"La maison des regards" de Daniele Mencarelli (La casa degli sguardi)

 

La maison des regards (La casa degli sguardi)
Auteur : Daniele Mencarelli
Traduit de l’italien par Nathalie Bauer
Éditions : Globe (4 Avril 2024)
ISBN : 978-2383612803
320 pages

Quatrième de couverture

À vingt-cinq ans, Daniele, un poète, se noie dans l’alcool pour oublier la crise existentielle qu’il traverse. Alors que sa mère, déchirée de voir son fils se faire du mal, lui propose de mettre fin à leurs jours ensemble, Daniele se résout à prendre un emploi d’agent d’entretien dans le plus grand hôpital pédiatrique européen, l’Enfant-Jésus à Rome. Très vite, le jeune homme à la sensibilité exacerbée pense abandonner, tant l’injustice et la douleur qui s’imposent à ces enfants malades dépassent l’entendement et les mots. Mais le quotidien, la camaraderie et la solidarité qui se créent avec les collègues et les patients lui montreront l’authentique visage de la vie, levant le voile épais des ténèbres qui l’empêchait de vivre.

Mon avis

L’écriture exerce une forme de possession impitoyable.

Daniele est poète, depuis deux ans, il connaît un certain succès et commence à être « reconnu ». Et puis, d’un coup, le vide, plus rien, un trou noir et une vie qui lui échappe… Est-ce que ses écrits ont un sens ? A-t-il un but ? À quoi servent les poèmes ? Les questions, lancinantes, le hantent. Il est en pleine crise existentielles et il n’écrit plus….

« Or la poésie témoigne de la souffrance, elle ne la soigne pas. Les mots m’accompagnent depuis toujours, ils sont cristal et racine, voyage et lame, ils sont tout, sauf un remède. La poésie ne soigne pas, elle ouvre, découd, dénude. Mais la force de faire de la poésie, je ne l’ai plus. »

Son quotidien est fait d’alcool, de nuits agitées, de journées passées à dormir ou récupérer, voire à chercher sa voiture, le plus souvent accidentée. Il se détruit mais ne peut plus s’arrêter tant il est accro à l’alcool. Il blesse ceux qui l’aiment et qui le voient plonger, s’enfoncer…. Ses quelques amis ne le suivent plus. Hébergé chez ses parents, ceux-ci se désespèrent de la situation. Ils n’en peuvent plus et sa mère lui propose un suicide à deux car il souffre et elle aussi. « Comme ça, on arrêtera de souffrir. »

Est-ce le déclic ? Peut-être ou pas. Toujours est-il qu’il accepte, sans enthousiasme, un travail d’agent d’entretien dans un très grand hôpital pédiatrique de Rome. Chaque matin, se lever, pointer, tenir un horaire, assumer les différentes tâches qui lui sont confiées, finir sa journée, tenter de ne pas boire pour revenir le lendemain …. Est-ce possible pour lui ou est-ce insurmontable ?  Il découvre l’esprit d’équipe, les collègues, ceux avec qui on peut établir un contact, ceux qui sont plus méfiants, les chefs qui ne laissent rien passer, ceux sur qui on peut compter…. Et au-delà de tout, il prend en pleine figure, le regard, les regards des jeunes malades, vides ou encore vifs, quelques fois espiègles. Il côtoie la mort, il réalise que tout est fragile… Mais son âme de poète hyper sensible ne supporte pas la détresse de ces enfants, leurs souffrances... alors il replonge, parfois se relève plus ou moins droit, plus ou moins solide…

Il est confronté à ses démons intérieurs et à ce qu’il vit dans ce milieu hospitalier où les valeurs, les rapports humains, les échanges ne sont plus les mêmes. Est-ce qu’il a peur ? De ce qu’il ressent ? De ce qu’il voit ? On ne sait pas forcément comment se comporter face à la maladie sévère, qui ne laisse que peu ou aucun espoir…

Alors, il apprend. Ses coéquipiers lui enseignent la légèreté, la capacité à sourire face aux embuscades de la vie.

Il s’accroche, essaie de repousser ses addictions. Cabossé, abîmé, parfois prêt à fuir, il montre combien certaines rencontres ont pu influencer le cours de son destin et l’aider à avancer dans le bon sens, sans rien exiger en retour.

« Ce qui me terrifie vraiment, c’est ce temps de passage entre la personne que j’ai été ces dernières années et celle que je serai, c’est la construction du nouveau moi. »

C’est avec une écriture (merci à la traductrice) d’une surprenante lucidité, que Daniele Mencarelli nous parle de sa descente aux enfers, de ses problèmes, de ses hauts, de ses bas. Son chemin a été long, difficile. Il a dû se battre contre lui-même et rien n’étant jamais acquis, il devra faire preuve de vigilance.  J’ai particulièrement aimé son rendez-vous avec le directeur et ce qui en découle, c’est beau ! J’ai également aimé la place de la poésie dans son parcours.


"Les fils de Shifty" de Chris Offutt (Shifty’s Boys)

 

Les fils de Shifty (Shifty’s Boys)
Auteur : Chris Offutt
Traduit de l’américain par Anatole Pons-Reumaux
Éditions : Gallmeister (4 Janvier 2024)
ISBN : 978-2-35178-311-5
290 pages

Quatrième de couverture

Mick Hardin se remet d’une blessure de guerre chez sa sœur Linda, shérif de Rocksalt dans le Kentucky, lorsque le cadavre d’un dealer local est découvert. Il s’agit de l’un des fils de Shifty Kissick, une veuve que Mick connaît depuis longtemps. La police refusant d’enquêter, Shifty demande à Mick de découvrir le coupable. Se débattant entre un divorce difficile et son addiction aux antidouleurs, ce dernier commence à fouiner dans les collines, avec la ferme consigne de ne pas gêner la réélection de sa sœur.

Mon avis

Ce roman met en scène Mick Hardin et sa sœur Linda, déjà apparus dans un précédent titre. Mais ce n’est pas une suite et il peut se lire indépendamment.

Mick est un enquêteur militaire. Il a été blessé et passe sa convalescence chez sa frangine, Linda, shérif de Rocksalt, un petit comté du Kentucky. Et oui, c’est une femme et si elle a atterri à ce poste un peu par hasard, maintenant, elle œuvre à sa réélection. Mick passe ses journées à essayer de ne plus prendre des drogues aidant à calmer la douleur et à  faire des activités sportives pour remuscler sa jambe blessée.

Un des fils de Shifty Kissick, une dame veuve qu’ils connaissent, est retrouvé mort dans une ruelle. Probable règlement de comptes entre dealers, affaire classée. La mère n’est pas d’accord, elle demande à Mick d’enquêter discrètement pour voir si cet assassinat ne cache pas quelque chose. Il lui reste une semaine de repos, c’est l’occasion d’agir, de se remettre en selle physiquement et moralement. Il accepte mais prévient qu’il ne veut pas gêner le shérif pour éviter les conflits dans sa famille.

Il observe, questionne, récupère quelques éléments démontrant que le corps a été déplacé et mis en scène. Qui a eu intérêt à agir ainsi et pourquoi ? Il essaie de comprendre, car finalement il a été happé par ce mystère.

Les dialogues sont savoureux, parfois teintés d’humour, voire même d’autodérision. L’approche psychologique et les relations entre les protagonistes sont détaillées, précises, captivantes, le tout accompagné d’une réelle réflexion sur les notions de bien, de mal, de justice.

« Il se demanda combien de gens essayaient de se convaincre que le meurtre était acceptable au nom du Bien Supérieur. Il n’était pas dupe. Le Bien Supérieur n’existait pas, sinon en tant qu’excuse. »

C’est le boulot de Mick de tuer parfois, dans le cadre de son activité professionnelle. Il est même plutôt doué pour ça. Mais ce n’est pas une raison pour utiliser ses capacités par vengeance, n’est-ce pas ? Il est tiraillé, il ne doit pas laisser ses émotions prendre le dessus….

J’ai énormément apprécié ce récit. La plume de l’auteur est intéressante car il décrit à la perfection ce coin des Etats-Unis où les habitants préfèrent se taire, se cacher plutôt que d’affronter ceux qui les dérangent. Alors la première mission de Mick c’est un peu de donner un coup de pied dans la fourmilière, de secouer les personnes et de leur faire cracher quelques informations utiles. Après, à lui de rassembler tout ça, de relier les morceaux et de trouver les pièces manquantes.

J’ai aimé la façon dont il s’y prend, assez posé, réfléchi, ciblant au mieux les actions à mettre en place pour avoir des réponses. Pas à pas, il avance et on le suit pour notre plus grand plaisir.

"Les Disparus d'Hokuloa" d'Elizabeth Hand (Hokuloa Road)

 

Les Disparus d'Hokuloa (Hokuloa Road)
Auteur : Elizabeth Hand
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Elisabeth Richard-Berthail
Éditions : Seuil (12 Avril 2024)
ISBN : 9782021518771
544 pages

Quatrième de couverture

Grady Kendall a quitté son Maine natal pour se rendre à Hawaï où il a accepté un poste de gardien. Trouver en emploi en pleine épidémie de covid, une aubaine ! Son job : veiller sur la villa cossue d’un milliardaire pendant que ce dernier s’exile sur la péninsule indigène d’Hokuloa pour ses projets immobiliers. Dès son arrivée, dans une île vidée de ses touristes, Grady est préoccupé : non loin de son lieu de travail se trouve un bunker où les noms de personnes disparues sans laisser de traces sont tagués.

Mon avis

Grady Kendall n’a pas de petite amie, pas de travail, pas vraiment d’occupations, le COVID commence à s’installer et la pandémie fait peur. À part quelques petits boulots de temps en temps, ses journées sont plutôt mornes. Alors lorsque son frère lui envoie la capture d’écran d’une annonce assez originale, il se demande bien ce qu’il va faire.

Ce qui est proposé, c’est un poste de gardien à Hawaï. L’horizon étant plutôt bouché avec le virus qui traîne, il répond par mail, en arrangeant un peu son curriculum vitae. On ne sait jamais, peut-être que ça débouchera sur une belle expérience ?

Quelques échanges rapides et c’est fait. Il se retrouve dans l’avion. Son job ? Surveiller la villa d’un milliardaire passionné d’oiseaux, de poissons, et qui a décidé de mettre plein d’actions en place pour les protéger. Cet homme, Wesley Minton, s’isole régulièrement loin de sa demeure. Il est alors sur la péninsule d’Hokuloa où il gère différents projets avec la consigne de ne jamais le déranger.

C’est Dalita, parfois gardienne « en dépannage », qui récupère Grady à l’aéroport et l’accompagne jusqu’à l’habitation du propriétaire. Pendant le trajet, elle lui montre les lieux et lui parle des difficultés de l’île. Hawaï ce n’est pas que les plages, le surf et le soleil. C’est également des sans-abris, du chômage, des familles qui galèrent. Cela interpelle le jeune homme, comme le bunker avec le nom des personnes « disparues »… Qui sont-elles ? Que leur est-il arrivé ?

Grady commence les différentes tâches auxquelles il doit se consacrer. Ce n’est pas trop compliqué et le temps passe. Quelques incidents le questionnent. Il décide d’en avoir le cœur net et observe avec acuité mais il doit être discret, prudent et rester à sa place. Au fil des pages, il gagne en maturité, son séjour l’oblige à aller plus loin que sa petite vie tranquille. C’est édifiant et sa personnalité s’étoffe.

Ce livre est très bien écrit (merci à la traductrice). L’intrigue va crescendo, c’est intéressant car plusieurs thèmes sont abordés. La préservation de la nature, l’impact du tourisme, la vie des îliens. L’atmosphère sur place est bien décrite, les relations entre les protagonistes aussi. On sent les tensions dues au COVID qui fait peur, qui modifie les rapports humains, qui empêche certains d’être naturels. C’est évidemment très réaliste.

J’ai apprécié que l’auteur prenne le temps de poser ses personnages, de présenter les lieux, le contexte pour qu’on pénètre dans son univers. La légère dose de surnaturel ne m’a pas dérangée, au contraire, elle est tellement bien intégrée au récit que c’est absolument parfait. De plus, elle ne prend pas trop de place, c’est dosé juste comme il faut. Les références sur l’environnement sont ciblées et en fin d’ouvrage, Elizabeth Hand précise ce qui est réel ou imaginaire.

J’ai ressenti beaucoup de plaisir avec cette lecture. Le suspense et les rebondissements maintiennent notre attention, nous permettent de rester au cœur de l’histoire car on s’interroge sans cesse en se demandant ce qu’il va se passer.

Je ne connaissais pas cet auteur et je suis enchantée de ma découverte !


"Ce qu’elle a fait" de Gregg Olsen (The last Thing she ever did)

 

Ce qu’elle a fait (The last Thing she ever did)
Auteur : Gregg Olsen
Traduit de l’américain par Florian Dennisson
Éditions : L'Oiseau Noir (13 mars 2024)
ISBN : 978-2494715172
372 pages

Quatrième de couverture

Liz vient de renverser un petit garçon. Le petit garçon de sa voisine. Qui est aussi sa meilleure amie. Vous pensiez que Liz avait déjà commis l'irréparable ? Il y a pourtant pire...Dans cette petite communauté paisible et gentrifiée de l'Oregon où tout n'est qu'image et faux-semblants, la disparition du jeune Charlie va créer un séisme.

Mon avis

Une petite rivière et de chaque côté des maisons, c’est un lieu calme où les « riches » commencent à s’installer. Ils achètent une habitation assez ancienne, pas très grande. Ils rasent et construisent, plus haut, plus large, plus cossu….  C’est le cas de Carole et David, les parents de Charlie, trois ans. Dans la demeure voisine, qui elle est restée « intacte », c’est Liz et Owen. Les deux femmes ont quelques années de différence mais elles sont devenues amies.

Liz veut passer le barreau pour devenir avocat. Carole, a eu un poste important chez Google. Maintenant, elle est mère et son emploi préféré c’est de s’occuper de son petit garçon.

Le matin de l’examen arrive pour la première. Elle est en retard, stressée, shootée aux médicaments qu’elle a pris pour tenir. En sortant la voiture du garage, c’est le drame. Elle heurte Charlie et sur un coup de folie qu’elle ne s’explique pas, elle cache le corps du petit garçon.

C’est vers elle que Carole vient chercher du soutien et elle se doit d’être là pour elle malgré la culpabilité qui la ronge. Liz est tiraillée, elle est coupable et elle est perdue. Elle essaie de communiquer avec son mari pour partager son ressenti. Lui, il ne pense qu’au « qu’en dira-t-on » et à leur réputation. Les discussions sont conflictuelles.

Chez les voisins, ce n’est pas mieux. David passe plus de temps dans son restaurant et avec ses investisseurs qu’auprès de son épouse. Que cherche-t-il à fuir ?

La disparition du bambin fait ressortir les vraies personnalités, met au jour les non-dits, les secrets, écorche les images bien lisses de couples presque parfaits. On plonge au côté de Liz et des remords qui la rongent, on accompagne Carole dans ses souffrances de Maman, en manque de son petit, qui perd espoir. On observe l’évolution de chacun. En fonction des personnes, ce ne sont pas les mêmes choses qui sont importantes.

C’est avec une écriture fluide (bravo et merci au traducteur) que l’auteur nous entraîne dans ce thriller domestique ou un duo d’enquêteurs mènent les investigations pour comprendre. Les chapitres sont courts, il y a du rythme, des rebondissements, on est surpris jusqu’à la fin, excellente !

 


"L’autre rive de la mer" d'António Lobo Antunes (A Outra Margem do Mar)

 

L’autre rive de la mer (A Outra Margem do Mar)
Auteur : António Lobo Antunes
Traduit du portugais par Dominique Nédellec
Éditions : Christian Bourgois (11 Avril 2024)
ISBN : 978-2267049633
450 pages

Quatrième de couverture

Dans la Baixa do Cassanje, une région du nord de l’Angola, une révolte éclate en 1961 parmi les travailleurs noirs, excédés par les conditions iniques que leur impose la Cotonang, compagnie luso-belge exploitant la main-d’œuvre locale pour la production de coton. Cette insurrection, qui constitue l’une des premières étapes de la lutte pour l’indépendance de l’Angola, est violemment réprimée lorsque le pouvoir colonial portugais envoie son armée et son aviation pour y mettre fin.
Trois personnages prennent tour à tour la parole, rattrapés par leurs souvenirs et leurs obsessions : la fille d’un planteur, un ancien chef de district, un colonel de l’armée portugaise à la retraite.

Mon avis

L’Angola, colonisé par le Portugal en 1575, a été gouverné alternativement en tant que colonie, province ultramarine et État de l'Empire colonial portugais. Et puis en 1961, éclate une guerre d’indépendance (qui sera obtenue en 1975).

Ce livre fait référence à une insurrection des travailleurs noirs, qui n’en pouvaient plus de leurs conditions de travail pour la production de coton. Au lieu d’être de se désespérer en continu, ils ont décidé d’agir et de se révolter. Le gouvernement portugais n’hésitera pas et enverra son armée pour réprimer tout cela.

Dans ce roman, trois narrateurs s’expriment tour à tout.
La fille d’un planteur. Elle n’est plus sur place. Elle vit ailleurs, peu importe où. Elle se rappelle son quotidien avec sa famille sur la propriété familiale.
Un fonctionnaire qui a fui la région suite aux événements, il a épousé une femme albinos.
Un colonel portugais, aujourd’hui à la retraite. Il a participé aux opérations militaires dont le but était d’éteindre la mutinerie.

On suit leurs pensées intérieures, leurs idées fixes, leurs souvenirs et les émotions qui y sont liées. Tout remonte à la surface, brusquement ou plus doucement, suivant le rythme de chacun. La mer et ses autres rives sont omni présentes proposant différents points de vue selon le bord sur lequel on se trouve…. C’est surprenant, déroutant dans un premier temps puis on laisse le style s’installer et on « écoute » le flot monter… On n’a pas forcément de repères spatio-temporels, c’est l’instinct de l’écrit qui domine. Passé et présent peuvent se bousculer avec intervention d’un dialogue, le plus souvent à sens unique, comme si les réponses étaient dans la suite du texte.

Le titre et la couverture l’évoquent déjà. L’écriture, ce sont des vagues. Elle est parfois calme, puis tumultueuse, ou corrosive. Elle bouge, part, revient, écorche, caresse, sans début, sans fin, seulement quelques pauses, ou des soupirs, des respirations saccadées ou silencieuses et douces. Une vague par chapitre (d’une vingtaine de pages), une phrase longue ponctuée par des sauts à la ligne et des paroles précédées de tirets représentant des mots jetés, prononcés par un tiers le plus souvent, semblables à des cailloux dans l’eau qui alors gicle plus fort et surprend le lecteur. On est éclaboussé, secoué. On pénètre dans un univers où différents thèmes sont évoqués. Le racisme avec toutes ses dérives, du mot échappé intentionnellement, l’air de rien à la violence plus importante et le plus souvent irraisonnée. Le traumatisme de vivre ou de faire vivre, sans vraiment l’avoir choisi, une situation de tension, de soulèvement. Les relations familiales difficiles lorsque chacun souffre, cherche sa place, essaie d’avancer et fait preuve de maladresse.

Entre prose et poésie, ce recueil peut sembler inclassable, mais il est sans doute à ranger dans ces lectures marquantes, riches de sens où la langue est exploitée dans toute sa beauté, offrant des messages qui font mouche, emportant le lecteur vers des rives insoupçonnées, là où la mer n’est, chaque fois, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ….

"Quand volent les girafes" de Martine Sonnefraud-Dobral

 

Quand volent les girafes
Auteur : Martine Sonnefraud-Dobral
Éditions : Le Lys Bleu (1er Mars 2024)
ISBN : 979-1042223878
276 pages

Quatrième de couverture

Prenez une poignée de personnes qui n’auraient jamais dû se rencontrer, toutes à la retraite ou presque… Un ex-inspecteur du FBI nostalgique, un ouvrier en mécanique pris par le temps, une ancienne star du muet excentrique, un catcheur professionnel superstitieux, un professeur de littérature kleptomane et un descendant des Indiens Choctaw multitâche. Joignez un soupçon de faussaire repenti mâtiné de joueur de poker professionnel, ajoutez à l’ensemble une goutte d’ado déterminée, et beaucoup, beaucoup de chance…

Mon avis

Ce roman présente une saga familiale sur trois générations, toutes reliées par le tableau « Les tricheurs » et l’amour des jeux de cartes.

On commence en Turquie vers 1915. C’est l’époque du génocide des Arméniens et ils doivent fuir. On découvre un couple qui s’échappe jusqu’en Syrie. Ensuite, leur fils part en 1921 pour les USA. C’est là que se déroule l’essentiel du récit.

J’ai aimé ces premières pages avec un contexte historique riche et intéressant. On est tout de suite dans l’histoire et on s’attache aux personnages. Ils ont de la consistance et on a déjà envie de connaître leur avenir. Ce début est important car il montre des individus avec du caractère, ayant le souhait de s’en sortir.

Viennent ensuite les premières années américaines avec un jeune homme désireux de réussir mais fragilisé par son addiction au poker. On le voit lutter, sombrer, essayer de se relever…. De chapitre en chapitre, on suit cet homme ses difficultés, ses joies, ses erreurs jusqu’à la rayonnante Charlène, sa petite fille qui va découvrir le passé et nous entraîner à sa suite dans une aventure surprenante ...

Le grand-père est un sacré bonhomme mais Charlie n’a rien à lui envier. Ils ont du caractère, du charisme, de la volonté et autant l’un que l’autre, ils ont beaucoup d’amour à donner et sans aucun doute, à recevoir.

On passe par de nombreuses émotions et tout s’enchaîne sans problème. Les scènes et les lieux sont décrits de manière visuelle et c’est comme si on y était !

L’écriture fluide, prenante de l’auteur nous permet de plonger rapidement dans le quotidien des protagonistes, dans leur vie. Le suspense est parfaitement dosé pour maintenir notre intérêt. L’introduction du tableau « Les tricheurs » de Le Caravage dans le texte sert de fil conducteur et la façon dont c’est fait est subtile.

Avec ce recueil, Martine Sonnefraud-Dobral n’est pas restée dans son registre habituel. Elle a changé de genre mais la réussite est complète !

J’ai eu beaucoup de plaisir tout au long de ma lecture, il n’y a aucun temps mort et le rythme s’accélère sur la fin pour notre plus grand bonheur.


"Dentelle et salopette" d'Agnès Ollard

 

Dentelle et salopette
Auteur : Agnès Ollard
Éditions : 5 sens (20 avril 2022)
ISBN : 978-2889493562
370 pages

Quatrième de couverture

Au moment de refermer les volets de la vieille bâtisse, la narratrice se souvient… Elle a 5 ans. Années 6O. Au manoir, le dimanche, elle s’appelle Lucienne, fille d’Émile Marsignac, riche industriel de l’Angoumois, un homme austère et distant qui la terrorise et jamais aucun mot n’est prononcé sur les absences prolongées de sa mère. En semaine, chez Mamé sa nourrice, on l’appelle Lulu et elle grandit libre au sein d’une famille bigarrée et exubérante.

Mon avis

Parfois on se demande pourquoi un roman passe inaperçu. Bien sûr, il y a tellement à lire ! Mais celui-ci vaut le détour tant par le fond que par la forme.

1994, deux sœurs se retrouvent face à une terrible décision. Leur père n’a plus toute sa raison et il faut dénicher une maison de retraite car il n’est plus possible pour lui de rester seul. Irène, l’aînée est prête à faire les démarches, à placer le paternel, « on n’a pas le choix, il le faut »… Pour Lucienne, la plus jeune, ce n’est pas la même chose. Cet homme distant, son Papa, elle l’a peu vu. Elle était placée chez Mamé quand elle était petite. Une mère absente, souvent malade et un père défaillant, débordé par son travail de « patron ». Alors Lucienne est devenue Lulu chez sa nourrice. Elle a côtoyé les petits de l’assistance qu’elle gardait, elle bondissait, chantait, riait, heureuse. C’est elle qui raconte, car le passé remonte au moment de fermer les volets de l’habitation familiale.

L’histoire alterne 1994 et les années 60 où on suit l’enfance de Lucienne (née en 1954) partagée entre deux maisons, deux mondes, deux vies totalement opposée…. Au manoir, c’est la rigueur, chez la nounou, la fantaisie. On découvre en plus des lettres du Papa. Il a écrit à ses filles avant de perdre la tête complètement, à sa femme pendant les années où elle n’a que très peu été présente. Ces missives permettent au lecteur et à ses filles de découvrir un homme qui n’a rien à voir avec celui qu’on pense connaître.

Les secrets de famille, ce qui s’est passé pendant la guerre, les non-dits, les qu’en dira-t-on, ce qu’on dit, ce qu’on tait, ce qu’on voudrait dire et qu’on ne répète qu’à quelques-uns…. Agnès Ollard explore les relations familiales avec délicatesse, finesse. Son ton est très juste, teinté d’humour et de dérision mais toujours très bien dosé.

Son texte est non seulement équilibré entre les différents aspects (passé, présent, courriers) mais surtout intéressant par les thèmes abordés. Même teintées d’humour, les réflexions sont complètes, riches, porteuses de sens. Les personnages ont du caractère, de la profondeur, leur comportement est analysé par rapport à ce qu’ils vivent, ce qu’ils subissent. Ils sont « vivants » comme s’ils existaient réellement.

Ce récit est magnifiquement écrit. Le vocabulaire est ciblé et de qualité (avec quelques mots charentais que j’ai entendu dans la bouche de ma grand-mère). L’orthographe également et c’est à souligner car ce n’est pas toujours le cas. J’ai lu que l’auteur avait travaillé en psychiatrie. Je pense que cela joue sur son approche de ses personnages. Elle les « cerne » tout de suite dans leurs ressentis, leurs émotions et c’est pour cela qu’elle les rend « palpables ».

 Je suis rentrée à petits pas dans cette famille, j’ai aimé faire connaissance avec tous ceux qui la composent, avec leurs voisins et leurs amis, et je les ai quittés à regret. Empli de douceur, de pudeur, ce recueil est une magnifique découverte et je suis contente de l’avoir lu.


"Noir comme l'orage" de Sonja Delzongle

 

Noir comme l’orage
Auteur : Sonja Delzongle
Éditions : Fleuve (11 Janvier 2024)
ISBN : 978-2265157446
560 pages

Quatrième de couverture

Quatre scènes de crime. Sept victimes. Une seule arme : la foudre. Après une nuit d'orage, alors que la saison touristique commence à peine, des corps sont découverts sur l'île d'Oléron et ses alentours, attachés à des pieux métalliques plantés dans le sable face à l'océan, foudroyés. Sept dépouilles au total. Et des modes opératoires très proches. Le capitaine Max Fontaine, en poste à la PJ de La Rochelle, va aussitôt être chargé de l'affaire. Sa priorité : trouver le lien qui unit les victimes pour espérer remonter jusqu'à leur assassin.

Mon avis

J’ai choisi ce roman car il se déroule sur les îles de Ré et Oléron, lieux que je connais bien, ce qui me permettait de visualiser les scènes.

Il est foisonnant, parfois un peu trop. Non pas qu’il soit compliqué à comprendre ou à suivre, ni qu’il y ait trop de descriptions. Je sais que Sonja Delzongle aime les récits travaillés, avec de nombreuses ramifications et c’est parfait pour nos neurones.

J’ai simplement eu le sentiment en lisant que parfois c’était un peu « trop ». Un peu trop pour Max, entre ses problèmes personnels et les morts qui s’accumulent. Un peu trop d’informations sur la  kéraunopathologie, la figure de Lichtenberg, etc comme s’il fallait à tout prix glisser toute la documentation étudiée en lien avec la foudre et les orages.

Il m’arrive de me plaindre d’histoire trop légères avec des personnages sans saveur et des situations téléphonées. Là, c’est l’inverse, presque dans l’excès. Disons que ce trop peut empêcher de rester dans l’intrigue et casser le rythme.

Pour autant, je ne me suis pas ennuyée parce que mon intérêt était intact. Je voulais comprendre, savoir, qui avait organisé des assassinats aussi alambiqués et pourquoi. Il m’était nécessaire d’accompagner Max et ses collègues et de voir comment ils allaient mener leurs investigations.

L’écritures est assez clinique, un peu détachée mais c’est le style de Sonja. Il y a de l’action, des rebondissements, on imagine difficilement ce qu’il va se passer. Il faut se méfier de tout le monde !

J’ai beaucoup aimé l’idée de départ (la foudre comme arme fatale) et pour que tout cela tienne à peu près debout, on sent vraiment qu’il a fallu fournir un gros travail de recherches. Et rien que pour ça, je mets un « bon point ».

C’est donc une lecture appréciée mais pas totalement enthousiasmante.

"Les enquêtes de l’aliéniste - Tome 1 : La chambre mortuaire" de Jean-Luc Bizien

 

Les enquêtes de l’aliéniste - Tome 1 : La chambre mortuaire
Auteur : Jean-Luc Bizien
Éditions : L’Archipel (11 Avril 2024)
ISBN : 978-2809849530
400 pages

Quatrième de couverture

Paris, juillet 1888. Un cadavre disparaît de la morgue, un autre corps est retrouvé, nu, sur les pavés après une chute vertigineuse. S’y ajoutent, bientôt, de nouvelles morts suspectes. L’inspecteur Desnoyers, flanqué de son adjoint Mesnard, qui applique les techniques les plus modernes, hante les rues sombres de la capitale. Il y démêlera les fils d’une conspiration qui le mène au Dr Simon Bloomberg, aliéniste à la réputation sulfureuse… que l’on dit plus dangereux encore que ses patients !

Mon avis

Ce livre est paru une première fois en 2011. L’auteur l’a revu et corrigé pour cette nouvelle édition.

Il nous emmène à Paris en 1888. Une atmosphère particulière, une vie totalement différente avec des aliénistes qui soignent les personnes souffrant de maladie mentale. D’ailleurs le Docteur Simon Bloomberg est l’un d’eux. Il a besoin d’une gouvernante pour gérer ses rendez-vous, vérifier le bon fonctionnement de sa maison (où se trouve aussi son cabinet) car sa femme, égyptologue, est souvent en déplacement.

C’est la jeune anglaise Sarah Englewood qui se présente pour l’emploi. Elle a suivi son amoureux français, il a fini par l’abandonner et elle a dû se résigner à demander à des amis-es de l’héberger mais il est grand temps qu’elle trouve un travail. Bien que refroidie par l’aspect physique du docteur et son habitation assez baroque, elle donne suite lorsqu’il lui propose l’embauche. Une chambre à elle, l’eau sur l’évier, de la bonne nourriture, dans un premier temps, elle pousse un grand ouf.

Mais rapidement, elle se pose des questions. Qui est Ulysse, ce géant tout dévoué à Simon ? Que se passe-t-il dans le bureau lorsque les patients sont reçus ? Pourquoi l’épouse est-elle toujours absente ? La réputation de Bloomberg n’est pas toujours bonne. Que cache-t-il et pourquoi ?

En parallèle, l’inspecteur Desnoyers, et son adjoint Mesnard doivent mener l’enquête. Il se passe des choses bizarres à la morgue malgré la présence d’un gardien. Des cadavres disparaissent ! Des morts sont retrouvés nus, sur les pavés. Et quand sur le chemin des investigations, les policiers croisent le sulfureux aliéniste, ils s’interrogent sur son rôle. Est-il mêlé à tout cela ? Comment, à cause de quoi ?

C’est dans une capitale aux rues sombres, où coulent l’absinthe, l’alcool et où certains prennent du laudanum, que se déroule cette histoire combinant spiritisme, psychiatrie, énigme policière.

Le quotidien des différents personnages est très bien décrit, on s’y croirait, on visualise chaque scène, chaque lieu, les descriptions sont très pointues. Les dialogues et les rencontres apportent un intérêt supplémentaire. La vie à cette époque est bien présentée. C’est vraiment une force de ce texte. On entend les sabots des chevaux, on sent les odeurs évoquées, on voit les individus arpenter les rues….

J’ai particulièrement apprécié Sarah. Elle est jeune mais plutôt volontaire. Elle sent que son employeur ne lui dit pas tout, que des choses louches se préparent. Elle pourrait se terrer dans sa chambre enfouie sous ses draps. Mais elle ose aller fouiller un peu, observer, faire des déductions. Un sacré caractère cette petite demoiselle !

L’aliéniste, lui, est troublant. On ne sait pas trop que penser de lui. Est-ce qu’il nous manipule, est-ce qu’il dit la vérité ? N’essaie-t-il pas d’obtenir ce qu’il veut en trichant ?

L’écriture de l’auteur est fluide, parfaitement imprégnée du climat de cette période. Il maîtrise aussi bien le fond que la forme. Il y a du rythme, des rebondissements. On se demande ce qui va suivre, comment vont s’en sortir les gens que l’on pense perdus.

Un roman abouti, à découvrir et surtout un excellent polar historique !


"Comme si de rien n'était" de Barbara Abel

Comme si de rien n’était
Auteur : Barbara Abel
Éditions : Récamier (11 Avril 2024)
ISBN : 978-2385770433
370 pages

Quatrième de couverture

Dans l'existence d'Adèle, chaque chose est à sa place, toujours. Elle règne sur sa vie, parlemente avec le destin, orchestre le hasard qu'elle a appris à dompter mais qui – elle ne le sait pas encore –, est sur le point de lui exploser au visage.
À la sortie du cours de musique de son fils, elle rencontre le nouveau professeur de solfège, Hugues Lionel. Leurs regards se croisent. Lui, semble troublé et dit la reconnaître. Qui est cet homme, et pourquoi l'appelle-t-il Marie ?

Mon avis

Je viens de fermer ce livre et j’en ai encore des frissons. Tout semble lisse, tranquille mais que peut-il se cacher derrière une façade d’habitation ordinaire ? C’est au-delà des murs que nous entraîne Barbara Abel.

Un couple, Adèle, Bertrand, un fils, Lucas, huit ans. Un joli pavillon, de bonnes situations professionnelles et un quotidien sans histoire. Elle a un rapport au temps qu’elle matérialise en surface, le temps devient balade, marathon, course suivant ce qu’elle en fait, ce qu’elle a à faire. Elle rythme ainsi sa journée. Et l’essentiel : être prête le soir pour son mari. C’est un homme qui ne supporte pas le mensonge, qui a besoin de tout savoir. Elle l’aime et met tout en place pour le satisfaire, c’est peut-être parfois exagéré. Mais on n’aime jamais trop n’est-ce pas ?

Lucas est un petit garçon calme, qui ne montre pas ses émotions, il observe, décrypte et enregistre sans faire de commentaire. Il prend des cours de solfège et son enseignante est en arrêt. Lorsqu’Adèle va le chercher à la fin de la séance, le professeur remplaçant, Monsieur Hugues Lionel, se fige. Il dit la connaître et l’appelle Marie.

Que faire de cette information ? Est-elle vraie ou fausse ? Est-ce un leurre, un arrangement avec la vérité ? Seule Adèle peut répondre et voir si cela est dérangeant dans sa vie. À partir de là le lecteur suit Adèle d’une part et Hugues d’un autre côté dans leur quotidien.

On rentre dans leur intimité, dans leurs pensées, on ressent leur angoisse, leur bien-être, leur peur ou leur bonheur. Barbara Abel décortique, analyse au plus près chaque situation avec ses tenants et ses aboutissants. Rien n’est laissé au hasard. Elle tisse une immense toile dans laquelle elle nous enferme pour notre plus grand plaisir. Le souffle court, les mains moites, on attend chaque décision des personnages. Vont-ils réagir à l’instinct, prendre du recul, se concerter, réfléchir ?

C’est avec une écriture nerveuse, pointue, précise, sans fioriture que l’auteur nous entraîne dans l’univers de ses personnages. Les mots tombent comme autant de couperets, froids, pour décrire les faits comme ils sont, sans emphase, sans empathie, bruts. Parfois, c’est presque saccadé comme si les phrases se bousculaient, parce que le temps s’accélère … Suspense, rebondissements au détour d’un couloir, derrière une porte, ou lors d’un regard échangé…. Tout s’emboîte, elle a pensé chaque détail et lorsqu’on imagine avoir tout cerné, elle nous scotche avec un autre élément nous obligeant à penser « ah oui quand même ! ».  

C’est terrible de pénétrer aussi près des individus, de partager autant avec eux, on aurait presque peur de les voir arriver dans notre salon tant on sent la proximité avec les protagonistes. C’est dire si on est imprégné du récit.

Je conseille ce roman à toutes les personnes qui veulent lire un thriller psychologique. Les personnalités et les caractères sont disséqués pour qu’on ait, si possible, une explication à leur comportement. Même s’il reste toujours une part d’ombre…

Noir, sombre, terriblement addictif, inventif, surprenant jusqu’à la fin, ce recueil ne laissera personne indifférent !

 

"fille, 1983" de Linn Ulmann

 

fille, 1983 (Jente, 1983)
Auteur : Linn Ullmann
Traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud
Éditions : Christian Bourgois (4 Avril 2024)
ISBN : 978-2267050134
280 pages

Quatrième de couverture

En 1983, à seize ans, Linn Ullmann passe une nuit à Paris qui la changera à jamais. Près de quarante ans plus tard, elle tente de comprendre la jeune fille qu'elle a été. Des souvenirs obsédants la ramènent à cette adolescente en rébellion contre sa vie, ses parents célèbres, son lycée à New York où elle réside avec sa mère. Et puis cette folle décision de prendre un avion pour Paris, seule, parce qu’un célèbre photographe croisé dans un ascenseur la réclame pour un shooting de mode. Perdue dans une capitale qu’elle ne connaît pas, elle erre dans les rues, avant d’être livrée aux mains d’un homme de trente ans son aîné.

Mon avis

Ce roman est largement inspiré de ce que l’auteur a vécu à seize ans lorsqu’elle est venue à Paris. Le rédiger n’a pas été simple, elle a essayé plusieurs fois avant de trouver comment s’y prendre. Et une fois lancée, tout est venu plus facilement, elle a exprimé ce qu’elle avait accumulé. Elle a dû être soulagée d’avoir « extirper » tout cela, en espérant que l’avoir couché sur le papier lui a permis de tourner la page.

« En écrivant ce qui m’est arrivé, en racontant l’histoire de la manière la plus véridique possible, je m’efforce de les rassembler dans un seul corps : la femme de 2021 et la fille de 1983. »

Alternant ses souvenirs avec le présent (en 200/2021), elle revient sur l’année 1983, où jeune adolescente, elle est partie à Paris, contre l’avis de sa mère, pour suivre A., un photographe de quarante-quatre ans, qui lui avait fait miroiter un avenir de mannequin. Le mouvement Metoo avec le droit des femmes à disposer de leur corps n’était pas encore en vogue et les filles subissaient plus qu’elles ne choisissaient. Mais voir les faits sous cet angle serait un raccourci.

C’est un concours de circonstances qui la précipite dans le lit de cet homme. Avait-il déjà calculé cette conclusion ? Pas sûr. Linn Ullmann explore toute l'ambiguïté de la situation : son désir de plaire, de jouer avec son corps mais son besoin de maîtriser les événements. Elle ne se pose pas forcément en victime, elle reconnaît son implication. Des années après, elle porte son regard sur cette fille et essaie de la comprendre. Elle a désobéi, menti à sa mère et elle l’assume. Mais pourquoi sa maman n’est-elle pas venue la récupérer ? Que lui a-t-elle fait croire pour rester dans la capitale ?

Elle établit de nombreux discrets parallèles avec des femmes ayant vécu des choses semblables. Le rouge de son chapeau rappelle le petit chaperon rouge qui se jette dans la gueule du loup. Mais il y a également des allusions à Marguerite Duras, Annie Ernaux…. Toutes ont été confrontées à des agissements d’hommes sans l’avoir choisi. Ce sont des moments délicats, avec beaucoup d’ambivalence, de tiraillements.

La mémoire est quelques fois fragile, celle de l’adolescente, de sa mère… mais reparler de tout cela leur permet de poser des mots, d’échanger, d’avancer …

L’auteur est la fille du cinéaste Ingmar Bergman et de l’actrice Liv Ullmann. Le milieu dans lequel elle a évolué a-t-il eu une influence sur ce qu’il s’est passé lorsqu’elle était adolescente ?  Elle a croisé A. dans un ascenseur….

La forme du texte peut surprendre au début. On repart en arrière, on revient au présent, il n’y a pas toujours la date. Mais c’est bien comme ça que fonctionne notre esprit. On pense à quelque chose de précis qui nous fait rebondir sur un autre fait, ou le mettre en parallèle, ailleurs, à une autre date…. Pour moi, cela a plutôt été une force du texte de se présenter comme cela.

L’écriture est profonde (merci au traducteur), explicite, plutôt détaillée. Linn Ulmann se confie à nous et nous offre un texte fort sur l’arrivée brutale d’une jeune fille dans le monde adulte.


"Aranea - Le neuvième livre" d'Alexandre Murat

 

Aranea - Le neuvième livre
Auteur : Alexandre Murat
Éditions : Fleuve (4 avril 2024)
ISBN : 978-2265157569
322 pages

Quatrième de couverture

Avril 1939. Une expédition commanditée par Himmler se lance sur les traces d'un mystérieux livre au milieu des montagnes de l'Himalaya.
Mars 2021. Alex, professeur d'histoire des Civilisations à Harvard, et Mary, à la tête de son agence de sécurité privée, sont loin d'imaginer qu'ils vont devoir, contre leur volonté, mener la plus dangereuse de leurs quêtes et affronter une redoutable ennemie.

Mon avis

Alexandre Murat est un descendant direct du maréchal Murat, beau-frère de Napoléon. Passionné d'histoire, il s'intéresse aux civilisations perdues, et bien sûr à l'histoire de l'Empire qui a bercé son enfance. C’est dire si tout cela est dans son ADN…

Son deuxième titre, avec le même couple : Alex, professeur d’histoire des Civilisations, et Mary, responsable d’une agence de sécurité, peut se lire indépendamment du premier. Il offre au lecteur la possibilité de voyager dans le temps (deux retours en arrière pour éclairer le présent) et l’espace (pas moins de six pays) L’intrigue est liée à Napoléon et c’est absolument génial car réfléchi et en rapport avec des événements et des faits réels.

Sans dévoiler quoi que ce soit, certains hommes œuvrent dans l’ombre pour récupérer le savoir absolu. Mais ils sont surveillés et les jeux de pouvoir sont importants. On va donc assister à une course poursuite, des combats, des discussions musclées…. Tout sera mis en place par chacun pour réussir sa mission : tricherie, accord sous le manteau, manipulation ….

Alex et Mary se retrouvent, bien malgré eux, au cœur de l’aventure. « Obligés » de participer en quelque sorte, ça les sort de leur quotidien et chacun d’eux aura besoin de toutes ses compétences pour faire face. La grande force de l’enseignant c’est de pouvoir se projeter dans l’Histoire (avec un grand H), en s’imprégnant du contexte, pour comprendre le fonctionnement et les raisonnements des individus de l’époque. Mary, elle, a une vision d’ensemble, elle anticipe, et a d’excellentes qualités de défense alors que son conjoint est vite démuni, voire paralysé, face à la violence.

L’écriture nerveuse, « musclée » de l’auteur est un régal. On ne s’ennuie pas une seconde, il se passe toujours quelque chose. Les nombreux rebondissements donnent du rythme et maintiennent le suspense, indispensable dans ce genre d’ouvrage. Bien documenté, intéressant, captivant, ce récit est addictif. Son style est vif, les scènes sont présentées avec peu de mots, pour être très visuelles et ne pas perdre de temps en digressions, les dialogues sont vivants, quant aux différents individus, on sent bien qu’ils ont des failles, des faiblesses et on se demande qui les fera céder et comment.

Je suis toujours impressionnée par ces livres mêlant faits historiques et imaginaires avec une fluidité qui démontre un gros travail de fond (que l’on a tendance à oublier tant tout cela semble facile). Je serai curieuse de connaître la méthode utilisée (Alexandre Murat fait-il un plan ? Se sert-il de la « formule » FIND comme son personnage Alex ?)

J’ai vraiment apprécié ce recueil, je me suis tout de suite repérée (les lieux et la date sont indiqués en début de chapitre, donc ce n’était pas difficile). Quelques pages et on change d’endroit, il y a du mouvement en permanence. C’est agencé à la perfection, ça s’emboîte et ça tient la route tant sur le fond que la forme.

Je ne connaissais pas Alexandre Murat et je suis ravie de ma découverte !

NB : En fin d’ouvrage, de nombreuses références reprennent les éléments véridiques du texte. Il y a également une belle bibliographie.

"L'ombre du prédateur" de Gérard Saryan

 

L’ombre du prédateur
Auteur : Gérard Saryan
Éditions : Taurnada (14 mars 2024)
ISBN : 978-2372581295
380 pages

Quatrième de couverture

Lorsqu'un adolescent est découvert crucifié sur une plateforme au milieu du lac de Lambecq, les villageois sont consternés. Qui a pu commettre un acte aussi odieux ? La même nuit, la soeur de la victime disparaît. A-t-elle été enlevée par l'assassin de son frère ? La capitaine de police Agnès Demare est envoyée sur place afin de prêter main-forte aux gendarmes. Ses faits et gestes sont relayés sur les réseaux sociaux par Jade, une célèbre influenceuse lilloise. Pour ces deux femmes que tout oppose, une enquête tentaculaire commence. La soif de vérité emporte Agnès et Jade dans un tourbillon où la proie n'est pas toujours celle que l'on croit.

Mon avis

Ce roman fait suite à « Sur un arbre perché » du même auteur, mais malgré tout il peut se lire de façon indépendante, quelques rappels glissés çà et là apporteront ce qu’il y a besoin de connaître. On retrouve la capitaine de police Agnès Demare. Elle a démontré ses qualités dans la précédente aventure.

Le prologue fait déjà frissonner, il parle d’une petite fille qui a disparu alors qu’elle était en centre de vacances. Puis on passe plusieurs années et on découvre une famille qui campe, au bord de l’eau dans un lieu idyllique et tranquille. La nuit arrive, parents et enfants (Guillaume, adolescent, et Betty plus jeune) se couchent dans le camping-car. Au matin, les deux jeunes manquent à l’appel. Rapidement, c’est l’horreur et la scène est difficilement soutenable, le garçon a été crucifié sur une plateforme posée près des berges du lac. Sa sœur ne réapparaît pas. Le couple est effondré car malgré les recherches, aucun indice ne permet d’envisager ce qu’il est advenu d’elle.

Elle n’est pas de la région mais l’enquête est confiée à Agnès. Bien que cela ne lui convienne pas, on lui « colle » une influenceuse dans les pattes. Jade fait des vlogs, des petites vidéos sur divers sujets. Là, elle suivra le quotidien d’Agnès … Sera-t-elle une aide avec son regard extérieur sur les événements ou un véritable boulet ?

L’intrigue est menée de main de maître. Gérard Saryan fait intervenir policiers et gendarmes, nous montrant le rôle et le fonctionnement de chaque groupe. Agnès est dans l’obligation de collaborer avec la gendarmerie que ça lui plaise ou pas. Ce n’est pas aisé, mais tous n’ont qu’un but : résoudre cette enquête,

De nombreux thèmes sont abordés, pas seulement celui de la perte d’un enfant. L’auteur souligne l’importance des réseaux sociaux qui n’agissent pas toujours dans le bon sens.

Son écriture est fluide, addictive. Il a certainement beaucoup réfléchi pour construire son récit à la manière d’un puzzle où tout s’emboîte parfaitement. Il montre les sentiments, les ressentis des protagonistes. Cela permet de « pénétrer » encore plus dans l’histoire. On se sent presque « concernés ». Les différentes situations sont décrites avec précision, on visualise ce qui se déroule. Des rebondissements, des ramifications nous emmènent sur d’autres pistes jusqu’à un final qui laisse entrevoir une suite.

Pendant cette lecture, j’ai souvent eu le ventre noué, je ressentais les émotions des personnages, que ce soit la peur, le doute, l’angoisse, la colère …. Si on réfléchit, c’est ce qu’on cherche, être bousculé, bouleversé, transporté, secoué, lorsqu’on lit, non ? Et bien c’est réussi !


"numéro 17" de Sébastien Le Jean

 

numéro 17
Auteur : Sébastien Le Jean
Éditions : Liana Levi (4 Avril 2024)
ISBN : 979-1034909087
290 pages

Quatrième de couverture

Le jour de Noël, à Paris, un jeune homme est retrouvé mort après une chute du sixième étage de son immeuble. Pour les policiers du secteur, c’est un accident, au pire un suicide. Pour Ronan Sénéchal, commandant à la brigade criminelle, c’est un cadeau du destin. Depuis le fiasco de sa précédente enquête, il n’est plus que l’ombre de lui-même. S’il parvenait à prouver qu’il s’agit d’un assassinat et à démasquer le tueur, il pourrait retrouver l’estime de sa hiérarchie et de ses collègues. L’enquête officieuse qu’il entame en solo prend rapidement une tournure inquiétante : l’étudiant assassiné s’intéressait de près à un groupe complotiste, L’Hydre.

Mon avis

Chaque jour, l’actualité lui rappelle que le monde est entré dans l’ère des vérités alternatives.

Après avoir lu « Le grand effondrement », premier livre de Sébastien Le Jean, j’avais conclu avec « Un auteur à suivre ! ». Je viens de terminer son deuxième titre et je confirme avec : « Un auteur à ne jamais perdre de vue ».

Réussir une fois à rédiger un récit prenant, intéressant, soulevant des questions d’actualité dans une intrigue passionnante qui se tient, c’est très bien. Confirmer son talent avec une nouvelle aventure, c’est vraiment fort.

Dans ce roman, on retrouve Ronan Sénéchal (mais on peut lire cette histoire de façon indépendante), il est blessé moralement, presque brisé au boulot mais a encore de la ressource. Et surtout un excellent instinct de flic. Il est un de ces policiers qui « sentent » les choses, qui peuvent cerner une personne rapidement, et malgré tout, faire parfois des erreurs, simplement parce qu’il est humain ….

On est le 25 Décembre, et un homme jeune, Simon Lacroix, a été retrouvé mort, sur le trottoir, devant son immeuble. Il a chuté depuis le balcon de son appartement. La soirée ayant été bien arrosée, il a probablement trébuché. C’est triste mais affaire classée. Euh, non pas vraiment …  Son paternel étant bien placé (directeur de cabinet du ministre de la justice), il exige des investigations plus précises, ne croyant ni au suicide, ni à l’accident alors que son fils avait une vie plutôt rangée : thésard, en couple.

Tout le monde pense qu’il faut calmer le père, et l’équipe d’astreinte en ce jour de fête (celle de Ronan) est dépêchée sur place. Ils n’ont pas vraiment envie de sortir mais ils y vont. Lors de la visite approfondie de l’appartement, plusieurs petits détails interpellent Ronan et il décide de prouver qu’il s’agit d’un homicide afin qu’il y ait une enquête. Pas facile mais il y arrive.

Interroger la copine, les ami-e-s, les parents, le tuteur de thèse est la première chose à laquelle se consacrent les policiers. De recoupements en recoupements, il s’avère que l’étudiant préparait son mémoire sur le négationnisme (le déni de faits historiques malgré les preuves). Ses recherches l’avaient amené sur le terrain des théories du complot, sujets plutôt très « tendance » mais également dérangeant pour ceux qui y croient.

Ronan décide de creuser et d’approfondir ce qu’il découvre mais, malgré son expérience, il est loin d’imaginer où tout cela va l’entraîner. Il se met parfois en danger, ne respecte pas tous les protocoles car il veut obtenir des réponses. Têtu, opiniâtre, il suit les traces de Simon et il détecte des faits graves, il faut agir au plus vite mais comment ? En face, les hommes « de l’ombre » sont très forts, inventifs, et ont des ramifications partout.

Mené sur un rythme emballant, avec un contexte brûlant, une écriture puissante, des personnages bien définis, ce récit ne se lit pas, il se dévore ! Une fois commencé, difficile de le lâcher. Ce que décrit l’auteur est très réaliste, entre fausses dépêches, influences néfastes, on se rend compte que l’on est quelques fois un peu crédules. Mais qui n’a pas fait circuler un hoax en y croyant dur comme fer et en pensant rendre service à ses connaissances ? Le texte nous rappelle, si besoin est, qu’avec les nouveaux médias, beaucoup d’infos circulent vite mais ne sont pas toujours justes.

Ce recueil m’a happée, fascinée. Il est captivant et pertinent. L’auteur s’est renseigné et glisse çà et là des informations, des faits réels qui apportent un plus à son écrit. Ce qu’il présente pourrait exister et on sent les frissons qui nous parcourent. Je suis impressionnée par l’acuité dont il fait preuve pour observer les dérapages de notre société, analyser pourquoi et comment certains en arrivent à dériver, à faire et dire n’importe quoi.

Je le redis : : « Un auteur à ne jamais perdre de vue ».

"Le refuge" d'Alain Beaulieu

 

Le refuge
Auteur : Alain Beaulieu
Éditions : Liana Levi (4 Avril 2024)
ISBN : 979-1034909285
242 pages

Quatrième de couverture

S’installer dans un chalet au pied d’une montagne est le rêve d’une vie pour Antoine, ancien professeur de création littéraire à l’université, et pour Marie, autrefois éducatrice. Ils profitent paisiblement de leur nouvel univers jusqu’à une nuit de juin sans lune, lorsqu’un braquage inattendu vient chambouler leur tranquillité. Dans un accès de colère, Antoine s’empare de son arme de chasse, geste aux conséquences irrémédiables qu’il ne cessera de se reprocher. Son bien le plus précieux, la sérénité, est définitivement perdu.

Mon avis

« Mais je n’arrive plus à mettre le couvercle sur la marmite, et ça déborde partout. »

Alain Beaulieu est directeur littéraire aux Éditions Druide et professeur titulaire au Département de littérature, théâtre et cinéma de l'Université Laval à Québec. Il a écrit des nouvelles, des romans, des pièces de théâtre …

« Le refuge » est son dernier titre et a été Lauréat du Prix France-Québec 2023. C’est un excellent livre qui explore avec une précision chirurgicale les conséquences d’un geste irréfléchi.

Marie et Antoine sont retraités, il était enseignant en création littéraire, elle était éducatrice. Pour profiter de chaque instant, à fond, et être près de la nature, ils se sont installés au « Refuge », un chalet près de la montagne. Ils y vivent tranquilles, avec peu de luxe, quelques voisins. En communion avec leur environnement, ils sont heureux.

Jusqu’à une nuit, périlleuse, où des voleurs se pointent chez eux, les agressant et leur demandant de l’argent qu’ils n’ont pas. Devant les blessures infligées à son épouse, Antoine est en colère, et lorsque les indésirables partent, avec trois fois rien, il sort son fusil et tire. Cet acte n’est pas neutre et aura des conséquences et des ramifications inattendues.

L’auteur « décortique » avec beaucoup d’intelligence tout ce que cela va engendrer. Ce qui est vraiment terrible, c’est de voir les options qui s’offrent au couple, les choix qu’ils font et ce que ça entraîne à chaque fois. Pendant plusieurs mois, régulièrement, ils sont confrontés à « un cas de conscience » et sont dans l’obligation de prendre une route ou une autre. Que faire ? Y-a-t-il de bonnes ou de mauvaises décisions ? Et qui doit les prendre ? À qui demander conseil ? Avec qui partager et est-ce une bonne idée ? Ne vaut-il pas mieux garder tout cela dans la sphère intime ?

Ce récit est surprenant, original, bien écrit, captivant bien qu’il y ait peu de personnages. La culpabilité est analysée de l’intérieur. Tout d’abord du point de vue du « fautif », de ce mari qui a commis l’irréparable et qui est hanté par son acte. D’ailleurs, il se décide à coucher sur le papier les événements de cette nuit puis de ceux que cela a provoqué, pour lui et tous ceux qui feront partie des dommages collatéraux. Il a besoin de prendre du recul, de réfléchir. Il écrit mais sa compagne décide de donner elle aussi son point de vue et chaque fois qu’il s’exprime, elle complète et éclaire les faits sous un autre angle. On a de ce fait deux narrateurs.

Le style et les réflexions sont parfaitement adaptés à chacun : l’homme ou la femme. On observe ainsi leurs dialogues, leur approche de ce qui les perturbe beaucoup, leurs échanges, leurs intentions suivies de ce qui se déroule réellement car on ne maîtrise jamais tout n’est-ce pas ? On découvre dans ce texte, comment un grain de sable, de petites choses peuvent bouleverser le cours d’une vie, de plusieurs destins ….

Au début de chaque chapitre une citation en exergue, bien ciblée, elle nous rappelle la fragilité de l’avenir qui ne nous appartient pas.

« Le refuge », un endroit choisi par ces habitants pour son calme et vivre en paix jusqu’à ce que ….

"Vérités et mensonges" de Caz Frear (Sweet Little Lies)

 

Vérités et mensonges (Sweet Little Lies)
Auteur : Caz Frear
Traduit de l’anglais par Sophie Guyon
Éditions : L'Archipel (21 mars 2024)
ISBN : 978-2809847727
434 pages

Quatrième de couverture

31 mai 1998. Cat avait 8 ans. Pourtant, elle se souvient avec précision de ce jour-là. Celui où Maryanne Doyle, adolescente de 17 ans qui faisait tourner toutes les têtes, a disparu. Celui où Cat a surpris son père en flagrant délit de mensonge...
Aujourd'hui, Cat Kinsella a 26 ans. Inspectrice de police, elle se rend avec son équipe sur une scène de crime dans le quartier londonien d'Islington, non loin du pub que tient son père. Le corps d'une certaine Alice Lapaine y a été découvert.
Quand il apparaît qu'Alice n'est autre que Maryanne, le passé revient hanter Cat, et elle se met à douter. Elle savait son père menteur, se pourrait-il qu'il soit aussi meurtrier ? Où est la vérité ?

Mon avis

Cat Kinsella est inspectrice de police et nous faisons sa connaissance dans ce roman (qui devrait faire partie d’une série et qui va être adapté à la télévision anglaise).  Célibataire, elle est plus préoccupée par son travail que par sa famille (sa sœur, son neveu, et encore moins par son père qu’elle fuit).

Une jeune épouse vient d’être retrouvée assassinée, pas très loin du pub paternel. Elle est bien décidée à mener l’enquête, surtout quand elle réalise que cette femme, Alice, n’est autre que Maryanne qu’elle a connu dans le passé quand elle était enfant. Elle avait même vu cette dernière avec son papa alors qu’elle l’avait suivi pour l’espionner. Et leur discussion avait semblé très animée. A-t-il fait quelque chose autrefois et/ou maintenant à cette personne ?

Forcément, Cat se pose des questions mais elle sait qu’elle ne peut pas prendre son géniteur de front car ça va dégénérer, ils sont sanguins tous les deux. En plus les faits datent de 1998, la mémoire peut jouer des tours …

Et c’est bien là son principal problème : gérer les interférences entre sa vie privée et sa vie professionnelle. Que dire à ses supérieurs, que taire? Jusqu’où aller sans se mettre dans une situation délicate ? Cette approche de l’affaire criminelle est un plus et permet de voir comment les événements peuvent se télescoper ou pas. Vers qui porter ses soupçons ? Qui croire et pourquoi ? Cat n’est pas à l’aise et parfois ça se voit trop, ses collèges s’interrogent …

L’époux de Maryanne découvre que sa conjointe menait une double vie. Un autre pan d’elle où elle habitait Londres et s’appelait Alice. Que lui cachait-elle et pourquoi ? Il ne comprend rien, pas plus que les policiers chargés des investigations. Où tout cela va-t-il les emmener ?

J’ai eu un peu de mal à entrer dans l’histoire, il m’a fallu une petite centaine de pages avant de me sentir dedans. J’étais à l’extérieur, je ne voyais absolument pas comment l’auteur allait relier tout ça : le passé / le présent, les différents personnages, son histoire familiale. Et surtout, la vérité nous échappe. Je sais que c’est volontaire de la part de Caz Frear mais au début je me méfiais de tout le monde, même de Cat !

Après, une fois l’intrigue posée, les liens entre les uns et les autres établis, mon intérêt s’est renforcé et j’ai été beaucoup plus captivée. Pour autant, ce n’est pas un récit qui se lit rapidement comme certains polars. Les ramifications nombreuses, le jeu de poker menteur de plusieurs individus fait qu’on nage en eaux troubles en doutant de tous. L’écriture est fluide (merci à la traductrice), le style agréable avec de nombreux rebondissements, de l’action… Mais comme indiqué dans le titre, « vérités et mensonges », il y a des menteurs et plus qu’on l’imagine. J’ai été dupée par l’attitude certains-nes qui paraissent parfaits et qui sont en réalité pervers. Les révélations finales sont très fortes ! Je n’y avais pas pensé et c’est très fort !

Un nouvel auteur à suivre !


"Les saisons" de Maurice Pons

 

Les saisons
Auteur : Maurice Pons
Éditions : Christian Bourgois (7 Mars 2024)
ISBN : 978-2267049282
272 pages

Quatrième de couverture

Un jour du seizième mois de l’automne, Siméon arrive dans une vallée perdue où se succèdent inlassablement deux saisons ― une de pluie et une de gel bleu ― et où seules les lentilles parviennent à germer. En pleine saison pourrie, cet étranger qui se déclare écrivain cherche à prendre place dans la communauté qui y vit, vaille que vaille. Isolé au milieu de ces habitants aux moeurs mystérieuses, Siméon affronte une hostilité grandissante…

Mon avis

Ce livre est indéfinissable, fascinant par son histoire, son phrasé, ses événements qui peuvent tour à tour vous dégoûter, vous surprendre, vous donner de l’espoir. Il ne laissera personne indifférent. Il a été publié la première fois en 1965.

Le récit se déroule dans un pays où les saisons sont rudes (après des mois de pluie, le gel peut rester présent trente à quarante mois), longues ; où la nature est difficile à maîtriser ; où la nourriture est rare et les occupations également….. Un homme, qui a beaucoup souffert, arrive dans un village au milieu de nulle part. Il veut s’installer quelque temps pour écrire. Les habitants, peu nombreux, sont soupçonneux et envoie les douaniers enquêter. Il arrive malgré tout à s’installer, dans des conditions précaires, chez une veuve qui tient ce qu’on pourrait appeler une auberge (mais elle ne ressemble en rien à un tel lieu).

Il pleut, tout le monde est hostile mais notre homme espère être avec son crayon, ses feuilles et les remplir. C’est son but et il le dit : « Je suis venu pour partager avec vous le pain des mots et le vin de la phrase ». (Oui, il y a quelques allusions à la Bible). Il essaie de surmonter chaque obstacle, d’avancer son projet mais toujours quelque chose se met en travers. L’auteur nous parle de la condition d’écrivain, des maux et des mots de ceux qui veulent transmettre, par un livre, un message, raconter une vie, des vies….

Un narrateur extérieur, parlant à la première personne et interpelant de temps à autre le lecteur, présente le quotidien de cet étranger, Siméon, qui a osé débarquer et surtout rester là alors qu’il n’est pas franchement le bienvenu. Il croit qu’on s’habitue à lui mais ce n’est pas si simple… Il fait tout pour apporter un peu de lumière, de chaleur, de printemps avec ce qu’il tente de transmettre.

La galerie de personnages est très riche, tous ont un petit côté burlesque qui s’explique par ce qu’on apprend sur eux, sur les traditions de ce coin du monde atypique, sur les relations que les gens entretiennent ou pas.

J’ai pensé à Kafka et « La métamorphose », un recueil inclassable lui aussi mais d’une force extraordinaire. Ce sont des textes qui restent dans notre mémoire, même des années plus tard. J’ai pensé à la cour des miracles et puis j’ai compris : « Les saisons » c’est incomparable.

C’est tendre, loufoque, décalé, hypnotisant. Maurice Pons a une écriture riche au vocabulaire soigné, aux tournures de phrases travaillées. La poésie est là même quand il décrit des moments plus ardus. C’est un sacré contraste d’utiliser un style qui magnifie chaque terme pour parler de la laideur (celle des autochtones, celle du paysage, celle des faits…..) J’ai été ébahi de la puissance de ce petit bouquin !

Rédiger ce texte a dû être aussi une prise de risque. Comment peut réagir un éditeur le découvrant la première fois ? Pense-t-il que l’originalité, la beauté du libellé, et tout ce qui fait l’unicité de cette rédaction, emporteront les lecteurs dans un univers qu’ils n’oublieront jamais, entre réel et imaginaire ?

C’est mon cas. Dire que j’aurais pu passer à côté de cette œuvre magistrale et ne jamais la lire ! Je ne l’oublierai pas !


"Le chat du rocher - Tome 3: Fatale Mona Lisa" d'Alice Quinn et Sandra Nelson

 

Fatale Mona Lisa
Auteurs : Sandra Nelson & Alice Quinn
Éditions : Alliage afnil (25 mars 2024)
ISBN : 978-2369100713
205 pages

Quatrième de couverture

Et si la Joconde, au Louvre, était une … copie ?
Que feriez-vous si un charmant italien prétendant posséder le chef-d’œuvre de
Léonard de Vinci, vous sollicitait pour le restituer au célèbre musée ?
Vous le traiteriez de cinglé et l’enverriez consulter un bon psy.
Mais pour Calypso Finn, ex-actrice de telenovelas reconvertie en brocanteuse,
rien n’est impossible.
À peine accepte-elle sa mission qu’elle est témoin d’un meurtre. Quant au
tableau, il s’est volatilisé.

Mon avis

Calypso est de retour !

Vous ne la connaissez pas ? C’est l’occasion de la rencontrer. Ancienne actrice, elle a quitté le Brésil car elle n’était plus la priorité du réalisateur, son ex-mari. Elle s’est installée sur le Rocher, où elle aide sa tante Peggy à tenir son magasin (une brocante). Pendant ses années de comédienne, elle était Zézé Pinta, une détective amateur, plutôt dégourdie. D’ailleurs cet ancien rôle l’a aidé à éclaircir des histoires et à donner un coup de main au vrai policier, le commissaire Vadim. On se demande si elle n’en pince pas pour lui mais bon… Elle est devenue assez copine avec Poker, un chat très futé qui observe et qui la guide lorsqu’il comprend qu’elle n’a pas su déceler ce qui va lui permettre d’avancer. Comme il ne parle pas, il prend des initiatives quitte à renverser un vase, cracher ou courir dans tous les sens !

Une fois encore, il y a meurtre et Caly ne peut pas s’empêcher de se mettre son joli nez et son magnifique chapeau orange un peu partout pour démêler le vrai du faux. Le vrai du faux ? c’est tout à fait ça ! Figurez-vous que la Joconde ne serait qu’une imitation fabuleuse et tellement bien réussie que même les experts n’ont rien vu. Je vous vois venir ! Qu’ont inventé les deux autrices ? Et bien, je ne dirai rien. Mais sachez que vous allez découvrir quelques éléments historiques intéressants dont un assez récent (en 2016 à Aix en Provence) tous en lien avec la peinture et l’art. On apprend même comment s’y prennent les faussaires pour faire plus vrai. C’est dire si Alice Quinn et Sandra Nelson se sont documentés avant d’écrire. Ce cosy mystery est donc bien étoffé et travaillé en profondeur.

C’est très plaisant à lire, d’abord parce qu’il y a régulièrement des pointes d’humour lorsque Calypso « entend » la voix de Zézé Pinta, son double de l’écran télé, qui lui suggère des idées surtout dans les situations délicates. Caly s’appuie également sur ce qu’elle faisait pendant la série et qui lui a apporté de l’expérience (pour crocheter une serrure par exemple). Et puis Poker, prend le lecteur en aparté avec ses réflexions bien senties. Ajouter à ça des protagonistes et une intrigue qui tiennent la route, quelques recettes qui mettent l’eau à la bouche et vous saurez pourquoi il faut se plonger dans cette lecture !

Mais Caly, parfois accompagnée de ses copines, est quelques fois trop impulsive et elle se retrouve confrontée à des événements qu’elle doit gérer avec doigté. À elle de ne pas se laisser déborder par ses émotions.

C’est un roman captivant, avec du rythme, un récit bien construit où on ne sent jamais de différence de style bien qu’il soit rédigé par deux écrivaines distinctes. J’ai particulièrement apprécié de voir l’évolution des personnages que je « suis » depuis le début, d’apprendre des anecdotes sur l’art, de suivre Caly (et Poker) dans une nouvelle aventure sans temps mort!


"La maison aux sortilèges" d'Emilia Hart (Weyward)

 

La maison aux sortilèges (Weyward)
Auteur : Emilia Hart
Traduit de l’anglais par Alice Delarbre
Éditions : Les  Escales (28 Septembre 2023)
ISBN : 9782365697002
450 pages

Quatrième de couverture

2019. Kate fuit Londres pour se réfugier dans une maison délabrée dont elle a hérité.
1942. Alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage, Violet est cloîtrée dans le grand domaine familial, étouffée par les conventions sociales. Elle vit avec le souvenir de sa mère, dont il ne lui reste qu'un mystérieux médaillon et une inscription étrange sur le mur de sa chambre.
1619. Altha connaît les secrets des plantes, savoir ancestral transmis de mère en fille. Pourtant, quand un fermier meurt piétiné par son troupeau, tous la pointent du doigt et l'accusent de sorcellerie.

Mon avis

Une journée aura été suffisante pour lire ce premier roman. Dans la lignée d’une Kate Morton, Emilia Hart a réussi haut la main son récit.

Trois magnifiques portraits de femmes sur trois périodes différentes. Elles sont reliées de près ou de loin par leur famille mais ne se connaîtront pas vraiment. C’est à travers différents écrits que le lien se fera. Le lecteur, lui, aura les détails de ces trois vies exceptionnelles.

Exceptionnelles car toutes ont dû se battre pour s’accomplir, faire ce qu’elles voulaient, choisir, face à des hommes qui entendaient dicter leur loi.

Et à aucun moment ce n’est simple car ils peuvent être pervers, retors, manipulateurs, dominateurs, sous couvert de « faire ce qui est le mieux pour toi ».

En 1619, connaître les plantes et faire mieux parfois qu’un médecin pouvait être dangereux. C’est vite fait d’être accusé de sorcellerie. C’est ce qui arrive à Altha qui a hérité du don de sa mère.

Violet, elle, en 1942, est une jeune fille passionnée de nature, d’insectes, d’animaux mais son père souhaite une demoiselle bien rangée, capable de sortir en société.

Quant à Kate, elle va « s’éteindre » par amour avant de comprendre que ce n’est pas ce sentiment qui est le plus fort dans son couple.

Nous passons de l’une à l’autre au gré des chapitres (leur nom au début donc on sait tout de suite de qui on parle). Chaque époque est présentée avec un contexte historique suffisant pour cerner les événements. Le caractère des protagonistes est précis et permet de comprendre les relations qui s’établissent.

L’écriture est fluide (merci à la traductrice), prenante, on est vite au cœur de l’histoire et on se prend d’affection pour ces trois femmes. On ne veut pas, plus, les voir souffrir, on les accompagne, on serre les poings à leurs côtés.

J’ai trouvé cet opus captivant, parfaitement construit. L’auteur maîtrise à merveille chaque individu pour créer des fils tendus entre eux. Elle a dû réfléchir avant de se lancer et tout est agencé sans fausse note. Bravo !


"La petite fille sur le pont" d'Isabelle Chaumard

 

La petite fille sur le pont
Auteur : Isabelle Chaumard
Éditions :  Independently published (25 mars 2024)
ISBN : 9798884293342
144 pages

Quatrième de couverture

Plongée dans le coma après un accident de voiture, une petite fille bascule en pleine seconde guerre mondiale. Dans un village occupé par les Allemands, elle découvre la noirceur des hommes. Son regard candide posé sur la période immerge le lecteur dans un univers naïf qui se révèle de plus en plus âpre.

Mon avis

S’inspirant de ce que sa mère, Michelle (avec deux ailes) a vécu pendant la seconde guerre mondiale (elle avait six ans en 1943), Isabelle Chaumard a rédigé un récit délicat et original.

Suite à un accident de voiture, une petite fille est plongée dans le coma. Entre rêve et réalité, elle est projetée dans un petit village de l’Ain, occupé par les allemands pendant la guerre. Elle réalise qu’elle est ainsi confrontée à l’horreur de cette période. Son esprit, resté dans le présent, se rappelle des cours d’histoire de son enseignante, des souvenirs de sa grand-mère (d’ailleurs n’est-ce pas elle qu’elle rencontre dans ce passé douloureux ?). Seule une fillette la voit et elle peut tisser un lien avec elle, malgré les difficultés.

Elle souhaite revenir dans son quotidien tranquille sans voir les souffrances, en oubliant tout ce qui est dur à observer, à vivre. Son principal problème, c’est qu’elle « sait ». Elle connaît l’issue pour les enfants juifs entre autres…

Dans son roman, écrit « à hauteur d’enfant », l’auteur souligne avec finesse les silences, les non-dits pour préserver les plus jeunes qui, malgré tout, comprennent, sentent ….et se posent de nombreuses questions.

L’écriture et le style sont plaisants, il y a toujours un peu d’action, des événements qui font avancer l’histoire de cette famille et de cette petite « invitée ».  J’ai beaucoup aimé les personnages dont certains sont très attachants.

On sent que ce texte a été rédigé après lecture d’un fonds documentaire important. Avec acuité, Isabelle Chaumard décrit les traumatismes, les actions mises en place, les « bêtises » des gosses qui veulent agir (et c’est beau…). Chacun, à son niveau, a des ressentis, des peurs, des émois et fait de son mieux.

Loin de ses écrits habituels, Isabelle Chaumard a su, d’une façon indirecte, rendre hommage à sa Maman. C’est un livre qui peut être lu avec des collégiens pour leur donner accès à l’histoire de notre pays par l’intermédiaire de mots qui leur parleront et les toucheront au cœur et à la tête.