reporter au Daily Nation, partent dans le Samburu Park au nord du Kenya, enquêter sur un nouveau massacre d'éléphants. C'est alors qu'ils tombent sur un carnage d'un tout autre genre : celui d'écoliers d'un pensionnat en lisière du parc, assassinés par un groupe armé venu de Somalie.

Mon avis

Il n’est pas gros, il n’est pas long et pourtant il pèse lourd ce roman.  Des chapitres brefs, une économie de mots, des termes choisis et en quelques lignes une situation décrite avec ce qu’il faut d’indications pour que son « cliché » s’imprime sur votre rétine et dans votre esprit. L’auteur est grand reporter en Afrique alors il sait aller à l’essentiel, sans s’embarrasser de fioritures, en vous obligeant à vous poser les bonnes questions. Comme dans un reportage où tout n’est pas toujours dit, il esquisse les contours, plante les actions, le reste n’est pas utile, vous avez déjà tout compris.

On est en Afrique, il fait chaud. Cœur Léger, dont le père était maasaï,  a laissé son boulot de flic pour prendre une licence de privé. Séparé de son épouse, il a un fils Zorro. Avec son amie Jane, reporter au Daily Nation, ils partent enquêter sur un massacre d ‘éléphants dans un parc et vont se retrouver face à l’horreur : des enfants assassinés dans un pensionnat. Qui, pourquoi ? Que s’est-il passé ? Y-avait-il des complices ? Cœur léger veut trouver les tueurs, il ne laissera pas ce crime impuni.

L’auteur nous présente une Afrique corrompue, triste, brutale, où les hommes manipulent, trichent, oubliant la tolérance et le respect.  Quand on découvre que certains enfants somaliens sont embrigadés, drogués ….on se demande comment les aider, les sauver….ça fait froid dans le dos…… Les protagonistes sont peu nombreux, campés rapidement pour qu’on les connaisse. De temps en temps, une petite information pour mieux les cerner….et c’est suffisant.

C’est un recueil surprenant tant les phrases elliptiques quelques fois peuvent donner un tempo qui paraît haché mais c’est ce qui fait tout le charme du récit ! C’est sec, violent, mais terriblement addictif. Vous prenez en pleine face la détresse des uns, la colère des autres, la maladresse de ceux qui restent démunis …. Et vous n’avez envie que d’une chose, que cela reste un récit fictif parce que si c’était vrai, tout cela, si c’était vrai ……  

J’ai énormément apprécié cette lecture atypique mais rayonnante. Ce qui est évoqué est lié à l’actualité, parfois brûlante de ce continent. Jean-Pierre Campagne en parle avec intelligence sans nous asséner son avis, il laisse le lecteur s’imprégner des images, des odeurs, des bruits, de la chaleur moite qui met le corps à mal, l’obligeant à accepter les mots qui bouleversent, qui font mal ….qui percutent et résonnent encore une fois la dernière page tournée ….

"Le dernier pape" de Luís Miguel Rocha ( O Último Papa)


Le dernier pape (O Último Papa)
1er volet de la série Complots au Vatican
Auteur : Luís Miguel Rocha
Traduit du portugais par Vincent Gorse
Éditions de l'Aube (6 Mars 2015)
ISBN : 978-2815908375
500 pages

Quatrième de couverture

29 septembre 1978 : le monde apprend que le pape Jean-Paul Ier a été retrouvé mort dans son lit, 33 jours après son élection. Pourtant, jamais jusque-là un pape n’est mort sans témoin. Et le Vatican ordonne que le corps soit embaumé dans les 24 heures, excluant toute autopsie… 2006 : Sarah Monteiro, journaliste portugaise installée à Londres, vient à peine de découvrir dans son courrier une liste de noms – dont celui de son propre père – qu’elle subit une première agression. À coup sûr, cette liste la met en danger. Aiguillée à distance par son père, elle se retrouve aussitôt embarquée dans une course-poursuite incroyable entre l’Angleterre, le Portugal, les États-Unis et le Vatican. Protégée par le très mystérieux Rafael, confrontée à des hommes prêts à tout pour mettre la main sur cette liste, Sarah va, bien malgré elle, se retrouver mêlée à un véritable et terrifiant complot, qui ne serait pas sans rapport avec le décès de Jean-Paul Ier…

Mon avis

Magistral !!!

Mais comme il s'agit du volet un d'une série de trois, je n'aurais jamais dû commencer car maintenant, je suis là, les bras ballants à me demander s'il faut que j'apprenne le portugais pour lire la suite plus rapidement...

Je disais donc : magistral, pourquoi ?

L'écriture est posée et (se) « déroule » à la manière d'une caméra balayant les différents lieux et les situations présentées . Œil extérieur aux événements, elle donne un « rendu » original « Observons cet homme qui se tourne et se retourne.... » On pourrait penser que celui qui écrit, qui décrit, se contente d'énoncer froidement des faits en les présentant : « Laissons-le et dirigeons-nous.... » mais cette façon de faire crée une ambiance feutrée, propice aux confidences. On a l'impression que « la voix off » (derrière laquelle se cache habilement l'auteur) nous murmure des secrets, des confidences, nous entraînant sur des chemins ardus avec les différents protagonistes, Alors que je pensais, dès les premières lignes, que cette façon de rédiger allait me « laisser sur le bas côté », je me suis vite aperçue que c'était le contraire. Cela permet d'avoir un certain « recul », d'analyser ce qui se vit « sous nos yeux » et de prendre parti en s'appropriant selon les circonstances, les émotions des uns ou des autres.

L'intrigue est adroitement menée, mise en place de main de maître et suffisamment « prenante » pour que le lecteur reste scotché aux pages. De plus, elle mêle avec brio : fiction et réalité, complots en tous genres, ajoutant un brin de mystère par le biais des loges maçonniques, du Vatican et des grands de ce monde (qui tireraient peut-être les ficelles de nos sociétés)... elle nous renvoie à nos questions, à notre peur ancestrale d'être manipulés, dans des manœuvres nous dépassant totalement. Le plus souvent, le fait de ne pas savoir si ce que je lis a réellement existé (lorsque cela est possible) m'énerve prodigieusement. Je n'aime pas que l'écrivain me prenne pour un lapin de trois semaines et je veux savoir. Et bien là, je n'ai pas passé mon temps à aller vérifier pour démêler le vrai du faux, Je me suis laissée porter (avec un vrai bonheur) par l'histoire car après tout, que pourrais-je changer à ce qui s'est déroulé en 1978 ?

Le livre alterne plusieurs époques dont l'année 1978 avec la mort du Pape Jean Paul 1er, celui qui avait dit : « tempestas magna est super me » (« une grande tempête est sur moi »). Sa mort a été controversée à l'époque, puisqu'il n'y a pas eu d'autopsie et cela a donné libre cours à beaucoup d'interprétations. Cet ouvrage nous en offre une, sur fond de secrets d'état plus ou moins bien gardés, de complots pour le pouvoir, de relations  troubles, de services secrets pas très nets, d'hommes de droit peu honnêtes, d'erreurs de jeunesse... 

Les personnages sont subtils, surprenants, rusés pour certains, fourbes pour d'autres, ni dans le bien, ni dans le mal pour le plupart, tous ayant une part d'ombre. Seule Sarah semble plus « lisse » bien qu'elle ait plus d'un tour dans son sac (forcément elle a l'intelligence et la pugnacité d'une femme;-). Les autres oscillent, faisant apparaître des côtés cachés, une face sombre, discrète, qu'ils ne veulent pas dévoiler tout de suite. On sent que dans les deux autres volets faisant suite à celui-ci, les individus n'ont pas fini de nous surprendre....

J'ai beaucoup apprécié cette lecture, les descriptions fines des actes et des lieux (j'ai retrouvé le Londres que je connais, j'ai eu froid dans les souterrains au Portugal....). L'écriture est riche et permet de s'approprier le contenu avec précision comme si on voyageait dans le temps et l'espace avec les gens qui peuplent les pages....

"Tristan" de Clarence Boulay


Tristan
Auteur : Clarence Boulay
Éditions : Sabine Wespieser (4 Janvier 2018)
ISBN : 9782848052793
194 pages

Quatrième de couverture

L'émotion est grande pour Ida quand, un jour de mars, elle monte sur un langoustier en partance du Cap pour Tristan, une île accessible uniquement par bateau : la peur de l'inconnu, et aussi la tristesse de laisser Léon à quai. La veille du départ, ils ont tiré au sort la seule place qui leur avait finalement été accordée parmi les douze passagers admis à bord. Au fil des sept jours de traversée en plein Atlantique Sud, les repères d'Ida commencent à basculer. Elle ne sait rien de ce qui l'attend

Mon avis

Il est des espaces où tout vacille….

Au Nord des Quarantièmes rugissants, dans l’Atlantique Sud, se trouve l’île de Tristan. Tristan da Cunha est un archipel volcanique, un espace de terre isolé du monde. C’est là qu’Ida et son compagnon doivent se rendre. Mais il ne reste plus qu’une place sur le bateau et ils tirent au sort. C’est elle qui part et s’installe chez un couple de cette petite communauté où tout le monde se connaît. Il y a d’abord le voyage en mer de plusieurs jours qui la coupe un peu du temps présent puis l’arrivée sur ce bout de terre.
« Embarquer, c’est forcément prendre une distance, emprunter une tangente…. »

A partir de là, elle ne s’appartient plus, elle appartient à l’île, aux paysages tourmentés, à la météo qui décide, aux embruns, au vent, aux oiseaux, et ses repères volent en éclats. Ceux qui vivent là ont choisi, plus ou moins, d’y rester, de se marier avec le peu de femmes avec qui c’est possible (on est vite cousins lorsqu’on vit en huis clos). Les gens pêchent, travaillent à la coopérative, à l’épicerie, s’occupent des vaches. Le quotidien est rythmé par l’arrivée des bateaux, des activités et des coups de bourre lorsqu’il faut agir vite et bien. D’ailleurs, il faut sauver des oiseaux mazoutés par un cargo échoué et Ida se surprend à proposer son aide. Elle part sur l’île aux oiseaux seule avec trois hommes et arrive le bouleversement. Ida le livre à travers ses pensées mais aussi ses croquis.

Ce sont les bras de Saul, ses baisers, ses caresses, ses mots qui l’ont font vibrer, la font exister….
Et Léon, sont amour resté sur le continent et qui doit la rejoindre, qu’en est-il de lui ? Quel avenir se prépare-t-elle ?
« What happens in Bird Island stays in Bird Island. »
Ce qui se vit sur l’île reste sur l’île lui dit Saul…

Avec une délicatesse infinie, des mots sublimés par une écriture poétique, Clarence Boulay nous explique la montée en puissance de cet amour impossible. Ce moment, hors du temps, où tout bascule sans qu’on sache pourquoi, sans qu’on puisse lutter. C’est fougueux et impétueux comme une tempête (d’ailleurs les mots pour décrire la relation et la météo se « marient » à merveille). C’est fort et ça renverse tout sur son passage. Est-ce ainsi parce que le contexte s’y prête ? Ida et Saul sont différents mais leurs corps se parlent, leurs yeux se cherchent et leurs esprits se rejoignent. On ne sort pas indemnes d’un tel chambardement, d’une tourmente comme celle qu’ils vivent. Est-on affaibli ou grandi d’avoir vécu cela ?

Ce roman a été pour moi une magnifique découverte. Je l’ai trouvé écrit avec finesse, une exquise pudeur affleure sous les mots et Clarence Boulay nous livre un récit subtil où elle nous rappelle que loin de tout, on se retrouve face à soi et livré à ses propres choix …..

"La prière du Maure" d'Adlène Meddi


La prière du Maure
Auteur : Adlène Meddi
Éditions : Jigal (15 Février 2019)
ISBN : 978-2-37722-065-6
192 pages

Quatrième de couverture

" Le cortège des berlines blindées serpentait dans la nuit et le brouillard. A travers les roseaux muets, suintaient les lumières des phares. Faisceaux jaunes mordant l'obscure vapeur des enfers... Et Dieu lui-même semblait avoir déserté... " Alger, les années 2000. Un jeune homme disparaît. Pour régler une dette, Djo, commissaire à la retraite – entêté, solitaire et amoureux – reprend du service et réactive ses réseaux. L'enquête devient une inquiétante course contre la mort, les fantômes d'une époque que tous croyaient révolue ressurgissent.
  
Mon avis

Uppercut !

On est au début des années 2000, à Alger, après dix ans de lutte sanglante, la « décennie noire » qui mit la ville et le pays à feu et à sang. On pourrait se dire que les gens sont tournés vers l’avenir, heureux que tout cela soit derrière eux mais il n’est en rien. L’auteur nous entraîne de l’autre côté du décor, loin des clichés d’Alger la Blanche, calme et ensoleillée.

Djo est un commissaire à la retraite. Il a donné comme on dit et maintenant il tente d’oublier, de se faire oublier et voilà qu’un appel le remet en route. Un jeune homme a disparu et on lui demande d’activer ses réseaux pour le retrouver au plus vite. Lui, il voudrait qu’on lui foute la paix, qu’on le laisse tranquille, vivre sa vie mais c’est impossible. Djo doit enquêter car il a une « dette » et il veut rester fidèle à sa parole. En faisant cela, c’est comme s’il mettait le pied dans un nid de guêpes qui toutes vont se mettre à tourner autour de lui, prêtes à piquer et plusieurs fois s’il le faut. Les flics sont surveillés, corrompus, personne n’a confiance en personne et on ne sait à qui se confier, qui croire ou écouter. C’est une course contre la montre, pour gagner la vie, qu’engage Djo. Mais les temps sont durs, très durs…. Le pays est encore sous le coup du chaos, rien n’est résolu.

« Puisque tout le pays s’était décidé à plonger, la tête première, dans le néant, silencieusement et inéluctablement, ne lui restait-il pas à lui, Djoumet Malakout, commissaire de police à la retraite, qu’à se hisser vers le haut ? En criant. Criant plus fort que sa chute. »

Les services secrets, politiques, policiers, tous sont « contrôlés » soit en introduisant des hommes qui, sous le couvert, de leur mission, surveillent les autres, soit en persuadant les plus faibles qu’ils n’ont pas le choix et qu’il faut obéir et faire ce qu’on leur dit. Violence, trahison, complot, dénonciation, cabale etc … tout est là et nous fait frissonner …

La langue sèche, âpre, vibrante d’émotion contenue d’Adlène Meddi est tour à tour poétique, claquant presque des rimes et puis grondante, comme un orage quand le tonnerre se fait entendre avant de monter en puissance….jusqu’à ce que la pluie vous tombe dessus, vous laissant pantois et presque dans l’impossibilité de réagir devant ce tumulte. Il nous frappe en plein cœur, nous laissant à peine souffler car en peu de pages, tout est dit …. même l’indicible, l’inconcevable…..

Ce roman m’a scotchée,  il est pour moi, presque un témoignage tant il parle « vrai », d’ailleurs l’auteur est journaliste alors … de la fiction à la réalité de terrain….il n’y a que quelques pages …..

"Thésée universel" de László Krasznahorkai (A Théseus-áltálános)


Thésée universel (A Théseus-áltálános)
Auteur : László Krasznahorkai
Traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly
Éditions : Vagabonde (21 Avril 2011)
ISBN : 978-2919067046
96 pages

Quatrième de couverture

Devant un mystérieux auditoire, un orateur livre des vues saisissantes sur la condition humaine. Évoluant dans un univers à la fois réel et étrange, repoussant ses propres limites et celles du langage aux confins de l’hallucination, il entraîne, par ses assauts répétés, le lecteur dans une troublante confrontation avec les lois de l’imagination.


Mon avis

Aux lecteurs, aux Editions Vagabonde, aux Visiteurs, aux Inconnus, à ceux qui me liront …

Me voici, ce soir, devant vous, pour vous parler d’un livre.
Quel livre ? J’en lis et vous en lisez tant …
Oui, mais voilà, ce soir, que cela soit le sujet attendu ou non, je vais vous parler de
« Thésée universel ».

Je ne suis sans doute pas la personne que vous espériez, Bernard Pivot aurait été plus à l’aise dans cet exercice mais que voulez-vous c’est ainsi …. « on m’a choisie » ….

Cet opus se partage en trois parties: tristesse, révolte, possession.

Mais avant, penchez-vous avec moi, sur le titre : « Thésée universel ».
Thésée ? Celui qui deviendra roi d’Athènes a eu par avant, une destinée peu banale, enfant précoce, vigoureux et rusé ….
Universel ? Qui peut être reconnu par tous et toutes ….
Thésée et ses choix, ses actions, Thésée maître ou non de son destin ?


Mais venons-en au contenu …
La première édition date de 1993, mais je ne maîtrisais pas assez le hongrois pour la lire, il m’a fallu attendre mai 2011.

Qu’ai-je trouvé entre ses pages ?

Trois discours, tous déclamés par le même homme devant le même auditoire dont on peut penser qu’il est composé de membres couronnés (Son Altesse) et militaires (Monsieur le Général) et autres personnes haut placées (Monsieur le Gouverneur Général).
Au début, il ne sait pas pourquoi il est là, il ne sait pas ce qu’on attend de lui. « Nous nous en remettons à vous pour le choix du sujet …. » mais il doit discourir alors il le fait …

Premier discours : La tristesse.

Une baleine géante a-t-elle des choses à cacher ? La littérature n’est pas ce qu’on croit, méfiez-vous du lien qu’elle fait avec le sens universel ! Vous ne comprenez pas ? Peut-être faut-il lire, comme le suggère l’orateur « La Mélancolie de la Résistance » ? Je ne peux pas tout vous expliquer …. Connaissez-vous les trois formes de tristesse ?
NON ?????? Alors inscrivez-vous pour la prochaine conférence, le prochain discours de notre auteur !

Deuxième discours : La révolte.

Je sais, je sais … Je vous avais conseillé de venir pour découvrir le thème de la tristesse … et puis … vous êtes déçus ? Non, ne partez pas !!!! Pas tout de suite !!!
Laissez-moi, ou plutôt laissez-lui une chance …
Dans cette partie, le conférencier va vous parler de révolte, révolte contre certaines règles absurdes de la société, révolte contre une porte fermée à clé pendant qu’il parle, devenir du bien et du mal, … La situation évoquée est risible, presque caricaturale, explicitée dans le moindre détail avec des aller-retour, pour ne rien oublier, mais ce discours est un vrai régal. Déclamé avec force questions qui vous renvoient à votre vie, à la société dans laquelle vous vivez, aux choix des hommes politiques. Ne le ratez pas !

Troisième discours : La possession.

Vous êtes encore là ? Vous n’êtes pas partis vous inscrire pour les précédents témoignages ?
Ah oui ! Vous voulez connaître le troisième et dernier sujet pour mieux choisir si vous ne pouvez venir qu’une fois.
Alors, écoutez bien …
Cet orateur est prisonnier, a-t-il « les ailes brisées » comme le râle d’Okinawa dont il nous parle ? Possédons-nous les choses ou sont-ce elles qui nous possèdent ? Quand nous possédons beaucoup, le désir ne prend-il pas trop de place ? A quoi bon chercher du sens dans ce que nous vivons, puisque les événements ne nous appartiennent pas [ comme il nous le démontre avec l’exemple du bureau de poste (où il se déroule quelque chose qui va changer le cours de sa vie)]. Sommes-nous prisonniers de nos sentiments ?

Oui, les phrases sont parfois très longues, le « raisonnement » de notre conférencier peut sembler confus de temps à autre mais quelle maestria, quel talent, quelle originale façon d’appréhender les mots, les émotions. Quelle surprenante mais belle découverte !

« Je suis rentré chez moi, le cœur touché, et puis j’ai été pris de vertiges, et, si je peux m’exprimer ainsi devant vous, je me suis mis à tituber entre la douceur mortelle de la tristesse et l’envie irrésistible de me révolter. »

Je ne sais pas si j’ai été assez claire, pas plus que « lui », je ne suis une vraie « oratrice », pas plus que
« lui », je ne sais pas si mes mots vous auront parlé, si vous aurez compris ce que je veux transmettre. Alors, si vous voulez mieux le connaître, allez à sa rencontre, ce sera plus facile que par mon intermédiaire.
Il vaut le détour, il y a du « Kafka » chez cet homme là !

Assurément, moi, j’y retournerai …

"La belle de l'étoile" de Nadia Galy


La belle de l’étoile
Auteur : Nadia Galy
Éditions : Albin-Michel (20 Août 2014)
ISBN : 978-2226258298
240 pages

Quatrième de couverture

Après la mort de l’homme qu’elle aimait, une femme choisit de s’exiler à Saint-Pierre-et-Miquelon, île battue par les vents, espace sans frontière. Ce sera son refuge pour relire la correspondance de son amant, qu’elle se fait expédier de Paris, et y répondre, comme s’il était encore vivant. Comment survivre à la perte ? Défier l’inéluctable ?

Mon avis

« Tu sauras où me trouver. »*

C’est sur un bout d’île, ballotée par la météo, qu’elle a choisi de s’installer. A la base pour « revivre l’histoire qu’elle a eue avec son amant et lui mettre un peu de rouge aux joues ».
Un peu comme on se lance un défi pour exister, elle part sans trop réfléchir. Là-bas, elle recevra les lettres de son amant décédé (qu’elle se fait réexpédier) et elle y répondra.
Quel est son but ? Faire le deuil, accepter enfin ce qui est et qu’elle ne peut pas changer ?

Le séjour lui permettra surtout de se découvrir, de se réconcilier avec elle-même, de faire le parcours douloureux permettant de mieux se connaître, de comprendre son passé et sans doute d’appréhender son futur de façon différente.

L’écriture de Nadia Galy est poétique, de temps à autre chaotique, elle joue avec les mots, comme son personnage principal qui nous rappelle leur importance. Parfois, à mon sens, elle en fait un peu trop, notamment dans les métaphores, mais c’est vite oublié tant les descriptions sont fines et justes que ce soit pour l’atmosphère générale ou pour le ressenti de la femme qui a fui… Au bout de la fuite, elle ne trouvera qu’elle-même mais si différente que c’est presque une autre.

Le bémol pour moi, qui suis attirée par le style épistolaire, c’est que je n’ai pas lu les lettres, ni celles qu’elle reçoit, ni celles qu’elle écrit et pour cela je suis restée sur ma faim.

C’est sans doute, cette réserve qui empêchera que ce livre soit totalement apprécié.
*page 206

"Requiem" de Tony Cavanaugh (Dead Girl Sing)


Requiem (Dead Girl Sing)
Auteur : Tony Cavanaugh
Traduit de l’anglais (Australie) par Paul Benita
Éditions : Sonatine (14 Février 2019)
ISBN : 9782355847196
340 pages

Quatrième de couverture

Quelques mots prononcés au téléphone : " Darian, il faut que tu viennes. Tu es le seul à pouvoir nous aider. Il y a tant de corps ! " ... puis plus rien. L'appel vient d'Ida, une jeune fille que Darian Richards, ex-flic des homicides de Melbourne, a sauvée quelques mois plus tôt d'une sale affaire. Une enquête qui va se transformer en cauchemar.

Mon avis

Ce roman m’a permis de faire connaissance avec Darian Richards, un ex flic des homicides de Melbourne qui ne travaille plus et vit retiré dans un petit bungalow. Il habite seul, a peu d’amis et apparaît très vite comme un tantinet marginal. Un jour, il reçoit un coup de fil d’une ancienne connaissance et cela ressemble fortement à un appel au secours. C’est une jeune fille qu’il a aidée quelque temps avant. Il décide de la rejoindre mais rien n’est simple, elle a disparu. Il va se retrouver face à deux cadavres et interrogé par la police du comté.

A travers les chapitres, on alterne les prises de parole entre Darian et une personne dont on comprend très vite qu’elle n’est pas « nette » et que ses agissements sont dangereux. L’essentiel ne va pas être dans les actions successives mais plutôt dans la façon dont ces deux-là (entourés de leurs comparses) jouent au chat et à la souris, à qui perd gagne, utilisant ruses et astuces pour piéger l’autre mais surtout se coulant dans la personnalité de l’adversaire pour mieux le comprendre, le cerner, et agir en fonction de ses futures réactions. On passe d’un point de vue à l’autre en modifiant les angles de vue. J’ai trouvé cela très intéressant et très bien retranscrit par l’auteur. C’est une approche « intime » des choix et agissements des protagonistes.

Darian m’a beaucoup plu. Il ne rentre pas dans les codes du genre « policier parfait ». Il aime décider lui-même, éventuellement faire justice à sa façon s’il pense que c’est nécessaire. Il est solitaire, grognon, limite asocial mais terriblement humain ! Il a une personnalité atypique et suivre ses raisonnements est un régal tant il flirte avec les limites d’une façon tout à fait intelligente. Il est souvent sur la tangente et a des réparties ou des silences, qui, sans être impertinents, désarçonnent ses interlocuteurs (et ravissent le lecteur qui sourit).
L’Australie et son côté gigantesque et sauvage se prête bien au décor de cette intrigue. On peut s’y perdre, s’y faire oublier. La vie l’habite mais semble superficielle de temps à autre. D’ailleurs les policiers (autres que Darian qui ne l’est plus) ne sont pas toujours passionnés par leur métier. Certains recherchent la notoriété facile quitte à laisser de côté certains indices qui les obligeraient à travailler plus…. La corruption n’est pas loin …

Tony Cavanaugh a une écriture très addictive, fluide (merci au traducteur), les dialogues sont percutants et le rythme rapide. De plus il n’y a pas pléthore d’individus, tout est clairement défini et le lecteur ne se perd pas dans des ramifications alambiquées. Il ne s’attarde pas non plus en longues descriptions sur les scènes difficiles, il les « campe » en quelques mots porteurs de sens et c’est bien suffisant. Cela maintient une atmosphère lugubre qui convient bien au contexte.

De nombreuses (et belles) références musicales accompagnent ce récit, je les ai trouvées bien choisies.

Ce recueil est donc, pour moi, une belle découverte et me donne très envie de lire les deux premiers titres de l’auteur.

"Sgan: Accusé de réception" de Virginie Singeot-Fabre


SGAN : Accusé de réception
Auteur : Virginie Singeot-Fabre
Éditions : Aconitum (7 Février 2019)
ISBN : 9782378370589
202 pages

Quatrième de couverture

Sgan', jeune collégien intellectuellement précoce, reçoit un mystérieux courrier abîmé dont il ne parvient pas à identifier l'expéditeur. Aidé de ses fidèles amis Parfait et Valentine - sans compter l'envahissante Kathleen - il va tenter de percer les secrets de cette étrange missive.

Mon avis

Voici un très bon roman pour un jeune public (fin de primaire, début de collège). Il met en scène Sgan’, un collégien, et ses amis. Une lettre datant de 1974 arrive au domicile de Sganarelle et il décide avec ses camarades de remonter le fil pour savoir d’où provient ce courrier, à qui il était destiné et si possible de le restituer à son propriétaire.

En lien avec l’actualité de l’époque (cela permet de se remémorer certains faits très importants et je trouve que c’est intéressant pour le lecteur qui peut retenir des dates marquantes), les recherches de Sgan’ et de ses copains sont menées tambour battant, on reste ainsi plongé dans l’intrigue sans temps mort.

L’écriture est de qualité, pas du tout mièvre, ce qui est essentiel. Trop souvent, les auteurs ont tendance à négliger ce point, parlant « jeune » pour « faire comme si », mais tous les adolescents ne négligent pas leur phrasé (sans non plus tomber dans l’extrême d’un langage soutenu).

J’ai trouvé ce recueil très agréable, Sganarelle est attachant, il est HP (à haut potentiel donc intellectuellement précoce) mais il n’en rajoute pas, il ne se la joue pas. Il a les mêmes préoccupations que ceux de son âge : ses devoirs, ses amis, ses amours, ses parents, l’ordinateur de son père….

C’est un livre que je recommande pour (re)donner le goût de la lecture à ceux qui entre neuf et treize ans ont tendance à l’oublier…..

NB : la couverture est très belle, bravo !

"Un cri sous la glace" de Camilla Grebe (Älskaren från huvudkontoret)


Un cri sous la glace (Älskaren från huvudkontoret)
Auteur : Camilla Grebe
Traduit du suédois par Anna Postel
Éditions :  Calmann-Levy (1 er Février 2017)
ISBN : 978-2702160213
448 pages

Quatrième de couverture

Emma, jeune Suédoise, a un secret : son patron Jesper lui a demandé sa main, mais il ne veut surtout pas qu'elle ébruite la nouvelle. Deux mois plus tard, son fiancé disparaît sans laisser de traces et l'on retrouve dans sa superbe maison le cadavre d'une femme, la tête tranchée. Personne ne parvient à l'identifier. Peter, policier émérite, et Hanne, profileuse de talent, font équipe pour enquêter.

Mon avis

Emma travaille dans une boutique de vêtements et un jour, la voilà qui se retrouve à servir son patron. Très rapidement, il la séduit mais lui demande de la discrétion au vu de leur situation respective. Il lui rend visite régulièrement, lui offre une bague de fiançailles, elle est sur un nuage. Jusqu’au jour où il disparaît de son univers et ne lui donne aucune nouvelle. Une femme est retrouvée, décapitée, dans sa luxueuse demeure. Que s’est-il passé ? Pourquoi ? Qu’a-t-il fait ?

A partir de là, le roman s’emballe et de belle façon ! L’enquête est confiée à Peter, un policier qui ne croit plus en rien, rejoint peu de temps après par Hanne, une profileuse qu’il a aimé plusieurs années auparavant. Ces deux-là ne sont pas au top dans leur vie personnelle mais essaient de se donner les moyens d’avancer et de comprendre. Hanne, surtout, a une approche intéressante des événements, des personnes, son raisonnement est fin, poussé à l’extrême.

Peter, Hanne, Emma prennent la parole tour à tour, chacun dit « je » et certaines scènes sont revisitées suivant la personne qui l’analyse. Ils ne s’expriment pas de la même façon, ils ont des opinions, des ressentis différents en lien avec leur sensibilité, leur place dans la vie.

 Voilà un excellent thriller. Les éléments arrivent par bribes, l’atmosphère est anxiogène, angoissante. Peter, en homme cabossé est attachant et Hanne, en femme qui se décide à prendre sa vie en main nous fait plaisir. Emma nous fait passer par des sentiments ambivalents Le passé de chacun des protagonistes va nous être dévoilé petit à petit au fil de chapitres et on comprend très vite que les faits antérieurs influencent le présent.

Camilla Grebe installe une ambiance intime, proche de ses personnages. Elle va au cœur des choses, nous parle d’amour, d’abandon, de mort, de vie gâchée avec un formidable doigté. Son écriture est fluide (merci à la traductrice) et le rythme est assez rapide et pourvu en rebondissements pour qu’on ne s’ennuie pas une seconde !



"Le poison d'amour" de Éric-Emmanuel Schmitt


Le poison d’amour
Auteur : Eric-Emmanuel Schmitt
Éditions : Albin Michel (1 er Octobre 2014)
ISBN : 9782226259950
180 pages

Quatrième de couverture

Quatre adolescentes de seize ans liées par un pacte d’amitié éternelle tiennent le journal de leur impatience, de leurs désirs, de leurs conquêtes et de leurs rêves. Comment éviter les désastres affectifs dont les couples parentaux donnent l’image quotidienne ? Hier encore des enfants, les voilà prises au piège de cette émotion bouleversante, l’amour, prêtes à entrer dans ce domaine mystérieux, cette folie qui peut les transformer en monstres.

Mon avis

J’ai souhaité lire ce livre car il n’était pas trop long et qu’il représentait une occasion pour moi de me réconcilier avec Éric-Emmanuel Schmitt car je n’ai pas apprécié ses derniers ouvrages. Et bien, ce n’est pas une pleine réussite.

L’idée de départ est bonne et avait tout pour me plaire. Quatre jeunes lycéennes se racontent, la plupart du temps par l’intermédiaire de leur journal intime. On découvre ainsi les tourments habituels des adolescentes de cet âge : amour, amitié, jalousie, parents qui se séparent, mensonges, trahisons, rébellion, chamboulement intérieur face à tout cela. L’auteur a su se glisser dans « la peau » des quatre amies pour s’exprimer à leur place, c’est un bon point.

L’ensemble m’a paru un peu caricatural, convenu, j’avais deviné qui se cachait derrière les mails, mais je n’avais pas imaginé une telle fin même si, à cette période de la vie, tout est vécu de façon excessive.

Ce qui m’a dérangée, c’est l’impression que cela reste superficiel, et que du coup, ça ne m’apporte rien. Or, ce que j’attends d’un livre, c’est qu’il me bouscule, ou me procure du plaisir, ou me fasse poser des questions me donnant envie d’aller plus loin. Avec « Le poison d’amour », rien de cela, simplement une indifférence polie comme lorsque je feuillette un magazine car je n’ai rien d’autre sous la main…..


"Le salon de beauté de Melba Escobar (La casa de la belleza)


Le salon de beauté (La casa de la belleza)
Auteur : Melba Escobar
Traduit de l’espagnol (Colombie) par Margot Nguyen Béraud
Éditions : Denoël (3 Mai 2018)
ISBN : 978-2207139196
240 pages

Quatrième de couverture

La Maison de la Beauté est un luxueux institut de la Zona Rosa, l’un des quartiers animés de Bogotá, et Karen l’une de ses esthéticiennes les plus prisées. Mais son rôle dépasse largement l’art de la manucure. Un après-midi pluvieux, une adolescente entre dans le salon - en uniforme d’écolière et sentant très fort l’alcool : Sabrina doit être impeccable pour une occasion très particulière. Le lendemain elle est retrouvée morte. Karen est la dernière personne à l’avoir vue vivante.

Mon avis

Deux secondes peuvent tout changer…

Nous sommes à Bogota, en Colombie dans un luxueux salon de beauté où Karen travaille comme esthéticienne, en essayant d’économise le plus possible pour faire venir son jeune fils auprès d’elle.
Elle sait pas mal de choses sur ses clientes, entre épilations et massages, certaines se confient. Sabrina, qui a été retrouvée morte, était venue la voir, lui aurait-elle communiquer quelque chose ?

C’est Claire, psychanalyste, une autre personne qui vient pour des soins auprès de Karen, qui est la narratrice de ce roman noir urbain. Noir car on découvre une ville entachée de corruption, de trafics divers où il est difficile de se faire une place, urbain car la politique de la cité est dévoilée, les contrastes entre les quartiers, la vie quotidienne des habitants pas tous traités de la même façon.

Ce n’est pas tant les recherches pour comprendre la mort de Sabrina que l’atmosphère et les envies d’ailleurs de Karen qui sont les points principaux de ce recueil.  Je n’irai pas jusqu’à dire « peu importe qui a tué » (de préférence un vrai méchant qui se fera coincer) mais pour moi, l’essentiel n’est pas là. Il est dans la présence de Karen au milieu d’autres employées issues de la bonne société contrairement à elle, il est également dans la présentation de ces personnes de la « haute » qui ne sont qu’illusion et qui dirigent, régentent, montrant le miroir aux alouettes à ceux qui triment et se prennent à espérer.

Bogota est une vielle sombre où il n’est pas facile d’être heureux et où exister à part entière est un combat de chaque jour pour certains, étouffés par les « puissants ».

J’ai été un peu désarçonnée par la construction de ce livre. A mon sens, elle enlève un peu de fluidité au récit, peut-être que la traduction a été difficile, je ne sais pas. J’ai trouvé cette lecture hachée bien que très intéressante par le contexte qu’elle présente. L’auteur a eu du courage d’aborder de tels thèmes (entre autres la corruption policière et politique) qui peuvent déranger les élus même s’il s’agit de fiction.

"Le chant des revenants" de Jesmyn Ward (Sing, unburied, sing)


Le chant des revenants (Sing, unburied, sing)
Auteur : Jesmyn Ward
Traduit de l’américain par Charles Recoursé
Éditions : Belfond (7 Février 2019)
ISBN : 9782714479099
280 pages

Quatrième de couverture

Jojo n’a que treize ans mais c’est déjà l’homme de la maison. Son grand-père lui a tout appris. De son autre famille, Jojo ne sait pas grand-chose. Ces blancs n’ont jamais accepté que leur fils fasse des enfants à une noire. Et puis il y a Leonie, sa mère, qui vient d’apprendre que Michael, son mari, va sortir de prison et qui décide d’embarquer les enfants en voiture pour un voyage plein de dangers, de fantômes mais aussi de promesses… 

Mon avis

Magnifique roman choral, ce livre est une petite merveille. De par les thèmes abordés, le lieu où se déroule l’histoire, et également par les personnages aux portraits finement ciselés pour faire de certains des joyaux étincelants.

Jojo, treize ans, est le fils de Michael, un blanc actuellement en prison et de Leonie, une jeune femme noire. Ces deux-là se sont connus tôt et la famille de Michael n’a jamais accepté le choix de leur rejeton.  L’Amérique a beaucoup progressé dans le combat du racisme mais il reste présent même de nos jours comme le démontre le récit. Jojo a une petite sœur surnommée Kayla dont il s’occupe avec un amour immense, prenant soin d’elle à la place de leur mère totalement défaillante. Peut-être qu’elle aimerait faire mieux mais elle n’y arrive pas, elle se drogue, elle boit, elle vit de petits boulots et est installée avec ses deux gamins chez ses parents. La grand-mère est malade, très fatiguée et ce sont Jospeh et le Papy qui font tourner la maison tant bien que mal. Et puis, voilà que le père annonce sa sortie et que Leonie décide de partir sur les routes avec les deux petits, pour aller le récupérer. Traumatisée par le décès de son frère, Leonie est « handicapée » des sentiments, elle voudrait être une meilleure maman mais elle n’y arrive alors elle peut-être brutale, désordonnée, maladroite, malheureuse….
« Elle me déteste, je dis.
-Non, elle t’aime. Elle ne sait pas le montrer. »

Dans ce livre, même les morts parlent, puisque prennent la parole tour à tour : Jojo, Leonie et Richie (il est mort mais Jojo le voit et l’entend quelques fois). Introduire Richie dans le contexte a permis à l’auteur de parler du passé, de faire des parallèles entre ici et maintenant et les réactions d’autrefois et ainsi de montrer que les gens changent mais que leur conscience n’évolue pas forcément.


Lorsque le jeune garçon s’exprime, on sent tout le désarroi qui l’habite. Les questions que l’attitude de sa génitrice lui renvoient, la découverte de la communauté noire et du passé douloureux de son aïeul, ses sentiments face à la mort qui rode….

L’écriture poétique, sensible, délicate, de l’auteur magnifie certains passages, notamment ceux où sont évoqués les liens qui unissent Jojo et Kayla, ou Jojo et son grand-père. On ne dit pas « je t’aime » dans cette famille, on est pudique mais chaque geste, chaque mot transpirent l’amour et l’émotion est au rendez-vous tant les protagonistes sont décrits avec humanité. On voit que l’Amérique a encore du chemin à faire pour laisser une place à chacun. C’est par petites touches que l’on découvre la difficulté d’être né noir dans le Mississipi où la chaleur semble faire fondre la lucidité de certains (l’attitude du policier est révoltante). Dans ce road trip, l’atmosphère vous englue, l’air chaud vous colle à la peau mais Jojo vous prend la main et vous ne voulez plus le lâcher.

C’est fort, puissant. Magnifiquement traduit ce roman sublime, subtil, vous parle au cœur, à la tête, il vit entre vos mains et il vous pousse à réfléchir.

NB : Jesmyn Ward est la première femme deux fois lauréate du National Book Award.

"L'aubépine" de Sophie Selliez


L’aubépine
Auteur : Sophie Selliez
Éditions : LBS éditions (10 Janvier 2019)
ISBN : 978-2378370572
260 pages

Quatrième de couverture

Aurore, Gabriel, François, Natacha, Claire, Xavier et Anne-Cécile effectuent un premier bilan de leur vie d'adulte.  Comment concilier réalisation de soi et respect de l'autre ? Comment trouver sa place dans un monde aux valeurs en pleine mutation ?

Mon avis

Une excellente play list, une écriture délicate et aboutie, que demander de plus ?

Ce premier roman met en scène des hommes et des femmes, en couple ou pas, dans leur quotidien. Des gens comme vous et moi, alors forcément, on peut s’identifier ou reconnaître des amis dans les personnages proposés.

La grande force de Sophie Selliez est d’avoir réussi un récit tout à fait crédible, ancré dans la réalité où les situations sont de celles que l’on peut vivre. Son écriture est vive, agréable, moderne. Elle cisèle avec finesse les faits et les rapports humains qui en découlent. Son sens de l’observation se ressent tant son approche humaine est précise. On dirait presque qu’elle a vécu tout ce qu’elle présente. Il y a ceux qui se posent des questions parce que leur union semble être arrivée à son terme ou bien parce que l’étincelle a disparu, ceux qui voudraient se marier, ceux qui espèrent un enfant qui ne vient pas etc… C’est aussi l’analyse de ces rencontres, de celles qui bouleversent une vie, vous mettent la tête et le coeur à l’envers et dont vous ne savez plus ce qu’il faut en faire. Les ranger au plus profond de votre être pour ne pas les abîmer ou foncer pour en profiter ? L’auteur nous rappelle également combien les choix sont difficiles, coûteux parce qu’une fois qu’ils sont faits, on ne peut s’empêcher de penser que peut-être, si ….

J’ai dévoré ce recueil, le style est fluide, les personnages attachants dans leur force et leur faiblesse. Ils sont humains tout simplement…. Ce ne sont pas des surhommes, ils ont des failles, les assument plus ou moins et Sophie Selliez en parle si bien qu’on a l’impression qu’on pourrait les rencontrer demain. Il y a suffisamment d’individus pour passer de l’un à l’autre sans se lasser. Et la construction des chapitres est très nette, on ne se perd pas et puis certains se croisent bien sûr !

Cerise sur le gâteau : les titres musicaux s’accordent à merveille au texte et font de ce livre un cadeau cocooning. Un conseil : musique (vous avez les morceaux en fin d’ouvrage), canapé et … bonne lecture !

"La chambre des murmures" de Dean Koontz (The Whispering Room)


La chambre des murmures (The Whispering Room)
Auteur :  Dean Koontz
Traduit de l’américain par Sebastian Danchin
Éditions : L’Archipel (6 Février 2019)
ISBN : 9782809825626
462 pages

Quatrième de couverture

 « Il n’est plus temps d’attendre... »
Tels sont les mots qui résonnent dans l’esprit de Cora Gunders, juste avant qu’elle commette un attentat-suicide.
« Accomplis la mission qui t’incombe... »
L’effroyable contenu du journal intime de Cora corrobore l’hypothèse de la démence. Lorsque de nouveaux cas surviennent, Jane Hawk, inspectrice du FBI en disponibilité, comprend que chaque seconde compte. Sa traque va la conduire Jane sur la piste d’une confrérie secrète...

Mon avis

En son temps, Jules Verne avait évoqué dans ses livres certains progrès scientifiques et cela prêtait à sourire…. et puis….l’avenir a démontré que…. finalement de la fiction écrite à la réalité quelques décennies après… il n’y avait que quelques pas….
 Alors, lorsque Dean Koontz présente des hommes et des femmes devenues dociles, manipulées par quelques individus nocifs qui veulent régenter et dominer le monde, on frissonne… Bien sûr, la méthode employée par les malfrats dans le récit, n’est pas encore d’actualité mais les choses vont tellement vite…les dérives de notre société sont parfois émergentes et il faut rester vigilants. Ce bon roman est là pour nous divertir, mais il peut également servir de piqûre de rappel.

Cora Gunders est une jeune enseignante, dynamique et aimée de tous jusqu’au jour fatal où elle commet un attentat suicide. C’est plus qu’inexplicable et personne ne comprend ce qui a pu se passer dans sa tête. Le shérif Luther Tillman se pose des questions et pense qu’il faut creuser l’affaire. Mais les fédéraux ne l’entendent pas de cette oreille et le mettent à part presqu’en devenant menaçants. Comme Luther est un gars vraiment bien, plus il sent que les « officiels » veulent étouffer ce qui s’est passé, plus il essaie de comprendre.  Bien sûr, rien ne sera simple, il va être courcircuité, surveillé, traqué….mais il n’a pas envie de lâcher et il essaie d’avancer….

Une autre personne que cet acte interroge, c’est Jane Hawk. Elle fait le parallèle entre le suicide incompréhensible de son mari et la tuerie hors norme provoquée par Cora. Elle ne comprend pas que des citoyens bien sous tous rapports aient pu basculer du jour au lendemain dans des situations ne leur correspondant pas. Elle n’est pas en odeur de sainteté chez ses patrons du FBI et tout cela va bien la gêner car elle dérange au point qu’il vaudrait mieux qu’elle disparaisse, comme par accident (ben voyons). Comme le shérif, c’est quelqu’un avec un caractère fort, prête à aller jusqu’au bout, à prendre des risques pour faire éclater la vérité. Il va s’agir d’une course contre la montre pour essayer d’enrayer ce qui est en train de se mettre en place….

C’est un recueil que j’ai beaucoup apprécié. Il y a plusieurs parties et de nombreux chapitres assez courts permettant de passer très vite d’un lieu à l’autre pour retrouver les différents protagonistes dont certains très attachants. Tous les codes du genre pour faire un bon polar sont réunis. C’est peut-être parfois, un tantinet prévisible mais c’est terriblement efficace et addictif. Les personnages sont bien définis, caricaturaux pour quelques-uns (du coup, si ce sont de parfaits salauds, on a bien envie de leur mettre une gifle et on ne ressent aucune empathie, voire du dégoût et c’est parfait). L’intrigue est remplie d’actions, de rebondissements, de surprises, de mouvements et de passages plus doux pour nous laisser souffler ou espérer…)

Je n’ai pas lu Dark Web où Jane Hawk est déjà présente mais je vais m’empresser de le faire rapidement et comme je sais qu’en américain, il y a d’autres tomes, j’espère que les éditions de l’Archipel les publieront sans tarder.



"Connemara Black" de Gérard Coquet


Connemara Black
Auteur : Gérard Coquet
Éditions : Jigal (15 Février 2017)
ISBN : 979-1092016925
350 pages

Quatrième de couverture

La Connemara Black est une mouche artificielle permettant au pêcheur de ne jamais rentrer bredouille... C'est également le nom d'un ancien groupe armé de l'IRA, l'Armée Républicaine Irlandaise. Mais c'est aussi le surnom donné aux filles vivant dans cette baie, à l'ouest de l'Irlande. Elles sont souvent très belles mais plus revêches à apprivoiser qu'un poney des tourbières. Ciara McMurphy en est une. Après un mariage raté, elle a fui la région et s'est engagée dans la Garda, la police locale. Mais lorsqu'une série de meurtres balaie la ville de Galway, c'est elle que le commissaire Grady choisit d'envoyer sur ses terres natales afin de surveiller ce qui reste des indépendantistes.

Mon avis

Pêche en eau trouble, tâches de rousseur, Guinness et …….

Connemara Black c’est le nom d’une mouche pour la pêche (celle qui est en photo sur la couverture) mais également le nom d’un ancien groupe de l’IRA et aussi (page 112) une façon de parler de Ciara McMurphy. Elle, c’est une irlandaise jusqu’au bout des ongles, belle comme un feu de la Saint Jean , plus têtue qu’une ânesse, rebelle, n’ayant pas la langue dans sa poche. Son mariage a été une catastrophe, alors elle s’est engagée dans La Garda, comme lieutenant, et officie dans la ville de Galway. 

Suite à des assassinats pour le moins bizarres, ses supérieurs l’envoient en mission dans sa région natale. Là bas, vit un homme qui a été en contact avec certaines des victimes. Il va falloir jouer serré, surveiller et essayer d’en savoir plus.  Présentée comme cela, l’intrigue semble assez simpliste mais il n’en est rien. Mêlant guerre de clans et conflits religieux, magie noire, mythologie celtique, l’auteur nous emmène dans des coins d’Irlande où les hommes sont droits dans leurs bottes, prêts à tout pour ne pas perdre la face. Les policiers du cru ont décidé qu’ils ne feraient rien, ni dans un sens, ni dans un autre, pour Ciara. Elle se retrouve là-bas, où son père avait mauvaise réputation et où personne n’a envie qu’elle pointe son nez, même s’il est parsemé de taches de rousseur….  Rien ne sera aisé pour elle,  et si elle va rencontrer des vivants, elle sera également hantée par les morts et que dire des fantômes ?

L’Irlande est un de mes pays préférés. J’aime ses landes désertiques, ses mélodies, ses lacs, ses moutons, sa tourbe (surtout son odeur lorsqu’elle brûle), ses habitants qui paraissent farouches mais qui, une fois qu’ils vous ont adoptés, sont prêts à tout pour vous rendre service. J’ai retrouvé cette atmosphère sous la plume de Gérard Coquet, je sentais, j’observais, j’entendais (me branchant sur You Tube à chaque titre évoqué) je m’imprégnais du décor et il me semblait voir les protagonistes évoluer sous mes yeux. De plus, l’auteur a un humour qui permet de reprendre son souffle entre deux situations tendues :
« Des histoires d’amour aussi fades que des brocolis bouillis » (ce n’est pas fade, c’est beuurkkk…. ;-)
« L’échalas galonné, avec son pif bouché et son club de golf dans le rectum… »

Ce livre a comblé la lectrice avide de connaissances que je suis. Les explications mythologiques, historiques (même un peu survolées), mathématiques (lorsque le collègue de McMurphy , Bryan Doyle présente « Logiques et Théories des ensembles » pour faire avancer l’enquête), ou les tableaux de Hieronymus Bosch (qui m’ont fait penser à la série de Harry Bosh, grâce à laquelle j’ai découvert cet artiste), autant de sujets parfaitement intégrés au contenu, bien choisis, et qui deviennent indispensables pour comprendre.

Quant aux différents personnages, hauts en couleurs, ils sont souvent coriaces, entêtés, parfois obtus, mais attachants, enfin presque tous. La plupart ont une faille, une blessure secrète (qu’il essaient de cacher ou d’oublier) et cela les rend terriblement humains. Je donnerai une mention très bien à Bryan, il m’a paru très au fait de plein de choses mais comme il a parfois du mal à s’exprimer (il faut dire que Chiara n’est pas la reine de l’écoute ; elle, il faut que ça brasse, que ça avance et elle a une fâcheuse tendance à brailler ), et surtout à aller droit au but, et bien, ça donne des dialogues savoureux (surtout quand sa chef le fait rougir avec quelques allusions salaces). Chiara, elle, est une femme qui a souffert mais qui ne veut pas que ça se sache donc elle se campe sur ses jambes, et avec un langage que ne renierait pas un « mâle, un vrai », elle ne s’en laisse pas compter. Et puis, pour un chat, elle baisse sa garde et montre un peu de sa fragilité bien cachée sous sa carapace.

L’eau n’est pas toujours claire, la pluie et la boue s’invitent souvent, les hommes se rendent coup pour coup, le sang coule presque autant que la bière, mais crévindieu que l’écriture et le style sont addictifs. Râpeux comme une Guinness, rythmés comme une tempête en mer d’Erin, et envoûtants comme une ballade irlandaise….. D’ailleurs, ça et là, quelques références musicales de qualité, des artistes ou de belles complaintes irlandaises : Sharon Shannon, The Fields of Athenry …. Et on peut penser que ces choix ne sont pas anodins….. Merci Monsieur Coquet pour le voyage ! Je serai bien restée un peu plus ……

"Dans la neige" de Danya Kukafka (Girl in Snow)


Dans la neige (Girl in Snow)
Auteur : Danya Kukafka
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claude et Jean Demanuelli
Éditions : Sonatine (7 Février 2019)
ISBN : 978-2355846649
360 pages

Quatrième de couverture

Dans cette petite ville du Colorado, on adore ou on déteste Lucinda Hayes, mais elle ne laisse personne indifférent. Surtout pas Cameron, qui passe son temps à l'épier, ni Jade, qui la jalouse terriblement. Encore moins Russ, qui enquête sur sa mort brutale. On vient en effet de retrouver le corps de Lucinda dans la neige.

Mon avis

Nous sommes en 2005, en plein hiver, à Broomsville, dans le Colorado, une jeune lycéenne est décédée, découverte dans un parc près de chez elle. Elle s’appelait Lucinda Hayes et tant dans son établissement scolaire que dans son quartier, c’est la stupeur complète. Qu’a-t-il pu se passer ? La mort n’est pas naturelle, qui et pourquoi ?

Ici, pas d’enquête où nous suivons les recherches de la police ou le passé de l’adolescente pour comprendre. Nous nous trouvons face à une construction originale où tour à tour sont mis en lumière :  Cameron, Jade et Russ.
Cameron, un élève du même lycée qui admirait, espionnait, surveillait Lucinda. Un adolescent, dont les professeurs diraient, en conseil de classe, qu’il est « particulier ». Son attachement à Lucinda vire à l’obsession, il la dessine sans arrêt, passe une partie de ses soirées en mode « nuits-statues » debout, caché, à regarder les voisins vivre leur vie et il sait beaucoup de choses sur eux. Son mal-être l’empoisonne et l’empêche d’avoir des relations normales et simples. Est-il coupable, a-t-il des éléments sur le drame ?
Jade, est également scolarisée au même endroit. Sa petite sœur est très amie avec celle de Lucinda et les deux familles ont souvent réuni leur progéniture. Mais Jade ne s’est jamais sentie proche de Lucinda, c’est même presque le contraire. Une forme d’indifférence l’habite. D’ailleurs, pas de larmes lorsqu’elle apprend le décès.  Elle a été très proche de l’ex petit copain de la morte. A-t-elle senti quelque chose, a-t-elle des éléments ? Et que cache ce détachement ?
Russ, le policier qu’on a appelé dès les premières minutes a des soucis dans sa vie privée. Il a été le coéquipier du père de Cameron qui a disparu (on apprendra pourquoi) et qui lui a confié son fils. Il vit avec Inès dont le frère, Ivan, a découvert le corps. Ce dernier, pas très clair aux yeux du policier, ferait un bon coupable….

Sur quelques jours d’enquête, nous passons tour à tour de l’un à l’autre, découvrant le côté obscur, la part d’ombre, de mystère, de ces individus. Rien n’est laissé au hasard, ni leurs ressentis, ni leurs conversations, ni leur passé qui apparaît petit à petit et qui nous dévoile des personnalités complexes. Tout est dans cette approche psychologique, faite à petites touches, à travers des chapitres qui présentent les relations que les uns et les autres entretenaient, leurs écrits secrets, leur mode de vie….. Chacun se pose des questions sur les autres.
« On s’active tous à essayer de se comprendre et de comprendre les autres. Mais il y a des moments où les petites bulles d’humanité que nous sommes entrent en collision. »

Il y a également les habitants du lieu avec leurs non-dits, leur jalousie, leurs problèmes. On s’aperçoit vite de l’impact de la mort de la jeune fille sur la communauté. L’ambiguïté des liens établis entre les gens du coin instille une atmosphère lourde de silence, parfois presque étouffante.

Le rythme est plutôt lent, sans aucun doute à cause de l’articulation des chapitres qui ne nous amène pas à suivre une intrigue avec des rebondissements comme dans un polar plus classique. C’est vraiment le côté psychique qui est privilégié et la complexité de l’esprit humain. Mais l’auteur s’en sort de main de maître (alors qu’il s’agit de son premier récit). L’écriture est précise, fouillée, addictive car le lecteur a le besoin de cerner plus précisément ceux qui ont tous eu un lien avec la jeune Lucinda afin de connaître la vérité.

J’ai beaucoup apprécié cette lecture. Danya Kukafka a déjà un style bien à elle, personnel et rempli de maturité.