"Bienvenue au conseil de surveillance" de Peter Handke (Begrüßung des Aufsichtsrats)

 

Bienvenue au conseil de surveillance (Begrüßung des Aufsichtsrats)
Auteur : Peter Handke
Nouvelle traduction de l’allemand (Autriche) par Laurent Cassagnau
Éditions : Christian Bourgois (1er Juin 2023)
ISBN : 978-2267050783
210 pages

Quatrième de couverture

Quel est ce conseil de surveillance qui se réunit dans une maison isolée quelque part en montagne ? La pièce n’est pas chauffée, les vitres sont cassées, le vent souffle dehors, et un enfant vient de mourir juste devant, heurté par une voiture alors qu’il faisait de la luge. Est-ce un des membres du conseil qui a tué accidentellement l’enfant du concierge ? Et quel est le but de la réunion ? Bienvenue au conseil de surveillance explore tous les ressorts de la violence en dix-neuf récits.

Mon avis

Peter Handke est né en Autriche en 1942. Il a eu le prix Nobel de littérature en 2019. La vingtaine de textes que réunit ce livre, a été rédigée entre 1963 et 1969. Une nouvelle traduction vient d’être faite et elle est publiée par Christian Bourgois éditeur.

Le point commun entre toutes ces histoires, c’est la violence sous toutes ses formes. Elle peut toucher la personne elle-même, les autres, la nature, etc. Chaque situation est décortiquée, analysée, présentée avec une écriture chirurgicale, concise, dénuée de tout affect. Les faits, rien que les faits, qu’on prend en pleine face. Cela peut être des situations ordinaires, voire banales mais un grain de sable et le tragique est présent, vous faisant froid dans le dos (je pense à « Témoin oculaire » qui est bouleversant de simplicité et de désespoir). Ce qu’il se passe ? Presque rien et pourtant c’est terrible.

« Le procès » est bien entendu à rapprocher du récit, portant le même nom, de Franz Kafka. Comment les hommes rendant la justice peuvent-ils se tromper ? Comment un homme peut-il finir par se sentir coupable alors qu’il ne l’est pas ? C’est la manipulation des mots, des phrases à qui on fait dire ce qu’on veut.

 Peter Handke les choisit, les tourne, les assemble dans un but précis, celui de transmettre d’une façon dramatique l’annonce d’une mort. Les descriptions sont visuelles, froides, faites, le plus souvent, de peu de mots, pour frapper encore plus fort et rendre « réel » ce qu’on lit. Dans ces courtes nouvelles, des personnes meurent parfois par accident, parfois parce qu’en face, quelqu’un a eu la volonté de les tuer, la finalité est la même.

Je ne vais pas analyser chaque histoire afin de ne pas trop en dire. Mais elles sont toutes différentes et présentent divers aspects de la violence. Il y a une profonde réflexion derrière tout ça malgré le petit nombre de pages.

J’ai été impressionnée par le style littéraire, les styles, devrais-je écrire car c’est varié. L’auteur est né en 1942, les textes de ce recueil ont été consignés entre 1962 et 1967. Il était donc très jeune. Pourtant il y a de la puissance dans ce qu’il présente, de la recherche. C’est très ambivalent, car on pourrait presque sourire devant chaque drame évoqué mais on sait bien qu’on ne peut pas. Pourquoi ? Parce que c’est corrosif, avec une pointe d’absurde et de provocation mais le ton employé fait qu’on reste dans le politiquement correct, c’est sacrément bien pensé !

Je n’ai pas lu la première version, je ne peux donc pas comparer la traduction. Je ne doute pas que celle-ci doit être plus adaptée à notre époque, plus percutante sans pour autant déflorer le contenu. Est-ce que Laurent Cassagnau avait lu la première version ? Quoiqu’il en soit, bravo pour son travail car si cet opus est intéressant, c’est aussi parce qu’il a réussi à trouver le bon vocabulaire.

C’est décapant et c’est une magnifique découverte !

NB : les « questions d’examen » m’ont bouleversée, heureusement que je ne passe pas le bac !

"Qui sème des graines de folie croque la vie" de Charlotte Léman

Qui sème des graines de folie croque la vie
Auteur : Charlotte Léman
Éditions : L’Archipel (1er Juin 2023)
ISBN : 9782809846799
384 pages

Quatrième de couverture

Marie court, tout le temps. Elle jongle entre l'intendance du quotidien, un travail prenant et deux ados qu'elle élève seule : Marie est une Wonder Woman des temps modernes. Mais sa mécanique s'enraye lorsqu'elle perd son emploi du jour au lendemain. Elle décide de profiter de son infortune pour prendre un nouveau départ, loin du tumulte de la vie parisienne. Alors que Marie commence à se demander si elle n'a pas fait une erreur en quittant ses repères, une voisine l'invite à rejoindre le Cercle des Floralies, un groupe de femmes atypiques qui cultivent la joie de vivre.

Mon avis

Ça ne coûte rien de se faire du bien. Lire un roman feel good n’est pas désuet, c’est comme prendre un carré de chocolat, un bout de brioche ou autre douceur. C’est une parenthèse délicate, enchantée, qui met le sourire aux lèvres, qui lance des « pourquoi pas » dans votre esprit, qui requinque, regonfle ou donne de l’allant tout simplement.

Cette lecture en est un parfait exemple et, si comme pour toutes les sucreries, il ne faut pas en abuser, cette petite bulle au milieu de livres plus ardus, est un vrai plaisir.

Marie Vence élève seule deux adolescents. Elle vit et travaille à Paris. Comme beaucoup de mères dans son cas, elle a un sentiment de culpabilité latent, et essaie d’être au top sur tous les fronts. Elle est débordée mais elle assume toutes les tâches, au mieux, sans jamais penser à elle. Une restructuration dans son entreprise et c’est un tsunami. Elle est licenciée. Il faut prendre une décision, la pension alimentaire et les indemnités de chômage ne lui permettront plus d’assumer un quotidien dans la capitale.

Elle prend donc la décision de s’installer dans une maison, en province. C’est un lotissement avec quelques voisins, et une ville de cinq mille habitants à proximité. Un contraste immense après avoir quitté la première ville de France. Ses enfants ne sont pas ravis mais il faudra bien que tout le monde s’habitue et vive le plus sereinement possible cette situation.

Marie a des rencontres régulières à Pôle Emploi mais rien ne se profile à l’horizon… Garder le moral dans ces conditions est difficile, d’autant plus que son fils ne travaille pas régulièrement au collège et qu’elle est convoquée. Elle se sent seule, dépassée, traîne dans un vieux jogging, ne prend pas beaucoup soin d’elle… Puis par un des ces hasards qui fait aimer la vie, elle fait connaissance avec une habitante de Pierrefontaine et se retrouve à participer au Cercle des Floralies. Ce sont des habitantes du coin qui passent une soirée par semaine ensemble pour s’écouter et s’épauler.

Dubitative, Marie les rejoint. Est-ce que ce groupe va l’aider à s’en sortir ? Est-ce que c’est ce dont elle a besoin ? Nous allons découvrir leur quotidien, leur entraide, leurs problèmes et comment elles agissent pour positiver et continuer la route malgré les aléas. Sans se poser en donneuse de leçon, l’auteur glisse ça et là des conseils qu’on connaît mais qu’il est nécessaire de ne jamais perdre de vue. Prendre du temps pour soi, trier les priorités, lâcher du lest, s’ouvrir à l’autre, se faire confiance etc. Mais je ne vous apprends rien, n’est-ce pas ?

Pétillante, pleine d’humour et de dérision de bon goût, l’écriture de l’auteur est plaisante (les # sont très amusants et bien pensés), ça glisse tout seul, on se prend d’affection pour ces nanas, on a envie que le meilleur se profile pour chacune d’elle. Parfois, les situations sont cocasses et ressemblent à de petites tranches de vie très réalistes. Les protagonistes sont comme ceux qu’on peut croiser tous les jours et on se dit « tiens, ça me rappelle … ». Je sais que certains parleront d’un côté cliché, d’un air de déjà vu, mais personnellement, je suis passée outre. Pour moi l’essentiel était ailleurs. Je pense que ce style de récit peut redonner du peps, de l’énergie et l’envie d’avancer. Je n’ai pas vu le temps passer en compagnie de ces drôles de dames !

NB : #charlottelémandonnelemoral ;-)

"In vino veritas" de Magali Collet et Isabelle Villain

 

In vino veritas
Auteurs : Magali Collet & Isabelle Villain
Éditions : Taurnada (11 Mai 2023)
ISBN : ‎ 978-2372581172
252 pages

Quatrième de couverture

Lors d'un vernissage, une galeriste est assassinée. Secrets, mensonges et trahisons vont secouer la quiétude d'une petite commune en plein coeur du vignoble bordelais. Et lorsque deux frères se retrouvent après des années de séparation, la liberté de l'un va dépendre de la détermination de l'autre.

Mon avis

Machiavélique !

Dans la famille Clavery, il y a les parents, riches propriétaires dans le vignoble et deux fils en perpétuelle rivalité. Suite à un différend familial, l’un des deux est parti, l’autre, Mathias, est resté prés de sa famille. Il est capitaine de gendarmerie et marié à Aurélie, une galeriste. Elle aime l’art aborigène et réussit bien dans ce domaine.

Elle organise un vernissage où sont invitées de nombreuses personnes. Elle est assistée de son collègue et d’une jeune femme qui l’aide au quotidien. Son mari est là, sa belle famille également. Tout se déroule sans anicroche ou presque… jusqu’au drame…. Aurélie est retrouvée morte, le crâne fracassé. Que s’est-il passé ? Qui pouvait lui en vouloir au point de l’assassiner ? N’y avait-il pas des tensions dans le couple, et / ou avec son associé, voire même avec son assistante ? La gendarmerie a beaucoup de travail, d’autant plus qu’un collègue est impliqué et que certains moments de la soirée ne sont pas clairs. Il est nécessaire de vérifier les emplois du temps, dans lesquels, forcément, il y aura des trous, d’autant plus que personne ne pensait devoir justifier de ses occupations.

Suite à ce dramatique événement, Augustin, le frère de Mathias revient pour soutenir les siens, en essayant d’oublier ce qui l’avait fait partir. La relation entre les deux frangins va-t-elle revenir à plus de douceur, d’écoute ? Et comment les parents vont-ils réagir face à cette horrible fait ? Plusieurs individus peuvent être soupçonnés et pas obligatoirement ceux qu’on imagine. Les indices peuvent être interprétés d’une façon ou d’une autre et les enquêteurs ont fort à faire pour comprendre. S’ils y arrivent ! Quant au lecteur, il est baladé, ballotté entre divers sentiments et éventualités ne sachant plus à qui faire confiance.

C’est sans doute la principale force de ce roman purement machiavélique, nous amener à être persuadé d’un fait avant de semer le doute et de nous entraîner sur une autre piste (et elles sont nombreuses !). Les protagonistes ne sont pas lisses, la plupart ont une part d’ombre, des vices cachés. Ils peuvent « oublier » de tout dire, transformer la réalité, enjoliver ou dramatiser ce qu’ils ont vu ou perçu. Leur profil psychologique est travaillé, réfléchi. Parfois certains s’emballent vite et tirent des conclusions rapides. On se dit que lorsque c’est si évident, c’est qu’il y a un truc qui cloche mais pris dans leurs investigations, ils n’ont pas le temps de penser comme ça, il faut des résultats.

 Écrit à quatre mains, ce récit aborde différents sujets, dont quelques-uns très graves. Les deux auteurs montrent combien il est difficile d’agir, d’être cru dans certains cas lorsque tout semble prouver le contraire.
On ne distingue pas qui a rédigé quoi et c’est un point fort, tout est fluide. Il y a suffisamment de rebondissements pour maintenir l’intérêt et enfiévrer notre esprit qui se pose mille questions.

Un texte de qualité et une fin qui laisse pantois.

"Feedback" de Jakub Zulczyk (Informacja zwrotna)

 

Feedback (Informacja zwrotna)
Auteur : Jakub Zulczyk
Traduit du polonais par Kamil Barbarski et Erik Veaux
Éditions : Rivages (24 Mai 2023)
ISBN : 978-2743659134
546 pages

Quatrième de couverture

Marcin Kania, star du rock polonais tombé dans l’alcoolisme, est surtout connu pour avoir composé un tube rebelle et ironique, « Je t’aime comme la Russie ». À plus de cinquante ans, il aurait sans doute sombré sans ses droits d’auteur et sa réputation de légende. Mais lorsque son ancien producteur lui propose d’investir dans une affaire juteuse, Marcin est bien loin de se douter de l’enfer qui l’attend.

Mon avis

Boire n’est ni un récit, ni un mystère, ni une gloire*

Le ton est donné, c’est sur fond d’alcoolisme que se déroule ce récit. L’alcoolisme des gueules de bois qui vous rendent amnésiques, des vomis, des coups donnés et reçus et oubliés aussitôt, des amis qui en ont assez de vous voir dans cet état, des séances auprès des alcooliques anonymes où vous parlez, écoutez et ne retenez pas grand-chose, des promesses non tenues, des pleurs, des pardons, des nuits hachées, des journées perdues, d’une vie gâchée …..

Quand on lit les notes en fin d’ouvrage, où l’auteur remercie ses thérapeutes, on comprend qu’il sait de quoi il parle et que son texte a des accents de vérité. Cela fait d’autant plus mal. Car disons-le carrément, c’est un livre glauque, dur, terrible. Il nous montre les dégâts d’une addiction ainsi que les dommages collatéraux. Parce que, à la limite, que Marcin foute sa vie en l’air, c’est triste et dommage vu que c’est une star du rock, mais que ça rejaillisse sur sa famille, c’est une catastrophe. C’est destructeur et plus personne ne peut le supporter, ni sa femme, ni ses enfants. Son fils et sa fille, son épouse, tous sont épuisés par ses frasques, le fait de ne pas pouvoir communiquer avec lui car il n’est presque jamais sobre et quand il l’est, il ne se souvient pas forcément de ce qu’on lui dit.

Dans ce roman plus que noir, en plus des problèmes liés à la boisson, l’histoire présente les difficultés de la relation père / fils. De plus, Jakub Zulczyk dénonce le scandale de la privatisation des logements et égratigne le gouvernement polonais. Il évoque les méthodes de gangsters, les magouilles, les mensonges, pour arriver au résultat recherché par ceux qui tirent les ficelles dans l’ombre.

C’est Marcin qui s’exprime, tout est rédigé à la première personne. Il y a des nombreux allers-retours sans date mais au vu des événements, on sait exactement où ça se situe dans l’intrigue. On ne peut jamais souffler, on est toujours dans le chaos, l’espoir semble interdit. Un jour, son fils disparaît et Marcin veut absolument le retrouver. Il va chercher dans Varsovie et les environs mais est-il conscient que cette absence est peut-être une conséquence de ses dérives à lui ? Est-il en état d’agir ?

Avec une écriture nerveuse et sèche (merci aux deux traducteurs), on plonge dans l’horreur d’un couple qui se déchire, d’un homme qui se perd. On suit les rencontres thérapeutiques, les courses poursuites, les peurs, les délires, les cauchemars. Le style est vif, rapide, sans aucun pathos, brut, douloureux. C’est presque épuisant de lire car on retient sa respiration en se demandant jusqu’où on va tomber, enfin pas nous, Marcin…

Je suis ressortie lessivée de cette lecture, j’avais l’impression d’avoir donné de l’énergie pour maintenir mon esprit dans le fait qu’il s’agissait d’une fiction, uniquement d’une fiction…. Mais comme c’est, malheureusement, très réaliste, c’est éprouvant de découvrir le quotidien de Marcin et de sa famille. Que c’est triste d’en arriver à de telles situations !

Jakub Zulczyk retranscrit à la perfection l’univers torturé d’un père de famille et toutes les conséquences dramatiques qui découlent de son comportement.


 La mémoire, c’est la vérité.
La vérité, c’est la douleur.
La douleur, c’est la gueule de bois.
La gueule de bois, c’est tout ce qui reste.
Sans doute.

*page 516


La guerre d'Alan d'Emmanuel Guibert

 

La guerre d’Alan 1
D’après les souvenirs d’Alan Ingram Cope
Auteur : Emmanuel Guibert (Dessins et textes)
Éditions : L'Association (1er Janvier 2000)
ISBN : 978-2844140364
90 pages

Quatrième de couverture

La seconde guerre mondiale vécue par l'Américain Alan I. Cope, et transmise par Emmanuel Guibert, comporte trois volumes. Ce premier volet raconte la préparation militaire du jeune Alan depuis Fort Knox jusqu’au débarquement en Normandie.

Mon avis

« On n’a pas jeté nos heures »

Ce sont les mots d’Alan à Emmanuel (le dessinateur et scénariste de cette bande dessinée). Alan a existé, il est né en 1925 et pendant cinq ans il a côtoyé régulièrement Emmanuel. Ils ont jardiné, fait du vélo, ont échangé au téléphone ou oralement, ont tissé une amitié importante malgré leur différence d’âge (presque 40 ans) et tout cela a donné naissance à trois tomes de « la guerre d’Alan ». Bien sûr, il n’y a pas que la guerre car Alan a également évoqué son enfance, sa jeunesse, l’après-guerre. De temps à autre les souvenirs manquent de précisions mais peu importe.

Dans ce premier tome, on découvre la préparation militaire et le débarquement au Havre pour les vingt ans d’Alan. Les dessins sont en couleur sépia. Certains ressemblent à des photos. Ça se suit comme un reportage. Des heures de conversation enregistrées ou pas pour aboutir à ces planches intéressantes.

Mettre en BD toute une vie c’est compliqué mais quel hommage à cet américain !

On apprend énormément sur la vie d’Alan, sur le quotidien des soldats. Alan est un jeune homme comme on pouvait en croiser à l’époque et pourtant on est captivé par ce qu’il a vécu. Son talent de conteur (retranscrit par Emmanuel Guibert) donne de la force au texte et les images le renforcent. On apprend plein de choses. C’était quand même une sacrée aventure pour un jeune californien !

Alan n’a pas combattu dans ce tome, il se prépare longuement pour se battre mais parfois il est en attente et a un peu plus de « liberté », ce qui lui donne l’occasion de quelques rencontres, parfois cocasses, ou très amicales (il a tissé des liens avec d’autres dont il a eu des nouvelles des années après…).

J’ai beaucoup apprécié de faire connaissance avec Alan, un homme bien assurément.


"Les fantômes ne pleurent pas" d'Ane Riel (Urværk)

 

Les Fantômes ne pleurent pas (Urværk)
Auteur : Ane Riel
Traduit du danois par Terje Sinding
Éditions du Seuil (12 Mai 2023)
ISBN : 9782021500363
274 pages

Quatrième de couverture

Alma vit seule. Elle se débrouille malgré sa mémoire vacillante et son grand âge. Les jours s’écoulent, identiques et lents. Jusqu’à ce qu’une amitié inattendue avec un petit garçon et son chien donne un nouveau souffle à son existence.

Mon avis

C’est le deuxième livre d’Ane Riel que je dévore. Elle a un don unique pour créer une atmosphère, avec une histoire atypique.

C’est un presque huis clos, on est dans la maison d’Alma et on n’en sort pas sauf par l’intermédiaire des souvenirs. Alma est une vieille dame, on découvrira son histoire familiale tout au long du livre lorsqu’elle se rappelle, entre autres, de certains faits. L’âge est là, maintenant elle est sourde, marche avec difficulté, a de l’arthrose, ne sort plus de chez elle. L’épicier pose de quoi manger chaque semaine. Tous les soirs, elle remonte son horloge de Bornholm, « sa dame ». Elle a un lien particulier avec cette pendule. Elles ne peuvent pas vivre l’une sans l’autre, vont-elles s’arrêter en même temps ?

Alma voit ses capacités diminuer, elle se moque de ses faiblesses, de ses difficultés mais elle choisit de vivre encore sans jamais se lamenter. Un jour, Alma voit, sur le chemin qu’elle aperçoit de chez elle, un petit garçon et son chien, elle va essayer de rentrer en contact avec eux. C’est quelque chose qui la « bouscule » un peu, qui l’oblige à laisser ses habitudes et petites routines de côté. Elle vit, dans un premier temps, cette rencontre dans son imagination et puis qui sait ?

Mais Alma oublie. Alors elle met des petits papiers comme autant de rappels à la « normalité ». Elle s’apostrophe : pense à boire, parfois tu perds la tête etc. Il ne faudrait pas qu’elle rate quelque chose. Chaque jour elle avance à petits pas et de temps à autre, un événement antérieur se rappelle à elle.

Dans les chapitres, aux titres assez courts, on alterne le passé et le présent, il n’y a pas de repères mais ils seraient inutiles, le lecteur sait exactement où il en est. Les phrases sont le plus souvent courtes et elles font mouche. Des descriptions précises faites de peu de mots, tout le superflu ayant été ôté. On est au cœur des sentiments, des scènes, on y est, comme si on assistait à chaque fait. Il faut même, parfois, lire et comprendre entre les lignes parce qu’on ne parle pas de tout.

L’écriture est magnifique (j’ai lu que Terje Sinding, le traducteur, était norvégien, mais il a réalisé, je pense, un travail remarquable donc il doit bien connaître la langue danoise). Le récit est empli d’émotions diverses, c’est dur avec des pointes d’humour, c’est tendre avec une belle réflexion sur le temps qui passe, la mort qui approche…. C’est à la fois bouleversant, attendrissant, captivant. Le texte est écrit du point de vue d’Alma (sans employer le « je ») et on a ses impressions. Comme il arrive que son esprit soit confus, on doit ensuite assembler les différents éléments qu’elle a donnés. Mais pour autant le style n’a rien de brouillon et c’est tout à fait remarquable que l’auteur ait réussi à retransmettre le ressenti de cette femme qui se perd un peu.

J’ai eu beaucoup d’affection pour Alma, qui est restée droite malgré ses souffrances, qui a su décider de bouger hors de ses lignes pour aller vers un garçonnet afin de partager de petits bonheurs avec lui.

Ce recueil est captivant, étonnant, inoubliable. Pour moi Ane Riel est un écrivain de qualité au phrasé exceptionnel.


"Auteur de crimes" de Chrìstos Markogiannàkis

 

Auteur de crimes
Les enquêtes du Capitaine Markou
Auteur : Chrìstos Markogiannàkis
Éditions : Plon (17 Mai 2023)
ISBN : 978-2259316682
306 pages

Quatrième de couverture

Athènes est le théâtre de crimes sordides. Une vieille femme est défenestrée, et au milieu de son salon un singe en plastique est retrouvé ; une professeure d'anglais est égorgée en pleine rue avec de mystérieuses traces de craie bleue sous ses chaussures ; un médecin assassiné en raison de ses initiales ; une serveuse victime d'un rituel satanique, le chiffre 666 inscrit au mur avec son sang... Quel lien entre ces crimes ?

Mon avis

Chrìstos Markogiannàkis est un auteur grec. Il a étudié le droit et la criminologie à Athènes et à Paris et travaillé pendant plusieurs années comme avocat pénaliste. C’est la première fois que je le lis et je suis ravie de ma découverte.

Son roman se déroule à Athènes, une ville qu’il connaît très bien. Pour la plupart des chapitres, plutôt courts, le lieu, le jour et éventuellement l’heure sont indiqués. De plus, ils ont tous un titre en rapport avec ce qu’on va découvrir. Le personnage principal est le Capitaine Markou, un policier à la bibliothèque bien fournie (il est passionné de polars et aime lire des auteurs différents), qui ne reçoit pas et parle peu de lui au boulot. Il n’a pas de petite amie et il est sur la « réserve » avec le nouveau jeune collègue, Manias, qui vient d’être nommé pour l’aider. Sa vieille voisine l’a pris en affection et c’est un des rares liens qu’il accepte. Il est également assez proche de Vera, une copine d’études.

Le voilà confronté à une série de meurtres qui semblent mis en scène. Les spécialistes (profileur -se, etc) ne pensent pas à un tueur en série et ne voient aucun lien entre les assassinats. Markou et son équipe observent le peu d’éléments qu’ils ont à leur disposition. Pas de mobile, pas de suspect… L’affaire est bizarre, et comme les crimes continuent, Markou veut agir, anticiper la suite. Pour cela, il doit comprendre ce qui se passe…. Pénétrer dans « la tête » de celui, celle, ou ceux qui agissent dans l’ombre. Il essaie de se faire aider par des collègues mais rien ne semble évident.

Heureusement pour qu’il puisse se détendre, Vera l’invite dans un club de lecture autour du polar. Il y rencontre de nouvelles personnes et cela lui donnera, peut-être, une bouffée d’air frais.

Ce qui est sûr c’est que Markou est très occupé. Il ne « sent » pas son jeune coéquipier et se met dans la tête d’enquêter sur lui. Il a eu une aventure avec une femme qu’il connaît et ne sait plus très bien où il en est et en plus, il a des morts sur les bras !

Soudain, c’est le déclic, il a une idée et pense savoir ce qui motive le ou les tueurs. Maintenant il est nécessaire de le ou les prendre de vitesse afin de stopper les exactions. Mais les gens peuvent être retors et peut-être que le Capitaine se fait manipuler…. Et que ce qu’il imagine est totalement faux….

J’ai beaucoup apprécié cette lecture. Ce qui relie les délits est très bien pensé. La mise en place, les détails, tout cela est presque raffiné dans l’atrocité. Et puis les développements des relations de Markou, avec les personnes qu’il croise, sont à découvrir. Ce n’est quand même pas un homme ordinaire.

L’écriture de Chrìstos Markogiannàkis est fluide, plaisante, son récit est construit avec doigté, il captive rapidement le lecteur. Il y a du rythme, des rebondissements et notre intérêt ne baisse pas. Les individus ont des noms à consonnance grecque mais on ne se perd pas et si besoin, on peut les noter dans un coin pour les repérer. Peut-être que l’atmosphère du pays aurait pu être un peu plus décrite pour qu’on s’imagine là-bas ?

C’est un texte prenant, addictif, je n’ai pas vu le temps passer !


"Maudite soit-elle" de Vincent Desombre

 

Maudite soit-elle
Auteur: Vincent Desombre
Éditions: Scrinéo (Mai 2012)
ISBN : 978-2919755127
330 pages

Quatrième de couverture:

Marseille, vendredi 20 juin 1986
Nathalie alluma la télévision. Les informations commençaient.
- Torturé et brûlé vif pour lui dérober ses économies. Maurice Picon, un paisible retraité, a été assassiné sauvagement dans sa maison de Cassis, dans les Bouches-du-Rhône.
À ce moment, le visage de la victime apparut à l'écran. Une simple photo d’identité qui montrait un homme âgé, aux traits fins et au regard félin. Nathalie porta ses mains à sa bouche.
– Oh, mon Dieu !
Elle aurait voulu crier, mais aucun son ne sortit. Ses yeux étaient rivés sur la télévision. Ce visage, même trente ans plus tard, elle ne pouvait l’oublier. Cet homme avait marqué sa vie de façon irréversible. Un fantôme du passé resurgissait devant elle !
Trente ans plus tôt presque jour pour jour, Maurice Picon a été la dernière personne à parler à la mère de Nathalie. Deux heures plus tard, elle se suicidait. Pour comprendre et renouer avec ses souvenirs enfouis, Nathalie va retourner sur les traces de son enfance en Touraine.
Une enquête haletante, une histoire émouvante inspirée de deux faits réels qui ont défrayé la chronique de l’après-guerre. Le cahier documentaire en fin d’ouvrage revient sur ces dossiers, l’affaire Finlay et l’affaire Lecoz.

L’auteur:

Né en 1966 à Tours, Vincent Desombre est reporter pour la télévision. Après avoir travaillé comme journaliste pour les grandes chaînes françaises, il est aujourd'hui auteur-réalisateur de films.

Mon avis:

Qui est-elle ?

Inspiré de deux fais divers des années cinquante, ce roman met en lumière des événements s’étant déroulés à partir de 1944.
Ils sont d’ailleurs détaillés dans le « cahier-documentaire » en fin d’ouvrage.
Cette façon de faire est originale et apporte un vrai complément à ceux qui aiment connaître ce qui a pu servir de base à une œuvre littéraire.

Le présent dans le livre est indiqué par l’année 1986 mais nous ferons des sauts dans le passé : 1944, 1946, 1956, 1968 (et ses barricades) et d’autres périodes seront évoquées.
Chaque début de chapitre nous situe le lieu, le jour précis et l’heure.
De ce fait, aucune difficulté pour suivre les différentes situations et les personnages qui y sont rattachés. De plus, le lecteur ne peut pas se perdre tant l’écrit est net, précis, dépouillé de toute fioriture, sans digressions. L’histoire est racontée à la troisième personne, par un narrateur et nous accompagnons les différents personnages de ce récit.

Nathalie, jeune mère d’une adolescente rebelle, Cloé, s’est séparée de Paul, son mari journaliste car il court le guilledou. Elle est blessée dans son amour propre, mal à l’aise devant le comportement de sa fille et, comme tout un chacun à un tournant de sa vie, elle ne sait pas trop ce qu’elle veut.
Un simple flash aux informations télévisées va bouleverser sa vie, celle de ses proches et entraîner d’autres personnes dans des remous.
Nathalie est vive, parfois colérique (et à ces moments là, son vocabulaire se relâche….) mais si on creuse sous la carapace, c’est une jeune femme fragile qui ne sait peut-être pas toujours très bien communiquer, dire ce qu’elle ressent. Elle est opiniâtre et, puisqu’elle a décidé de comprendre, elle ne lâchera plus jusqu’à ce qu’elle aboutisse et que la lumière soit faite. Elle a besoin de savoir pour continuer à vivre sinon elle ne sera pas en paix.

Il va m’être difficile de parler du contenu de cet opus car le déflorer serait très dommage pour les gens amateurs de suspense….car il y en a et beaucoup.
La construction même du livre (alternance passé présent nous laissant soigneusement sur notre faim chaque fois) provoque chez celui qui lit l’envie de tourner les pages encore et encore pour savoir ce qu’il en est. Secrets de famille bien (mal) gardés, « cadavres dans les placards », relations complexes entre les uns et les autres, hommes ou femmes à plusieurs visages, poids de la culpabilité, influence du passé, de la religion, femmes soumises n’osant pas se révolter, nous allons tour à tour découvrir les uns et les autres.

L’auteur, habilement, sème ça et là des indices indispensables à la compréhension finale qui se fera, très vite, en peu de pages, à la manière d’un coup de théâtre, nous laissant estomaqués devant tant de non-dits. Mais il est vrai, que, replacés dans le contexte de l’époque, les choix peuvent s’expliquer (je n’ai pas dit forcément se comprendre…)

Ce roman est très visuel (par exemple, les descriptions physiques des personnages sont courtes mais très ciblées), on ressent que l’auteur travaille aussi dans le cinéma (d’ailleurs je verrai très bien une adaptation de ce livre en téléfilm). Les lieux aussi, à Marseille comme à Tours, sont installés en quelques mots. Cela donne vie au texte, transmet du rythme au contenu des chapitres qui sont eux-mêmes, assez courts.

J’ai beaucoup apprécié cette lecture, sans temps mort, j’étais pressée de connaître la suite, de voir se mettre en place toutes les pièces du puzzle qui se construisait sous mes yeux pour enfin, savoir qu’elle était le lien entre Nathalie et l’homme qu’elle avait vu aux infos….


"Jeux de mensonges" de Julie Clark (The Lies I Tell)

 

Jeux de mensonges (The Lies I Tell)
Auteur : Julie Clark
Traduit de l’américain par Sebastian Danchin
Éditions : L’Archipel (17 Mai 2023)
ISBN : 978-2809846126
362 pages

Quatrième de couverture

Meg Williams. Maggie Littleton. Melody Wilde. Différents noms pour une même personne, selon les villes où elle opère. Une arnaqueuse qui se fait passer tantôt pour une coach, un agent immobilier ou une étudiante. Kate Roberts attend depuis dix ans le retour à Los Angeles de la femme qui a détruit sa vie. Déterminée à se venger, elle gagne sa confiance.

Mon avis

C’est un caméléon, elle change d’identité, de lieu, de profession…. Elle ne laisse aucune trace et ne dit que peu de choses sur elle (et pas forcément des éléments vrais) alors forcément quand elle disparaît, on ne la retrouve pas. Mais pourquoi agit-elle ici ? On va l’appeler Meg. Mais on pourrait aussi la comparer à un Robin des Bois moderne. Vous savez celui qui vole aux riches pour donner aux pauvres. Cette comparaison serait sans doute trop réductrice. Meg est très fine, réfléchie, organisée, elle organise ses arnaques pendant des semaines, voire des mois, avant de passer à l’action. Elle essaie de tout calculer pour qu’il n’y ait pas de problèmes, pas de grain de sable qui enraye la machine à broyer qu’elle met en route. Ses cibles ? Des personnes qui l’ont fait souffrir, qui ont ruiné sa confiance ou d’autres qui ont agi ainsi envers quelqu’un qu’elle décide de défendre, de réhabiliter au niveau financier et par ricochet humain.

En face d’elle Kate, journaliste, une jeune femme qui a vécu un traumatisme important à cause de Meg. Elle la cherche depuis des années, elle veut des explications et éventuellement se venger. Dix ans après, voilà que leurs routes se croisent. C’est le hasard mais Kate y voit un signe, l’occasion unique d’écrire sur cette femme qui la hante et de publier un ouvrage, ce dont elle rêve depuis longtemps. Kate ne veut rien lâcher. « Je veux comprendre comment elle manipule les autres, comment elle s’infiltre dans leur quotidien comment elle gagne leur confiance. » Son mari, policier, la met en garde. Face à une arnaqueuse de haut vol, ça va être compliqué, elle risque d’être rapidement repérée et elle n’obtiendra pas ce qu’elle désire. Donc prudence…

Les chapitres vont alterner les deux points de vue, chaque femme s’exprimant tour à tour en disant « je ». On va parfois dans le passé. On peut suivre une même situation avec le point de vue de chacune, on connaît également leur ressenti et leur raisonnement (c’est très intéressant de constater leurs déductions et de s’interroger sur leur façon de procéder, leurs choix). Kate observe Meg et a pour intention de cerner son mode de fonctionnement. Comment l’approcher sans se griller ? Est-ce qu’elle peut la rencontrer sans risque ? Vont-elles créer un lien, s’ignorer, se détester ?

Les deux aspects de ce roman sont captivants, on suit les deux personnages dans leur quotidien. Les rouages des machinations se mettent en place et on réalise que tout ça est très subtil. Chaque solution est envisagée, analysée, pour éviter le moindre risque. Et la fin est bien pensée.

Je me suis presque pris d’affection pour Meg alors qu’elle escroque les gens (oui mais c’est pour la bonne cause). Kate est parfois un peu naïve ou alors elle a trop le nez dans le guidon pour se rendre compte de ce qui pose problème.

Je suis tout de suite rentrée dans le récit, me demandant vraiment comment les événements allaient évoluer et quels seraient les dégâts.

L’auteur a réussi à capter mon attention dès les premières lignes et j’ai été rapidement accro. L’écriture fluide et plaisante (merci au traducteur) y est certainement pour beaucoup. Il n’y a pas pléthore de rebondissement, juste ce qu’il faut et surtout une étude approfondie des caractères, des raisons de chaque protagoniste pour agir comme il ou elle le fait et c’est très bien développé.

Deuxième livre de Julie Clark et je ne suis pas déçue !

"L'affinité des traces" de Gérald Tenenbaum

 

L’affinité des traces
Auteur : Gérald Tenenbaum
Éditions : Le Voile des mots (14 Mars 2023)
ISBN : 978-2958737412
236 pages

Quatrième de couverture

2012, dans le désert du Sahara, un campement touareg dévasté par les hommes d’Al Qaïda. Une femme aux yeux bleus respire encore… Début des années 1960, dans l’Est de la France. Édith Behr, une jeune fille juive, refuse l’avenir qu’on a choisi pour elle…

Mon avis

Le récit s’ouvre sur une scène difficile en 2012 : un camp touareg est attaqué pat des djihadistes…

On reste avec cette image insoutenable et on repart en arrière, au début des années soixante. Edith, une jeune femme juive, a perdu sa famille dans le génocide, et n’a plus, comme attache, que sa famille adoptive. Cette dernière a d’ailleurs décidé de ce que serait sa vie désormais. Elle n’accepte pas qu’on choisisse pour elle. Alors, elle fuit à sa manière, elle s’engage dans l’armée et se retrouve en Algérie, dans le Sud, pas loin des lieux où la France fait ses premiers essais nucléaires. Elle est secrétaire et découvre un autre pays, un autre mode de vie, une culture différente. C’est pour elle une sorte de révélation…. Comme si elle allait devenir une autre… Comme si elle était enfin à sa place…

Nous allons découvrir son cheminement, son évolution …les traces qu’elle va laisser, celles qu’elle cherche et celles dans lesquelles elle va marcher… Edith choisit sa voie, sa vie en conscience, et elle refuse tout retour en arrière.

Elle n’a plus de mère et va tisser un lien fort avec Mariama, l’épouse d’un homme soigné à l’infirmerie du lieu où elle travaille. Elles se « reconnaissent » comme si elles étaient destinées à se rencontrer depuis toujours. J’ai apprécié leur pudeur, leurs conversations presque silencieuses mais profondes.

Avec ce roman, le lecteur découvre la vie chez les touaregs, les traditions, l’ambiance entre les hommes et les femmes, ce qu’on attend de chacun, ce qu’on lui offre.

Le phrasé de l’auteur est empli de poésie, il transmet une atmosphère où peu de mots suffisent pour qu’on soit sous le charme. Le désert est présent, avec un paysage à la fois immense et minimaliste. Les mots choisis transmettent des sensations, des émotions, ils sont lyriques et porteurs de sens. Il y a beaucoup de sensibilité dans son écriture. Pour moi, son style évoque la délicatesse, la précision, le raffinement et la beauté d’une dentelle. Une certaine forme de musicalité dans l’assemblage des mots apporte un plus à la lecture et ça résonne encore plus fort en nous.

Cette histoire est belle et lumineuse, le parallèle avec le livre de Ruth est intéressant. Il présente un message essentiel sur l’importance d’accueillir l’autre en tant que membre de la communauté et pas « à côté ».


"Cuba Spleen" de William Navarette

 

Cuba Spleen
Auteur : William Navarette
Éditions : Emmanuelle Collas (5 Mai 2023)
ISBN : 978-2490155705
194 pages

Quatrième de couverture

William Navarrete, comme tous les Cubains, aurait pu vivre dans l’un des lieux les plus beaux de la planète. Pourtant, son enfance et son adolescence ont été marquées par le pouvoir omniprésent d’un seul homme, Fidel Castro. À partir de cette expérience intime, William Navarrete tire une analyse de la dictature cubaine. Alliant la verve du conteur à la virulence du critique, il nous livre avec Cuba Spleen un récit fort, attachant et plein d’une ironie tragique, qui nous incite à nous interroger sur la menace que représente aujourd’hui la montée des régimes totalitaires.

Mon avis

Écrivain, journaliste et traducteur, William Navarette est né à Cuba en 1968. Son enfance et son adolescence ont été marquées par la dictature avant qu’il puisse fuir (à 23 ans) et s’installer en France (il a été naturalisé français). Il milite dans des associations en lien avec les droits humains. Dans ce livre, il pointe du doigt les dérives du pays qu’il a quitté, la complaisance des autres états, il partage son expérience et s’interroge sur l’avenir qui paraît bien sombre dans cette « prison à ciel ouvert ». Il est très conscient de la « chance » qu’il a de vivre en France et de pouvoir voyager et il témoigne de cette liberté si chère à son cœur.

« Nous étions comme lobotomisés », lorsqu’une dictature s’installe et qu’on n’a connu que ça, c’est presque comme si c’était « la normalité » donc on accepte, on a peur, mais on ne peut pas lutter… Par exemple, chez les plus jeunes, les élèves admirent souvent leurs enseignants alors dans ce cas-làces derniers en profitent pour passer des messages, pour endoctriner. Soit les parents pensent la même chose, soit ils essaient de lutter et d’ouvrir les yeux de leurs enfants. Mais rien n’est simple, le joug pèse comme une chape de plomb…

William Navarette, dont la famille maternelle était en exil, faisait partie des « gusanos » (les vermines pour le gouvernement). Comment s’intégrer, trouver sa place quand vous êtes rejeté ? Il nous explique que Fidel Castro n’a pas été le premier dictateur, ce fonctionnement avait déjà été présent en 1924 et il y avait eu une révolution. Ceux qui s’opposaient choisissaient l’exil (je ne savais pas que Robert Desnos avait aidé un écrivain à fuir) mais difficile de tout laisser derrière soi.

J’ai beaucoup appris en lisant ce récit édifiant. Je ne savais pas que l’Église catholique et le gouvernement américain avaient accueilli des petits cubains et que les parents n’avaient pas pu forcément les retrouver, c’est révoltant ! L’auteur explique comment la propagande est utilisée pour tromper les habitants, édulcorer la réalité et travestir les faits. S’il n’y a qu’une source d’information, impossible de comparer…

William Navarette ne peut pas retourner à Cuba, ce serait se mettre en danger. Certains de ses compatriotes, restés sur place, se taisent car ils craignent pour leur famille. Ils sont surveillés, le moindre acte, le plus petit mot peuvent être interprétés …. Il le dit, lui il peut écrire, parler, sa mère vit en Floride et il n’a plus de proches là-bas.

Son écriture, très humaine, nous plonge dans le quotidien, dans le passé, on sent qu’il n’a rien laissé au hasard. D’autre part, les remerciements, en fin d’ouvrage, montrent la place de sa Maman, qui lui a ouvert les yeux, qui a éveillé son militantisme. Elle ne lui cachait rien et lui a présenté les événements avec intelligence.

Cette lecture m’a bouleversée, elle met des mots sur l’indicible, l’inacceptable et nous rappelle, si besoin est, les risques d’installer un dictateur à la tête d’un pays….

"Parfois le silence est une prière" de Billy O'Callaghan (Life Sentences)

 

Parfois le silence est une prière (Life Sentences)
Auteur : Billy O'Callaghan
Traduit de l’anglais (Irlande) par Carine Chichereau
Éditions : Christian Bourgois (11 Mai 2023)
ISBN : 9782267050981
290 pages

Quatrième de couverture

Au milieu du XIXe siècle, à seize ans, Nancy quitte la petite île de Clear pour laisser derrière elle son enfance marquée par les famines et la mort. Elle trouve un emploi à Cork, dans le sud de l’Irlande, mais quand elle tombe enceinte après s’être laissé séduire par le jardinier, sa vie prend une tournure dramatique. Son destin, et celui de ses enfants et petits-enfants, sera marqué par la misère et la honte, mais aussi par le courage et la volonté de vivre dignement.

Mon avis

« D’autres mots encore, ils sont tous en moi parce que je les ai conservés ainsi qu’un oiseau affamé entrepose des miettes volées, et à certains moments, je les sors et me les répète, en en tirant le maximum, puisque c’est tout ce que j’ai. » *

Trois générations, trois retours sur l’histoire de l’Irlande et celle de la famille de l’auteur puisque ce récit est en partie inspiré des souvenirs de sa grand-mère et de ce qu’elle a appris des générations précédentes. Un texte remarquable, empli d’émotions, faisant la part belle à la résilience de ceux qui ont souffert de leur condition mais qui se sont battus pour s’en sortir. C’est beau, émouvant, enrichissant, captivant.

On commence avec Jer en 1920, puis on poursuit avec Nancy, sa mère en 1911 et on termine avec Nellie, la petite fille, en 1982, alors qu’elle est âgée et arrive en fin de vie. Chaque partie est écrite à la première personne, laissant la parole au personnage représenté. Chacun parle de sa vie, de son passé, des siens, de ses difficultés, oscillant entre hier et maintenant. Tous ont été confrontés à des situations difficiles. La mère a eu des enfants sans être mariée, le fils a subi la guerre et d’autres vicissitudes, Nellie se souvient d’un événement douloureux…. Mais tous trois sont restés debout, droits, faisant le maximum pour continuer à avancer en étant honnête et fidèle à eux-mêmes.

L’écriture de Billy O'Callaghan (merci à la traductrice) est lumineuse, pleine de sensibilité et de délicatesse. Lorsqu’il décrit, dans la première partie, la guerre et ses horreurs, il le fait avec « intelligence » (je ne trouve pas d’autres mots). Bien sûr, c’est dur, choquant (comme les scènes évoquées) mais le phrasé reste presque poétique et c’est tellement fluide qu’on peut tourner la page sans rester bloqué sur ce qui est horrible et ainsi poursuivre notre lecture. Son style sublime les mots, ils sont choisis (et je souligne le travail exceptionnel de Carine Chichereau) pour coller au plus près des ressentis, du quotidien partagé avec le lecteur. On est immédiatement dans l’histoire, au cœur de ce qui se joue.

En lisant ce roman, j’ai pensé au cinéaste Ken Loach qui montre la misère, les combats de ceux qu’on oublie, les conflits sociaux… Plusieurs fois j’ai ressenti que les protagonistes de cette famille auraient eu envie d’agir autrement mais qu’il fallait obéir à une règle : « on reste à sa place » et on ne se mêle pas de ce qui ne nous regarde pas (même si parfois….) parce qu’à l’extérieur, il ne faut pas faire parler de soi ou des siens. Les femmes sont fortes, s’accrochent pour sortir de la détresse dans laquelle elles sont que ce soit financièrement, moralement, physiquement… Elles ont de la volonté et du caractère, elles sont admirables. Loin d’un quotidien facile, elles captent chaque bribe de petit bonheur. Parfois c’est noir, rude, la vie ne fait pas de cadeau mais toujours elles se relèvent et continuent.

Trois destins ordinaires vécus par des personnes extraordinaires. Un livre magnifique !

*page 20

"911" de Shannon Burke (Black Flies)

 

911 (Black Flies)
Auteur : Shannon Burke
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Diniz Galhos
Éditions : Sonatine (22 Mai 2014)
ISBN :978-2-35584-253
208 pages

Quatrième de couverture

Lorsqu’il devient ambulancier dans l’un des quartiers les plus difficiles de New York, Ollie Cross est loin d’imaginer qu’il vient d’entrer dans un monde fait d’horreur, de folie et de mort. Scènes de crime, blessures par balles, crises de manque, violences et détresses, le combat est permanent, l’enfer quotidien. Alors que tous ses collègues semblent au mieux résignés, au pire cyniques face à cette misère omniprésente, Ollie commet une erreur fatale : succomber à l’empathie, à la compassion, faire preuve d’humanité dans un univers inhumain et essayer, dans la mesure de ses moyens, d’aider les victimes auxquelles il a affaire. C’est le début d’une spirale infernale qui le conduira à un geste aux conséquences tragiques.

Mon avis

Ancien ambulancier, Shannnon Burke, plante le décor de son nouveau roman aux urgences de Harlem : des rues sales, des terrains vagues abandonnés, des stations de métros délabrées, des poubelles oubliées et des logements vétustes, voilà où se situe l'hsitoire.

Nous sommes dans les années 90, Ollie Cross, qui a raté le concours de médecine, alors que sa petite amie a réussi, travaille là-bas, tout en révisant pour repasser les épreuves. Ses semaines sont remplies entre les interventions, les cours, le travail personnel indispensable à une future réussite et un minimum de repos.

Le milieu dans lequel il évolue, est impitoyable, pas le temps de faire dans le sentiment, ni de se poser trop de questions, c'est ce que s'évertuent de lui faire comprendre certains de ses coéquipiers. Est-ce bien nécessaire de sauver une vie lorsque la personne concernée est droguée, malade et doublée d'être une vraie racaille ? Dans l'ambulance, c'est nous les chefs lui dit-on...

Cross n'est pas d'accord, il est là pour soigner et faire le maximum pour que les patients s'en sortent.

Mais ce n'est pas si simple, les urgentistes sont le plus souvent, capables d'affronter avec une forme de calme, des tragédies, mais ils ne peuvent pas supporter que quelqu'un puisse penser qu'ils n'ont pas fait le maximum. Le regard des autres est important et personne ne fait de cadeau. Cross l'apprend à ses dépends et ce n'est pas facile à vivre pour lui, le bleu, qu'on bizute....

Alors, au fil du temps, Cross s'endurcit. Dans le boulot, il repousse ses limites, il se forge un masque mais est-ce une force ou de l'insensibilité ? « Être un bon ambulancier, c'est en partie adopter une attitude de façade. » explique-t-il à sa petite amie qui lui dit qu'il a changé, car l'attitude qu'il adopte au travail rejaillit sur leurs relations.

C'est à ce moment-là que les choses peuvent déraper... la frontière est mince entre le fait de se « tenir en dehors » pour se protéger et devenir celui qui peut arrêter une perfusion...parce qu'on juge que la personne ne mérite pas de vivre...

Shannon Burke décrit le quotidien de ces hommes en phrases courtes, coups de poing, comme si le temps lui manquait (comme aux urgentistes) pour rentrer dans les détails. Et ce style sobre, dépouillé, est parfaitement adapté à la situation et aux événements.

Son style est cru, violent parfois, comme ces journées qui se suivent et qu'il dépeint. On bascule dans l'envers du décor et ce n'est pas beau à voir .... malgré quelques petits signes de tendresse, vite oubliés malheureusement, tant le reste est dur....

Malgré la noirceur, j'ai apprécié la lecture de ce roman, on s'attache aux protagonistes, on attend régulièrement, une lueur d'espoir parce qu'il faut continuer de croire en l'homme, pas n'importe lequel : celui qui se penche sur son prochain pour l'aider .... Il n'est pas si loi, enfoui sous la carapace ...

Et puis, il y a cette approche, extrêmement réaliste, de l'influence d'un métier dans un certain milieu, ou comment de terribles conditions de travail peuvent entraîner des dérapages, comment les hommes peuvent perdre toute leur humanité parce que ce qu'ils voient « les bouffent » de l'intérieur, comment on peut s'habituer à l'horreur, en la regardant d'un œil détaché ...

En cela, ces « soldats de l'urgence » m'ont fait penser à certains militaires qui doivent rester détachés, ne pas se laisser aller à l'empathie pour survivre... Être urgentiste à Harlem ne peut durer toute une carrière, sinon on risque d'y perdre son âme....

"La guerre des phages" d'Edith Vacher

 

La guerre des phages
Auteur : Édith Vacher
Éditions du Volcan (17 Novembre 2022)
ISBN : 979-1097339517
200 pages

Quatrième de couverture

Un jeune kinésithérapeute est retrouvé mort sur une plage bretonne lors du bain du Nouvel an. La gendarmerie des Côtes d’Armor enquête, secondée par son consultant, un détective privé nommé Karl Séniavine. La cause du décès reste difficile à déterminer. S’agit-il d’une simple noyade ? Doit-on privilégier une piste criminelle ? Plusieurs indices restent troublants comme ce tatouage sur son épaule gauche avec, en dessous, une inscription au scalpel dans une langue inconnue.

Mon avis

Cet excellent roman policier est ancré dans un contexte scientifique intéressant. Je pense que l’auteur a dû se renseigner avant d’écrire afin d’avoir un fon de crédibilité et son propos a d’autant plus de poids.

Nous sommes en Bretagne et un noyé est retrouvé sur une plage. Il s’agit d’un kinésithérapeute de la thalasso du coin que sa récente compagne, Sandrine, a attendu en vain la nuit précédente. Il s’appelle Gábor, ce qui signifie « Dieu est ma force ». Les heures passent avant que la jeune femme soit informée de la tragédie. Elle réalise que leur relation étant assez nouvelle, elle ne sait pas grand-chose de celui dont elle était folle amoureuse. Avait-il des secrets pour elle ? Son amie Anna arrive, prête à la soutenir et pour l’aider, elle lui propose une virée en van comme elles avaient l’habitude. Ce sera la Hongrie, le pays de son chéri, afin peut-être de rencontrer sa famille, ses ami-e-s. Ce sera également un moyen pour mieux le connaître et possiblement comprendre la tragédie de sa mort. Alors elles partent. Et on les suit…

En parallèle, le commandant de gendarmerie, François le Quellec, aidé par son pote détective, Karl Séniavine, mène l’enquête sur cette mort pour le moins bizarre. Quelques faits perturbants permettent de réaliser que quelque chose se trame et que c’est probablement beaucoup plus dangereux que ce qu’on imagine.

L’intrigue est très travaillée avec de nombreuses ramifications et Edith Vacher a fait très fort. Elle nous entraîne sur plusieurs routes, et c’est assez bluffant car on se demande où tout ça va nous emmener. Ses protagonistes ne sont pas ordinaires, ils ont parfois une face sombre, on découvre que certains qu’on pensait sûrs ne le sont pas.

L’écriture vivante, tonique, et le style vif assorti de nombreux rebondissements maintiennent l’intérêt en permanence.  J’ai beaucoup apprécié le côté sciences de ce récit.

C’est un texte assez noir, sombre parfois, qui montre que les hommes sont pour certains manipulateurs, pour d’autres influençables. C’est la dure loi des êtres humains, avec l’appât du gain….

Une lecture addictive et une autrice à suivre.


"Totale discrétion" de Patrick S. Vast

 

Totale discrétion
Auteur : Patrick S. Vast
Éditions : Le Chat Moiré (17 Avril 2023)
ISBN : ‎ 978-2956188377
274 pages

Quatrième de couverture

Raymond Mauget est un paisible magasinier, célibataire, rendant chaque samedi visite à sa vieille tante qui lui est chère. Un soir, il reçoit la visite d’un inconnu qui lui apprend qu’il a été choisi pour une mission dont on lui fournira les détails ultérieurement. L’existence de Raymond Mauget va alors se trouver bouleversée, et il sera amené à croiser la route du lieutenant Dumont, un policier en toute fin de carrière, aux méthodes particulières.

Mon avis

Raymond Mauget passe inaperçu, le genre d’homme dont on dit qu’il se « fond dans la foule ». Pas de caractéristique particulière, il vit seul, un quotidien fait des mêmes rituels : le travail, retour à la maison, quelques courses et la visite toutes les fins de semaine à une vieille tante. Malheureux ? Non pas vraiment, c’est sa vie et ça lui convient. D’ailleurs lorsque son collègue Kevin insiste, chaque soir après le boulot, pour qu’ils aillent ensemble boire un coup et faire la fête, il répond non. Tout ça ne l’intéresse pas, il apprécie sa vie simple, rangée, sans stress inutile. C’est un bon magasinier et il se consacre tout entier à ses tâches dans l’entreprise Peintur’Luxe. Il est d’ailleurs bien vu de ses supérieurs.

 Un soir, c’est un tsunami qui le bouleverse. Un homme se présente à sa porte, demandant à lui parler. Il lui annonce qu’il a été choisi pour une mission spéciale, qui n’aura lieu qu’une fois. Raymond ne comprend rien, il n’a pas envie de s’embarquer dans cette histoire. Mais son interlocuteur lui met la pression, s’il n’accepte pas, sa vieille tante passera de vie à trépas….  Le manutentionnaire décide de se laisser porter en pensant que peut-être le visiteur va l’oublier….

Mais que nenni, au contraire, il surveille Raymond, vient le voir souvent en attendant la date de l’action, soulignant qu’il ne doit rien changer à ses habitudes. Le pauvre employé sent une ombre qui plane au-dessus de lui, il devient paranoïaque, se méfie de tout le monde, interprète chaque mot ou geste de ceux qu’ils côtoient. Il s’interroge : telle ou telle personne, croisée sur son chemin, est-elle sincère, fiable ou joue-t-elle la comédie pour le piéger, l’obligeant par la suite à se plier aux décisions de celui qui s’impose chez lui régulièrement ?

Au fil du temps, l’étau se resserre autour de Raymond, il cerne de plus en plus les problèmes que procure sa situation. Mais que faire ? À qui parler sans mettre qui que ce soit, dont lui, en danger ? Comment agir alors qu’il ne maîtrise plus rien ? Il est sans cesse tiraillé, l’angoisse monte (pour le lecteur aussi), et on se demande s’il va pouvoir s’en sortir. D’autre part, des dommages collatéraux apparaissent et Raymond risque d’avoir de gros ennuis…

J’ai dévoré ce roman en un après-midi. L’écriture est vive, fluide et plaisante. Il y a des rebondissements, du rythme. Tout s’emboîte, on va de surprise en surprise. Je n’ai pas senti de coup de mou, j’ai accroché du début à la fin. Je me suis attachée à ce pauvre Raymond déstabilisé, démuni, face à plus fort que lui. Je ne sais pas ce que j’aurais fait à sa place. Face à un chantage ignoble, sait-on fermement comment on pourrait réagir ? Je ne crois pas…

Patrick S. Vast a bien exprimé dans son récit, toute l’ambivalence de ce que vit, subit, serait plus juste, Raymond. Combien il va être difficile pour lui de savoir que faire, d’autant plus que tout ça n’a rien de commun, ni d’ordinaire. Il n’a rien demandé et aurait préféré garder sa petite vie un peu morne mais bien rangée…

Une lecture très appréciée !

"Les sept nuits de Miriam" de Mélissa Broder (Milk Fed)

 

Les sept nuits de Miriam (Milk Fed)
Auteur : Mélissa Broder
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Carine Chichereau
Éditions : Christian Bourgois (4 Mai 2023)
ISBN : 978-2267050936
416 pages

Quatrième de couverture

Rachel a fait de la restriction calorique sa religion. À 24 ans, sa vie est rythmée par de petits rituels créés dans l’espoir de garder le contrôle de son alimentation. Son obsession : ne pas prendre de poids. Mais lorsqu’elle rencontre Miriam, ses certitudes vacillent… Car Miriam, son corps épanoui, ses rondeurs, ses yaourts glacés et sa famille juive orthodoxe, l’attire irrésistiblement. Alors, quand son désir charnel se confond presque avec l’appétit renouvelé pour les plaisirs de la table, et que le sentiment d’avoir trouvé une famille s’en mêle, la vie de Rachel se complique sérieusement.

Mon avis

Rachel est une jeune femme qui a été grosse dans son enfance. Maintenant, elle est mince mais son diktat, c’est de ne pas prendre un gramme. Alors elle compte les calories, mange toujours les mêmes aliments à un rythme bien défini. Elle se prive de repas entre amis ou de sorties au restaurant de peur de ne pas pouvoir maîtriser. Tout son quotidien est lié à l’angoisse d’une prise de poids. La nourriture régente tout. Son travail et ses collègues ? Ici ou ailleurs peu importe malgré la présence d’Ana, une collaboratrice qu’elle aurait bien adoptée comme mère. Sa vie sentimentale ? Le calme plat. Elle est plutôt attirée par les filles mais rien à l’horizon. Ses relations avec ses parents ? Un peu compliquées, sa mère est assez envahissante. Elle se produit parfois dans un petit groupe en tant qu’humoriste, c’est un peu là qu’elle est le plus « elle-même ». Elle est juive et ne pratique pas. Alors elle voit une psy, Rana Mahjoub, pour se faire aider. Elle la rencontre pour améliorer le lien avec sa mère et gérer ses troubles alimentaires.

Lors d’un entretien, le Docteur Mahjoub suggère une cure de désintoxication mère / fille à savoir quatre-vingt-dix jours sans contact. Rachel est persuadée que ce ne sera pas possible car sa Maman n’acceptera pas. Il va falloir tenir et ne pas répondre aux nombreux textos. Pas évident mais cette parenthèse va peut-être lui permettre de sortir de sa routine ?

Dans les rituels de chaque jour, qui rassurent Rachel, il y a la dégustation d’un yaourt glacé nature (est-ce pour rappeler le lait maternel ?) sans garniture, dans une coupe pas trop pleine, et qu’elle déguste d’une certaine façon. C’est toujours le même homme qui la sert. Mais ce matin-là, c’est une femme plantureuse qui s’occupe d’elle. Et elle n’écoute pas Rachel, elle remplit le pot au-delà de la limite, veut rajouter des petites gourmandises puisque c’est compris dans le prix. Une catastrophe pour Rachel qui est totalement déstabilisée. À partir de ce fait, somme toute banal, son univers bien cadré va exploser. Elle parle avec la vendeuse, Miriam, se rend dans sa famille (juive comme elle), découvre une autre façon de vivre, de voir les choses, elle lâche du lest pour s’alimenter, se reprend, s’égare, se perd sur d’autres routes, y reste, en sort…..

En renouant avec le plaisir de la dégustation, c’est un autre appétit qu’elle aiguise en simultané, celui de la chair. Elle a envie d’être amoureuse, de caresser, d’embrasser… Elle essaie de s’affranchir de sa mère, du poids de la religion et de « ses lois ». Il y a des passages plus osés, plus érotiques comme si Rachel bouillonnait de se libérer enfin. Elle ne peut plus planifier, anticiper… elle est en roue libre….

Ce roman m’a un peu bousculée, quelque fois, j’ai eu l’impression que l’auteur cherchait à choquer. En parallèle, elle aborde d’une façon originale, l’obsession de cette minceur, presque devenue une norme. Dès que Rachel prend un peu de poids, Ana lui en fait la remarque. Mélissa Broder parle également du judaïsme et de tout ce à quoi il fait référence, c’est très intéressant et riche d’informations. Le rapport au corps, aux parents, aux autres, est bien retranscrit et assez approfondi.

L’écriture (merci à la traductrice) et le style sont fluides, avec des pointes de sarcasme. On a envie de savoir comment va évoluer Rachel. On sent ses nombreux blocages puis elle s’ouvre, elle lâche prise mais jusqu’où va-t-elle aller ? Finalement de quoi se nourrit-elle ? De yaourts, d’amour, de religion ? Qu’est-ce qui la fait avancer ?

Un récit atypique, surprenant, qui sort des sentiers battus.


"Le livre de Daniel" de Chris de Stoop (Het boek Daniel)

 

Le livre de Daniel (Het boek Daniel)
Auteur : Chris de Stoop
Traduit du néerlandais (Belgique) par Anne-Laure Vignaux
Éditions : Globe (4 Mai 2023)
ISBN : 978-2383612155
294 pages

Quatrième de couverture

Le Livre de Daniel, c’est l’histoire tragique d’un homme de quatre-vingt-quatre ans assassiné à coups de fourche dans sa ferme isolée, par des jeunes paumés de Roubaix qui veulent de l’argent, le filment avec leurs téléphones portables et font circuler la vidéo de sa mise à mort sans aucune empathie. Le Livre de Daniel, c’est aussi l’histoire de Chris de Stoop, le neveu de Daniel, qui, après avoir enquêté dans le village de son oncle, en Belgique, décide de se porter partie civile au procès des bourreaux de son oncle. Il ne cherche pas réparation ; ce qu’il cherche, c’est à comprendre ce qui a mené cinq jeunes désœuvrés au meurtre.

Mon avis

Chris De Stoop est un journaliste belge, c’est un homme engagé. Il a notamment enquêté pendant un an (sous couverture) sur un réseau international de trafic d’êtres humains. Dans ce livre, il parle de son oncle Daniel, dont il est l’un des descendants parmi d’autres. Apprenant l’assassinat de Daniel, il a décidé de se porter partie civile au procès des accusés. Pour assister aux quinze jours de réflexions, témoignages etc, il a eu besoin de comprendre. Mieux connaître Daniel, mieux cerner les jeunes fautifs. Non pas pour juger ou obtenir une quelconque réparation, mais pour avoir des explications.

Dans ce recueil, il redonne vie à son oncle, il libère la parole de certains témoins, il analyse les faits, recherchant ce qui a pu pousser des adolescents désœuvrés à commettre l’irréparable. Bien sûr, ils n’ont pas eu une enfance facile, Ils n’ont pas trop réussi à l’école, ils vivaient dans un coin perdu avec beaucoup de chômage et l’envie d’avoir une moto, un IPhone etc…. Bien sûr c’est facile de trouver des excuses….

Chris de Stoop ne juge pas, il ne tombe jamais dans le pathos. Il raconte Daniel, qui a repris la ferme parentale, qui était amoureux (mais elle a dit non), qui maintenait les traditions et la façon de travailler de ses parents. Il était respectueux de tout ça. Il vivait à l’ancienne, pas de chéquier, pas de télévision…. Il faisait ses courses en tracteur et promenait son argent avec lui. Marginal ? Non, libre.

« Dans sa ferme, derrière ses volets fermés et sa porte barricadée, personne ne pouvait le voir ni l’entendre, il pouvait être simplement lui-même. Libre. »

Pourtant, pour le psychologue qui a parlé aux accusés, « Daniel Maroy s’est déshumanisé lui-même. » Il s’est placé en dehors de la société et les bourreaux ne réalisaient pas qu’ils martyrisaient un humain…. Je comprends aisément que cette phrase est « dérangée » l’auteur.

Il a attendu soixante-deux mois entre le décès de Daniel et le procès. C’est long, très long….Il a rencontré des voisins, des commerçants, les accusés, et il retranscrit tout cela d’une plume vibrante sans haine, ni jugement. Il veut simplement répondre à la question « Pourquoi ? » et il le fait très bien.

Les jeunes ont participé à des degrés divers, ils se sont laissé emporter vers la violence. Ils ont fait les mauvais choix, sans se douter que cela entraînerait des dommages collatéraux dans leur famille. Il est intéressant de voir comment chacun s’est d’abord positionné, rejetant la faute, minimisant ou assumant…Certains seront marqués à vie, par la prison, ou parce qu’ils ne se pardonneront jamais d’avoir agi ainsi. D’autres passeront à autre chose ou seront tiraillés sans cesse, hantés peut-être ….

D’autre part, « le vieux crasseux » comme certains l’appelaient redevient « homme » dans ce texte, il existe, il vit, et le lecteur ne pourra pas l’oublier.

L’auteur aborde des thématiques très actuelles. La difficulté pour les agriculteurs de tenir lorsque l’exploitation est trop petite et qu’un problème surgit (une panne sur un engin agricole et c’est tout un budget qui bascule dans le rouge). Le désœuvrement des jeunes dans les régions ou les villes où ils se cherchent, manquant de tout ce qui leur fait envie et qu’il serait tellement plus cool de posséder. Alors, si de l’argent facile est à portée de mains… D’ailleurs n’est-ce pas le vieux qui les a tentés en montrant ses billets ?

Cette lecture est bouleversante. Chris de Stoop a le bon ton, les mots justes (merci à la traductrice). Son texte l’a sans doute aidé à avancer, il est porteur de sens et a dû faire du bien à tous ceux qui appréciaient Daniel.

NB : Ce livre est resté numéro 1 des best-sellers aux Pays-Bas pendant longtemps.

"Amour, meurtre et pandémie" de Qiu Xiaolong (Love and Murder in the Covid Days)

 

Amour, meurtre et pandémie (Love and Murder in the Covid Days)
Auteur: Qiu Xiaolong
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Françoise Bouillot
Éditions : Liana Levi (4 Mai 2023)
ISBN : 979-1034907878
226 pages

Quatrième de couverture

Où sont passées les échoppes des rues de Shanghai où se pressaient les gourmets ? La politique sanitaire du gouvernement les a interdites. Chen, le légendaire inspecteur, ne trouve un réconfort que dans la littérature et la poésie. Pourtant c’est à ses talents d’enquêteur que le Parti fera appel pour résoudre une série de meurtres qui touche le plus grand hôpital de la ville, déjà sous tension. Le mot d’ordre : maintenir à tout prix la stabilité tout en prônant l’efficacité de la politique zéro Covid.

Mon avis

La Chine change, la Chine reste immuable

Ce n’est pas le premier livre où je retrouve Chen Cao, ancien inspecteur de police de Shanghai, mis en retrait (un peu forcé) de ses fonctions parce qu’il dérange. J’ai donc beaucoup apprécié de lire une nouvelle aventure de cet homme qui, à son petit niveau, essaie de lutter contre le parti chinois.

Cette fois-ci, c’est le Parti qui fait appel à lui, ce qui est pour le moins surprenant puisque le but est de le tenir à l’écart. Alors pourquoi ? Est-ce pour mieux le manipuler, pour mieux le surveiller ou pour donner une sorte de légitimité à ce qu’il découvrira, vu qu’il est plutôt bien considéré par les citoyens ? Connaissant le PCC (parti communiste chinois), cette décision n’est certainement pas anodine.

Trois meurtres ont été perpétrés vers l’hôpital et Hou Guohua, le directeur du personnel de la municipalité se déplace lui-même au domicile de Chen pour lui demander de l’aide. Comme ce dernier est en train de travailler avec sa jeune secrétaire Jin, c’est à eux deux (elle sera là pour l’accompagner dans ses investigations) qu’on demande de résoudre et surtout de stopper cette série de crimes. En effet, les bruits les plus fous courts. Nous sommes en pleine épidémie de COVID, si du personnel médical est assassiné, n’est-ce pas parce qu’ils n’a pas soigné, ou mal, certains malades ?

Chen est très surpris qu’on lui confie cette tâche mais ça va lui permettre de sortir un peu, de bouger, de s’occuper, et il accepte. Jin est enchantée. Cette jeune femme est en admiration devant Chen. Elle a commencé par un peu de secrétariat avant de l’assister. Sa sagacité, son esprit de déduction font merveille et elle apprend énormément auprès de lui. Ils entretiennent une relation ambiguë car la liberté a disparu de leur pays. Il y a d’ailleurs, tout au long du roman, outre des extraits de poèmes dont est friand le policier, une comparaison avec « 1984 » de George Orwell. C’est bien pensé et ça fait peur pour le pays où ils vivent….

Au-delà de la résolution des crimes, c’est l’atmosphère de cette histoire qui en fait toute sa richesse. L’auteur par l’intermédiaire de ses personnages, nous présente plusieurs coins du pays, dont ceux où le COVID est très présent. Une ombre plane en permanence, c’est lourd, étouffant et anxiogène. Les habitants sont enfermés, contrôlés, surveillés à l’extrême. Qiu Xiaolong dénonce ce qui s’est passé pendant la pandémie. Il parle des mensonges, des fausses informations, de la manipulation des résultats des tests, du fait qu’il faut ruser pour sortir, obtenir des nouvelles de sa famille, ou tout simplement communiquer car tout, absolument tout, est sous contrôle. « Nous n’avons pas seulement des caméras de surveillance ordinaires, mais aussi des caméras de surveillance humaines que sont les comités de quartier. » « Le nœud coulant du contrôle gouvernemental n’avait cessé de se resserrer, et on ne pouvait pas négliger les problèmes que risquait de vous causer un simple appel téléphonique. »

Le parti a lavé le cerveau du peuple mais certains luttent encore. Pourtant n’importe qui, à n’importe quel moment, peut être accusé de « délit de pensée ». Lire des ouvrages comme celui-ci nous rappelle notre bonheur d’avoir encore une certaine liberté de mouvement. Oui, nous devons être vigilants pour éviter les dérives. Mais quand on imagine la vie en Chine, on frissonne… Amour, meurtre et pandémie est bien plus qu’un roman, c’est une piqûre de rappel, peut-être même une forme d’appel au secours.

Servi par une écriture délicieuse (merci à la traductrice) avec des poèmes choisis pour le message qu’ils offrent, ce texte m’a beaucoup touchée.