"Voyages en absurdie" de Stéphane de Groodt


Voyages en absurdie
Auteur : Stéphane de Groodt
Éditions : Plon (7 Novembre 2013)
ISBN : 9782259222464
160 pages

Quatrième de couverture

Stéphane De Groodt propose un recueil de ses meilleures chroniques. Sur un ton très décalé, il joue avec les mots avec une absurdité revendiquée et s’inscrit dans la droite ligne de Raymond Devos. Humoriste à la notoriété grandissante, ce recueil est son premier ouvrage publié.

Mon avis

A consommer sans modération mais à petites doses.  A lire parfois à haute voix parfois uniquement avec les yeux pour profiter des jeux de mots dans tous les sens, des jeux de sens, des jeux de style, des jeux de rimes…. C’est décalé, déjanté, quelques fois un tantinet irrespectueux mais totalement jubilatoire….

On rit (et c’est bon pour la santé !), on fait travailler les zygomatiques mais aussi le cerveau pour cerner l’humour caché !
« Vous le sachez peut-être, oui bon je dis ce que je veux… et si vous le savez pas je vais vous le dire quand même, parce qu’un homme averti en vaut deux et qu’une femme avertie en vaut la peine…. »
J’ai beaucoup aimé ce livre mais je reste persuadée qu’il vaut mieux le prendre, le laisser, le reprendre pour l’apprécier. Il ne faut pas risquer l’overdose, ce qui serait vraiment dommage.

J’ai lu qu’on comparait Stéphane de Groodt à Raymond Devos. Je ne suis pas vraiment d’accord. Raymond Devos pouvait écrire un texte sur un rond-point ou un millefeuilles. Stéphane de Groodt a besoin d’un support différent : stars,  événements…. Donc à mon sens, ce n’est pas vraiment comparable.

"La blessure" de Jean-Baptiste Naudet


La blessure
Auteur : Jean-Baptiste Naudet
Éditions :  l’Iconoclaste (août 2018)
ISBN : 978 2 37880 024 6
300 pages

Quatrième de couverture

1960. Il a tout juste vingt ans. Alors qu'il patrouille dans le djebel algérien, le sergent Robert Sipière est tué d’une seule balle. A Paris, Danièle, sa fiancée, est dévastée. Des années plus tard, son fils, Jean-Baptiste, devient reporter de guerre. Pourquoi affronte-t-il lui aussi l’horreur des conflits ? A tant fixer la mort, la folie le guette à son tour. Jusqu’au jour où il découvre la correspondance entre sa mère et un jeune sergent mobilisé en Algérie, son premier fiancé. Il commence à comprendre qu’il est prisonnier d’un destin qui n’est pas le sien.

Mon avis

Si ça doit arriver,
C´est que ça doit arriver *

Jean-Baptiste est reporter de guerre. Il est également à un tournant de sa vie. Pas de crise de la quarantaine ou autre chose du même style, non, une vraie remise en cause de son quotidien, de ses choix. D’ailleurs ceux-ci ne seraient-ils pas liés, en grande partie, au vécu de sa mère ? Elle est en train de sombrer dans la folie, de se noyer dans ce qui a été son douloureux passé. Un fiancé aimé plus que tout, mort en Algérie « pour son pays » puis un mariage avec un autre pour avancer malgré tout…. C’est facile de parler de ceux qui ont laissé leur vie au combat en les présentant comme des héros, comme si leur donner ce statut allait faire oublier les vraies horreurs de ces batailles plus ou moins rangées entre soldats arrivés là « parce qu’il le faut ».

Ce roman a plusieurs entrées. D’une part la belle et délicate correspondance entre Danièle et Robert, chacun d’un côté, amoureux, attendant la fin des événements et le retour du guerrier pour vivre ensemble. On découvre leurs lettres, avec la sensibilité de l’un ou de l’autre. Robert s’interroge sur ce qu’il vit chaque jour, sur les conséquences, sur les dommages tant physiques que moraux sur ces hommes qui voudraient être ailleurs… Danièle, espère, s’accroche à l’idée que ce sera bientôt terminé.

Quant à Jean-Baptiste, il a hérité de sa mère quelques bribes de son histoire, quelques mots lancés comme ça et puis plus rien. Seulement cette folie qui la tire vers le bas, qui l’emporte, qui la submerge…. Et cette folie serait-elle contagieuse ? Il lui semble que tout lui échappe…. Il ne sait plus ce qu’il veut, ce qu’il vaut, où il en est….

C’est un roman lié au destin de ceux qu’il évoque. Une écriture fine et délicieuse, d’une grande richesse. Est-ce que l’auteur a rédigé ce recueil comme un exutoire ? Pour se vider, se débarrasser de tout ce qui l’encombrait et l’empêchait d’avancer ? Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c’est que ce mélange de texte, de missives, de réflexions intimistes, le tout exprimé avec beaucoup de délicatesse font de « cette » blessure, un coup de cœur.

*Barbara

"Alan Lambin et l'esprit qui pleurait" de Jean-Marc Dhainaut


Alan Lambin et l'esprit qui pleurait
Auteur : Jean-Marc Dhainaut
Éditions : Taurnada (27 Octobre 2018)
ISBN : AL-N-002
60 pages

Quatrième de couverture

Région de Caen, novembre 1982. Brice, 16 ans, se réveille installé à son bureau, un crayon à la main. Perplexe, il observe son lit défait dans lequel il s'est pourtant couché la veille. Que fait-il assis là ? En posant soudain les yeux sur la couverture de son livre de mathématiques, il peut y lire : « Je m'appelle Rose Feibelman, et je suis morte dans cette maison.

Mon avis

Cette nouvelle peut se lire indépendamment des romans de Jean-Marc Dhainaut et comme elle est en téléchargement gratuit, c’est une bonne occasion de découvrir la plume de l’auteur.

Nous sommes en 1982, dans la région de Caen. Un jeune adolescent vit des événements troublants et le médecin l’a mis sous traitement. Les résultats scolaires chutent et rien ne semble se stabiliser. Ses parents s’interrogent jusqu’à ce que sa mère soit elle aussi confrontée à l’impensable. Ne sachant comment agir, le couple va finalement par intermédiaire, faire la connaissance d’Alan Lambin. C’est un spécialiste de phénomènes paranormaux et de fantômes. Pourquoi ne pas essayer ? Au pire, la situation ne changera pas….

Comme toujours, dans un premier temps, Alan est un peu sceptique. N’y-a-t-il pas un peu d’autosuggestion ? Des faits qui peuvent s’expliquer ? De « menteries » pour se rendre intéressant ? Mais malgré tout, il pense qu’il est préférable de vérifier et il se rend sur place avec tout son matériel (on est en 1982, je vous le rappelle).  Installé dans la maison familiale, il doit se rendre à l’évidence : il y a effectivement matière à « travailler ».

Le voilà donc concentré sur la résolution de ce mystère. Il va lui falloir toute son énergie, son intelligence pour avancer. Il va mener l’enquête auprès des voisins, trouver des liens avec la seconde guerre mondiale et être confronté à ses propres cauchemars.

Jean-Marc Dhainaut a une écriture prenante, fluide, il sait instaurer une atmosphère et nous faire pénétrer dans son univers. J’apprécie la façon dont il relie le passé au présent, comment il fait intervenir les faits antérieurs pour expliquer ce qui se déroule. Il se doit d’être précis pour que tout reste cohérent et il s’en sort très bien. C’est vraiment plaisant à lire.


"Sur le fil" de Sylvian Faurax


Sur le fil
Auteur : Sylvain Faurax
Éditions du Volcan (26 Septembre 2018)
ISBN : 979-1097339111
190 pages

Quatrième de couverture

Le petit Cirque de l’Ange est une véritable institution locale, mais il doit faire face à des problèmes financiers et à la mésentente entre les membres de la troupe. Après la disparition d’Ernest Simbald le dompteur, les craintes, les soupçons et les manigances altèrent encore davantage la vie du groupe. C’est alors qu’un nouveau drame se produit. La mort ne semble pas accidentelle ! L’étrange inspecteur chargé de l’enquête sera rapidement confronté à l’ego des artistes et leur goût du secret.

Mon avis

On est dans un petit cirque, un des ceux que l’on qualifie de « familial ». Peu de personnel, des gens qui se connaissent bien. Malgré tout deux « mondes » s’opposent : les membres anciens qui veulent garder un certain « académisme » et les nouveaux, plus jeunes, qui veulent moderniser, renouveler les pratiques pour garder le public, en gagner d’autres …. Chacun défend ses idées mais le dialogue reste très difficile.

Installé pratiquement à demeure dans le Nord de la France, les artistes se donnent à fond malgré les tensions existantes. Chacun fait son travail le mieux possible. Max est à la tête de tout ce petit monde et il gère. On sent rapidement que des choses sont tues dans cette communauté. Les non-dits du passé semblent alourdir le présent, encore plus depuis que le dompteur a disparu sans laisser de trace.

Un fidèle spectateur s’avère être un policier qui prend l’enquête en main. Il finit par s’imposer, presque au quotidien au milieu des saltimbanques. N’a-t-il que ça à faire ? Que veut-il trouver ou prouver  au contact de la troupe ? Opiniâtre, à la fois discret et présent, il écoute, observe, analyse et essaie de comprendre les réactions de chacun, de les faire parler…..

Le cirque, c’est ce qui fait rêver, ce qui fait briller les yeux. Sylvain Faurax retranscrit ce côté magique avec l’écriture lumineuse qui le caractérise. Peu importe l’intrigue, même si celle-ci est intéressante car liée au passé des personnages ; ce qui est captivant, c’est qu’il nous entraîne dans un univers dont il décrypte l’atmosphère avec finesse. Un monde à part avec ses traditions, ses codes, sa vie si particulière. J’aime beaucoup son phrasé, son approche des ressentis. Les mots qu’il emploie font toujours « mouche ». Ils sont à la fois poétiques et parlants.
« On déprime surtout quand on voit clair après avoir été dans l’illusion.»
Je crois que l’auteur a gardé sa faculté à s’émerveiller et c’est ce qu’il essaie de transmettre dans ces textes avec un style qui n’appartient qu’à lui.

"Et le tonnerre grondait" de Iac


Et le tonnerre grondait
Auteur : Iac
Éditions : LBS Sélection (5 Septembre 2018)
ISBN : 9782378370510
185 pages

Quatrième de couverture

1890. Joshua, ancien éclaireur de l'armée, a pour mission de ramener un adolescent à sa seule parente vivante, la Première Dame des États Unis. Pendant ce temps, Mattie débarque de France pour éduquer de jeunes Indiens arrachés à leurs parents.

Mon avis

Un pur régal

Je ne savais pas trop à quoi m’attendre en commençant ce livre et j’ai été agréablement surprise. Moi qui aime les indiens depuis très longtemps, j’ai été heureuse de les retrouver dans ce récit de la vraie tradition romanesque du western !

Josh McCall est un homme doué avec colt mais sale, sauvage, hirsute et amoureux de la divine bouteille. Dans le coin où il est installé, on le tolère difficilement…. En fait sous les hardes, se cache Joshua un ancien militaire, un des meilleurs éclaireurs de l’armée à laquelle il a appartenu. On vient le déloger de son quotidien pour aller récupérer un indien qui s’avère être le neveu de la première dame. Ce jeune homme  vit en tribu depuis qu’il a été enlevé alors qu’il n’était qu’un bébé.

Mattie est une jeune femme bien sous tous rapports mais son père a décidé de la marier et elle ne l’entend pas de cette oreille. Elle préfère vivre sa vie et enseigner. Comme cela n’est pas possible en France, elle traverse l’océan et va  en Pennsylvanie où elle s’occupera de jeunes indiens destinés à devenir de bons citoyens américains. Son idéal de maîtresse d’école va rapidement en prendre un coup tant les enfants sont peu respectés par ses « collègues ». Ne supportant pas ce qu’elle voit au quotidien, elle va prendre une décision impulsive, radicale, quitte à se mettre en danger.

Bien entendu les routes de ces deux-là vont se croiser. Tout les oppose, Mattie est une fervente catholique, bien propre sur elle, qui ne jure pas, ne se laisse pas aller…. Joshua est un «électron » libre sans toit ni foi…. Solitaires tous les deux…. Rien en commun ? Et bien si, finalement chacun se bat pour le respect des autres. Mattie ne supporte pas de voir ses petits élèves obligés d’abandonner leur « identité » que ce soit la culture, les vêtements, la coiffure de leur peuple. Joshua exècre l’hypocrisie des gouvernants qui décident de tout comme si les communautés indiennes étaient transparentes. Alors ils vont se battre, tout tenter pour préserver les indiens. Et nous les suivrons, vibrant avec eux, chevauchant à leurs côtés.

J’ai beaucoup aimé ce recueil. J’ai apprécié que l’auteur parle des traditions indiennes en présentant son intrigue. Il nous fait découvrir  leur vie, leurs mœurs et leurs coutumes,  tout ceci avec beaucoup de délicatesse de considération. J’ai trouvé ses descriptions très visuelles, comme si son œil était une caméra reliée à sa main qui écrit. On observe  les situations « de l’intérieur » comme si on les vivait avec les personnages qui sont souvent attachants.  Son écriture est agréable, prenante et certaines phrases sont pleines de sagesse.
« Au rythme des naissances et des morts, la terre laisse entendre son chant à celui qui l’écoute. »

L’adage dit « On ne parle bien que de ce qu’on connaît ». Iac présente un univers qui lui est familier et il le fait avec brio. Son livre est d’une grande sobriété et pourtant très complet.  C’est vraiment une très belle découverte !

Ecureuil agile
(prénom indien que mes élèves m’ont donné pendant la lecture de « Petit Arbre »

"Valse avec Alice" de Sarah Stovell (Exquisite)


Valse avec Alice (Exquisite)
Auteur : Sarah Stovell
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par isabelle Roy
Éditions : HarperCollins (11 avril 2018)
ISBN : 979-1033901853
320 pages

Quatrième de couverture

Bo Luxton a tout – une famille aimante, une maison agréable dans le nord-ouest de l’Angleterre, et elle est l’auteure reconnue de plusieurs best-sellers. De son côté, Alice Dark aspire à devenir écrivain. Un peu paumée, elle accumule les boulots sans lendemain et vit aux crochets de son petit ami. Lorsqu’elles se rencontrent, à l’occasion d’un atelier d’écriture, une connexion immédiate, aussi étrange que magnétique, se crée entre elles. Peu à peu Bo et Alice entament une relation obsessionnelle, sombre et torturée – en tous les cas, c’est ce que l’une d’entre elles semble affirmer.

Mon avis

Alice et Bo sont deux femmes que tout oppose, sauf la relation compliquée de chacune avec sa propre mère. La première pourrait être la fille de la seconde. L’une est célibataire, sans emploi fixe, vivant sans véritables repères mais rêvant d’être écrivain. L’autre est mère de famille, a deux filles, un mari, une vie saine et rangée et elle est un auteur à succès reconnu. Leurs chemins vont se croiser dans un atelier d’écriture où Bo est animatrice. L’élève Alice l’admire, aime ses écrits et souhaite se rapprocher d’elle pour suivre ses conseils. Une étrange amitié se noue, faite d’un jeu de séduction très particulier où l’on ne sait pas laquelle des deux a le plus de « pouvoir ».

Dans ce roman, elles prennent la parole tour à tour, donnant parfois une vision différente des mêmes événements. Le lecteur est sans arrêt écartelé. Où est la vérité, quelle est la vraie version, quel est le but poursuivi par chacune des protagonistes ?  L’auteur joue sur cette ambivalence, elle nous « manipule », nous entraîne sur une route avant d’en proposer une autre….

J’ai apprécié cette lecture, le fait de passer de l’une à l’autre, de voir ce que l’écriture peut leur apporter, de constater combien on peut modifier une perception des faits en la racontant à sa manière.
Je suis passée par plusieurs sentiments, parfois elles me faisaient pitié, à d’autres moments, elles m’énervaient prodigieusement. C’est bien là un point fort de ce recueil : on ne sait pas vraiment qui est la plus « honnête »….. De plus , le récit est porté par une écriture fluide (merci à la traductrice) et par un style « accrocheur »… Tout pour en faire une lecture addictive !

"Moïra" de John C. Patrick


Moïra    
Auteur : John C. Patrick       
Editions : Kyklos (Décembre 2013 )           
ISBN : 978 2 918406 34 1               
427 pages

Quatrième de couverture

1955. Un homme politique influent confie à Philippe Reuben, ancien Jedburgh, capitaine dans une unité parachutiste en Indochine, la tâche de démasquer les responsables d'une filière de prostitution située en Afrique du Nord alimentant des maisons closes clandestines en métropole.  Ebranlé dans ses convictions profondes du fait de ses liens étroits avec les services secrets, confronté aux événements tragiques de la guerre d'Algérie, sa traque le conduira jusqu'à Dallas lors d'une journée funeste de novembre 1963.

Mon avis

« La fin sera triste, et le présent est à la hauteur… »*

Vous connaissez « les trois singes de la sagesse » ? « Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire » ? C’est parfois beaucoup plus simple de faire comme si…. Âmes sensibles s’abstenir, John C. Patrick frappe fort et nous décille les yeux….et ça fait mal….

C’est sur une dizaine d’années (de 1955 à 1964) que le roman « Moïra » (le destin, celui qu’on ne choisit pas) se déroule, avec une intrigue complète dans laquelle nous entraîne John C. Patrick. On suit Philippe Reuben, un ancien Jedburgh d’Indochine, qui se fait enrôler pour mener à bien une enquête sur un réseau de prostitution de jeunes filles enlevées, séquestrées et envoyées dans différents lieux. Cette recherche sera le fil conducteur permettant de revisiter l’Histoire (avec un H majuscule) de cette période. En effet, Reuben (personnage fictif) entretient des liens étroits avec les services secrets, l’armée et certains groupes politiques. Cela permet d’aller à la rencontre de tout un panel d’êtres réels ou fictifs. L’auteur a, sans doute, réalisé un vrai travail de documentaliste avant de se lancer dans l’écriture. Il a exhumé des faits dont on parle moins, d’autres connus, avec des personnages publics. Introduisant habilement ce qu’il a inventé dans un réseau global de situations historiques, John C. Patrick captive le lecteur avec une écriture fluide, mais complète et très informée. Si on n’est pas historien (ou intéressé par le passé), les découvertes sont nombreuses et on se prend à vouloir en savoir plus et à faire des recherches. Le vrai et l’imaginaire sont habilement mêlés sans perturber celui ou celle qui lit. Les actes dont il parle sont loin de faire partie des connaissances de tout un chacun et on se demande combien de non-dits contient notre Histoire. C’est tellement plus facile de faire comme les trois singes…..

On redécouvre l’Algérie des années 50 et 60, la bataille d’Alger, les opposants au pouvoir algérien mais pas seulement, cela n’est que le point de départ….. Il n’y a pas de bons et de méchants, il y a surtout des hommes (et quelques femmes mais peu) durs, coriaces. La plupart avec une part d’ombre et de fragilité mais il faut gratter longtemps pour la trouver. Rien n’est lisse, les faits sont rudes, violents parfois, nous obligeant à ôter les mains qui couvraient notre regard…. C’est un contexte sans illusion, presque sans espoir et puis …Marie-Pia, un pigeon voyageur, une chanson, un regard vers l’horizon nous permettent d’espérer en l’homme, de croire en d’autres possibles….

Le vocabulaire emprunté à l’armée ou à la politique utilise assez fréquemment de nombreux sigles (FM : fusil mitrailleur, ALN : Armée de libération nationale (qui luttait contre les français en Algérie) etc…mais ce n’est pas gênant. J’ai trouvé très bien fait que les périodes évoquées le soient sans jugement, sans parti pris. Les différents protagonistes échangent leurs opinions, notamment sur le rôle du Général de Gaulles mais ils se respectent la plupart du temps. La conversation entre Reuben et un de ses amis sur le mouvement d’émancipation des peuples colonisés est ouverte et intéressante. Espionnage, enquête, armée « Si l’armée intervient, elle perd son âme… », indépendants, civils, militaires, hommes et femmes passionnés, croyant en leurs idées, prêts à tout pour les faire vivre, se croisent, s’entrecroisent, se retrouvent, se perdent de vue mais toujours vivent sous nos yeux ….Tous ces individus sont « palpables », crédibles et s’intègrent parfaitement dans cette grande fresque historique. Quelquefois, une référence littéraire ou poétique aide à la compréhension du propos.

Avoir du plaisir de lecture peut de temps à autre être douloureux. C’est ce qu’il s’est passé avec cette œuvre magistrale, c’est un coup de cœur, un de ceux qui vous laisse pantelant, qui vous marque au fer rouge pour longtemps et qui ne vous laisse pas indemne…..

Attendez-vous à être bousculés, étonnés, surpris mais aussi scotchés aux pages ….
Les romanciers américains qui font dans le noir n’ont qu’à bien se tenir, il y a aussi du lourd sur le marché français…

* page 159 du livre

"Stavros" de Sophia Mavroudis


Stavros
Auteur : Sophia Mavroudis
Éditions : Jigal (Septembre 2018)
ISBN : 978-2-37722-043-4
240 pages

Quatrième de couverture

Athènes, à l’aube… Un morceau de la frise du Parthénon a disparu et le cadavre d’un archéologue gît au pied de l’Acropole. Le passé du commissaire Stavros Nikopolidis vient de ressurgir violemment ! En effet, quelques années auparavant, sa femme Elena – alors responsable des fouilles archéologiques – disparaissait mystérieusement au même endroit. Depuis, Stavros n’est plus que l’ombre de lui-même… Mais aujourd’hui les signes sont là. Rodolphe, le probable meurtrier, son ennemi de toujours, est revenu…

Mon avis

O Grèce si tu savais …..

Ce roman  met en scène le commissaire Stavros  Nikopolidis mais également un pays. Une contrée que l’auteur nous fait découvrir de pages en pages en toile de fond de son intrigue. Très vite, la Grèce est aussi importante que les événements de l’histoire qu’on nous conte et devient personnage à part entière. Sophia Mavroudis, issue de deux cultures, sait de quoi elle parle et elle le fait bien. On sent toute la douleur de voir ce lieu qu’elle aime (car cela ne fait aucun doute) en proie à des « dérèglements » : la corruption,  la crise économique et sociale (avec l’adhésion à l’union européenne qui a engendré de gros problèmes), la perte d’identité, les difficultés des moins riches (car les autres arrivent maintenant à s’en sortir), les trafics de toutes sortes  etc.

Mais revenons à Stavros à qui est confié une nouvelle enquête. Sa femme a disparu sur un chantier de la frise du Parthénon (elle était responsable de fouilles archéologiques) il y a une dizaine d’années. Depuis il survit, aidé par l’alcool et le tabac ainsi que la présence de son fils, même s’il le néglige. Il n’est plus que l’ombre de lui-même et ne s’accroche à rien, à part son mégot et son verre. Même le jeu de tvali ne l’intéresse plus, c’est dire ! Son passé familial est douloureux et il en porte les stigmates car il n’a pas pu établir de véritable lien avec son père. Il n’est pas facile à vivre ni à la maison, ni au boulot. Capable du meilleur comme du pire…surtout du second d’ailleurs…. Il peut devenir totalement incontrôlable.
« On n’en finit pas avec le mal, Stavros. Il fait partie de la nature humaine, tout comme le bien. il pave notre chemin, s’insinue dans nos vies. Ne vous consumez pas en le combattant. »
Son chef, Livranos, est tout ce qu’il n’est pas. Ils ne sont pas issus du même milieu, ils ne travaillent pas avec  les mêmes méthodes  et surtout ils ne lisent pas la même chose (difficile de se comprendre, n’est-ce pas ?) Malgré tout, peut-être à cause des similitudes avec ce qu’il s’est passé dix ans en amont, c’est à lui qu’il demande de résoudre la dernière affaire. Il va être aidé par un collège geek très doué et par Dora, une « guerrière ».   Se fiant à son instinct, impulsif trop souvent, il fonce souvent tête baissée et oublie toute prudence …. Stavros va devoir réfléchir et anticiper s’il veut coincer celui qui prend plaisir à le manipuler dans l’ombre.

Sophia Mavroudis maîtrise parfaitement les différents thèmes qu’elle aborde et ses connaissances sont solides. Que ce soient les stratégies du jeu de tvali (que Stavros utilise dans son approche de celui qu’il traque), la relation père-fils évoquée avec diverses approches, les difficultés quotidiennes de la vie pour certains grecs ou le passé de son pays. Ses personnages sont de vrais héros, très charismatiques et presque « théâtraux », ils ont des caractères bien affirmés, et les secrets, les non-dits les bloquent dans leur communication à l’autre. Le rythme est soutenu. L’atmosphère de ce recueil est particulière, je le redis, au delà des recherches policières, c’est tout ce qu’il y a à côté qui donne une « dimension », une profondeur intéressantes à ce récit. Quant à l’écriture et au style, ils sont de qualité avec un vocabulaire de qualité très recherché.

Et par-dessus tout, à travers l’enquête de ce policier atypique et attachant, l’auteur présente un plaidoyer pour la Grèce, espérant qu’elle retrouve  équilibre et bonheur de vivre.


"Le fruit de mes entrailles" de Cédric Cham


Le fruit de mes entrailles
Auteur : Cédric Cham
Éditions : Jigal (Septembre 2018
ISBN : 978-2-37722-044-1
280 pages

Quatrième de couverture

Vrinks, fiché au grand banditisme, finit de purger une longue peine en centre de détention quand on lui annonce brutalement que le corps mutilé de sa fille Manon a été retrouvé dans un fleuve. Fou de rage, il ne pense plus qu’à s’évader pour la venger… Amia, jeune femme d’une vingtaine d’années, prisonnière d’un sordide réseau de prostitution, réalise soudainement qu’elle va être mère ! C’est peut-être le signal qu’elle espérait pour trouver la force de fuir les griffes de ses bourreaux.

Mon avis

Du gris clair au noir foncé….

Trois personnages atypiques vont s’effleurer, se croiser, se chercher, se percuter dans le dernier roman de Cédric Cham. Il y a Amia, une jeune femme tombée dans la prostitution par hasard, par erreur, par un de ces concours de circonstances qui vous entraînent là où vous ne voulez pas aller. Simon, un ancien braqueur, devenu détenu modèle qui n’est pas loin de la liberté conditionnelle. Alice, une flic efficace qui ne laisse rien voir sous la carapace qu’elle a forgée pour se protéger. Chacun d’eux a une route (presque) tracée, une projection de l’avenir pratiquement établie même si ce n’est pas la meilleure. Mais il suffit d’un grain de sable, d’un tout petit truc et l’équilibre se rompt. La transmission de la vie, la mort, la maladie, chacun son caillou dans sa chaussure et tout boîte. Que faire ? Continuer le chemin au risque de se perdre, de ne plus jamais se regarder en face dans un miroir ? Essayer de changer le cours du destin, de lutter quels que soient les écueils, les préjudices probables ? Qu’est-ce qui pousse un homme, une femme sur une voie plutôt qu’une autre ? La réponse est simple : l’amour. Que ce soit celui de la chair de sa chair, celui de son travail, celui de la vie ….

C’est avec un style fort, puissant, une écriture percutante et limpide que l’auteur nous fait entrer dans son intrigue. On croit très vite avoir touché le fond mais les ténèbres sont là, de plus en plus profondes, de plus en plus obscures et elles nous engloutissent, nous submergent. Les trois protagonistes sont attachants, chacun à sa manière, avec sa part d’ombre, ses failles, sa soif de justice, son désir de mieux faire. Avancer encore et encore, malgré tout ce qui se met en travers, se prouver que c’est possible, que l’on peut rester fidèle à la décision prise en amont, que l’on va y arriver, que l’on peut surnager. Ces trois-là souffrent, chacun se disant qu’à chaque jour suffit sa peine, un pas après l’autre. Jusqu’où iront-ils ? Loin, si loin, au bout du chemin …. se battant au quotidien, essayant de rebondir après chaque événement tragique, difficile à vivre, que ce soit moralement ou physiquement. Ils sont  différents mais également si semblables dans leurs souffrances, et pour ça, ils peuvent se comprendre….

J’ai eu la chance de rencontrer Cédric Cham à la fête du livre de Saint-Etienne et lorsqu’on le voit si calme, si posé, si serein, on se demande où il puise son inspiration. Ce récit est noir, du vrai noir pur et dur, qui vous marque au fer rouge, qui vous laisse pantelant, car on le sait, on n’est pas loin de certaines « horreurs » qui existent réellement et contre lesquelles la société doit lutter.  Son récit a des accents d’authenticité et il est d’autant plus marquant pour cela.

Oui, c’est terrifiant ; oui, c’est captivant (mais dérangeant car on lit des choses sordides dont on sait qu’elles peuvent être réelles) ; oui, c’est addictif tant les phrases sont lourdes de sens, l’atmosphère précise et vivante et les différents individus bien en place. C’est un ensemble parfaitement maîtrisé et Cédric Cham a sa place dans la cour des grands !

NB: Et quelle belle play list !

"La mort selon Turner" de Tim Willocks (Memo From Turner)


La mort selon Turner (Memo From Turner)
Auteur : Tim Willocks
Traduit de l’anglais par Benjamin Legrand
Éditions Sonatine (11 Octobre 2018)
ISBN : 978-2355846724
384 pages

Quatrième de couverture

Lors d'un week-end arrosé au Cap, un jeune et riche Afrikaner renverse en voiture une jeune Noire sans logis qui erre dans la rue. Ni lui ni ses amis ne préviennent les secours alors que la victime agonise. La mère du chauffeur, Margot Le Roux, femme puissante qui règne sur les mines du Northern Cape, décide de couvrir son fils. Pourquoi compromettre une carrière qui s'annonce brillante à cause d'une pauvresse ? Dans un pays où la corruption règne à tous les étages, tout le monde s'en fout. Tout le monde, sauf Turner, un flic noir des Homicides. Lorsqu'il arrive sur le territoire des Le Roux, une région aride et désertique, la confrontation va être terrible, entre cet homme déterminé à faire la justice, à tout prix, et cette femme décidée à protéger son fils, à tout prix.

Mon avis

Va ton chemin

Ce roman est bouleversant, magistral ; d’une intensité et d’une puissance sans pareilles.  Il vous met le cœur en vrac, la tête en vrille. Il vous fait tutoyer les étoiles puis descendre aussi vite en enfer. Il est empli de douleur, de révolte, de violence et d’amour. Et par-dessus tout, il est porté par une écriture sèche, âpre, qui magnifie chaque mot, chaque phrase en trouvant comment en sortir la substantifique moelle.

Le contexte est très vite posé : l’Afrique du Sud avec ses tensions raciales, ses éclats, ses cachotteries, ses faux semblants. Quelques jeunes en goguette sortent un soir et boivent trop. L’un d’eux, un Afrikaner, prend le volant en étant ivre et renverse une jeune femme noire, probablement sans domicile. Pas de quoi s’affoler surtout lorsqu’on est saoul au point de ne se souvenir de rien. C’est ainsi que Dirk le Roux, fils de Margot, dont l’empire financier est sans égal dans ce coin perdu, est protégé par ceux qui étaient avec lui. Il doit partir d’ici un jour ou deux à Pretoria donc pas la peine de lui encombrer l’esprit avec quelque chose dont il n’a même pas connaissance. De plus, s’il était poursuivi, il perdrait son statut d’avocat, métier que sa génitrice a pratiquement choisi pour lui.

En parallèle, l’enquête est confiée à Turner, un grand policier noir aux yeux verts, spécialiste d’arts martiaux. Pour lui
« Ce n’était pas seulement l’histoire de cette fille qui était écrite ici, mais celle d’une civilisation en faillite. »
C’est un homme de terrain, qui ne lâche jamais rien, droit dans ses bottes, intègre quel que soit le prix à payer.Il a vu des horreurs et il « vit » pour la justice. Il demande à son chef, Venter, de se rendre à Langkopf, dans le Cap-Nord où il veut arrêter le coupable car il a eu quelques informations sur les circonstances du décès. Langkopf, c’est une ville de quatre mille habitants, près d’un désert inhospitalier où sévit une chaleur à faire cuire un œuf sur le capot de la voiture. Un lieu où tout se sait, où chacun connaît les faits et gestes de son voisin et où Margot règne en despote.

Turner inspire le respect, même à ses pires ennemis. Il va son chemin, ne craignant rien, il ne perd pas de vue le but qu’il s’est fixé et il avance quoi qu’il arrive. Mais rien n’est simple face à tout ce qu’il rencontre. Ceux qui sont en face de lui sont déterminés à protéger Dirk. Même la police est corrompue…. En Afrique du Sud, rien n’est tout blanc ou tout noir et ce n’est pas un mauvais jeu de mots. Toutes les teintes de gris passent et repassent… Même les vrais méchants ont leurs failles, leurs faiblesses, leurs douleurs. L’étude des caractères des protagonistes est une grande force de récit. Aucun n’a été épargné par la vie, pas même Dirk que sa mère protège tout en le « gouvernant » et en décidant de ce qui est bon pour lui. Quant à Margot, avec ses mines de manganèse, elle fournit du travail à beaucoup d’hommes donc elle est vénérée. Chacun des individus est sur une route et veut la suivre jusqu’au moment où un obstacle, des obstacles se mettent en travers, chacun est prêt à tout pour continuer d’avancer…. L’équilibre qu’avait instauré Margot est instable à partir de l’instant où Winston Turner décide de faire payer le conducteur. Il le doit à la jeune femme assassinée mais aussi à tous les meurtres impunis dont il sait qu’ils ont existé. Au fil des pages, on apprend à connaître chacun des personnages, à les comprendre, à presque accepter leurs choix. L’auteur est psychiatre et analyse les doutes, les points d’appui de tous avec finesse. De plus l’approche politique et sociale ainsi que la présentation des mœurs du coin sont très bien introduites (j’ai aimé la rencontre avec le San, l’évocation des groupes indigènes).

Malgré son côté violent j’ai beaucoup apprécié ce livre. Certaines scènes sont à la limite du soutenable.  Mais l’écriture de l’auteur, admirablement bien traduite a un je ne sais quoi d’inexplicable, d’inexprimable qui vous prend aux tripes. Turner est un des ces êtres de papier qui vous marquent à jamais (ainsi que quelques descriptions brrrrrr……). Je me suis demandée s’il cherchait à marcher vers la résilience, s’il semait le chaos pour faire souffrir et souffrir, en mettant ainsi tout le monde sur un pied d’égalité. Je crois simplement que Turner est un homme qui ne revient jamais sur une décision qu’il considère comme juste pour continuer à se regarder dans un miroir sans avoir honte de ses choix.






"Dark Tiger" de William G. Tapply (Dark Tiger)


Dark Tiger (Dark Tiger)
Traduit de l’américain par François Happe
Editions : Gallmesteir (4 Mars 2010)
ISBN : 978-2-35178-032-9
256 pages

Quatrième de couverture 

II y a sept ans, Stoney Calhoun s'est réveillé dans un hôpital de vétérans, privé de mémoire et de passé mais doté de talents inattendus. Depuis, il s'efforce de mener une vie normale, partagée entre la boutique de pêche dont il s'occupe avec la sublime Kate Balaban, son chien Ralph, et sa cabane perdue dans les bois. Lorsque l'Homme au Costume, qui vient régulièrement s'assurer qu'il n'a pas retrouvé ses souvenirs, commence à mettre en danger sa nouvelle existence, Calhoun est contraint d'enquêter sur le meurtre d'un agent gouvernemental retrouvé mort au nord de l'Etat.

Mon avis

« Tu as un problème, ça veut dire que j’ai un problème. C’est ça, aimer quelqu’un. »

« La façon la plus simple de comprendre, se dit-il, c’était de ne même pas s’embêter à essayer, de reconnaître ce fait évident que les femmes étaient différentes des hommes …
Elle avait décidé de ne pas lui parler, et il était absurde d’essayer de comprendre pourquoi, parce que la raison était enfouie quelque part dans cette féminité insondable qu’il aimait tant en elle …. »

Un après-midi brumeux, venté et pluvieux, qui n’incite guère à sortir si ce n’est pour aller, en vitesse, à la médiathèque …
Un bon canapé, des airs de jazz et de blues en doux fond sonore, un bol de thé, la pluie peut bien frapper les carreaux … Je ne suis plus là mais dans le Nord-Est des Etats-Unis où j’ai retrouvé Calhoun.

Reprendre, si vite derrière Casco Bay qui m’a emballée, un livre de Monsieur Tapply, qui plus est avec le même personnage, était un risque. Je pouvais être déçue, voire trouver qu’il y avait trop de choses similaires, de redites …

Et bien, pas du tout !

J’ai effectivement retrouvé Stoney Calhoun, comme on retrouve un vieil ami, qui a toujours fait partie du paysage de votre vie.
Une de ces rares personnes avec qui vous pouvez vous taire, en regardant l’océan ou un ciel étoilé. Une de ces relations qui ne se dit pas, qui ne se raconte pas mais qui se vit même par livre interposé.

Stoney Calhoun est un de ces personnages attachants qui s'insèrent dans votre vie comme s'il était réel ...
J’ai marché avec lui, cessé de respirer lorsqu’il faisait le guet, ouvert grand les yeux devant la biche venue le frôler (nous frôler ?), souri lorsqu’il a retrouvé Kate …

Jamais l'histoire ne s'emballe, ne vous fait peur, c'est un polar et en même temps on ressent une grande sérénité, c'est apaisant parce qu'écrit avec délicatesse, juste les mots qu'il faut quand il le faut. Calhoun est un taiseux ... son "géniteur" aussi ...

Monsieur Tapply est un grand monsieur de l’écriture, ses écrits se dégustent, se regrettent lorsqu’on ferme le livre …

Et ils continuent de vous habiter encore longtemps une fois la dernière page refermée ....



"Viens mourir avec moi" de Karen Sander (Schwesterein, Komm Stirb mit mir)


Viens mourir avec moi (Schwesterein, Komm Stirb mit mir)
Auteur : Karen Sander


Traduit de l’allemand par Dominique Autrand
Editions : Albin Michel (Juin 2017)
ISBN : 9782226322685
400 pages

Quatrième de couverture

Düsseldorf. Une avocate est retrouvée sauvagement assassinée chez elle. Le meurtrier a glissé une minuscule poupée nue dans le ventre de sa victime, comme un message à déchiffrer.
Ce modus operandi n’est pas sans rappeler une récente affaire au commissaire Georg Stadler, qui sollicite l’aide de Liz Montario, psychologue et profileuse reconnue.


Mon avis

Karen Sander est un auteur allemand que je ne connaissais pas et j’ai bien l’intention de suivre ses publications !

Son roman va crescendo dans l’angoisse et nous maintient sous tension permanente. On retrouve un binôme : un homme et une femme, qui chacun à leur façon vont essayer de comprendre les meurtres qui se succèdent. Elle, Liz Montario, c’est une psychologue et profileuse, assez secrète, se tenant en retrait des médias. On peut se demander pourquoi … Lui, Georg Stadler, c’est un commissaire, parfois en marge pour essayer d’avancer plus vite, pas toujours à l’aise avec les femmes et les affaires de cœur. Il se retrouve avec un meurtre particulièrement sordide sur les bras alors il décide de faire appel à Liz. Il va lui falloir être patient, ne pas aller trop vite pour ne pas l’effrayer afin qu’elle accepte de collaborer. Elle ne sait pas trop quoi faire, l’aider ou pas ? Qu’a-t-elle à y gagner ou perdre ? Lorsque quelqu’un de sa sphère professionnelle sera touchée, elle va réaliser que la mort rode autour d’elle, que l’assassin que traque la police est peut-être lié à elle d’une façon ou d’une autre…. Alors deux choix se présentent à elle : agir en collaborant ou se taire et fermer les yeux….

Coopérer, c’est s’impliquer, c’est prendre le risque de se découvrir encore plus, de se mettre à nu, d’être dans l’obligation de ne rien cacher et de jouer cartes sur table. Liz est-elle prête à cela ? Peut-elle supporter que son passé soit connu ? Ne risque-t-elle pas de se mettre encore plus en danger et d’exposer ceux qu’elle aime si elle agit ?

Une excellente traduction de Dominique Autrand permet à ce thriller de garder un rythme rapide, sans aucun temps mort. Les chapitres, plutôt courts, avec des en-têtes indiquant le jour et l’heure, passent d’un personnage à l’autre et nous donnent sans cesse l’envie d’en savoir plus et de voir comment les diverses situations vont évoluer. Les événements sont décrits avec précision mais assez sobrement, ce qui évite les longueurs inutiles. L’attention du lecteur est ainsi maintenue et l’anxiété monte au fil des pages. On sent l’étau qui se resserre. Même si j’ai eu l’impression que j’aurais été moins naïve que Déborah (une amie de Liz), je reconnais que les pièges mis en place ont été soigneusement pensés et que tout est orchestré à la perfection. Liz est une femme qui veut maîtriser son destin mais elle est vite aux abois lorsqu’elle réalise qu’elle peut être concernée par ce qui se passe. Recoupant finement ce qu’elle observe, elle va tenter d’aider la police et d’établir un profil psychique du meurtrier. Mais pourra-t-elle pour autant anticiper ses actions, arrivera-t-elle à cerner, à analyser suffisamment les pensées de cet esprit pervers, retors et dangereux ?

J’ai trouvé l’écriture et le style très addictifs. De plus comme la peur augmente en avançant dans la lecture, on ne peut plus lâcher le bouquin ! Les protagonistes sont bien présentés, avec des caractères déterminés, les seconds rôles n’ont pas été négligés et ils ont de la « consistance ». L’équilibre est donc parfait entre nombreux rebondissements et étude des profils psychologiques de chacun.

Un auteur à suivre et des héros à retrouver avec plaisir….

"Nous, les vivants" d'Olivier Bleys


Nous, les vivants
Auteur :  Olivier Bleys
Éditeur : Albin Michel (2 Août 2018)
ISBN : 9782226326072
192 Pages

Quatrième de couverture
Perché dans les Andes à 4 200 mètres d'altitude, le refuge de Maravilla défie la raison. C'est là, au ras du vide, que Jonas, un pilote d'hélicoptère venu ravitailler le gardien, se trouve bloqué par une tempête.

Mon avis

La passe des anges ….

C’est un récit atypique qui oscille entre deux mondes. Lorsqu’on démarre, tout paraît très classique, rangé, « normé »… Et puis Jonas, (qui vient de poser son hélicoptère pour ravitailler le gardien d’un refuge haut perché dans la Cordillère des Andes), fait une rencontre…. Une de ces rencontres qui change le cours de la vie, qui fait bifurquer le chemin, entraînant sur d’autres rives ……

Le lecteur se retrouve à suivre Jonas, se demandant, comme lui, ce qui se passe et comment les événements vont évoluer….

Le contraste est saisissant entre les premières pages d’une « facture » classique avec Jonas qui se présente, raconte un peu sa vie, explique son métier etc……Et …… la suite du livre, faite de doutes, de troubles, imprégnée d’une atmosphère insolite avec des faits qui nous échappent et interrogent ….

« Voilà que tout se tait, même le vent.
Un silence hostile nous piège au fond de la vallée.
Et notre solitude est immense »

Ce roman désarçonne, bouscule quelques codes, se jouant de l’espace et du temps….Il  peut être détesté autant qu’apprécié… Pour ma part, j’ai aimé l’écriture parfois à la limite du fantastique, l’ambiance, le chemin initiatique qui se profile … Mais le côté « mystique » ne m’a pas vraiment emballée ….je suis sans doute trop cartésienne .....



"Les anonymes" de R.J. Ellory (A Simple Act of Violence)


Les anonymes (A Simple Act of Violence)
Auteur : R. J. Ellory
Traduit de l’anglais par Clément Baude
Éditions : Sonatine (7 Octobre 2010)
ISBN : 978-2355840302
700 pages

Quatrième de couverture

Washington. Quatre meurtres aux modes opératoires identiques. La marque d’un serial killer de toute évidence. Une enquête presque classique donc pour l'inspecteur Miller. Jusqu'au moment où il découvre qu'une des victimes vivait sous une fausse identité. Qui était-elle réellement ? Et ce qui semblait être une affaire banale va conduire Miller jusqu'aux secrets les mieux gardés du gouvernement américain…

Mon avis

L’objet livre, malgré sa couverture souple, est lourd, lourd à tenir dans les mains, trop lourd pour être mis dans une poche ou dans un sac ...
C’est mieux ainsi, ce n’est pas une lecture de transport, d’attente à la caisse d’une grande surface, de plage …
Ce n’est pas une lecture ordinaire …
D’ailleurs si je devais donner un seul mot pour définir cette lecture, j’emploierai ce mot « lourd ».
Pas dans le sens péjoratif, non, pas dut tout, lourd de sens, lourd de contenu, lourd de vécu, lourd de mots …
« Pendant quelques instants, il se sentit écrasé, comme si le poids de ces événements suffisait à le clouer sur place. »

Chaque mot est pesé, soupesé, imprimé dans le paragraphe, lui-même contenu dans la page, elle-même dans le livre. Chaque mot compte, chaque mot est réfléchi … Ce n’est pas ce genre de livre que vous pouvez lire vite, en survolant les lignes … Impossible !
Chaque mot s’emboîte dans ce réseau, ce puzzle qui se met en place petit à petit …

Les phrases courtes parfois, comme un coup de poing avec des passages à la ligne pour rythmer le tout.
D’autres plus longues, pour l’état nerveux des personnages, l’angoisse qui s’installe, les questions, la description des faits …

Une écriture puissante, qui dérange parfois tant vous sentez que les événements vous échappent et que vous êtes ballottés, manipulés comme les personnages du livre.

Un roman à deux entrées.

L’enquête d’une part avec Miller, un simple flic, sans famille, humain, terriblement humain, pugnace, le genre d’homme qui veut comprendre, qui ne lâchera pas .
Un policier avec ses faiblesses, ses questionnements, ses erreurs, sa solitude qui lui colle à la peau mais aussi sa volonté de sauver ce qui peut être sauvé, même s’il passe son temps à se demander quoi …
Un homme qui nous fait partager l’angoisse qui monte, ses peurs, ses tiraillements, son humanité, sa grande humanité …
Un homme qui ne sait plus qui croire, que croire, que penser, un homme envahi par le doute chaque fois que l’évidence semble faire jour …

« Faire confiance ne veut pas dire être d’accord. »
«…ce sentiment qu’il ne savait presque rien et que tant d’autres personnes en savaient plus que lui. »

Une voix off qui nous distille des événements, des choix, des ressentis, des informations au compte-gouttes. Ces pages m’ont pris du temps à la lecture … J’ai revisité l’histoire des Etats- Unis, la tentative d’assassinat contre Reagan, la drogue et la CIA au Nicaragua … j’étais comme Miller, je voulais comprendre, aller plus loin, analyser, savoir … Alors je mettais le livre sur mode « pause » et j’ingurgitais sur un moteur de recherche des pages et des pages d’information pour voir si l’auteur disait vrai ou pas …

Et puis, omniprésents, ces « Anonymes » ….

« Ici, on est tout seuls. Nous sommes des invisibles, ceux qui peuvent disparaître en une fraction de seconde. Personne ne sera là pour poser des questions … »
« Je suis ce que je suis, ce que j’ai l’air d’être et ce que les autres veulent que je sois. Surtout, je ne suis plus l’homme que j’étais. »
« Je ne suis plus là ….comme si je n’y avais même jamais été. »

Ces personnes dont on ne sait rien ou presque (et quand on croit savoir, on ne sait plus …),
des personnes qui existent sans exister,
des personnes qui vivent simplement, comme le commun des mortels jusqu’au jour où …

…. jusqu’au jour où tout bascule, vite, si vite, sans explication, sans que cela peine quiconque puisqu’ils sont, la plupart du temps, sans famille …
On pourrait croire que ces gens n’ont jamais existé … les oublier, d’ailleurs pourquoi se poser des questions puisque personne n’en réclame et que si on creuse, on se heurte à des portes closes, à du vide ?

C’était sans compter sur Miller …
Je me suis attachée à ces pas, je l’ai suivi, accompagné, soutenu, je lui ai murmuré « Ne lâche pas, crois en toi … Si tu ne le fais pas pour toi, fais le pour eux ... » Bien sûr, je prenais le risque de découvrir la vérité, une vérité pas toujours belle à voir, pas toujours aisée à comprendre …

Mais cela, je vous le laisse découvrir ….

"Le manuscrit - III : Le retour" de Blanca Miosi (El Manuscrito 3. El Retorno)


"Le manuscrit - III : Le retour" de Blanca Miosi (El Manuscrito 3. El Retorno)
Auteur : Blanca Miosi
Traduit de l’espagnol par Maud Hillard
Éditions : Amazon Media (Septembre 2018)
ISBN: 978-2322132690
320 pages

Quatrième de couverture

Richard Raising se trouve à un tournant de son existence : il a quitté son travail, sa femme l’a abandonné et ses projets pour devenir écrivain n’aboutissent pas. Au moment où, à son grand désespoir, il sent que tout s’en va à vau-l’eau, il reçoit des mains d’un vieil homme énigmatique un manuscrit qui, semble-t-il, renferme des renseignements sur ses ancêtres …



Mon avis

La France et le château de Tiffauges aux alentours de 1440, le Pays de Galle et la Bretagne en l’an 486, et New-York et l’Italie en 2014 … Voilà en gros, les époques et les lieux où va nous entraîner Blanca Miosi.

Richard Raising n’a pas le moral. Il n’arrive pas à devenir écrivain, sa vie part en vrille et il ne sait même pas ce qu’il désire, ce à quoi il aspire au plus profond de lui-même. Et puis, une rencontre change le cours des jours avant peut-être de changer celui de sa vie…. Il se retrouve avec « le manuscrit », celui qui dévoile des événements, vous met sur une piste, s’efface lorsque vous le refermez avant de se remettre à « communiquer » lorsque vous le rouvrez….

Richard découvre dans ce recueil, des faits qui semblent en lien avec son histoire personnelle, il s’interroge, se questionne….Et toutes ces choses qui restent un temps en suspens avant d’être expliquées, recoupées, maintiennent le lecteur dans le récit. C’est absolument « magique » car tout s’emboîte, s’imbrique à la manière des poupées gigognes avec une mise en abyme habilement amenée.

Lorsque je lis Blanca Miosi , j’ai l’impression qu’elle me murmure à l’oreille ce qu’elle a rédigé, son écriture est magnétique, captivante.  Je pense que le fait qu’elle soit toujours traduite par la même personne, Maud Hillard, donne du poids à ses mots. Comme si, finalement, elles avaient écrit ensemble….  

J’ai beaucoup apprécié cet opus. J’aime que l’auteur me fasse voyager dans son univers avec ses personnages travaillés, recherchés. Le contexte de chaque époque est décrit à la perfection, il y a toujours des rebondissements, une « atmosphère » dans laquelle on plonge avec délice … et dans laquelle on souhaiterait rester …..

"L'amour entre deux pizzas" de Jean-Marie Palach


L’amour entre deux pizzas
Auteur : Jean-Marie Palach
Éditions : Les Bas Bleus (20 Septembre 2018)
ISBN : 9782930996141
175 pages

Quatrième de couverture

Trois jeunes femmes se retrouvent dans une pizzeria de la Place d'Italie, chaque premier dimanche du mois, depuis dix ans. Toutes trois bretonnes, elles se sont rencontrées pendant leurs études à Rennes. Internes, elles se sont rapprochées au point de devenir inséparables. Le roman embrasse une durée d'un mois, entre deux rencontres.

Mon avis

Les femmes sont bavardes …. Enfin, c’est ce qu’on dit…. Elles ont toujours quelque chose à dire, à échanger…. Cyrielle, Noémie et Nedjma ne dérogent pas à la règle. Elles se sont connues pendant leurs études et pour ne pas perdre le lien qui les a unies, elles se retrouvent chaque premier dimanche du mois dans une pizzeria parisienne. Rite immuable sauf si l’une ou l’autre est absente pour maladie ou autre… Leurs retrouvailles sont à elles, un de ces instants de vie où on se pose, prenant le temps de parler entre bonnes copines.  Elles ont toutes réussies, chacune à leur manière. Cyrielle travaille dans un cabinet de conseil de grand standing, Nedjma se consacre aux personnes victimes de traitements médicamenteux aux effets iatrogènes, Noémie excelle dans le domaine de la communication.  Épanouies ? Heureuses ? Si on considère qu’elles ont de bons jobs, oui…Mais il y a toujours des failles…. Finalement quand elles se retrouvent, est-ce qu’elles se disent tout ? « Leur amitié repose sur leur discrétion. Chacune ne livre que ce qu’elle souhaite, des impressions sur le temps qui file, les actualités, la culture, des choses légères. » Peut-être tout simplement pour garder un peu d’intimité, de secret, chacune ne dit que peu de choses sur ses amours……

Par un de ces concours de circonstances inexplicables, entre deux de leur rendez-vous, elles vont toutes les trois se trouver à la croisée des chemins, obligées de faire des choix. Il n’est jamais facile de prendre une décision, même si on pèse le pour et le contre, on prend le risque de se tromper, de regretter, mais également le risque de ne pas vivre quelque chose de beau, de rater une belle aventure ….

Pendant un mois nous allons les suivre, sur le chemin de la connaissance de soi, de l’écoute de ses besoins, de la résilience….. Avec une écriture toute en douceur, Jean-Marie Palach analyse le ressenti de chacune (et pourtant, c'est un homme !), les hésitations, les peurs, les angoisses, le poids du regard des autres, des collègues bien intentionnés qui « si j’étais à ta place… » au moment de franchir (ou non) le pas pour une autre voie ….

J’ai beaucoup apprécié cette lecture, j’ai aimé les clins d’œil (Sébastien Loeb, La conjuration des Masques, l’île de la Réunion…) Les personnages sont évoqués avec subtilité, et ce n’est jamais « lourd ». De multiples thèmes sont abordés.  Mais  finalement, le plus important c’est que ce roman, à petites touches, nous rappelle, l’air de rien, qu’on a qu’une vie … Et finalement autant la vivre que la subir, non ?




"Une bonne intention" de Solène Bakowski


Une bonne intention
Auteur : Solène Bakowski
Auto-édition : Juin 2017
Editions Bragelonne ( 14 mars 2018)
ISBN : 979-1028107093
384 pages

Quatrième de couverture

Mati a neuf ans. Elle a perdu sa maman. Son père s’enlise dans le deuil et sa grand-mère s’efforce, à sa manière, de recoller les morceaux. Un soir, la petite ne rentre pas de l’école. On imagine le pire, évidemment. Comment croire que tout partait d’une bonne intention ?

Mon avis

Il ne m’a fallu que quelques heures pour dévorer ce roman. L’auteur possède une écriture sèche, singulière, prenante tant elle fouille dans la vie des uns et des autres et de ce fait, vous accrochez immédiatement avec l’histoire.

Mati, Mathilde est une petite fille dont la Maman vient de mourir. Son Papa perd pied, ses grands-parents sont là mais on sent dès les premières page un malaise. Non-dits, mensonges, trahisons, quels sont ceux à qui l’écolière peut faire confiance ? Il y a bien cette institutrice qui sait lui parler, l’écouter, l’aider….Elle se sent tellement seule malgré la présence des adultes de sa famille.

Ce recueil m’a littéralement accaparée, il a un « je ne sais quoi qui fait la différence ». Peut-être cette toute petite place qui est faite à la « folie », à la déraison des hommes, et qui montre que tout peut basculer vite si vite…. Ou bien « un supplément d’âme » lisible en filigrane qui ressemble à cette petite fleur espérance qu’il ne faut jamais perdre de vue….

Je me suis attachée aux pas de Mati et je n’avais pas envie de lui lâcher la main…..

"Allô maman, ma mère n'est pas là !" de Elide Montesi


Allô maman, ma mère n'est pas là !
Auteur : Elise Montesi
Éditions : Acrodacrolivres (5 Septembre 2018)
ISBN : 9782930956206
222 pages

Quatrième de couverture

Allo maman ma mère n'est pas là ! met en scène la problématique des troubles de l'attachement chez l'enfant, ce pourquoi il est préfacé par le Dr Françoise Hallet, médecin spécialisée dans cette problématique. « Ce livre nous permet de comprendre, à travers l'histoire de Yannick, comment un début de vie chaotique peut impacter toute une vie. » (Dr Françoise Hallet)

Mon avis

Ce livre est un roman… Mais il a des accents d’authenticité et il nous met face à la réalité. Celle de ces personnes qui perdent pied  car elles n’ont pas été aimées correctement, pas respectées dans leur besoin d’affection.  A travers l’histoire de Marika et de ses enfants, l’auteur nous présente la détresse et la souffrance de plusieurs personnes. Elle le fait avec un doigté et une délicatesse de qualité. Pas de jugements, pas de pathos, pas de « procès » pour aucun des protagonistes. Les faits, rien que les faits, certains très graves, d’autres douloureux  et quelques uns porteurs d’espérance. Tous ancrés dans le réel…..

Marika a tant souffert qu’elle s’est forgée une carapace protectrice. Elle est souvent sur le qui vive, à fleur de peau, prête à  se défendre….. Elle préfère ne plus faire confiance afin de se protéger des déceptions. On dit que parfois, souvent, on reproduit ce qu’on a vécu. Elle n’a pas été désirée, ni aimée … peut-elle vivre la même chose avec sa progéniture ? Sa méfiance, sa peur, l’empêchent de partager, de se confier aux  responsables des services sociaux qui l’accompagnent. Et de ce fait, elle n’est pas comprise, et pas bien accompagnée…. Parfois, quelqu’un s’interroge :
« Quelles blessures avait subies cette femme pour en arriver là ? »

L’auteur analyse, avec finesse, les relations, les déboires de cette mère. Elle nous parle également des familles d’accueil. Ces gens qui ouvrent leur cœur, leur maison, leur famille pour ses laissés pour compte, ses petits qui sont « retirés » à leur parents.  Offrir de l’amour, du temps, donner de soi paraît facile quand on vous confie un petit bout  à aimer. Oui, mais … les premières semaines, les premiers mois ont déjà « construit » la personnalité du jeune …. Et toute la difficulté est là… Ce n’est pas un être neuf…. Il a déjà un passé ….  

Ce recueil évoque la problématique des troubles de l’attachement chez l’enfant. Comme c’est présenté par le biais d’un « récit de vie », on évite toute la lourdeur des textes « socio médicaux » qui sembleraient rébarbatifs. On s’attache rapidement à Marika, espérant qu’elle va s’en sortir, qu’elle va réussir à sortir de cette spirale infernale qui l’entraîne vers le bas. On a envie de lui tendre la main, de ne pas la lâcher et de ce fait on reste scotchée aux pages pour voir comment la situation évolue….

J’ai trouvé que Elise Montesi avait un ton très juste et c’est vraiment ce qui rend son roman crédible, donnant l’impression qu’elle a rencontré ceux dont elle raconte le quotidien…. Un sujet difficile mais une belle lecture ....



"Avant que tout se brise" de Megan Abbott (You will know me)


 Avant que tout se brise (You will know me)
Auteur : Megan Abbott
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch
Éditions  du Masque (24 Août 2016)
ISBN :  9782702446447
 336 pages

Quatrième de couverture

Elle a les épaules élancées, les hanches étroites et des yeux sombres qui transpirent une détermination presque glaçante. À quinze ans, Devon est le jeune espoir du club de gymnastique. La mère de Devon, qui se dévoue corps et âme à la réussite de sa fille, même si cela demande des sacrifices. Lorsqu’un incident tragique au sein de leur communauté réveille les pires rumeurs et jalousies, Katie flaire le danger s’approcher de sa fille et sort les griffes. Rien ni personne  ne doit déconcentrer sa fille ou entraver la route toute tracée pour elle.


Mon avis


Le sport pour une unique horizon…..

C’est dans le milieu très fermé des gymnases de haut niveau que se déroule ce très bon roman. Devon est ce qu’on appelle une étoile montante, un grand espoir du club de sport où elle évolue. Rien n’est jamais assez beau, assez solide, assez « professionnel » pour elle. Elle porte les espoirs de ses parents, des dirigeants mais également tous ceux des jeunes sportives qui s’entraînent avec elle, qui s’identifient. « Si elle y arrive, pourquoi pas nous ? » Les pères et mères des autres enfants l’admirent et / ou la jalousent suivant les situations…. Les relations amicales ne sont parfois qu’une façade et derrière son dos, les commentaires vont bon train….

Elle, consciente de ce qu’elle porte sur ses épaules, fait le maximum, malgré les doutes, la peur de mal faire quelques fois,  même si elle dit : « J’ai appris à faire de la peur mon esclave. », les blessures, le temps qui file et qui ne tourne qu’autour d’entraînements, de compétitions…. Elle évolue dans un univers clos, dans une « bulle » où seule la gym la « nourrit ».  Quand elle se bat pour une médaille, rien ne l’atteint, son visage est fermé et tout son corps est tendu pour donner le maximum, être la meilleure.

Ses parents ne vivent que pour sa carrière, sa réussite, ses succès, quitte à emprunter, à « négliger » le petit frère, à s’investir trop et parfois mal, en mettant leur couple sur la corde raide… On ressent qu’à certains moments (de prise de conscience ?) leurs idées, leurs ressentis, divergent et que c’est difficile de maintenir un équilibre…. Tout cela est finalement si fragile….

Ce roman pose des questions : jusqu’où peut-on aller lorsqu’on veut tout pour son enfant ? Et le jeune, quels sacrifices lui demande-t-on ? Quelles concessions pour les autres membres de la famille ? Lorsque les soirées, les week-ends n’ont pour d’autre horizon que le praticable, est ce que ce n’est pas « éloigner » le sportif d’un environnement lié à son âge et qu’il devrait connaître ? Est-ce qu’ainsi, pour lui, la réalité n’est pas « déformée » ? Est-ce que les adultes se « réalisent » lorsqu’ils « coachent » un futur athlète et l’aident à être le meilleur ? Est-ce qu’ils pensent au bien-être du jeune ou uniquement à la « gagne » et au retentissement positif que cela aura sur eux  qui en ont fait des vainqueurs?  Forme-t-on des gagnants à la demande ou faut-il avoir un minimum de dons pour réussir ?

L’écriture de l’auteur est fluide, les événements s’enchaînent et il n’y a pas de temps mort. Une large place est laissée à la réflexion et à l’évolution des personnages. J’ai beaucoup apprécié l’attitude de la mère, notamment lorsqu’elle parle (page 204) du sentiment sous-jacent qui l’habite en permanence mais qu’elle choisit, le plus souvent, d’ignorer…. D’autre part, j’ai eu l’impression que Megan Abbott s’était bien renseignée sur ce qu’elle décrit.  Lorsqu’elle parler de l’emploi du temps des futures championnes, c’est très réaliste… Les protagonistes ne sont pas fades, ils ont de la consistance, du caractère, même le petit frère est intéressant à observer dans son approche de ce qui se passe.

Ce récit m’a semblé parfaitement équilibré dans son contenu. Les cinq parties, de longueur inégale, ont chacune une place dans l’ensemble du texte et tout s’emboîte à merveille. J’ai beaucoup pensé à Nadia Comaneci, médaillée olympique…mais à quel prix pour son corps ?

J’ai pris beaucoup de plaisir pour cette lecture que je recommande car le contexte change de ce qu’on lit habituellement pour ce style de manuscrit et c’est très réussi.

"Avec elle" de Solène Bakowski et "Sans elle" d'Amélie Antoine


Avec elle
Auteur : Solène Bakowski
Auto Édition (7 novembre 2017)
ISBN : 1549704400
376 pages

Sans elle
Auteur : Amélie Antoine
Auto Édition (7 novembre 2017)
IISBN : 1549704400
398 pages

Quatrième de couverture

"Avec elle", de Solène Bakowski et "Sans elle", d'Amélie Antoine, deux romans pour un projet commun.
Un point de départ identique pour deux histoires distinctes qui peuvent se lire indépendamment l'une de l'autre.
Une même famille, une même situation initiale, mais un événement qui vient tout bouleverser.
Pour tous ceux qui se sont un jour demandé : Et si un seul détail de ma vie avait changé, est-ce que tout aurait été radicalement différent ?
Pour tous ceux qui aiment voir les deux faces d'une même pièce."


Mon avis

Avec elle

Une histoire qui démarre toit doucement, dans une famille classique. Puis les liens de gémellité sont de plus en plus torturés, tortueux, il y a une dominante, une dominée. Qui prend l’ascendant sur qui et pourquoi ? Toute la complexité des jumelles est disséquée, explorée. Un mot, un geste, un regard et l’une des deux se sent forte pendant que l’autre s’éteint…. Aimée et être aimée, ce que chacune désire par-dessus tout mais à quel prix ?

Si certaines situations sont un peu prévisibles, ce roman est agréable à lire. Une écriture fluide, des dialogues vifs et des préoccupations tout à fait dans l’air du temps. L’auteur nous met face aux caprices du destin, face à ces petits grains de sable qui changent le cours d’une vie et dont on se dit « Et si cela avait été autrement ? »

Cela nous amène à nous poser cette question qui dérange : « Jusqu’à quel point suis-je mettre de mon existence ? »

Sans elle

J’ai lu ce roman après « Avec elle ». Si le début, la fin et certains personnages sont les mêmes ainsi que quelques situations, l’approche de la gémellité est tout à fait différente puisque une des sœurs disparaît…. Difficile d’exister lorsqu’un maillon manque dans la famille, comment se construire avec l’ombre de celle qui n’est plus là ? Faut-il faire son deuil ou continuer d’espérer ?

S’il fallait établir une comparaison entre les deux romans, celui-ci me semble plus abouti, sans doute parce qu’il va chercher au plus profond des réactions de chacun. Je pense notamment aux recherches de la police dans la famille, chez les voisins….

Il est stupéfiant de voir combien l’absente, qui était la dominante des jumelles, continue, sans être là, à « régenter » la vie de sa sœur… C’est très bien expliqué. L’auteur a su trouver le ton juste et les mots ciblés pour parler de la difficulté de continuer à vivre pour les uns et les autres après un événement d’une telle gravité….