"Sortir de l'autisme: Le témoignage d'une Maman" de Valentine Lecêtre

 

Sortir de l’autisme
Auteur : Valentine Lecêtre
Éditions : Ideo (8 novembre 2023)
ISBN : 978-2824622866
256 pages

Quatrième de couverture

Valentine a tout pour être heureuse, en couple, un travail épanouissant et depuis peu un merveilleux bébé, mais du jour au lendemain son monde s'écroule. " Vous devez faire le deuil de votre fils ! " a-t-il déclaré froidement. Le diagnostic tombe comme un couperet. Il n'aura fallu que cinq secondes à ce médecin pour que l'univers de Valentine s'effondre. Pourtant le choc de l'annonce passé, elle refuse de se laisser abattre et part en guerre contre le destin.

Mon avis

Valentine Lecêtre est une Maman. Elle ne prétend pas donner des conseils de professionnels mais dans ce livre, elle partage son expérience. Elle a rapidement compris que son fils était « déconnecté » des autres, qu’il ne fonctionnait pas comme tout un chacun. Alors elle a cherché, d’abord seule, puis une fois le diagnostic posé, avec des spécialistes.

Désarçonné par le comportement de Sasha, elle a pris la décision de combattre, d’avancer jour après jour, de mobiliser autour d’elle pour accompagner son petit vers un mieux. Bien sûr, on ne guérit pas de l’autisme qui n’est pas une maladie. On apprend à vivre avec, on installe des stratégies pour s’épanouir. Valentine a été séduite par la méthode des 3 i (pour intensive, individuelle et interactive). Elle a dû mettre en place tout ce qu’il fallait pour la proposer à son fils. Une salle dédiée dans leur habitation, des jouets en double, des personnes acceptant de donner de leur temps, sur le long terme, régulièrement et en faisant le point sur les réactions de Sasha, ses acquis, etc. Le but des 3 i ? Faire basculer l’enfant de son monde vers le nôtre. Lui donner les codes, lui apprendre tout ce qui n’est inné pour lui. Déchiffrer des émotions, affiner le comportement face à des situations déstabilisantes, ajuster ses ressentis à échelle humaine, etc.

Valentine, pleine d’enthousiasme, croyait que ce serait l’affaire de quelques mois … mais c’est long, chronophage, ça demande une énergie folle, tout son temps était consacré aux progrès de son enfant. Elle n’a rien lâché, il a fallu des années …

Elle nous rappelle qu’être différent n’empêche pas de pouvoir s’adapter à un monde qui ne nous ressemble pas. Il n’y a pas de solution miracle, à chacun les siennes. Valentine a trouvé la clé pour Sasha, elle partage et si ça peut aider d’autres parents, c’est merveilleux.

Comme c’est le livre d’une personne comme tout le monde, le vocabulaire est à la portée de tous. L’auteur s’exprime simplement, elle parle de ses galères, des ses peurs, des obstacles au quotidien. Mais sa grande force, très communicative, c’est de présenter chaque minuscule victoire, de la sublimer pour en faire une vraie réussite. C’est un des meilleurs atouts, face à au tsunami de l’annonce de l’autisme de son fils, pour continuer de croire en la vie, de se faire confiance, de penser que tout n’est pas perdu.

Elle le dit, quand elle est avec Sasha, elle est à 200 % . Elle donne tout. Elle a trouvé d’autres accompagnements, d’autres supports (ABA, Son-Rise, etc), elle parle de tout ça, explique ce qui l’a aidée, ce qui a été plus difficile. Elle n’a jamais renoncé, elle a toujours cru au potentiel de son fils. Elle se considère « en mission » auprès de lui. Adapter est le maître mot sur lequel elle s’appuie. Adapter une méthode pour qu’elle soit un plus pour Sasha, adapter l’environnement, l’activité, la durée de concentration, de présence, etc et en contrepartie Sasha s’adapte aux autres, les neurotypiques, aux bruits, à la foule, il est moins rigide…

Rien n’est jamais définitif, toute marge de progression est bonne à prendre. Et chez Valentine, dans la maison du bonheur (c’est elle qui nomme ainsi son domicile), si tout n’est pas forcément simple, on est heureux et c’est déjà énorme !


"Malovics" de Marco Pianelli

Malovics
Auteur : Marco Pianelli
Éditions : M + (23 Novembre 2023)
ISBN : 978-2382111987
448 pages

Quatrième de couverture

Léo Malovics est un enquêteur viscéral et un flic en chute libre mis sur la touche par son administration. Lorsque la veuve Berrard l'engage pour retrouver sa fille disparue depuis 10 ans, c'est une boîte de Pandore qui s'ouvre sous ses pieds. Précipité sur les traces évanouies de la fugueuse, il va plonger dans des abysses de faux-semblants, où les mensonges frôlent le Mal et conduisent au tragique.

Mon avis

Il n’attend plus grand-chose de la vie, Léopold Malovics. Il est en disponibilité de la police suite à un « incident ». Son agresseur lui a tiré dessus avant de suicider. Trop plein de tout, d’émotions, de violence ? Burn out ? Ou est-ce que Léo dérange avec son franc parler, son mépris des ordres et de la hiérarchie lorsqu’il n’est pas d’accord ? Toujours est-il que le lecteur le découvre cabossé, alcoolique, pas très propre et sans envie.

C’est d’ailleurs dans son quartier général, un bistrot, qu’une jeune femme vient le rencontrer et lui proposer un rendez-vous avec sa patronne qui aurait besoin de ses services. Il dit oui, sans trop savoir ce qui le motive, à part, peut-être, l’idée folle de draguer celle qui vient de se présenter à lui. Il est comme ça Malovics, un peu bourreau des coeurs aussi. On pourrait, légitimement, se demander ce que les dames lui trouvent… Bah, certainement son côté bad boy, son sourire carnassier et ses yeux de braise et plus si affinités ...

Le voilà donc face à la veuve Berrard, une grosse fortune française. Pas d’héritier, mais une fille, Lucie, fâchée avec elle, qui a disparu il y a dix ans. Un gros contrat s’il la retrouve. N’ayant rien de mieux à faire, il essaie d’enquêter. À part une ou deux copines, un ancien fiancé, peu d’indices à se mettre sous la dent mais pour Léo, rien n’est impossible. Il déroule le fil, retrouve ou pas la fille, parfois la situation lui échappe, il galère. Il subit le pire car il semble ne pas être le seul à s’intéresser à Lucie et il n’a pas l’intention de partager ses découvertes… Qu’est-ce qu’il se passe, pourquoi, comment, dans quel but ? Est-il manipulé comme un pantin dont on tire les ficelles ou a-t-il la maîtrise des événements ? Dix ans après une disparition volontaire, ses chances sont infimes de mettre la main sur Lucie.

C’est sur un rythme rapide, avec des chapitres courts, une écriture visuelle (une adaptation en film serait judicieuse) et percutante que Marco Pianelli nous embarque dans son récit. Pas de temps mort, beaucoup d’actions, des punch lines, un monde de mecs ou tous les coups sont permis. Au fil des pages, on apprend à connaître Léo, élevé à la dure par un père russe qui ne lui passait rien. Cela lui sert beaucoup. On le croit battu, acculé, foutu, et son cerveau bouillonne, réfléchissant à une mini faille pour déstabiliser son adversaire. Teigneux, il ne lâche rien. Intuitif, il est capable de « scanner » les faits à toute vitesse en visuel ou en présentiel selon son implication. À ce moment-là, il peut agir en conscience. Il fonctionne également à l’instinct et si ça ne lui réussit pas tout le temps, c’est quand même pas mal.

J’aime le style de cet auteur, ça « envoie », on en prend plein les yeux (je pense qu’en images, je les fermerai souvent), on ne s’ennuie pas. J’apprécie ses personnages, ils ont tous une part d’ombre, sont donc très humains car, on est bien d’accord, personne n’est parfait … Il dévoile les aspects du caractère de chacun petit à petit, par bribes. Cela nous donne des explications, on cerne mieux les comportements. Un livre noir mais waouuhhhh une intrigue fine, retorse et bien ficelée.

 

"Gargantuesque" de Joël Alessandra

 

Gargantuesque
Auteur : Joël Alessandra (textes et dessins)
Éditions : Jarjille (1 er Janvier 2023)
ISBN : 9782493649089
20 pages

Quatrième de couverture

Sous bock est une collection des éditions Jarjille.
L’apéro est le numéro 26 de la collection.

Mon avis

C’est une belle mise en abyme que cette bande dessinée sous bock !

En effet, un homme arrive dans un bar pour se poser et bien évidemment boire un coup. Il trouve un livre abandonné : Gargantua et Pantagruel. Un vieux classique dans lequel il se plonge le temps d’un verre ? Pas du tout ! Inspiré par sa lecture, où l’on boit, mange, rote et plus, le tout sans complexe, il enchaîne les pages et les boissons.

On a donc deux lectures dans le même livre et deux styles de dessins et d’écriture, ça c’est encore plus fort ! Les croquis illustrant Rabelais sont bordés d’un trait noir épais et sont sur fond blanc, les autres sont plus « crayonnés », plus dans l’intimité du personnage.

C’est intéressant que l’auteur ait mis en parallèle, le texte classique l’on festoie seul ou à plusieurs et la vie tranquille de ce petit bistrot où l’on découvre un homme seul à table.

Un sous bock à lire avec un gobelet à la main !


"Malibu Ananas" de Fabcaro

 

Malibu Ananas
Auteur : Fabcaro (textes et dessins)
Éditions : Jarjille (1 er Janvier 2023)
ISBN : 9782493649096
20 pages

Quatrième de couverture

Sous bock est une collection des éditions Jarjille.
L’apéro est le numéro 27 de la collection.

Mon avis

Des traits fins et des silhouettes ébauchées, pas de nuance de couleurs, comme si le texte était l’important et l’image le soutien

« Qu’est-ce que je te sers étranger ? », le ton est donné. Le nouvel arrivant n’est pas du coin. À lui de commander la bonne boisson pour être intégré et ne pas faire « tache »….

Mais l’homme n’en a cure, ce sera « Malibu Ananas », un truc qu’on prend quand on fait la fête, du bruit et quand les limites peuvent être dépassées. Ça ne plaît pas au client attablé au comptoir et une discussion, des chants, arrivent ….

Cédera, cédera pas ? Le patron ne veut pas de grabuge… En quelques coups de crayon, avec des phrases bien ciblées, Fabcaro nous plante une ambiance, un échange où la communication se fait aussi entre les lignes !

C’est l’heure, non ? Qu’est-ce qu’on boit ??


"L'apéro" de Yann Madé

 

L’apéro
Auteur : Yann Madé (textes et dessins)
Éditions : Jarjille (1 er Janvier 2023)
ISBN : 978-2-493649-07-2
20 pages

Quatrième de couverture

Sous bock est une collection des éditions Jarjille.
L’apéro est le numéro 25 de la collection.

Mon avis

Ce nouveau sous bock met en scène des hommes, des potes devrais-je dire, qui discutent à Marseille. C’est l’été 2022 et Yann Madé est avec « sa bande ».

C’est une discussion entre « mecs », il suffit que l’un d’eux prenne de l’eau en apéro et les moqueries et questions fusent ainsi que les souvenirs. Ces derniers sont beaux, liés à la musique, à l’amitié avec un brin de folie.

C’est sans doute avec beaucoup de tendresse que l’auteur a laissé les images, les sons affluer vers lui pour devenir cette courte bande dessinée. On est vraiment au cœur de la rencontre, on sent l’ambiance entre eux.

Les dessins sont expressifs, en nuances de gris. Les bulles rectangulaires semées ici et là sur les vignettes sans indication de prise de parole. Peu importe que ce soit l’un ou l’autre qui s’exprime, ils sont copains, amis, comme les doigts d’une même main. Ils ont tant partagé et le font avec nous pour notre plus grand plaisir.



"Les silences des pères" de Rachid Benzine

 

Les silences des pères
Auteur : Rachid Benzine
Éditions : Seuil (18 Août 2023)
ISBN : 978-2021477764
178 pages

Quatrième de couverture

Un fils apprend au téléphone le décès de son père. Ils s’étaient éloignés : un malentendu, des drames puis des non-dits, et la distance désormais infranchissable. Maintenant que l’absence a remplacé le silence, le fils revient à Trappes, le quartier de son enfance, pour veiller avec ses soeurs la dépouille du défunt et trier ses affaires.

Mon avis

« À Trappes, mon père devait se fondre dans un tel silence pour laisser les notes flotter et scintiller comme des étoiles lumineuses dans le ciel de notre nuit noire. »

Amine est un grand pianiste. Fils d’immigrés marocains, il doit revenir à Trappes car son père est décédé. Avec ses sœurs, il va organiser les funérailles et vider l’appartement. Lui qui a réussi avec une carrière brillante, se retrouve plongé dans les souvenirs familiaux, un grand écart entre deux mondes totalement différents.

L’imam le sollicite pour la toilette mortuaire, ce qui n’est pas évident pour lui. Le poids des traditions, il avait oublié … Et puis, il découvre un vieux magnétophone et des cassettes, classées par date. Ce sont celles que son Papa envoyait à ses parents, restés au Maroc. À l’époque, pas de téléphone et parler était plus aisé qu’écrire…

Ces K7 souvenirs jalonnent le présent d’Amine qui l’espace de quelques jours les écoute. Les enregistrements lui permettent de découvrir l’histoire de son père. La mine, l’usine, le mariage, les choix qu’il a fallu faire et qui expliquent certains silences. Dans ses paroles, il était toujours assez « soft » pour ne pas inquiéter les siens, ne disant que le nécessaire. Même lorsqu’il a été marié avec des enfants, il a continué à communiquer par ce biais. C’est accompagné par la voix de son père qu’Amine revit son parcours. Des pans tus de sa vie lui apparaissent, il analyse ce qu’il entend et veut avancer encore dans la compréhension de celui qui était un taiseux.

C’est avec des phrases courtes, fines, que la vie de cet homme nous est dévoilée. Une infinie délicatesse imprègne le texte, porte chaque mot. C’est doux, tendre, poétique, subtil, plein de retenue. Le texte est bouleversant car on sent bien que l’éloignement, les silences, les non-dits, ont gêné les hommes de cette famille. L’amour était présent mais on ne se le disait pas, on restait pudiques, à sa place pour ne pas empêcher l’autre de prendre son envol, comme Amine avec les notes de son piano….

Un roman bouleversant.


"Famille décomposée" de Christophe Royer

 

Famille décomposée
Auteur : Christophe Royer
Éditions : Taurnada (18 Janvier 2024)
ISBN : 978-2372581271
280 pages

Quatrième de couverture

À Lyon, au cimetière de Loyasse, un homme est retrouvé assassiné près de la tombe d'un célèbre guérisseur. Découvert par sa mère, tout porte à croire que ce meurtre n'est que le début d'une longue cabale déclenchée contre la famille Daventure. De par sa complexité, cette nouvelle affaire est un défi de taille pour le commandant Nathalie Lesage et son équipe.

Mon avis

Dans ce nouveau roman de Christophe Royer, une héroïne récurrente, Nathalie Lesage, commandant de police est présente. Elle travaille avec le lieutenant Cyrille Savage, très sportif (fan de rugby) qui a toujours faim et qui prend les choses avec humour. Nathalie, quant à elle, est une femme secrète, à la vie sentimentale compliquée. Au travail, elle est intuitive, efficace, exigeante, capable de prendre des initiatives et de se jouer des règles si elle considère que les choses ne vont pas assez vite. Et cela provoque quelques fois des étincelles avec ses supérieurs.

C’est dans la ville de Lyon, où elle est installée dans un appartement magnifique suite à un héritage (mais pas grand monde n’est au courant) que se déroule cette histoire. Au cimetière de Loyasse, un homme est retrouvé assassiné sur une tombe dans une mise en scène bien horrible. C’est sa mère qui se rend régulièrement dans ce lieu qui fait la découverte. Sur quelle tombe se recueille-t-elle ? Un parent récemment disparu ?

L’enquête est confiée à Nathalie et rapidement elle s’interroge. La famille du mort a des réactions surprenantes. D’abord certains sont accros à un courant de pensées très particulier et leurs actions, leurs comportements, sont en lien avec cette appartenance. D’autres, en apparence moins concernés, ont également une attitude troublante. Les enquêteurs ont beaucoup de difficultés à dialoguer avec ces personnes, les informations arrivent au compte-gouttes et il est pratiquement impossible de démêler le vrai du faux. Nathalie et ses collègues doivent faire preuve de rigueur et d’organisation pour espérer avoir des réponses.

Avec son équipe, elle cherche à comprendre comment l’homme, Bastien Daventure, a atterri dans le cimetière alors que celui-ci était fermé. Il faut ruser, suivre des pistes avec discrétion, agir vite et être efficace.

L’auteur a installé un contexte particulièrement riche en lien avec l’histoire. Cela apporte beaucoup, d’autant plus qu’il a dû se documenter pour écrire son récit. Ce qui est très fort, c’est que tous les éléments historiques sont parfaitement intégrés au texte l’étoffant de fort belle façon. En outre, on en apprend un peu plus de choses sur Nathalie, elle se laisse aller et ses fêlures se cicatrisent, elle devient plus douce, plus humaine. C’est une très belle évolution pour le personnage.

Les individus que l’on croise dans ce recueil sont bien définis, quelques-uns ont des particularités atypiques et le lecteur sent que cela influence l’atmosphère. Les rebondissements bien amenés maintiennent notre intérêt et l’intrigue est prenante.

J’ai apprécié cette lecture tant sur le fond que la forme, j’ai trouvé le contenu complet, intéressant et la fin surprenante. Le fait que les événements soient situés à Lyon est un plus car la ville est un élément important, on reconnaît bien les lieux évoqués et on voyage en suivant ce qui se passe.

J’espère qu’une nouvelle aventure de Nathalie arrivera vite, j’ai hâte de savoir ce qu’elle devient !


"Horn venait la nuit" de Lola Gruber

 

Horn venait la nuit
Auteur : Lola Gruber
Éditions : Christian Bourgois (11 Janvier 2024)
ISBN : 978-2267050233
620 pages

Quatrième de couverture

Simon Ungar ne sait pas grand-chose de sa famille paternelle ni de son père, parti refaire sa vie au Canada. Alors quand il se fait licencier et que sa petite amie le quitte, il se dit que c’est l’occasion d’en savoir plus sur ses origines : il part en République tchèque, dans la petite ville d’Olomouc, le berceau des Ungar. Ilse Küsser est elle aussi originaire de cette partie de l’Europe, née en Tchécoslovaquie pendant l’entre-deux guerres. Dans la Tchécoslovaquie communiste des années 1950, elle sera accessoiriste de théâtre, à Bratislava. C’est là qu’elle tombera folle amoureuse du mystérieux Horn. Jusqu’à ce qu’un jour l’histoire d’Ilse rejoigne celle de Simon.

Mon avis

Dans un entretien, l’auteur explique qu’elle a mis un an à préparer le plan de « Horn venait la nuit ». En 2020, elle s’est rendue en Europe Centrale pour recueillir les éléments nécessaires à la rédaction de ce roman. C’est dire le long travail de documentation qui a été fait en amont de la publication de ce récit.

Une vieille dame à Berlin reçoit une lettre. Qui est-elle ? Elle se souvient. On découvre alors l’histoire d’Ilse Küsser, jeune gymnaste tchécoslovaque de haut niveau dont la carrière est interrompue par une chute. Une soirée à l’Opéra l’aidera à reprendre le dessus. Elle deviendra accessoiriste de théâtre, principalement à Bratislava. Elle cherche ce qui colle aux spectacles, elle crée le décor qui va bien, en lien avec ce qui se passe sur scène. C’est un travail plus exigeant qu’il y paraît mais ça lui plaît. Elle rencontre Horn, tombe amoureuse, mais c’est un homme secret, brisé, elle ne saura jamais tout de lui et le peu d’informations qu’elle arrive à obtenir n’est peut-être pas la vérité. Ça se passe tout de suite après la seconde guerre, la vie n’est pas aisée, les relations ne sont pas naturelles. De qui faut-il se méfier, qui croire, à qui donner sa confiance, voire son amour sans prendre de risque ?

En parallèle, en 2014, on suit Simon, il vient d’être licencié et sa petite amie l’a quitté. Comme il ne sait pas tout sur la famille de son père, d’origine juive, il part en République Tchèque où des gens auront probablement le même patronyme que lui : Ungar. C’est le moment, il a du temps devant lui. Des bribes d’histoires vont jalonner son chemin, l’envoyant d’un lieu à l’autre. Il cherche les liens, dissimule qui il est pour en savoir plus. Il peut suivre une fausse piste, croire un mensonge et s’en emparer comme d’un fait réel. Lui-même se cache derrière différentes identités… Il est tenace et s’accroche à la moindre information, sans pouvoir vérifier.

« Croire. N’importe quoi, tu l’avales. Tu sais que parfois, les gens se souviennent de travers ? Et je suis désolé de te l’apprendre, parfois aussi les gens mentent. »

Les deux approches se recoupent, se complètent, mais chacun interprète à sa façon. Les souvenirs d’Isle sont parfois fragiles, presque confus. Tout se bouscule dans son esprit. Un mot mal traduit, une phrase ou un geste mal interprétés et tout peut être remis en question…. Même le lecteur ne sait plus démêler le vrai du faux.

C’est un roman foisonnant, complet parfois complexe, car on sent que tout ne s’emboîte pas vraiment comme si les réminiscences avaient quelques petites imperfections et c’est bien sûr, volontaire. La vie des personnages est jalonnée par des faits historiques réels et par la mémoire juive, ainsi que des rencontres riches en échanges divers, offrant des portraits forts d’individus de pays et de confessions variés. C’est une quête et une enquête. La quête de soi, de ses origines et les recherches essentielles pour avancer. C’est un texte puissant, à l’écriture fluide qui se lit avec tout un panel d’émotions. On peut sourire, serrer les poings devant l’indicible, ou être heureux lorsque l’amour semble arriver….

"Jérôme K. Jérôme Bloche -Tome 21: Déni de fuite" d'Alain Dodier

 

Déni de fuite
Jérôme K. Jérôme Bloche Tome 21
Dessins et scénario : Alain Dodier
Couleurs : Cerise
Éditions : Dupuis (9 Février 2012)
ISBN : 978-2800155975
56 pages

Quatrième de couverture

C'est la nuit. Caroline, 3 ans, se réveille. Comme d'habitude, lorsqu'elle a des cauchemars, elle appelle son papa. Il ne répond pas. La chambre, le salon, la cuisine, Caroline et son doudou parcourent ensemble tout l'appartement. Pas de papa. Pourtant, la télé est allumée. Heureusement, Caroline et son doudou habitent dans l'immeuble qui abrite le bureau de Jérôme K. Jérôme Bloche.

Mon avis

C’est toujours un plaisir de retrouver Jérôme, un peu lunaire, un peu farfelu, pas toujours bien organisé mais avec une capacité de raisonnement assez intéressante, même si elle est parfois déroutante.

Cette fois-ci, il retrouve une petite fille sur son palier, elle cherche son papa qui est parti acheter du lait en pleine nuit car elle voulait un biberon.

Si on se doute rapidement de l’événement qui a pu provoquer l’absence du père, on se demande qui a agi.  Heureusement, l’épicier, ami de notre détective, a vu quelque chose. Parfois, les apparences sont trompeuses et il faudra toute la sagacité de l’homme au solex pour faire les bonnes déductions.

Ce n’est peut-être pas la meilleure enquête mais elle est plaisante. J’ai trouvé la fin un peu rapide et je me repose la question du nombre de pages (imposé ?) par l’éditeur….


"Sur les chemins perdus" de Stéphane Chaumet

Sur les chemins perdus
Auteur : Stéphane Chaumet
Éditions : Globe (11 Janvier 2024)
ISBN : 978-2383612759
144 pages

Quatrième de couverture

Après cinq ans d’emprisonnement, Karen regagne la liberté et les rues bruyantes de Bogotá. Enfermée, elle avait fini par trouver sa place, malgré la promiscuité et les injustices de cette société miniature. Une fois dehors, elle se tourne vers Sacha, un poète venu donner des ateliers d’écriture aux prisonnières. Avec lui, elle ne va pas écrire, mais parler, livrer le récit d’une vie bouleversée par la violence.

Mon avis

Court mais percutant !

En sortant de prison, Karen a contacté Sacha. Pourquoi lui ? Elle ne sait pas vraiment l’expliquer. Il avait animé des ateliers d’écriture lorsqu’elle était emprisonnée et un lien ténu, mais un lien quand même, s’était tissé entre eux. Est-ce pour ça qu’il lui avait laissé son numéro de téléphone, pour poursuivre éventuellement les séances ? Ou plutôt pour qu’elle ait quelqu’un à qui se raccrocher une fois dehors ?

Toujours est-il qu’elle envoie un sms et qu’il lui répond. Elle débarque chez lui pour partager une soupe. Et ce ne sera pas seulement un repas, elle va au fils des rencontres et des jours, vider son sac, petit à petit, par balbutiements, par bribes, car ça lui fait mal de revenir sur son histoire. Elle a une trentaine d’années mais c’est comme si elle avait vécu vingt vies.

C’est un long monologue qui nous est présenté mais il n’a rien de soporifique, bien au contraire. L’auteur a une plume sure, sensible, très juste dans le propos.  Il a fait de nombreux séjours en Amérique du Sud, a vécu à Bogotá où se déroule ce livre. Qu’a-t-il observé, vu ?

Il décrit le cheminement de Karen, les routes qu’elle a prises suite à de terribles concours de circonstances. Les choix qu’elle a faits, ceux qu’elle a subis car il ne pouvait pas en être autrement. Ses espoirs, ses peurs, ses désillusions. Son envie de vivre, d’avancer, de s’en sortir malgré les difficultés, les obstacles. Elle s’est fourvoyée, Karen, elle n’a pas toujours fréquenté les bonnes personnes mais sa volonté lui a permis de continuer même face à l’injustice. Les FARC, les paramilitaires, la violence de la guérilla, les rapports sexuels forcés, l’avortement, elle a tout connu dans des conditions exécrables, à la limite invivables. Elle a dû mentir pour survivre. Comment s’en sortir avec de tels traumatismes comme bagages ?

L’auteur a su se glisser dans la peau d’une femme, il lui prête sa voix et porte sa parole à travers ses mots, ses phrases, dans un style puissant, porteur de sens, bouleversant. Il nous montre comment la prison peut transformer en bien ou en mal. Il évoque les médias en Colombie qui ne s’intéressent aux geôles que lorsqu’il y a des mutineries ou des morts.

Cette lecture a été pour moi une claque. Stéphane Chaumet a su me transmettre des émotions très fortes à travers le parcours chaotique d’une femme attachante malgré ses erreurs. Qui n’en fait pas ? Qui pourrait se permettre de la juger ? Même la justice s’est trompée….

Ce roman est un cri.
Celui d’une femme qui hurle sa détresse, sa honte quelques fois, son besoin viscéral de vivre malgré tout. Comme si en se confiant elle expulsait tout ce qui l’a détruit pour se reconstruire enfin.
Celui presque muet de Sacha, qui écoute, accompagne, guide en toute discrétion, acceptant les sautes d’humeur, les revers de Karen lorsque l’émotion la submerge et qu’elle n’arrive plus à communiquer.
Celui silencieux du lecteur, de la lectrice, le ventre noué, les larmes au bord des cils qui espère des jours meilleurs pour cette femme….

 

"Bad Run" de Jérémy Bouquin

 

Bad Run
Auteur : Jérémy Bouquin
Éditions : du Caïman (12 Décembre 2023)
ISBN : 978-2493739124
274 pages

Quatrième de couverture

Harry se méfie de tout le monde. C'est un gendarme à la retraite, veuf, qui vit dans une ferme qu'il n'arrive plus à retaper. Pour ajouter du beurre dans les épinards, il bosse pour Lionnel, comme "détroncheur". Il assure la sécurité de parties de poker clandestines. Peinards, tranquilles, planqués dans la campagne berrichonne, qui viendrait les chercher ?

Mon avis

Voilà un roman comme je les aime. Une écriture « endiablée », vive, qui entraîne immédiatement, sans temps mort, sans descriptions excessives, dans l’histoire. Des personnages hauts en couleur qui « dépotent ». Une atmosphère ambivalente vous faisant passer de la tranquillité à l’angoisse… D’ailleurs, même lorsque tout semble calme, on sent comme une tension, plus ou moins légère mais toujours bien présente. On a le sentiment qu’une étincelle pourrait mettre le feu aux poudres et tout exploserait.

Pourtant, Harry veille. C’est un ancien gendarme, mis à l’écart dans un premier temps suite à une petite bavure, puis retraité. Amoureux de Marie, une femme rencontrée à Mayotte, ils se sont installés dans un coin perdu de France avec pour but de retaper un corps de bâtiment et d’en faire un gîte. Mais ce beau projet a dû être abandonné car Marie, malade, est décédée. Harry, seul, ne pouvait plus porter les travaux, les devis… Il a essayé mais, face à des artisans peu scrupuleux, il ne s’est pas battu…. L’envie, la fougue, n’étaient plus là, il n’y croyait plus.

Autant pour s’occuper que compléter ses finances, Harry sert un peu d’homme à tout faire à un notaire véreux, Lionnel. Ce dernier, pas courageux, pas travailleur, préfère les soirées poker, l’alcool et la drogue à son métier. Pour maintenir son train de vie, il organise des veillées cartes « sur invitation ». Il faut être recommandé et montrer « patte blanche ». Harry, qui a du temps libre et surtout qui a gardé sous le coude d’anciennes relations, sert de « détroncheur » à Lionnel. Il ne faut pas qu’il y ait une fuite sur les parties clandestines. Les joueurs choisis par Lionnel, sont « épiés » et « castés » par Harry. Discrètement, il se renseigne, observe, monte un dossier sur chacun pour être sûr qu’on peut leur faire confiance. Quand c’est bon, les clients sont récupérés par Harry (qui fait tout pour qu’ils ne repèrent pas le trajet jusqu’à la maison du notaire) et ils viennent jouer.

Parfois, Harry « ne sent pas » certains « invités » et en parle à son « patron » mais le dialogue n’est pas forcément possible. Est-ce que la situation est totalement maîtrisée, sous contrôle ? Lionnel certifie que oui, Harry en est moins persuadé….

Le lecteur attentif aura remarqué qu’Harry et Lionnel ont des « failles ». L’un comme l’autre, trop impulsifs, pas vraiment à l’écoute, ils sont capables de sortir de leurs gonds, de franchir les limites. La tension monte petit à petit. L’angoisse également car on se sent impuissant face aux maladresses des uns et des autres, face aux mensonges supposés, voire face aux non-dits.

Malgré son côté « bad boy », je me suis attachée à Harry, parce que c’est son veuvage qui l’a déstabilisé, sorti de la norme. Il aurait pu vivre autre chose, de tellement plus enthousiasmant, de plus « vivant ». On le sent « figé » dans un fonctionnement dont il ne sort pas…

Cette lecture a été très plaisante, je n’ai pas vu le temps passer, il y a de l’action, des rebondissements, une intrigue solide. L’auteur insère des dialogues qui mettent du rythme dans le texte, les événements s’enchaînent et on ne s’ennuie pas une seconde.

"Mon sous-marin jaune" de Jón Kalman Stefánsson (Guli kafbáturinn)

 

Mon sous-marin jaune (Guli kafbáturinn)
Auteur : Jón Kalman Stefánsson
Traduit de l’islandais par Éric Boury
Éditions : Globe (4 Janvier 2024)
ISBN : 978-2267050288
410 pages

Quatrième de couverture

Un écrivain qui ressemble beaucoup à Jón Kalman Stefánsson aperçoit Paul McCartney dans un parc londonien, en août 2022. L’ancien Beatles est le héros de sa jeunesse, et le narrateur rêve de lui parler. Mais il lui faut d’abord préparer cette conversation, trier ses souvenirs, mettre de l’ordre dans l’écheveau d’émotions et de récits de toute sorte qu’il aimerait partager avec son idole.

Mon avis

Le récit commence par les souvenirs d’enfance d’un homme, il présente son lien avec les chansons des Beatles (dont « Yellow Submarine » qui a donné le titre à ce roman), sa relation à la religion avec « l’Éternel » présent dans son quotidien. C’était un gamin solitaire dont la mère a disparu trop tôt et pour qui la communication avec son père était compliquée. On apprend qu’il est devenu écrivain.

Et puis, on découvre ce monsieur assis dans un parc londonien, il aperçoit Paul McCartney pas loin de lui. Il s’interroge, lui parler ou pas ? Il aimerait bien mais est-ce une bonne idée ? Il pense et remontant le temps, il partage ses souvenirs, ce qu’il a vécu, sa solitude, son inquiétude, ses désirs… Il les laisse venir à lui comme ça dans le désordre, un fil en tirant un autre …

Pour combler le vide laissé par sa maman et le peu d’intérêt manifesté par son paternel, l’enfant lit la Bible, rencontre un Dieu, l’Éternel qui n’est pas toujours aussi « aimant » qu’il l’imaginait. Un peu comme son père. Il ne manifeste pas beaucoup d’intérêt pour son fils et ce dernier se questionne sur son affection…. Pour ce jeune garçon, Dieu intervient parfois mais pas forcément à bon escient, et il n’est peut-être pas celui qu’on imagine…..  « [….] en réalité le Démon qui tente d’usurper son identité. Il y parvient si bien qu’il abuse tout le monde. Ce qui signifie que depuis lors, depuis des millénaires, c’est en réalité le Diable et non Dieu qui a façonné les hommes. » Alors il cherche des réponses ailleurs.

C’est un livre sur la tristesse d’un enfant solitaire, qui se construit au fil du temps, grâce aux rencontres plus ou moins réussies. Il cherche l’amour dans le regard des autres, dans ses actes, dans sa passion pour les Beatles qui lui apporte du réconfort.

Très personnel, déstructuré, le texte peut surprendre mais il est très riche. Riche de lieux, de dates, de personnages, de réflexions personnelles qui vont de plus en plus loin au fil des pages. Certains passages sont emplis d’humour, presque jubilatoires. Lorsque l’auteur (le « héros » du livre pas Jón Kalman Stefánsson, quoique….) prend une leçon de conduite et perd tous ses moyens parce que l’assassinat de Lennon est annoncé à la radio, c’est un pur moment d’humour et même de poésie. Le moniteur d’auto-école est très en colère contre son élève qui a fait une bêtise, mais …..

« Il enfile ses lunettes et découvre Kolbrún dont la beauté et la gentillesse le changent aussitôt en ange de douceur, réduisant à néant le démon écumant et ses postillons. »

Ce recueil foisonnant, casse les codes de la temporalité, de la linéarité. Très libre, Stefánsson ose, il se confie l’air de rien sous le couvert d’une fiction. C’est un peu désarçonnant, surprenant, mais très original. Je pense sincèrement que c’est même très fort, car cette espèce de « mosaïque » en apparence sans queue ni tête est à mon avis quelque chose de parfaitement « construit » dans l’esprit de Stefánsson.

L’écriture (merci au traducteur) est tour à tour presque « philosophique », lyrique, humoristique. On sent toute une palette de styles, mais pour autant rien ne semble haché, c’est lié et fluide.

Une lecture exigeante mais une belle découverte !


"Mathilde ne dit rien" de Tristan Saule

 

Mathilde ne dit rien
Auteur : Tristan Saule
Éditions : Le Quartanier (21 janvier 2021) puis Folio Policier
ISBN : 978-2896985494
328 pages

Quatrième de couverture

La fin de la trêve hivernale approche, et Mathilde découvre que ses voisins sont menacés d'expulsion. Les recours légaux n'ont rien donné. Mathilde n'a pas toujours été travailleuse sociale. Mathilde porte en elle de sombres secrets. Mathilde ne dit rien, mais Mathilde va prendre les choses en main.

Mon avis

Un petit pavillon de banlieue, le mari est au boulot, l’épouse regarde derrière les carreaux. Elle observe une femme qui semble passer et repasser d’une maison à l’autre, elle a une combinaison de travail.  Elle s’interroge sur ce qu’elle peut faire. Et puis, la sonnette de la porte d’entrée retentit et elles se retrouvent face à face. Apparemment, l’employée a coupé les fils d’internet, la fibre, et si la réparation extérieure est faite, il faut relancer la box dans la maison. Gaëlle la croit et retourne à ses tâches ménagères. Sauf que cette intruse s’attarde, se promène à l’étage, l’angoisse monte … Gaëlle sent bien que quelque chose ne tourne pas rond et c’est le drame : des menaces pour que son conjoint paie un certain Mohammed ….

On fait ensuite connaissance avec Mathilde, une belle plante comme on dit. Elle travaille dans le social, elle reçoit ceux qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts et qui demandent une aide financière. Toute la journée à écouter des doléances, à supporter toute la misère du monde qu’elle retrouve aussi chez ses voisins… Elle veut bien aider Mathilde mais certains profitent de la situation, trichent avec la réalité pour berner le système. À côté de ça, d’autres galèrent vraiment. Elle ne dit rien Mathilde mais elle encaisse. Ras le bol également des collègues tirant au flanc ou avantageant ceux qu’elles connaissent.

Alors, parfois, Mathilde craque, le trop plein envahit tout, et elle revêt sa cape de justicière comme lorsqu’elle est allée voir Gaëlle. Qu’est-ce qui peut pousser une femme ordinaire à franchir les limites ? Quelles sont les causes de sa colère rentrée, contenue, qui éclate parfois ? Qu’a-t-elle vu, vécu pour en arriver là ?

Si ce roman démarre tranquillement, le rythme va vite accélérer. De courtes incursions dans le passé nous aident à comprendre l’histoire de Mathilde, qui a finalement bien des zones d’ombre. Elle a souffert, ramassé, et même si elle n’a pas toujours eu raison, l’injustice, elle déteste. Dans un contexte social malheureusement réaliste où chacun se débrouille comme il peut, avec les moyens du bord, les petites magouilles, la peur au ventre de finir le mois dans le rouge, d’être expulsé avant la trêve hivernale, l’auteur campe des personnages vivants, crédibles, pas toujours bien dans leur vie, ni dans leur tête.

Avec une écriture vive, acérée, par petites touches, il nous rappelle que la vie est loin d’être un long fleuve tranquille, que l’effet papillon peut entraîner de gros dommages. Si au départ, je posais le livre pour aller faire autre chose, je me suis vite retrouvée accrochée au récit. Je voulais comprendre le parcours de Mathilde, le pourquoi de ses décisions, ce qui l’avait amenée à agir ainsi. Si quelques fois, on a le sentiment que Tristan Saule va sombrer dans les clichés, il se reprend vite et une certaine forme d’humanité transpire dans son style.

Un auteur qui mérite d’être connu !

Lecture commune avec Myriam

"Un degré de séparation" de Pablo Mehler

 

Un degré de séparation
Auteur : Pablo Mehler
Éditions : Liana Levi (4 Janvier 2024)
ISBN : 9791034908455
194 pages

Quatrième de couverture

Frederic Altman, un écrivain américain ayant connu la notoriété, n’est plus en mesure d’écrire la moindre ligne et ce sans motif apparent. Des années après son effondrement créatif, pour ne pas dire son effondrement tout court, la découverte d’une vieille photo dans les affaires de sa mère récemment décédée fait remonter à la surface les questionnements non résolus sur le secret de sa filiation. La photo, sur laquelle figure sa mère avec un jeune homme, a été prise à l’époque de sa naissance. Cet inconnu serait-il son père ?

Mon avis

Frederic Altman est un écrivain en panne d’inspiration. Le trou, la page blanche, il n’y arrive plus. Il a pourtant connu une belle notoriété mais ses livres ne sont plus en tête de gondole….  Cet état a même rejailli sur son quotidien, il a une vie monotone, triste, rempli de vide, de solitude …

Sa mère est en maison de retraite et puis un jour, elle meurt. La directrice de l’établissement l’appelle, il doit récupérer ses affaires. Peu motivé, il y va malgré tout, donne tout ce qui peut profiter et s’apprête à jeter le reste. Et là, par un curieux hasard, une photo, style photomaton, s’échappe et tombe sur le sol. Frederic la regarde et constate que sur ce cliché sa mère, en compagnie d’un homme, sourit, ce qui était plus que rare. Qui était cet homme ? Que représentait-il dans la vie de sa génitrice ? Est-ce le père qu’il n’a pas connu ?

Frederic part en quête, essaie de reconstituer le puzzle de la vie de sa maman, de comprendre ce qu’il s’est passé, quels ont été les événements qui ont jalonné son parcours. Commence alors pour Frederic un long chemin qui l’emmènera des Etats-Unis à la France pour essayer d’avoir des réponses à ses questions.

D’une écriture alerte, passant du passé au présent (un chapitre sur deux), l’auteur nous présente la une relation mère/fils. Ce n’est pas un lien ordinaire, la mère ne sait pas vraiment aimer son enfant, les grands-parents sont là heureusement. Seules les discussions intellectuelles quand il est plus grand, semblent avoir de l’intérêt à ses yeux. C’est une femme qui met en permanence les émotions à distance, elle est maladroite, instable, fantasque, pas toujours sérieuse avec l’alcool et la drogue. Alors son fils se retrouve en pension, et quand les vacances arrivent, elle l’oublie… Il a malgré tout réussi à se faire des amis, surtout un qui l’aide à prendre du recul, à se faire une place parmi tous les élèves.

Les passages présentant le passé nous montrent comment cet homme s’est construit avec une mère absente, un père inconnu, des lacunes, principalement affectives, à combler en permanence. C’est d’ailleurs par l’écriture qu’il remplit cette absence. Il a tissé une histoire, en s’inspirant de la sienne, des carences, des non-dits, des silences. Alors sa mère n’a pas apprécié et quand il l’a interrogée sur son géniteur, elle n’a rien lâché.

Maintenant, elle n’est plus là et cette photo le questionne, c’est lui qui ne lâchera rien. Il commence par chercher qui est l’homme aux côtés de celle qui lui a donné la vie. Patiemment, il remonte le fil, consacrant tout son temps à cette recherche. Un pas après l’autre, il recoupe les indices, remonte le temps, relie ce qu’il apprend à ce qu’il a vécu dans le passé.

Très prenant, parfaitement construit, ce récit est intéressant. Il est représentatif de plusieurs époques, de nombreuses vies, de l’attachement entre les êtres avec les difficultés que cela entraîne, mais également les petites joies. On découvre un enfant solitaire qui devient un homme au fil des chapitres, on l’accompagne dans ses désillusions, ses espoirs, ses réussites.

Pablo Mehler signe là un premier roman prometteur, à l’écriture fluide et vive. Le style alterne descriptions, dialogues, ressentis et réflexions sur les parcours de vie qui ne sont jamais prévisibles.

Un premier roman réussi !


Basses Terres d'Estelle-Sarah Bulle

 

Basses terres
Auteur : Estelle-Sarah Bulle
Éditions : Liana Levi (4 Janvier 2024)
ISBN : 979-1034908400
210 pages

Quatrième de couverture

En Guadeloupe, les toussotements de la Soufrière font partie du quotidien des habitants de la Basse-Terre. Mais en ce mémorable mois de juillet 1976, les explosions s’intensifient, les cendres recouvrent impitoyablement la végétation et beaucoup se résignent à partir en Grande-Terre. Au cœur de cette saison brûlante, les bourgs se vident et les destins se jouent.

Mon avis

Estelle-Sarah Bulle est d’origine guadeloupéenne et depuis qu’elle se consacre à l’écriture, elle s’est « rapprochée » de la culture créole. C’est peut-être pour cette raison que son dernier roman se situe à la Guadeloupe.

C’est en 1976, au moment où le volcan « La Soufrière » menace la Basse Terre que l’auteur situe son récit. Par l’intermédiaire de plusieurs personnages (dont certains font penser à ses parents, notamment lorsque son père est revenu après une longue absence), on visite plusieurs coins de l’île.  Les habitants de Grande Terre accueillent ceux qui fuient Basse-Terre, comme on leur a demandé, à cause d’une possible éruption. Les logements, des cases, ne sont pas grands et le quotidien s’en ressent. Et que dire de ceux qui arrivent de France, qui ne retrouvent rien de leur « vie moderne »  et son pour quelques-uns, parachutés dans un univers nouveau qui les ravit et les déroute à la fois ?

Une femme, Eucate, refuse de quitter sa maison, pourtant située dans une zone dangereuse. Elle est « enracinée » dans le lieu, dans les traditions, dans le passé et on comprend aisément son refus. Attachée au folklore, elle a parfois des réactions surprenantes, à la limite de la superstition et de la crédulité. C’est très intéressant de « l’écouter ».

Pour Marianne qui vient ici pour la première fois (son mari avait fui l’île) avec son époux, qui lui retrouve sa famille, c’est un contraste perpétuel. Loin des clichés « carte postale », elle découvre des demeures sans réfrigérateur, sans confort, où tout le monde s’entasse, sans beaucoup d’intimité. C’est un gouffre par rapport à ce qu’elle vit en France. Ce qui semble « normal », facile à un endroit reste un privilège rare à un autre. La pauvreté est encore très présente en Guadeloupe.

Sur l’île, c’est la nature qui décide. Pourtant Haroun Tazieff et Claude Allègre (c’est un fait réel, habilement glissé dans le roman), se disputent sur la dangerosité du site et sur l’obligation ou pas d’évacuer certains villages potentiellement menacés. Pour information, les deux hommes sont restés fâchés, campant sur leurs positions et ça a duré longtemps. Il ne faut pas oublier que la nature décide, c’est elle qui nourrit, qui « bouge », qui « prête » ses terres….

Ici, c’est difficile de connaître une « pleine réussite », comme on en voit en France. Alors quelques-uns partent là-bas dans l’espoir de jours meilleurs, d’un travail plutôt que le chômage. Mais à quel prix ? Que laissent-ils derrière eux ? Il y a eu également ces femmes confrontées à des grossesses difficiles, voire non désirées et dont les enfants se questionnent encore sous l’œil goguenard de certains voisins.

Cette lecture est une vraie « peinture » d’une époque et d’un lieu, avec toutes les difficultés, les joies, les relations qui se nouent. C’est une excellente représentation de ce microcosme avec tout ce qui s’y joue.

Estelle-Sarah Bulle a une écriture très agréable liant descriptions précises, visuelles et événements marquants ainsi que les ressentis et émotions des uns et des autres. Son style est accrocheur, on s’attache aux protagonistes, on les accompagne un bout de chemin en voulant connaître leur devenir. Leurs portraits sont délicats, emplis d’humanité, de réalisme. Cette histoire sert à aborder de nombreux thèmes : les liens familiaux, les choix pour l’avenir, la résilience, le poids du passé, la vie dans toute sa complexité et sa beauté….

"J'ai amarré mon vélo à une étoile" de Loïc Jubin

 

J’ai amarré mon vélo à une étoile
J'ai amarré mon vélo à une étoile
Auteur : Loïc Jubin
Éditions : Les deux encres (20 Novembre 2013)
ISBN :978-2-35168-625-6
308 pages

Quatrième de couverture

Aller de Nantes à Jérusalem à vélo, de surcroît à soixante-deux ans, oui, c’est possible ! Cet exploit, Loïc Jubin l’a réalisé : 5000 Kilomètres parcourus par tous les temps et sur tous les chemins durant deux mois, onze pays traversés avec vingt-cinq kilos de bagage... et tous les aléas d’un voyage en solitaire effectué par un Occidental ! “J’ai amarré mon vélo à une étoile“ nous livre le récit complet de son périple : la préparation technique et corporelle, les incroyables et merveilleuses aventures qu’il a vécues, côtoyant l’extraordinaire et l’ordinaire, vivant parfois l’ubuesque et la démesure... Que de chemin parcouru pour arriver au Mur des Lamentations, mais le plus important n’est-il pas finalement celui à l’intérieur de soi ? Loïc Jubin nous offre à travers son expérience et son regard sur le voyage une belle leçon de vie et d’ouverture.

Mon avis


« Un homme, une chambre, un vélo »

Loïc Jubin est parti avec son vélo pour rallier Nantes à Jérusalem, comme d'autres « font » le chemin de Saint-Jacques ou la tournée des capitales en stop. Différence majeure, lui, il avait soixante-deux ans lorsqu'il s'est fixé (en accord avec son épouse, c'est important de le dire) ce challenge.

Son récit de voyage est accompagné de photographies, de dessins ou d'aquarelles qu'il a réalisés et qui sont regroupés dans un cahier au centre du recueil. C'est un texte vif, au style fluide, intéressant à lire. Il y a de temps en temps, quelques mots du vélo, qui lui aussi s'exprime sur le voyage ou plutôt sur le voyageur.

Le temps de trois cents pages et même plus encore, tant on reste imprégnés du récit, Loïc Jubin sait parfaitement et avec brio, partager ce qu'il a vécu. Au delà du contenu linéaire, il y a une réelle approche de l'histoire de l'homme à la rencontre des autres et de …. lui-même, L'auteur le souligne très justement : on revient différent de ce genre d'épopée mais en quoi ? Le chemin façonne l'individu, lui donne une substance différente. Le cycliste découvre la solitude sous une autre forme et il revient à l'essentiel : avancer, manger, trouver où dormir. Tout ceci en restant ouvert et prêt à la rencontre, celles d'un jour, d'une heure, d'un sourire mais aussi celles plus longues qui déboucheront sur de longues conversations, des échanges profonds.
Le barrage de la langue est parfois gênant mais certains gestes deviennent vite universels et la magie de la compréhension s'installe. Dans le cas d'un marcheur, d'un cycliste, on est beaucoup plus vite au contact de la population et les échanges sont de vraies richesses.

Bien entendu, tout n'est pas toujours aisé, facile à vivre, simple.
Il y a les conditions climatiques, la pluie qui s'invite parfois longuement, les routes inconfortables qui mettent le corps à mal, le stress et le découragement, les soucis avec les douanes, les responsables qui ne comprennent rien mais, tout cela, sans qu'on l'oublie vraiment, s'estompe et on oublie les galères lorsque les contacts sont positifs ou tout simplement lorsque l'étape est validée et que les kilomètres s'ajoutent aux kilomètres....

Il y a également, le stress de ceux qui restent, qui « portent » l'inquiétude car ils ne sont pas sur place, au quotidien, pour aider en cas de problèmes.... Mais avec la magie des moyens modernes : une balise pour suivre la route, un téléphone portable, un blog, le contact peut être régulier et faire du bien des deux côtés. Car notre voyageur le reconnaît : les textos, les coups de téléphone avec son épouse, sa famille, ses amis, étaient un carburant et un soutien moral énormes.

Loïc Jubin était déterminé. Il souhaitait réussir et il s'est préparé en ce sens, avec un entraînement simple et progressif. L'exploit peut donc être à la portée de tous, pour peu que l'on s'en donne les moyens et qu'on ait la force de caractère nécessaire.

Si la force physique était dans les mollets (bien mal en point certains jours malgré tout), la force morale venait aussi, sans aucun doute, de tous ceux qui ont cru en lui et qui, à distance, l'accompagnaient dans son aventure.

Chapeau bas Monsieur !!