"Une femme debout" de Catherine Bardon

 

Une femme debout
Auteur : Catherine Bardon
Éditions : Les Escales (4 Janvier 2024)
ISBN : 978-2365698313
290 pages

Quatrième de couverture

République dominicaine, 1963. Sonia Pierre voit le jour à Lechería, dans un batey, un campement de coupeurs de canne à sucre. Consciente du traitement inhumain réservé à ces travailleurs, elle organise, à treize ans seulement, une grève pour faire valoir leurs droits. Une des rares habitantes du batey à suivre des études, elle devient avocate et consacrera sa vie tout entière à combattre l'injustice jusqu'à sa mort tragique.

Mon avis

Avec la saga familiale « Les Déracinés », Catherine Bardon nous a ouvert les yeux sur une partie des habitants de la République Dominicaine, des exilés qui ont dû se battre pour se faire une place.

Dans cette biographie romancée, elle nous présente Sonia Pierre ( 4 juin 1963 - 4 décembre 2011 ). Quand j’ai tourné la dernière page, vu les photos avec Michelle Obama et Hillary Clinton, je me suis demandée comment j’avais pu passer à côté de cette femme exceptionnelle dont la vie a été un combat pour les autres, allant jusqu’à s’oublier.

Ses parents ont quitté Haïti pour des promesses de travail et de meilleures conditions de vie en République Dominicaine. En fait, ils se sont retrouvés avec d’autres célibataires ou couples dans un batey, un lieu misérable où les coupeurs de canne à sucre étaient « parqués ». Ils étaient exploités, ne gagnaient pas grand-chose. Pas de nourriture, pas de soins, pas d’école pour les enfants (et pas de contraception…)

En 1976, à treize ans, Sonia encourage les travailleurs à se rebeller pour revendiquer sur les salaires, les logements etc… Remarquée par un missionnaire qui enseignait dans le batey, elle ira à l’école en ville, et fera tout pour réaliser son rêve : avocate pour défendre les droits de l'homme et du citoyen haïtien ayant vécu en République dominicaine. Reconnaissance de leur identité, de leur appartenance à ce pays où ils sont nés, où ils ont travaillé. Possibilité de recevoir un enseignement pour les enfants etc.

Elle a créé le MUDHA (Movimiento de Mujeres Dominico-Haitianas), mouvement pour les femmes afin de les aider dans leur vie quotidienne, elles et leurs familles.

Catherine Bardon a vécu dans ce pays, elle le connaît bien et en parle avec passion dans ses écrits.

À travers une riche trame historique, grâce à des photos, des documents, elle fait le portrait d’une femme forte, engagée, qui a refusé ce que son origine lui réservait, pour prendre la vie à bras le corps, s’investissant pour tous ceux qu’elle avait vus galérer.  Elle regrette de ne pas avoir pu la rencontrer.

Grâce à Sonia et tout ce qu’elle a mis en place, les Dominicains d’ascendance haïtienne sont passés du statut d’invisibles à visibles.

J’aime lire Catherine Bardon, parce que j’apprends avec elle dans des récits où elle met tout son amour pour la République Dominicaine et ses habitants. Son texte n’est jamais lourd, elle n’en fait pas trop, elle reste humble dans les connaissances qu’elle nous transmet. Bravo et merci à elle !


"Oméga - Tome 2 : Pierres" de Jane Tallipram

 

Oméga - Tome 2 : Pierres
Auteur : Jane Tallipram
Éditions : Nombre7 (10 Mai 2024)
ISBN : 979-1042701772
224 pages

Quatrième de couverture

À la suite d'une innovation prodigieuse restée clandestine et nommée Oméga, Hector, un jeune paysan colombien, est devenu le seul être humain immunisé contre les mécanismes du cancer. Ciblé entre autres, par d'obscures organisations, Hector devra se taire sur son état. Une nouvelle mission attend l'ancien paysan : le contenu ultra secret du colis qu'il devait déposer jadis en Asie et qu'il lui faut récupérer coûte que coûte.

Mon avis

Entre anticipation (parfaitement dosée et pas du tout trop présente ni envahissante) et thriller, ce roman offre de belles réflexions en toile de fond sur les choix des hommes, notamment de ceux qui pensent avoir tout le pouvoir. Qu’en est-il de la possibilité des progrès médicaux extrêmes si cela doit déséquilibrer l’économie mondiale parce que certains les utiliseront mal en abusant des possibilités ainsi offertes ?

Je n’ai pas lu le tome 1 mais cela n’a en rien gêné ma lecture. La quatrième de couverture était assez explicite. Hector, jeune paysan colombien est immunisé contre le cancer donc il y a des envieux. D’où le fait qu’il se fasse discret, essayant de se faire oublier afin de vivre en paix. Il est maintenant plus âgé et a un fils bien placé dans la haute finance sur qui il peut compter. Peut-être pourra-t-il l’aider en cas de coup dur ? Bien entendu, ça ne fait pas tout mais avoir du soutien, c’est toujours bon à prendre, n’est-ce pas ?

Alors qu’il pensait vivre tranquille, voilà qu’on lui demande de récupérer un colis qu’il a normalement déposé, il y a bien longtemps, en Asie. Il n’a pas à dire oui ou non, c’est une exigence. Va-t-il pouvoir s’acquitter facilement de cette mission ? Rien n’est évident car forcément tout finit par se savoir et personne n’a l’intention de lui faciliter la tâche. Il va lui être nécessaire de ruser, de réfléchir en amont afin d’agir pour tenter de sauver ce qui peut l’être. Pas simple du tout, surtout quand ceux qu’on imagine honnêtes ne le sont pas vraiment, jouant sur plusieurs tableaux. À qui se fier, qui manipule qui ? À qui faire confiance ? Hector et ses alliés vont bien galérer.

Le lecteur suit les péripéties de plusieurs personnages en espérant que tout va s’arranger. De nombreux rebondissements maintiennent notre intérêt. Les dialogues sont rédigés avec quelques pointes d’humour et de second degré. J’ai trouvé qu’il y en avait presque trop parfois au détriment de l’action qui passait alors au second plan. Mais ça ne coupe pas trop le rythme donc ça va. Les phrases assez courtes sont percutantes. L’écriture de Jane Tallipram est vive, sans temps mort.

Elle maîtrise son intrigue, elle sait où elle veut nous emmener (une des révélations, à propos du colis, dans les dernières pages est non seulement bien pensée mais également très originale) et elle distille les indices petit à petit. Il faut être très attentif pour mettre bout à bout ce qu’on découvre. J’ai eu un petit regret, j’aurais aimé que les caractères et les profils psychologiques des principaux protagonistes soient un peu plus développés.

Mis à part ce petit bémol, ce récit est très plaisant à lire.

NB; la couverture est magnifique !

"Le réseau Jane" de Heather Marshall (Looking for Jane)

Le réseau Jane (Looking for Jane)
Auteur : Heather Marshall
Traduit de l’anglais (Canada) par Laurent Dury
Éditions : Charleston (14 Mars 2023)
ISBN : 978-2368129579
466 pages

Quatrième de couverture

« Si vous ou une de vos amies tombe enceinte alors qu’elle ne le souhaite pas, vous devez appeler un médecin et demander Jane. » Jeune étudiante à l’université de Toronto, Nancy Mitchell se raccroche désespérément à ces mots lorsqu’elle découvre sa grossesse en 1980. Elle sait que se rendre au cabinet de Seaton Street pourrait l’envoyer en prison. Pourtant, quelques années plus tard, elle rejoint le réseau Jane, en dépit du danger, pour venir en aide aux jeunes femmes dont elle partage le déchirement. Nancy trouve rapidement sa place dans cette famille de coeur et comprend que chacune a ses propres raisons et secrets pour prendre au quotidien ces risques insensés.

Mon avis

Inspiré de fait réels, ce roman offre de magnifiques portraits de femmes battantes que l’on suit, à tour de rôle, sur trois époques différentes. Elles sont toutes reliées par une même thématique : la grossesse désirée ou non et le droit à choisir.

« Que chaque enfant soit un enfant désiré, que chaque mère soit mère parce qu’elle l’a voulu. »

Les faits se déroulent au Canada, en 1960, 1979, 2017. On découvre ces « foyers » tenus par des religieuses, où de jeunes filles sont envoyées pour accoucher « en toute discrétion ». Les conditions sont terribles, révoltantes et elles ne peuvent pas se rebeller. L’auteur retrace le parcours de ces adolescentes enceintes parce que violées ou autres dures conditions. Que deviennent leurs bébés ? Que savent-ils de leur histoire ?

Comment peut-on agir ainsi ? Refuser de leur offrir un espace de parole, le droit de s‘exprimer et de donner leur ressenti. Ce sont des êtres humains pas des ventres ! On ne dispose pas de leur vie. J’étais en colère de lire ça. Et quand on sait que ça a existé … brrr…Que dire de celles qui doivent avorter clandestinement et sans suivi médical, parfois avec une « opération » qui met leur vie en danger ?

Alors « le réseau Jane » s’est mis en place en secret, pour aider toutes celles qui souffraient en silence afin de leur proposer des interruptions de grossesse en toute dignité. Mais quand on agit dans l’illégalité, on prend des risques même si ce qu’on fait est juste et justifié. Alors on assiste à la lutte de toutes celles qui, chacune à leur niveau, ont décidé de se battre, pour qu’en 1988 le droit à l’avortement soit voté au Canada (1975 en France).

Ce récit aborde également d’autres thèmes : la liberté de parole dans les couples, le droit à la maternité pour les unions de même sexe, l’adoption, les non-dits dans les familles, l’amitié, le qu’en dira-t-on face aux conventions sociales etc.

J’ai trouvé l’intrigue bien pensée et construite de façon intelligente, la lettre qui fait le lien est une excellente idée !

L’écriture de Heather Marshall est prenante (merci au traducteur), empreinte d’empathie et de respect. Le propos émouvant, poignant, vous prend aux tripes. Un peu de passion, avec des histoires d’amour délicates, finit de « ferrer » le lecteur ou la lectrice. On veut savoir, on espère une fin pleine d’espoir… Il y a quelques lueurs pour ne pas baisser les bras tout au long du livre et ça fait du bien !

La note de l’autrice en fin d’ouvrage est intéressante et complète la lecture. Elle explique ses recherches historiques, son cheminement vers l’écriture.

Quand on voit ce qu’il se passe dans certains pays, avec des retours en arrière sur les lois existantes, le sujet reste pertinent et d’actualité malheureusement ….

 

"Amour, sexe et terre promise" de Salomé Parent-Rachdi et Deloupy

 

Amour, sexe et terre promise
Reportage en Israël et Palestine
Auteurs : Salomé Parent-Rachdi (scénario) et Deloupy (dessin
Éditions : Les Arènes (4 Avril 2024)
ISBN : 979-1037511720
164 pages

Quatrième de couverture

Raconter le conflit depuis la chambre à coucher.

Entamée en 2018, cette enquête intime donne la parole à seize témoins, hommes et femmes, palestiniens et israéliens, arabes et juifs, qui racontent comment la guerre et la religion s'insinuent dans leur vie amoureuse et sexuelle. Une vie codifiée, contrainte, blessée : l'amour sous le joug de la géopolitique.

Mon avis

Cette bande dessinée a été conçue avant les événements du 7 Octobre 2023 (depuis cette date, une guerre dévastatrice a éclaté entre Israël et le Hamas, faisant des milliers de victimes entre morts et blessés). Les deux auteurs ont choisi qu’elle soit publiée malgré tout et ils s’en expliquent sur trois pages (en BD) avant de rentrer dans le vif du sujet. À la fin, les témoins qui le souhaitent disent en quelques lignes leur ressenti depuis Octobre 2023.

Journaliste indépendante, Salomé a été correspondante en Israël et Palestine de 2017 à 2020, elle connaît les lieux, a des contacts. Avec Deloupy, ils ont choisi de « prendre de la hauteur », de voir le conflit sous un autre angle, celui de l’amour et du sexe.
Salomé a eu des entretiens avec seize personnes, à Tel-Aviv, Gaza, Jérusalem, Ramallah. Des hommes, des femmes, qui ont accepté de se mettre à nu, de parler de leur religion, de leur vie intime, de coparentalité, d’amour, de sexe, le tout sans tabou, en toute simplicité.

On découvre le poids des traditions, la pression mise sur les femmes, le harcèlement de rue, les difficultés rencontrées par les LGBT (minorités sexuelles et de genre), les couples mixtes (le poids du regard des familles, des amis….), ce qui pose problème à cause du travail (notamment l’armée), de l’aspect physique ou autre …

« L’occupation s’immisce jusque dans la vie privée des gens. »

J’ai été très touchée par le témoignage de Yasmeen, qui crée des vêtements au dos desquels est brodé « Not your Habibti » (je ne suis pas ta chérie). Elle avait d’abord peint ce slogan sur sa veste avant d’en faire une « marque ». C’est sa façon à elle de se battre, de rendre leur liberté aux femmes….

A découvrir ici

« Je sais bien qu’un simple vêtement ne va pas arrêter le harcèlement…mais c’est un rappel que vous faites partie de quelque chose de plus grand qui veut redonner du pouvoir aux femmes, que vous n’êtes plus seule. »

C’est stupéfiant de constater que, selon les origines, l’approche de la sexualité n’est pas la même. Il y a ceux à qui on n’explique rien (un jeune couple qui ne savait pas faire l’amour), les gays qu’on veut rééduquer, soigner, la masturbation qui est interdite etc ….



"Kay Scarpetta - Tome 27 : Morts suspectes" de Patricia Cornwell (Unnatural Death)

 

Kay Scarpetta - Tome 27 : Morts suspectes (Unnatural Death)
Auteur : Patricia Cornwell
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Dominique Defert
Éditions : Jean-Claude Lattès (15 Mai 2024)
ISBN : 9782709673921
418 pages

Quatrième de couverture

Le lendemain de la nuit d’Halloween la plus sanglante qu’ait connue la Virginie, Kay Scarpetta, la cheffe de l’institut médico-légal, doit abandonner ses autopsies pour enquêter sur des meurtres particulièrement violents. Elle débarque dans une région sauvage et découvre un cadavre flottant à la surface d’un lac et un autre au fond d’un puits de mine abandonné — les deux corps sont méconnaissables. Le couple allait être arrêté pour leurs activités cybercriminelles et leur mort ne peut être une coïncidence. De toute sa carrière, Scarpetta n’a jamais eu affaire à une telle barbarie.

Mon avis

C’est la vingt-septième aventure de Kay Scarpetta, que je suis depuis ses débuts. Chaque histoire peut se lire de façon indépendante (si besoin, il y a quelques rappels glissés discrètement). Certaines sont plus captivantes que d’autres, l’auteur ayant connu un coup de mou ces dernières années.

Cette fois-ci, on est en plein hiver (cela rajoutera quelques péripéties) et Kay, cheffe de l’institut médico-légal, doit aller avec sa nièce Lucy (HPI, employée des services secrets) récupérer deux corps dans un endroit difficile d’accès. Il s’agit, a priori, de personnes sous surveillance depuis quelque temps pour leurs activités cybercriminelles. Ce qui interroge, ce n’est pas forcément leur mort, mais plutôt la manière dont ça s’est fait. Marino, son enquêteur de terrain, est déjà sur place et a remarqué plusieurs choses troublantes. Les investigations ne seront pas aisées !

Scarpetta se sent épiée en permanence, elle n’est jamais tranquille, elle a peur pour ceux qu’elle aime. Elle vit avec Benton, son mari, profileur au FBI. Ce n’est pas toujours facile entre eux car leurs boulots se télescopent. Ils sont parfois obligés de mentir, par omission, afin de se protéger l’un l’autre.

En parallèle, elle mène une autre enquête. C’est une femme efficace, intelligente, capable de déductions fines. Ses raisonnements apportent un plus au texte car on a envie de savoir comment elle pense. De plus, Lucy très douée, bénéficie d’outils très performants et partage avec sa tante.

Ce récit est plus épuré et contient moins de digressions que les derniers. On retrouve l’écriture (merci au traducteur, Dominique Defert) sèche et incisive de l’auteur. Elle décrit à la perfection tout le côté « médecine légale », autopsies, observations diverses… Ces explications intéressantes prennent malgré tout de la place et de ce fait donnent le sentiment d’un rythme assez lent. C’est un peu frustrant car j’aurais souhaité plus de rebondissements. Heureusement, ça s’accélère sur la fin et ça laisse présager une suite ....

J’ai été contente de retrouver tous ces protagonistes auxquels je me suis attachée au fil du temps mais pour moi ce n’est pas le tome le plus réussi de Patricia Cornwell, même s’il est assez bon.


"Autoportrait au radiateur" de Christian Bobin

 

Autoportrait au radiateur
Auteur : Christian Bobin
Éditions : Galimard (3 Octobre 1997)
ISBN : 978-2070749782
180 pages

Quatrième de couverture

"Ce n'est pas un journal que je tiens, c'est un feu que j'allume dans le noir. Ce n'est pas un feu que j'allume dans le noir, c'est un animal que je nourris. Ce n'est pas un animal que je nourris, c'est le sang que j'écoute à mes tempes, comme il bat - un volet ensauvagé contre le mur d'une petite maison."

Mon avis

Écrit du 6 avril 1996 au 21 mars 1997, après la mort de son épouse, ce court roman (Bobin tient à ce qu’on dise roman), retrace des réflexions intimes que l’auteur partage avec nous.

« La vérité, ce n’est pas un trou dans la terre. La vérité, c’est l’infini d’amour parfois reçu dans cette vie quand noud n’avions vraiment plus rien. »

On pourrait penser qu’il va se plaindre, se souvenir et nous faire pleurer suite au décès de celle qu’il a aimée. Bien au contraire, il célèbre la vie, et surtout l’Amour avec une majuscule.

« Il peut sembler étrange de faire entrer, chaque semaine, deux bouquets de fleurs dans un endroit où l’on vit seul. »

Les fleurs comme thérapie, comme moyen de faire rentrer la vie chez lui, de « nourrir les invisibles », comme il l’écrit. Elles le maintiennent vivant, il s’en occupe, il les choisit avec soin, les contemple. Il en a besoin parce que, parfois, la mort s’impose, lui fait de l’œil, il irait presque jusqu’à avoir envie de quitter la vie….

Alors, il cherche dès le réveil, un rien de gaieté, « du minuscule et de l’imprévisible. Un petit marteau de lumière heurtant le bronze du réel. »

Ce recueil est doux et délicat, raffiné comme une dentelle. On aimerait se souvenir de tout, noter les phrases. Mais il suffit d’acheter ce petit livre, de se l’offrir ou de l’offrir et de le feuilleter pour retrouver, intact, le plaisir d’une parenthèse enchantée…

« Finalement, je n’aime pas la sagesse. Elle imite trop la mort. Je préfère la folie - pas celle que l’on subit, mais celle avec laquelle on danse. »


"Le bomian" de Page Comann

 

Le bomian
Auteur : Page Comann
Éditions : M + (4 Juillet 2024)
ISBN : 978-2382112564
314 pages

Quatrième de couverture

Été 1955, Alpes-De-Haute-Provence.
Le village du Mazet-sur-Rourle se prépare à fêter le 14 juillet. Un feu d’artifice sera tiré en apothéose au-dessus de la garrigue. Au coeur de cet été de canicule, l’arrivée d’un étranger, d’un bomian comme on dit au pays, fera exploser bien autre chose que des fusées.
Les secrets, les non-dits, les mensonges. Tout ce que les habitants cachent depuis trop longtemps derrière leurs jalousies.
Pour beaucoup, c’est l’heure des comptes.

Mon avis

Le bomian c’est un homme venu de nulle part, affichant des tatouages et un regard acéré. Un étranger au village provençal où il débarque en ce jour de Juillet, en 1955, descendant du car qui passe par là. Il est blond, parle peu, mais on sait qu’il est d’origine arménienne et qu’il vient de Marseille. Il cherche un petit boulot, le gîte et le couvert. Grâce au curé, il trouve de quoi s’occuper.

Ce sont les grandes vacances, Lisou l’institutrice est belle, le directeur de l’école la regarde avec envie. Le bomian jette un œil sur ses formes, son sourire mais il sait bien qu’il doit rester à sa place. Il ne peut rester ici que parce que les gens du bourg le veulent alors…. Autant ne pas chercher d’embrouilles. Il est accepté, avec réticence par certains. Il ne faudrait pas qu’il plaise trop aux femmes, qu’il montre qu’il sait se battre quand les gitans viennent faire des histoires pour des impayés, et comme tout le monde prépare le 14 Juillet, il ne faudrait pas, en plus, qu’il sache danser !

Au Mazet-sur-Rourle, tout le monde se connaît. Personne ne se moque du Pabeu, un jeune homme, un peu simple. Lui, il parle au bomian, il lui propose même d’aller chasser... Quelques-uns savent les infidélités des autres. Les femmes observent mais n’ont pas toujours droit à la parole. Le curé a entendu tant de choses à confesse qu’il n’ignore rien des secrets et des non-dits mais il se tait….

Peu d’habitants mais tous s’interrogent. Combien de temps cet étranger va-t-il rester ? Pourquoi est-il venu là ? Que cache-t-il ? Parce que, forcément, il n’a pas tout dit et il doit être là pour une raison précise, non ?

Page Comann, ce sont deux auteurs, Ian Manook et Gérard Coquet. Quand ils écrivent à quatre mains, on ne sent pas de différence d’écriture, c’est harmonieux, fluide. La dernière fois, avec « Souviens-toi de Sarah », ils m’avaient emmenée en Angleterre à l’époque contemporaine, en lien avec une enquête dans le passé. Un style totalement différent. Et j’avoue que cette fois-ci, ils m’ont encore bluffée. Ce n’est jamais simple de changer de registre alors quand on écrit à quatre mains, la difficulté doit être doublée. Ils sont très forts !

Le rendu de la bourgade, de l’époque (1955 et un été chaud), de la Provence, l’ambiance, les relations entre les personnages, tout est parfaitement exprimé. Je suis admirative de la force et de la variété du phrasé, bien ciblé en fonction de qui parle. Rien n’est laissé au hasard, les « décors », la vie quotidienne, le vocabulaire employé, tout est en phase avec l’histoire (même les chansons du bal). Au fur et à mesure, les langues se délient mais comment démêler le vrai du faux ? C’est un vrai roman d’atmosphère. Tout a de l’importance, les individus décrits à la perfection, les paysages qui ont un vrai rôle à jouer, les dialogues …

J’ai eu énormément de plaisir à découvrir ce nouvel opus. Je l’ai trouvé plaisant à lire, avec une part de mystère bien dosée, et juste ce qu’il faut d’actions. La façon dont sont liés les différents destins des protagonistes est intéressante, voire captivante. Une belle réussite et je pense ne pas être au bout de mes surprises avec Page Comann !

"Crassiers" de Ribos

 

Crassiers
Auteur : Ribos
Éditions : Jarjille (15 Mai 2024)
ISBN : 978-2-493649-19-5
66 pages

Quatrième de couverture

Les crassiers sont un des symboles de Saint-Étienne, héritages du passé industriel minier. Ils font partie du paysage. Un jour, j’ai eu envie de monter dessus…

Mon avis

Au Nord, c’étaient les corons ...

À Saint-Etienne, ce sont les crassiers …. Ils ont commencé à exister en 1938 et aujourd’hui, en 2024, ils sont toujours là. Bien sûr, ils ont refroidi mais leur terre est toujours meuble, alors des arbres ont été plantés et se sont enracinés.

Ils font partie du patrimoine, du paysage, on rêve de grimper au sommet bien que ce soit interdit, on s’en sert de support d’expression, de lieu de rendez-vous secret …

Ribos est né en 1973, le mois où le puits Couriot (puits de mine stéphanois) a été fermé, un signe diront certains … Il n’est pas dessinateur à temps plein, il a d’autres casquettes. De chez lui, il voit les crassiers. Pas tous, mais deux, c’est suffisant pour s’évader en pensée et avoir le souhait de monter dessus…

Il raconte en bande dessinée, ce que ce projet a provoqué en lui, une vague de souvenirs, l’enfance, l’adolescence et puis après, son quotidien de maintenant…

Des planches avec des dessins en trois couleurs qui racontent la vie, l’envie, la place que tiennent les terrils, non les crassiers car chez nous, à Sainté, on ne les appelle pas autrement, la place qu’ils tiennent partout dans les cœurs, les têtes, les esprits ….

Le trait est vif, les dialogues ciblés, il y a du rythme dans tout ça.

Lavilliers chante : on n’est pas d’un pays mais on est d’une ville. Les crassiers, c’est tout à fait ça et Ribos a bien fait de leur rendre hommage !

NB: en fin de livre, des annexes très intéressantes complètent la lecture !


"Le disparu du Jules Verne" de Guillaume Lefebvre

Le disparu de Jules Verne
Auteur : Guillaume Lefebvre
Éditions : Aubane (6 Mai 2024)
ISBN : 9782487020252
324 pages

Quatrième de couverture

Le 25 février 1997, Antoine Bart, marin à bord du Jules Verne, disparaît mystérieusement au large de
Boulogne-sur-Mer. Les conclusions de l’enquête reposent sur des faits indéniables, mais vingt-cinq ans plus tard, sa fille entreprend des démarches pour faire rouvrir le dossier. L’enquête s’annonce difficile. Avec l’aide d’Armand Verrotier, un ancien officier du navire, la fille de Bart plonge dans les abysses de la marine, un univers impitoyable des gens de mer où l’omerta règne.

Mon avis

Guillaume Lefebvre a été capitaine de navire, c’est dire s’il sait de quoi il parle en situant ses intrigues dans le milieu maritime. Ce que vit son héros récurrent : Armand Verrotier doit être inspiré de ce qu’il a vu pendant les années où il a navigué.

Armand est retraité, aime pêcher et écouter de la musique classique. Il apprécie les jolies femmes mais vit seul dans une petite maison à Cayeux sur Mer, en baie de Somme, lieu que connaît très bien l’auteur. D’ailleurs, il donne envie à ses lecteurs -trices d’aller sur place tant ses descriptions font défiler de belles images sous nos yeux.

Cette fois-ci, l’histoire se déroule en 2022. La fille d’un ancien marin, Antoine Bart, commissaire de bord sur le bateau où travaillait Armand, vient le trouver pour lui demander de faire des recherches sur son père, décédé en 1997. D’après les écrits du responsable de la traversée, ce monsieur était dépressif et se serait probablement suicidé. Le corps a été rejeté par la mer dans un sale état quelque temps après avoir constaté sa disparition.

Même s’il n’avait pas de contacts réguliers avec cet homme, Armand se souvient de lui. De plus, sa fille est plutôt mignonne et il se laisse attendrir. Il fera quelques investigations et lui rendra compte de ses avancées. Elle est d’accord. Mais remonter le temps, vingt-cinq ans en arrière n’est pas simple. À l’époque pas de téléphone portable, les archives n’étaient pas informatisées et la police n’a pas cherché plus loin vu qu’Antoine a mis fin à ses jours.

Armand essaie de rencontrer ceux qui étaient présents, parmi le personnel, sur le Jules Verne au moment des faits. Certaines personnes sont introuvables, d’autres ont tout oublié et pour les dernières, celles qu’il peut rencontrer, elles se taisent ou ne disent que des bribes. Il comprend rapidement qu’une espèce d’omerta s’est installée sur les événements de cette nuit-là et sur certains trafics qui se déroulaient à bord ou à quai. Magouilles qu’il n’avait pas remarquées et qu’il ignorait. De plus, il réalise que ses questions dérangent et que certaines révélations sont mensongères. Pourquoi lui cache-t-on certains éléments ? Rien n’est simple dans ce milieu où les hommes se serrent les coudes, surtout s’ils sont du même côté au niveau syndical. Tout se sait ou presque mais rien ne transpire. En protégeant les autres, sans dévoiler les combines d’achat/revente de certains produits pour se faire un peu d’argent facile, on s’assure une certaine forme de tranquillité. Alors Armand qui ressort tout ça plus de deux décennies après … forcément, c’est un gêneur !

De nombreux thèmes sont abordés dans ce récit. La difficulté de vivre en mer par rapport à la famille (épouse, enfants), et les tentations qui en découlent pour chacun. Les non-dits dans la vie professionnelle ou personnelle, la vieillesse, la solitude…. Le tout intégré dans une enquête bien menée. La construction des chapitres avec des retours en arrière permet d’éviter toute lassitude et éclaire, petit à petit, sur les enjeux du présent. J’apprécié de me retrouver dans cette région, que je connais maintenant. Des informations sont glissées çà et là, on apprend plein de choses, comme le fait que la Chapelle de Saint Valéry (ou Chapelle des Marins) soit surmontée d’une girouette avec, non pas un coq, mais un goéland !

L’écriture et le style sont fluides, on ne se perd pas, on repère bien les différents personnages. Aucun n’est vraiment parfait, comme dans la vraie vie. Leurs caractères sont bien définis, avec des forces et des faiblesses.

J’ai vraiment apprécié cette lecture, non seulement pour son contexte mais également pour toutes les réflexions qu’elle peut engendrer et surtout parce que j’aime bien suivre les raisonnements d’Armand Verrotier !

 

"Filles d’Irlande -Tome 1 : Le secret des Deverill" de Santa Montefiore (Songs of Love and War)

 

Filles d’Irlande -Tome 1 : Le secret des Deverill (Songs of Love and War)
Auteur : Santa Montefiore
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Dominique Haas et Stéphane Leigniel
Éditions : Verso (5 Juillet 2024)
ISBN : 978-2386430008
530 pages

Quatrième de couverture

Irlande, 1900. L’année marque le début d’un nouveau siècle et la naissance de deux jeunes femmes bien différentes : Kitty Deverill, une noble anglo-irlandaise intrépide aux flamboyants cheveux roux, et Bridie Doyle, la timide fille de la cuisinière qui aspire à une vie meilleure. Mais elles ont grandi ensemble au château de Deverill et une profonde amitié les lie. Bientôt, leur vie paisible dans ce bastion de la suprématie britannique est menacée par la lutte du pays pour son indépendance.

Mon avis

L’Irlande, un château, des conflits (la première guerre mondiale et la guerre d’indépendance du pays), des familles avec leurs secrets et leurs non-dits, une atmosphère mystérieuse, des personnages intéressants qu’on suit de 1910 à 1925. Tout est réuni pour avoir une agréable lecture sous les yeux.

Une famille noble, anglo-irlandaise (les Deverill), est installée dans un château bâti par leur ancêtre, Barton, sur des terres appartenant aux O'leary. Ces derniers, en colère, ont alors jeté une malédiction sur tous les héritiers mâles du clan jusqu’à ce tort soit réparé.

1910, un couple avec quatre enfants, un garçon et trois filles, habite ce lieu, il y a même les grands-parents. Ils ont de l’argent et vivent entourés de domestiques. La petite dernière, Kitty, neuf ans, est pleine de vie, imprévisible, espiègle, et sa mère n’arrive pas à s’attacher à elle. Elle est rousse, a un regard parfois impertinent, n’a pas la langue dans sa poche. Sa gouvernante essaie de la faire rentrer dans « le rang » mais Kitty aime courir la campagne avec Birdie, la fille de la cuisinière, Jack, et sa cousine Celia quand elle est là.

Elle porte un regard acéré sur tout ce qu’elle observe, tant dans sa famille qu’à l’extérieur. Elle est profondément liée à son pays. Révoltée face à la pauvreté, elle se sent prête à se battre pour garder ses racines, ses amis malgré les différences de niveaux de vie, de religions etc …. Elle s’intéresse aux caractères des individus, à ce qu’ils sont vraiment. Elle est pétillante et sa vivacité rejaillit dans tout le livre. C’est un vrai plaisir de l’accompagner, et quand elle doit faire des choix douloureux, on est peiné pour elle.

Santa Montefiore prend le temps de décrire le contexte et les protagonistes. On s’imprègne des paysages, de l’ambiance, des conditions de vie et des occupations de chacun. On comprend les liens établis entre les uns et les autres. On est au cœur du Comté de Cork, on visualise tout.

Puis viennent les événements, les rebondissements, ce qui était tu ou caché que certains découvrent et les bouleversements qui en découlent. Et là, on est dans l’action, on s’interroge, que va-t-il se passer ?

L’auteur présente à la perfection la vie quotidienne à l’époque, le rôle de chacun, les « codes » (on ne devient pas amie avec une domestique, pourtant c’est le cas de Kitty et Bridie qui de ce fait, ne doivent pas montrer leur affection réciproque), il faut toujours rester dans le « politiquement correct » et on voit combien c’est difficile pour quelques-uns.

J’ai trouvé le fond historique bien documenté et intégré au texte sans que ce soit lourd à lire. L’écriture est d’ailleurs très fluide, plaisante (merci aux traducteurs), le style vif nous maintient en permanence dans le récit.

J’ai été conquise par ce roman (dire qu’il faut attendre décembre pour lire la suite…), il est bien dosé entre les nombreux thèmes abordés, malgré quelques aspects un peu clichés. Il est captivant, pas de temps mort, du mouvement en permanence. On ne s’ennuie pas une seconde. La relation entre Kitty et sa mamie m’a rappelé les conversations que j’avais avec la mienne à qui je me confiais beaucoup.

Bien sûr, j’attends les tomes deux et trois avec impatience puisque certaines questions restent en suspens …


"Le poisson de glaces" de Balthazar Kaplan

 

Le poisson des glaces
Auteur : Balthazar Kaplan
Éditions : M+ (20 Juin 2024)
ISBN : 978-2382112410
372 pages

Quatrième de couverture

Antarctique, années 2040… Alors que le continent s’enfonce dans une crise grave, qui fait craindre le pire, Apollon Maubrey est chargé d’arrêter un jeune leader écologiste, responsable d’une action qui a mal tourné. Mais pourquoi ce jeune homme semble-t-il soudain intéresser plusieurs puissances ? Apollon va se retrouver happé dans une enquête dont chaque étape l’enfoncera davantage dans le chaos et l’horreur à venir…

Mon avis

Un lieu magique et préservé : l’Antarctique, un homme : Apollon Maubrey responsable de l’ASA (agence de sauvegarde de l’Antarctique), une année : 2040.

Apollon doit gérer tout le continent mais il ne peut pas être partout à la fois et se déplace (parfois difficilement vu les conditions météo) suivant les priorités. Il a deux assistants et c’est bien peu pour couvrir tout le territoire. Le protocole de Madrid a volé en éclats (il faisait de l’Antarctique, une “réserve naturelle consacrée à la paix et à la science ») et la gouverneure compte sur lui pour essayer d’en maintenir l’esprit.

On pourrait penser que ce lieu, loin de tout et le plus souvent glacé ne présente que peu d’intérêt à part pour les scientifiques. Pourtant des touristes viennent et leur attitude est parfois déroutante, pas du tout en phase avec ce qu’elle devrait être. D’ailleurs, Apollon se trouve confronté à une situation délicate, une bande de jeunes écologistes qui viennent manifester. Mal équipés, leur comportement irréfléchi les met en danger et leur action tourne court. Leur leader est interpelé et tenu « au frais » pour être interrogé. Il n’a pas l’intention de coopérer et le dialogue semble inutile. Pourtant il semble intéressé pas mal de monde dont, Brian Zaguine, un milliardaire qui vient de débarquer dans le coin. Le genre d’homme pourri par l’argent, qui sait tout, veut tout commander et est tellement imbu de sa personne qu’il écrase tout sur son passage ! Bien sûr, si on creuse, on peut penser qu’il a fait beaucoup pour le progrès (notamment le transfert de données) mais est-ce bien son but ? N’est-il pas mégalomane ? C’est une anguille, il se glisse où il veut, sait se faire oublier si nécessaire et filer entre vos doigts quand vous croyez le cerner….

On découvre également Jenny, une jeune universitaire qu’une grosse structure : Ice Future center, souhaite recruter. C’est l’occasion pour elle d’avoir un nouveau challenge, motivant et probablement novateur. Mais au fil du temps, on s’aperçoit qu’elle se pose des questions sur le projet auquel elle est associée. Est-ce qu’elle a vraiment tous les éléments en mains ?

On suit donc tout ce petit monde et d’autres personnages dans les cinq parties qui constituent ce roman, sans aucun problème tant l’écriture de l’auteur est fluide, accrocheuse et captivante. Il a parfaitement intégré plusieurs sujets, il y a des faits historiques qui nous rappellent l’histoire des lieux qu’ils décrits, ensuite il nous met en garde sur les prouesses liées à l’intelligence artificielle et à tout ce qui concerne le numérique et puis, sujet brûlant, il nous alerte sur le réchauffement climatique et ses dérives en les mettant en lien avec les précédents sujets.

Mais au lieu de se poser en moralisateur, en donneur de leçons, il nous invite à réfléchir et sans doute à voir, à notre niveau, comment agir, grâce à une intrigue très bien construite. Ses protagonistes ont diverses facettes, ils ont des failles, ils sont humains. Apollon est un individu qui se démarque car il a besoin de réfléchir et les nouvelles technologies ne le font pas toujours vibrer. Il prend du recul par rapport à ce qu’il entrevoit et lance des investigations d’une façon discrète et intelligente. Il me plaît bien !

J’ai trouvé cette lecture prenante, elle éveille les consciences car on sait que 2040 ce n’est pas loin et si on oublie d’être vigilant, certains faits évoqués pourraient se produire (j’ose penser que pour la fin envisagée dans ce récit, ce ne serait pas possible, croisons les doigts même si la folie de certains hommes n’a pas de limite …).

Le rythme est bien dosé, l’intérêt ne faiblit pas. De l’action, de l’émotion et des paysages magnifiquement décrits, une atmosphère sublimée par l’endroit où se déroulent ces événements (on a l’impression que les images se succèdent sous nos yeux) offrent une aventure dépaysante pour laquelle on ne ressent qu’une envie : connaître la suite !

NB pour l’éditeur. Le livre peut-il vendu avec une tapette à mouches ;- )

"Mon ami Charly" de David Belo

 

Mon ami Charly
Auteur : David Belo
Éditions : Taurnada (16 Mai 2024)
ISBN : 978-2372581318
312 pages

Quatrième de couverture

Après un traumatisme, deux adolescents de 14 ans, Charly et Bastien, inventent le BINGO : une philosophie permettant d'anticiper, d'extrapoler et de déjouer les dangers de la vie. Toujours en place trente ans plus tard, le BINGO promet des vacances d'été paisibles au mont Corbier pour Bastien et sa famille. Mais lorsque l'énigmatique Chloé, meilleure amie de sa fille, se joint à l'escapade, le BINGO semble caduc. Bastien panique et la montagne se métamorphose en théâtre des enfers. Certaines choses sont imprévisibles.

Mon avis

Bastien est en couple avec Marion, son amour de jeunesse, ils ont deux enfants et mènent une vie assez paisible si ce n’est le besoin de Bastien de tout maîtriser grâce au BINGO. BINGO, c’est une association de mots mnémotechniques. Ainsi il pense à tout, envisage chaque événement sous la forme « et si … et si c’était pire » et il est prêt à toute éventualité. Sauf si un imprévu s’invite. Bien sûr, ce doit être un peu lourd dans le couple ce fonctionnement mais Marion est compréhensive.

Il faut dire que Bastien a subi quelque chose de terrible lorsqu’il était adolescent et avec son pote Charly, pour oublier le traumatisme enduré, il a inventé le BINGO qui les rassure et les accompagne encore alors qu’ils sont adultes.

Bastien et sa petite famille vont partir quelques jours en montagne. Grâce à sa méthode infaillible, le père n’a rien oublié : torche, corde, matériel de survie car on ne sait jamais etc il ne manque rien. Ils vont pouvoir souffler et profiter du bon air, du repos, de la vie !

Ils sont proches du départ, quelques vérifications mentales et hop on y va…sauf que tout s’écroule, c’est la panique ! Sa compagne a autorisé leur fille à venir avec sa copine Chloé… Là, ça ne va plus du tout et l’angoisse étreint Bastien. Aura-t-il le temps de parer à tout ? Et une fois sur place, est-ce que les deux adolescentes seront calmes et disons-obéissantes - ?

Certaines choses sont imprévisibles … Le risque zéro n’existe pas et l’équilibre installé avec beaucoup d’énergie par Bastien n’est pas si solide qu’il en a l’air… Que peut-il se passer qui détraque toutes ses convictions ? Ne risque-t-il pas de réagir avec excès ?

Si Bastien ne maîtrise pas tout, David Belo lui ne laisse rien au hasard. Il sait parfaitement où il veut emmener son lecteur. Et la réussite est au rendez-vous.

Alternant le présent et les problèmes des vacanciers, avec le passé et la situation terrible qui a laissé des traces indélébiles, l’auteur nous entraîne dans les méandres de l’esprit humain lorsque la peur gagne du terrain sur la raison et qu’elle détruit toute forme de sens commun.

On n’oublie pas les souffrances mais il faut apprendre à vivre avec sans qu’elles gouvernent notre vie. Bastien n’arrive pas à se détacher de son passé et de Charly qui prend trop de place dans son quotidien. Arrivera-t-il à gérer les vacances avec une personne de plus, dont le comportement n’est pas celui qu’il espère ?

Avec une écriture vive, une bonne dose de rebondissements, du suspense, de l’anxiété, David Belo nous prend dans ses rets. L’intérêt ne faiblit pas et cet excellent thriller psychologique nous tient en haleine jusqu’à la dernière page.


"Les héritiers de l’Arctique" d'Aslak Nore (Ingen skal drukne)

Les héritiers de l’Arctique (Ingen skal drukne)
Auteur : Aslak Nore
Traduit du norvégien par Loup-Maëlle Besançon
Éditions : Le bruit du monde (4 avril 2024)
ISBN : 978-2493206251
500 pages

Quatrième de couverture

Les Falck sont l'une des familles les plus puissantes de Norvège. Après avoir fait fortune dans l'exploitation commerciale de bateaux, ils ont créé la fondation SAGA, qui veille sur la bonne conservation des archives historiques de leur pays et leur offre une place stratégique sur l'échiquier géopolitique. Si le clan est divisé entre ceux d'Oslo et ceux de Bergen, la réapparition de Connie Knarvick, une cousine éloignée, va aggraver les conflits existants. Celle-ci possède en effet une concession minière au Svalbard, dans le Grand Nord, qui fait l'objet de convoitises et renforce les tensions entre les services secrets norvégiens et la Russie de Poutine.

Mon avis

familia ante omnia

Ce roman est la suite du cimetière de la mer du même auteur, mais il peut être lu indépendamment car les rappels nécessaires sont faits discrètement dans le texte.

Après avoir subi bien des déboires dans le premier tome, la famille Falck (l’arbre généalogique est le bienvenu dans les dernières pages) ne s’occupe plus de bateaux. La fondation SAGA é a été créée et son but est de veiller à la bonne conservation des archives historiques de la Norvège. Tout pourrait bien aller mais les Falck sont éclatés en deux branches, ceux d’Oslo et ceux de Bergen, et au lieu d’essayer de dialoguer, de s’écouter, ils se déchirent.

Un nouveau bateau va être baptisé et Sasha, qui a repris l’entreprise, a préparé les festivités. En parallèle, Hans, son oncle, médecin, est grièvement blessé alors qu’il était en mission de soin sur un navire russe. Dans le même temps, avant de mourir, un homme russe déclare qu’une « taupe » s’est infiltrée chez SAGA. Faut-il en tenir compte ? Mener l’enquête ou ignorer cette potentielle menace ?

Et que dire de la cousine Connie qui possède une concession minière au Svalbard, dans le Grand Nord ? Elle intéresse particulièrement les russes …. Il va être nécessaire de trouver un juste milieu et un équilibre dans tout ça.

Attention, lecture exigeante ! Les personnages sont plutôt nombreux et les noms et lieux pas « fluides » pour un lecteur français. De plus, l’auteur aime à nous égarer avec de nombreuses ramifications et des personnalités parfois surprenantes car nous ne pouvons avoir aucune certitude. C’est d’ailleurs ce qui fait le charme de cette lecture. On n’est jamais sûr de rien. Espionnage, empoisonnement, conflits entre « clans », amour, problème de succession, poids de la dérive climatique sur l’économie et la politique, relations internationales instables quand certains jouent les fauteurs de trouble, de nombreux sujets sont présents. On apprend pas mal de choses sur la vie de la Norvège, son histoire, notamment dans le Nord où il y a une frontière avec la Russie.

On sent que tout ce qui est présenté est proche de l’actualité et ça fait frissonner…. Aslak Nore le souligne dans les dernières pages, beaucoup de personnes ont contribué à lui apporter un éclairage sur ce qu’il évoque. La recherche de documents, en amont de la rédaction, a dû être complète pour éviter toute fausse note.

J’ai beaucoup apprécié ce deuxième titre (j’espère qu’il y en aura d’autres). Les lettres ou transcriptions d’entretiens apportent un éclairage du passé dans le présent. C’est très enrichissant et moins lourd que des retours en arrière. L’écriture (merci à la traductrice) de l’auteur est pointue, rien n’est laissé au hasard. Il dose habilement les rebondissements, le suspense, la part de relations entre les uns et les autres et les réflexions intimes de chaque protagoniste. Quand on imagine avoir tout cerné, il nous sort un secret de famille et déstabilise nos « petites » convictions. C’est excellent !

Une saga à découvrir, pour l’instant en deux « tomes » mais qui sait ….

 

 

"La nuit des femmes" de Sandrine Biyi

 

La nuit des femmes
Auteur : Sandrine Biyi
Éditions : Savine Dewilde (8 mars 2024)
ISBN : 978-2957588343
410 pages

Quatrième de couverture

La Nuit des Femmes reprend les tomes 1 et 2 de Sorcières, précédemment édités aux éditions du halage. Réécrit et achevé, il livre l'histoire de quatre soeurs dans le Périgord du XII siècle, en 1178, sur les terres de Bertran de Born, chevalier et troubadour de renom. Quatre soeurs prises dans la tourmente de la guerre entre les fils d'Aliénor et son époux, quatre soeurs fuyant le pouvoir implacable et l'acharnement de l'Église à les accuser de sorcellerie.

Mon avis

1178, Aliénor d’Aquitaine est bien en place mais la guerre n’est pas loin, le conflit es proche entre ses fils et son époux. C’est une dame qui entend vivre sa vie comme elle l’entend quitte à être infidèle, de plus elle aime festoyer… On est en plein Moyen-Âge (une période chère à l’auteur qui se documente et sait de quoi elle parle) et les femmes n’ont pas souvent le premier rôle. Souvent, on choisit pour elles et elles subissent. D’ailleurs c’est le cas à Hautefort, domaine où le seigneur est Bertran. Dans son château, il élève ses quatre nièces. Leur mère, Inberge, est cuisinière et leur père a fui dans un couvent, alors l’oncle a décidé de leur offrir une belle éducation afin de pallier au manquement des parents.

Les frangines ont des qualités, elles sont unies et n’aiment pas être soumises. Elles gardent une liberté de mouvement impressionnante pour l’époque. Leur mère, dans laquelle leur père n’a vu qu’une servante, a des connaissances. Elle fait le sabbat (assemblée nocturne entre « sorcières ») avec d’autres femmes. À la lueur des feux qu’elles allument, elles deviennent différentes, elles sont dans la lumière, peuvent se révéler sans craindre le regard des hommes. Elles échangent leurs visions, leurs savoirs, s’aident… Elles sont déjà en plein combat féministe ! L’avortement contre les grossesses non désirées, les potions pour améliorer leur quotidien et bien d’autres médications n’ont pas de secret pour elles.

Alors, forcément, les filles vont parfois en forêt, elles se sentent attirées par Elvire, une guérisseuse installée dans une cabane. Bertran sait qu’elle existe et qu’elle vit dans les bois. Il reconnaît qu’elle a des pouvoirs pour soigner mais il ne peut pas afficher son « soutien », même s’il lui arrive de faire appel à elle en cachette. Il a des projets pour ces jeunes femmes et entend les mener à bien, en les obligeant à s’éloigner de toute forme d’ésotérisme. Marier Anne, l’aînée, caser où il pourra la petite dernière qui est aveugle, trouver une solution pour Isabel et surtout « dompter » Justine, sa préférée au caractère flamboyant et imprévisible.

C’est ce qu’il souhaite, mais on ne maîtrise jamais tout, n’est-ce pas ? Un mariage et tout lui échappe, dénonciation, mensonges, certains n’attendent pas pour mettre le feu aux poudres. Que vont devenir les quatre sœurs ? Vont-elles rester soudées, se déchirer ? Leur destin est-il vraiment entre leurs mains ? Elvire sait, sent, qu’elles sont appelées à être proches d’elle …

Portée par une écriture fluide, agréable, précise, avec un choix de vocabulaire bien ciblé, ce récit nous emporte dans un roman historique captivant et très intéressant. On y découvre le rôle trouble des hommes d’Église, leur intransigeance, leur refus de dialogue et les souffrances terribles qu’ils ont infligées aux femmes. On peut comprendre que « les aptitudes » des « sorcières » faisaient peur, mais de là à les punir, à les brûler vives, à les torturer, non, c’est inconcevable.

Avec cette histoire, Sandrine Biyi rend un vibrant hommages à celles qui n’ont pas cédé, qui ont accepté de mourir dans des conditions atroces pour montrer la voie à toutes celles qui ne baisseront jamais les bras.


"Envole-moi" de Valérie Allam

 

Envole-moi
Auteur : Valérie Allam
Éditions : du Caïman (2 Juin 2022)
ISBN : 978-2493739018
282 pages

Quatrième de couverture

Valérie Allam signe avec « Envole-moi » un grand roman, très noir et très poétique. Une symbolique, les oiseaux. Corbeaux, corneilles, oiseaux noirs, qui traverseront l’ensemble du récit et dont la mission sacrée, depuis la nuit des temps, est d’accompagner les morts dans l’au-delà.

Mon avis

D’abord il y a celui qui écrit, il parle peu ou carrément plus, mais c’est lui qui nous fait rentrer dans le récit en disant « je ». Il aime les oiseaux, un en particulier. Il leur donne une place dans sa vie. Son quotidien est trouble, troublant, troublé …. Rien n’est net, rien n’est sûr, on le comprend très vite.

Alors trois choix, oui, on va dire trois, s’offrent à nous :
- laisser le livre sur une table, le prendre de temps en temps pour essayer de lire, jusqu’au jour où la magie, peut-être, opérera.
- commencer et abandonner en grommelant « elle veut en venir où avec cette histoire ? »
- lire d’un coup, comme ça, c’est fait…

Finalement, c’est le livre qui s’est imposé à moi avec la première solution. Est arrivé un moment où j’étais sans doute prête à entrer dans l’univers que Valérie Allam a choisi de nous offrir avec cet opus.

Peu de dialogues, les plus marquants sont ceux d’une femme et de sa psychologue. Les personnages se croisent sans doute mais pas forcément en se voyant, en se côtoyant. Ils peuvent s’observer, se surveiller, s’espionner, ou vivre l’un à côté de l’autre sans vraiment communiquer.

Il y a le silencieux qui vit avec sa mère, qui elle, est obsédée par les cimetières et la mort. Et puis, cette femme qui vient au garage, vendre sa voiture, une fois, deux fois, plus encore… Est-ce qu’elle perd pied, quel est son but ? Veut-elle rencontrer le garagiste ? D’ailleurs lui qui est-il vraiment ?

Lire ce roman, c’est accepter la fantaisie, avec un brin de folie ; l’irrationnel avec une touche de poésie ; l’imprévu, l’impromptu… Il faut oublier les codes, la linéarité, les intrigues avec un début, un milieu, une fin…. Non pas que le texte n’ait pas de sens, bien au contraire.

Car ce recueil parle des vies blessées, des vies secrètes, celles qu’on s’invente pour moins souffrir. Les vies qu’on rêve, ces désirs qu’on tait, car les exprimer, c’est trop dur, des fois que les autres ne comprennent pas, que les montrer les rendent volatiles …

Ce n’est pas gai, c’est plutôt noir, les oiseaux de malheur volent bas, autour de nous, on les sent très présents entre les pages.

L’écriture de Valérie Allam, empreinte de poésie, emporte le lecteur sur d’autres rives, elle le dit elle-même, elle n’avait pas forcément envisagé d’être publiée pour ce titre.

Comme le montre la photo de couverture (magnifique soit dit en pensant), c’est parfois flou, mais ce n’est pas gênant. Il ne faut pas chercher des réponses, il faut se laisser porter par les mots, les phrases, comme lorsqu’on écoute une musique ou une chanson dont on ne sait pas tout mais qui nous émeut.


"L'inflation de la gloire" de Gabriele Tergit (Käsebier erobert den Kurfürstendamm)

 

L’inflation de la gloire (Käsebier erobert den Kurfürstendamm)
Berlin 1931
Auteur : Gabriele Tergit
Traduit de l’allemand par Pierre Deshusses
Éditions : Globe (2 Mai 2024)
ISBN : 978-2267048766
460 pages

Quatrième de couverture

Berlin, années 1930. Faute de nouvelles intéressantes, un journaliste publie un article dans lequel il promeut un médiocre chanteur de cabaret au rang de star. Du jour au lendemain, l’artiste connaît une ascension fulgurante qui éveille une multitude d’intérêts. La presse, les investisseurs, la haute société : tout le monde veut sa part du gâteau – et beaucoup en paieront le prix, quand le succès passager laissera place à la débâcle.

Mon avis

Gabriele Tergit (1894-192) a été écrivaine et journaliste allemande. Elle a dû fuir son pays et s’est installée à Londres à partir de 1938. « L’inflation de la gloire » est paru-e en 1932 en Allemagne et seulement en 2017 en France. Il vient d’être réédité en format poche.

L’histoire se déroule à Berlin, dans les années 30. On découvre la vie d’un journal avec les différents rédacteurs, la recherche de « papiers », de titres phares, « d’accroches » pour les lecteurs … Faut-il laisser les articles en l’état, les modifier, couper, alléger ou au contraire développer un peu plus ? Toutes ces questions se posent dans une salle de rédaction, tous les jours avant que le quotidien soit imprimé. Les responsables ont même quelques lignes sur la gadoue si un jour ils sont à cours d’inspiration. Mais parfois, il n’y a pas « matière à » et il faut trouver des idées, des sujets. C’est comme ça que Gohlisch, un des employés écrit un texte sur un chanteur de cabaret : Georg Käsebier dont il dit qu’il n’est pas estimé à sa juste valeur. Son texte finit par sortir et est repéré par le chansonnier mais également par Otto Lambeck, jouissant d’une certaine notoriété, il le reprend en embellissant encore tout ce qui a été écrit sur Georg.

D’homme discret, méconnu et luttant pour avoir quelques revenus avec ses spectacles, Käsebier passe au rang de grande vedette avec tout ce que cela implique. Les propositions affluent, pour construire un théâtre rien que pour lui, publier des livres racontant sa vie, quant aux produits dérivés, c’est de la folie !! Chacun essaie de tirer la couverture à lui pour prouver qu’il est le véritable découvreur de la star…. Chacun veut profiter de la situation pour s’enrichir …. C’est sans doute la période qui est propice, les gens ont besoin de rêver … mais est-ce qu’on peut bâtir un succès en misant sur une personne qui n’est pas vraiment une valeur sûre (non pas qu’il chante faux mais ….ça n’a rien d’exceptionnel).

Au-delà de l’histoire de cet homme, l’auteur décrit un pays qui perd pied avec la république de Weimar. Les allemands se croyaient sortis des problèmes économiques mais il n’en est rien, les difficultés sont immenses, le fascisme est aux frontières et avance de plus en plus … Tout peut s’écrouler très vite tant la réussite peut être éphémère. La gloire est quelques fois destructrice …

Ce récit captivant décrit une société qui veut s’amuser, vivre mais qui sent que le pire est sur le point d’arriver. Cela pourrait ressembler à notre présent et on s’aperçoit que tout ce qu’on lit, est, malheureusement, d’actualité. De nombreux thèmes sont abordés : le poids des apparences, le rapport à l’argent, la rançon de la gloire, la gentrification, les méthodes d’information etc.

L’écriture de l’auteur (merci au traducteur) est encore très actuelle, je n’ai pas senti un côté vieillot. Il y a de nombreux dialogues, vifs et bien écrits, ils donnent du rythme, et permettent d’approcher différemment les ressentis des personnages.

J’ai beaucoup apprécié ce roman car il reste très réel et réaliste. De plus il peut provoquer des discussions passionnées et certainement passionnantes.


"En guise d'appât" de Lynda La Plante (Judas Horse)

 

En guise d’appât (Judas Horse)
Auteur : Lynda La Plante
Traduit de l’anglais par Sebastian Danchin
Éditions : L'Archipel (20 juin 2024)
ISBN : 978-2809846928
340 pages

Quatrième de couverture

Les cambriolages violents se multiplient dans les Cotswolds, au sud-ouest de l'Angleterre, comté vallonné célèbre pour ses demeures cossues. Lorsqu'un corps mutilé est retrouvé dans un manoir, il devient évident que les auteurs de ces home-jacking ne sont pas des malfrats ordinaires. Jack Warr n'est pas non plus un inspecteur ordinaire, mais un flic instinctif.

Mon avis

Lorsque j’ai lu « Enfouis », j’avais écrit que je retrouverai avec plaisir Jack Warr et sa femme Maggie. Je confirme que cette deuxième aventure avec ces deux personnages est tout aussi excellente que la première. Elle peut se lire de façon indépendante, même s’il est plus intéressant de voir l’évolution des uns et des autres.

Jack et Maggie viennent d’être parents d’une petite Hannah mais il a quelques difficultés à s’épanouir dans son rôle de jeune papa. Son épouse sent qu’il est sur le fil et lui fait comprendre qu’il irait mieux en retournant au boulot. Quand Ridley, le chef de Jack, lui demande s’il est partant pour une mission délicate, il est ravi, même s’il devra s’éloigner de Londres et du domicile familial pour quelques jours.

Il part dans les Cotswolds, au Sud-Ouest de l’Angleterre où de riches familles sont installées dans de belles maisons. Ils pourraient vivre tranquilles mais des cambriolages se produisent depuis plusieurs années sans calendrier repérable. Pourquoi et comment, sont les deux questions que se posent les enquêteurs. Comme les derniers vols ont eu lieu avec violence, il devient primordial d’arrêter les malfrats au plus vite afin qu’il n’y ait pas d’autres personnes maltraitées.

Jack n’est pas forcément le bienvenu dans l’équipe qui cherche des réponses depuis longtemps. Mais il le sent très vite et il a la bonne attitude pour mettre tout le monde (ou presque) de son côté afin de travailler en bonne intelligence. Parfait ? Pas vraiment, il a quelques fois tendance à agir en électron libre « oubliant » d’informer ses supérieurs (surtout s’il sait qu’ils ne seraient pas d’accord). On lui pardonne car cela met de l’action, de l’imprévu dans le récit et le rythme est trépidant. Bon, bien sûr, en agissant de la sorte, il se met en danger et on a peur pour lui car il est très attachant mais son côté inattendu a du charme.

« Jack adorait son boulot, mais à condition d’oublier les formulaires à remplit en triple exemplaire et les réunions interminables. »

Lynda La Plante a construit une intrigue qui se tient avec son lot de fausses pistes, de ramifications, de mensonges, d’émotions diverses, d’individus qu’on déteste ou pour qui on a de l’empathie. Elle montre le cheminement des policiers pour essayer de déchiffrer le raisonnement des malfaiteurs et leur couper l’herbe sous le pied. Mais elle ne délaisse pas les autres individus, elle analyse leurs ressentis, s’en sert pour expliquer leurs réactions, leur comportement… le côté humain de chacun a de l’importance et c’est pour moi un atout dans ses romans. Pas de super héros ni dans la police ni ailleurs. On s’aperçoit que la vie personnelle existe et qu’on ne peut pas la laisser de côté.

J’ai beaucoup apprécié ce récit. Le caractère de Jack, ses rapports aux autres et ce que j’apprends sur lui (il n’a pas eu un parcours ordinaire) me captivent. Et je sens qu’il y a encore à découvrir. J’aime l’idée qu’il s’offre parfois le droit de s’affranchir du droit chemin, pour faire le bien, un peu comme Robin des Bois.

L’écriture est plaisante, fluide (Sebastian Danchin est un excellent traducteur, merci à lui). Lynda La Plante m’a encore conquise et vivement le prochain livre !

"La surface de vérité" de Jean-Noël Blanc

 

La surface de vérité
Auteur : Jean-Noël Blanc
Éditions : du Caïman (23 Mai 2024)
ISBN : 978-2493739155
230 pages

Quatrième de couverture

Énergique, charmeur, macho, ambitieux, le président Lessalut ne se contente pas de diriger un club réputé de football : il rêve d'être maire. De quoi susciter des jalousies et des manœuvres politiques, sans oublier des combines de gros sous. Plus quelques scandales sexuels. Au milieu de ces micmacs une jeune fille discrète devient peu à peu le personnage central de ce roman qui n'est peut-être qu'un drôle de théâtre.

Mon avis

Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite et involontaire … quoique …..

Le dernier roman de Jean-Noël Blanc se situe dans le milieu du football, lui qui est passionné par ce sport et une certaine équipe ,va nous faire vibrer.

Le Ruy-Blas est une brasserie dont le sous-sol a été transformé en boîte de nuit. Et ce soir, c’est la fête ! Normal quand on sait qu’une petite équipe française de province a dégommé Manchester United sur le score de 3-0, s’invitant ainsi en demi-finale de Champions League. Don Lessalut, président du club, laisse le champagne, le whisky et la vodka couler à flots. Tout est permis ce soir ! L’ambiance est détendue, festive … Et puis, soudain, Cabazza, l’ami de toujours, celui qui arrange tout, même les finances, demande à parler à Don pour lui susurrer dans l’oreille que ses projets risquent d’être compromis ….

Il faut dire que Don, fort de son succès sportif, voit grand. Il a bien l’intention de briguer et d’obtenir le poste de maire. C’est un homme charismatique qui sait s’entourer des bonnes personnes, faire le buzz ou se cacher quand il le faut, enfin pas toujours … Il semblerait qu’un de ses écarts l’ait rattrapé …. Mais ce n’est pas le genre à avoir peur, au contraire, sa force de caractère l’aide à se sortir de toutes les situations délicates. Et il est sûr d’avoir l’appui d’Irène Bourgneuf, présidente du conseil régional. Par précaution,le président, ayant peur que la mairie lui échappe, envoie à Irène Bourgneuf (qui cherche une assistante), une stagiaire modèle, Ysa, en guise d’agent double. Est-ce que ce sera suffisant ?

Lessalut pense tout maîtriser, avoir toutes les cartes en main, mais il y a toujours un grain de sable, n’est-ce pas ? Une défaite non prévue, une rencontre qui ne passe pas inaperçue, une personne qu’on pense avoir dans sa poche et qui refuse d’être manipulée, un joueur qui ne respecte pas la ligne de conduite donnée ….

Ce récit est captivant, il nous montre l’envers du décor dans ces associations sportives où les jeux de pouvoir sont importants. Entraîneur, président, préparateur physique, etc…  chacun devrait se contenter de sa tâche et la faire au mieux mais ce n’est pas forcément le cas. Comme dans une pièce de théâtre les rôles sont définis jusqu’au moment où il faut agir autrement pour sauver la face….

L’écriture de l’auteur est vive, tranchante, réaliste, on a vraiment l’impression de suivre les déboires d’un club qu’on pourrait connaître. Les matchs s’enchaînent, plus ou moins réussis. Les encadrants essaient de faire au mieux mais les choses dérapent …. J’ai vraiment apprécié cette histoire, il n’y a pas de temps mort. Les rebondissements maintiennent le suspense et les situations décrites sont très justes. Je me suis attachée à Ysa Brul, je ne voulais pas qu’elle souffre, qu’elle soit manipulée, menacée…. L’égo surdimensionné de Don m’a donné envie de lui mettre des claques, preuve que j’étais à fond dans l’intrigue et que les personnages sonnent « vrais ».

Un livre qui se dévore, à lire de toute urgence qu’on aime ou pas le football !

"Mon Bataclan" de Fred Dewilde

 

Mon Bataclan : Vivre encore
Auteur : Fred Dewilde (Texte et dessins)
Éditions : Lemieux (22 octobre 2016)
ISBN : 978-2373440812
50 pages

Quatrième de couverture

Deux mains qui se tiennent du bout des doigts dans la pénombre. Baignant dans le sang des autres, Fred et celle qu'il prénomme Élisa. Nous sommes le 13 novembre 2015, dans la fosse du Bataclan. Ils étaient venus pour le concert des Eagles of Death Metal, mais l'ambiance bascule soudainement dans une tragédie historique. Deux heures durant, leur vie ne tient qu'à un fil. Fred s'emploie à réconforter sa jeune voisine blessée à la jambe. Le récit de l'après-attentat témoigne de façon bouleversante, mais toujours digne, de sa vie en mille morceaux qu'il lui faut reconstituer comme un puzzle. Durant des mois, Fred a l'impression étouffante d'être encore prisonnier du Bataclan. Graphiste professionnel, il reprend peu à peu le crayon et le fil de ses idées.

Mon avis

Fred Dewilde a passé deux heures dans la fosse du Bataclan, le 13 novembre 2015. Dimanche 5 mai 2024, « terrassé par la violence de ses traumas » il s’est donné la mort ….

Pendant neuf ans, il a lutté mais comme il l’écrit dans son roman graphique « une part de lui était resté dans la fosse ».

« Je cherche tous les jours la vie que ce 13 m’a prise. Je suis à nu, à moitié tué, égaré dans ma propre vie »…

Comment survivre lorsqu’on a subi le pire. « Je connais l’odeur, le goût de l’atrocité, de l’incompréhensible. »

Il ne supporte plus le bruit, la foule, les imprévus, il prend un casque pour pouvoir s’isoler. Il voudrait se rouler en boule sous sa couette, se cacher … Il perd le fil de ce qu’il sait faire….

Dans ce très beau roman graphique suivi de plusieurs pages où l’auteur se confie sans dessins, juste avec du texte, on voit la détresse de cet homme et on sait que ceux qui n’ont pas vécu l’horreur ne peuvent pas la comprendre.

Les dessins sont en noir et blanc, parlants sans toutefois nous plonger dans le voyeurisme inutile. Ils ne sont pas toujours délimités comme si tout se bousculait sous les crayons de l’auteur, en vrac car il faut expulser la terreur.  Fred explique comment il s’est retrouvé allongé près d’une jeune femme aux deux chevilles brisées, comment ils se sont soutenus par le regard, immobiles, faisant les morts pour être épargnés….

Et puis l’assaut avec le terrible « Les mains en l’air » alors que vous n’avez rien fait mais c’est le seul moyen de calmer tout le monde.

Ce sera ensuite « la vie d’après », plus jamais la même. Les séances chez les psys, le lien fort avec les autres victimes, le besoin de vivre tout en se posant sans cesse des questions, et quand ça va à peine mieux, Bruxelles, Nice etc comme autant de piqures de rappel pour ne pas oublier…Oui le terrorisme est toujours là, non il n’y a pas de répit ou si peu….

J’ai été bouleversée par ce livre. Je pense à Fred, à sa famille qui a souffert de le voir perdre pied, essayer de s’en sortir puis retomber …  


"Quand le fleuve gronde" de Borden Deal (Dunbar'S Cove)

 

Quand le fleuve gronde (Dunbar’s Cove)
Auteur : Borden Deal
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Charles B. Mertens
Éditions : Belfond (6 juin 2024)
ISBN : 978-2714497550
720 pages

Quatrième de couverture

Véritable classique de la littérature américaine, dans la lignée des œuvres de John Steinbeck et James A. Michener, publié en France en 1960 et jamais réédité depuis, ce roman puissant et engagé, largement inspiré de faits réels, raconte le désarroi des petits fermiers de la vallée du Tennessee face à la menace des grands travaux du New Deal.

Mon avis

Écrit et publié en 1957 aux Etats-Unis, puis en France en 1960, « Quand le fleuve gronde » a longtemps été introuvable. Les éditions Belfond viennent de le rééditer. Saga familiale et roman social, ce récit est magnifique et vaut largement le détour ! Il a été adapté au cinéma sous le titre « Le fleuve sauvage ».

Matthew Dunbar est à la tête du domaine des Dunbar, transmis de père en fils depuis que David, le premier Dunbar (blanc et indien à la fois) s’est installé sur cette terre qu’il a fait fructifier. Ne pas perdre un lopin, faire vivre toute la famille et rester soudés, c’est ce qui pourrait être la devise du patriarche qui règne avec une poigne de fer sur tout son monde : ses trois fils et ses deux filles, sa femme étant décédée. Il y a aussi le grand-père qui reste dans son fauteuil, un peu perdu mais toujours présent. Matthew sait qu’un jour, à son tour, il devra transmettre la propriété. À l’aîné ? Ou à un autre ? Il a encore le temps …

Une visite va bouleverser l’équilibre qui, finalement, s’avère fragile. Un homme, Crawford Gates, arrive mandaté par la TVA (Tennessee Valley Authority), une compagnie créée pour la construction et l’exploitation des barrages sur le fleuve du même nom. Autrement dit, après avoir mesuré les terrains, évalué les bâtiments, les Dunbar seront indemnisés et relogés ailleurs car le barrage inondera leur exploitation.

Pour Matthew, pas besoin de se poser de question, c’est non. Ses racines, celles de ses ancêtres et  de ses descendants sont là, pas ailleurs, il ne cédera pas.  Il a une mission.

« Le Domaine des Dunbar est entre mes mains pour une seule génération et je devrais ensuite choisir qui prendra ma place. »

Il s’entête, quitte à faire fuir ceux qu’il aime. La maison se vide, se refroidit mais il s ‘obstine, il ne lâchera pas, jamais. Crawford lui a un devoir, obtenir l’accord de cet homme, lui faire signer les papiers. Chacun a des convictions, pense que ce qu’il fait est bien. Ils ne peuvent pas se comprendre…. Pourtant les discussions entre ces deux passionnés sont, le plus souvent, empreintes de respect. Les arguments font mouche ou pas, selon le moment, si l’esprit est totalement fermé, c’est dur ….

« Il en viendra d’autres auxquels vous ne pourrez pas tenir tête. Vous ne pouvez empêcher le progrès et le changement. Vous devez aller de l’avant avec eux. »

Crawford n’a pas eu un parcours de vie très facile, c’est sans doute ce qui fait que sa sensibilité est exacerbée. Il ne veut pas prendre Matthew de front, il essaie de trouver des solutions, de lui parler, de lui expliquer ce que le barrage lui apportera de confortable mais le chemin est long.

Sept cents pages ? On n’y croit pas tellement ce récit est fluide, agréable, addictif (merci au traducteur). Les personnages sont humains, attachants. J’ai aimé leur personnalité faite de forces et de faiblesses. L’auteur a su doser une forme de suspense avec des événements imprévus qui relancent l’histoire. Je n’ai pas ressenti de longueurs, mon intérêt était intact tout au long des chapitres. On ne reste pas uniquement sur cette famille et le thème de la transmission. On découvre également tout le côté « social » avec le contexte du travail pour la société TVA. Crawford croit en ce qu’il fait, les ouvriers affectés au chantier aussi. Ce projet donne du boulot aux jeunes habitants, les employés arrivés de l’extérieur pourront aimer les filles du coin…

Si certains ne manqueront pas de trouver un petit côté « suranné » à cet opus, en ce qui me concerne, j’ai été captivée et j’ai même fini en larmes. C’est dire si les émotions étaient au rendez-vous avec cette lecture forte et porteuse de sens.