"Le monde de la berge fleurie" d'Atticus Lish (The War for Gloria)

 

Le monde de la berge fleurie (The War for Gloria)
Auteur : Atticus Lish
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy
Éditions : Christian Bourgois (31 Août 2023)
ISBN : 978-2267050561
640 pages

Quatrième de couverture

Corey Goltz, quinze ans, grandit dans la banlieue ouvrière de Boston. Il vit seul avec sa mère Gloria. Tout change quand un médecin lui apprend qu’elle est atteinte de la maladie de Charcot. Car à mesure que Gloria perd son autonomie et son énergie vitale, Corey doit s’organiser pour faire face.

Mon avis

Corey, quinze ans, vit avec sa mère, Gloria, dans la banlieue de Boston. Un quartier plutôt pauvre, où il faut trouver sa place, chercher son équilibre pour grandir le plus sereinement possible. Le père, Leonard, est aux abonnés absents. Il passe de temps à autre à l’appartement qu’il semble prendre pour un hôtel. Les journées s’enchaînent. Corey est un adolescent agité, parfois en opposition avec les adultes. Gloria gère de son mieux. Ce n’est pas toujours une pleine réussite mais elle a de la bonne volonté et fait tout pour son fils qui est sa priorité. Elle rêve qu’il réussisse bien à l’école et qu’il ait un bon métier.

Mais la vie ne fait pas toujours de cadeau. Un jour, tout s’écroule. Le diagnostic tombe, Gloria souffre de la maladie de Charcot. Un mal insidieux, qui détruit le corps petit à petit alors que l’esprit est toujours alerte. Corey a quinze ans, c’est encore un gosse et face à ce drame, on se demande comment il va réagir. Il prend sa décision, il sera le soutien de Gloria, celui qui assume, se renseigne, est présent, vigilant. Tiendra-t-il sur la durée ? Pourra-t-il assumer le quotidien et ses études en parallèle ? Il n’est pas encore un homme, il se cherche…. Sur qui peut-il compter pour l’aider ? Leonard ? Un homme pas net, qui ment avec une facilité déconcertante ? Joan, une amie de la famille avec qui ils sont en froid ? Comment va-t-il réagir face à la dégénérescence du corps de sa Maman ? Lorsqu’elle ne pourra plus écrire, marcher, manger, s’habiller seule ? Est-ce son rôle ? La placer ou pas, à quel moment ? Les finances vont-elles suivre face à tous les soins, accessoires médicaux couteux (au passage, l’auteur nous rappelle qu’aux Etats-Unis les aides ne sont pas les mêmes pour tout le monde…)?

On a l’impression que Corey se fait une obligation d’être le pilier sur lequel Gloria peut s’appuyer. Mais lui ? N’est-il pas trop seul ? Qu’espérer de son amitié avec Adrian, un camarade qu’il admire, qui l’attire ? Ce dernier, passionné par Nietzsche, est plutôt bizarre dans ses liens aux autres, ses réflexions, ses choix, sa façon de vivre … Corey découvre le MMA (mixed martial arts), un sport alliant violence et arts martiaux dans un combat terrible. Il sculpte son corps en opposition à celui de celui de Gloria qui « fond »….

Corey aide sa mère du mieux qu’il peut, il fait des choix forts pour assumer son rôle, mais il est jeune et il doit « se construire ». Qu’en est-il de sa vie personnelle ? De ses préoccupations de jeune homme ? Ne risque-t-il pas de « s’oublier » ?

Ce magnifique roman est le cheminement d’un enfant vers le monde adulte. Une route pas facile, car Leonard dangereux manipulateur pose problème. Pour Corey, il lui faudra « tuer le père », se débarrasser de son emprise. Parce que la frontière entre le bien et le mal est parfois infime et Corey subit des influences qui le déstabilisent. Parce que parfois, il n’en peut plus, il est à bout (et on le comprend !) et que l’argent facile est à portée de mains. Il chute, se redresse, avance encore et ne lâche pas Gloria.

L’auteur ne nous épargne rien, ni dans la maladie et ses travers douloureux, ni dans les écueils rencontrés par Corey. Ce n’est pas seulement une femme et son fils que nous rencontrons et accompagnons, c’est également tous ceux qui gravitent autour d’eux. Certains aident Corey, d’autres non… Sa volonté est admirable, l’amour qu’il porte à sa mère est très fort.

Chronique sociale et familiale, ce roman est une réussite. L’écriture (merci à Céline Leroy pour l’excellente traduction) est ciselée. Les détails précis sur les émotions, les ressentis, les tranches de vie, sont d’une finesse sans cesse renouvelée. Le style est puissant et les nombreux thèmes abordés par Atticus Lish le sont avec intelligence et brio.

Des personnages qui se démarquent et une lecture inoubliable.

NB : Le titre en anglais est significatif !

"À pied d’œuvre" de Franck Courtès

 

À pied d’œuvre
Auteur : Franck Courtès
Éditions : Gallimard (24 Août 2023)
ISBN : 978-2073024916
192 pages

Quatrième de couverture

"Entre mon métier d'écrivain et celui de manœuvre, je ne suis socialement plus rien de précis. Je suis à la misère ce que cinq heures du soir en hiver sont à l'obscurité : il fait noir mais ce n'est pas encore la nuit." Voici l'histoire vraie d'un photographe à succès qui abandonne tout pour se consacrer à l'écriture, et découvre la pauvreté. Récit radical où se mêlent lucidité et autodérision.

Mon avis

Il a choisi. Il a arrêté son activité de photographe pour devenir écrivain…. Après il a fallu pérenniser ce nouveau métier…. Ça c’est une autre histoire ou plutôt, c’est la même… Celle qu’il nous conte aujourd’hui…. Sera-t-il alors nécessaire de classer ce roman dans les autobiographies ?

Une chose est sûre, ce livre est particulièrement réussi.

Pourquoi Franck Courtès a-t-il abandonné un métier qui lui donnait une aisance matérielle, une certaine notoriété ? Vingt-six ans d’une vie… Mais il ne s’y retrouvait plus, il était arrivé au bout, plus d’inspiration, l’impression d’avoir fait le tour, plus le goût, plus l’envie et des valeurs qui n’étaient plus les siennes. Alors il a écrit. Rencontré un peu de succès mais avec des droits d’auteur minimes bien loin de ce qu’il gagnait avant….

Sa famille n’a pas compris, ses amis non plus mais lui il est resté ferme. Bien sûr, il a déménagé, il ne pouvait plus assumer un grand logement. Certains lui ont tourné le dos, ses fréquentations n’étaient plus les mêmes, la reconnaissance n’est plus là.

Alors, comme il faut bien manger, il fait des petits boulots, il est à pied d’œuvre, prêt à travailler, disponible pour faire ce qu’on lui demande. Il nous présente son quotidien, avec beaucoup d’intelligence et de dérision. Les surprises, quand il croit avoir fini et qu’il en reste, ceux qui paient mal, ceux qui le traitent de haut….Le manque d’expérience pour certaines tâches qui lui prennent des heures… Les prix qu’il faut ajuster en permanence… Il partage ses difficultés, ses petites réussites et surtout ce sentiment d’être utile lorsque quelqu’un vous dit merci pour un service rendu.

Ce récit se lit comme un documentaire sur la vie d’une personne qui a fait un choix fort et risqué.

L’écriture est réaliste, excellente. Le style très vivant. Je me suis régalée à lire ce recueil, même si en réfléchissant, c’est un peu triste de voir ce qu’il s’est passé. La fin est absolument géniale !


"La vie nouvelle" de Tom Crewe (The New Life)

 

La vie nouvelle (The New Life)
Auteur : Tom Crewe
Traduit de l’anglais par Etienne Gomez
Éditions : Christian Bourgois (24 Août 2023)
ISBN : 978-2267050721
464 pages

Quatrième de couverture

Le jeune médecin et critique littéraire Henry Ellis vient d’épouser Edith. Ils se sont rencontrés dans un groupe de libres-penseurs appelé la Vie Nouvelle, et se sont promis de construire un couple moderne, loin des rigidités de l’Angleterre victorienne. Au même moment, John Addington, grand bourgeois respecté par la bonne société londonienne, marié et père de trois jeunes femmes, entre en contact avec Henry. Ensemble, ils décident de concevoir un ouvrage à quatre mains : une étude historique de l’homosexualité depuis la Grèce antique. Tout en travaillant à ce livre, chacun des deux coauteurs est pris dans les contradictions de sa vie intime.

Mon avis

Ce premier roman est ce qu’on peut appeler une fiction historique. En effet, l’auteur mêle des personnages et événements réels à son récit qui reprend une importante thématique de l’époque. On est en 1894 et les homosexuels -les ont la vie dure. On considère que ce sont des invertis-es sexuels-les (inversion des caractères genrés) et ils, elles, n’ont aucun droit. De fait, ils, elles se cachent et ne peuvent rien revendiquer, aucune liberté.

Deux hommes, après avoir échangé une correspondance, vont écrire à quatre mains, un livre sur la liberté sexuelle. Il s’agit de John Addington, marié, père de famille, dont l’épouse connaît son penchant pour les hommes et Henry Ellis. Ce dernier vient de s’unir à Edith, ils vivent séparés, c’est un couple moderne, chacun était attiré par les personnes du même sexe. Ils veulent presque être un « exemple » de modernité.  Le but de l’ouvrage de John et Henry est de préparer l’opinion a une modification de la loi sur les gays et les lesbiennes.

Mais rien n’est simple dans cette société victorienne rigide, voire coincée dans un puritanisme excessif. Pourtant John, qui s’est longtemps rangé dans une vie classique, n’en peut plus, il commence à parler à ses connaissances, à essayer de diffuser ses convictions en citant les mœurs de la Grèce antique. Il a le sentiment qu’il passe à côté de quelque chose s’il ne dit rien. Henry Ellis en se mettant en ménage avec une lesbienne, veut, de son côté, montrer que le mariage peut exister en dehors du sexe. Ces deux-là ont le souhait de prouver que l’homosexualité n’est pas anormale.

Les difficultés seront nombreuses tant avant et après la parution de leur ouvrage. Ils sont sans cesse tiraillés entre leur quotidien « officiel » et leurs aspirations intimes qui les rongent. Ils font souffrir ceux qui les aiment. Catherine, la femme de John, est digne mais refuse certains compromis pour ne pas se sentir humiliée, moquée, elle espère protéger ses filles.

Dans les premiers chapitres, on suit chaque homme dans sa vie, ses tourments, ses choix puis commencent les premiers liens et le rythme s’accélère un peu. Richement documenté (Tom Crewe fait référence à l’arrestation d’Oscar Wilde), écrit avec beaucoup de vigueur, ce recueil rend en quelque sorte hommage à ceux qui ont osé prendre la parole publiquement, puis qui ont écrit pour faire bouger les lignes. Ils prenaient des risques mais ils tenaient à s’exprimer.

L’écriture (merci au traducteur) et le style de l’auteur sont intéressants, emplis de lucidité avec des descriptions précises, sans tabou. On est au cœur de l’histoire, on ressent les émotions des personnages. Chacun d’eux se bat pour être lui-même, pour avancer en confiance. Tous ont le sens du devoir chevillé au corps en balance perpétuelle avec leurs ressentis, leurs besoins sexuels.

Ce titre, bien loin de mes lectures habituelles, a soulevé un flot d’interrogations en moi. Est-ce qu’un livre a le pouvoir de faire évoluer les mentalités ? C’est une des questions, en filigrane, de cet opus. Est-ce que mettre des mots sur ce qu’il faut taire au nom d’une société bien-pensante, permet d’ouvrir les esprits, de bousculer les idées pré conçues ? Est-ce que les hommes et les femmes élevés-ées dans le concept du « qu’en dira-t-on » sauront raisonner par eux-mêmes ?

Finalement ces questions, soulevées par le texte de Tom Crewe, sont encore criantes d’actualité…..


"Tout part à la nuit" de Louis Cabaret

 

Tout part à la nuit
Auteur : Louis Cabaret
Éditions : Liana Levi (24 Août 2023)
ISBN : 979-1034908035
224 pages

Quatrième de couverture

Par appréhension ou par habitude, peut-être par confort, elle n’a jamais quitté la petite ville où elle est née. Pourtant, le quotidien de Tiffanie ne tient qu’à un fil. Deux enfants à charge, un ex-mari en prison, la fatigue qui s’accumule dans son corps d’aide-soignante. Et la violence, sourde, latente, qui explose parfois quand Chris, son fils de quinze ans, perd le contrôle ou quand les copains ont un peu trop bu. Il suffit d’une rencontre avec un nouveau venu le soir du 14 Juillet pour inverser la tendance. En Marvin, Tiffanie trouve un compagnon capable de l’épauler et de gérer ses fils. Un compagnon parfait, sauf aux yeux du cadet, Joris, qui n’arrive pas à lui faire confiance.

Mon avis

« Tout part à la nuit » est le premier roman de Louis Cabaret, et s’il continue dans cette veine, il se fera rapidement une place dans la cour des grands. Bravo aux éditions Liana Levi pour la publication de ce récit.

Tiffanie est une femme et mère de famille déjà bien éprouvée. Son ex-époux est en prison, et elle a à charge leurs deux fils dont un ado perturbé, qu’elle a du mal à contenir tant elle est épuisée par son boulot d’aide-soignante, les tensions à la maison, le manque de sommeil, les difficultés à tout gérer.

Parfois, histoire de souffler un peu, elle sort. Et en ce 14 Juillet, c’est ce qui se passe, elle va au bal, à la fête, surveille du coin de l’œil ses gosses et essaie de se détendre et d’oublier. Oublier qu’elle a une vie de m.., qu’elle pourrait partir ailleurs (mais pour faire quoi ?), que les choses auraient pu tourner autrement si sont homme n’avait pas joué au c…. Et là, elle fait une rencontre. Il s’appelle Marvin. D’abord méfiante envers lui, elle finit par se laisser apprivoiser au fil des jours par sa gentillesse, son écoute, son soutien sans faille, sa présence tout simplement.

Alors il s’installe chez elle. Il a du boulot, ne boit pas trop, sait se montrer tendre, l’aide à canaliser son aîné. Il fait d’ailleurs ami-ami avec lui, la première cuite, la pêche entre hommes etc…Il est là pour le grand qui finit par se détendre. Le petit est plus méfiant. Sur ses gardes, il n’aime pas les regards de cet homme quand il ne se sent pas observé.

Dès le début, le lecteur prend Tiffanie dans ses bras, dans son cœur. Elle galère, c’est la faute à pas de chance. On voudrait l’aider, l’accompagner, que des jours meilleurs arrivent. Un bénévole propose d’accompagner les enfants au parloir pour voir leur père, ils ne savent pas s’ils ont vraiment envie ou pas. J’ai été bénévole pour une maison d’arrêt et ces passages sont criants de vérité dans les descriptions et les ressentis de part et d’autre. Ça rend triste car on sait que certains parents enfermés ou jeunes en visite vivent les événements exactement comme ça.

La vie s’écoule tranquille…euh pas vraiment. On devine entre les lignes que Marvin n’est peut-être pas si net que ça. Pourtant on aimerait croire le contraire. Elle a déjà assez ramassé Tiffanie, elle n’a pas besoin d’une merde de plus.

Ce court récit à l’écriture âpre, brillante, au style minimaliste, est une pure réussite. Un électrochoc, un coup de poing. On y découvre certains adultes dans un monde où ils ont perdu toutes leurs illusions, des gosses dont l’enfance est déjà gâchée, abîmée, voire brisée de tout ce qui pourrait être beau. Les rêves n’existent plus.

Louis Cabaret décrit un milieu où les individus partent déjà avec « un handicap » et auront du mal à relever la tête. Mauvaises décisions ? Pas là au bon moment ? Fréquentations mal choisies ? Les raisons ne tiennent pas en deux lignes. Elles sont multiples. Nous ne partons pas tous avec le même « jeu » en mains et certains, dès le début, sont confrontés à des situations douloureuses. Alors qu’espérer ? Limiter les dégâts ou inverser la tendance ?

Ce premier titre, très abouti, en appelle d’autres. Monsieur Cabaret, reprenez vite votre stylo !


Nos cœurs disparus de Celeste Ng (Our Missing Hearts)

 

Nos cœurs disparus (Our Missing Hearts)
Auteur : Celeste Ng
Traduit de l’anglais par Julie Sibony
Éditions : Sonatine (24 Août 2023)
ISBN : 978-2355849831
386 pages

Quatrième de couverture

États-Unis d'Amérique, dans un futur pas si lointain. L'existence de tous est rythmée par des lois liberticides. Tout citoyen de culture étrangère est considéré comme dangereux pour la société. Les livres tenus pour séditieux sont retirés des bibliothèques. À commencer par ceux de la poétesse Margaret Miu, disparue mystérieusement trois ans plus tôt

Mon avis

« Peut-être que c’est ça, la vie, après tout : une liste infinie de transgressions qui n’empêchent pas les joies mais simplement les recouvrent, les deux listes se mêlant et se confondant l’une l’autre, tous ces petits moments qui constituent la mosaïque d’une personne, d’une relation, d’une vie. »

On est aux Etats-Unis, ça pourrait être bientôt ou plus tard … On se doit de rester vigilant… Seuls les américains sont des gens bien. Les autres, il faut s’en méfier, surtout s’ils sont asiatiques car c’est à cause d’eux que les problèmes économiques sont arrivés. D’ailleurs savent-ils élever leurs enfants ? Ne leur apprennent-ils pas des choses erronées ? Il est préférable de leur ôter la garde de leur progéniture, de les confier à des familles d’accueil qui les guideront dans le droit chemin, comme leurs enseignants. Les livres ont disparu, ou presque. Ne subsistent que ceux qui sont sélectionnés, choisis mais le plus souvent, comme disent les professeurs, ils sont obsolètes dès qu’ils sont publiés donc inutiles de lire… Le PACT (Preserving American Culture and Traditions Act : Loi sur la sauvegarde de la culture et des traditions américaines) a été instauré, il est considéré comme « crucial pour la sécurité nationale » et la plupart pensent qu’il a mis fin à la Crise. Dans les rues, partout, les étrangers essaient de se faire oublier, ils baissent la tête et se cachent. Dix ans que ça dure, que le monde est lisse, aseptisé.

Mais depuis, quelques mois, quelques-uns luttent dans l’ombre. Ils ont repris comme slogan, une phrase d’une poétesse sino-américaine, Margaret Miu. Elle, elle a tout fait pour ne pas se faire remarquer, ainsi que son mari Ethan et son fils Bird. Mais le gouvernement l’a dans le collimateur, ces gens qui se révoltent, c’est à cause d’elle, non ?

Comment faire pour ne pas mettre en danger sa famille ? Comment faire pour que les mots, les phrases, le vécu de chacun ne perdent pas de leur force, de leur intérêt ? Comment continuer de transmettre tout ce qui a existé, existe encore en quelque sorte et que les jeunes ignorent ?

Car c’est bien ça, entre autres, le nœud du problème. Le PACT isole, vide la spontanéité, tout semble policé, parfait, mais uniquement si on suit les règles imposées. La poésie de l’instant suspendu quand on croise une situation originale (je pense aux statues, aux arbres évoqués dans le récit) n’existe plus.

Cet excellent roman nous apporte le point de vue de Bird puis celui de sa Maman, mais tous les autres protagonistes sont très présents. On suit le quotidien, celui qui affole, qui fait peur ou celui qui donne envie d’espérer, de penser que l’homme peut être bon, à l’écoute, respectueux. On ne sait pas ce qu’il va se passer, tout est possible, alors on lit, on s’accroche car c’est très addictif ! On voit ceux qui se résignent, ceux qui ne baissent pas les bras et on ne sait pas de quel côté on aurait été parce que la peur est là….

L’écriture de Celeste NG est lumineuse, puissante, lyrique, fascinante. Elle vous embarque, vous met les larmes aux yeux, vous laisse le cœur en vrac, vous bouleverse, vous emplit d’un tas d’émotions, de sentiments …. Chaque phrase fait mouche, vous transperce, vous cloue….

Cette lecture est un coup de cœur mais également un coup au cœur parce que c’est douloureux de se dire qu’il faut faire attention pour que de tels actes ne voient pas le jour. En fin d’ouvrage, l’auteur nous parle de la genèse de son histoire et c’est édifiant.

Des recueils comme celui-ci sont indispensables pour ne pas oublier et ne pas perdre la liberté, nos libertés….

« Tous nos cœurs disparus
Disséminés, partis germer ailleurs. »

"Les Pyromanes" de Vincent Delareux

 

Les pyromanes
Auteur : Vincent Delareux
Éditions : L’Archipel (24 Août 2023)
ISBN : 978-2809846683
466 pages

Quatrième de couverture

Dans un village reculé de Normandie, Thérèse Sommer attise les passions et dicte sa loi : à son mari qu’elle trompe, à sa mère qu’elle méprise, à ses amants qu’elle consume. Libre et indépendante, maîtresse de son petit monde, on ne lui connaît pas de rivale. Jusqu’à la naissance de sa fille.

Mon avis

« Les pyromanes » est le deuxième livre de Vincent Delareux. Mais, il nous présente l’histoire de deux personnages évoqués dans le premier « Le cas Victor Sommer ». Soyez rassuré, on peut aisément les lire séparément !

Une chose est sûre, l’auteur est monté en puissance, tant dans le style, la construction de l’intrigue, que dans les liens établis entre les individus et la description de cette « micro société » représentée par une petite bourgade normande.

Dans ce village, un peu à l’ancienne, tout le monde se connaît, sait les travers de chacun, pourrait dénoncer des faits délictueux mais se tait. On est en 1952, le curé a encore une place primordiale, comme les anciens qu’on écoute …ou pas. La règle c’est de ne pas s’occuper des affaires des voisins, on peut les espionner, cancaner éventuellement sur leur dos mais en apparence, tout reste lisse. Thérèse Sommer est mariée à Serge, souvent absent à cause du boulot, il est sur l’eau mais n’en boit jamais…. Comme l’époux ne rentre pas tous les soirs au logis, elle en profite car « L’adultère était son credo et le vice sa vertu ». Fière de son corps, obnubilée par le sexe, elle reçoit chez elle dans le lit conjugal les habitants du coin… mais chut, on fait comme si, hein ? C’est une femme libre, qui vit sa vie, sans entraves, sans loi, sauf celle qu’elle décide. Elle n’a que peu de lien avec sa mère, installée pas loin, encore moins avec son conjoint qu’elle méprise et dont elle se moque.

Elle ne veut pas de contrainte, mais elle tombe enceinte et l’enfant reste là, malgré ses souhaits de s’en débarrasser. C’est une fille qui naît, alors que personne ne s’en doutait. Pas maternelle pour deux sous, elle va mener la vie dure à ce petit bout d’elle, la voyant comme une rivale, une ennemie qu’il faut humilier, mater. L’enfant n’est pas aimée, sauf par la grand-mère, qui fait ce qu’elle peut. Elle grandit sans affection, confrontée à des situations terribles. Elle érige une carapace, elle se protège lorsque c’est possible, et ne comprend pas les émotions, les sentiments. Elle est comme détachée d’elle-même jusqu’au jour où elle rencontrera l’amour. Sera-t-elle capable de tisser des liens « normaux » ? N’est-elle pas « handicapée », presque « détruite » par tout ce qu’elle a subi ?

L’auteur sait manier les mots avec un phrasé incomparable. Les titres de chapitre, à eux seuls, sont toute une histoire. Dans le récit, les phrases courtes au vocabulaire choisi et soigné, font mouche. Elles dévoilent l’horreur mais on reste scotché, presque attiré par tant de noirceur. Une infime lueur d’espoir ? On s’accroche, on espère…. Et on retombe, le cœur en vrac.

Vincent Delareux analyse finement la psychologie de ceux qu’il évoque, il montre combien le passé, l’enfance, l’interprétation d’un geste, d’un sourire, d’une idée, une révélation historique (quelle idée excellente de lier à son texte, Marguerite et Julien de Ravalet, combinant ainsi la petite et grande histoire !) peuvent influencer des personnes un peu crédules. Françoise n’a pas été « armée » pour affronter les autres, elle s’est « construite » seule ou presque. Les notions de bien ou de mal ne sont pas les bonnes. Non pas qu’elle ait « l’âme méchante » mais elle reproduit ce qu’elle a vécu et une fois le doigt dans l’engrenage, elle ne peut pas s’arrêter. On peut penser qu’elle a été « nourrie » à la violence et qu’elle en a besoin pour vivre… Va-t-elle s’en sortir ?

C’est une lecture bouleversante, présentée avec une touche d’ironie, c’est diaboliquement noir et … on en redemande…


"Atlantique" de Marie Lacire

 

Atlantique
Auteur : Marie Lacire
Éditions : Plon (24 août 2023)
ISBN : 978-2259316101
176 pages

Quatrième de couverture

Été, côte Atlantique. Anne, écrivain, parisienne, se retrouve coincée avec Phil dans une maison de vacances abandonnée depuis des années, envahie par la végétation, les meubles rustiques et revêtue d'un crépi beige. Elle doit écrire un second roman mais n'y arrive pas, fonce sur les routes du Médoc, s'accroche à son couple et à cette maison qui n'est pas la sienne. Au bout du chemin, elle rencontre un romancier connu, reconnu, qui l'accueille à bras apparemment ouverts.

Mon avis

Anne a écrit un premier roman qui a eu du succès. Son éditeur lui en réclame un autre et elle est confrontée au syndrome de la page blanche. L’inspiration la fuit, pas d’idées, pas d’envie, pas de ressort. Que faire ? Elle ne sait pas. Elle peste, dit des injures, multiplie les p…. dans ses pensées, elle est perdue ….

Elle est installée, pour l’été, avec son mari, dans le Médoc. Ils habitent la maison de ses beaux-parents, une bâtisse figée dans le passé, restée en l’état depuis que la belle famille ne vient plus. Vieux canapé, vaisselle de porcelaine ébréchée, arbres non taillés qui font beaucoup trop d’ombre… Son époux, campé sur ses positions, ne veut rien toucher. Elle, elle a besoin de bouger, d’agir, comme si le fait de trier, jeter, élaguer, moderniser, allait la « booster », lui redonner le goût de l’écriture. Mais ça crée des tensions dans le couple et les choses ne sont pas faciles. Les deux conjoints cherchent leur place….et ne la trouvent pas. Le dialogue n’est pas aisé mais devant les voisins (dont l’homme est écrivain), ils essaient de donner le change.

Anne est obnubilée par l’auteur qui habite tout près. Est-ce que sa présence l’empêche de créer, ou au contraire, doit-elle s’appuyer sur lui pour retrouver le goût d’écrire ? Elle s’interroge beaucoup. J’ai pensé que parfois, elle regardait un peu trop son nombril, elle aurait vite pu devenir agaçante.

Son mari subit ses sautes d’humeur, il ne réagit pas forcément, il attend que l’orage passe. C’est une union pas si solide que ça, on sent que tout pourrait partir à la dérive…

Les personnages, peu nombreux, se suffisent à eux-mêmes. Ils sont décrits en quelques lignes et on les cerne assez facilement.

Ce livre, très court, et assez surprenant, montre la difficulté ressentie quand on perd pied aux niveaux personnel et professionnel. Avec une écriture incisive, alternant les passages « trash » où Anne se lâche, ouvre les vannes, car elle est à bout, et ceux, plus poétiques, plus philosophiques où elle construit une réelle réflexion sur le couple, le lien au roman, à la création, le poids du passé, l’auteur offre un texte singulier qui peut déranger, voire dénoter. On s’interroge sur le but, sur la forme, mais si on se laisse porter, on apprécie le contenu.

Personnellement, dans un premier temps, j’ai été désarçonnée par les deux styles de phrasé qui s’opposent. Anne me saoulait avec ses jérémiades et ses gros mots. Après, j’ai compris que c’était sans doute, pour elle, un moyen, d’évacuer le stress, d’exorciser le fait qu’elle n’arrivait plus à rédiger quoi que ce soit. En se mettant en colère, elle s’envoyait à elle-même un signe montrant qu’elle voulait avancer.

Marie Lacire a réussi à questionner le lecteur avec ce premier titre. Il ne fera peut-être pas l’unanimité mais il reste à découvrir pour se faire une opinion.


"Glory" de NoViolet Bulawayo (Glory)

Glory (Glory)
Auteur : NoViolet Bulawayo
Traduit de l’anglais (Zimbabwe) par Claro
Éditions : Autrement (23 Août 2023)
ISBN : ‎ 978-2080415400
462 pages

Quatrième de couverture

Il y a longtemps, dans un pays de cocagne pas si lointain, les animals vivaient heureux. Puis vinrent les colonisateurs. Après de longues années de domination, une guerre de Libération sanglante rendit l'espoir aux citoyens. Elle leur apporta un nouveau dirigeant, un cheval tyrannique - la Vieille Carne - qui gouverna, gouverna et gouverna encore, avec l'aide d'un groupe de cruels Défenseurs et celle de sa jeune épouse bien-aimée, l'ambitieuse ânesse Merveilleuse. Mais même les sots de ce monde savent qu'il n'y a de nuit si longue qui ne s'achève par une aube.

Mon avis

Dans ce roman, l’auteur nous présente d’une façon originale, l’histoire du Zimbabwe. Elle établit des parallèles avec certains évènements réels et ça interpelle le lecteur. C’est terrible ce qui a été vécu dans ce pays.

C’est une satire politique avec tous les travers de la société actuelle dans un monde où les "animals" règnent. Comme les personnages sont des animaux, on ne peut pas éviter la comparaison avec "La ferme des animaux" de G. Orwell mais c’est beaucoup plus approfondi.

Elle a eu de l’audace pour rédiger son récit. Elle le présente sous la forme d’un conte, coupé par des échanges de Tweet, de conversations. Elle bouscule les codes de rédaction pour un thème difficile. Cela dérangera peut-être certains lecteurs qui trouveront le texte trop original dans sa rédaction. J’avoue qu’il a fallu que je m’accroche au début. J’ai eu peur de longueurs, et les redondances liées au style choisi donc volontaires, m’ont parfois semblé « lourdes ».

L’écriture puissante se démarque. On y trouve de l'humour et de la dérision à bon escient, ce qui allège le côté grave du propos. NoViolet Bulawayo est un auteur remarquable sans aucun doute mais je pense que sur ce titre, elle peut être autant appréciée que détestée. En ce qui me concerne, j’ai apprécié le contenu, mais je ne suis pas complètement conquise par la forme (si le nombre de pages avait été moins important, mon avis aurait été différent.)

 

"Le jour et l'heure" de Caroles Fives

 

Le jour et l’heure
Auteur : Carole Fives
Éditions : Jean-Claude Lattès (23 août 2023)
ISBN : 978-2709672672
150 pages

Quatrième de couverture

Édith se sait gravement malade. Elle a convaincu son mari et leurs quatre enfants de l’accompagner à Bâle, en Suisse, où la mort volontaire assistée est autorisée. Elle a choisi le jour et l’heure. Le temps d’un dernier week-end, chacun va tenir son rôle, et tous vont faire l’expérience de ce lien inextricable qui soude les membres d’une famille.

Mon avis

Édith, c’est la mère, et elle a choisi « le jour et l’heure » de sa mort. Non pas un suicide assisté mais une euthanasie volontaire pour quitter la vie avant d’être trop dépendante, trop détruite… Son mari et ses enfants l’accompagnent sur ce dernier chemin. Elle leur a demandé, ils ont dit oui.

Qu’ils l’aient fait par amour, par obligation, peu importe, ils sont là. Dans la voiture, en route pour la Suisse, on suit les réflexions et remarques de chacun. Le père est médecin, trois des quatre enfants « ont épousé » médecine, la petite dernière est artiste. Chacun se situe dans ce choix, le boulot d’un docteur, c’est de soigner, de sauver ses patients et là ils vont vers une mort décidée mais pas par eux.

Dans ce roman choral, on sent tour à tour la colère, la compassion, presque la compréhension. Le geste de leur mère les renvoie vers eux, vers les liens qu’ils entretiennent entre eux, avec les autres et vers leurs choix.

L’écriture ne sombre pas dans le pathos, le larmoyant, la pitié. On sent même, de temps à autre, une pointe d’humour, de dérision. C’est surtout une leçon d’amour de la mère pour ses enfants et son mari et réciproquement.

Le style est brillant, les mots sont justes, sans superflu, comme autant de petites étoiles parsemant la route pour être près d’Édith.

C’est beau, délicat, empli de tendresse. À lire tout simplement car choisir de partir, quand on pense que c’est le bon moment, c’est également célébrer la vie.


"Ni pleurs ni pardon" de Vincent Quivy

 

Ni pleurs ni pardon
Auteur : Vincent Quivy
Éditions : de l’Observatoire (23 Août 2023)
ISBN : 979-1032928394
242 pages

Quatrième de couverture

L'attente, quand on a 17 ans, brûle plus encore que le soleil de Palma - mais attendre quoi ? Un signe de son père, activiste en cavale, qui exige son silence pour échapper aux autorités ?? L'aide d'une bande de déserteurs, menaçants et armés, qui défilent dans le salon maternel ??  Ou le retour de ce mystérieux agent du gouvernement promettant à l'ado la liberté s'il livre son père ?... Notre héros, lui, a d'autres préoccupations : le surf, les cours, les filles... et ce garçon, Esteban, surgi dans sa vie comme une déflagration. Quand ce nouvel ami lui propose de tout plaquer pour le suivre, son destin bascule.

Mon avis

« Je voudrais que tu sois enfin apaisé, qu’émergeant des ruines de ton passé, tu aies trouvé ta place. »

Ce qu’il sait de son père ? C’est un homme qui a passé une grande partie de sa vie en cavale. Il l’a peu vu, peu côtoyé mais il ressent le besoin de le comprendre.

Pourtant il a dix-sept ans et c’est l’âge où les préoccupations sont nombreuses… Ils vivent comme ils peuvent, sa mère et lui. Le père les a lâchés, une fois installés, à Palma de Majorque. Les mois passent, comme autant de chapitres numérotés avec l’âge (17+1/ 17+2 etc…), l’adolescent s’interroge, ne sait que dire à ceux qu’il rencontre, qui le questionnent… Il est dépassé, presque déstabilisé par tout ça. Il ne se sent pas à sa place dans ces lieux qu’on choisit pour lui.

Pourquoi son père se cache-t-il ? Qu’a-t-il à se reprocher, à quelles mauvaises actions a-t-il participé ? Comment le retrouver, se retrouver ? Suivre son propre chemin ou imiter celui du paternel ?

La narration m’a désarçonnée et j’ai eu besoin d’un peu de temps pour rentrer dans l’histoire mais une fois cet écueil passé, je me suis attachée à cet ado, qui essaie de s’émanciper de son père, qui souffre, qui a besoin de clore un chapitre et qui ne sait pas comment faire.

L’écriture est tonique, le style fluide, ça se lit bien.

Le thème abordé m’a captivée et intéressée. Le switch final est très bien pensé et explique ce « tu » employé dans le reste du livre.

Un roman à découvrir.


"Hôtel de la folie" de David Le Bailly

 

Hôtel de la folie
Auteur : David Le Bailly
Éditions : Seuil (18 Août 2023)
ISBN : 978-2021489910
208 pages

Quatrième de couverture

Un enfant se souvient de sa grand-mère, Pià Nerina, et de la dernière fois qu’il l’a vue, soir fatidique où devant ses yeux, elle s’est jetée par la fenêtre de leur grand appartement près de la place de l’Étoile. Point de départ d’un huis clos infernal raconté par l’unique survivant, ce petit garçon devenu grand. De Naples à Paris en passant par la Riviera se dessine alors une quête pour remonter aux origines. Qui était Pià Nerina ? Par quels moyens, Napolitaine sans le sou mais jeune femme flamboyante, a-t-elle réussi, sans un diplôme, sans travail déclaré, à constituer ce patrimoine dans les beaux quartiers de Paris ?

Mon avis

Autobiographie ou roman ? Ou autobiographie remaniée, présentée sous forme de roman ? Le dernier livre de David Le Bailly pose question et en dérangera plus d’un…

L’auteur revient sur le parcours de sa grand-mère qui s’est suicidée sous ses yeux (il a alors quatorze ans). Cette femme, qu’il vénérait, l’avait élevé, la faute à une mère déficiente et un père absent. Maintenant qu’elle n’est plus là, il veut comprendre comment elle a pu réussir à s’enrichir alors qu’elle n’avait rien.

C’est une quête difficile, douloureuse parfois, faite de découvertes, de désillusions, de doutes et finalement de peu de certitudes.  Qui étaient vraiment ces deux femmes (la mère et la grand-mère de l’écrivain) ? On les voit en photos, dans les pages intérieures, belles et semble-t-il, sûres d’elles. Elles ont aimé les hommes, l’argent facile, galéré parfois mais au bout du compte, ont souffert et fait souffrir. S’aimaient-elles, se détestaient-elles, se servaient-elles l’une de l’autre dans un monde folie qu’elles ont créé par leurs dérives et leurs mensonges ?

Il faut souhaiter que David le Bailly, après avoir « expulsé » ce récit, aille mieux, qu’il ait fait la paix avec les siens, dont il ne saura jamais tout….

Une histoire singulière très bien écrite qui présente une femme atypique et une famille originale. C'est captivant, sans temps mort, il y a du rythme mais ça laisse un goût amer quand on sait que ce sont des souvenirs réels….


"Les Alchimies" de Sarah Chiche

 

Les alchimies
Auteur : Sarah Chiche
Éditions : du Seuil (18 Août 2023)
ISBN : 978-2021500325
242 pages

Quatrième de couverture

En 2022, en pleine crise de l’hôpital, Camille Cambon, médecin légiste vaillante et brillante, reçoit un mail énigmatique. Il y est question du peintre Goya et de son crâne volé après son inhumation à Bordeaux en 1828, et dont on a depuis perdu la trace. Les parents de Camille et son parrain, neurologue, se sont passionnés pour l’oeuvre de Goya, avant de devenir des scientifiques de renommée internationale. Camille part rencontrer à Bordeaux sa mystérieuse correspondante, une ancienne directrice de théâtre qui a bien connu ces trois-là.

Mon avis

Camille est médecin légiste, elle a quarante-huit ans et consacre une bonne partie de sa vie à son métier. On découvre son quotidien, présenté avec finesse et parfois une pointe d’humour. Il y a des références à Goya, je n’ai pas tout de suite compris pourquoi.

C’est elle la narratrice dans la première partie et quand elle relate la conversation avec son père sur ce qu’elle aime le plus dans la vie, le ton est très juste et le texte pertinent.

« Tu as déjà le démon de la connaissance dans le sang. Et ça, c’est une drogue plus forte que n’importe quel amour. »

Dans la deuxième partie, c’est une autre personne qui s’exprime et qui parle à Camille, lui donnant des explications sur ses parents aujourd’hui décédés. Il y a Goya et son crâne disparu en filigrane, l’obsession d’une famille. L’auteur reprend les différentes théories sur cet événement et en propose d’autres….

L'écriture est lumineuse. J'ai aimé les "liens" entre le deuil, les crânes, Goya, l'Histoire et l'histoire d'une famille. La quête est originale, l'intrigue menée brillamment, même si la toute fin aurait pu être plus "resplendissante".

Un livre qui se démarque et qui marque.


"Le Château des Rentiers" d'Agnès Desarthe

 

Le Château des Rentiers
Auteur : Agnès Desarthe
Éditions : de l’Olivier (18 Août 2023)
ISBN : 978-2823619515
230 pages

Quatrième de couverture

En levant les yeux vers le huitième étage d’une tour du XIIIe arrondissement de Paris, Agnès rejoint en pensée Boris et Tsila, ses grands-parents, et tous ceux qui vivaient autrefois dans le même immeuble. Rue du Château des Rentiers, ces Juifs originaires d’Europe centrale avaient inventé jadis une vie en communauté, un phalanstère. Le temps a passé, mais qu’importe puisque grâce à l’imagination, on peut avoir à la fois 17, 22, 53 et 90 ans : le passé et le présent se superposent, les années se télescopent, et l’utopie vécue par Boris et Tsila devient à son tour le projet d’Agnès. Vieillir?? Oui, mais en compagnie de ceux qu’on aime.

Mon avis

Empli de délicatesse, de tendresse et d’humour de qualité, ce roman se décline en plusieurs chapitres assez courts, comme autant de « clichés » d’un moment précis que l’auteur partage avec intelligence.

Elle revient sur l’histoire de ses grands-parents, juifs attachés aux traditions, à la famille, aux amis. Elle en profite pour évoquer son rapport à la vieillesse, à la mort. C’est très juste, bien ciblé, bien vu. C’est un vrai retour sur la vie, celle des siens, des autres, de nous tous.

Malgré les sujets graves, le texte n’est pas plombant, ni morbide. L’écriture est délicieuse, avec une pointe d’humour et d’ironie. Il y a même de la dérision. Le contenu est très personnel, les situations présentées sont en lien avec l’auteur. Mais elles nous concernent tous. Alors forcément ça nous touche au cœur.

J’ai énormément apprécié cette lecture. D’abord la couverture très belle, lumineuse, nous montre des instants de vie dans une même ville. Et puis le style d’Agnès Desarthe a fait le reste. Elle m’a conquise avec la finesse de ses propos, virevoltants, vivants, même lorsqu’elle parle de la mort.

"Instinct de sang" de James Patterson & Howard Roughan (Killer Instinct)

 

Instinct de sang (Killer Instinct)
Auteurs : James Patterson & Howard Roughan
Traduit de l’américain par Philippine Voltarino
Éditions : L’Archipel (17 Août 2023)
ISBN : 978-2809845365
384 pages

Quatrième de couverture

Une attaque d'une audace sans précédent depuis celle du 11-Septembre vient de frapper New York. Elle contraint le professeur Dylan Reinhart, spécialiste des " comportements déviants ", à quitter son amphithéâtre de Yale. Sur le terrain, il retrouve une vieille connaissance, l'agent spécial Elizabeth Needham, de l'unité antiterroriste d'élite de la ville. Elle enquête de son côté sur le meurtre d'un chercheur iranien en physique nucléaire. En apparence, aucun lien entre ces deux faits. En apparence seulement.

Mon avis

Simple et efficace !

Lire James Patterson c’est savoir qu’on va rentrer dans une histoire aux multiples rebondissements, avec beaucoup d’actions et aucun temps mort. La méthode fonctionne parfaitement car l’écriture est addictive, on veut savoir la suite, sans arrêter la lecture.

De nos jours, la ville de New-York vient de subir une attaque très violente et le professeur Dylan Reinhart se retrouve sur le terrain, après avoir abandonné ses étudiants en plein examen. C’est l’horreur. En parallèle de ce fait abominable, on assiste au meurtre d’un chercheur iranien qui s’est fait piéger par une jeune femme dans sa chambre d’hôtel. Crime maquillé en jeu érotique solitaire ayant mal tourné.

On va suivre les deux intrigues, qui finiront par avoir un point commun et se rejoindront. Les chapitres sont courts, passant d’un lieu à l’autre, nous permettant de visualiser les événements concernant les personnages. 

L’explosion qui a touché New-York semble être la première d’une série. Il est plus que vital de coincer les terroristes, de les empêcher de mener à bien leur mission. D’autre part, l’Iran paraît lié à tout cela ainsi que l’arme nucléaire et la politique. Le maire de la « grosse pomme » tire des ficelles dans l’ombre. Est-ce qu’il en sait plus qu’il ne le montre, est-ce qu’il manipule tout le monde ? Bien difficile pour le lecteur et les protagonistes de cerner le rôle de chacun.

Dylan a été agent de la CIA mais a soigneusement caché cette ancienne activité dans son couple, d’autant plus qu’il est maintenant « chargé de famille » car il a une petite fille. Mais son secret risque d’être éventé et son union va peut-être en subir les conséquences. Lors de ses investigations, il rencontre Elizabeth Needham, une ancienne collègue. Elle enquête de son côté. Ils vont être amenés à se croiser, à s’épauler et se protéger l’un l’autre s’ils y arrivent…. Ils sont épaulés par Julian un geek plus qu’intelligent.

Le phrasé est rapide, fluide (merci à la traductrice), on ne ressent pas qu’il y a deux co auteurs (d’ailleurs comment se répartissent-ils le travail ?). Le profil psychologique des individus est effleuré mais c’est largement suffisant pour nous captiver et cerner les caractères. Évidemment, tous ces gens sont très forts (arrêter un saignement avec un tampon hygiénique, il fallait y penser ! Je pense que c’était un modèle XL…). Lorsqu’on ferme les yeux et qu’on voit les scènes, on s’aperçoit qu’ils utilisent chaque partie de leur corps à bon escient et qu’ils ont l’esprit vif sans arrêt aux aguets. Dylan le souligne, quand il était petit il pouvait réciter les décimales de Pi en allant très loin…. ce qui prouve, si besoin est , sa capacité à engranger des informations, sa mémoire et sa sagacité. Il me plaît bien cet homme … dommage qu’il soit….. déjà pris ; -)

L’auteur sait faire preuve d’humour et de dérision lorsqu’il exprime par la voix de Dylan (le récit est rédigé à la première personne) et c’est excessivement plaisant car ça enlève de la tension dans le texte.

J’ai beaucoup apprécié cette lecture, assez légère dans la forme, mais pas tant que ça dans le contenu. Un nouveau titre qui ne m’a pas déçue.


"Le silence" de Dennis Lehane ( Small Mercies)

 

Le silence (Small Mercies)
Auteur : Dennis Lehane
Traduit de l’américain par François Happe
Éditions : Gallmeister (23 Avril 2023)
ISBN : 978-2351783221
450 pages

Quatrième de couverture

En cet été de 1974, à South Boston, quartier irlandais de Boston, Mary Pat Fennessy mène une existence routinière. Un soir, Jules, sa fille de dix-sept ans, ne rentre pas à la maison, et sa trace disparaît dans la chaleur moite de la ville. La même nuit, un jeune Noir se fait mortellement percuter par un train dans des circonstances suspectes. Ces deux événements sans lien apparent plongent les habitants de Southie dans le trouble.

Mon avis

« Nous sommes des êtres humains. Le pire d’entre nous a du bon en lui. Le meilleur d’entre nous a le cœur qui renferme une part de mal pur. Nous bataillons. »

Dennis Lehane est un de mes auteurs préférés, il ne m’a jamais déçue. Ses romans sont noirs, soulèvent des problématiques de violence, de racisme, de société. Alors oui, le propos est dur, sombre, pas gai mais c’est tellement bien écrit ! Ça vous prend aux tripes dès les premières lignes et vous êtes immédiatement dedans.

On est en 1974, à Boston, dans le quartier « Southie » où sont installées, en majorité, des personnes d’origine irlandaise. Ce n’est pas très loin de là que Lehane a lui-même grandi. À cette époque, la politique du « busing » est mise en place. Il s’agit de transporter, en bus, des élèves blancs dans des écoles accueillants des élèves noirs et inversement afin de participer à la désagrégation. Une méthode pour éviter toute ségrégation raciale…. Sur le papier, ça peut sembler une bonne idée. Mais les habitants, jeunes ou adultes, ne veulent pas de ce projet et les tensions sont nombreuses. Il n’est pas bon de s’attarder dans un quartier où on n’a rien à faire et tout étranger ne sera pas le bienvenu.

C’est dans cette atmosphère que nous faisons connaissance avec Mary Pat, une mère de famille de Southie qui vit avec sa fille Jules, dix-sept ans. Son fils, vétéran du Viet Nam est mort, son premier mari aussi et le second n’est plus avec elle. Elle accumule les boulots pour s’en sortir, fait de son mieux avec sa gosse qui n’est pas toujours facile. Dans leur appartement, rien de bien folichon, les bruits qui s’entendent comme dans beaucoup de cités… Mais en apparence, les gens du coin se serrent les coudes.

Un soir, Jules ne rentre pas et en parallèle, un jeune Noir meurt dans des circonstances un peu bizarres. Mary Pat, une battante dans tous les sens du terme, décide de retrouver Jules. On va suivre la quête de cette femme volontaire, pleine de rage et de colère, prête à tout. Elle traque les hommes, les femmes qui savent, peut-être, ce qu’il s’est passé cette nuit. Elle recoupe les faits. C’est une guerrière. Et si la police traîne un peu, elle agit.

Peut-on faire justice soi-même ? Où se situe la limite entre le bien et le mal ? A-t-on le droit d’autoriser la haine quand on a souffert injustement ? Ce sont des questions récurrentes chez Lehane, et elles sont primordiales.

Au fil des pages, nos poings se serrent, la tension s’intensifie, on sent que les lieux deviennent une cocotte-minute, tout peut exploser d’un moment à l’autre. Mary Pat, mère courage, ne lâche rien, creuse encore et encore, elle veut la vérité. Ceux de la cité ne sont pas si unis que ça et elle se sent bien seule. Un policier, Bobby, réalise qu’elle va probablement aller trop loin. Mais que faire pour la calmer, alors que même la police n’arrive pas à gérer les trafics de drogue et tout ce que cela entraîne de dégâts et de dérives ?

Quand cet auteur écrit, il me bouscule, me bouleverse, me captive. Même s’il me renvoie en pleine face, certains mauvais côtés de notre monde (car il ne faut pas rêver, ce n’est guère mieux de nos jours), il a le mérite de nous rappeler qu’il faut être vigilant. Il sait transmettre à la perfection les émotions, les scènes, on est au cœur de ce que vivent les protagonistes. La psychologie des individus est approfondie et très présente sans être lourde. Le vocabulaire très « parlant » (merci à François Happe pour l’excellente traduction).

C’est du grand Lehane et je souhaite vraiment que ce ne soit pas le dernier, comme le disent quelques rumeurs.


"Congères" de Cyrille Iseux

 

Congères
Auteur : Cyrille Iseux
Éditions : du Volcan (20 Avril 2023)
ISBN : 979-1097339524
248 pages

Quatrième de couverture

Victor, jeune ingénieur agronome idéaliste, issu d’un univers parisien, habité par la montagne, rêve de s’installer sur une ferme. Dans un périple qui le conduira des Pays de la Loire à la Franche-Comté et l’Auvergne, il recherchera la liberté, l’authenticité. Il découvrira des facettes inattendues du monde agricole, un univers dont naïvement il ne mesurait pas la complexité et les ressorts. Il se voit confronté aux traditions, au sectarisme, à la méfiance, lui qui ne vient pas de ce milieu fermé.

Mon avis

« On peut trouver l’aventure à sa porte, à condition de la voir. Enfin, c’est une question de regard portée sur la vie. »

Ce récit commence par la conclusion, Victor a trouvé sa place, il est bien, heureux, en phase avec ses convictions. Mais pour arriver à cet équilibre, il lui a été nécessaire de faire son chemin.

Des études supérieures, une vie dans la capitale, une moto. Rien à voir avec le monde des fermes, des agriculteurs, des vaches et des taureaux. Pourtant, Victor veut tenter l’aventure, c’est ça qui l’intéresse. Sa petite amie de l’époque ne comprend pas, elle lui a trouvé un emploi bien plus intéressant et un boulot de paysan, ça ne correspond pas à ses gènes.

Lui, il essaie d’expliquer, il aime la montagne, le milieu rural, la nature. C’est ce qui l’apaise, le nourrit… Alors, il se lance, il fera des remplacements, il aidera dans des exploitations agricoles. Bien sûr, au début, il « détonne ». Qu’est-ce qu’il fait ici ? Pourquoi il court, il escalade, il regarde les plantes ? Il n’a pas assez avec tout ce qu’il faut gérer ? Et puis, les habitants du coin se laissent apprivoiser, le petit gars de la ville n’est peut-être pas si mal….

En parallèle, le temps passe, Victor sent que ses projets se précisent, il sait ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas. Il a besoin de porter ses valeurs, agir avec bienveillance, transmettre ses connaissances sur le vivant, vivre au cœur de la nature.

C’est tout le parcours initiatique de ce jeune homme attachant que nous découvrons dans ce roman. Ses hauts, ses bas, ses découvertes, ses conversations, ses réussites, ses petits bonheurs….

L’écriture de l’auteur est fluide, teintée d’humour parfois, de poésie à d’autres moments. Elle transmet des émotions, des descriptions de scènes très réalistes. On est au cœur de l’histoire.

Le texte porte un message fort sur la relation à la nature. Elle n’est pas notre ennemie, même lorsque les intempéries s’en mêlent. Il faut l’écouter, l’observer, apprendre à la connaître et à l’aimer pour vivre en harmonie avec elle.

NB : Cyrille Iseux est issu des écoles d’agronomie. Il a travaillé en tant qu’éleveur et en chambre d’agriculture pour devenir ensuite enseignant en biologie. Naturaliste et écologue, il est passionné de montagne dans une diversité d’approches que sont celles de la forêt, de l’élevage, du ski de randonnée, de l’alpinisme, de l’art et de l’écriture.


"Et elles se mirent à courir" de Julie Gaucher

 

Et elles se mirent à courir
Auteur : Julie Gaucher
Éditions : du Volcan (8 Novembre 2022)
ISBN : ‎ 979-1097339470
92 pages

Quatrième de couverture

Les femmes courent, nagent et n’ont pas attendu d’avoir la permission pour vivre « en corps ». Les vers de Julie Gaucher plongent dans l’intimité des corps de sportives, questionnent ces expériences, les sensations physiques et les émotions qui naissent de l’effort sportif. À travers la course et la nage - des activités universelles - la poétesse évoque ses souvenirs denfant, de femme et de mère, mais aussi de sportive, de compétitrice et de voyageuse.

Mon avis

Ce recueil est découpé en trois parties : « Courir », « Nager », « Dans les gradins ».

Dans ses poèmes, Julie Gaucher rend hommage aux femmes, à leur corps, à leur persévérance dans le sport, à leur volonté. Elle évoque ce qu’elle a vécu, que ce soit en tant que sportive, voyageuse, mère etc.

Grâce à elle, j’ai fait connaissance avec Kathrine Switzer, une allemande qui a couru le marathon de Boston, car rien ne précisait qu’il était interdit aux femmes. Mais des hommes ont essayé de lui arracher son dossard, de la faire tomber…misogynie quand tu nous tiens…. C’est mon poème coup de cœur !

Elle parle du passé, évoque Lina Radke, médaillée d’or aux jeux olympiques sur le 800 mètres, dont la course n’avait pas été considérée assez « gracieuse »…. (l’épreuve fut ensuite supprimée plusieurs années).

Courir c’est la liberté.

Mais nager ? La promiscuité des vestiaires, les odeurs de chlore….Plonger ou pas ? Piscine ou lac ? Autant de villes, autant de lieux….Nager en étant enceinte pour se sentir bien, légère…

Quant aux gradins, c’est toute une vie qui les anime. La langue, les chants, les rituels…

J’aime beaucoup la poésie, elle me touche, me parle, me fait vibrer. J’ai énormément apprécié les textes de Julie Gaucher.  L’écriture est belle, aérienne, le propos intéressant, l’ensemble très équilibré.

Une belle réussite ! Bravo !

NB : Julie Gaucher, est docteure en littérature française et chercheuse en histoire du sport à l’université Lyon 1 (Laboratoire sur les Vulnérabilités et l’Innovation dans le Sport).


"Petit pays" de Gaël Faye

 

Petit pays
Auteur : Gaël Faye
Éditions : Grasset (24 Août 2016)
ISBN : 978-2246857334
224 pages

Quatrième de couverture

En 1992, Gabriel, dix ans, vit au Burundi avec son père français, entrepreneur, sa mère rwandaise et sa petite sœur, Ana, dans un confortable quartier d’expatriés. Gabriel passe le plus clair de son temps avec ses copains, une joyeuse bande occupée à faire les quatre cents coups. Un quotidien paisible, une enfance douce qui vont se disloquer en même temps que ce « petit pays » d’Afrique brutalement malmené par l’Histoire. Gabriel  voit avec inquiétude ses parents se séparer, puis la guerre civile se profiler, suivie du drame rwandais. Le quartier est bouleversé. Par vagues successives, la violence l’envahit, l’imprègne, et tout bascule. Gabriel se croyait un enfant, il va se découvrir métis, Tutsi, Français…

Mon avis

Gaël Faye prête sa plume à la voix d’un jeune garçon  et c’est lui qui raconte en s’exprimant à la première personne.

Au départ, il explique avec l’insouciance de l’enfance sa vie en Afrique, sans vraiment réaliser que certaines choses sont graves, voire dramatiques…. C’est donc avec un style teinté de légèreté que débute cet opus. Et le temps passe…la situation politique est de plus en plus instable, les clivages entre ethnies dramatiques, et même les pré adolescents sont confrontés à la peur, la violence….

Alors le rythme s’accélère, les mots se bousculent, les phrases se font incisives. La peur est là, présente, tenace. Essayer de l’oublier, de rêver, de faire comme si ? Ce n’est pas possible. Car la terreur s’accompagne de violence et tous sont confrontés à cela.

J’ai beaucoup apprécié cette lecture. J’ai trouvé le ton très juste. Gaël Faye n’en fait pas trop, il n’y a pas de descriptions lourdes, de longueurs inutiles. L’atmosphère est installée en quelques lignes, précises et délicates sans voyeurisme excessif.

De plus, il a une écriture sublime et raffinée qui monte en puissance au fil des pages avant de nous laisser sur une note bien triste dans les dernières pages.

Je comprends aisément que ce livre ait reçu « Le prix Goncourt des lycéens ».


"Les lampourdes de Magellan" de Patrick Amand

 

Les lampourdes de Magellan
Auteur : Patrick Amand
Éditions : du Caïman (8 Juin 2023)
ISBN : 978-2493739094
250 pages

Quatrième de couverture

Attachée de presse dans une maison d’édition, Jessica de Floirac se retrouve au chômage technique en Normandie. Ce break lui permet de retrouver sa cousine dans la commune de Saint-Vaast-la-Hougue, agitée par une série de décès aux origines suspectes. Jessica utilise son temps libre comme enquêtrice. Ces morts prétendument accidentelles vont plonger la jeune femme dans les méandres de la Seconde Guerre mondiale, des camps de concentration de l’île anglo-normande d’Aurigny à la fuite des nazis en Argentine !

Mon avis

Jessica travaille pour une maison d’éditions, elle est attachée de presse. Son chef lui demande de mettre en avant un nouvel auteur. Il la prévient, le roman n’est pas terrible mais le patron insiste, sans doute un dernier caprice avant de prendre sa retraite…

Elle contacte l’écrivain et lui propose un rendez-vous à Paris où est le siège de l’éditeur. Il exige qu’elle se déplace et le rejoigne à Cherbourg. Sur le moment, ça ne lui fait pas envie mais elle réfléchit. Qu’à cela ne tienne, ce sera l’occasion de voir sa cousine qui n’habite pas loin, à Saint-Vaast-la-Hougue, jolie bourgade de bord de Manche. Passer un peu de temps entre filles, pourquoi pas ?

La voilà partie et finalement le séjour peut se prolonger car elle se retrouve momentanément au chômage technique. Comme son petit cœur s’emballe vite, elle a trouvé sur place, de quoi lui apporter satisfaction alors rester encore quelques jours ou plus si affinités, elle ne dit pas non. Il faudra trouver de quoi s’occuper, mais comme elle est d’une nature vive et curieuse, ça ne devrait pas poser problème.

Qui a dit qu’il ne se passe jamais rien en province ? Sûrement pas Jessica, qui va être confrontée à des événements pour le moins inattendus. Deux femmes d’une même famille qui meurent accidentellement coup sur coup, vous y croyez vous ? La jeune femme s’improvise enquêtrice, et aidée de ses nouvelles amours, elle creuse, gratte, dérange, se renseigne, et découvre des informations sur les décès, en lien avec la seconde guerre mondiale et l’île d’Aurigny. Sur ce petit bout de terre, les allemands avaient construit quatre camps de concentration nazis.

Mêlant habilement petite et grande histoire, un peu d’ésotérisme, de fantaisie, voire d’interprétation personnelle, l’auteur a construit une intrigue captivante. Il nous plonge dans le passé, à plusieurs époques. Il distille alors quelques éléments et indices pour comprendre le présent. Au départ, on se demande comment tout ça va être relié et puis ça se met en place et c’est intéressant.

Patrick Amand a une écriture vive, il met du rythme dans son récit, pas de temps mort, tout s’enchaîne bien. Il débute avec légèreté puis le propos devient plus grave, même si, régulièrement, une pointe d’humour et de dérision nous fait sourire. Les personnages sont tous très différents, certains atypiques et au caractère bien trempé, ou bien pas aussi « lisses » qu’on le pensait. Certains « cachent leur jeu » et on ne voit pas forcément venir la suite… Cela maintient le suspense et le texte garde tout son attrait.

Une lecture très plaisante, une photo de couverture bien pensée et un titre que vous comprendrez si vous lisez ce nouveau titre des éditions stéphanoises du Caïman !


"La guerre d'Alan 2" d'Emmanuel Guibert

 

La guerre d’Alan 2
D’après les souvenirs d’Alan Ingram Cope
Auteur : Emmanuel Guibert (Dessins et textes)
Éditions : L'Association (1er Octobre 2002)
ISBN : 978-2844140784
98 pages

Quatrième de couverture

Quand j'ai eu dix-huit ans, Uncle SAM m'a dit qu'il aimerait bien mettre un uniforme sur mon dos pour aller combattre un gars qui s’appelait ADOLF. Ce que j’ai fait.

Alan Ingram COPE

Mon avis

À la fin du premier tome, j’avais laissé Alan le jour de ses vingt ans, prêt à entrer dans Paris. Nous sommes le 19 Février 1945, la guerre n’est pas finie. Alan pense être arrivé dans la capitale française mais il est obligé de repartir en arrière et ne repartira que deux mois plus tard !

C’est finalement son périple, en direction de Prague, dans un blindé, avec d’autres soldats, que nous allons suivre. Les anecdotes sont savoureuses, exprimées par la voix d’Alan avec beaucoup de simplicité, de pudeur, d’humilité, d’humour. Emmanuel Guibert s’est effacé et s’est vraiment mis au service de son personnage.

C’est incroyable ce qu’a vécu ce jeune homme ! Véhicules perdus qui ont provoqué une attente, rencontres improbables mais réelles, collègue qui pique une crise et qu’il faut gérer etc.

Dans ses planches, l’auteur s’attache à la posture, à l’expression de ceux qu’ils représentent, le décor en arrière-plan n’est pas très détaillé, les visages sont campés en quelques traits et sont expressifs. Le texte est complet, intéressant. Les souvenirs d’Alan sont une vraie mine de renseignements. Les couleurs sépia et marron sont déclinées dans toutes les nuances possibles et c’est suffisant pour décrire les scènes et les événements, c’est impressionnant !

Je n’aurais jamais imaginé le quotidien d’Alan et toutes les aventures auxquelles il a été confronté. Il y a parfois une pointe de dérision, juste ce qu’il faut pour dédramatiser, revenir au réel. C’est un homme simple qui nous partage une histoire unique qui vaut le détour !