"The Gray Man – Tome 2 : La cible" de Mark Greaney (On Target)

 

The Gray Man – Tome 2 : La cible (On Target)
Auteur : Mark Greaney
Traduit de l’américain par Philippe Vigneron
Éditions : L’Archipel (1er Juin 2023)
ISBN : 978-2809842692
482 pages

Quatrième de couverture

Connu sous le pseudonyme de Gray Man, ce tueur à gages est devenu légendaire pour sa discrétion et son efficacité. Aujourd'hui pris entre deux feux – tuer un dictateur africain ou lui laisser la vie sauve –, le Gray Man est devenu la cible.

Mon avis

Court Gentry a été agent de la CIA (et a la formation qui va avec) mais c’est fini. Il est maintenant Gray Man, tueur à gages et vit plutôt en marge, sans se faire remarquer. Il a un sens de l’observation hyper développé, il analyse les gestes, les paroles, les regards. Cela lui permet d’avoir un peu d’avance sur ses adversaires, ou sur ceux qu’il rencontre. Cet aspect du personnage est très intéressant et plutôt bien développé. Évidemment, il a des capacités physiques hors normes et un cerveau qui réfléchit vite et bien. Malgré tout il est accro aux opiacés, comme quoi il n’est pas parfait.

Dans cette nouvelle aventure (je ne connaissais pas la précédente, adaptée en film et ça ne m’a pas dérangée), un commanditaire russe lui confie une mission. Il doit tuer un président africain. C’est dans ses cordes bien entendu. Il s’organise, commande son matériel et … Un autre « patron » (à qui il a déjà eu affaire) lui demande de kidnapper le même homme. À qui « obéir » ? Quoi qu’il fasse, il y aura des mécontents, qui voudront se venger et avoir « sa peau »…. Gentry est donc tiraillé, d’autant plus que les raisons données pour qu’il agisse ne sont pas toujours claires. Y-aurait-il du mensonge et de la manipulation dans l’air ? Comment va-t-il choisir son camp ? Et que répondre à celui à qui il dira non ?

Rien n’est jamais tout blanc ou tout noir et Court va se trouver rapidement au cœur de conflits et d’ennuis majeurs, surtout que son impulsivité peut lui jouer des tours. Il ne sera pas tout le temps en capacité de faire ce qu’il décide. Il se veut sans attache mais on ne sait jamais, n’est-ce pas ?

C’est un récit trépidant, avec énormément de dialogues, d’actions, de rebondissements. L’angoisse monte, on est sans arrêt à s’interroger sur la suite. Chaque décision que notre héros prend peut être lourde de conséquences. Il doit de temps à autre agir vite et la prise de risques est importante. Gray Man est un meurtrier mais il a une bonne part d’humanité malgré tout. Il ne cherche pas la mort pour la mort et il se révèle capable d’essayer de protéger ceux ou celles dont il pense qu’ils ou elles le méritent.

Netflix a fait une série de ce livre et on comprend pourquoi tant c’est addictif, prenant. On voyage, on bouge, le texte est déjà très visuel alors si en plus il y a l’apport des images ! D’autre part, au-delà de l’intrigue qui tourne autour de celui qui sera exécuté ou pas, l’auteur complète son propos avec une approche politique où les dirigeants de ce monde s’affrontent, par intermédiaire, pour s’approprier ce qui ne leur appartient pas vraiment et profiter de tout sans affect. Cela donne plus de profondeur et d’intérêt à son texte.

Impossible de s’endormir sur sa lecture avec une telle histoire ! Pas de temps mort, il se passe toujours quelque chose. Ça se bagarre, ça ruse, ça s’entourloupe, ça agit plus ou moins honnêtement… Peu de femmes, mais celle qui est le plus présente n’est pas mal du tout dans sa naïveté et sa droiture.

L’écriture dynamique (merci au traducteur) impulse le mouvement. De temps à autre, une vanne de Gray Man et une pointe de dérision. C’est fluide et addictif !

"Crossroads" de Jonathan Franzen (Crossroads)

 

Crossroads (Crossroads)
Auteur : Jonathan Franzen
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Olivier Deparis
Éditions : L’Olivier (23 Septembre 2022)
ISBN : ‎ 978-2823614565
704 pages

Quatrième de couverture

Nous sommes en 1971, à la veille de Noël, la météo annonce une importante perturbation. Russ Hildebrandt vit avec sa femme, Marion, et leurs enfants dans une banlieue cossue de Chicago. Pour ce pasteur libéral, l'attirance qu'il ressent à l'égard d'une jolie paroissienne est un vrai cas de conscience. À ses tourments s'ajoute l'arrivée de Rick Ambrose, le jeune pasteur cool qui cherche à l'évincer à la tête de l'association de jeunes qu'il a créée.

Mon avis

C’est parce que j’avais apprécié « Freedom » du même auteur que j’ai eu le souhait de découvrir Crossroads. C’est globalement une lecture intéressante mais j’ai ressenti quelques longueurs.

Nous sommes dans les années 70 et nous faisons connaissance avec une famille où le père est pasteur. Tous les membres de la famille (parents et enfants) vont être « décortiqués » avec un profil psychologique finement analysé (parfois trop à mon goût car je trouvais qu’un peu d’action aurait permis de maintenir mon intérêt). On s’aperçoit rapidement que le dialogue, l’écoute, ont disparu et que chacun a tendance à vivre sa vie sans se préoccuper de ce que pensent les autres. Parfois, il y a un peu de partage avec de vrais débats mais ça ne tien pas vraiment sur le long terme.

Les chapitres sont consacrés à l’un ou à l’autre que l’on suit dans son quotidien, ses questions existentielles, ses problèmes relationnels, ses troubles, ses petites réussites… Il n’y a pas un récit linéaire avec une intrigue, ce sont plutôt des « arrêts » sur image sur les différents personnages. Cela permet d’aborder beaucoup de thèmes : la guerre du Viet Nam, le choix des études, les tentations, la religion, la politique, le sexe…. Parfois, j’ai trouvé que les explications apportaient de la lourdeur par le nombre de détails, voire de digressions avec des retours en arrière.

L’équilibre familial est très fragile. Tout le monde est sur le fil, les nombreux non-dits et les mensonges empoisonnent les discussions qui de ce fait, ne sont pas fluides.

Je reconnais que Jonathan Franzen sait parfaitement « camper » une famille américaine avec toute sa complexité. Il décrit tout cela parfaitement ainsi que l’atmosphère du pays à cette époque. Son écriture (merci au traducteur) est plaisante mais le style manque de rythme. Certains chapitres étaient addictifs, je voulais savoir ce qui allait se passer, d’autres étaient trop lents à mon goût.

Ce livre est le premier d’une trilogie, donc à suivre…

"Bienvenue au conseil de surveillance" de Peter Handke (Begrüßung des Aufsichtsrats)

 

Bienvenue au conseil de surveillance (Begrüßung des Aufsichtsrats)
Auteur : Peter Handke
Nouvelle traduction de l’allemand (Autriche) par Laurent Cassagnau
Éditions : Christian Bourgois (1er Juin 2023)
ISBN : 978-2267050783
210 pages

Quatrième de couverture

Quel est ce conseil de surveillance qui se réunit dans une maison isolée quelque part en montagne ? La pièce n’est pas chauffée, les vitres sont cassées, le vent souffle dehors, et un enfant vient de mourir juste devant, heurté par une voiture alors qu’il faisait de la luge. Est-ce un des membres du conseil qui a tué accidentellement l’enfant du concierge ? Et quel est le but de la réunion ? Bienvenue au conseil de surveillance explore tous les ressorts de la violence en dix-neuf récits.

Mon avis

Peter Handke est né en Autriche en 1942. Il a eu le prix Nobel de littérature en 2019. La vingtaine de textes que réunit ce livre, a été rédigée entre 1963 et 1969. Une nouvelle traduction vient d’être faite et elle est publiée par Christian Bourgois éditeur.

Le point commun entre toutes ces histoires, c’est la violence sous toutes ses formes. Elle peut toucher la personne elle-même, les autres, la nature, etc. Chaque situation est décortiquée, analysée, présentée avec une écriture chirurgicale, concise, dénuée de tout affect. Les faits, rien que les faits, qu’on prend en pleine face. Cela peut être des situations ordinaires, voire banales mais un grain de sable et le tragique est présent, vous faisant froid dans le dos (je pense à « Témoin oculaire » qui est bouleversant de simplicité et de désespoir). Ce qu’il se passe ? Presque rien et pourtant c’est terrible.

« Le procès » est bien entendu à rapprocher du récit, portant le même nom, de Franz Kafka. Comment les hommes rendant la justice peuvent-ils se tromper ? Comment un homme peut-il finir par se sentir coupable alors qu’il ne l’est pas ? C’est la manipulation des mots, des phrases à qui on fait dire ce qu’on veut.

 Peter Handke les choisit, les tourne, les assemble dans un but précis, celui de transmettre d’une façon dramatique l’annonce d’une mort. Les descriptions sont visuelles, froides, faites, le plus souvent, de peu de mots, pour frapper encore plus fort et rendre « réel » ce qu’on lit. Dans ces courtes nouvelles, des personnes meurent parfois par accident, parfois parce qu’en face, quelqu’un a eu la volonté de les tuer, la finalité est la même.

Je ne vais pas analyser chaque histoire afin de ne pas trop en dire. Mais elles sont toutes différentes et présentent divers aspects de la violence. Il y a une profonde réflexion derrière tout ça malgré le petit nombre de pages.

J’ai été impressionnée par le style littéraire, les styles, devrais-je écrire car c’est varié. L’auteur est né en 1942, les textes de ce recueil ont été consignés entre 1962 et 1967. Il était donc très jeune. Pourtant il y a de la puissance dans ce qu’il présente, de la recherche. C’est très ambivalent, car on pourrait presque sourire devant chaque drame évoqué mais on sait bien qu’on ne peut pas. Pourquoi ? Parce que c’est corrosif, avec une pointe d’absurde et de provocation mais le ton employé fait qu’on reste dans le politiquement correct, c’est sacrément bien pensé !

Je n’ai pas lu la première version, je ne peux donc pas comparer la traduction. Je ne doute pas que celle-ci doit être plus adaptée à notre époque, plus percutante sans pour autant déflorer le contenu. Est-ce que Laurent Cassagnau avait lu la première version ? Quoiqu’il en soit, bravo pour son travail car si cet opus est intéressant, c’est aussi parce qu’il a réussi à trouver le bon vocabulaire.

C’est décapant et c’est une magnifique découverte !

NB : les « questions d’examen » m’ont bouleversée, heureusement que je ne passe pas le bac !

"Qui sème des graines de folie croque la vie" de Charlotte Léman

Qui sème des graines de folie croque la vie
Auteur : Charlotte Léman
Éditions : L’Archipel (1er Juin 2023)
ISBN : 9782809846799
384 pages

Quatrième de couverture

Marie court, tout le temps. Elle jongle entre l'intendance du quotidien, un travail prenant et deux ados qu'elle élève seule : Marie est une Wonder Woman des temps modernes. Mais sa mécanique s'enraye lorsqu'elle perd son emploi du jour au lendemain. Elle décide de profiter de son infortune pour prendre un nouveau départ, loin du tumulte de la vie parisienne. Alors que Marie commence à se demander si elle n'a pas fait une erreur en quittant ses repères, une voisine l'invite à rejoindre le Cercle des Floralies, un groupe de femmes atypiques qui cultivent la joie de vivre.

Mon avis

Ça ne coûte rien de se faire du bien. Lire un roman feel good n’est pas désuet, c’est comme prendre un carré de chocolat, un bout de brioche ou autre douceur. C’est une parenthèse délicate, enchantée, qui met le sourire aux lèvres, qui lance des « pourquoi pas » dans votre esprit, qui requinque, regonfle ou donne de l’allant tout simplement.

Cette lecture en est un parfait exemple et, si comme pour toutes les sucreries, il ne faut pas en abuser, cette petite bulle au milieu de livres plus ardus, est un vrai plaisir.

Marie Vence élève seule deux adolescents. Elle vit et travaille à Paris. Comme beaucoup de mères dans son cas, elle a un sentiment de culpabilité latent, et essaie d’être au top sur tous les fronts. Elle est débordée mais elle assume toutes les tâches, au mieux, sans jamais penser à elle. Une restructuration dans son entreprise et c’est un tsunami. Elle est licenciée. Il faut prendre une décision, la pension alimentaire et les indemnités de chômage ne lui permettront plus d’assumer un quotidien dans la capitale.

Elle prend donc la décision de s’installer dans une maison, en province. C’est un lotissement avec quelques voisins, et une ville de cinq mille habitants à proximité. Un contraste immense après avoir quitté la première ville de France. Ses enfants ne sont pas ravis mais il faudra bien que tout le monde s’habitue et vive le plus sereinement possible cette situation.

Marie a des rencontres régulières à Pôle Emploi mais rien ne se profile à l’horizon… Garder le moral dans ces conditions est difficile, d’autant plus que son fils ne travaille pas régulièrement au collège et qu’elle est convoquée. Elle se sent seule, dépassée, traîne dans un vieux jogging, ne prend pas beaucoup soin d’elle… Puis par un des ces hasards qui fait aimer la vie, elle fait connaissance avec une habitante de Pierrefontaine et se retrouve à participer au Cercle des Floralies. Ce sont des habitantes du coin qui passent une soirée par semaine ensemble pour s’écouter et s’épauler.

Dubitative, Marie les rejoint. Est-ce que ce groupe va l’aider à s’en sortir ? Est-ce que c’est ce dont elle a besoin ? Nous allons découvrir leur quotidien, leur entraide, leurs problèmes et comment elles agissent pour positiver et continuer la route malgré les aléas. Sans se poser en donneuse de leçon, l’auteur glisse ça et là des conseils qu’on connaît mais qu’il est nécessaire de ne jamais perdre de vue. Prendre du temps pour soi, trier les priorités, lâcher du lest, s’ouvrir à l’autre, se faire confiance etc. Mais je ne vous apprends rien, n’est-ce pas ?

Pétillante, pleine d’humour et de dérision de bon goût, l’écriture de l’auteur est plaisante (les # sont très amusants et bien pensés), ça glisse tout seul, on se prend d’affection pour ces nanas, on a envie que le meilleur se profile pour chacune d’elle. Parfois, les situations sont cocasses et ressemblent à de petites tranches de vie très réalistes. Les protagonistes sont comme ceux qu’on peut croiser tous les jours et on se dit « tiens, ça me rappelle … ». Je sais que certains parleront d’un côté cliché, d’un air de déjà vu, mais personnellement, je suis passée outre. Pour moi l’essentiel était ailleurs. Je pense que ce style de récit peut redonner du peps, de l’énergie et l’envie d’avancer. Je n’ai pas vu le temps passer en compagnie de ces drôles de dames !

NB : #charlottelémandonnelemoral ;-)

"In vino veritas" de Magali Collet et Isabelle Villain

 

In vino veritas
Auteurs : Magali Collet & Isabelle Villain
Éditions : Taurnada (11 Mai 2023)
ISBN : ‎ 978-2372581172
252 pages

Quatrième de couverture

Lors d'un vernissage, une galeriste est assassinée. Secrets, mensonges et trahisons vont secouer la quiétude d'une petite commune en plein coeur du vignoble bordelais. Et lorsque deux frères se retrouvent après des années de séparation, la liberté de l'un va dépendre de la détermination de l'autre.

Mon avis

Machiavélique !

Dans la famille Clavery, il y a les parents, riches propriétaires dans le vignoble et deux fils en perpétuelle rivalité. Suite à un différend familial, l’un des deux est parti, l’autre, Mathias, est resté prés de sa famille. Il est capitaine de gendarmerie et marié à Aurélie, une galeriste. Elle aime l’art aborigène et réussit bien dans ce domaine.

Elle organise un vernissage où sont invitées de nombreuses personnes. Elle est assistée de son collègue et d’une jeune femme qui l’aide au quotidien. Son mari est là, sa belle famille également. Tout se déroule sans anicroche ou presque… jusqu’au drame…. Aurélie est retrouvée morte, le crâne fracassé. Que s’est-il passé ? Qui pouvait lui en vouloir au point de l’assassiner ? N’y avait-il pas des tensions dans le couple, et / ou avec son associé, voire même avec son assistante ? La gendarmerie a beaucoup de travail, d’autant plus qu’un collègue est impliqué et que certains moments de la soirée ne sont pas clairs. Il est nécessaire de vérifier les emplois du temps, dans lesquels, forcément, il y aura des trous, d’autant plus que personne ne pensait devoir justifier de ses occupations.

Suite à ce dramatique événement, Augustin, le frère de Mathias revient pour soutenir les siens, en essayant d’oublier ce qui l’avait fait partir. La relation entre les deux frangins va-t-elle revenir à plus de douceur, d’écoute ? Et comment les parents vont-ils réagir face à cette horrible fait ? Plusieurs individus peuvent être soupçonnés et pas obligatoirement ceux qu’on imagine. Les indices peuvent être interprétés d’une façon ou d’une autre et les enquêteurs ont fort à faire pour comprendre. S’ils y arrivent ! Quant au lecteur, il est baladé, ballotté entre divers sentiments et éventualités ne sachant plus à qui faire confiance.

C’est sans doute la principale force de ce roman purement machiavélique, nous amener à être persuadé d’un fait avant de semer le doute et de nous entraîner sur une autre piste (et elles sont nombreuses !). Les protagonistes ne sont pas lisses, la plupart ont une part d’ombre, des vices cachés. Ils peuvent « oublier » de tout dire, transformer la réalité, enjoliver ou dramatiser ce qu’ils ont vu ou perçu. Leur profil psychologique est travaillé, réfléchi. Parfois certains s’emballent vite et tirent des conclusions rapides. On se dit que lorsque c’est si évident, c’est qu’il y a un truc qui cloche mais pris dans leurs investigations, ils n’ont pas le temps de penser comme ça, il faut des résultats.

 Écrit à quatre mains, ce récit aborde différents sujets, dont quelques-uns très graves. Les deux auteurs montrent combien il est difficile d’agir, d’être cru dans certains cas lorsque tout semble prouver le contraire.
On ne distingue pas qui a rédigé quoi et c’est un point fort, tout est fluide. Il y a suffisamment de rebondissements pour maintenir l’intérêt et enfiévrer notre esprit qui se pose mille questions.

Un texte de qualité et une fin qui laisse pantois.

"Feedback" de Jakub Zulczyk (Informacja zwrotna)

 

Feedback (Informacja zwrotna)
Auteur : Jakub Zulczyk
Traduit du polonais par Kamil Barbarski et Erik Veaux
Éditions : Rivages (24 Mai 2023)
ISBN : 978-2743659134
546 pages

Quatrième de couverture

Marcin Kania, star du rock polonais tombé dans l’alcoolisme, est surtout connu pour avoir composé un tube rebelle et ironique, « Je t’aime comme la Russie ». À plus de cinquante ans, il aurait sans doute sombré sans ses droits d’auteur et sa réputation de légende. Mais lorsque son ancien producteur lui propose d’investir dans une affaire juteuse, Marcin est bien loin de se douter de l’enfer qui l’attend.

Mon avis

Boire n’est ni un récit, ni un mystère, ni une gloire*

Le ton est donné, c’est sur fond d’alcoolisme que se déroule ce récit. L’alcoolisme des gueules de bois qui vous rendent amnésiques, des vomis, des coups donnés et reçus et oubliés aussitôt, des amis qui en ont assez de vous voir dans cet état, des séances auprès des alcooliques anonymes où vous parlez, écoutez et ne retenez pas grand-chose, des promesses non tenues, des pleurs, des pardons, des nuits hachées, des journées perdues, d’une vie gâchée …..

Quand on lit les notes en fin d’ouvrage, où l’auteur remercie ses thérapeutes, on comprend qu’il sait de quoi il parle et que son texte a des accents de vérité. Cela fait d’autant plus mal. Car disons-le carrément, c’est un livre glauque, dur, terrible. Il nous montre les dégâts d’une addiction ainsi que les dommages collatéraux. Parce que, à la limite, que Marcin foute sa vie en l’air, c’est triste et dommage vu que c’est une star du rock, mais que ça rejaillisse sur sa famille, c’est une catastrophe. C’est destructeur et plus personne ne peut le supporter, ni sa femme, ni ses enfants. Son fils et sa fille, son épouse, tous sont épuisés par ses frasques, le fait de ne pas pouvoir communiquer avec lui car il n’est presque jamais sobre et quand il l’est, il ne se souvient pas forcément de ce qu’on lui dit.

Dans ce roman plus que noir, en plus des problèmes liés à la boisson, l’histoire présente les difficultés de la relation père / fils. De plus, Jakub Zulczyk dénonce le scandale de la privatisation des logements et égratigne le gouvernement polonais. Il évoque les méthodes de gangsters, les magouilles, les mensonges, pour arriver au résultat recherché par ceux qui tirent les ficelles dans l’ombre.

C’est Marcin qui s’exprime, tout est rédigé à la première personne. Il y a des nombreux allers-retours sans date mais au vu des événements, on sait exactement où ça se situe dans l’intrigue. On ne peut jamais souffler, on est toujours dans le chaos, l’espoir semble interdit. Un jour, son fils disparaît et Marcin veut absolument le retrouver. Il va chercher dans Varsovie et les environs mais est-il conscient que cette absence est peut-être une conséquence de ses dérives à lui ? Est-il en état d’agir ?

Avec une écriture nerveuse et sèche (merci aux deux traducteurs), on plonge dans l’horreur d’un couple qui se déchire, d’un homme qui se perd. On suit les rencontres thérapeutiques, les courses poursuites, les peurs, les délires, les cauchemars. Le style est vif, rapide, sans aucun pathos, brut, douloureux. C’est presque épuisant de lire car on retient sa respiration en se demandant jusqu’où on va tomber, enfin pas nous, Marcin…

Je suis ressortie lessivée de cette lecture, j’avais l’impression d’avoir donné de l’énergie pour maintenir mon esprit dans le fait qu’il s’agissait d’une fiction, uniquement d’une fiction…. Mais comme c’est, malheureusement, très réaliste, c’est éprouvant de découvrir le quotidien de Marcin et de sa famille. Que c’est triste d’en arriver à de telles situations !

Jakub Zulczyk retranscrit à la perfection l’univers torturé d’un père de famille et toutes les conséquences dramatiques qui découlent de son comportement.


 La mémoire, c’est la vérité.
La vérité, c’est la douleur.
La douleur, c’est la gueule de bois.
La gueule de bois, c’est tout ce qui reste.
Sans doute.

*page 516


La guerre d'Alan d'Emmanuel Guibert

 

La guerre d’Alan 1
D’après les souvenirs d’Alan Ingram Cope
Auteur : Emmanuel Guibert (Dessins et textes)
Éditions : L'Association (1er Janvier 2000)
ISBN : 978-2844140364
90 pages

Quatrième de couverture

La seconde guerre mondiale vécue par l'Américain Alan I. Cope, et transmise par Emmanuel Guibert, comporte trois volumes. Ce premier volet raconte la préparation militaire du jeune Alan depuis Fort Knox jusqu’au débarquement en Normandie.

Mon avis

« On n’a pas jeté nos heures »

Ce sont les mots d’Alan à Emmanuel (le dessinateur et scénariste de cette bande dessinée). Alan a existé, il est né en 1925 et pendant cinq ans il a côtoyé régulièrement Emmanuel. Ils ont jardiné, fait du vélo, ont échangé au téléphone ou oralement, ont tissé une amitié importante malgré leur différence d’âge (presque 40 ans) et tout cela a donné naissance à trois tomes de « la guerre d’Alan ». Bien sûr, il n’y a pas que la guerre car Alan a également évoqué son enfance, sa jeunesse, l’après-guerre. De temps à autre les souvenirs manquent de précisions mais peu importe.

Dans ce premier tome, on découvre la préparation militaire et le débarquement au Havre pour les vingt ans d’Alan. Les dessins sont en couleur sépia. Certains ressemblent à des photos. Ça se suit comme un reportage. Des heures de conversation enregistrées ou pas pour aboutir à ces planches intéressantes.

Mettre en BD toute une vie c’est compliqué mais quel hommage à cet américain !

On apprend énormément sur la vie d’Alan, sur le quotidien des soldats. Alan est un jeune homme comme on pouvait en croiser à l’époque et pourtant on est captivé par ce qu’il a vécu. Son talent de conteur (retranscrit par Emmanuel Guibert) donne de la force au texte et les images le renforcent. On apprend plein de choses. C’était quand même une sacrée aventure pour un jeune californien !

Alan n’a pas combattu dans ce tome, il se prépare longuement pour se battre mais parfois il est en attente et a un peu plus de « liberté », ce qui lui donne l’occasion de quelques rencontres, parfois cocasses, ou très amicales (il a tissé des liens avec d’autres dont il a eu des nouvelles des années après…).

J’ai beaucoup apprécié de faire connaissance avec Alan, un homme bien assurément.