"Sable noir" de Cristina Cassar Scalia (Sabbia nera)

 

Sable noir (Sabbia nera)
Auteur : Cristina Cassar Scalia
Traduit de l’italien par Laura Brignon
Éditions : L’Archipel (14 Mars 2024)
ISBN : 978-2809847383
380 pages

Quatrième de couverture

Le corps momifié d'une femme est retrouvé dans une villa sur les pentes de l'Etna, alors que le volcan répand une pluie de cendres noires sur toute la région. L'enquête est confiée à la commissaire Vanina Guarrasi qui, après trois années passées à Milan, est revenue dans sa Sicile natale diriger la brigade criminelle de Catane. Depuis un demi-siècle, la villa est quasiment à l'abandon, et découvrir l'identité de la victime – avant celle de l'assassin – va se révéler délicat.

Mon avis

Catane, une ville de Sicile. C’est l’été, il fait chaud, et l’Etna envoie de la cendre noire de partout. Les voitures en sont couvertes. La commissaire Giovanna Guarrasi, dite Vanina, a quitté Milan (on découvrira pourquoi) et est revenue dans ce coin où elle est née. Elle y dirige la brigade criminelle. Solitaire, elle vit dans le bourg de Santo Stefano, aime les vieux films italiens qu’elle regarde chez elle, se nourrit assez mal (malgré les efforts d’une gentille voisine), et semble hantée de temps à autre par des souvenirs douloureux. Elle a de bons adjoints, plutôt efficaces et s’il faut se mettre au boulot, tous sont prêts.

Alors qu’elle se prépare pour une soirée cinéma à la maison, Spanò, son collègue efficace, l’appelle. Un corps momifié a été trouvé dans le monte-charge inutilisé d’une villa. Qui ? Pourquoi ? Que s’est-il passé ? L’enquête promet d’être difficile car les faits datent forcément. Les recherches d’indices, d’ADN, ou autres, semblent déjà compromises. La demeure est en partie occupée par le neveu de la propriétaire mais pas du côté où a été retrouvée la morte (car il s’agit d’une femme). Les vêtements conservés correctement montrent qu’elle avait un certain niveau social. Le passe-plat fermant de l’extérieur, elle a dû être coincée là-dedans mais pourquoi n’a-t-elle pas appelé à l’aide ? Était-elle décédée avant d’être installée dans ce lieu ?

Le médecin légiste, les anciens du village, dont le commissaire retraité Patanè, quelques amis sûrs, vont apporter un peu d’aide, ou à défaut un autre éclairage sur cette situation pour le moins bizarre et surprenante. Vanina aura bien besoin de tout ce monde pour comprendre ce qu’il s’est passé.

Les investigations entraînent les policiers dans le passé. Vanina peut interroger quelques témoins de cette époque qui ont probablement connu la femme. Mais elle sent très vite qu’il y a rétention d’informations, qu’on ne lui dit pas tout. Il faudra ruser pour faire parler ces personnes, observer de vieux objets ou documents, recouper ce que lui souffle son instinct et ce qui est tangible.

Impliquant des habitants d’hier et d’aujourd’hui, ce récit est très intéressant. Il est situé en Sicile et les explications des mœurs, des habitudes, sont précises et amusantes…..

« Elle était arrivée en Sicile un peu plus d’un an auparavant. Elle s’était habituée à beaucoup de choses : les horaires flottants, les services inexistants ; elle avait appris à sortir avec des lunettes de soleil en plein hiver, […] »

De plus, comme Vanina mange souvent, les plats locaux sont souvent évoqués (on aurait presque pu nous mettre la liste et les recettes à la fin. C’est dire si on est dans l’atmosphère de cette histoire. Tout y est, l’Etna qui rejette le sable noir, la chaleur, le soleil éblouissant, les habitants taiseux, parfois pas très honnêtes, arrangeant la vérité à leur façon…ajouter à ça une commissaire attachante dans ses forces et sa fragilité, des personnages hauts en couleur, et vous avez une intrigue qui se tient.

L’écriture est plaisante (merci à la traductrice), les chapitres s’enchaînent et les rebondissements permettent de maintenir l’intérêt. Je pense que le « décor » est un atout pour « pimenter » la lecture. Cela m’a bien maintenu dans le contexte, c’est mieux car on s’imprègne plus du texte quand on « visualise » tout ce qui est décrit (et puis pour les spécialités culinaires, avoir uniquement la description, c’est pratique, on ne grossit pas ;- )

Un nouvel auteur à suivre !


"Fairyland" d'Alyssia Abbott (Fairyland)

Fairyland  (Fairyland)
Un poète homosexuel et sa fille à San Francisco dans les années 1970
Auteur : Alyssia Abbott
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard
Éditions : Globe (10/18) (7 Mars 2024)
ISBN :9782267049381
464 pages

Quatrième de couverture

1974. Après la mort de sa femme, Steve Abbott, écrivain et militant homosexuel, déménage à San Francisco. Avec sa fille de deux ans, Alysia, il s'installe dans le quartier de Haight-Ashbury, le centre névralgique de la culture hippie.

Mon avis

Ce récit aurait pu être écrit par le père de l’auteur mais il est décédé quand elle avait à peine vingt-deux ans. Des années plus tard, elle a repris les journaux intimes, les textes, les lettres de son Papa, ses souvenirs personnels, quelques photos, et elle s’est lancée. Dans ce livre, sur fond d’années sida pratiquement impossible à soigner, c’est l’amour, d’un père et de sa fille, accompagné d’un quotidien un peu bohème que le lecteur découvre. C’est représentatif d’une époque, d’un certain mode de vie, de choix le plus souvent assumés. C’est empli d’une forme de douce et tendre folie, de poésie.

Alyssia avait deux ans lorsque sa mère est morte. Son père décide alors de partir avec elle à San Francisco où il pense que ses penchants homosexuels seront plus faciles à assumer. La fillette le suit de locations (quand il paie) en hébergements chez des « amis ». Lui, ce qui le motive, c’est la poésie, c’est son moteur, son ambition. On ne s’improvise pas père alors il galère et sa gosse avec lui. La marginalité du paternel rejaillit sur elle et fait d’elle une marginale, les autres gamines la persécutent. Elle se tait, ça pourrait empirer. Elle sent, elle sait, que ce n’est pas la norme mais pas vraiment le choix.

« Il allait me falloir des années […] avant que je perçoive ma différence comme l’éclat désirable de la vie bohème »

Elle n’a pas « le rôle » d’une petite fille. Elle est la seule relation continue et stable de son paternel. Il fait tout pour elle et elle fait tout pour lui. Elle reçoit ses confidences, trop quelques fois, mais elle est là pour lui-même si ça lui pèse à certains moments.

Quand elle est jeune, elle le voit fréquenter des personnages atypiques, faire des soirées qui n’e finissent pas. Elle devrait être au lit et se retrouve sur le siège d’une voiture ou sur les genoux d’un copain. Elle ne dit rien. Inconsciemment, elle le protège par ses actes, par ses silences.

Plus tard, même quand ils sont un peu éloignés, jamais ils ne s’abandonnent. Parfois, elle se questionne sur sa mère, son attitude avant sa mort. Mais elle revient vite à celui qui remplit toute sa vie. Plus grande, elle s’éloigne, va vivre à Paris mais quand il appelle, elle vole à son secours.

Pas facile d’élever un enfant quand on essaie de se « nourrir » de la poésie, qu’on mène une vie bohème et qu’on souhaite assumer son homosexualité. C’est un sacré défi !

Au-delà de cette forte relation père / fille, l’auteur nous fait découvrir Sans Francisco en 1970/ 1980. Le sida qui fait son apparition et dont elle espère qu’il épargnera son père, les événements politiques, les soirées etc. Elle partage des anecdotes, des peurs, des espoirs, des coups de mou, des éclairs où tout paraît possible. Parfois, elle en a assez, elle veut dire non, stop, mais elle repart parce que le lien qui unit ces deux-là est tellement solide qu’il ne peut en être autrement.

Texte intime, intense, avec une écriture fine (merci au traducteur), Alyssia montre combien il lui a été difficile de se construire. Elle ne souligne pas les manquements de son père (même si le lecteur les lit), elle ne lui en veut sans doute pas mais on comprend bien que parfois elle était totalement déstabilisée, presque abandonnée, elle aurait pu être signalée aux services sociaux je pense. Mais à côté de ça, je crois que cette vie unique, indéfinissable l’a « forgée » et a fait d’elle la femme qu’elle est. Une écrivaine lucide qui nous offre un portrait de famille d’une authenticité bouleversante.

 

"Les entrailles de la nuit" de Marco Pianelli

 

Les entrailles de la nuit
Auteur : Marco Pianelli
Éditions : Plon (14 mars 2024)
ISBN : 9782259315814
290 pages

Quatrième de couverture

Lucie, huit ans et demi, vient d’être enlevée. Grâce à sa montre connectée, elle a pu donner l’alerte et le compte à rebours est lancé : dans vingt-quatre heures, les chances de la retrouver vivante seront moins qu’infimes… Le major Victor Tchaïev est dépêché sur place. Coriace et rugueux, il est spécialisé dans la résolution des crimes les plus complexes. Or, dans ce cas précis, il ne s’agit pas de confondre un criminel, mais de sauver une vie. Et plus l’enquête progresse, plus la vérité devient mirage. Car celui qui joue avec le sablier possède toujours un coup d’avance. Tchaïev va devoir affronter un maître dans l’art de manipuler les faits, les êtres et les esprits. S’il n’est pas déjà trop tard, comment arracher cette petite aux entrailles de la nuit ?

Mon avis

PRIX DU ROMAN DE LA GENDARMERIE NATIONALE 2024

En apnée, le souffle court, le cœur à cent à l’heure…. Dès les premières pages, j’ai été happée, presqu’incapable de poser ma lecture. Ce n’était pas envisageable. L’enquêteur l’avait dit : vingt-quatre heures pour retrouver la fillette, après c’est le plus souvent un échec.

Avec son écriture dynamique, puissante, avec ses puch lines, son style vif et un rythme rapide, l’auteur m’a pris dans ses rets. J’aime sa façon d’écrire, toujours en mouvement, sans temps mort.

Lucie, huit ans et demi a disparu, probablement enlevée. Par qui et pourquoi ? Elle a activé sa montre connectée et a ainsi alerté ses parents. La gendarmerie est prévenue et le major Victor Tchaïev est envoyé sur place, sur ordre du ministre qui connaît très bien la famille inquiète. On ne tarit pas d’éloges sur Victor qui a choisi de rester sur le terrain alors qu’il pourrait faire autre chose.

Lui, il a besoin de se confronter aux situations délicates, de chercher, de sentir l’adrénaline qui l’aide quand il est en danger. Derrière un bureau, ce n’est pas pareil, ça ne lui correspond pas, je suis sûre qu’il serait malheureux. Arrivé sur place, il collabore avec l’équipe de gendarmerie où tous les membres se mettent pratiquement à son service, prêts à l’aider, à le soutenir (ne serait-ce qu’en fournissant du café chaud), à lui expliquer la vie ici loin de la capitale, à l’accompagner dans sa réflexion et ses investigations.

En plus de toutes ces personnes motivées et à disposition, il a Pénélope dans l’ombre. Bras droit efficace, capable d’anticiper, de « sentir » ce que veut le major, une geek rapide, dégourdie, intuitive, une femme quoi ! Ce qui fait toute la différence, n’est-ce pas ? Ces deux-là communiquent à demi-mots, savent toujours où ils veulent aller et ce qu’il faut obtenir pour avancer.

La course contre la montre est engagée, Victor ne veut pas perdre. La caféine le maintiendra éveillé, sa volonté d’en découdre, de coincer le saligaud qui a fait ça, fera le reste. Victor c’est un homme brut de décoffrage, qui ne tergiverse pas, qui veut des résultats. Bougon mais attachant. Il exige de lui-même le maximum et les collègues doivent le suivre. Quand il s’exprime, on l’écoute, on agit et vite. C’est tout. Ses raisonnements sont « pointus » parce que son cerveau « scanne » ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il a analysé.

Dans chaque ligne, on sent l’urgence dans le phrasé. Les dialogues sont précis, ciblés, parfois teintés d’humour (et là d’un coup, on reprend sa respiration).

« -Je ne suis pas vraiment une anguille, major, plutôt un phacochère, faudrait pas que je reste coincé dans un terrier.
-Au moins, ça bouchera une sortie. »

Les scènes sont décrites avec des mots qui font mouche. On y est, on ressent l’atmosphère, on voit les lieux, on sent les odeurs qui envahissent les narines de Victor. Presque de la réalité virtuelle sans le casque, rien qu’en lisant, ça c’est fort !

« Sa superbe venait de faire faillite, le front offert à la sudation et la jambe droite remuant de manière épileptique, hurlaient le langage de la trouille. »

Marco Pianelli prend ses lecteurs en otage. Il sait bien qu’on ne lâchera pas le récit, qu’on voudra savoir, qu’on tremblera, que parfois un sourire pointera mais pas longtemps car l’angoisse, la peur, reprendront le dessus. On est comme Victor, on essaie de recouper les informations, de trouver un indice, et on est malheureux de ne pas y arriver.

C’est un roman qui a largement mérité le prix qu’il a reçu. L’intrigue est originale, réfléchie et elle met en avant plusieurs aspects du mensonge. Les personnages sont hauts en couleurs, « palpables »avec des caractères bien définis. Le contexte du kidnapping d’un enfant nous prend aux tripes et on aimerait intervenir. Voilà pour le fond. Quant à la forme…c’est une réussite, des chapitres courts, des phrases qui s’enchaînent et qui percutent et un Victor que je reverrai volontiers dans un prochain titre !



"Comment te croire?" de Pétronille Rostagnat

 

Comment te croire ?
Auteur : Pétronille Rostagnat
Éditions : HarperCollins (13 mars 2024)
ISBN : 979-1033917038
290 pages

Quatrième de couverture

Depuis six ans, Jean Pagen, chef de groupe à l’Office central pour la répression des violences aux personnes, est obnubilé par une enquête qu'il n'a su résoudre : la disparition en 2015, à Franconville, de l’adolescente Alice Bastide. Alors que la retraite a sonné, il ne peut se résigner à abandonner cette affaire. Célia, sa petite-fille, est victime de terreurs nocturnes depuis plusieurs années. Florence, sa mère, tente de comprendre ce que traverse sa fille alors qu’elle doit elle-même faire la paix avec ce père si longtemps absent. Comment accepter la relation fusionnelle qu’il noue avec Célia ? Que lui cachent-ils ? De nouveaux éléments vont permettre à Jean de relancer l’enquête.

Mon avis

Je lis Pétronille Rostagnat depuis quelque temps et à chaque nouvelle parution je me demande ce qu’elle va bien pouvoir inventer pour me surprendre. Car c’est bien là, le but : me donner envie de continuer l’aventure avec elle. Et bien bingo tiercé gagnant : écriture, personnages, intrigue, tout est réuni pour rendre le récit addictif et original.

Jean Pagen a pratiquement élevé sa fille seul. Mais il n’a pas été un père très présent. Est-ce qu’il voulait fuir son chagrin, était-il mal à l’aise dans son rôle de parent ? Il a consacré beaucoup de temps à son travail, énormément, avec le souhait de réussir. Il était chef de groupe à l’Office central pour la répression des violences aux personnes. Maintenant, c’est l’heure de la retraite, et il rattrape le temps perdu en s’occupant de ses petits-enfants. Il est très proche de Célia, sa petite fille. Cette dernière est victime de terreurs nocturnes qui lui empoisonnent la vie.

Pour autant, il n’est pas totalement décontracté, une ancienne affaire qu’il n’a pas résolue, l’obsède. C’est la disparition d’Alice Bastide, une jeune adolescente. Son collègue et ami Yves Touveneau a du mal à accepter cette idée fixe. Mais lorsque Jean, installé quelques semaines chez sa fille, lui dit qu’il a peut-être de nouveaux éléments, il accepte de l’écouter et de le suivre dans ses idées. Le problème c’est que Jean refuse de citer ses sources dans un premier temps et qu’aucune recherche ne peut être lancée de façon officielle. Les deux hommes vont devoir agir par eux-mêmes en prenant le risque d’un retour de bâton de la part des supérieurs, surtout s’ils obtiennent un résultat.

Forcément, cette situation va créer quelques tensions entre les deux copains. Jean n’est pas très bien. Et chez sa fille, c’est aussi compliqué. Elle lui reproche d’être fusionnel avec Célia, de lui mettre des idées bizarres en tête. Mais Jean sent qu’il peut avancer sur le dossier Bastide, que la vérité n’est pas loin, à portée de main. Ce qu’il pense entrevoir est étonnant, déstabilisant, angoissant. Mais pourquoi ne pas tenter si cela peut l’apaiser et résoudre l’énigme Alice ?

L’autrice a construit une nouvelle intrigue bien ficelée, prenante, intéressante, documentée pour la rendre crédible. Ses personnages sont bien campés, ils ont de l’étoffe et des caractères marqués. Quand elle décrit des lieux, elle le fait avec précision en parlant des monuments qu’on y trouve, donc on visualise parfaitement. Il y a de l’action, du suspense, de l’émotion.

Ce n’est pas évident de se renouveler quand on écrit des romans policiers. Il faut accrocher le lecteur et surtout, le plus difficile, maintenir son intérêt. Je n’ai ressenti ni lassitude, ni temps mort, au contraire, j’avais les yeux bien ouverts, comme devant un film, pour ne pas rater un mot, une information et comprendre l’indicible.

L’écriture très addictive, le style vif et vivant, les chapitres courts, les rebondissements donnent du rythme au texte, entraînant le lecteur, la lectrice au cœur de l’histoire. J’ai beaucoup aimé cette lecture, je me suis attachée à Jean, cet homme qui réalise ses erreurs, qui ne peut pas revenir en arrière, mais qui fait tout pour que l’avenir soit meilleur et plus apaisé.


"La promesse" de Friedrich Dürrenmatt (Das Versprechen)

 

La promesse (Das Versprechen)
Requiem pour un roman policier
Auteur : Friedrich Dürrenmatt
Traduit de l’allemand par Alexandre Pateau
Éditions : Gallmeister (5 Octobre 2024)
ISBN : 978-2351788714
194 pages

Quatrième de couverture

Dans un bois des environs de Zurich, la petite Gretl Moser vient d’être assassinée à coups de rasoir. Confronté au terrible regard d'une mère dévastée, le commissaire Matthias promet de trouver le meurtrier. La police arrête un potentiel coupable, qui avoue avant de se suicider, mais Matthias est persuadé que le véritable tueur court toujours. Hanté par cette affaire, il décide de le traquer seul, en lui tendant un piège aux conséquences tragiques. Une promesse est une promesse, mais la fin justifie-t-elle toujours les moyens ?

Mon avis

Le titre : « La promesse », a été rédigé en 1958 et « retravaillé » pour être étoffé plusieurs fois. Ce roman est en lien avec un scénario de film que l’auteur a écrit. Dans le film, on s’attache au crime et à la résolution de l’enquête. Dans le livre, sous-titré « requiem pour un roman policier », il met l’enquêteur et une affaire qui l’obsède « au cœur du texte », au centre du « débat ».
Dans ce recueil, un conférencier (dont le but est de guider pour un écrire un bon polar) est interpelé par un spectateur, un ancien commandant. Ce dernier explique à l’orateur qu’il n’a pas captivé son public parce qu’il n’avait pas les bons « codes ». Il se décide à partager une histoire qu’il a vécue, pour qu’il comprenne qu’on ne maîtrise jamais tout, que résoudre une enquête n’est pas soumis à une logique parfaite.

Pour appuyer son propos, il l’emmène en voiture et s’arrête dans une station-service où se trouve son ancien coéquipier, Matthias. Celui-ci avait promis, des années auparavant, à une famille de retrouver l’assassin de leur petite fille. C’est devenu une idée fixe, une obsession, alors que fait-il là ?

C’est le policier qui raconte à la première personne. Il résume les faits : un crime sordide sur une fillette, un coupable probable, et son copain Matthias persuadé que le prédateur court toujours et décidé à mettre en place un piège pour l’arrêter. Il y a une mise en abyme de ce qu’il s’est passé et des conséquences que cela a entraînées. Il analyse tout ce qui a eu lieu et comment cela a joué sur la « vie » de son adjoint, sur son esprit, en transformant son quotidien, à tel point qu’il pouvait agir de façon insensée.

Un grain de sable peut modifier un destin, voire plusieurs par ricochet. C’est ce qu’essaie de démontrer l’ex enquêteur à celui qui voulait donner des conseils pour créer un bon texte policier. Et le lecteur le constate également. Matthias a fait demi-tour pour ne pas abandonner ses investigations. Il s’est « noyé » dedans, s’est perdu, a été déçu de voir que rien n’avançait, mais a toujours espéré tenir sa promesse. C’est ce qui « le tient » debout même dans un état pitoyable…. Mais ce n’est pas ainsi qu’il pensait à son avenir.

Merci au nouveau traducteur. J’ai trouvé l’écriture profonde et intéressante. D’autant plus qu’elle parle des rapports humains, de la volonté de réparer ce que l’on pense être une erreur et d’empêcher d’autres méfaits. Ça se déroule dans un petit coin de Suisse qu’on imagine sans peine, les personnages et les lieux sont décrits avec précision car ils font partie du décor et jouent parfois un rôle, la météo aussi. On voit comment les événements peuvent agir sur le caractère de chacun, changer les liens qui unissent les personnes, surtout quand elles tiennent compte du regard des autres…

De nombreuses références sont présentes, à commencer par le petit chaperon rouge qui part en forêt ….  Cela permet de faire des parallèles et de se questionner : peut-on tout se permettre dans la recherche de la vérité ?

« […] notre devoir premier consistait à ne pas dépasser nos limites, sans quoi nous ne ferions qu’ériger un État policier. »

La folie peut-elle tout excuser ? Peut-on se cacher lorsqu’on a une conviction ?

J’ai beaucoup apprécié cette lecture qui aborde le thème du roman policier sous un angle totalement différent, un peu comme de l’intérieur, « à l’envers ». Il n’y a pas surenchère d’actions. Cela peut paraître assez lent mais c’est parce que tout est décortiqué avec doigté.

"La conjuration de Dante" de Fabrice Papillon

 

La Conjuration de Dante
Auteur : Fabrice Papillon
Éditions : Seuil (8 Mars 2024)
ISBN : 978-2021524062
516 pages

Quatrième de couverture

Les tombeaux des plus grands scientifiques profanés.
Des meurtres inexpliqués dans plusieurs capitales européennes.
Un complot d’une envergure sans précédent.
Une enquête de la commissaire Vernay, sous haute tension.

Mon avis

Dans ce nouveau roman, on retrouve Louise Vernay que l’auteur a déjà mis en scène dans son livre précédent. Il y a quelques allusions aux années antérieures et c’est suffisant pour comprendre qui elle est, son passé et l’influence qu’il a sur ce qu’elle vit actuellement.

L’histoire se déroule en Avril 2024. Louise est normalement au repos forcé mais une affaire bizarre va vite la remettre sur les rails. En sortant d’une consultation dans un hôpital parisien, elle se retrouve avec un homme inconscient sur les bras (c’est un motard qui le dépose à ses pieds en tenant des propos sibyllins). Il s’avère que cet inconnu évanoui est le directeur adjoint du CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives). En parallèle de cet incident, la tombe de Marie Curie est profanée. Ce n’est que le début… D’autres tombeaux seront « visités » dans différents pays …

Louise, son coéquipier Lorrain Ceylac (avec qui les rapports ne sont pas faciles), un collègue italien, Bianchi, et d’autres enquêteurs vont essayer de trouver le point commun entre tous ces faits et stopper la spirale infernale. Sentant qu’il faut agir vite car ils ont compris que ceux qui tirent les ficelles dans l’ombre n’ont pas l’intention de s’arrêter, ils font leur maximum.

C’est une intrigue assez complexe, aux nombreuses ramifications et à la documentation solide. Fabrice Papillon a su intégrer dans son récit des références scientifiques, des personnages réels, et il a ainsi bâti une fiction qui est captivante. Il y a des retours en arrière (dont certains très loin) qui expliquent le comportement des protagonistes, les décisions prises ou les raisons d’une attitude dans le présent. Je pense que l’auteur a été « gonflé », audacieux et futé pour nous entraîner dans son univers, rendre tout ça globalement crédible et réussir à nous intéresser mais également nous angoisser et nous faire peur.

Ce récit semblera sans doute trop « savant » à certains, je pense qu’il faut un minimum d’intérêt pour le cerveau et tous ceux qui ont contribué à son étude pour maintenir l’envie de lire. J’ai retrouvé certaines choses que je savais, j’en ai découvert d’autres, vérifiant régulièrement pour démêler le vrai du faux. Je n’avais jamais entendu parler du CSG (Coma Science Group) au CHU de Liège par exemple. C’est fascinant de voir ce qui se met en place.

Si quelques petites actions peuvent sembler invraisemblables, l’ensemble des pièces de ce gigantesque puzzle s’emboîte parfaitement. L’auteur sait bien où il veut nous emmener et on y va tout droit en se laissant emporter par son écriture fluide et son style vif et vivant. Des dialogues bien pensés, du suspense, des personnages troubles, d’autres attachants malgré leur maladresse, des fins limiers intuitifs, parfois électrons libres comme on les aime (trop lisses et trop rangés, ils sont vite insupportables), des esprits retors dont l’aspect psychologique est décrit avec doigté. Parce qu’il n’y a rien de plus difficile que de parler de la folie des hommes, on peut en rajouter, en faire trop, lasser le lecteur par trop de tout. Fabrice Papillon dose, équilibre et c’est pour cela que « La conjuration de Dante » nous prend dans ses rets avant de nous lâcher ébaubi à la dernière page sans espoir de retour en arrière car le mot fin est écrit ….


"Perdre la main" de Dominique Sigaud

 

Perdre la main
Auteur : Dominique Sigaud
Éditions : Globe (7 Mars 2024)
ISBN : 978-2383612858
210 pages

Quatrième de couverture

Ce livre, elle pensait l’appeler La Colline. Dominique Sigaud avait tout noté dans un carnet lorsqu’elle était à Bisesero, en 1994. Journaliste indépendante sans autre nom que le sien sous lequel se ranger, elle fut l’une des rares femmes à couvrir le génocide des Tutsis au Rwanda. Vingt-cinq ans plus tard, les mots, elle les retrouvait, intacts, comme elle les avait agencés sur les pages pour organiser le chaos du monde, pour raconter les massacres et les assassins ivres d’alcool et de sang. Mais le récit ne s’écrivait toujours pas. La colline où toute l’horreur du génocide s’était écrite n’était pas le lieu central comme elle le pensait. Le lieu central, il lui a fallu trente ans pour comprendre que c’était le corps de cette jeune femme, croisée dans une boîte de nuit.

Mon avis

Dominique Sigaud est journaliste. En 1994, elle était au Rwanda, témoin du génocide, prenant des notes dans un carnet. Elle a vu, senti, entendu et elle est rentrée. Vivante mais marquée, détruite de l’intérieur. Elle a mis ses souvenirs à distance, pour oublier, se préserver, ou tout simplement parce qu’elle ne pouvait plus accepter.

Et puis, trente ans après, elle a écrit et elle partage avec nous. D’abord le titre qui n’est en rien anodin (elle l’explique en détails plusieurs fois), puis ce qui revient par flashes, par bribes ou beaucoup trop nettement quelques fois. Et à ce moment-là, ça fait terriblement mal. Le réel vous rattrape, vous savez que cela a vraiment existé puisque vous y étiez.

Elle raconte en employant le « je », ou en disant « elle ». Est-ce trop douloureux de parler à la première personne, de reconnaître qu’on était sur place, impuissante à changer le cours des événements ? Est-ce que dire « elle » c’est un moyen pour se sentir moins concernée ? Elle explique :

« […] c’est comme un va-et-vient entre deux formes de moi, deux versants qui furent présents en même temps, l’un plus distancé, plus éphémère, l’autre plus directement atteint par les événements, plus accaparé, plus incapable de distance aussi. »

Ce qu’elle présente est bouleversant. Elle parle de la culpabilité, de cette impression de n’avoir servi à rien, d’être inutile. Elle raconte cette boîte de nuit colorée, éclairée, bruyante, foisonnante de monde, où la vie semble redevenir « normale » au milieu du chaos, comme une parenthèse. De ces jeunes qui veulent danser, chanter, oublier ? Non, on ne peut pas oublier… Il y a toujours quelque chose qui vous ramène à l’horreur même dans un dancing … Et vous ne pouvez pas vous voiler la face, faire comme si …..

Elle jette les mots sur le papier, elle les expulse, il arrive qu’ils se bousculent sans majuscule, ni ponctuation comme lorsqu’on ne sait plus comment dire, ou alors que tout veut sortir en même temps, comme si les minutes lui étaient comptées et qu’il fallait faire vite, ouvrir les yeux, les siens, les nôtres. Est-ce qu’elle fait ça pour s’en débarrasser, tirer un trait, penser « ça, c’est dit, ouf, on tourne la page ? »  Impossible, ça vous colle à la peau, à l’esprit, ça vous ronge, ça vous envoie des cauchemars, des peurs irraisonnées, ça revient …

Et ceux d’en face, qui n’y étaient pas, qui reçoivent le texte, qu’en font-ils ? Publier ou pas ? Accepter le style, l’écrit trente ans après, se dire que les souvenirs ont été émoussés ou pas ? Est-ce vraiment nécessaire de remuer tout ça ?

J’ai fini cette lecture laminée, vidée, je comprends l’auteur et son ressenti. Son style m’a remuée au plus profond de moi et je sais que je me souviendrai longtemps de ce recueil.

« Perdre la main », c’est peut-être également, se dire que maintenant le texte n’appartient plus à Dominique, il vit. Et c’est à nous, lecteurs, de lui faire continuer son chemin, pour que personne n’oublie, pour que les « ogres » ne restent pas impunies, pour que les survivants aient un peu de reconnaissance, pour que les disparus existent encore dans la mémoire de ceux qui les font vivre en parlant d’eux.