"Le marquis prend le maquis" de Jérôme Sublon

 

Le marquis prend le maquis
Auteur : Jérôme Sublon
ISBN : 978-2919066841
Éditions : du Caïman (18 août 2020)
436 pages

Quatrième de couverture

En Corse, un homme de la famille des Rogxeti est abattu par trois malfrats. Aglaë Boulu, commissaire en vacances sur l’île, est témoin du passage de la voiture qui a participé à ce meurtre. Elle s’engage dans cette enquête. Elle fait ainsi connaissance avec le capitaine Francesco Falcone, chargé de l’enquête. Le duo est conflictuel, Falcone ne supportant pas qu’elle s’immisce dans cette enquête, tout commissaire soit-elle !

Mon avis

Les corses ont le sang chaud, un tempérament de feu et un caractère de cochon…enfin c’est ce qu’on dit. Moi, je les connais peu. Mais en lisant ce roman, j’ai bien vu que c’était vrai !

Je peux même rajouter qu’ils aiment solutionner les problèmes tout seuls, sans que personne ne s’immisce dans leurs affaires. Les règlements de compte, les vengeances, les intimidations, ils savent faire et lorsque deux familles sont ennemies depuis toujours, pas question que leur jeune progéniture se fréquente. Faut pas délirer quand même ! Certains diront que c’est un peu cliché mais pas tant que ça….

Alors, lorsque là-bas, Philippe Rogxeti est découvert assassiné, c’est forcément le camp d’en face, les Coghju, qui sont soupçonnés. Les histoires entre ceux-là remontent à plusieurs générations et c’est, sans aucun doute, une vendetta. C’est d’ailleurs ce que conclut le capitaine Francesco Falcone, flic du cru. Mais il va falloir qu’il déchante….

La Corse, ce n’est pas que les problèmes de jalousie, c’est également un environnement magnifique avec des sentiers de randonnée. C’est d’ailleurs l’incontournable Mare a Mare qu’arpente Aglaë Boulu, commissaire de son état, actuellement en vacances sur l’île de Beauté. Sac sur le dos, elle marche et profite des paysages superbes et du calme pour se ressourcer. Un soir, elle voit passer une voiture à toute allure et observe quelques détails la concernant. En pause à Corte devant une boisson fraîche, elle écoute Falcone qui explique le récent meurtre et l’antipathie existante entre les Rogxeti et les Coghju. Tout cela semble expéditif à Aglaë, la Kangoo qu’elle a vu passer a sûrement transporté le corps vu l’endroit où elle l’a aperçue. Elle décide de chercher le véhicule pour confirmer qu’il appartient aux Coghju comme tout le monde le suppose.

La voilà partie en exploration dans Corte. Une rencontre fortuite avec le capitaine Falcone va changer le cours de ses congés. Chasser la naturel, il revient au galop, elle se lance plus ou moins discrètement dans l’enquête au grand dam du capitaine qui est assez rigide. Les joutes verbales entre les deux policiers vont être un régal pour le lecteur. Ils ne fonctionnent pas de la même façon. Il reste ancré dans ses idées, persuadé d’avoir raison. Elle lui montre les failles de son raisonnement, elle cherche toujours plus loin. Cela le dérange mais quand elle lui explique, il est parfois obligé de reconnaître qu’elle a raison. L’auteur nous présente leurs investigations, leurs rencontres, ainsi que le quotidien de quelques protagonistes mêlées de près ou de loin à l’affaire.…. Dans d’autres chapitres, des faits historiques, pour la plupart avérés, sont évoqués. On passe donc du présent au passé sans difficulté. Les faits anciens datent de 1734 et plus. J’ai découvert tout un pan de l’histoire de cette île. À l’époque, la Corse est un royaume indépendant, une monarchie constitutionnelle avec Théodore de Neuhoff, élu roi en 1736. C’est très intéressant et instructif.

L’auteur a parfaitement retranscrit l’atmosphère des lieux, la guerre des gangs, le côté « taiseux » de certains à l’opposé de ceux qui parlent, le comportement des cochons sauvages (j’ai beaucoup ri)…  L’enquête avance pas à pas et on cerne de plus en plus ce qui s’est déroulé. Le récit est étoffé, complet. Les dialogues savoureux et il y a même une pointe d’humour. Le tout est parfaitement équilibré et très plaisant à lire. Il y a du rythme, des rebondissements. On ne s’ennuie pas. Jérôme Sublon maîtrise parfaitement son intrigue. Et pour conclure, la fin est tout simplement belle et émouvante.


"Heroicis : Les chroniques de la liberté" de Nicolas G.A. Biligui

 

Heroicis : Les chroniques de la liberté
Auteur : Nicolas G.A. Biligui
Éditions : Sibylline (6 mai 2019)
ISBN : 978-2490541027
336 pages

Quatrième de couverture

Tous les 12000 ans, les Dieux Anciens reviennent sur la Terre afin de juger l’Homme, leur création. Si l’humain a failli, ils provoquent alors l’Armageddon. De cette apocalypse sont choisies douze personnes, héritières des douze premières lignées déposées sur la Terre, qui œuvreront à la refondation de l’Ordre en tant qu’Ambassadeurs. Voici l’histoire de l’un d’entre eux…

L’avis de Franck

Comment qualifier ce livre ?

Commençons par le thème : la fin du monde.

Les dieux anciens reviennent sur terre juger l’Homme, leur création. Comme le roman se passe à notre époque troublée, il est évident que l’Homme n’a pas eu un comportement exemplaire… Et donc les Dieux déclenchent l’Armageddon, l’ultime combat entre le bien et le mal.

Le roman s’attache à suivre la vie d’un rescapé.

L’écriture ressemble à une sorte de journal intime du héros. De ce fait, il y a peu de dialogues (sauf quelques-uns sur la fin) et cela rythme moins le texte. Les descriptions et les explications sont assez succinctes, sans doute pour ne pas noyer le lecteur mais c’est un peu dommage. Les évènements s’enchaînent rapidement et j’aurais vraiment aimé qu’on me donne des informations sur les causes et les conséquences en lien avec chaque situation. De nombreux sujets sont évoqués :  les Dieux Anciens, les vaisseaux spatiaux, les voyages intergalactiques en repliant l’espace, les guerres entre les planètes, les agents du F.B.I. et bien d’autres choses encore. Ce récit mêle passé, présent, futur, ainsi que légendes, mythes etc

Un foisonnement d’idées dans un seul ouvrage… J’ai eu quelques fois du mal à accrocher car tout allait très vite, à l’essentiel et j’avais le souhait de prendre le temps de découvrir plus de détails, de m’imprégner de l’ambiance, de l’univers créé par Nicolas G.A. Biligui.

Cette histoire intéressante pourrait être étoffée pour être présentée en plusieurs tomes comme une saga. Cela permettrait de parler des thèmes chers à l’auteur en donnant à chacun la place qu’il mérite.

Il faut souligner que la couverture est très belle, lumineuse et attirante. Quant au titre, il résonne en chacun de nous, surtout en ces temps difficiles….

"Des hommes perdus" de Sylvain Faurax

 

Des hommes perdus
Auteur : Sylvain Faurax
Éditions : du Volcan (20 Octobre 2020)
ISBN : 979-1097339234
184 pages

Quatrième de couverture

Constantin, chef d'entreprise blasé par un quotidien terne, fait la rencontre de Madrinë, un migrant à la recherche de chaussures. Ces deux personnages que tout oppose vont se retrouver impliqués dans une aventure humaine où le partage sera l'occasion de combler quelques fragilités réciproques.

Mon avis

L’autre est-il ton frère ?

C’est une rencontre improbable, une de ces rencontres qui ne s’expliquent pas … Madrinë aborde Constantin pour lui demander des chaussures. Le premier est un jeune migrant qui espère passer en Angleterre, le second est responsable d’une agence immobilière, un peu blasé, il vit seul. Sur une impulsion subite, Constantin achète des baskets dans une solderie et les donne au jeune homme. Ils vont se parler, d’autres événements vont les rapprocher….

Peut-on devenir ami avec quelqu’un de très différent ?
« L’un était jovial malgré sa précarité, l’autre éteint en dépit de sa réussite…. »
Tout sépare les deux hommes : l’origine, l’âge, la situation professionnelle, le lieu de vie, les loisirs, les amis, la façon d’envisager l’avenir, le tempérament etc. Dans le quotidien monotone, sans fantaisie de Constantin, Madrinë va être l’étincelle, le catalyseur. Le patron va changer le cours de son existence, casser les murs érigés autour de lui, accepter le bruit, le désordre, la vie tout simplement. Tout cela pour quelqu’un qui va bousculer ses « codes ».

Pourquoi ? Sans doute, parce que c’était le moment, qu’il n’y a pas besoin de raison particulière, si ce n’est de se sentir exister à l’idée de « sauver » quelqu’un et c’est toujours mieux que de fermer les yeux.

Avec son écriture musicale, cadencée, poétique, l’auteur nous offre un récit positif malgré les épreuves qui peuvent croiser la route des deux hommes. Il nous rappelle que tendre la main n’est pas anodin, que cela fait du bien autant à celui qui donne qu’à celui qui reçoit.

J’ai beaucoup aimé ce livre. Suivre l’évolution des différents personnages et la modification de leurs rapports les uns avec les autres est très intéressant. Certains gagnent en sagesse, changent leur regard et c’est beau. Quelques fois, il suffit d’un déclic, de pas grand-chose pour que tout aille mieux et que le sourire habite à nouveau ceux qui souffrent ou ceux qui n’ont pas de but.

Plusieurs thématiques sont abordées dans ce recueil. Au-delà des sentiments humains, il y a aussi le fait de trouver sa place dans la société, de porter son passé, le rôle du temps dans le rythme des journées, les valeurs d’écoute, de partage, l’altérité….

« Des hommes perdus » ? Une histoire d’hommes qui se trouvent, prennent le temps de s’apprivoiser et de créer des liens dans le respect de ce qu’est chacun pour donner le meilleur d’eux-mêmes.

 


"Infinitude" de Jessica Norrier (The Infinity Pool)

 

Infinitude (The Infinity Pool)
Auteur : Jessica Norrie
Traduit de l’anglais par Isabelle Rouault-Röhlich
Éditions : Independently published (20 juillet 2020)
ISBN : 979-8654755575
302 pages

Quatrième de couverture

Adrian Hartman est un Britannique empreint de charisme qui dirige Serendipity, un camp de vacances à l’esprit communautaire installé au cœur d’une forêt de pins en Méditerranée. Les participants reviennent année après année, notamment pour y voir Adrian. Mais cette année, il n’est pas arrivé. Sans lui, tous errent comme des âmes en peine et l’hostilité des locaux du village le plus proche est à son comble.

Mon avis

Infinitude ? Un roman inclassable et très agréable à lire. Il commence comme un récit où l’on vous présente ce qu’il faut pour être mieux, style développement personnel. Puis la tension monte et on se rapproche du roman psychologique un peu policier et ça se termine … chut… je ne dis rien.

Sur une île paradisiaque, en Méditerranée, un homme mûr, Adrian Hartman, un britannique, a installé Serendipity, un lieu où se ressourcer. Les hommes et les femmes qui viennent ici, acceptent les conditions. A savoir des cabines à deux pour dormir, assez spartiates et une vie plutôt communautaire même s’il est possible de s’isoler. Le but des séjours ? Se faire du bien, faire le point sur sa vie, se recentrer sur l’essentiel à travers des ateliers d’écriture, de yoga, de médiation, de sport etc. Il y a pas mal d’habitués, attirés par cet endroit « hors du temps » (où les portables passent mal) et fascinés par la personnalité charismatique du « patron ».

« J’enseigne aux gens comment être heureux, comment être plus heureux dans leur vie habituelle. »

Dans la première partie, l’auteur va s’attacher à présenter « le camp », les participants, les liens qu’ils établissent les uns avec les autres, ce qu’ils vivent. On ressent très parfaitement l’atmosphère, c’est décrit avec précision sans lourdeur dans les détails.

Puis, arrive l’année suivante, les participants sont installés, mais il manque Adrian. On se demande si son absence va influencer le fonctionnement, si ça peut tourner. Il semble tellement indispensable ! A partir de là, l’ambiance change totalement. Il y a des tensions avec les habitants du village voisin, les « vacanciers » dérangent et ne savent plus comment agir. Le dialogue est difficile, la suspicion s’installe, le stress augmente. Et où est Adrian, pourquoi n’arrive-t-il pas, quelles sont les raisons de son silence ? Le lecteur ressent fortement tout cela. Il se demande s’il y a vraiment danger ou si les membres de la communauté n’en rajoutent pas un peu en interprétant les faits…

Le point fort de ce recueil n’est pas vraiment l’histoire mais l’écriture. A ce propos, il est donc nécessaire de reconnaître que la traductrice a dû vraiment s’imprégner du texte pour trouver le vocabulaire adéquat sans fausse note. Les tournures de phrase sont élégantes, adaptées au contenu. Cela permet à la personne qui lit de s’imprégner au maximum de tout ce qui se déroule, d’avoir des émotions, des questions…. Les personnages sont issus de différents milieux mais ils ne sont pas pour autant caricaturaux. Le phrasé est tour à tour poétique, angoissant, descriptif…

Jessica Norrie souligne les amitiés et les amours qui restent en « surface » le temps d’un été et qu’on oublie vite. Elle rappelle que s’implanter dans un lieu ne veut pas dire se comporter en chef et ne pas respecter l’environnement et les habitants. Elle nous fait observer la vie en groupe, les points forts et les points faibles. Elle ne fait pas la morale, elle évoque tout ces choses avec doigté et intelligence.

C’est donc un recueil qui se démarque avec une histoire singulière mais plaisante à découvrir.


"Le policier qui rit" de Maj Sjöwall & Per Wahlöö (Den skrattande polisen)

 

Le policier qui rit (Den skrattande polisen)
Auteurs : Maj Sjöwall & Per Wahlöö
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michel Deutsch
Révisé à partir du suédois par Benjamin Guérif
Éditions : Payot & Rivages (21 Octobre 2020)
ISBN : 978-2-7436-1889-6
338 pages

Quatrième de couverture

Par une pluvieuse soirée de novembre, tous les passagers d'un autobus sont massacrés au fusil mitrailleur. Jamais la Suède n'avait connu pareille tuerie, et l'opinion publique s'affole. Parmi les neuf victimes, un flic que Beck connaissait. Que faisait-il dans ce bus, à cette heure ? D'après sa compagne, il était surchargé de travail, mais Beck sait bien, lui, qu'il était pratiquement en congé...

Mon avis

Maj Sjöwall & Per Wahlöö qui étaient mari et femme, ont écrit, à quatre mains, une dizaine de polars qui se déroulent autour de 1968 dans une Suède d’après-guerre qui n’est pas si idyllique qu’on pourrait l’imaginer. Leurs romans sont une véritable peinture et une fine analyse de la société de ce pays et de son évolution dans la période choisie. « Le policier qui rit » est le quatrième de la série.

En ce 13 Novembre 1967, il faut protéger l’ambassadeur des Etats-Unis d’une manifestation des citoyens suédois qui n’aiment ni Lyndon Johnson ni la guerre du Vietnam. C’est dire si la police est sur les dents et très occupée. A 23 heures, le même jour, alors qu’il pleut énormément, les passagers et le conducteur d’un autobus sont massacrés. Les deux policiers arrivés sur les lieux souillent de leurs chaussures boueuses le peu d’indices qui auraient pu être récupérés. Martin Beck et son équipe mènent l’enquête. La première chose à faire est d’identifier les passagers puis de chercher un éventuel lien entre eux et de comprendre les motivations du tueur. Tout de suite ils réalisent qu’un des leurs était dans le car. Que faisait Åke Senstrom, jeune collaborateur de Martin à cette heure-ci, sur ce trajet ? Pourquoi n’était-il pas auprès de sa fiancée puisqu’il n’était pas en service ? Est-ce que Åke cachait quelque chose à sa compagne, à ses coéquipiers, avait-il des secrets ?

Ce sont des investigations méticuleuses et précises que vont mener les enquêteurs. Ils vont fouiller le passé des victimes, essayer de cerner leurs habitudes, de rencontrer ceux et celles qui les ont côtoyées. Cela nous permet de voir qu’à Stockholm, tout n’est pas forcément facile. Il y a des étrangers qui cherchent du travail et vivent dans des conditions précaires au niveau de l’hébergement. Il y a la police qui est de temps à autre moquée, peu respectée. Il y a également, comme partout, les journalistes qui rodent et sont à l’affut de la moindre information. Et il y a la part d’ombre de chaque personne décédée dans la tuerie. Pas d’indices, pas de témoin, la tâche est ardue mais les hommes sont motivés, ils en « veulent ». Ils fouillent les vies, le quotidien de ceux qui ont péri. Ils observent, ils notent, ils font des hypothèses…. ». Ils vont finalement établir un lien avec un fait passé et progresser pas à pas, un jour après l’autre.

Les auteurs font des descriptions minutieuses et pourtant ce n’est pas lourd à lire. Sans doute parce qu’il y a de nombreux dialogues qui permettent de suivre l’évolution des réflexions et les raisonnements de chacun. On pourrait croire que c’est lent car il n’y a pas vraiment d’actions vives, de rebondissements mais l’avancée est là et l’intrigue, soigneusement ficelée, est en elle-même intéressante.

L’écriture est fluide (vraiment on ne se rend pas compte que deux personnes rédigeaient) et l’intérêt reste présent. Bien entendu, les policiers n‘ont pas les moyens actuels pour résoudre les affaires mais ils s’en sortent très bien. L’atmosphère est bien retranscrite, et c’est un atout supplémentaire pour maintenir le lecteur dans l’histoire. J’ai vraiment apprécié cette lecture qui m’a donné envie de découvrir l’adaptation en film (1973) et en bande dessinée (2011).


Pour aller plus loin....

"Mort à vie" de Cédric Cham

 

Mort à vie
Auteur : Cédric Cham
Éditions : Jigal (15 Septembre 2020)
ISBN : 978-2377221103
322 pages

Quatrième de couverture

Lukas coule une vie tranquille aux côtés de Camille et de leur fille Léana. Jusqu’au jour où tout vole en éclats : il est interpellé, et dans la foulée mis en garde à vue pour homicide involontaire... Voulant protéger son frère Eddy, Lukas va endosser une lourde faute qui n’est pas la sienne. Un choix terrible ! Pris dans cette spirale infernale, il se retrouve placé en détention provisoire. Fiché, numéroté. Écrou 52641. Ici, il va tenter de survivre.

Mon avis

Il y a quelques heures que j’ai terminé ce roman et j’ai encore froid… Un froid insidieux qui m’a mis le cœur à vif. Noirceur et désespérance sont les maîtres mots de ce récit d’un réalisme troublant. Un choc, une claque ou comment des hommes peuvent être broyés parce qu’ils ont fait un choix. Je ne parle pas de mauvais choix, parce que Cédric Cham nous démontre bien que parfois il n’y a pas d’autres solutions que celle choisie et c’est ce qui est terrible.  Ensuite, les circonstances, l’engrenage se mettent en place et détruisent …

Lukas vit en couple avec Camille, ils ont une petite fille, tout va bien. Jusqu’à ce jour où il est interpellé, mis en garde à vue pour un homicide. C’était sa voiture mais son frère conduisait… Ce dernier a déjà eu maille à partir avec la justice, alors Lukas ne pense qu’à une chose : protéger son frangin surtout qu’il a une « dette » envers lui. Et il se laisse embarquer lorsqu’on vient l’arrêter au boulot. Il découvre le monde de la prison, un microcosme avec ses lois, ses codes auxquels il faut se soumettre pour avoir une place. Un endroit où : « L’espoir rallonge le temps et grignote les nerfs. L’acceptation permet de trouver un semblant de paix. »

Quand on est emprisonné, il est nécessaire d’avoir une carapace, d’être fort pour s’en sortir. A l’intérieur, le temps se fige. Mais à l’extérieur, le monde continue d’avancer, votre famille, vos amis suivent le cours de leur vie….sans vous… On ne peut pas être assuré de retrouver ceux qu’on aime avec les mêmes liens lorsqu’on sort. Le temps aura fait son œuvre et que restera-t-il de Camille et Léana le jour où Lukas reviendra à la maison ? Il le sait, il le sent, plus rien ne sera pareil. Déjà les parloirs ne sont pas comme il le pensait. Alors, lutter ? Se laisser aller ? S’enfoncer ou relever la tête ? Garder une lueur d’espoir ou pour être plus solide, se l’interdire ? Est-il déjà un peu mort au-dedans de lui donc indifférent à tout ?

Pendant ce temps, Eddy, le frangin, retombe dans ses travers, argent facile, nanas etc… Le lecteur se sent impuissant, il voudrait lui hurler : arrête, regarde ce que tu deviens, pense à Lukas a pris ta place ! Mais ça, Eddy le sait, il le met dans un coin de son cerveau et il repart …. Camille, elle, ne comprend pas le « sacrifice » de son conjoint. Tout cela est évoqué avec doigté, intelligence.

Cédric Cham nous plonge dans le monde carcéral où la violence, la solidarité, les clans sont très présents. Il faut créer des liens mais les bons, ne pas se laisser bouffer, ne pas devenir victime, ni bourreau, l’équilibre entre tout cela est délicat. Si le moral n’est pas au top, on peut sombrer d’un côté comme de l’autre.

Avec son écriture sèche, brute, l’auteur nous prend aux tripes. Pas de verbiage inutile, des mots qui frappent comme autant de coups de poing, des phrases courtes qui rythment un texte où il est difficile de reprendre son souffle. Ça pulse, ça tempête, ça envoie du lourd, du très lourd….

La couverture est magnifique, en lien avec les sujets évoqués, Lukas n’est-il pas prisonnier de lui-même ? De sa volonté d’être quelqu’un avant de devenir un autre parce que le destin l’a entraîné sur une autre route ?

Noir ? Oui, très noir mais excellent ….


"Les lumières de l'aube" de Jax Miller (Hell in the Heartland)

 

Les lumières de l’aube (Hell in the Heartland)
Auteur : Jax Miller
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claire-Marie Clévy
Éditions : Plon (8 octobre 2020)
ISBN : 978-2259268219
386 pages

Quatrième de couverture

30 décembre 1999, Welsh, Oklahoma. Lauria Bible et sa meilleure amie Ashley Freeman, 16 ans, passent la soirée ensemble chez les Freeman. Le lendemain matin, le mobil home familial est en feu et les deux jeunes filles ont disparu. Les corps des parents d'Ashley, sont découverts dans les décombres, deux balles dans la tête. L'affaire est restée non résolue et les jeunes filles n'ont jamais été retrouvées. Que s'est-il réellement passé cette nuit-là ?

Mon avis

Terrible et captivant….

En 1999, l’auteur avait à peu près le même âge que Lauria Bible et Ashley Freeman, deux jeunes filles de seize ans, qui ont disparu dans des circonstances mystérieuses, dans un coin perdu de l’Oklahoma. Au courant de ce fait divers, elle ne l’a jamais oublié et quinze plus tard, elle a décidé d’écrire un livre relatant leur histoire. En 2016, elle a appelé la Maman de Lauria et s’est rendue sur place. A partir de là, c’est quatre ans de sa vie qu’elle a consacré à ce cold case (affaire non résolue).

Son récit est foisonnant, terrifiant, édifiant. Elle dit que ce qu’elle a découvert ne lui a laissé aucun répit. Ce que nous lisons fera de même, laissant une trace indélébile dans notre mémoire. Construit en cinq parties ce récit est complet, captivant, intéressant.

Nous sommes à Welch, dans le comté de Craig, un coin plutôt paumé où les familles sont parfois obligées de faire commerce avec un peu « d’herbe », voire trafiquer de la meth pour arrondir les fins de mois. Les Freeman vivent dans un mobil-home. Il y a un an, leur fils Shane a été abattu par la police. L’enquête a été rondement menée, bâclée et la famille est encore en colère, meurtrie par ce qui s’est passé. En outre, ils se sentent surveillés par les agents ….. Mais la vie continue et ce soir-là, ils sont réunis pour fêter l’anniversaire d’Ashley. Ils sont quatre, ses parents, sa meilleure amie et elle. Et puis, c’est l’effroi, un incendie gigantesque et l’habitation brûle. Les pompiers er la police arrivent et retrouvent un corps, le père, il a été tué. La mère de Lauria, avertie par le voisinage arrive. Malgré le véto des enquêteurs, elle fonce dans les décombres et découvre un second corps ainsi que des indices qu’ils n’avaient pas vus. Comment ont été menées les investigations, comment a-t-on pu passer à côté de la dépouille de madame Freeman ? Le shérif et ses adjoints sont-ils corrompus ?

Jax Miller se rend vite compte qu’une omerta entoure cette affaire, on ne veut pas lui donner accès aux documents, ou ils ont été perdus, oubliés, mal rangés, … toutes les excuses sont bonnes…. Elle cherche, encore et toujours, malgré la peur, malgré les menaces, malgré ceux qui essaient de la décourager, de la renvoyer dans son foyer, de la faire taire. On sent que cette histoire l’a prise aux tripes, l’a habitée et l’habite encore, elle est devenue amie avec Lorene Bible et reste en lien avec elle, à l’affût de la moindre nouvelle. Lorene est un point d’ancrage, elle se battra jusqu’au bout pour « ramener les filles à la maison ».

L’auteur nous présente les faits, puis elle décortique toutes les informations qu’elle a pu obtenir, elle parle de ceux qu’elle a rencontrés, interrogés. En parallèle, elle nous décrit la façon de vivre là-bas, les liens entre les uns et les autres, l’atmosphère particulière de cette région. On est loin de l’Amérique brillante et moderne. C’est un coin reculé, où la corruption est présente, où les erreurs judiciaires ne sont pas reconnues, où la drogue fait des ravages. Entre hypothèses et faits avérés, pas forcément prouvés, il est difficile de se faire une opinion. Mais Jax Miller a mis sa vie personnelle entre parenthèses, pour aller au bout d’elle-même, quitte à ne pas trouver la vérité, mais peut-être s’en approcher….

« Et quand j’ai envie de tout laisser tomber, je me rappelle qu’il y a deux familles qui n’ont pas cette possibilité. »

C’est un travail colossal qu’a réalisé l’auteur. Son texte et riche et fascinant, elle m’a scotchée. Elle a appris à connaître les deux amies, leur famille, leurs copains en écoutant de nombreux témoignages qu’elle nous a retransmis. Elle a mis en évidence les mensonges, ne cherchant pas obligatoirement à piéger ceux qui racontaient n’importe quoi mais en utilisant ces tromperies pour encore mieux cerner les faits. Les familles des victimes ont été obligées d’engager des détectives, de faire des recherches elles-mêmes, est-ce normal ? Non, alors pourquoi ce silence de la part des autorités ? Qui est protégé ? Que cherche-t-on à cacher ?

Jax Miller s’est immergée dans cette contrée oubliée des pouvoirs publics. Elle a eu peur, elle s’est trompée, elle s’est emballée, elle a avancé, reculé, elle s’est retrouvée seule parfois face à ses propres démons qui ressurgissaient mais elle n’a jamais lâché. Elle est admirable pour sa ténacité, sa volonté de continuer malgré les obstacles.

« L’Oklahoma me transforme à jamais, et plus souvent que je ne veux l’admettre je continue à parler à Lauria et Ashley, cherchant à me rassurer auprès des fantômes, avec leur souhait silencieux qu’on les retrouve. »

Je voudrais tant, moi aussi, que ce jour arrive…..

NB : Merci à Claire-Marie Clévy pour la traduction ! Sans elle, je n’aurais pas découvert ce recueil.


"Un jour de cafard" de Hélan Brédeau

 

Un jour de cafard
Auteur : Hélan Brédeau
Éditions : Books on Demand (10 septembre 2020)
ISBN : 978-2322241484
320 pages

Quatrième de couverture

Un homme désespéré est assis à une terrasse de café. Il prend des photos qui vont l'entraîner dans une aventure qu'il n'aurait jamais pu imaginer, le pire des cauchemars.

Mon avis

Alban a perdu son travail, non pas qu’il ne soit pas efficace, mais un mauvais concours de circonstances a entraîné sa chute. Lui qui vivait bien, qui avait tout, se retrouve presque sans rien avec des fins de mois plus que difficiles. Attablé à une terrasse de café, il observe les gens qui passent. Un couple attire sont attention. Pas vraiment assortis, l’homme et la femme ne semblent pas d’accord. Pris d’une impulsion, il les suit et prend le bellâtre en photo en se disant que, peut-être, il pourra le faire chanter…. Il n’y a pas de petit profit et il a vraiment besoin d’argent.

En commettant cet acte, il ne pensait sans doute pas une seconde qu’il allait se trouver dans une situation plus que délicate, où des hommes dangereux rodent. Auprès de qui trouver du soutien, comment se faire aider, qui contacter pour être cru ? Est-ce que son imagination lui joue des tours ou est-il, réellement, face à des malfrats ? Dès la première page, on accroche à l’histoire et le rythme ne faiblit pas. Il y a une atmosphère angoissante qui va crescendo et on a peur.

Hélan Brédeau a bien montré comment un point de départ anodin (une photo) peut emmener sur des chemins où il ne fait pas bon traîner. L’écriture est fluide, on visualise nettement les différentes scènes, on tremble, on se met en colère, on vit avec les personnages, on est au cœur de l’intrigue. A travers son récit, l’auteur évoque des sujets d’actualités, les choix qu’il faut parfois faire lorsqu’on est dans la précarité, le pouvoir de certains lorsqu’ils se croient « intouchables », etc.  Il y a une bonne approche du caractère des protagonistes et des raisons de chacun d’agir comme il le fait.

Je n’ai pas vu le temps passer en lisant ce roman. J’ai été captivée d’entrée, je me suis attachée à Alban, aux femmes qu’il côtoie. Il se révèle plein de ressources, il est volontaire. Sa période de chômage lui a permis de revenir aux vraies valeurs et l’aventure dans laquelle il est embarqué malgré lui, lui offre la possibilité de (re)devenir quelqu’un de bien, à l’écoute des autres et prêt à les aider.

Une lecture addictive sans aucun temps mort !


"Lire les morts" de Jacob Ross (The Bone Readers)

 

Lire les morts (The Bone Readers)
Auteur : Jacob Ross
Traduit de l’anglais (Grenade) par Fabrice Pointeau
Éditions : Sonatine (1 Octobre 2020)
ISBN : 978-235584812
400 pages

Quatrième de couverture

Camaho, une île des Caraïbes. Michael Digson survit tant bien que mal dans une cahute héritée de sa grand-mère. Jusqu'au jour où il croise la route de Chilman, un vieux flic anticonformiste qui lui propose d'intégrer la brigade criminelle. Un peu réticent, Digson accepte finalement de rejoindre son équipe, y voyant l'occasion de reprendre l'enquête sur le meurtre de sa mère, jamais élucidé.

Mon avis

C’est sur une île fictive des Caraïbes que se déroule ce roman. Michael Digson, appelé le plus souvent Digger n’a pas eu les moyens financiers de continuer ses études et il vit dans une cahute héritée de sa grand-mère. Il se débrouille comme il peut. Un jour, dans la rue, il assiste à un homicide et les policiers l’emmènent. Un des leurs, Chilman, lui pose quelques questions. Il réalise alors que le jeune homme a un remarquable esprit d’observation et un sens aigu de la déduction. Il lui demande d’intégrer son équipe pour l’aider.

Digger tient à sa liberté et c’est parfois en « électron libre » qu’il agira mais toujours en réfléchissant au moindre détail vu ou entendu. Il espère également profiter de cette activité professionnelle pour comprendre où est passée sa mère, sans doute décédée. C’est une belle opportunité pour lui. Mais à la limite, peu importe l’enquête, les enquêtes… Ce qui est intéressant, c’est la vie dans ce lieu avec ses « codes », ses secrets, son fonctionnement, ses tensions, ses mystères, la place de la religion, le rôle que veulent avoir les hommes (mais les femmes sont là dans l’ombre ; -)

Les personnages sont très travaillés, hommes et femmes ont tous une place, des relations parfois complexes avec les autres. Leurs traits de caractère ont de l’importance dans les rapports qu’ils établissent avec les autres. Il y a des non-dits, des mensonges, de la manipulation et il faudra une femme pour que Digger avance. En effet, cette demoiselle est très perspicace. Digger grandit au fil des pages, il va d’ailleurs aller étudier à Londres (mais cette parenthèse n’est pas détaillée), on le voit devenir un homme comme si son expérience au sein de la police était un voyage initiatique.

L’auteur a une écriture fluide (merci au traducteur). Il utilise pour les dialogues un langage teinté de l’accent de là-bas. Cela rend le texte très vivant et nous permet, dès les premières pages, de pénétrer dans cette atmosphère particulière qui règne sur l’île. Il n’y a pas pléthore de rebondissements mais l’intérêt est maintenu. J’ai beaucoup aimé la présence des femmes, leur influence dans les communautés ainsi que l’évolution de Digger…. Ce roman est le premier d’une série de quatre, donc,  à suivre … avec plaisir….


"Substitution" de Blanca Miosi (El Sustituto)

 

Substitution (El Sustituto)
Auteur : Blanca Miosi
Traduit de l’espagnol par Maud Hillard
Éditions : Independently published (17 août 2020)
ISBN : 979-8676207748
440 pages

Quatrième de couverture

Fedor Mogliani, un jeune à l’esprit brillant, ne comptait pas trouver sur son chemin Mark Carter, un garçon au corps déformé, cloîtré dans un fauteuil roulant à cause d’une maladie qui transformait ses muscles en os. Bien que n’étant encore qu’un étudiant en Génie biologique, Fedor réussit, contre toute attente, à inverser la fibrodysplasie ossifiante progressive dont souffrait Mark, sans penser que cela pourrait le dépasser.

Mon avis

Dès les premières lignes, j’ai été captivée et j’ai lu ce roman en une journée. Je ne pouvais plus le lâcher. L’auteur a su, une fois encore, m’attirer dans son histoire, m’intéresser et je trouve très fort qu’elle arrive à se renouveler et aborder chaque fois un thème nouveau. Je pense qu’elle se documente énormément, qu’elle se renseigne, qu’elle rencontre des experts dans le domaine de ce qu’elle veut évoquer, avant de se lancer dans l’écriture.

Cette fois-ci, elle parle de médecine, des essais cliniques, de l’ADN en prenant la fibrodysplasie ossifiante (FOP), appelée également « maladie de l’homme de Pierre » (les muscles et les tendons se solidifient) comme point de départ. C’est une infection qui déforme le squelette et qui est invalidante. Fedor, un jeune étudiant brillant en génétique, va être « recruté » par un de ses professeurs. Ce dernier souhaite qu’il l’aide à trouver comment guérir ou arrêter l’évolution de la FOP car le fils d’un de ses amis est concerné et bien sûr, il a promis de l’aider.

Fedor dit oui sans savoir que cette décision va bouleverser son existence. Il est issu d’un milieu modeste, sa mère l’a élevé toute seule. Il est content de pouvoir étudier grâce à une bourse et il va côtoyer un milieu beaucoup plus riche où les « codes » ne sont pas forcément les mêmes. Ne risque-t-il pas de perdre une partie de sa liberté ? Au fil des chapitres, on sent qu’il y a un mystère, des secrets, on s’interroge, on émet des hypothèses et on cherche à comprendre. L’aspect psychologique des personnages est bien travaillé ainsi que leurs relations. Le suspense est présent car on ne sait pas ce que donneront les résultats des tests sur le souffrant, ni comment vont évoluer les liens entre Fedor, son professeur, le malade et les autres protagonistes. En outre, Fedor va-t-il rester fidèle à ses convictions ou va-t-il se laisser influencer par tout ce qu’il y a autour de lui qui pourrait lui faire miroiter un autre avenir ? J’ai essayé, plusieurs fois, d’imaginer la suite, mais j’ai été surprise jusqu’à la fin…

Peut-on tout tenter au nom de la science ? Certains oublient l’éthique sous prétexte de progrès et c’est là un grand danger car des dérives peuvent exister. Pourtant quand on est malade, peut-être a-t-on le souhait de tout essayer pour s’en sortir, non ? Vaste débat….

Ce récit m'a fascinée. L'écriture de Blanca Miosi est "magnétique" (merci à sa fidèle traductrice), j'étais scotchée aux pages. Je ressentais les tensions, les joies, les peurs, les angoisses, les désirs, les hésitations de chacun, j'étais vraiment au coeur de l'histoire. Le rythme ne faiblit pas une seconde, car au-delà du contexte de la recherche médicale (qui renvoie chaque lecteur aux choix qu'il ferait), il y a une intrigue réfléchie, bien ficelée, avec de nombreux rouages. Une excellente lecture !

"Le passé se lève à l'aube" de Jacques Roure

 

Le passé se lève à l’aube
Auteur : Jacques Roure
Éditions : Publishroom (8 octobre 2019)
ISBN : 979-1023608724
264 pages

Quatrième de couverture

Albert Ducreux vous conte combien nos souvenirs sont nos plus belles richesses, lorsque Le passé se lève à l’aube. Albert Ducreux suit les traces de son auteur, avec tendresse, humour et insolence. Il se livre, en même temps, à une analyse critique et souvent irrévérencieuse de ces chemins, tout aussi ludiques que tortueux, qui dessinent sa vie.

Mon avis

Jacques Roure raconte Albert Ducreux et comme dirait Musset : c’est un étranger qui lui ressemble comme un frère…. Mettre Albert en scène a sans doute permis à Jacques de prendre du recul, de jouer avec les faits, les mots, d’aller au bout de ce qu’il avait envie. Même si leurs deux vies ne font qu’une ou sont très proches, on ne saura pas et Monsieur Roure restera insaisissable … gardant sa liberté d’expression intacte.

Né en 1938, Albert a connu un grand pan d’histoire et celui-ci est raconté à travers des anecdotes, des rencontres. C’est le quotidien de celui qui se présente comme un enfant timide, coincé des fesses, qui a dû apprendre à grandir, à se libérer pour être enfin lui-même. Heureux de décider de ce qu’il voulait faire de sa vie, et de la croquer à pleines dents.

Albert a eu « plein de vies ». Il a été enfant, adolescent, étudiant, amoureux, docteur, parolier, poète, et bien d’autres choses encore. On l’accompagne dans ses premières fois et on découvre ses ressentis. En parallèle, on revisite l’histoire de notre pays avec des noms de personnes connues, à travers des textes, des chansons, des films, des événements réels ou peut-être imaginaires, qui sait ?

L’écriture de l’auteur est pétillante, parfois un tantinet insolente, presqu’irrévérencieuse lorsqu’elle évoque des sujets que l’on a l’habitude de taire. Mais c’est amusant, plein de fantaisie, d’une forme de poésie et assorti d’un vocabulaire d’excellente qualité. Le rythme est soutenu, on voit se dérouler la vie d’Albert et on a du plaisir à suivre ses pérégrinations.

J’ai trouvé ce récit très intéressant, il y a une atmosphère rafraichissante comme si personne ne se prenait au sérieux. L’analyse des différents milieux, médecine, spectacle ou autres, est fine, pointue, ciblée. On sent que l’auteur a un regard acéré, critique et intelligent sur tout ce qu’il observe et tout ce qu’il vit. C’est très agréable à lire, on se régale.


"La femme parfaite" de J.P Delaney (The Perfect Wife)

 

La femme parfaite (The Perfect Wife)
Auteur : J.P Delaney
traduit de l’anglais (Etats-Unis) par jean Esch
Éditions : Mazarine (7 Octobre 2020)
ISBN : 978-2863745212
464 pages

Quatrième de couverture

Lorsqu’Abbie se réveille à l’hôpital, elle ne se souvient de rien. Cinq ans plus tôt, elle aurait eu un grave accident. Son retour à la vie serait un miracle de la science, une révolution technologique dans le domaine de l’intelligence artificielle pour laquelle son mari a sacrifié dix ans de sa vie. Mais alors qu’Abbie se souvient petit à petit de son mariage, elle commence à remettre en question les motivations de son mari, et sa version des événements.

Mon avis

Le dernier livre de J.P. Delaney est un thriller psychologique assez addictif qui ouvre sur plusieurs débats. Le principal étant de se poser la question des progrès scientifiques en intelligence artificielle. Jusqu’où aller, quand s’arrêter ?

Lorsqu’Abbie se réveille à l’hôpital, son mari la ramène chez elle mais il lui explique qu’elle est une « cobot », c’est-à-dire « un robot collaboratif ». Il est dirigeant d’une start up travaillant sur ce sujet. Cinq ans après le décès d’Abbie, il a réussi. Elle est « là », programmée avec les souvenirs de ce qu’elle a été, dotée d’une certaine forme d’empathie, d’une dose de « conscience ». Elle se sent « humaine » et ne l’est pas. On va découvrir son évolution, ses pensées, ses relations aux autres, notamment avec son fils autiste. Ce sera l’occasion pour l’auteur de parler de différentes méthodes pour aider au développement de ces enfants (il a lui-même un enfant concerné par ce trouble). Elle s’exprime en disant « tu » car elle est « elle-même » sans l’être vraiment et ce procédé montre toute l’ambivalence de sa place dans la vie de Tim, son époux.

Certains lecteurs trouveront sans doute que l’aspect autisme ne sert à rien. Mais il a toute son utilité. D’abord parce que l’arrivée de ce fils, porteur du syndrome de Heller (qui se détecte entre deux et quatre ans après la naissance) a modifié les relations dans le couple, mais également parce que le cerveau des personnes autistes ne fonctionne pas comme celui des gens neurotypiques. Et il y a un lien avec les difficultés d’Abbie pour comprendre le monde qui l’entoure. Son fils a du mal avec les interactions sociales. N’est-ce pas la même chose pour elle qui existe sans exister ?

Parallèlement au cheminement de la jeune femme, on a d’autres chapitres qui décrivent sa rencontre avec Tim, l’entreprise de ce dernier, sa tyrannie envers ses employés, ses amis etc. On passe du passé au présent sans aucun problème.
Petit à petit, la personnalité de chacun se précise, des incohérences dans leur vie de couple apparaissent, en « miroir » avec la vie de Abbie maintenant. Qui manipule dans l’ombre, qui ment, qui dit la vérité, quel est le but de tout cela ?

De nombreux thèmes sont abordés : la domination et les relations toxiques dans les couples, la place (minimale) des femmes dans la Silicon Valley, les dérives possibles de l’intelligence artificielle (et pourtant, de plus en plus, elle nous envahit), l’autisme etc…

La femme parfaite peut-elle être créée ? Une épouse qui comprendra, qui fera ce qu’on attend d’elle ? Un monde aseptisé avec des rapports normés, sans vagues ?

Je me suis rapidement attachée à Abbie qui n’est pourtant qu’un robot. L’auteur a su lui donner juste ce qu’il fallait d’humanité pour qu’elle devienne proche de nous. Il y a du rythme, l’intérêt ne faiblit pas et pourtant ce n’était pas évident. L’écriture est fluide (merci au traducteur). C’est troublant, on s’interroge vraiment sur la place du progrès et ça fait peur….J.P. Delaney a réussi un excellent thriller psychologique et une fin parfaite !


"L’ombre de l’assassin" de Rachel Caine (Killman Creek)

 

L’ombre de l’assassin (Killman Creek)
Auteur : Rachel Caine
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sebastian Danchin
Éditions : L’Archipel (15 Octobre 2020)
ISBN : 978-2809828887
400 pages

Quatrième de couverture

Gwen était parvenue à sauver ses enfants des griffes de son ex- mari, le tueur en série Melvin Royal. Mais celui-ci vient de s'évader de prison. Et elle prend peur. Alors que seule une poignée de personnes connaissent son nouveau numéro de portable, elle reçoit ce texto glaçant : " Vous n'êtes plus en sécurité nulle part " ! Fuir ou se terrer de nouveau ne servirait à rien. L'heure a sonné d'inverser les rôles... De proie, Gwen veut devenir prédateur.

Mon avis

Elle s’appelait Gina, mais ça c’était avant dans « L’ombre de la menace » où de jeune femme amoureuse, pétillante et pleine de vie, elle était devenue femme soumise avant de découvrir l’horreur, un mari tueur en série, qui cachait bien ses penchants malsains.

Maintenant, elle est Gwen, une battante, prête au combat pour sauver ses enfants, entraînée au tir, sportive et plus du tout docile. Forte, le plus possible, ne montrant pas ses failles pour espérer vivre en paix et ne plus souffrir. Après avoir fuit de cachettes en cachettes avant que son ex-mari finisse en prison, elle semble avoir trouvé un semblant d’équilibre. Sauf que voilà, au cours d’une évasion collective, il disparaît et n’est pas repris….

La terreur, l’angoisse vont de nouveau s’incruster dans le quotidien de Gwen. D’autant plus qu’elle reçoit un sms sur un téléphone portable qu’elle vient de se procurer et dont personne n’a le numéro ! Il est nécessaire de fuir à nouveau. Première étape : mettre ses deux enfants à l’abri puis en second lieu, traquer son ex-mari. Elle ne veut plus être une proie, elle décide de devenir chasseur afin de le coincer. Elle ne sait pas à quoi elle s’expose, quels risques elle prend, même si elle se doute que ce sera très dur. Melvin, son ex, est non-seulement pervers, dangereux mais également soutenu par un réseau complet issu du dark net. Elle n’a que sa volonté d’en finir et l’aide de Sam, le frère d’une des victimes, avec qui elle a fini par créer des liens. Tous les deux veulent la mort de Melvin mais vont-ils y arriver ?

A mon avis, il est préférable d’avoir lu le premier roman de l’auteur avant de découvrir celui-ci. Même si les rappels sont suffisamment explicites, on comprend mieux la personnalité des protagonistes si on a vu leur évolution et les différentes circonstances qui les ont transformés.

J’ai trouvé ce récit encore plus abouti que le premier, plus profond. J’appréhendais un peu car retrouver des personnages n’est jamais anodin, est-ce que ça n’allait pas être l’histoire de trop ? Une traque juste à la chute finale genre course contre la montre ? C’est beaucoup plus réfléchi que ça et Rachel Caine m’a vraiment étonnée. Sur les premières pages, j’ai eu peur d’être déçue puis très rapidement, j’ai découvert les aspects et les angles de vue très variés sur ce qui se déroule sous nos yeux. Les chapitres sont tous à la première personne, chacun s’exprime en disant « je ». Gwen, Sam, les enfants prennent la parole tour à tour. Parfois un même événement est évoqué, chacun a son approche, sa perception des faits, son interprétation…. Cette façon de présenter le déroulement est très intéressante. Cela apporte un surcroit d’intérêt. De plus, le vocabulaire est adapté à la personne qui « parle ». On a ainsi un bon aperçu de leurs sentiments, de leurs émotions, de leurs questions…

Je ne m’attendais pas à tant de rebondissements. Rachel Caine sait très bien maintenir un suspense important et une atmosphère anxiogène. Parfois, j’avais la gorge nouée et je sentais l’anxiété monter. Le rythme est effréné, il n’y a pas de temps mort. On a peur pour Rachel, pour ceux qu’elle aime. On doute, on s’interroge, et si on était totalement manipulé ? Pas conscient du fait qu’on ne voit que ce qu’on veut nous montrer et que c’est la même chose pour Gwen, Sam et les autres….

J’ai beaucoup aimé ce nouveau recueil de Rachel Caine, tout est parfaitement mis en place pour qu’on ait aucune certitude, que l’incertitude nous envahisse, que les choses se dévoilent par bribes, nous emmenant alors sur une autre piste. Une excellente lecture !


"Quantum / Une enquête de la Capitaine Chase" de Patricia Cornwell (Quantum)

 

Quantum (Quantum)
Une enquête de la Capitaine Chase
Auteur : Patricia Cornwell
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Dominique Defert
Éditions : Jean-Claude Lattès (3 Juin 2020)
ISBN : 978-2709666893
402 pages

Quatrième de couverture

À la veille d’une mission spatiale top-secret, la capitaine Calli Chase détecte une alarme dans le tunnel d’un des centres de recherche de la NASA. Spécialiste en mécanique quantique et enquêtrice en cybercriminalité, Calli sait que l’approche imminente d’une tempête avec le shutdown décidé par le gouvernement créent des conditions idéales pour un sabotage. Le danger dépasse toutes ses craintes.

Mon avis

Même s’il y a eu des hauts et des bas dans les romans de Patricia Cornwell, je reste attachée à cet auteur et j’ai souhaité découvrir sa nouvelle héroïne qui va vivre des aventures dans plusieurs recueils. Et bien, la magie n’a pas fonctionné, je ne suis pas vraiment conquise.

Pourtant, le thème avait tout pour me plaire, l’espace, la mécanique quantique, la NASA…. Oui, mais, j’ai trouvé que tout cela était long à démarrer, noyé sous une masse de détails pas forcément utiles à mon avis. L’intrigue se résume dans le fait que la capitaine Chase sent que quelque chose se trame et qu’une tempête est annoncée. Je ne suis pas persuadée que les explications scientifiques intéresseront les lecteurs d’autant plus qu’elles ne sont pas toujours passionnantes. Quant au reste du contenu, c’est beaucoup d’explications pour découvrir ce personnage qui va devenir récurrent.

Les points positifs ? Il y en a malgré tout ! Des protagonistes bien décrits, une famille complexe et des relations entre les uns et les autres qui ne sont pas claires. Cela nous amène à nous interroger sur ce qu’on lit en se demandant qui joue double-jeu….
L’écriture est fluide même pour les passages alambiqués mais ça ne m’a pas captivée.

Globalement, tout cela ne suffit pas ….. Je ne suis pas certaine de donner une autre chasse à Calli Chasse…..

 


"La nostalgie de l'ange" de Alice Sebold (The Lovely Bone)

 

La nostalgie de l’ange (The Lovely Bone)
Auteur : Alice Sebold
Traduit de l’angalis (Etats-Unis) par
Edith Soonckindt
Éditions :
Nil Editions (21 août 2003)
ISBN : 978-2744164613
351 pages

Quatrième de couverture

 « Nom de famille : Salmon, saumon comme le poisson ; prénom : Susie. Assassinée à l'âge de quatorze ans, le 6 décembre 1973. [...] C'est un voisin qui m'a tuée. Ma mère aimait ses parterres de fleurs et un jour, mon père et lui avaient parlé engrais. Le viol et le meurtre de la petite Susie sont sans doute les souvenirs les plus effroyables qu'elle ait emmenés au paradis. Mais la vie se poursuit en bas pour les êtres que Susie a quittés, et elle a maintenant le pouvoir de tout regarder et de tout savoir.

Mon avis

Susie a été assassinée, elle est au paradis… elle voit ce qui se passe sur terre et c’est essentiellement ce regard extérieur que nous allons suivre. C’est donc une fille de quatorze ans qui raconte et interprète…

C’est sans doute un élément qui m’a surprise, elle est jeune et son vocabulaire, parfois même son analyse des situations qu’elle observe, sont ceux d’une personne plus mûre….

Il n’en reste pas moins que cette façon de présenter les faits est originale. Mais elle peut aussi déconcerter, troubler, voire choquer ou déranger ……d’autant plus qu’elle est accompagnée de quelques invraisemblances pas forcément utiles….

Au-delà de cette remarque, j’ai surtout apprécié l’étude du deuil chez les deux parents, leur cheminement totalement différent vers non pas le pardon, mais une certaine forme d’acceptation, l’évolution de leur couple, de la relation avec les autres enfants, les différents individus rencontrés. On s’aperçoit, une fois encore, que côtoyer la mort, surtout lorsqu’on suppose qu’il s’agit de meurtre, n’est pas anodin, ne laisse ni les esprits, ni les corps indemnes …. Il faut continuer d’avancer, prendre le risque de bouleverser encore plus ce qui reste de stabilité…. La sœur de Susie semble la plus adulte, souhaitant que la vie continue sans pour autant oublier l’absente… Les parents, eux, qui sont censés être des piliers, des référents, perdent pied chacun à leur manière et ne savent plus (se) parler.

Ce sont tous ces bouleversements familiaux et leur analyse après le séisme d’une disparition que je retiendrai. Je laisserai de côté le reste plus ou moins réel et moins bien écrit à mon sens.

Lorsqu’on connaît l’histoire personnelle de l’auteur, on comprend aisément qu’elle soit plus à l’aise dans l’expression des sentiments de ses personnages ….

« Elle était là et, cette fois, quoiqu’il advienne, il la laisserait être ce qu’elle était vraiment. »


"Yzé et le palimpseste" de Florent Marotta

 

Yzé et le palimpseste
Auteur : Florent Marotta
Éditions : Taurnada  (27 Juin 2016)
Urban Fantasy
ISBN : 978-2372580205
432 pages

Quatrième de couverture

Ambre Delage est une lycéenne lambda. Orpheline de père et de mère, elle vit chez sa tante Lucy qui l’élève depuis sa naissance. Un soir, un événement dépassant l’entendement va brusquement la jeter dans un tourbillon de révélations qu’elle était loin d’imaginer. Dès lors, pour la jeune fille tout bascule. Il faut fuir. Fuir sa vie tranquille, fuir son identité. Mais qui est-elle vraiment ?

Mon avis

Changer de style de lecture de temps en temps peut permettre de découvrir de nouveaux horizons et de savoir de quoi on parle lorsque des personnes évoquent tel ou tel genre. 

Je me suis trouvée dans un univers littéraire que je ne côtoie pas ou très peu (j’ai dévoré tous les Harry Potter même si cela m’a semblé moins Fantasy que le roman de Florent Moratta). Donc me voilà immergée dans un monde de magie et de sorcières…. Alors alors ????

En premier lieu, je citerai l’écriture de l’auteur. Elle est de tellement bonne qualité, avec un vocabulaire et une orthographe irréprochables, que je pense que j’aurai toujours du plaisir à le lire quel que soit le thème choisi.  Ensuite, la cadence de l’histoire, tout en rebondissements, avec des situations « visuelles » qui permettent d’imaginer les scènes, donnent du rythme en entraînant le lecteur vers de nouveaux faits.

Bien entendu, il y a différents groupes : les gentils, les méchants et ceux qui veulent prendre le dessus sur tout le monde. Yzé est une jeune femme de son temps, curieuse et opiniâtre, oubliant parfois qu’elle peut confronter son avis à celui des autres. Les personnages gardent tous une part de mystère et leurs intentions ne se dévoilent que petit à petit et encore, on ne sait pas tout (il faut en garder pour la suite ;-) Les accessoires, les pouvoirs et autres « outils » de ce type de récit sont très présents mais parfaitement intégrés aux événements, finalement comme les armes des gangsters ou le petit carnet de l’enquêteur.

J’ai eu peur de m’ennuyer en lisant cet opus, de ressentir de la lassitude à prendre du temps avec ces Magis, ces Wicce et autres protagonistes mais finalement comme il n’y a pas de temps mort, que l’on va de surprise en surprise (pour moi qui faisais connaissance avec cet environnement), j’ai pris du plaisir à la lecture. Et puis, à travers son récit, Florent Marotta aborde des sujets d’actualité : le respect de l’autre, la tolérance, la peur de la différence , l’opposition entre la technique et la robotique (je suis consciente que ces deux termes sont un raccourci pour désigner les diverses façons d’agir des entités rencontrées)….. Un seul bémol ; la fin ouverte, parce que même en lisant les dernières pages dès le début, je n’ai pas pu avoir les réponses à toutes mes questions….


"Noir sanctuaire" de Douglas Preston & Lincoln Child (The Obsidian Chamber)

 

Noir Sanctuaire
Tome 16: Cycle Pendergast
Auteurs : Douglas Preston & Lincoln Child
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sebastian Danchin
Éditions : L’Archipel (3 Mai 2017)
ISBN : 9782809822274
440 pages

Quatrième de couverture

Constance Greene se retire dans les souterrains du manoir de Pendergast, au 891 Riverside Drive, à New York, où une bien mauvaise surprise l’attend…

Mon avis

Dans ce nouvel opus, on va suivre séparément ce qu’est devenu Aloysius Pendergast, Constance, dont il est le tuteur, qui veut vivre sa vie et le fidèle majordome Proctor qui part seul vers dans une nouvelle quête. Présenté ainsi, on pourrait trouver cela assez surprenant et avoir peur du manque de liens mais ce serait sans compter sur les facilités qu’ont les deux auteurs à vous entraîner dans leur sillage.

Constance, de tome en tome, prend de l’assurance, de la prestance et sa personnalité s’étoffe. Elle est toujours un peu éthérée, assez imprévisible (même beaucoup cette fois ci) mais capable de réagir à l’instinct avec une certaine forme d’intelligence. Elle va surprendre plus d’un lecteur ! Proctor, opiniâtre, est un second rôle qui tient une place prépondérante dans la vie des protagonistes, même si parfois, il s’efface pour se faire oublier. J’aurais peut-être souhaité qu’on s’attarde un peu plus avec lui. J’ai eu la désagréable impression de l’abandonner en cours de route….

Ce que va vivre Constance est très intéressant et nous faire découvrir un pan de sa personnalité qu’on ne soupçonnait pas. C’est une bonne chose car cela permet de renouveler l’approche des personnages et de continuer de s’intéresser à eux en se disant qu’ils n’ont pas fini de nous étonner. A ce propos, je me demande si les auteurs ont une ligne directrice de ce que va devenir chacun ou s’ils se laissent porter par leur imagination au fil des romans….

En tout cas, ils ont la maîtrise de leur sujet et ce nouveau récit est captivant, mettant en avant une la jeune protégée d’ Aloysius, qui se trouve ainsi au premier plan. Le style et l’écriture sont égaux à eux-mêmes : vifs, rapides, on va de ci, de là et on ne souhaite pas lâcher le bouquin, c’est bien ficelé, bien pensé, bien orchestré. De plus, la traduction est soignée avec un vocabulaire de qualité (vous connaissez le verbe faseyer vous ?) ce qui ne gâche rien, bien au contraire.

J’ai apprécié le retournement de situation (dont je ne donnerai pas de détails), bien amené et pour lequel on peut se laisser berner. Une lecture agréable et ….à quand la suite ?

NB : J’ai volontairement spolié la quatrième de couverture qui présente la fin du tome précédent.


"Jaune soufre" de Jacques Bablon

 

Jaune Soufre
Auteur : Jacques Bablon
Éditions : Jigal (8 Février 2018)
ISBN : 978-2377220304
193 pages

Quatrième de couverture

D'un côté il y a Rafa pour qui le boulot se fait rare et qui, diplôme en poche, se voit contraint d'enchaîner des jobs merdiques. Avec sa chance insolente, il est même possible qu'une bande de cons viennent braquer la caisse de la station-service où il bosse... De l'autre il y a Warren, parti à l'autre bout du pays sur une moto volée à la recherche d'une petite soeur qu'il n'a jamais vue.

Mon avis

Si les titres de Jacques Bablon mettent les couleurs à l’honneur, le contenu, lui, est plutôt sombre.

Dans son dernier roman, on rencontre des cabossés de la vie, ces gens qui en ont vu de toutes les couleurs (justement on en parlait ;-) et qui rebondissent plus ou moins bien, comme ils peuvent, en fonction  des rencontres,  du chemin parcouru, de leur passé, de leurs espérances, de leur vision de ce que  l’existence peut leur offrir ou leur refuser…..

Ils sont plusieurs dans ce recueil à apparaître au gré des pages. Parfois, on se demande comment ils vont finir par se croiser, quels liens vont les rapprocher, s’ils vont se rencontrer pour le meilleur ou pour le pire…. Parce que dans le quotidien que nous présente l’auteur, il y a rarement de juste milieu,  ses protagonistes sont des gens entiers, au caractère bien trempé, qui ne s’embarrassent jamais de fioriture. C’est cash, comme ce qu’il décrit.  Comme son écriture, pan, des phrases courtes qui font tilt, qui frappent au cœur, à la tête comme autant d’uppercuts, comme autant de coups de poings, de coups d’éclats qui font voler le monde tranquille en morceaux ….. J’aime ce style inimitable de cet auteur qui va à l’essentiel en peu de mots, comme pressé par l’urgence de raconter, de tenir un journal de bord des faits, des événements, avant que quelque chose ne se mette en travers…. Et on s’aperçoit que même en allant vite, et bien, de temps à autre, le destin s’en mêle et sème le bazar dans un quotidien qui aurait pu rester bien huilé. J’apprécie aussi sa façon de présenter des mondes diamétralement  opposés comme celui de cette musicienne classique face à Rafa, qui ne connaît rien de ce milieu. J’ai trouvé magnifique la façon dont l’auteur amène les morceaux  de Brahms dans l’univers de Rafa.

« Horreur, un musicien mort ! A quoi peut ressembler sa musique ? [….] En plus, c’est triste, ça glace le sang. […], une musique qui pousse au suicide. »

Et puis, petit à petit, Rafa semble apprivoiser les airs, les laisser se faufiler en lui et il adopte même le vocabulaire musical  lorsqu’il parle des sirènes de police dont le son va « decrescendo »….

Lire Jacques Bablon, c’est accepter d’être bousculé, de voir « l’autre face de tous les jours ». Les oubliés de la société qui rament pour trouver un boulot, les abandonnés, les mal-aimés, les incompris, les laisser pour compte ….Tous ces gens à qui ils donnent la possibilité de s’exprimer sans pathos, sans voyeurisme, avec leur franc parler, leur dégoût de temps en temps  mais aussi leur espérance….Parce que, dans tout ce noir, elle est là, tenace, la petite fleur espérance : quelques notes d’un quatuor ou d’un quintette, quelques framboises posées sur un rebord de fenêtre…….

Lire Jacques Bablon, c’est savoir que lorsqu’on commence le premier chapitre, on ira tellement à l’essentiel, que l’on ne pourra plus s’arrêter. Lire et encore lire pour les accompagner, tous, pour leur insuffler un peu de notre force, un peu de notre optimisme parce que demain est un autre jour et qu’après la pluie, il y a le plus souvent un arc-en-ciel coloré, beau et porteur de lumière…..cet éclairage qui vient du ciel et qui redonne de la couleur à la vie…..


"Des phalènes pour le commissaire Ricciardi" de Maurizio de Giovanni (Anime di vetro, Falene per il commissario Ricciardi)

 

Des phalènes pour le commissaire Ricciardi (Anime di vetro, Falene per il commissario Ricciardi)
Auteur : Maurizio De Giovanni
Traduit de l’italien par Odile Rousseau
Éditions : Payot & Rivages (7 Octobre 2020)
ISBN : 978-2743651312
402 pages

Quatrième de couverture

Traversé par une crise existentielle, le commissaire Ricciardi se sent incapable de s’ouvrir à la vie. La belle et hautaine Bianca, comtesse de Roccaspina, implore Ricciardi de rouvrir une affaire classée. Dans l'atmosphère tendue de l'Italie des années 1930, où Mussolini et ses voyous fascistes surveillent la police de près, une enquête non autorisée est un motif de licenciement immédiat. Mais la soif de justice de Ricciardi ne connaît pas d’apaisement.

Mon avis

C’est dans la ville de Naples des années 30 que se déroule ce roman. Le commissaire Ricciardi se remet difficilement de la mort de sa fidèle Rosa, qui lui servait d’intendante, de maîtresse de maison. Elle le connaissait depuis toujours et il lui était attaché comme à une mère. Il se sent seul, perdu, et ne sait plus comment continuer à avancer. Même son métier qu’il exerce avec talent, malgré des méthodes bien à lui, semble l’ennuyer.

La visite soudaine, surprenante, de la comtesse de Roccaspina va le remettre sur les rails. Elle lui demande rouvrir un dossier classé depuis plusieurs mois, qui la concerne de près. En effet, son époux s’est accusé du meurtre d’un usurier qui lui prêtait de l’argent et est en prison dans l’attente de son procès. Mais elle, sa femme, Bianca, est sûre d’un fait : il n’a pas quitté la maison la nuit de l’assassinat donc ça ne peut pas être lui ! Elle veut donc que le commissaire aidé de son fidèle adjoint, le brigadier Maione mène une nouvelle enquête. La difficulté principale est que tout cela ne peut pas être officiel, il va falloir agir en sous-main, discrètement, d’autant plus que les surveillances des fascistes sur les policiers sont importantes.

Après avoir hésité, Ricciardi accepte l’affaire, c’est sans doute ce qu’il lui fallait pour repartir de l’avant. Il est bien conscient de mettre sa carrière en danger mais il passe outre. Pourquoi le compagnon de Bianca ne réfute-t-il pas ses aveux ? Quel est l’enjeu pour lui de camper sur ses positions ? Comment le commissaire peut-il le faire parler ?

Ricciardi et Maione vont essayer d’interroger en catimini diverses personnes, toutes liées de près ou de loin au prêteur décédé. Sa femme, sa fille, les religieuses dont il faisait les comptes …. Avec tous ces éléments, la personnalité du mort se précise mais est-ce que ce sera suffisant pour élucider l’énigme de sa disparition ?

Je ne connaissais pas cet auteur et je suis sous le charme de son style et de son écriture (merci à la traductrice !). Il y a des passages emplis de poésie, de lyrisme.
« La peur du dehors rendra meilleure la chaleur du dedans, entretenue par les douces couvertures et l’odeur du bois brûlé diffusé par les poêles. »
La musique est présente comme un fil conducteur, avec une chanson qui peut expliquer les réactions du commissaire face aux femmes. Elles sont plusieurs à graviter autour de lui et chacune à une place particulière et des liens avec cet homme. Les rêves, les pensées de quelques-uns des protagonistes ont également une importance capitale et sont retranscrits avec beaucoup de verve.

J’ai aimé l’atmosphère de cette intrigue, cette espèce de nostalgie qui vibre entre les lignes. J’ai admiré les déductions du commissaire, comment il s’empare d’un regard, d’une phrase banale, d’un fait pour tirer des conclusions. Il est « pointu » dans sa façon de mener un entretien, de pousser plus loin la réflexion. L’ambiance des années 30 en Italie, avec la suspicion, les surveillances, les dénonciations, a aussi son importance. Ricciardi est un homme atypique, qui a du charme et qui a un petit quelque chose de caché, de secret, qui donne envie de mieux le comprendre. C’est pour moi une première lecture de Maurizio De Giovanni et de son personnage récurrent mais c’est certain, j’y reviendrai !


"La peine du bourreau" d'Estelle Tharreau

 

La peine du bourreau
Auteur : Estelle Tharreau
Éditions : Taurnada (1 er Octobre 2020)
ISBN : 978-2372580786
250 pages

Quatrième de couverture

McCoy est « bourreau » au Texas. Après 42 ans passés dans le couloir de la mort, il reçoit la visite officieuse du Gouverneur Thompson qui doit se prononcer sur la grâce du condamné numéro 0451. Il ne leur reste que quatre heures pour faire revivre les souvenirs de McCoy avant l'injection létale. Quatre heures dans l'isolement de la prison de Walls. Quatre heures pour cinq crimes qui déchaînent les passions.

Mon avis

Accomplir quelque chose de juste dans sa vie….

Quatre heures d’une vie, c’est quoi ? C’est pourtant sur cet espace-temps restreint qu’Estelle Tharreau signe un roman coup de poing. Par rapport à ses récits précédents, elle situe ce dernier aux Etats-Unis, dans une Amérique où la peine de mort et le couloir qui la précède sont encore d’actualité. Ce n’est pas un réquisitoire pour ou contre cet état de faits, c’est beaucoup plus subtil et traité avec brio et intelligence. Elle présente des situations, avec une écriture au scalpel, précise, pleine de sens. Le style est puissant et vibre dans chaque mot. Elle réussit le tour de force de rester neutre et de nous prendre aux tripes.

Avec des allers-retours passé présent, on va découvrir pourquoi Ed0451 est en attente de son exécution, ce qui l’a amené ici et maintenant.  Très rapidement, on sent qu’Ed n’est pas un assassin ordinaire, que le poids de l’influence familiale, de son histoire personnelle ont joué dans la construction de l’homme qu’il est devenu. Comme sa condamnation a déchaîné les foules car les avis sont partagés (a-t-il accompli un devoir moral en tuant ?), le gouverneur qui doit le gracier ou non, demande à rencontrer le bourreau de la prison. Sans doute pour avoir un regard plus aguerri sur ce qui amène des hommes à se retrouver dans ce couloir dont on ne ressort pas ou peu souvent….

« Tous ne méritaient pas leur sort et d’autres auraient mérité moins d’égards. Ce qui est juste et la justice sont deux choses très différentes. »

Cette conversation entre les deux hommes est édifiante, prenante et évoquée en parallèle avec la vie d’Ed, ainsi que des entretiens avec des journalistes. Les différentes approchent s’emboîtent, se complètent, certaines éclairant d’autres …. L’auteur nous renvoie en pleine face toutes les questions sur ce qui est juste ou pas, sur la façon dont sont menées les investigations, puis les procès. Son texte se situe au Texas, un état qui a un taux assez élevé d’exécutions capitales. C’est aussi un endroit où les tensions entre les personnes à peau blanche ou noire sont criantes, présentes même à notre époque (rappelez-vous, ce lundi 5 octobre les autorités américaines, dans un contexte tendu, après des mois de manifestations contre les violences policières à l'encontre des minorités, ont annoncé qu’un policier blanc avait tué un homme afro-américain….) Tout est parfaitement retranscrit, on ressent les interrogations légitimes des uns, le besoin de justification de certains choix pour d’autres.

Le thème est abordé d'une façon intéressante et originale. Traiter de la peine de mort est un exercice difficile, périlleux, presqu’une mise en danger risqué pour un écrivain. Et force est de reconnaître qu’Estelle Tharreau a tout d’une grande pour ce dernier recueil. Le texte est bouleversant, d’abord parce que tout cela est terriblement réaliste, ensuite parce qu’on s’attache à Ed alors qu’on sait que c’est un tueur, et enfin parce que lire cette histoire remet en cause nos certitudes de justice. Alors, forcément, ça dérange parce qu’on ne ressort pas indemne de cette lecture. Le format court (un peu plus de deux cents pages) donne encore plus de résonnance à chaque phrase, pas de blablas, de fioriture inutile, des uppercuts, des questions, des remises en cause…on sent tout cela qui fourmille en nous et on reste pantois devant la révélation finale.


"Un requin sous les arbres" de Bernard Leconte

 

Un requin sous les arbres
Auteur : Bernard Leconte
Éditions : Ravet-Anceau (Octobre 2013)
ISBN : 978-2-35973-360-0
170 pages

Quatrième de couverture

L’enquête sur un « petit meurtre de campagne » est confiée au capitaine Rossart du SRPJ - un policier qui se retrouve bien seul dans les Flandres pour cause d’affaire ultra médiatisée à Lille. Cette solitude va se renforcer avec la multiplication de rencontres aussi désobligeantes qu’inquiétantes : une famille aux positions extrémistes, une tenancière de bistrot officiellement antipathique, ou encore un étudiant anarchisant qui semble en vouloir à la terre entière…

Mon avis

Un village un peu perdu avec son lot de commères, de mauvais voisins, d’hypocrites et d’espions (ce n’est pas que j’espionne chez les autres…je m’intéresse, c’est tout ….et après je cancane….)

C’est là que le capitaine Rossart se retrouve à mener l’enquête. Une histoire somme toute assez simple, le charme de ce roman n’étant pas dans le fond mais plutôt dans la forme.

L’écriture de Bernard Leconte est délicieuse à plusieurs points de vue.

D’abord parce qu’en fin lettré, il use d’un lexique de qualité, glissé sans ostentation (c’est bien la première fois qu’un polar me parle d’homéotéleutes, que n’aurait pas renié Queneau ou de prolégomènes, tout ceci intégré dans le texte très simplement.

Ensuite parce que certaines descriptions sont un régal. Je qualifierai les termes employés de « bucoliques » (ce n’est sans doute pas le mot le plus approprié à la situation mais c’est ainsi que cela me « parle ».)

« …..il se débraguetta dans les ténèbres et projeta aussitôt un jet surpuissant qui produisit une sorte de carillon en atteignant les branchettes d’une haie derrière laquelle une vache invisible émit un lourd souffle qui exprimait toute son indignation. »

Et enfin, parce que, de temps à autre, les chapitres sont émaillés de réflexions en « voix off » commentant le récit ou faisant des remarques sur les pensées ou les gestes du narrateur.

« Et maintenant, se dit Rossart en descendant l’escalier d’un pas de plantigrade (il avait plutôt l’air de sauter lourdement d’un pied, de laisser l’autre en suspens, puis boum ! ce pied chutait ; en fait, il réfléchissait), retour à Sercus. »

Vous ajoutez à cela une galerie de personnages décrits avec force détails (et des phrases très très longues mais pas pénibles à lire) et vous aurez l’ensemble des éléments qui m’ont conquise.

Les esprits chagrins relèveront une intrigue légère sans grand suspense et sans rebondissements. Mais l’originalité de ce livre est, je le répète ailleurs. Après, on adhère ou pas….

Pour le fond, nous avons donc un village avec des querelles de voisinages, ah le lisier odorant du riverain et les cris des gorets… des bien pensants, des « mals vus » dont on dit que leurs idées politiques …… et qui votent on ne sait pas trop quoi mais …… ce qui est certain, c’est qu’ils ne sont pas bons à fréquenter parce que trop « contre tout » et puis ceux-ci, ils voudraient le retour de la messe en latin… Ça ne fait pas un peu trop tout ça ? Alors après tout, si c’est chez eux qu’il y a eu un mort et bien…tant pis ? tant mieux ? On se croirait presque dans une chanson du grand Jacques ….

Bernard Leconte installe décor, actions et personnages avec de longues formules, remplies de propositions subordonnées, de ramifications avec zeugmas et métaphores… C’est un style d’écriture qui peut désarçonner et même, probablement, énerver certains lecteurs mais l’amoureuse des mots et de poésie que je suis, s’est totalement régalée de cette façon de faire…. De plus, le phrasé et l’expression sont adaptés à chacun dans les dialogues, l’auteur passant sans difficulté aucune de l’un à l’autre de ses truculents personnages…

Une belle lecture qui change, bravo aux éditions Ravet-Anceau pour avoir fait ce choix !