"Sois gentil, tue-le" de Pascal Thiriet


Sois gentil tue-le
Auteur : Pascal Thiriet
Éditions : Jigal (15 Février 2020)
ISBN : 978-2377220885
154 pages

Quatrième de couverture

La mer, elle est partout. Et parfois, au milieu, il y a des îles. Pascal et Murène sont des insulaires mais pas de la même île. Lui, c'est une île de l'océan, et elle, une de Méditerranée. Ensemble, ils pêchent sur un chalutier. Le Mort, il s'appelle. Dessus, ballotés par les vagues et les tempêtes, ils vont bien ensemble. Mais à terre, avec leur passé à traîner, c'est pas facile tous les jours...

Mon avis

Pascal, c’est un homme de peu de mots. Un taiseux, sans doute plus à l’aise sur l’océan que sur la terre ferme. Il s’exprime avec un phrasé simple, des phrases courtes, des mots qui tombent sans fioritures mais qui suffisent largement à saisir qui il est et à le rendre attachant dès les premières lignes. On sait de lui seulement ce qu’on a besoin de savoir, il ne développe pas, il fait dans le genre elliptique, à nous de comprendre sous les lignes ce qu’il ressent. Il a perdu son père, qui était pêcheur, c’est le risque quand on est marin. Alors il aurait pu rester à terre mais il n’a pas pu, sans doute qu’il lui manquait quelque chose, comme un goût de liberté, mais il ne le dit pas. Son bateau, il l’a baptisé « Le mort » à cause d’un livre …. pourtant il ne lit pas….  Il a eu une copine, Lorraine, puis une fille matelot, Murène, qui connaissait le métier aussi bien que lui…. Ils bossaient bien tous les deux, cohabitaient et plus si affinité puis elle l’a laissé. Il a continué, obligé parfois de faire des choses dont il se serait passé mais le crédit est là et il faut bien rembourser ….

C’est comme si la vie lui imposait des choix, il ne se pose pas de question. Il avance le pas sûr car lorsqu’on est souvent sur un navire, on se doit de tenir debout malgré la houle, la vraie qui souffle fort, décoiffe, secoue l’embarcation et celle, telle une tempête intérieure qui envahit votre corps et votre cœur …. Dans ces cas-là, on y va et on essaie de faire taire le tumulte là-dedans pour faire face. C’est pour ça que lorsque Murène lui demande de venir, il prend la voiture et va la rejoindre. Tout simplement parce qu’elle a besoin de lui. D’aucuns diront que, comme il est un peu primaire, il bondit sans réfléchir, quitte à se faire manipuler… Ceux-ci se tromperont. Pascal n’a peut-être pas fait de grandes études, il n’a sans doute pas une culture générale très étendue et une conversation fluide et aisée mais il a tout compris de la vie. Il est fidèle en amour et en amitié et quand on a besoin de lui, il est répond présent.

Ce livre m’a bouleversée, l’écriture particulière, atypique m’a conquise, elle m’a touchée au plus profond. J’avais l’impression que Pascal, le marin, me parlait, j’entendais ses silences, j’écoutais attentivement chacun de ses mots, je sentais parfois son haleine un peu alcoolisée, je crois même que j’ai touché ses mains rugueuses pour le rassurer, lui dire qu’il ne fallait pas s’occuper de ceux qui se moquaient, le dénigraient …. Je pense qu’il faudrait faire une version audio de ce roman, avec un bruit de vagues, de vent en toile de fond….et une belle voix rauque….

NB : la couverture est superbe, le phare droit comme un i face aux éléments, vent, ciel d’orage….en noir et blanc comme en écho à la phrase : « Si l’on m’avait demandé la couleur de la lumière, j’aurais répondu qu’elle était grise, grise et silencieuse. »

"L’archipel des lärmes" de Camilla Grebe (Skuggjägaren)


L’archipel des lärmes (Skuggjägaren)
Auteur : Camilla Grebe
Traduit du suédois par Anna Postel
Éditions : Calmann-Lévy (26 février 2020)
ISBN : 978-2702166499
450 pages

Quatrième de couverture

Une nuit de février 1944, à Stockholm, une mère de famille est retrouvée morte chez elle, clouée au sol. Trente ans plus tard, plusieurs femmes subissent exactement le même sort. Dans les années 80, le meurtrier récidive mais ce n’est qu’aujourd’hui que des indices refont surface. Britt-Marie, Hanne, Malin… À chaque époque, une femme flic se démène pour enquêter, mais les conséquences de cette traque pourraient s’avérer dévastatrices.

Mon avis

Quatre époques, de 1944 à 2019, chaque fois des femmes attaquées, clouées au sol avec une violence hors du commun. Des familles qui souffrent, qui ne comprennent pas. D’autres mères qui vivent la peur au ventre, se demandant s’il ne va pas leur arriver la même chose. Et puis la police, impuissante, parfois rattrapée par l’actualité (le meurtre d’Olof Palme) et à ce moment-là plus du tout disponible….

A chaque période, des femmes dans l’équipe d’enquêteurs et toujours, malgré l’évolution de la société, des difficultés pour se faire une place. Des supérieurs qui pensent qu’elles doivent obéir, se taire et se contenter de petites tâches subalternes. La parité ce n’est pas encore ça et si elles ont une place, même minuscule, elles dérangent. Elles se doivent de faire encore plus leurs preuves que les hommes, être toujours disponibles, discrètes et surtout ne pas trop donner leur avis. Et si par hasard, elles émettent une opinion contraire à celles des machos du coin, elles ont du mal à se faire entendre, à être respectées…. Pourtant, elles remarquent des similitudes entre les affaires, elles réfléchissent à la méthode utilisée pour entrer dans les appartements des victimes mais elles ne sont pas écoutées …

Camilla Grebe signe là un roman intéressant et original pour plusieurs raisons. Il y a l’étude et les investigations diverses menées par les uns et les autres pour coincer l’assassin des bas-fonds mais surtout il y a la place des femmes dans ce livre. Les enquêtrices qui se battent pour exister professionnellement tout en étant des héroïnes du quotidien (quand on a un mari, un enfant, il faut sans arrêt jongler avec l’emploi du temps). On voit la progression entre 1944 et 2019 et on se dit qu’il y a encore du chemin à faire… Pourquoi ? Parce que quelle que soit la date, on trouve toujours un homme un peu moins ouvert que les autres, méprisant la gente féminine et le lui faisant savoir par des paroles ou des actes déplorables ….

J’ai été d’abord surprise par la construction de ce recueil, et par le fait que je n’avais pas tout de suite les réponses à mes questions. De plus, cette approche « fractionnée » m’interrogeait, je me demandais quel en était l’intérêt. Puis je suis entrée totalement dans l’histoire et j’ai attendu que tout s’éclaire. J’ai vraiment apprécié cette lecture atypique, bien traduite (merci à Anna Postel) avec des personnages féminins originaux, qui ont du courage et qui osent. Ça fait du bien ! L’atmosphère de chaque intervalle temps est bien retranscrite sans anachronisme.  Ce nouveau titre de Camilla Grebe est donc excellent !


"Métronome - L'Histoire de France au rythme du métro parisien" de Lorànt Deutsch

 

Métronome - L'Histoire de France au rythme du métro parisien
Auteur : Lorànt Deutsch
Éditions : Michel Lafon (3 septembre 2009)
ISBN : 978-2749910116
380 pages

Quatrième de couverture

Ne redoutez pas un guide pontifiant, Lorànt Deutsch nous livre ses découvertes dans un ouvrage qui lui ressemble : rapide, ludique et imprévu. Saviez-vous que la Lutèce des origines ne se situait pas à Paris, mais à Nanterre ? Que les corps des derniers combattants gaulois massacrés par les Romains sont enfouis sous la tour Eiffel ?

Mon avis :

Un livre lu sur plusieurs semaines, en prenant le temps de la découverte, le temps de la recherche de photos des sites ou adresses évoqués. Un livre lu au rythme de la marche même si le déplacement se fait en métro.

Lorànt Deutsch est formidablement documenté et sait nous transmettre ses connaissances d’une façon ludique et surprenante. A ses côtés, on revisite Paris et son histoire. On a envie de repartir dans les rues de la capitale le livre sous le bras, l’appareil photos autour du cou.

Chaque station de métro est prétexte à « une page d’histoire », récit d’événements régulièrement éclairés par des encadrés en italiques donnant des précisions : origine d’un mot, devenir d’un monument etc … parfois même avec une pointe d’humour: « Sachez que le Pont Neuf, achevé en 1607, n’est pas le neuvième pont de Paris mais le cinquième, et ce n’est pas le plus neuf, mais le plus ancien, vous suivez ? »

Les itinéraires décrits sont détaillés : numéros de rues, noms, présence d’une cour intérieure, comparaison entre le « visage » d’hier et celui d’aujourd’hui …

Lire ce livre, avec à portée de main, un plan de Paris, peut être intéressant pour se situer rapidement ...
Chercher les photos des lieux dont l’auteur parle aussi … d’ailleurs, ce livre aurait pu être complété par une « galerie photos » avant-après …

Que l’on soit parisien ou pas, ce livre est d’un abord facile, Lorànt Deutsch a su se mettre à notre portée pour faire dérouler l’histoire de Paris comme un jeu de piste. Bravo à l’auteur !

 


"L’enfant de Février" d'Alan Parks (February’s Son)


L’enfant de Février (February’s Son)
Auteur : Alan Parks
Traduit de l’anglais (Ecosse) par Olivier Deparis
Éditions : Payot & Rivages (5 Février 2020)
ISBN : 978-2-7436-4949-4
412 pages

Quatrième de couverture

À Glasgow, le 10 février 1973, le corps mutilé de Charlie Jackson, étoile montante du football professionnel, est retrouvé sur le toit d’un immeuble en construction. En outre, on peut lire « Bye bye » sur son torse. L’œuvre d’un dingue ? Pourquoi pas, mais la balle qui lui a traversé le crâne fait penser à une exécution. Le jeune homme devait épouser Elaine, la fille de Jake Scobie, un gros bonnet du trafic de drogue. Et le meurtre a peut-être pour mobile la jalousie….

Mon avis

Noir comme un ciel d’orage en hiver

Glasgow, Février 1973, neige, froid, brouillard, pluie, humidité, brr il ne fait pas bon se promener en ville. C’est une cité aux deux visages avec des quartier sur fond de drogue, d’alcool, de prostitution et d’autres coins plus chics. Ambivalence que l’on retrouve chez Harry McCoy, le personnage principal, un policier au passé plus que sombre. Il peut être violent, mais aussi terriblement humain, comme si le bien et le mal se disputaient en permanence au fond de lui. 

Il arrive à la fin de ses trois semaines de repos lorsqu’il reçoit un appel de Murray, son supérieur au boulot. Il doit se rendre sur une scène de crime. Un talentueux footballeur a été assassiné. Double crime en quelque sorte, le jeune homme était la star du club de Celtic et il était en couple avec Elaine Scobie, gros manitou local de la drogue. Alors ? Qui et pourquoi ? Il va falloir la jouer fine. Les supporters vont mettre la pression pour avoir un coupable et le père d’Elaine ne restera pas en reste, voulant comprendre pourquoi son futur gendre a été assassiné, qui plus est, dans des conditions particulièrement atroces.

Murray demande donc à McCoy et à son jeune adjoint Wattie de mener l’enquête, rappelant que tout doit se faire avec diplomatie, vu les milieux dans lesquels ils vont investiguer, ce qui est parfois très difficile pour MacCoy, un peu brut de décoffrage. Parallèlement, un homme a été retrouvé pendu dans une église et cette histoire tracasse Harry…. Très rapidement, un présumé coupable est mis sous surveillance, mais rien ne va être aisé. McCoy jongle entre les différents faubourgs de la contrée et son visage, son aspect, son comportement se mettent alors en adéquation avec le lieu. Comme si ses fréquentations déteignaient sur lui. Il connaît d’ailleurs un malfrat, Stevie Cooper, depuis qu’ils sont enfants. Ce dernier peut donner des tuyaux à McCoy mais peut également se montrer dur, voire plus avec lui, jouant de sa toute-puissance. Et puis flic et caïd, est-ce un bon binôme ? Il cherche, gratte, questionne, mais pas facile, même l’amoureuse éplorée ne paraît pas nette.

On va donc suivre, dans Glasgow, les diverses étapes de l’enquête sur une petite dizaine de jours. L’atmosphère et l’environnement sont deux atouts importants de ce roman, on visualise, on sent les odeurs, on entend la musique, les chants, les rires gras ou forcés, on voit les uns et les autres déambuler, fouettés par le vent et la pluie, dans les rues mal éclairées, heurtant des gens qui passent par là….bonnes ou mauvaises rencontres, c’est selon le moment….

On sent que les enquêteurs marchent sur un fil, qu’ils ne sont pas à l’abri d’un faux pas, surtout avec l’impulsivité de McCoy et son penchant pour la bière et la drogue…. Ils doivent sans arrêt réfléchir à la façon d’aborder les personnes qu’ils vont interroger pour essayer d’en tirer le meilleur. Mais le mensonge, la corruption, la dissimulation sont comme une seconde peau pour la plupart d’entre eux et ils sont capables de dire tout et son contraire dans la minute suivante se moquant des policiers.

J’avais beaucoup aimé « Janvier noir » du même auteur, « L’enfant de Février » offre une écriture et un style qui ont monté en puissance, des protagonistes qui se sont étoffés. Tout est plus abouti, plus profond, plus dur aussi pour le lecteur qui, à la toute fin, se retrouve pantelant dans son canapé. Alan Parks a su aller plus loin, en s’enfonçant dans les âmes torturées des hommes et des femmes qu’il présente. C’est noir, glauque et très addictif ! J’en redemande ! On est bientôt en mars, non ?


"Les chroniques extraordinaires d’Amédée Pan - Tome 1 : Un vent de fronde" de Virginie Singeot-Fabre


Les chroniques extraordinaires d’Amédée Pan - Tome 1 : Un vent de fronde
Auteur : Virginie Singeot-Fabre
Éditions : Faute de Frappe (20 Janvier 2020)
ISBN :9782956346081
160 pages

Quatrième de couverture

Prenez un garçon timide et rêveur. Faites-le voyager grâce à une faille spatio-temporelle incroyable, propice à de folles et périlleuses aventures… Telle est l’histoire d’Amédée Pan. Plongé au coeur de la Fronde, en 1652, il devra rivaliser d’ingéniosité et de courage pour aider Elise, une jeune révolutionnaire dont les parents ont été enlevés.

Mon avis

Nous sommes en 2080, Amédée est arrivé à un âge vénérable et sans doute a-t-il besoin de se confier…. Avec lui, nous remontons le temps et arrivons en Octobre 2019, dans sa classe de cinquième où le professeur principal annonce une sortie scolaire à Paris la semaine suivante. Amédée est peu motivé, c’est un adolescent timide, avec un prénom pas facile à porter. Un peu en marge de ses camarades, il se lie peu, n’est pas très courageux et ne fréquente personne en dehors des cours. Mais il n’a pas bien le choix et va partir en visite avec les autres élèves. Il essaie de s’intéresser à ce qu’il voit dans les différents lieux et finit par être fasciné par le Pendule de Foucault accroché au Panthéon. Il prend un mauvais coup et paf, le voilà en 1652, au temps de la Fronde, de Mazarin et de Louis XIV. Il a voyagé dans le temps !

Toujours à Paris, mais à l’époque de la Fronde, période de troubles graves pour les français, il rencontre Elise et va l’aider, d’abord à coller des affiches puis à libérer ses parents qui ont été emprisonnés. Le récit de leurs péripéties, ancrée dans un contexte historique intéressant, est mené avec brio par l’auteur. Elle sait retranscrire leurs aventures sans anachronisme (à part quelques lapsus verbaux bien compréhensibles (et voulus par l’auteur) d’Amédée et qui apportent une note humoristique). Le décor, les conditions de vie, les faits historiques, tout est en adéquation. C’est vivant, fluide et ça se lit bien. Une chose très positive à mon avis, c’est que Virginie Singeot-Fabre utilise un vocabulaire abordable, sans être mièvre, tout à fait adapté à l’âge de jeunes lecteurs. Elle a su mettre en scène deux adolescents, attachants ce qui permettra aux filles et aux garçons d’avoir du plaisir avec cette lecture.

Ce livre est pleinement réussi et même si je suis une dame maintenant, je retrouverai volontiers mon âme d’enfant pour lire la suite des chroniques extraordinaires d’Amédée Pan !

"L’espion inattendu" d'Ottavia Casagrande (Quando si spense la notte)


L’espion inattendu (Quando si spense la notte)
Auteur : Ottavia Casagrande
Traduit de l’italien par Marianne Faurobert
Éditions : Liana Levi (6 Février 2020)
ISBN : 979-1034902262
272 pages

Quatrième de couverture
La narratrice de ce livre est la petite-fille de Raimondo Lanza di Trabia, qui fut, pendant les neuf mois qui suivirent le début de la Seconde Guerre mondiale, l'espion de confiance de Galeazzo Ciano, ministre des Affaires étrangères et gendre de Mussolini. Sa mission ? Mener une bataille secrète contre l'entrée en guerre de l'Italie aux côtés du Reich.

Mon avis

Soixante-dix ans après les événements qu’elle nous relate, Ottavia Casagrande, en collaboration avec sa mère, Raimonda Lanza di Trabia, a choisi de présenter dans ce roman atypique, l’histoire vraie de son grand-père, Raimondo.

Prince, charmeur, espion, il était les trois à la fois et vivait tout conjointement. C’est Galeazzo Ciano, ministre des affaires étrangères et gendre de Mussolini qui lui avait confié une mission de taille : empêcher l’Italie d’entrer en guerre (nous sommes début 1939 et Raimondo arrive des Etats-Unis où il est allé glaner des informations sur une arme réputée dangereuse…. ).

Né hors mariage, cet homme a toujours eu une vie hors du commun. Il est décédé à trente-neuf ans dans des circonstances mystérieuses, même si certains parlent de suicide. Pour ce récit, l’auteur a puisé dans différents témoignages (dont celui de la fille de l’espionne anglaise qu’il avait séduite), archives et écrits jusqu’à la rédaction dans une mise en forme très vivante, d’un roman relatant la tâche principale du Prince. Comment mener à bien cette fonction ? Jouer sur tous les tableaux, faire le caméléon, manipuler, tricher, et avancer …
Une rencontre improbable le met face à une certaine Elisabeth White, qui en réalité s’appelle Cora et est une espionne anglaise …. La séduction s’installe entre ces deux-là mais est-ce parce qu’ils se plaisent ou tout simplement pour obtenir plus facilement des informations à divulguer à leur gouvernement respectif ? Nous allons les accompagner dans leurs aventures, qui, si elles n’étaient pas véridiques, pourraient paraître totalement rocambolesques.

C’est avec une écriture fluide, vive (merci à la traductrice), que nous suivons Raimondo, avec ou sans Cora, confronté à différentes péripéties. C’est digne des plus grandes histoires d’espionnage et on pourrait en faire un très bon film. Que ce soit à Rome, dans le Tyrol ou Angleterre, le couple essaie d’échapper aux poursuites, de se faire oublier pour mieux rebondir ailleurs. L’un et l’autre (surtout lui, d’ailleurs) ne manquent pas d’imagination, ni de caractère pour faire face aux obstacles disséminés sur leur route. Parfois, des passages en italiques ajoutent un commentaire, un éclairage supplémentaire aux événements que l’on vient de découvrir. C’est Ottavia Casagrande dont les « interventions entendent combler les failles entre la réalité et la fiction, les faits et le récit, le passé et le présent. » (Extrait de conversation avec Ottavia Casagrande par les éditions Liana Levi). J’ai trouvé que ces lignes étaient très intéressantes, parfois simplement, pour resituer le contexte, permettre au lecteur de reprendre pied avec la réalité en se rappelant qu’il découvre une « histoire vraie ».

Raimondo est vraiment un personnage à découvrir ! Sa vie a été bien remplie, variée, endiablée, dangereuse mais amusante par certains côtés. Je me demande s’il se prenait au sérieux ou si ce qu’il vivait lui faisait l’effet d’un immense jeu de rôle ? Quant à Cora, on voit au fil des pages, son caractère s’affirmer, elle ose et arrive être plus retorse. Avec ce couple, on découvre un pan de l’Histoire italienne. On ne se rend pas forcément compte de tout ce qui se passe au niveau des luttes de pouvoir et ce recueil permet d’entrapercevoir la face cachée de certaines décisions, ce qu’il y a sous la surface des faits.

Cette lecture a été très agréable, j’ai apprécié de suivre la vie de cet « espion inattendu » et il aurait été dommage que l’auteur ne se lance pas dans l’aventure de ce recueil qui nous permet de mieux connaître son grand-père. Elle a su parfaitement « agencer » les différentes parties et a adopté un phrasé limpide et accrocheur qui correspond bien à ce genre de roman.

"Les abattus" de Noëlle Renaude


Les abattus
Auteur : Noëlle Renaude
Éditions :  Payot & Rivages (12 Février 2020)
ISBN : 978-2743649630
415 pages

Quatrième de couverture

Un jeune homme sans qualité relate ses années d’apprentissage entre 1960 et 1984 dans une petite ville de province, au sein d’une famille pauvre et dysfonctionnelle. Marqué par la poisse, indifférent au monde qui l’entoure, il se retrouve au centre d’événements morbides.

Mon avis

Les vivants (1960-1983), les morts (1982-1983), les fantômes (2018), voici les trois parties qui constituent ce roman. La plus grande sera la première, la plus petite, la dernière. J’ai été totalement conquise par ce livre. Le phrasé, l’approche des situations m’ont beaucoup plu. La forme est singulière avec beaucoup de dialogues en style indirect. Cela donne plus de recul sur ce qui est présenté, expliqué. Le lecteur assiste, impuissant, aux différents événements et cette façon d’écrire va très bien avec le contenu.

Dès le début, c’est un jeune garçon qui prend la parole, qui raconte sa vie, dans son foyer avec toutes les difficultés dues au manque d’argent, aux problèmes rencontrés tels le chômage, la maladie, la violence familiale…. Rien ne lui est épargné. Sa vie n’est pas aisée, il essaie d’avoir des amis mais quand on vit dans un milieu « pauvre », on ne peut pas fréquenter n’importe qui… Le plus dur pour lui, c’est que parfois, il ne peut pas choisir, c’est la vie qui le fait pour lui, des rencontres qui s’imposent, envahissant de temps à autre son quotidien, l’emmenant là où il ne serait pas forcément allé…. Il y a en toile de fond, sa vie, faite un peu de bric et de broc, sa survie quand il n’a plus rien à quoi se raccrocher… et en filigrane, des actes violents qu’on ne connaît pas dans le détail, qui ne sont pas décrits, mais qu’on sent, là, sous-jacents. C’est très bien intégré au récit, ça en fait partie mais presque « en douceur »…. C’est une narration subtile, avec une approche poétique quelques fois. « Le ciel délavé par la chaleur est juste une plaque de fonte. »

J’ai été totalement conquise par l’écriture de Noëlle Renaude, elle a une force particulière, que je peine à expliquer. On dirait que beaucoup de choses sont « contenues » mais prêtes à exploser. Et ça se sent dans les phrases, dans les mots. Ils sont posés, puissants, porteurs de sens, entraînant le lecteur dans cet univers en demi-teinte où tout n’est peut-être qu’apparence … Cela crée une atmosphère étrange, où tout peut changer d’un moment à l’autre, tant la banalité de la mort fait partie de la vie…..et peut bouleverser, ou pas, la linéarité des jours …..
J’ai beaucoup apprécié la personnalité des différents protagonistes. Tous ont une part d’ombre, des tourments cachés, une particularité délicate à partager …. Le jeune homme et le flic sont les plus captivants, par ce qu’on apprend d’eux petit à petit, au fil des pages, découvrant ce qui a été tu. La construction en trois parties est également intéressante, les unes et les autres se complétant, s’éclairant jusqu’aux révélations finales.

Je ne connaissais pas les écrits de Noëlle Renaude, j’ai découvert qu’elle avait publié des pièces et que « Les abattus » était son premier roman. Il est vraiment abouti, réussi, surprenant, abordable tout en restant dans un registre d’expression qui flirte avec le théâtre tant les scènes décrites sont « palpables » en peu de mots. Pour moi, c’est non seulement une magnifique découverte mais également un recueil que je n’oublierai pas de sitôt tant les personnages et le fond et la forme m’ont marquée.

"Moral turpitude" de Serge Mandaret


Moral turpitude
Auteur : Serge Mandaret
Éditions : Publishroom (10 avril 2018)
ISBN : 979-1023608328
330 pages

Quatrième de couverture

Moral turpitude, nom : terme anglophone désignant un acte ou un comportement qui viole gravement le sentiment ou la norme acceptée de la communauté. En droit pénal américain, désigne les délits financiers. Une banque internationale anonyme - « La Banque » - prend le contrôle d'une entreprise marseillaise de haute technologie, persuadée d'avoir mis la main sur une pépite. Celle-ci a décroché en Libye, du temps de Kadhafi, un contrat de défense conséquent et particulièrement juteux. À la chute du régime, le décor change et le contrat tourne au vinaigre. Du côté français, c'est la panique et chacun sort les rames. Il faut des boucs émissaires

Mon avis

Et le fusible est …..

Serge Mandaret est actuellement retraité mais il a côtoyé le monde de la finance de près. Après avoir été universitaire, haut fonctionnaire au Ministère de l’économie, il a aussi été cadre dirigeant dans de grandes entreprises internationales. Il maîtrise donc parfaitement les problématiques d’achat, vente et actions des grosses firmes. Et pas seulement, il est sans doute également très au fait des OPA (offre publique d'achat), manipulations de chiffres, export, import et contrats plus ou moins clairs (vous savez, ceux où un minuscule astérisque vous renvoie en bas de page vers un charabia illisible et difficilement compréhensible). Tout cela pour dire qu’il sait de quoi il parle.

Choisir, comme toile de fond d’un roman, d’évoquer le monde de la finance et des banques n’est pas aisé. On peut légitimement se demander si le propos ne va pas être réservé aux initiés, avec un langage totalement hermétique aux autres, le tout assorti d’événements incompréhensibles pour qui ne travaille pas dans ce milieu. Et bien, je vous rassure tout de suite, ce récit est très clair. L’auteur a su mettre à la portée de tous les déboires des différents protagonistes sans que jamais on perde pied. De plus, c’est tellement bien construit, bien écrit, avec du rythme et des rebondissements, qu’on n’a qu’une envie : connaître la suite. Il faut dire que Véronique, malgré un faux pas maladroit, est une jeune femme intéressante à suivre.  Elle est attachante, elle aime son boulot, se bat pour réussir, ne refuse jamais une mission….

La voilà choisie pour une promotion et elle est satisfaite. Bien sûr, elle aura beaucoup à gérer, elle devra parfois se déplacer, agir délicatement pour ne pas braquer les clients, décrocher des contrats, des signatures, etc… mais elle se sent assez forte alors elle dit oui… d’ailleurs, elle n’a pas vraiment le choix… La nouvelle « affaire » dont elle est responsable est un contrat en Libye. Tout irait bien si le régime libyen ne s’écroulait pas, remettant en cause tout ce qui a été signé. C’est la catastrophe et pour sauver les meubles, il faut prendre des décisions. Choisir Véronique comme fusible et la mettre responsable est bien pratique. Procès, diffamation dans les médias et sur place, rien ne lui sera épargné et nous allons suivre son combat.

L’auteur a su présenter le milieu de l’économie sans être assommant ni ennuyeux. Son histoire est captivante. Il a réussi à mettre à la portée d’un lecteur lambda une présentation très claire de ce qui se passe dans les banques et les entreprises. Lorsqu’il parle du journal Mediaglobe, je n’ai pas pu m’empêcher de faire le rapprochement avec Mediapart….
J’ai beaucoup appris en lisant cet opus. Le vocabulaire choisi, la façon de présenter les différentes situations, tout est exposé nettement. De plus, d’autres sujets importants sont abordés, l’ambition qui pousse certains à faire n’importe quoi, la gestion de l’activité professionnelle qui déborde parfois sur le couple, les relations au bureau, l’honnêteté des uns et des autres, le rôle (de temps à autre malsain) des médias, les amis qui se détournent quand on est dans l’….

Je suis entrée très facilement dans cet univers que pourtant je connais mal. Le phrasé de qualité m’a immédiatement accrochée. Je n’ai senti aucun temps mort et j’ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture.

"L'américaine" de Catherine Bardon


L’américaine
Auteur : Catherine Bardon
Éditions : Les Escales
ISBN : 978-2365694445
480 pages

Quatrième de couverture

Septembre 1961. Depuis le pont du bateau sur lequel elle a embarqué, Ruth tourne le dos à son île natale, la République dominicaine. En ligne de mire : New York, l'université, un stage au Times. Une nouvelle vie... Ruth devient très vite une véritable New-Yorkaise. Mais Ruth, qui a laissé derrière elle les siens dans un pays gangrené par la dictature où la guerre civile fait rage, s'interroge et se cherche. Qui est- elle vraiment ? Dominicaine, née de parents juifs autrichiens ? Américaine d'adoption ?

Mon avis

Ce deuxième livre de la série « Les Déracinés » reprend le même principe. A savoir, suivre des personnages attachants dont le quotidien est ancré dans un contexte historique qui sert de toile de fond.

J’ai eu du plaisir à retrouver Ruth et sa famille, à voir comment chacun évolue au fil du temps, en lien avec les événements décrits. Le récit est un peu plus « prévisible » que dans le tome 1, sans doute parce qu’il y a moins l’effet de surprise mais ça reste intéressant, notamment parce que les faits évoqués, en lien avec l’actualité de la période choisie, permettent de revisiter l’Histoire. Ces personnes juives, autrichiennes d’origine, qui ont atterri en République Dominicaine, ont eu du courage, car il en fallait pour accepter de renoncer au rêve premier qui était de s’installer aux Etats-Unis. Je serai curieuse de connaître combien se sont sentis adoptés par cette terre d’accueil, combien se sentent encore un peu déracinés car le passé de leurs ancêtres est ailleurs ?

Cela soulève d’ailleurs des questions sur notre vie. Quel est le poids du passé dans notre construction personnelle ? Comment avancer en pays inconnu ? Comment garder ce qui fait notre histoire, nos mœurs tout en s’adaptant pour ne pas se démarquer ?

Ruth, que nous accompagnons dans ce roman, s’interroge souvent, elle se demande qui elle est. Bercés par l’écriture fluide, agréable, de Catherine Bardon, nous marchons avec elle, sur le chemin qui la mène à être elle et pas celle que d’autres voudraient qu’elle soit. Mais la route n’est pas aisée….et les surprises plutôt nombreuses. Cela permet de garder un bon rythme et de maintenir l’attention du lecteur, offrant une lecture plaisante.


"L’obsession" de James Renner (The Man from Primrose Lane)


L’obsession (The Man from Primrose Lane)
Auteur : James Renner
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Caroline Nicolas
Éditions: Pocket (12 Mars 2015)
ISBN : 9782266250559
576 pages 
  
Quatrième de couverture

L'homme de Primrose Lane : on ne lui connaissait pas d'autre nom à Cleveland, Ohio. Sans famille ni amis, il vivait reclus et sortait toujours pourvu de moufles – été comme hiver-. Quant à son assassinat brutal, il ne devait qu'obscurcir le mystère... Un sujet idéal pour le célèbre écrivain David Ness, qui sait pourtant ce qu'il en coûte de se laisser gagner par l'obsession. Il y a quatre ans, pour un livre-enquête qui fit sa gloire et mit un serial killer en prison, il ignora les signes avant-coureurs du suicide de sa femme. Mais cette nouvelle affaire le concerne de près, bien trop près, pour ne pas le replonger dans la folie. Encore et encore...

Mon avis

« J’ai laissé mon obsession consumer mon âme »

Trois parties, constituées d’épisodes et entrecoupées de courts interludes  composent ce roman atypique et surprenant.
Tout commence de manière tout à fait classique, un bon polar, avec les codes du genre, qui nous entraîne à la suite d’un homme dont la femme s’est suicidée, à la recherche de la vérité. Dès les premières lignes, on est  accroché et on a soif de comprendre.
Le personnage principal, un écrivain veuf qui élève son fils seul est accro à la Rivertin, un antidépresseur puissant car il souffre de stress post traumatique et d’anxiété, de là à dire qu’il n’est pas toujours dans le réel et que sa santé mentale est défaillante, il n’y a qu’un pas….  D’ailleurs, lorsqu’il décide d’arrêter ce médicament trop fort et de commencer un sevrage,  il lui arrive de ressentir des sensations bizarres, de se croire possédé et d’imaginer entendre des voix… mais tout cela est dû à sa psychose et il se soigne n’est-ce pas ?

La première partie du roman est plutôt traditionnelle, bien écrite et prenante.  On accompagne ce pauvre homme dans sa dépression puis dans son sursaut d’orgueil pour réagir et on attend de voir comment il va s’en sortir. Le présent et le passé s’intercalent, l’un expliquant l’autre. Et puis, voilà un interlude, bizarre, mais court, donc on l’oublie assez vite même si on se demande en quoi il peut bien être relié au reste de l’intrigue.

Bienvenue dans la deuxième partie de cet opus ! Là, vos certitudes, vos repères volent en éclats… Vous repartez en arrière de quelques pages… Auriez-vous raté quelque chose ? Oublié un détail ? Lu trop vite ? Etes-vous à la même époque, dans le réel ou l’imaginaire, dans le monde contemporain ou dans les souvenirs des personnages ?
« Et nous sommes censés croire qu’un homme que sa propre thérapeute a prévenu qu’il risquait de confondre la réalité et la fiction…. Nous sommes censés croire que cet homme recherchait la vérité ? »
On s’interroge, comment l’auteur va-t-il retomber sur ses pieds ? Nous expliquer tout cela ? On est désarçonnés mais toujours captivés, ensorcelés par le contenu. On continue de lire, persuadés que tout va s’expliquer, que la logique va refaire son apparition et qu’on rira de s’être laissés manipuler pendant quelques paragraphes….

Ce livre nous parle d’effet papillon, (« Un simple battement d'ailes d'un papillon peut-il déclencher une tornade à l'autre bout du monde ? »), de la chute des dominos qui entraîne des effets calculés ou pas, de rédemption, d’amour, de volonté de découvrir la vérité jusqu’à l’obsession….  James Renner aborde ces sujets d’une façon originale, promenant le lecteur entre différents individus tous reliés par un fil ineffable …. Chacun d’eux a des idées fixes, des obsessions qui le hantent, qui régentent son quotidien, le coupant parfois du monde et de ses familiers, peut-être au risque de se perdre, de les perdre …. Cela les « nourrit » et les fait exister.

« C’est une perversion, ça relève d’un besoin de contrôle ».

L’écriture est vive, les dialogues pointus, on réalise très vite que chaque mot, chaque événement, chaque détail a son importance, comme lorsqu’un immense puzzle se met en place sous nos yeux, dévoilant un paysage auquel on n’avait pas forcément pensé. Les mises en abyme sont habilement menées, pensées  avec intelligence et révélatrices d’une excellente réflexion de l’auteur en amont.

J’ai littéralement dévoré ce livre, me demandant régulièrement comment l’auteur allait être amené à écrire le mot fin (même si, comme d’habitude, je l’avais lue en premier). Je dois souligner que le côté inhabituel du texte m’a agréablement surprise, je ne me suis pas ennuyée et j'ai pris beaucoup de plaisir à la lecture.

"La machine à brouillard" de Tito Desforges


La machine à brouillard
Auteur : Tito Desforges
Éditions : Taurnada (13 Février 2020)
ISBN : 978-2372580687
217 pages

Quatrième de couverture

Mac Murphy est un soldat d'élite. Mac Murphy est fort. Mac Murphy est dur. Mac Murphy est fou. Mac Murphy trimbale dans sa tête une épouvantable machine à brouillard qui engloutit ses souvenirs, sa raison et l'essentiel de son âme, morceau après morceau. Quand les habitants de Grosvenore-Mine, ce village perdu dans les profondeurs de l'Australie, se hasardent à enlever la fille de Mac Murphy, ils ne savent pas à quel point c'est une mauvaise idée.

Mon avis

Avais-je revécu des souvenirs ou bien inventé des songes ?

La couverture de ce roman m’a tout de suite attirée. Elle est sobre. Elle donne l'idée que quelqu'un est prisonnier mais de quoi? de sa vie? de ses envies? de ses peurs? d'autres personnes? En fait, elle ouvre de multiples possibilités ...

Et puis, j’ai fait connaissance avec Mac Murphy. Il a été soldat avec des états de service remarquables. Affecté à la base secrète de Chu Mon Rai en territoire cambodgien, il fut d’ailleurs le seul survivant après une attaque.  Mais traumatisé par divers faits, il a été mis « au repos forcé » parce qu’il ne pouvait plus être militaire.  On le retrouve face à un docteur, qui l’interroge et à qui il explique ce qu’il a vécu avant d’arriver vers lui. On voit bien que ses séances sont difficiles tant dans la forme que dans le fond de ce qui est évoqué. Tous les deux ne se comprennent pas, parfois, souvent, leurs avis divergent, leurs interprétations des situations ne sont pas les mêmes. Ce qui ressort de ces dialogues, c’est la grande souffrance de Mac Murphy. Il raconte son passage à Grosvenore-Mine, dans le bush australien où sa fille a été enlevée par les habitants. Parfois, il perd pied, il cherche ses mots, le brouillard envahit son esprit. Il ne sait pas il ne sait plus. Les lieux se mélangent, il confond le nom des gens, il ne s’en rappelle pas, il s’énerve de perdre pied, il s’en rend compte, il sait qu’il a ce trouble et ne supporte pas d’être dans cet état …  Le fossé d’incompréhension qui le sépare du docteur s’élargit de plus en plus ….

Ce roman est parfaitement dosé au niveau des aspects : passé /présent. La construction est originale, on lit les entretiens entre le patient, le médecin et son adjoint ainsi que d’autres pages où Mac Murphy prend la parole et narre à la première personne ce qu’il a vécu. La présentation sous forme de discussions permet de ne pas avoir de passages qui sembleraient longs sur le pourquoi du comportement du père. L'explication finale est très claire. Les différentes références sont astucieuses et bien pensées et apportent un plus à l’ensemble car, au fur et à mesure, toutes les pièces du puzzle s’emboîtent.

L'écriture est « musclée », elle a du rythme, un bon tempo. Le phrasé de Tito Desforges m’a pris aux tripes. Il a su m’attraper le cœur en m’emmenant au plus près de la souffrance de cet homme, père avant toute chose. J’étais pratiquement prête à lui pardonner ses coups de sang, ses coups de gueule, ses coups de folie…. Parce que, finalement, ce qu’il formule, c’est un immense cri d’amour pour sa petite.

C’est un récit qui m’a bouleversée, j’ai touché du doigt la solitude et la douleur de cet homme, ses angoisses, ses peurs les plus profondes, j’ai essayé de me protéger pour que son brouillard ne m’envahisse pas mais j’aurais tellement voulu lui apporter la paix….et lui tenir la main….




"La balance" de Jimmy Breslin (The Good Rat)


La balance (The Good Rat)
Grandeur et décadence d’un gangster
Auteur : Jimmy Breslin
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Souad Degachi et Maxime Shekkedy
Éditions : HarperCollins (12 Février 2020
ISBN : 979-1033904748
288 pages

Quatrième de couverture

Père, homme d’affaires, escroc, voleur : Burton Kaplan est tout sauf un mouchard. En neuf ans d’emprisonnement, il n’a jamais craqué. Mais lorsque le procès des deux flics corrompus lors duquel il est appelé à comparaître débute, coup de théâtre : Kaplan sort du silence et déballe tout sur ses activités au sein de la mafia newyorkais.

Mon avis

Jimmy Breslin (1928-2017) était journaliste et romancier. Surtout connu pour ses enquêtes sur la mafia, il ne pratiquait pas la langue de bois. Il a même reçu des coups par Jimmy Burk, un gangster irlando-américain qui lui reprochait un article où il était mis en cause avec son clan et ses relations.

Dans ce livre, l’auteur parle de la mafia à New-York et de faits réels avec le procès de de deux détectives du NYPD où Burton Kaplan, un gangster de grande envergure est appelé en tant que témoin. Celui-ci n’avait jamais, en neuf ans d’emprisonnement, dit un seul mot sur ce qu’il savait et, devant les juges, il s’est lâché. Des révélations fortes, surprenantes et un déballage qui en a déstabilisé plus d’un.  C’est ce compte-rendu, assorti d’extraits réels de l’interrogatoire par le procureur adjoint que nous relate l’auteur. En lien avec les interrogatoires, Jimmy Breslin retrace la vie de ce voyou et celles des deux policiers corrompus, glissant ça et là quelques souvenirs personnels et d’autres informations sur les hommes de l’ombre (ceux de la mafia) et sur certains d’eux qui valent le détour, tant ils sont « des personnages ».

Au début du livre, on a une liste (bien utile) de toutes les personnes apparaissant dans le texte, éventuellement avec quelques mots pour les « situer ».

C’est un récit très intéressant mais pas facile à lire, car ce n’est pas un roman. De ce fait l’écriture paraît très « journalistique », factuelle, détachée, sans émotion, ce qui est normal mais pour le lecteur, c’est moins aisé car il ne peut pas se sentir vraiment concerné. Il faut lire ce recueil comme un reportage, celui qui relate les déboires du milieu, les liens entre les clans, la place de la police de New-York (pas toujours très claire) et le début de la décadence pour la mafia. Finalement, on s’aperçoit que les mafieux sont des hommes comme les autres, avec des sentiments, une vie, que de temps à autre, ils doivent mettre entre parenthèses.

Malgré le phrasé « flegmatique », un peu impersonnel, on apprend beaucoup et on réalise que la corruption en Amérique, c’est quand même quelque chose, un monde à part, plus ou moins maîtrisé, plus ou moins médiatisé. J’ai découvert que les hommes de la mafia étaient finalement confrontés aux mêmes problèmes que le commun des mortels. L’histoire de la vente des costumes m’a beaucoup amusée. On se rend compte que tout puissants qu’ils sont (ou croient être), ils n’en sont pas moins humains avec des failles, des faiblesses et une part d’humanité, même infime…. Il y a même des passages où l’on sourit parce que certaines situations sont décrites avec dérision ou humour (la sélection des jurés est, entre autres, un pur régal). Finalement, même s’il m’a fallu un peu de temps pour entrer dans ce livre, je l’ai bien apprécié et j’ai découvert des aspects surprenants de la mafia (suivant la « cote » du mafieux, la presse écrite et les journaux qui parlent de lui se vendent plus ou moins bien) et même de Jimmy Breslin (ne faudrait-il pas écrire une biographie sur cet homme, totalement atypique dans son genre ?)



"L’escalier du diable" de Dean Koontz (The Crooked Staircase)


L’escalier du diable (The Crooked Staircase)
Auteur : Dean Koontz
Traduit de l’américain par Sebastian Danchin
Éditions : L’Archipel (6 Février 2020)
ISBN : 978-2809827798
440 pages

Quatrième de couverture

Luttant contre l'étrange épidémie de suicides qui a emporté son mari, Jane Hawk est devenue la fugitive la plus recherchée des États-Unis. Tant par le gouvernement que par les responsables d'une confrérie secrète. Jane sait que le temps lui est compté. Que sa vie ne tient qu'à un fil. Mais, elle respire encore... Et une conspiration menace des millions d'êtres humains.

Mon avis

Semper fi

Ce roman est le troisième de Dean Koontz mettant en scène Jane Hawk. Son mari s’est suicidé et depuis elle se bat pour réhabiliter sa mémoire et prouver que cette mort n’a pas été « choisie » par son époux. Elle lutte corps et âme contre des personnes puissantes qui agissent dans l’ombre et tirent les ficelles d’une gigantesque manipulation visant à « programmer » les hommes pour qu’ils obéissent tels des robots. Ceci afin de récupérer tous les pouvoirs possibles, et devenir les maîtres du monde. Utopiste ?

Jusqu’où peut aller la folie des hommes ? C’est la question qu’on peut se poser en lisant ce récit qui fait froid dans le dos. Ce qu’envisage l’auteur n’est pas possible (enfin c’est ce que j’espère) actuellement mais rien en dit que dans le futur… Brrr…

Dans ce recueil, nous suivons trois aspects de l’intrigue en parallèle. Le quotidien de Jane, celui de son fils de cinq ans qu’elle a confié à des amis et celui de deux jumeaux écrivains. C’est intéressant car chaque côté ainsi présenté « nourrit » les autres et éclaire le lecteur sur les intentions des différents protagonistes.

Jane se bat donc pour enrayer l’action de ces « fous » mais elle est bien seule, poursuivie en permanence, devant lutter chaque instant pour rester en vie. C’est une femme pleine de ressources, opiniâtre, résistante et assez intuitive. Parfois, elle ne se méfie pas assez, elle se fait piéger mais elle finir par retomber sur ses pieds.

Les atouts de Jane sont les quelques amis vraiment fidèles et solides prêts à prendre des risques pour elle, capables de la soutenir. Elle peut également s’appuyer sur sa sagacité, sa finesse de réaction et sa volonté toujours intacte. Ses faiblesses sont son fils, et un peu trop d’impulsivité par moments. Cela crée un bel équilibre et elle est captivante (et épuisante ;- ) à suivre au fil des chapitres. Sa philosophie s’exprime avec ces quelques mots : « C’est l’instant qui compte. Demain devient aujourd’hui, et aujourd’hui devient hier. Je dois à mon petit garçon suffisamment d’aujourd’hui pour qu’il puisse disposer un jour d’un passé digne de ce nom. »
Je trouve ce « raisonnement » très sage, très courageux également, lorsqu’on on voit ce qu’elle vit.

Quand je lis Dean Koontz, je suis pratiquement en apnée, scotchée aux pages, le cœur battant, les mains moites. Son écriture et son style sont « diablement » efficaces, ne laissant que peu de répit. On est tout le temps sur la brèche, se demandant de quoi sera fait le chapitre suivant et on respire à peine. Ces romans sont prenants, sans temps mort, plein de rebondissements. Certains pourront reprocher le cliffhanger assez souvent présent en fin de chapitre mais cela maintient la pression, l’intérêt et donne, bien évidemment, l’envie de tourner la page. D’autres diront que l’auteur peut diluer et allonger la course contre la montre entre Jane et ses poursuivants et écrire encore de nombreux titres avec cette héroïne mais je peux les rassurer, je crois qu’il n’y en a plus que deux (vivement qu’ils soient édités en France) et personnellement, je serai ravie de retrouver Jane. Elle est devenue tellement familière que j’ai l’impression qu’elle existe ! (D’ailleurs, il était question d’une adaptation par la Paramount…) Cette lecture a été un très agréable moment et je vais attendre la suite avec impatience !




"Dévorer les ténèbres" de Richard Lloyd Parry (People Who Eat Darkness)


Dévorer les ténèbres (People Who Eat Darkness)
Enquête sur la disparue de Tokyo
Auteur : Richard Lloyd Parry
Traduit de   Paul Simon Bouffartigue
Éditions : Sonatine (6 Février 2020)
ISBN : 978-2-35584-796-7
528 pages

Quatrième de couverture

Lucie Blackman est grande, blonde et sévèrement endettée. En 2000, l'été de ses vingt et un ans, cette jeune Anglaise travaille dans un bar à hôtesses de Roppongi - quartier chaud de Tokyo - lorsqu'elle disparaît sans laisser de traces. Ses parents lancent alors une vaste campagne de mobilisation pour la retrouver. Bien vite, l'enquête des autorités japonaises devient sujette à caution: veut-on vraiment savoir ce qui s'est passé ?

Mon avis

Ce livre n’est pas un roman, c’est un récit, un compte-rendu d’enquête.

Richard Lloyd Parry est journaliste. Il était correspondant étranger, et se « reposait » au Japon (où il représente le Times) entre deux missions plus difficiles comme le Pakistan ou l’Irak. Dès le début de la disparition de Lucie Blackman, il a été fasciné par cette histoire. Il a suivi de près cette affaire et a rédigé de nombreux articles. Mais, il n’a pas pu en rester là, il a donc mené son enquête, espérant être celui qui la retrouverait…..

Dans ce recueil, l’auteur va d’abord prendre le temps de nous présenter la jeune femme. Lucie, 21 ans, couverte de dettes en Angleterre, est partie à Tokyo avec une amie. Pour quelques mois, afin de se remettre à flots. Toutes deux travaillaient dans un bar, où elles servaient de compagnie (de façon très chaste) à des hommes qu’elles essayaient d’inciter à dépenser beaucoup. Lucie avait été auparavant hôtesse de l’air. Pas vraiment en harmonie avec elle-même (dans son journal intime, elle dit qu’elle ne s’aime pas), elle essaie de faire face mais reste assez imprévisible. Un soir, elle fait un petit extra avec un client en dehors du club où elle travaille. Puis elle ne rentre pas. Sa compagne de chambre, Louise, s’inquiète mais elle reçoit un appel rassurant d’un homme qui signale que Lucie est entrée dans une secte et qu’elle demande qu’on la laisse vivre sa vie…. Cela lui semble bizarre et elle alerte la famille de sa copine.

S’en suivra une enquête, des recherches et après de longs mois, on retrouve l’homme avec qui elle avait passé la soirée, un certain Obara, pas net du tout, qui va être interrogé, suivi, accusé

Le journaliste va s’attacher à comprendre, à cerner, tout ce qui a été dit mais également tout ce qui a été tu. C’est impressionnant comme cette histoire a envahi son quotidien, à tel point qu’il diligentait des personnes pour assister au procès de Obara. Il a enquêté dans tous les milieux en lien avec cette disparition. Il est allé très loin dans ses investigations. Par l’intermédiaire de son récit, le lecteur découvre ce qui a amené Lucie à Tokyo, combien les rapports entre les membres de sa famille sont délicats. On se rend compte aussi que cette jeune femme avait une personnalité complexe, presque torturée parfois. Pour mieux saisir ce qu’il s’est passé, l’auteur nous emmène au cœur des mœurs japonaises (notamment la sexualité et le fait que les japonais sont à la fois attirés et apeurés par l’idée d’un mariage avec une occidentale), au plus près du fonctionnement de la police, de la justice et tout cela nous montre combien les repères sont différents lorsqu’on n’est pas dans son pays. Les parents de Lucie ne se positionnent pas de la même façon. Son père est à l’aise avec les médias, il en fait presque trop… Sa mère semble souvent en colère contre lui. Quant à Obara, dans quelques chapitres, on lit qu’il a un côté obscur, qui fait peur, qu’il est dangereux et on se demande comment Lucie a pu accepter d’aller avec lui ….  Était-elle manipulée, droguée ?

Richard Lloyd Parry a fait un travail remarquable. Je voudrais bien savoir comment son texte a été reçu au Japon car en filigrane, le déroulement de l’enquête, les méthodes, sont un peu écorchés.
Il a réussi à trouver un équilibre dans son compte-rendu entre la présentation de Lucie, la vie sur place, l’enquête, le procès, le portrait de l’accusé …. Il un ton très juste, il n’en rajoute pas, il reste factuel, il ne dramatise rien, il relate les faits et malgré tout il nous captive ce qui prouve que son écriture est prenante, son contenu intéressant puisqu’il réussit à maintenir l’intérêt de celui qui lit.

J’ai vraiment eu l’impression d’être de l’autre côté du miroir, au cœur des événements et de suivre ce journaliste pas à pas. Une belle réussite !

"La vie derrière soi" de Kerry Londsale (Everything We Left Behind)


La vie derrière soi (Everything We Left Behind)
Auteur : Kerry Londsale
Traduit de l’anglais par Pascal Aubin
Éditions : Amazon Crossing (4 février 2020)
ISBN : 978-2496700299
400 pages

Quatrième de couverture

Deux mois avant son mariage, James Donato disparaît en mer alors qu’il est à la poursuite de son frère Phil, coupable de blanchiment d’argent. Alors que sa famille le croit mort, James a en réalité été retrouvé sur une plage mexicaine, sain et sauf mais totalement amnésique. Six ans et demi plus tard, il vit sous une nouvelle identité : celle de Carlos Dominguez, veuf et père de deux garçons qu’il élève avec sa belle-sœur Natalya. Quand la mémoire lui revient subitement, James est accablé de découvrir que son ancienne fiancée, Aimée, a refait sa vie. Il fuit alors le Mexique pour la Californie, tandis qu’au même moment, Phil est libéré de prison et déterminé à retrouver son frère, car celui-ci a été témoin d’un événement qui pourrait le renvoyer derrière les barreaux.

Mon avis

En commençant ce roman, j’ignorais qu’il était la suite de « La vie dont nous rêvions » que je n’ai pas lu. Heureusement, la quatrième de couverture situe le personnage principal James, devenu Carlos. Un matin, il se réveille et tous ses repères sont envolées, plus rien ne lui « parle », il ne comprend pas où il est, ce qu’il fait. Car en retrouvant son ancien « moi », il a perdu le nouveau qu’il était devenu pendant six ans et demi. Pas facile pour lui, ni pour ceux qui l’entourent… D’autant plus que son frère Phli, va sortir de prison et sera certainement à ses trousses car James a été témoin autrefois de quelque chose….

C’est par un incessant va et vient passé présent/ Carlos James que l’intrigue se déroule. C’est parfois un peu difficile à suivre (à mon avis parce que je n’avais pas lu le premier titre de cette trilogie) parce que dans les deux « époques » des personnages différents apparaissent, d’autres sont les mêmes sans vraiment être pareils… Et au milieu, il y a ces deux enfants qui ne reconnaissent pas leur papa, qui voudraient que tout soit normal… Ils ont peur, ils sont mal, ils m’ont fait de la peine…

J’ai trouvé que cette histoire abordait des thèmes divers : le deuil, la perte d’identité, la construction de la vie, les relations familiales, le renoncement, l’équilibre amoureux, etc. C’est survolé mais ça reste présent, en fil conducteur.  Je regrette de ne pas avoir lu le titre précédent car je pense que je me serais plus attachée aux protagonistes alors que là, je suis restée en dehors….

"Les vieilles chouettes" de karine Gournay

 

Les vieilles chouettes
Auteur : Karine Gournay
Éditions : Fleur Sauvage (Octobre 2015)
ISBN: 9791094428108
152 pages 

Quatrième de couverture

Deux vieilles chouettes font les 400 coups. Un vieux loup en demande une en mariage. L'esseulée vite réagit. Parce que le loup a des secrets. Et que les chouettes sont cruelles.

Mon avis

Lorsqu’on les voit, sur la couverture, le doigt levé, un petit « oh » se dessine sur nos lèvres et on se demande ce qu’elles vont faire ces deux mamies…. Et bien de prime abord, comme ça, dès les premières pages, on sent qu’elles ne s’en laisseront pas compter et qu’il va falloir se méfier de leur air « bien propre sur elles ». 

C’est avec une écriture dynamique,  des titres bien pensés et un ton amusant que Karine Gournay nous entraîne dans le sillon de deux dames âgées  qui vivent à un rythme effréné. Elles sont débridées mais cachent bien leur jeu. Irrévérencieuses, parfois impertinentes, elles n’ont de limites que celles qu’elles se donnent.  Les voisins se méfient mais elles ont plus d’une corde à leur arc. Est-ce dû à l’expérience, la maturité ? Peu importe, elles vivent comme elles l’entendent….

Jusqu’à quel point peuvent-elles maîtriser leur destin et celui des gens qu’elles côtoient que ce soit la famille, les voisins ou les amis ? Peuvent-elles être comme les deux doigts de chaque main qu’elles tendent :, unis mais séparés ? On dit souvent que chez les jumeaux, il y a un dominant, un dominé. Qu’en est-il de nos deux vieilles chouettes ?

N’hésitez pas à faire leur connaissance, elles vous feront rire, sourire, grincer des dents et vous n’aurez qu’un souhait : que votre voisine, la vieille dame que vous connaissez depuis toujours ne devienne pas « une vieille chouette » quoique ….. certaines gagnent à être connues ………..

 

 

 

 

 

"Salicorne" de Martine Dufossé-Taravel

Salicorne
Auteur: Martine Dufossé-Taravel
Éditions: Les deux encres (8 Juillet 2011)
ISBN: 978 2 35168 397 2
220 pages

Quatrième de couverture

Une atmosphère. Une écriture. C'est d'abord ainsi que se caractérise ce roman aux couleurs de la presqu'île guérandaise. Son climat singulier tient aussi à l'histoire et au tempérament de son héroïne. Jusqu'où une femme d'aujourd'hui peut-elle se proclamer libérée ?... C'est pour répondre à cette question qu'elle tente, à un moment douloureux de son existence, de retrouver les notes de son carnet intime.

Mon avis

Vent debout....

C'est en alternant les réflexions personnelles et la relecture de son journal intime qu'Isabelle va faire le point sur sa vie, revivre son parcours. (La différence des polices de caractères permettra d'éviter toute confusion). 

La cinquantaine, le milieu du chemin (si Dieu nous prête vie...), l'occasion de se retourner et de se dire "Ai-je bien vécu, ai-je fait les bons choix?"

Bien sûr, ne pas regarder derrière soi permet (peut-être) de ne pas se poser de questions mais elles finissent toujours par surgir.... Et elles sont souvent douloureuses.... Quant aux réponses, veut-on vraiment en avoir? Les connaître? Ne vaut-il pas mieux se dire que de toute façon, les choses sont ainsi et qu'on n'y peut rien changer?

C'est à un long monologue d'Isabelle, son héroïne, que nous convie Martine Dufossé-Taravel.

On rentre dans ce livre comme dans une confidence murmurée, à pas feutrés, s'appropriant petit à petit les secrets, les non-dits de la vie du personnage principal.

Isabelle  pose des mots sur les faits, probablement pour les évacuer, mais est-ce suffisant pour tirer un trait?  Qu'on le veuille ou non, le passé colle au présent, il l'influence, il le conditionne en partie, l'un ne peut pas "vivre" sans l'autre....

"Au plus fort de l'orage, il y a toujours un oiseau pour nous rassurer. C'est l'oiseau inconnu. Il chante avant de s'envoler..."

Isabelle a un fort caractère, indépendante, un rien intrépide, elle aime la vie, la mer...

Seul l'océan l'apaise, lui ôte ses tourments momentanément. Dès le plus jeune âge, c'est vers lui qu'elle s'est tournée. Le seul à ne jamais la trahir?

La nature, la presqu'île guérandaise font partie intégrante de son quotidien. L'environnement lui semble en phase avec ses sentiments, comme s'il "épousait" ses états d'âme.... comme s'il la comprenait... 

C'est une histoire intime sans voyeurisme, on découvre une tranche de vie, très véridique.

 

"Coeur de prêtre, coeur de feu" de Guy Gilbert


Cœur de prêtre, cœur de feu
Auteur : Guy Gilbert
Éditions : Philippe Rey (12 Novembre 2010)
ISBN : 978-2848761732
348 pages

L’auteur 

Guy Gilbert est né en Charente Maritime en 1935, dans une famille ouvrière de quinze enfants. Prêtre-éducateur, celui qui proclame que " la rue est son église " aide quotidiennement des dizaines de jeunes en perdition. La Bergerie de Faucon, qu'il a restaurée en Provence, les accueille et leur offre la chance d'une nouvelle vie grâce à un encadrement compétent. Guy Gilbert est l'auteur d'une quarantaine de livres. Ses derniers ouvrages sont Apprends à pardonner et Lutte et aime, là où tu es!

Quatrième de couverture

"Si nous avons le cœur de Dieu, comme le disait le curé d'Ars, alors ce cœur de feu brûlera tout être, quel qu'il soit. " Depuis 45 ans, Guy Gilbert exerce son ministère de prêtre avec le même engagement, la même certitude : le Christ l'a appelé à se tourner vers les exclus, les brisés de la vie, ceux qui souffrent du manque d'amour. Son expérience d'une richesse considérable irrigue cet ouvrage où il s'interroge sur la mission du prêtre.
Qu'est-ce que la vocation ? Que signifient les trois promesses du prêtre : obéissance, pauvreté, chasteté ? Comment transmet-il les sacrements à ses fidèles ? Quel est son lien avec sa hiérarchie dans l'Eglise ? Que penser de la pédophilie chez certains prêtres ? Quel est le rapport du prêtre aux fulgurantes évolutions de la société moderne ? Peut-il préserver sa liberté ? Faut-il craindre la crise des vocations ? Quelle place pour les femmes dans l'Eglise ? Comment le prêtre vit-il sa solitude ?
Guy Gilbert répond en donnant de vivants exemples, d'éclairants récits. Le " vagabond de l'amour " nous fait part de ses joies et de ses déceptions, de son désir d'être toujours là pour les plus pauvres, de la force d'action que lui donne la prière. Et surtout de son bonheur d'être, à la suite du Christ et de ses apôtres, simplement prêtre, aujourd'hui.

Mon avis 

Premier prêtre des loubards, premier prêtre à porter un blouson en cuir noir (et pas n’importe quoi « un perfecto ») et à conduire une moto, premier prêtre aux cheveux longs, Guy Gilbert ne s’est jamais tu. Depuis toujours, il parle, se bat, accompagne ceux dont on croit qu’ils sont « fichus » pour la société.

Ce livre est sans doute l’un des plus personnels qu’il a écrit.

Il se confie, explique son cheminement et raconte combien la foi est son moteur.

Celui qui dit :

«On était pauvres, mais on possédait la plus grande richesse, celle d’être tous également aimés de nos parents. C’est cela qui m’a donné le désir d’aimer. »

Celui qui prie chaque matin :

« Donne-moi la force de transmettre l’amour. »

Est un homme qui a consacré sa vie aux autres.

Il ne renie rien des difficultés, des tentations diverses (de la chair ou autres…) mais il a été choisi et a souhaité vivre ainsi.

Quand il rencontre des jeunes qui disent vouloir être prêtre, en faire leur métier, il répond que non, on ne choisit pas d’être prêtre, on est appelé et on dit oui ou non. Ce n’est pas un métier mais une folle aventure. Il regarde parfois avec un sourire narquois les catholiques trop bien pensants, les magazines consacrés à la religion qui ne disent pas tout….

Lui, ne peut qu'être heureux en étant au service des plus démuni, des laissés pour comptes.

Il témoigne sur les cas désespérés, ceux qu'on oublie, ceux dont on pense que rien ne pourra les sauver.

Il nous parle des « lucioles » de l'Eglise, tous ces anonymes qui œuvrent en silence, dans l'ombre et que l'on n’évoque pas, car face aux « lumières » (Abbé Pierre, Sœur Emmanuelle …), les lucioles ne sont pas assez médiatiques.

Guy Gilbert, lorsqu'il prononce le Credo, le reformule pour qu'il soit « parlant » aux fidèles et à ce moment là, les gens adhèrent parce qu'ils comprennent.

C'est un prêtre qui a le verbe haut, qui s'exprime, qui rabroue les journalistes qui iraient trop loin (Mon Père est-ce que vous vous masturbez lui a demandé l'un d'eux....), qui ose aller au contact des démunis, des petits malfrats....pour leur dire que tout n'est pas perdu, que la vie est belle, qu'on peut avoir des jours meilleurs si on s'en donne la peine.

On peut croire ou ne pas croire en Dieu, avoir rejeté la religion car il y a trop de dogmes et qu'on ne se retrouve pas dans les « discours »…..

Mais on ne peut qu'admirer qu'un homme agisse ainsi pour son prochain, que ce soit pour lui au nom de Dieu, pour d'autres au nom de l'homme, l'important n'est-il pas de donner de soi pour un monde meilleur ?

"Coeur sacré de Christelle Saez


Cœur sacré
Auteur : Christelle Saez
Éditions : Koinè (29 Juin 2019)
ISBN : 979-1094828175
30 pages

Quatrième de couverture

Une histoire d’amour révèle un climat social, politique et culturel. L’être aimé est égyptien, l’être aimante est française. Deux êtres humains qui sont arrêtés, l’un sur l’autre. Tel un procès, deux voix se succèdent et nous bousculent.

Mon avis

« Je sais que les fleurs peuvent pousser entre les pierres. »

Elle l’aime, elle veut partir, le suivre, là-bas, loin. Mais sa mère ne l’entend pas de cette oreille. Alors, elle parle à sa fille, elle lui ressort les clichés connus, répétés, bassement racistes, les « tu ne seras pas heureuse là-bas, tu seras voilée, habillé de noir » etc… Elle crie, elle vocifère cette maman, parce qu’elle ne sait pas dire les choses. Elle veut mettre en garde mais elle l’exprime mal. Elle aime sa fille mais comment ? Est-ce que les parents ne doivent pas accompagner leur(s) enfant(s) vers le bonheur ? Cette femme en fait trop, en dit trop, par peur, c’est certain mais quelle maladresse de la montrer ainsi …. en envoyant des tonnes d’arguments qui tombent comme des logorrhées ….  portant en plus, une pointe de racisme …..

Et puis, d’autres voix s’élèvent. Elles racontent la rencontre, les difficultés quotidiennes, l’amour qu’il faut, parfois, souvent, cacher …. Mais qui se vit malgré tout….
« Je n’ai d’autre résistance
que d’aimer ta peau. »
Ces quelques mots suffisent à rappeler la force de l’amour, le poids d’un amour. Celui qui bouleverse, qui emporte tout sur son passage, qui habite, qui rend fort…. Mais ils expliquent également que malgré la volonté d’avancer, rien n’est aisé et il arrive que ce ne soit pas si facile de s’intégrer là-bas, loin, si loin de nos représentations, de nos habitudes….lorsque la religion n’est pas la même, les codes de vie non plus….

Cette pièce est magnifique, je ne l’ai malheureusement pas vue, mais je l’ai lue. Et c’est déjà très fort, alors avec la mise en scène, j’imagine…  Les mots de Christelle Saez percutent le lecteur en plein cœur, ils résonnent en nous, des scènes prennent vie dans notre esprit et tout cela nous bouscule, nous fait prendre conscience des obstacles quand tout semble séparer deux personnes qui s’aiment, quand le dialogue est délicat avec ceux qui ne comprennent pas le choix de celui qui veut partir…. L’auteur a un phrasé musical qui va crescendo, redescend, repart…  C’est poétique. Je suis certaine qu’en version audio ou scénique cette pièce doit mettre la chair de poule tant les mots sont puissants… J’ai été conquise par cette écriture aboutie, volontaire, belle tout simplement …..

"Janvier noir" de Alan Parks (Bloody January)

Janvier noir ((Bloody January)
Auteur : Alan Parks
Traduit de l’anglais (Ecosse) par Olivier Deparis
Éditions : Payot & Rivages (5 Février 2020)
ISBN : 9782743649487
525 pages

Quatrième de couverture

Dans l’un des secteurs les plus passants de Glasgow, devant la gare routière, un garçon d’à peine vingt ans ouvre le feu sur l’inspecteur McCoy et sur une jeune femme, avant de retourner l’arme contre lui. La scène se déroule sous les yeux de Wattie, l’adjoint de McCoy. Qui est ce mystérieux garçon ? Quel est le mobile de son acte ? C’est ce que les deux policiers vont s’efforcer de découvrir, malgré l’opposition de leurs supérieurs.

Mon avis

« Janvier noir » s’étale du premier au vingt Janvier 1973, principalement à Glasgow, en compagnie d’un duo de flics assez improbable. Il y a l’ancien : l’inspecteur McCoy, et son adjoint, un petit nouveau qu’on lui a mis sur le dos : Wattie. Au début du roman, McCoy est « convoqué » par un ancien truand qui, de sa prison, lui annonce qu’une demoiselle appelée Lorna va mourir. McCoy ne sait que penser ni que faire de cette information. Malgré ses maigres indices, il la recherche mais il ne peut pas empêcher l’assassinat de cette jeune femme ni le suicide de celui qui lui a tiré dessus.  Quels étaient les liens entre ces deux-là ? Est-ce que sous des dehors d’une vie assez « classique », ils ne cachaient pas une part d’ombre ? C’est ce que McCoy veut découvrir, comprendre, cerner mais ce ne sera pas simple. Ses recherches dans une ville sombre, glacée pendant les journées et les nuits hivernales, vont l’emmener sur des chemins de traverse, là où il n’est pas bon de se promener seul, surtout si on est policier…

Mais McCoy, qui traîne derrière lui de nombreuses casseroles et un passé douloureux, ne s’en laisse pas compter, il ne lâche rien, quitte à désobéir à ses supérieurs, quitte à flirter avec le danger, quitte à lâcher son collègue pour agir en électron libre. J’ai vraiment apprécié cet homme, torturé, exigeant avec lui et avec les autres, capable de tout pour arriver à ses fins. Il n’a pas peur de se mesurer aux riches familles de la ville, qui agissent en toute impunité. Il ne veut pas que certains aient des passe-droits et le fait savoir même s’il se met en danger pour cela. Son jeune collaborateur a de temps à autre des difficultés, voire des réticences pour travailler avec une personne atypique comme McCoy mais je suis certaine qu’au fond, il l’aime bien. Leur binôme se complète.

Prostitution voulue ou imposée, religion, magouilles de mafiosi, faveurs pour les riches de la cité, injustices pour les autres….de nombreux thèmes sont présents dans ce récit. Le lieu, lui-même, a de l’importance, tant Glasgow prend une place de plus en plus importante avec ses rues sombres, ses secrets plus ou moins gardés, ses dérives …. Se déplacer aux côtés des enquêteurs permet au lecteur de s’imprégner de l’atmosphère particulière de cette cité, de cerner les relations entre les uns et les autres.

J’ai tout de suite accroché avec le style et l’écriture de l’auteur. Captivée dès les premières lignes, j’ai pénétré dans cet univers parfois noir et j’y suis restée malgré quelques passages très sombres. L’intrigue, réaliste, est parfaitement menée, les événements s’enchaînent et les recherches des policiers permettent de comprendre, petit à petit, tous les tenants et les aboutissants. Certains esprits chagrins ne manqueront pas de signaler qu’un flic qui boit, qui a un passé lourd, qui flirte avec la ligne jaune, ce n’est pas une nouveauté. A la limite, je dirais presque peu importe la vie de cet homme. Ce qui fait le point fort de cet opus est, à mon humble avis, ailleurs. Il est dans le ressenti du lecteur car Alan Parks a une qualité toute particulière : il nous offre la possibilité de rentrer dans un monde qu’on ne connaît pas, non pas en spectateur, mais bien de l’intérieur. C’est sans doute dû à la force de son texte qui décrit un climat in et off : entre les individus mais également dans chacun des lieux évoqués : que ce soit les chambres lugubres, les pubs aux odeurs de tabac et de bière, les différents quartiers et même le commissariat….on a l’impression d’y être.

Je ne connaissais pas cet auteur et j’avais bien tort. Je vais m’empresser de rattraper mon retard en lisant « L’enfant de Février ».

NB : Alan Parks est né en Écosse et a fait des études de philosophie à l’université de Glasgow. Après avoir travaillé dans l’univers de la musique, il se tourne vers l’écriture. Janvier noir est son premier roman. Il a prévu un cycle de douze romans qui retraceront l’histoire criminelle de Glasgow.