"Dernière nuit à Soho" de Fiona Mozley (Hot Stew)

 

Dernière nuit à Soho (Hot Stew)
Auteur : Fiona Mozley
Traduit de l’anglais par Laetitia Devaux
Éditions : Joëlle Losfeld (1 er Septembre 2022)
ISBN : 978-2072945229
354 pages

Quatrième de couverture

Soho, quartier londonien populaire, se gentrifie à toute allure. Agatha, riche héritière, y possède des immeubles et projette de faire expulser ses locataires. Precious habite avec Tabitha les combles de l'un de ces immeubles, juste au-dessus du bordel où elle travaille. Il y a aussi Robert, ancien homme de main du père d'Agatha et client du bordel ; Lorenzo, cambridgien devenu acteur ; Cheryl alias Debbie McGee et Kevin alias Paul Daniels, un couple de SDF qui vivent dans les sous-sols ; Jackie Rose, policière qui enquête sur les personnes disparues et les réseaux de trafic sexuel. Ces trajectoires se croisent.

Mon avis

Soho est un quartier de Londres, bien connu pour sa mixité sociale.  Le commerce du sexe y est « naturel » mais la police intervient régulièrement.  Il y a également les pubs et les restaurants qui où se retrouve pas mal de monde. Plutôt populaire, ce coin est en pleine gentrification. Il est donc nécessaire de récupérer les logements, les commerces pour les moderniser, voire les « embourgeoiser »… Cela permettra d’amener des habitants d’un niveau professionnel supérieur et ainsi moderniser tout ça et surtout donner une meilleure image, afficher une « vitrine » différente. Mais quid de ceux qui vivent là depuis des années, qui ont leurs racines dans ce lieu ?

Dans ce roman, tout tourne autour d’un immeuble, c’est lui qui fait le lien entre les nombreux protagonistes. Quel que soit l’étage ou même le sous-sol, voire le toit, tout vit dans cette habitation.
L’écriture fluide (merci à la traductrice) de l’auteur nous permet de pénétrer dans cet univers. On y voit ceux qui vont se battre, manifester, tout tenter, car ils ne veulent pas quitter leur appartement. Il y a beaucoup de personnages, je me suis demandée si une petite liste en début de livre n’aurait pas été utile (nom  /  activité principale car pour certains difficile de parler de profession…) Chaque individu est présenté, détaillé et une galerie de portraits se met en place, ensuite les interactions s’enchaînent car certains finissent par se croiser.

Que vont-ils faire face aux bulldozers (physiques ou pas) ? Se résigner, continuer à espérer, négocier (mais est-ce possible) ? De nombreux thèmes sont abordés en plus du sujet principal, peut-être un peu trop…. Ce roman « puzzle » m’a parfois déroutée, je le trouvais un peu fouillis, sans doute parce qu’on passait de l’un à l’autre sans voir forcément les liens qui allaient s’établir.

Il n’en reste pas moins que c’est une lecture plaisante sur un thème d’actualité.


"Belle Greene" d'Alexandra Lapierre

 

Belle Greene
Auteur : Alexandra Lapierre
Éditions : Flammarion (20 Janvier 2021)
ISBN : 978-2081490338
546 pages

Quatrième de couverture

New York, dans les années 1900. Une jeune fille, que passionnent les livres rares, se joue du destin et gravit tous les échelons. Elle devient la directrice de la fabuleuse bibliothèque du magnat J.P. Morgan et la coqueluche de l'aristocratie internationale, sous le faux nom de Belle da Costa Greene. Belle Greene pour les intimes. En vérité, elle triche sur tout. Car la flamboyante collectionneuse qui fait tourner les têtes et règne sur le monde des bibliophiles cache un terrible secret, dans une Amérique violemment raciste. Bien qu'elle paraisse blanche, elle est en réalité afro-américaine. Et, de surcroît, fille d'un célèbre activiste noir qui voit sa volonté de cacher ses origines comme une trahison

Mon avis

« One-drop rule », une seule goutte de sang…..

Autrement dit, aux Etats-Unis, une seule goutte de sang noir, même remontant à très longtemps en arrière et vous êtes considéré comme personne à peau noire, donc sans les mêmes droits que les blancs. Dans les années 1900, cette décision était vraiment d’actualité et il était hors de question de tricher ou même d’essayer…. Bien sûr, de nos jours, sur le papier, tout cela n’existe plus… Sur le papier, mais en réalité ? Bref, revenons à l’excellent roman d’Alexandra Lapierre.

Après un remarquable travail de recherches très approfondies, pendant trois ans, elle a reconstitué et présenté la vie de Belle Greene, une jeune fille que l’on voit évoluer sur plusieurs décennies. Avec sa famille (sa mère et ses frères et sœurs), elle décide de prendre une autre identité, d’oublier les racines noires de leurs ancêtres. Tous et toutes ont la peau claire, parfois  même les cheveux blonds. En s’inventant un autre passé, d’autres noms, le plus proches de ce qu’ils sont, les portes de tout ce qui leur est interdit d’après les règles, s’ouvriront et ils pourront aller au bout de leurs ambitions. Il leur faudra être prudents, mais pour eux, c’est important de pouvoir vivre leur vie sans tenir compte de cette goutte de sang.

« Je ne me suis jamais sentie noire, physiquement je suis blanche. Je ne vois pas pourquoi je devrais vivre et mourir comme un chien. »

Passionnée par les livres rares et anciens, d’un petit job à une place jalousée et enviée, Belle gravit les échelons et devient la directrice de la bibliothèque / musée du richissime J.P. Morgan. Très douée pour les négociations, jouant de son intelligence, de son charme et des relations mises en place au fil du temps, elle complète les collections, faisant de ce lieu unique un endroit magique.

Magnifiquement écrit, ce récit se dévore. On découvre les hauts et les bas de cette famille, les difficultés qui se mettent en travers de leur route, le retour du père qui les met en danger (c’est un militant de la cause noire). Tout ce à quoi il a fallu renoncer pour réussir et le fait qu’en agissant ainsi, Belle fréquente ceux qui n’aiment pas, voire martyrisent son peuple. Sa réussite est à ce prix. Mais en agissant ainsi, ne court-elle pas le risque, avec les siens, que le secret de leurs origines soit un jour dévoilé ? Tout finit par se savoir, non ?

Renier son passé, c’est faire table rase, c’est occulter en partie ce qu’on est….

« Être noire, c’est partager les mêmes expériences, les mêmes souvenirs, les mêmes plaisanteries, les mêmes histoires, les mêmes chansons. » dit la mère de Belle. C’est comme si rien n’avait existé avant la nouvelle identité.

C’est par un concours de circonstances tout à fait étonnant que la vérité sur cette femme a été connue. On aurait pu ne rien savoir…

Je suis heureuse d’avoir découvert cet admirable portrait. Il aurait été dommage de passer à côté. J’aime l’idée qu’une femme, non destinée à une telle carrière, soit arrivée à ses fins, qu’elle ait tenue tête, qu’elle n’ait pas cédé.

Un coup de cœur !

"Ada et Graff" de Dany Héricourt

 

Ada et Graff
Auteur : Dany Héricourt
Éditions : Liana Levi (25 Août 2022)
ISBN : 979-1034906390
288 pages

Quatrième de couverture

De cette journée comme de la précédente, Ada n’attend qu’une baignade dans la rivière sous les arbres et un signe de sa fille qui ne viendra pas. Bras et jambe dans le plâtre, Graff n’aurait jamais cru que tout s’interromprait en ces circonstances, qu’il lui faudrait quitter sa famille de cirque en pleine tournée. Pour lui comme pour elle, l’avenir semble à l’arrêt, l’horizon tout à fait barré. La vieille dame anglaise et l’ancien funambule tsigane ignorent que la vie les précipite déjà l’un vers l’autre.

Mon avis

Avec toi, les choses me touchent comme si j’étais jeune à nouveau.

Ada est une femme d’un certain âge (doux euphémisme pour ne pas dire une vieille dame). Elle vit dans un petit village vers Saint-Etienne, le Puy (deux très belles villes puisque j’habite la première), veuve du médecin du coin. Originaire du Royaume-Uni, elle n’a pas vraiment eu le choix lors de l’installation dans ce lieu. Elle passe pour une originale, voire un tantinet excentrique, fantasque. Ne dit-on pas qu’elle se baigne tous les jours dans la rivière ? À son âge, est-ce bien raisonnable ? Mais elle s’en fiche un peu des ragots et des commentaires, elle fait comme bon lui semble. Elle a une douleur secrète. Sa fille, Rebecca, s’est fait embobiner par le gourou d’une secte et comme les locaux de celle-ci ne sont pas très loin, Ada essaie de l’apercevoir lorsqu’elle distribue des tracts au marché. Mais celle qui est devenue Becca l’ignore. Ada ne renonce pas, elle espère toujours et encore. Sa vie s’écoule ainsi et cela lui convient.

Soudain un événement surprenant va bouleverser son quotidien. Un cirque s’était installé et un des hommes à tout faire, Graff, se blesse, il est plâtré. Il va rester sur place, alors que le reste de la troupe part. Il se pose dans sa roulotte avec une jument, sur une friche mitoyenne au jardin d’Ada. Une rencontre aussi improbable que déroutante met ces deux-là face à face. Un pas en avant, un pas en arrière, tels deux funambules, ils s’approchent, reculent, s’apprivoisent, se taisent….   

Cette relation, cet amour naissant pose question aux habitants du cru. Lui, c’est quand même un gitan, et c’est bien connu, ce sont, la plupart du temps, des voleurs… Ne faudrait-il pas le surveiller ? Ça craint, non ? Et puis, on le savait que cette anglaise était bizarre….

Nous on voit bien que cet homme gagne à être connu, qu’il est sûrement quelqu’un de bien. Alors, on suit leur histoire, on lit les magnifiques lettres d’Ada, on se régale du style, du phrasé, de l’atmosphère palpable installée par l’auteur…..

Dany Héricourt, avec un père français et une mère britannique, manie les deux langues à la perfection. Cela lui permet de présenter une vieille anglaise so british comme on les aime. Elle échappe quelques mots dans sa langue natale et c’est un vrai régal.

Ada et Graff, la nature (de belles descriptions !), la région où se passe tout ça, j’y étais tant l’auteur a su me charmer, me rendre tout ce petit monde très vivant.

Je suis fan de l’univers décrit par l’auteur, je voudrais vraiment que ses deux protagonistes existent tant ils sont attachants, vrais. Son écriture est délicate, avec des pointes d’humour et de dérision. C’est frais, dépaysant, décalé juste ce qu’il faut. Elle arrive à parler de sujets graves sans trop en faire pour ne pas plomber le moral du lecteur. Elle m’entraîne dans ses récits et je serais presque triste quand la dernière page se tourne mais je sais qu’elle écrira encore. C’est une lecture sur un sujet déjà abordé (l’amour à plus de soixante-dix ans) mais elle a su écrire quelque chose de neuf, de charmant et bravo !

PS : La photo en noir et blanc dans les dernières pages est jubilatoire !


"Dopamine" de Patrick Bard

Dopamine
Auteur : Patrick Bard
Éditions : Syros (25 Août 2022)
ISBN : 978-2748530568
226 pages

Quatrième de couverture

Février 2021 : le corps d’une jeune fille de quatorze ans est retrouvé dans la Marne. Ses meurtriers, identifiés très vite, sont deux camarades de classe. Une fille et un garçon qui ne semblent pas conscients de la gravité de leur acte et invoquent des mobiles inconsistants. Entre addiction aux écrans, haine déversée sur les réseaux sociaux, harcèlement et calomnie, le juge d'instruction chargé de l'affaire décide de décrypter coûte que coûte la mécanique de l'impensable.

Mon avis

Il aurait fallu tant de choses qui dépendaient du monde des adultes …

Inspiré d’un terrible fait divers, ce roman met en scène de jeunes adolescents qui ont frappé puis poussé dans la Marne une de leurs camarades de classe. Comment ont-ils pu en arriver là ? L’auteur ne prétend nullement apporter des réponses mais, en se plaçant de l’autre côté du miroir, il apporte des éléments pour cerner au mieux l’évolution des personnalités et l’engrenage qui s’est mis en place avant ce meurtre.

Ce sont des collégiens qui partagent des cours, des sorties, des confidences, des mensonges, des moqueries, enfin bref, des ados comme on en rencontre tous les jours. Quelques-uns ont des « casseroles », des passages de leur vie où ce n’était ni rose, ni facile … Les professeurs les connaissent et observent de loin les amitiés et les amours qui se font et se défont. Tout cela reste très banal, des quotidiens ordinaires comme il y en a dans de nombreux collèges.

Et puis, un jour, c’est le drame. Louna est retrouvée noyée. Enzo et Emma, deux amoureux sont les coupables. Pourtant Louna et Emma étaient proches, Enzo avait même eu un début de relation avec Louna. Personne n’a rien vu venir, personne ne sait ce qui a pu les pousser à un tel acte.

Romain Segara, père d’une jeune fille du même âge, juge d’instruction, mène les interrogatoires et par ses questions, son attitude, il espère avoir des réponses. Il se heurte au silence des amants, qui chacun de leur côté, se murent dans le silence.  Cet homme plonge les mains dans le cambouis de la détresse humaine. Il va questionner des amis, la famille, des responsables de l’établissement scolaire et petit à petit, le lecteur cerne comment l’impensable a pu voir le jour.

L’épisode COVID a modifié les liens, augmentant le virtuel, donnant une énorme place aux réseaux sociaux et changeant les rapports humains. Chacun essayant de combattre sa solitude, avec ses moyens, parfois en trichant pour rencontrer malgré tout les potes. Ensuite il a fallu revenir à la norme, découvrir comment les amitiés ont évolué pendant cette période. Enzo et Emma qui se sont rapprochés, s’aiment d’un amour fou qui les isole, les coupe des autres. Ils interprètent chaque geste, chaque sms, font « monter la mayonnaise » de la haine…. Réalisent-ils vraiment ce qu’ils ont fait ? Ont-ils conscience de la brutalité de leur geste ?

Dopamine, la molécule du désir. « Cette molécule essentielle, mais aussi celle du jamais assez, du toujours plus ». Est-ce que c’est la « chimie » qui les a entraînés vers l’horreur ? Est-ce qu’en se nourrissant de violence, ils ont augmenté cette inimitié, leur ressentiment jusqu’à une soif de vengeance inarrêtable ? A chacun des lecteurs de se faire son opinion….

C’est un livre bouleversant. Je l’ai trouvé très juste. L’écriture est parfaitement adaptée aux pensées ou paroles des protagonistes. Le « parler » jeune est réaliste lorsque ce sont les adolescents qui s’expriment et si le juge réfléchit, on voit que ce n’est pas superficiel, il fait tout pour cerner les individus, les faits. L’auteur a su équilibrer tout ce qu’il présente et j’ai vraiment apprécié cette lecture.

 

"Les Vertueux" de Yasmina Khadra

 

Les Vertueux
Auteur : Yasmina Khadra
Éditions : Mialet Barrault (24 août 2022)
ISBN : 978-2080257949
544 pages

Quatrième de couverture

Yacine Chéraga n'avait jamais quitté son douar lorsqu'il est envoyé en France se battre contre les "Boches". De retour au pays après la guerre, d'autres aventures incroyables l'attendent. Traqué, malmené par le sort, il n'aura, pour faire face à l'adversité, que la pureté de son amour et son indéfectible humanité.

Mon avis

Il s’appelle Yacine, un jeune homme bien comme il faut qui vit avec ses parents et ses frères et sœurs en Algérie. Un jour, à l’automne 1914, le Caïd Gaïd Brahim l’envoie chercher. On ne désobéit pas à un tel homme alors, confiant, il y va et se retrouve dans un vaste domaine. Il se demande bien ce qu’on lui veut et ne tarde pas à le comprendre. Prendre la place, comme militaire, du fils du Caïd, qui serait réformé s’il se présentait, et ramener des médailles pour dorer le blason du chef. Devenir un autre et partir à la guerre. S’il dit non, c’est sa famille qui en souffrira et pas qu’un peu, s’il dit oui, il sera riche au retour.… Mis en face de ce marché, Yacine n’a pas le choix, il accepte et le voilà parti en France se battre contre les allemands.

On va suivre le périple de ce jeune homme parfois un peu naïf. Il ne connaît rien du monde où il arrive. Lui, il croit en de vraies valeurs d’amour et d’amitié, d’entraide et de respect, de bienveillance, d’honnêteté, et il pense que tout le monde est comme ça. Malheureusement, ce n’est pas le cas et sa route va être semée de désillusions, de trahisons, d’embuches, voire même d’horreur. Ce qui est impressionnant, c’est qu’il reste droit, noble, fidèle à lui-même, espérant sans cesse des jours meilleurs. Il cherche les siens, persuadé qu’il les reverra. Quand l’espoir disparaît, il puise en lui la force d’avancer. Je crois que c’est cette quête qui lui permet de tenir malgré tout ce qu’il subit d’injuste, de violent.

« On peut faire le deuil de ses morts, pas celui des absents. »

C’est un magnifique roman, rédigé d’une écriture belle et majestueuse. C’est un récit qui a du souffle, de la profondeur. C’est Yacine qui raconte son chemin à la première personne. On découvre des situations compliquées, des personnages qui hésitent entre le croire et le rejeter. C’est toute l’ambivalence des liens qui unissent les hommes loin de chez eux dans un premier temps qui se dessine. Et puis, il y a le retour et ça et là, on recroise des personnages déjà évoqués dans d’autres passages de la vie de Yacine.

On l’accompagne sur de nombreuses années, les épreuves le minent, l’abîment mais ne le détruisent pas. La construction quasi linéaire, est magnifique et pas un instant, on ne ressent de longueur. Le texte ne faiblit pas et le propos reste puissant jusqu’à une fin magistrale qui vous laisse pantelante dans votre canapé, les larmes aux yeux.

« Vis ce que tu as à vivre et cherche l’amour jusque dans l’infortune, car tout ce qui n’est pas amour n’est que diversion. »

"Nonna des sources" de Dominique Vietti-Letoille

 

Nonna des sources
Auteur : Dominique Vietti-Letoille
Éditions : au Pluriel (18 mai 2022)
ISBN : 978-2-492598-03-6
289 pages

Quatrième de couverture

Claire est une femme active de ce début de vingt et unième siècle. Entre son boulot de DRH dans une grande entreprise, son chat en garde alternée avec son ex-mari et son cercle de proches originaux, elle est confrontée à des petits accidents étranges. Elle va apprendre l’existence d’une lointaine parente d’Amérique qui va changer sa vie. Dans le nord de l’Italie, Maria attend des nouvelles de Tonio, parti vers les Amériques pour y avoir une vie meilleure, comme beaucoup d’émigrés italiens en cette année 1899…..

Mon avis

Claire est directrice des relations humaines dans une grosse entreprise, elle vit seule avec son chat (en garde alterné avec son ex-mari, dont elle n’est pas divorcé, il fait traîner….). Elle aime sa liberté, son quotidien, ses amis. Son ancien conjoint aimerait reprendre la vie commune mais elle n’en a aucune envie. Ses parents vivent le plus souvent au Maroc où ils ont acheté une médina.  Elle a trouvé un équilibre et ne se plaint pas.

Un jour, elle reçoit un courrier d’une société de généalogie qui lui demande de la contacter au plus vite. Étonnée, surprise, dubitative, elle se décide finalement à les rencontrer. Elle va alors apprendre qu’elle peut hériter d’une lointaine aïeule. Beaucoup de questions se bousculent en elle mais bon, pourquoi ne pas creuser cette information ?

À partir de là le récit va se partager entre la vie de Maria et Tonio en 1900 et Claire en 2020. Tonio est parti vers l’Amérique pour essayer de sortir sa famille de la misère, a-t-il réussi ? On se doute que oui car l’héritage susceptible de parvenir à Claire doit être assez conséquent si on la dérange pour les démarches. Mais pourquoi elle et pas sa mère ?

J’ai été très agréablement surprise par ce roman. Je ne m’attendais pas à un récit aussi foisonnant et approfondi. Les chapitres alternent entre passé et présent. Nous découvrons la riche personnalité d’une ancêtre originale, qui n’avait pas froid aux yeux et qui a sans doute inspiré Claire à travers le temps et l’espace, sans qu’elle s’en rende compte (tout est dans les gènes diraient certains). L’aspect historique, les déboires dans un pays étranger, la volonté de s’en sortir, les liens qui se tissent, tout est soigneusement présenté, analysé. Et pour ici et maintenant, les questions, les hésitations, les peurs de Claire sont également exposées avec intelligence.

L’auteur a une très belle écriture, elle vous plonge immédiatement dans les lieux qu’elle évoque (j’ai même pensé que cette histoire ferait un beau téléfilm). Elle ajoute un petit côté psychologique à ses personnages mais sans excès. C’est très bien dosé. Il y a du rythme car les événements se succèdent et on s’interroge sur le devenir des uns et des autres. J’ai apprécié les réflexions sur les concessions à faire pour réussir, le fait que ce ne soit ni noir ni blanc, que certains hésitent à tricher, à fréquenter ceux qu’il ne faut pas pour « se protéger », les doutes de Claire, ses angoisses face aux situations déstabilisantes, etc.

J’ai vraiment eu beaucoup de plaisir à lire cet ouvrage qui m’a captivée très rapidement. J’ai apprécié les femmes de caractère de cette histoire, de beaux portraits !

" Où es-tu monde admirable?" de Sally Rooney (Beautiful World, Where are You ?)

 

Où es-tu, monde admirable ? (Beautiful World, Where are You ?)
Auteur : Sally Rooney
Traduit de l’anglais (Irlande) par Laetitia Devaux
Éditions : de l’Olivier (19 Août 2022)
ISBN : 9782823618501
386 pages

Quatrième de couverture

Alice, une jeune romancière ayant connu un succès fulgurant, quitte Dublin pour s’installer dans un village d’Irlande. Elle fait la connaissance de Felix sur un site de rencontres. Eileen, la meilleure amie d’Alice, préfère rester dans la capitale. Malgré la distance, Alice et Eileen se parlent presque tous les jours, ou plutôt elles s’écrivent. Des e-mails aussi drôles qu’intimes où elles laissent libre cours à leurs réflexions sur le sexe, l’amour, l’argent, l’amitié, la politique.

Mon avis

Je n’ai pas lu « Normal People » du même auteur mais j’ai beaucoup aimé la série.

En découvrant « Où es-tu, monde admirable ? », je pensais retrouver une réelle réflexion sur la société, les rapports humains. Les deux premiers tiers où on suit quatre protagonistes dans leur quotidien de « je t’aime moi non plus » m’ont paru un peu fades, malgré l’échange de mails entre deux amies qui remet un peu d’énergie et d’analyse du vécu. Le petit dernier tiers est, pour moi, plus intéressant, car l’auteur fait une approche plus fine des émotions, des blocages, de l’influence de ce qu’on vit sur ce qu’on choisit ou devient.

Les personnages ne m’ont pas vraiment convaincue. Pour moi, il leur manquait un petit quelque chose. Pourtant ce qu’ils ressentent est bien amené, avec les dialogues ou les inter actions entre les uns et les autres. Peut-être que leurs discussions, leurs états d’âme n’ont pas réussi à me toucher. Je crois qu’il y a de ça, je ne me suis attachée à personne et j’avais envie de les secouer et de leur dire de se prendre en main. Heureusement, il y avait l’Irlande avec son atmosphère que j’aime tant.

Est-ce que je suis trop « vieille » pour ce style de lecture ? J’avais un sentiment de superficialité, de manque de profondeur, mais peut-être que je n’ai pas lu ce recueil avec les bons yeux… j’ai eu du mal à accrocher avec l’écriture (merci à la traductrice) et avec le style. J’avais le sentiment que tous ces gens étaient un tantinet « surfaits », pas assez naturels….

Je ne regrette pas ma lecture car j’ai malgré tout eu du plaisir à suivre les péripéties d’Alice et son amie. Mais je sais que, malheureusement, tout cela ne me laissera pas un souvenir impérissable.


"Tibi la Blanche" d'Hadrien Bels

 

Tibi la blanche
Auteur : Hadrien Bels
Éditions : L’Iconoclaste (18 Août 2022)
ISBN : 978-2378803001
256 pages

Quatrième de couverture

A Thiaroye, un quartier proche de Dakar, trois amis passent le bac. Issa a toujours l'air de savoir où il va quand il marche. Neurone a le cerveau bien huilé, c'est une bête à concours. Tibilé, on l'appelle Tibi la Toubab, Tibi la Blanche ou Tibi la Française, car tout le monde sait qu'elle va partir en France. Dans une semaine, les résultats du bac vont les percuter. La vie court trop vite, il faut la croquer.

Mon avis

Dakar, trois amis lycéens. Chacun souhaite d’avoir le bac et de vivre autre chose, ailleurs ou sur place mais loin de leur quotidien. En fonction de la mention, de leurs choix, des finances des parents, ce sera ici, ou à l’étranger, en France, en Asie ou aux Etats-Unis… Tous les rêves sont-ils permis ?

Il leur faudra se séparer, vivre loin les uns des autres alors qu’ils ont été unis, se soutenant, trichant parfois en classe pour s’aider, pour la bonne cause, hein ?

Tibi, c’est une fille, la meilleure des trois, elle a la double nationalité, ce sera facile pour elle d’aller en France….. Mais régulièrement, elle est en proie à des doutes.

« La voilà dans l’antichambre de la prise de décision, où la culpabilité et la raison se battent à mains nues. »

Les trois copains se heurtent à leur besoin de liberté, face aux traditions ancestrales, telle l’endogamie. Est-ce qu’ils sont vraiment maîtres de leur destin ? Ils sont sans cesse tiraillés.

C’est avec une écriture fleurie, sentant bon le pays qu’il évoque que l’auteur nous emmène à la découverte de ces trois portraits. Chacun a suffisamment de consistance pour nous intéresser, nous accrocher, nous donner envie de le suivre sur la route qu’il prend. C’est bien équilibré, Hadrien Bels n’en fait pas trop, il reste dans le possible. Le rythme est rapide, les chapitres courts, on est dedans, l’atmosphère transpire dans les pages.

J’ai beaucoup aimé ce roman, il m’a intéressée. On sent que pour les jeunes, le Sénégal est en train de changer de peau, comme un serpent qui mue. Mais c’est malgré tout difficile de lâcher toutes les coutumes : marabout, bic magique ont encore la part belle….

Une belle découverte d’un auteur que je ne connaissais pas et que je relirai volontiers !

NB : la couverture est superbe !


"Le feu du milieu" de Touhfat Mouhtare

 

Le feu du milieu
Auteur : Touhfat Mouhtare
Éditions : Le Bruit du monde (18 Août 2022)
ISBN : 978-2-493206-26-8
353 pages

Quatrième de couverture

Les Comores : un lieu, une histoire, des contes, des spiritualités... Un jour, Gaillard rencontre Halima, jeune fille bien née qui tente d'échapper à un mariage forcé. Elles deviennent amies, au point que la fiancée confie à Gaillard un petit objet magique qu'elle devra précieusement conserver sans jamais le montrer à personne - après quoi, Halima rentre se soumettre à la volonté paternelle. Dix ans plus tard, les destins des deux jeunes femmes se recroisent.

Mon avis

Le savoir de l’invisible

Lorsque j’ai commencé ce roman, je ne savais pas à quoi m’attendre. Il se situe aux Comores et on y retrouve Gaillard une jeune servante. Elle apprend les secrets du Coran avec « son maître » et passe du temps avec sa mère adoptive qui lui raconte des légendes, ancrées depuis des générations dans leur vie. Elle obéit, elle va chercher du bois, elle est docile mais on sent que parfois, le feu couve en elle. A-t-elle envie de s’émanciper, de goûter à une certaine forme de liberté ? Pense-t-elle que c’est du domaine du possible ou seulement dans ses rêves ?

Au hasard d’une rencontre, elle est en présence d’Halima, une jeune fille qui semble avoir son âge mais qui n’est pas du tout du même milieu. Elle est du côté des riches et elles n’ont pas le droit de se parler, de se fréquenter, de se voir. Pourtant Halima transgresse ces lois et elles tissent des liens toutes les deux malgré le danger auquel elles s’exposent. Halima voudrait fuir un mariage imposé. Finalement, aucune des deux n’est vraiment épanouie dans ce qu’elle vit, dans ce qu’on lui impose. Pourquoi ? Faut-il explorer d’autres espaces lieux et temps pour mieux se comprendre, pour se découvrir et savoir qui on est ? Et est-ce que, lorsque ce chemin est accompli, on vit le présent en toute sérénité ? Pourquoi cherchons-nous en permanence à être aimé, accepté ? Ce sont des questions qui hantent Halima et Gaillard, même si elles n’en sont pas conscientes.

« Le monde n’est jamais prêt à ce qu’on le remette en cause. Un jour, tes mots franchiront la barrière de ces murs. Quand, toi, tu seras prête. »

Les deux jeunes femmes vont explorer, se projeter ailleurs, volontairement ou non et c’est à partir de là que le récit oscille entre rêves et réalité, emportant le lecteur dans des contrées inexplorées. Il faut alors rester attentif pour ne pas se perdre en route. Ce que nous apprend et nous apporte ces escapades est loin d’être anodin. Il y a une réelle réflexion humaniste sur la société, les relations hommes / femmes, le respect, le partage du savoir, du pouvoir, la place de chacun suivant le monde, l’époque où l’on vit. On s’aperçoit alors que ce sont toutes les histoires tissées depuis des générations qui nous construisent, nous font exister ici et maintenant. Rien n’est vraiment le fruit du hasard et pour chacun le poids du passé, les expériences, les si et les peut-être permettent d’avoir des personnes uniques qui prennent leur destin en main. C’est ce qu’Halima et Gaillard décident de faire quelles que soient les difficultés qu’elles rencontreront.

Il y a des pays où il est plus difficile d’être une femme, ce récit nous le rappelle. Il faut alors cerner le fonctionnement des relations humaines du peuple où l’on vit. Ces portraits de femmes de caractère sont portés par une écriture envoûtante et fluide, un style quelques fois mystique mais qui donne malgré tout un ensemble harmonieux.

"Le rocher blanc" de Anna Hope (The White Rock)

 

Le rocher blanc (The White Rock)
Auteur : Anna Hope
Traduit de l’anglais par Elodie Leplat
Éditions : Le bruit du monde (18 Août 2022)
ISBN : 978-2493206053
338 pages

Quatrième de couverture

Comment une petite dizaine d'individus du monde entier se sont-ils retrouvés à l'intérieur d'un minibus aux confins du Mexique, sur des routes brinquebalantes et en compagnie d'un chaman ?
S'ils semblent tous captivés par ce rocher blanc auquel la tribu locale des Wixarikas attribue l'origine du monde, l'une d'entre eux, écrivaine, tente de prendre soin de sa fille, tout en réfléchissant à la course du monde et à l'écriture de son prochain roman. Autour de ce rocher se sont déroulées d'autres histoires qui pourraient bien l'influencer...

Mon avis

« Il y a un rocher blanc là-bas, dans l’océan, où les indiens disent que le monde est né. »

Le Rocher Blanc est situé près de la côte nord de l’état de Nayarit au Mexique, non loin de San Blas. C’est un lieu atypique où personne ne vient par hasard. Et si Anna Hope a choisi d’en parler, c’est parce qu’il est intimement lié à son histoire personnelle.

Ce roman est construit à l’inverse du rocher (on part du présent et on va dans le passé, les dates sont décroissantes : 2020 / 1969 / 1907 / 1775), comme si on descendait sous lui pour creuser dans ses racines afin de mieux comprendre ceux qui y sont venus. On plonge, il y a le sommet inversé (avec un poème magnifique)

« C’est le lieu où pour la première fois, l’informe s’est épris de la forme.
Et donc, et donc, et ainsi et alors, voilà comment le monde est né. »

et on remonte de l’autre côté pour retrouver le présent.

Quatre périodes, avec des personnages très différents, tous reliés au Rocher Blanc, tous inspirés de personnes réelles. En 2020, c’est une écrivaine, avec fille et mari. Elle recherche l’inspiration et vient dire merci dans ce lieu mythique. Est-ce une mise en abyme de l’auteur ? D’autres viennent porter une offrande pour un pardon, faire un vœu, prononcer une prière.

Ce recueil n’est pas facile au premier abord. On se questionne sur ce qu’a voulu transmettre Anna Hope. Il faut alors laisser venir les mots. Écouter ce qu’ils transmettent de l’Histoire (avec une majuscule) du peuple Wixarikas, qui raconte que l’origine du monde vient du Rocher Blanc. C’est une tribu que l’auteur a rencontrée, elle est liée à eux à vie. En revisitant le passé du Rocher, Anna Hope s’efforce de cerner et de transmettre les raisons d’exister de ce bout de terre. Et puis, en quoi les événements antérieurs influencent-ils le présent ? Comment se construit l’humanité et comment avance-t-elle ?

Le livre mêle plusieurs destins, des légendes, des traditions sont évoquées, la culture Yoeme et ses souffrances.  Il nous éclaire sur des existences (on pense à Jim Morrison quand on découvre le chanteur en 1969). Personnellement, j’ai beaucoup apprécié « La Fille (1907) ». Le partage entre les deux sœurs, la symbolique mangue qui représente tout leur amour…tout cela est bouleversant…. On s’aperçoit que Le Rocher permet à certains de donner le meilleur d’eux-mêmes, comme si cette entité communiquait en quasi permanence, un message de bienveillance (ce qui serait logique vu que c’est de là que vient l’origine du monde) et la question qui se pose est : qu’ont fait les hommes de ce qu’ils ont reçu ?

« Nous sommes riches de donner. Riches d’offrir – telle est la plus simple des vérités. »

L’écriture est infiniment riche (merci à la traductrice), riche de vocabulaire, de poésie, d’émotions. Chaque protagoniste cherche à donner du sens à sa vie, pas forcément de la bonne façon mais on peut progresser grâce à ses erreurs. À la fin du livre, Anna Hope explique ses recherches et c’est très intéressant.

Une lecture qui sort des sentiers battus et qui en surprendra plus d’un.

"La petite menteuse" de Pascale Robert-Diard

 

La petite menteuse
Auteur : Pascale Robert-Diard
Éditions : Iconoclaste (18 août 2022)
ISBN : 978-2378802998
228 pages

Quatrième de couverture

" Je veux être défendue par une femme ", a dit Lisa en se présentant à Alice Keridreux.
Un face-à-face commence. Ni l'une, ni l'autre ne savent jusqu'où il va les mener.

Mon avis

Lisa, une jeune femme, débarque dans le bureau d’Alice Keridreux, avocate. Elle lui demande de l’accompagner pour un second procès car elle ne veut pas repartir avec le même défenseur. Marco, son agresseur, accusé de viol, a pris dix ans mais il a fait appel. Alice accepte de suivre cette affaire. Pour elle, ce sera facile vu ce que Lisa a subi. Cette dernière était mineure au moment des faits, elle est maintenant, quatre ans plus tard, majeure. Est-ce que ça va changer quelque chose ? Elle croyait que tout cela était derrière elle et il faut repartir au tribunal …

Finalement, rien ne se passe comme prévu et ce procès hors normes sera bouleversant.

De l'extérieur, tout semble pourtant simple. Mais ça ne l'est pas du tout car Alice a "peur" des conséquences de certaines révélations. Lisa a mûri, grandi et son approche n’est plus la même. Ses souvenirs ont-ils évolué ? A-t-elle mal interprété, mal perçu certains événements ? Et ceux qui « savaient », qui croyaient, qui pensaient…. Auront-ils la même version ?

« Ah ! Les merveilleux témoins ! Même quand ils ne savent rien, ils trouvent quelque chose à dire. »

Le récit est très rythmé, les phrases sont courtes, vont à l'essentiel. L'auteur montre bien le mal-être adolescent de Lisa qui a attiré l'attention et s'est embourbée toute seule.

L’auteur est chroniqueuse judiciaire, elle sait donc de quoi elle parle. Ce qui est intéressant, c’est qu’elle analyse la personnalité de Lisa. Elle explique ce qui a pu se passer dans sa tête, ce qui a entraîné certains actes, certaines paroles.

Un bon roman, qui se lit d'une traite avec une certaine forme de suspense.


"La nuit des pères" de Gaëlle Josse

 

La nuit des pères
Auteur : Gaëlle Josse
Éditions : Noir sur Blanc (18 Août 2022)
ISBN : 9782882507488
192 pages

Quatrième de couverture

Appelée par son frère Olivier, Isabelle rejoint le village des Alpes où ils sont nés. La santé de leur père, ancien guide de montagne, décline, il entre dans les brumes de l'oubli. Après de longues années d'absence, elle appréhende ce retour. C'est l'ultime possibilité, peut-être, de comprendre qui était ce père si destructeur, si difficile à aimer. Entre eux trois, pendant quelques jours, l'histoire familiale va se nouer et se dénouer.

Mon avis

Deux enfants, un seul Papa et pourtant « La nuit des pères », comme s’il y en avait plusieurs. Sans doute parce que le paternel ne s’est jamais comporté de la même façon avec son fils et avec sa fille, comme s’il était « deux ».

Ils sont nés et ont habité dans un petit village des Alpes où le père était guide de montagne. Lui, c’est Olivier, il est resté sur place et travaille là-bas, il est proche de son Papa qui est veuf. Elle, c’est Isabelle, presque étouffée par les sommets, elle a fui et a construit sa vie ailleurs ne gardant que peu de contacts avec ceux qui n’ont pas bougé. A-t-elle choisi son activité professionnelle parce qu’elle voulait aller à l’opposé de ce lieu ?

Son frère lui a demandé de venir car leur père commence à perdre pied. C’est difficile pour elle, elle n’a pas vraiment envie car sa relation avec lui n’a jamais été simple mais c’est son devoir et elle se rend sur place.

Qu’est ce que ce séjour va mettre en avant ? Comment ces trois êtres vont-ils se retrouver, passer du temps ensemble, trouveront-ils un équilibre, chacun sa place ? Y-aura-t-il des révélations ? Ils vont tous prendre la parole, révéler les non-dits, les mensonges, les choses tues pour protéger les autres. La vérité pointera son nez petit à petit au fil des pages.

C’est avec infiniment de délicatesse, de son écriture comme une dentelle, que Gaëlle Josse tisse l’histoire familiale. Est-ce qu’il faut tout dire ? Est-ce que les hommes et les femmes peuvent grandir lorsqu’il y a dans leur passé une béance, un manque, que ce soit d’amour, de compréhension, d’écoute ?

Un récit bouleversant porté par un style lumineux et des personnages aux caractères forts.

 


"Le choix" de Viola Ardone (Oliva Denaro)

 

Le choix (Oliva Denaro)
Auteur : Viola Ardone
Traduit de l’italien par Laura Brignon
Éditions : Albin Michel (17 août 2022)
ISBN : 978-2226471413
400 pages

Quatrième de couverture

Martorana, un petit village de la Sicile des années 1960. À quinze ans, Oliva Denaro rêve de liberté. Elle étudie le latin et aime découvrir dans le dictionnaire des mots rares qui l'aident à formuler ses pensées encore confuses. Elle aime courir à en perdre le souffle. Aussi, quand les conventions l'obligent à se soumettre à une loi ancestrale, Oliva se rebelle et fait valoir son droit de choisir. Au risque d'en payer le prix fort.

Mon avis

Sicile 1960, Oliva a quinze ans. C’est elle qui va s’exprimer dans presque tout le roman. Elle vit avec sa famille dans un petit village. Ils ne sont pas riches et essaient de s’en sortir avec le potager, les poules, des petits boulots. À cette époque, dans ce coin d’Italie du Sud, les femmes ne sont pas maîtresses de leur destin ou si peu. On leur impose un mari, elles font des enfants, elles tiennent la maison et …se taisent et obéissent. Choisir un métier, aimer celui qu’on souhaite, dire « non », ce n’est pas vraiment possible ou alors à quel prix ?

Oliva aime la vie, elle adore courir, découper des gens célèbres dans des revues, jouer avec son bon copain même s’il boîte un peu, elle a envie d’apprendre tout un tas de choses. Son père est un sage, il comprend le besoin de liberté, d’indépendance de sa fille et plusieurs fois, il sera là pour la soutenir. Sa mère est plus « à l’ancienne », il ne faut pas faire de vague, se couler dans le moule et se taire, chut….

Dans les trois premières parties, c’est Oliva qui s’exprime. Dans la dernière, 1981, une vingtaine d’années après, les chapitres sont partagés entre le ressenti de son père et le sien.  Elle explique que certains mots, dans le dictionnaire de son institutrice, n’existe qu’au masculin (juge, notaire, ministre…) Son amie Liliana, qui a grandi dans une famille communiste, lui dit que le changement doit venir des femmes du Sud. Pendant des siècles, on leur a appris à se taire, maintenant elles doivent apprendre à faire du bruit…. Mais que c’est difficile de s’opposer aux conventions, au patriarcat, au mode de fonctionnement ancestral et accepté de presque tous.

Lorsqu’Oliva va devoir se plier à une règle terrible (et injuste), elle se décide à combattre. Aidée par plusieurs personnes, elle avance. Le chemin est long, douloureux. Va-t-elle s’éteindre et devenir transparente ou vivre libre ? Pourra-t-elle, un jour, prononcer les mots suivants : « Je suis venue acheter avec l’argent de mon salaire ce qu’un jour, il y a bien longtemps, tu as voulu me donner de force. Ce que j’y ai gagné ? La liberté de choisir. »

J’ai immédiatement remarqué que Oliva Denaro est l'anagramme de Viola Ardone. Pourquoi ? Pour donner plus de poids à sa parole, à son écrit ? Pour faire corps avec son héroïne ? Parce qu’elle lui ressemble, avec un côté rebelle en osant dénoncer dans son récit des faits réels, graves, inadmissibles et inconcevables portant au jour ce que des femmes ont subi, en silence la plupart du temps dans les années soixante ? Je n’ai pas de réponse… Ce qui est sûr, par contre, c’est que j’ai beaucoup apprécié cette lecture (merci à la traductrice). On ressent le mal-être d’Oliva, le côté coincé de sa mère, la volonté de son père de faire ce qu’il peut. On imagine les scènes dans le village avec les mauvaises langues qui se déchaînent dans son dos, sans savoir…. Oliva est volontaire, c’est une femme qui a du caractère, elle est vivante et veut le rester. En lui donnant la parole, l’auteur nous rappelle que des femmes, dans différents lieux du monde, doivent encore, à notre époque, se battre pour leur indépendance. Mais comment faire face aux communautés imperméables, fermées, où trouver le courage de dénoncer car il peut y avoir des représailles ? Comment prouver que la femme n’est pas complice, consentante ? Pourquoi l’homme est-il cru dès qu’il dit ouvre la bouche alors que la femme doit prouver sa bonne foi ? Autant de faits révoltants qui sont parfois encore d’actualité.

En nous présentant tout cela, l’auteur nous fait une piqure de rappel, ne laissons pas de tels actes se perpétrer encore et encore…..

"La revanche des orages" de Sébastien Spitzer

 

La revanche des orages
Auteur : Sébastien Spitzer
Éditions : Albin Michel (17 Août 2022)
ISBN : 978-2226464675
400 pages

Quatrième de couverture

Voici l'histoire vraie du jeune pilote Claude Eatherly qui, le 6 août 1945, a participé au bombardement d'Hiroshima. Démobilisé, il est accueilli en héros mais s'enferme dans le mutisme. Une étrange voix le hante. Qui est-elle ? Que veut-elle ? Et si c'était la voix de sa conscience ? Tandis que les autorités le font passer pour fou, Eatherly entraîne sa femme et ses enfants dans une chute inexorable.

Mon avis

Un vétéran Hiroshima finit par remettre en question ce qu'il a fait. Il est hanté par une voix (d'une blessée dont nous suivons les ressentis dans certains chapitres où elle s'exprime par monologue).  Le prénom de cette personne est proche du mot Hannya, le démon de la vengeance (fantôme d'une femme revenue sur terre pour assouvir sa vengeance). Le pilote ne sait plus où il en est, il se referme, il chute en lui-même, il est mort à l’intérieur.

Bien sûr, c'est "sa tête" qui ne suit plus, sa mauvaise conscience, ses remords qui le rongent. En parallèle, on voit sa femme qui "le perd" au fil du temps. C’est l’histoire de cet homme dans la grande Histoire …. Comment sa famille peut-elle vivre cette ambivalence ? Il est revenu en héros et maintenant il dérape, il n’est plus lui-même. Est-ce que l’amour des siens peut le sauver de cette forme de folie ? Comment sa femme et lui peuvent-ils évoluer ?

Inspiré d’un fait réel, ce récit est fort, rythmé. On suit Claude Eatherly, dans son cheminement. D’origine modeste, il devient pilote, se marie, participe au bombardement d’Hiroshima, revient auréolé de gloire puis devient mutique, un autre, le regard perdu….. Ses supérieurs le pensent « dangereux » dans ce qu’il exprime. Il faut qu’il se taise, alors ils emploient les grands moyens….

Très bien écrit, ce roman est rédigé avec des retours en arrière pour qu’on découvre la personnalité et la vie de Claude et de son épouse. On sent que le moment du largage de la bombe a pris le dessus sur tout le reste de sa vie. « L’instant a pris le pouvoir. »

En accompagnant cette dégringolade inexorable, le lecteur se questionne sur le sens de la guerre et les effets secondaires qu’elle a sur ceux qui y participent….


"Les Merveilles du Sud: carnet de voyage" d'Ilda Roussel

 

Les Merveilles du Sud : carnet de voyage
Auteur : Ilda Roussel
Éditions : Les Éditions au Pluriel
ISBN :
84 pages

Quatrième de couverture

Ilda Roussel, artiste carnettiste, nous emmène avec elle dans les lieux emblématiques du sud de la France qu’elle a croqués lors de balades, randonnées et journées ensoleillées. Dessins, aquarelles, collages et commentaires réunis dans son style très personnel.

« Voyager c’est la clé ! Des rencontres à n’en plus finir, des lieux incroyablement époustouflants et surtout de quoi croquer. Et oui dessiner, ce rêve d’adolescente voyageuse se concrétise enfin ! Mes dessins évoquent mes émotions ressenties. »

Mon avis

« N’ayez pas peur de colorer votre vie. Il vaut mieux dépasser les lignes en coloriant que de vivre en noir et blanc. »

Ilda Roussel a grand près de son grand-père qui lui a donné le goût du dessin. Elle voyage à travers le monde avec ses carnets de croquis. Elle réalise de magnifiques aquarelles sur ce qu’elle visite et découvre, il y a quelques clichés mais très peu. Elle les commente avec des réflexions personnelles ou des explications (c’est alors son écriture sur la page) et elle rajoute des paragraphes donnant des précisions sur ce qu’elle a représenté. Cela donne un ensemble absolument harmonieux et de toute beauté.

Au-delà de l’ouvrage qui est un bel « objet » (avec un format tout à fait adapté) à offrir, à s’offrir, à regarder, à consulter, à contempler, à lire, à relire … le contenu est vraiment complet, intéressant et plein de belles découvertes. Une petite pastille de couleur permet de savoir s’il s’agit d’une curiosité naturelle, une vue imprenable, un site remarquable, un artisan, un lieu lié au patrimoine, etc. Comme ça, on peut découvrir les pages dans le désordre en fonction de ce que l’on veut visiter.

Ce livre m’a enchantée. Pourquoi ? Pour les lieux que je connaissais, le plaisir de les voir en peinture, de lire le ressenti de l’artiste, d’en apprendre un peu plus sur leur histoire. Pour les autres, l’envie de la découverte, se dire qu’il reste des endroits inexplorés dans ces coins que j’aime tant. Tout ce qui est évoqué l’est avec énormément de finesse, le propos n’est pas trop lourd mais pas mièvre non plus. Il y a le plaisir des yeux et celui de l’esprit qui apprend.

Je pense que les carnets d’Ilda Roussel sont bien remplis et je ne sais pas comment elle a choisi ce qu’elle a mis dans ce recueil mais l’équilibre est parfait. Si vous souhaitez voyager sur plusieurs jours dans le Sud, n’hésitez pas à emporter ce carnet de voyage. Vos propres clichés (ou croquis) viendront le compléter pour votre plus grand bonheur.

Pour aller plus loin, n’hésitez pas à découvrir le blog d’Ilda :

https://www.latelierdilda.com/blog

Elle propose des randos croquis, et cela me paraît une approche différente, originale et au plus près de la nature car on garde une trace de ce qu’on a vu autrement que sous forme de photographies.


"Remède mortel" de Harlan Coben (Miracle Cure)

 

Remède mortel (Miracle Cure)
Auteur : Harlan Coben
Traduit par Cécile Arnaud
Éditions : Belfond (15 Septembre 2011)
ISBN : 978-2714447203
440 pages

Quatrième de couverture

Une clinique new-yorkaise hautement sécurisée. Un médecin qui se suicide. Des patients sauvagement assassinés. Coïncidences ? Complot ? Et si l'annonce prochaine d'une extraordinaire découverte médicale avait déclenché cette vague meurtrière ? Sara Lowell, jeune journaliste très en vue, mène l'enquête. Mais ses révélations pourraient bien faire d'elle la prochaine victime d'un mystérieux serial killer... Guerre des lobbies pharmaceutiques, machination politique, pression des médias, mensonges... Au cœur d'un débat toujours aussi brûlant, un thriller angoissant et terriblement réaliste par celui qui allait devenir le maître de vos nuits blanches.

Mon avis :

La prochaine fois, je me renseigne …

Je ne savais pas, oui, je ne savais pas que ce « nouveau » Coben était comme le dernier que j’ai lu (Sans un adieu) un roman écrit quand l’auteur avait une vingtaine d’années et exhumé des cartons …

Quand je l’ai eu en mains, j’ai commencé par la fin puis j’ai lu le préambule … où Monsieur Coben explique avoir ressorti ses écrits non publiés (était-il en panne d’inspiration ?) et ainsi donné à l’impression « Remède mortel » sans l’avoir relu, ni retravaillé …

Et bien, il aurait été bien inspiré de le relire !

Le fond aurait pu donner quelque chose d’intéressant en retravaillant la forme.

À part sur la plage, où vous retrouverez le fil de l’intrigue sans problème même si le ballon des enfants du voisin vous tombe sur le nez ou si vous vous endormez subitement, je ne vois pas d’autres raisons de conseiller ce livre.

Ceux qui ont peur en avion et qui cherchent, comme moi dans ces cas-là, une histoire qui vous prend et que vous ne voulez plus lâcher, passez votre chemin ….

Les protagonistes sont assez stéréotypés, manquant de profondeur.

Les méchants, même pas peur, n’ont de méchanceté que l’apparence et leurs raisons d’agir comme ils le font, sont tout à fait ordinaires: pouvoir, argent …

Les gentils sont …. fades … il leur manque de la consistance. Même Sara, qui aurait pu être un personnage qu’on remarque, n’a pas produit cette étincelle qui fait la différence …

Le contexte ? Une clinique, des basketteurs, le SIDA …

Beaucoup de ficelles trop grosses à mon sens, des invraisemblances, des lieux communs, des retournements de situation prévisibles …

Rien qui accroche vraiment votre esprit ….

L’écriture, quant à elle, est celle d’un Coben qui débute.

Pas vraiment catastrophique, mais pas vraiment prenante.

Lisse, sans relief, beaucoup de dialogues qui masquent l’insuffisance de ressentis, d’explorations des âmes … Malgré quelques passages en italiques qui ont pour but de donner un peu de profondeur, cet opus n’en a pas eu suffisamment pour me passionner. Dommage …

"60 minutes" de M. J. Arlidge (All Fall Down)

 

60 minutes (All Fall Down)
Auteur : M. J. Arlidge
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Séverine Quelet
Éditions : Les escales (10 février 2022)
ISBN : 978-2365695756
500 pages

Quatrième de couverture

2010. Alors qu'ils participent à une compétition sportive, cinq lycéens disparaissent dans les bois. Quatre d'entre eux réapparaîtront au bout de quelques jours. Ils auraient été séquestrés et torturés par Daniel King, un psychopathe. La cinquième membre du groupe serait morte. Le tueur, lui, semble s'être volatilisé dans la nature. Une dizaine d'années plus tard, les quatre survivants ont réussi à surmonter tant bien que mal cette tragédie. Une nuit, l'un d'entre eux reçoit un coup de fil troublant. Une voix l'avertit qu'il ne lui reste plus qu'une heure à vivre.

Mon avis

Nouvelle enquête pour Helen Grace, commandant de police. Personnage récurrent de l’auteur, on voit sa personnalité évoluer au fil des romans. Mais chaque histoire peut être lue indépendamment. Elle est toujours impulsive, agissant parfois à l’instinct, elle a un formidable sens de l’observation et est capable de déductions fines et intelligentes (même si dans les dernières pages, j’ai trouvé que son raisonnement pour trouver le tueur était un peu tiré par les cheveux).

En 2010, alors qu’ils participent à un challenge sportif avec leur lycée, cinq jeunes se perdent dans la nature, en plein brouillard. Croyant trouver une ferme pour se poser un petit peu, ils sont finalement séquestrés et torturés par le propriétaire. Au bout de quelques jours, quatre d’entre eux réapparaissent, la dernière serait morte, brûlée sur les lieux de leur capture. Une dizaine d’années plus tard, ils se sont reconstruits tant bien que mal. Une des jeunes femmes ex prisonnière sort un livre sur cette tragédie. Est-ce que cela va à nouveau les rapprocher ou les éloigner ? Où en sont-ils de ce qui les unit dans la détresse, la peur ? Tous n’ont pas le même rapport face à cette terrible expérience, peuvent-ils encore échanger ?

Parallèlement à la sortie du recueil sur leur tragédie, l’un d’eux reçoit un coup de téléphone bizarre : il ne lui resterait plus qu’une heure à vivre… Et il meurt soixante minutes après…brrrr… Va-t-il se passer la même chose pour les autres membres du groupe ? Chacun va vivre dans l’angoisse, le ventre noué en se demandant si son tour va arriver. Helen Grace et ses collègues se lancent dans une course contre la montre, essayant de comprendre les événements. Est-ce que le tueur de 2010 est venu terminer ce qu’il avait commencé ?

Le style et l’écriture de M. J. Arlidge sont très addictifs, on plonge dans l’intrigue et les pages se tournent sans ennui. Certains esprits chagrins penseront qu’il y a des situations un tantinet exagérées, je le reconnais. Pour autant, je n’ai pas boudé mon plaisir. Il m’a été agréable de retrouver Grace, Charlie et les autres et de passer un bon moment avec eux.  

 

 


"Là où chantent les écrevisses" de Delia Owens (Where The Crawdads Sing)

 

Là où chantent les écrevisses (Where The Crawdads Sing)
Auteur : Delia Owens
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marc Amfreville
Éditions : Seuil (2 Janvier 2020)
ISBN : 978-2021412864
480 pages

Quatrième de couverture

Pendant des années, les rumeurs les plus folles ont couru sur « la Fille des marais » de Barkley Cove, une petite ville de Caroline du Nord. Pourtant, Kya n’est pas cette fille sauvage et analphabète que tous imaginent et craignent.

Mon avis

Mêlant habilement récit initiatique, romance, suspense, et vie du marais en Caroline du Nord, ce roman se lit très facilement malgré quelques invraisemblances qui ne m’ont pas dérangée tant je m’étais attachée à Kya.

La grande force de ce récit est d’avoir mis en parallèle deux personnages forts : Le Marais et Kya. Oui, j’ai bien parlé du Marais avec une majuscule comme d’un protagoniste. Il tient de la place, il est vivant avec tous les animaux et les plantes qui le peuplent. D’ailleurs Kya dit qu’il devient sa mère, qu’il la nourrit, qu’il la berce et pendant longtemps, il est sa seule famille…. Mais pourquoi ?

En 1956, elle a dix ans et elle vit seule dans une cabane au milieu du marais. Sa mère, ses frères et sœurs sont partis. Elle est d’abord restée avec son père puis il a disparu lui aussi. Tous fuyant plus ou moins une vie de misère sur fond d’alcoolisme et de pauvreté. Alors, elle se cache des services sociaux, ne va pas à l’école. Un vieux couple puis un jeune garçon de son âge l’aident.  Elle se débrouille, elle vit au plus près des goélands, des hérons, des oies sauvages. Elle observe, engrange une expérience unique sur la nature et ce lieu qu’il faut protéger des investisseurs. Le lecteur est sous le charme des descriptions, des explications rédigées dans une langue poétique. Kya connaît mieux la nature que les humains. Avec les êtres de chair comme elle, elle n’a pas les codes….

« La nature l’avait nourrie, instruite et protégée quand personne n’était là pour le faire. »

Et puis, viendra le temps des rencontres et il y aura alors plus d’action et moins de biodiversité dans le texte. Alternant passé et présent, ce recueil nous entraîne dans le quotidien de cette petite fille que nous voyons grandir au fil des pages. Surnommée « La fille des marais », elle est rejetée, moquée, voire attaquée violemment en mots et en actes. Mais elle se relève et continue d’avancer dans la vie qui est la sienne et qu’elle apprécie profondément.

Kya ne s’oublie pas, elle est simple et forte. L’écriture de l’auteur (merci au traducteur) a su d’une part magnifier la nature et également nous faire aimer une petite sauvageonne devenue une femme exceptionnelle.

 

 


"Et que pleurent les dauphins : Le chant des larmes" de Krys Saint-Thomas & Nico Greo

 

Et que pleurent les dauphins : Le chant des larmes
Auteurs : Krys Saint-Thomas & Nico Greo
Éditions : Ekrysture (24 juin 2022)
ISBN : 978-2493761163
168 pages

Quatrième de couverture

Chloé Sinclair, capitaine de police à Lyon est sortie victorieuse mais abîmée d’un combat acharné contre un cancer du sein. En congé au Cap d'Agde, où elle se rend depuis 10 ans, elle rencontre Gabriel Clavel, skipper sur un catamaran scientifique. Il sait la charmer, l'apprivoiser, la réconcilier avec elle-même. Pas suffisamment cependant pour l’empêcher de partir, une fois les vacances terminées. De retour dans son quotidien, confrontée à l’horreur, Chloé plonge dans les ténèbres.

Mon avis

Chloé travaille dans la police. Elle est reconnue pour son efficacité et sa capacité de déduction, c’est un fin limier. Elle s’est battue contre un cancer du sein qui lui a laissé des cicatrices apparentes et d’autres à l’intérieur d’elle-même. De ce fait, elle garde ses distances avec les hommes. Elle est très amie avec son collègue Djibril qui est toujours là pour la soutenir et l’épauler.

En vacances au Cap d’Agde, elle rencontre Gabriel, un homme qui lui plaît. Il fait tomber ses barrières, elle se sent heureuse avec lui, libérée. Farouche, angoissée malgré tout, elle repart du côté de Lyon où elle travaille, laissant son amoureux à qui elle n’a rien dit de sa profession. Une enquête difficile l’attend, elle se sent concernée et veut tout donner pour réussir. Gabriel est sans doute reparti dans son combat concernant la sauvegarde des dauphins (des documents en fin d’ouvrage complète l’approche faite dans le livre, ils sont complets et intéressants).

Chloé va-t-elle revenir vers lui ? Saura-t-i lui pardonner sa fuite ? Arriveront-ils à trouver un équilibre entre leurs deux mondes que tout oppose ?

Cette histoire est écrite d’une plume alerte et vive, on ne sent absolument pas qu’il y a deux auteurs. On suit plusieurs faits divers, l’enquête de Chloé et sa relation avec Gabriel. Il y a des dates pour se repérer dans le temps. Les rebondissements sont bien intégrés au récit et relancent régulièrement le rythme. Chloé est un personnage attachant. On comprend que les événements soient douloureux à vivre. Difficile pour elle alors de prendre des décisions, car elle est souvent tiraillée. Elle souffre, se pose des questions, s’interroge sur le sens de sa vie, de ses choix….

Les chapitres s’enchaînent sans temps mort, on est pris dans l’intrigue, on s’intéresse au vécu de chacun. Peut-être que la fin est un peu rapide, il aurait été possible de plus creuser la personnalité du skipper pour analyser ce qui le pousse à agir mais ce n’est pas gênant. On se plaint souvent que les auteurs font du remplissage, là au moins, il n’y en a pas.

C’est une lecture plaisante, agréable, avec des protagonistes bien campés. J’ai eu du plaisir à découvrir ce récit.

NB : une belle chanson est proposée pour accompagner cette lecture !

Merci des précisions sur le massacre des dauphins en fin d’ouvrage. Ne pas l’avoir mis dans le roman évite trop de digressions, mais il aurait été très dommage de ne pas donner plus d’explications.


"Le Grand Monde" de Pierre Lemaitre

 

Le Grand Monde
Auteur : Pierre Lemaitre
Éditions : Calmann-Lévy (25 janvier 2022)
ISBN : 978-2702180815
592 pages

Quatrième de couverture

La famille Pelletier

Trois histoires d’amour, un lanceur d’alerte, une adolescente égarée, deux processions, Bouddha et Confucius, un journaliste ambitieux, une mort tragique, le chat Joseph, une épouse impossible, un sale trafic, une actrice incognito, une descente aux enfers, cet imbécile de Doueiri, un accent mystérieux, la postière de Lamberghem, grosse promotion sur le linge de maison, le retour du passé, un parfum d’exotisme, une passion soudaine et irrésistible.

Mon avis

Première rencontre avec la famille Pelletier à la sortie de la seconde guerre mondiale (on est en 1948). Il faut tout de suite dire que Pierre Lemaitre est un formidable raconteur d’histoire. Souffle romanesque, fond un peu historique, intrigue policière, rapports familiaux difficiles, clin d’œil aux romans précédents (très astucieux), tout est mis en place pour captiver le lecteur et présenter une belle saga.

Les parents Pelletier sont propriétaires d’une savonnerie à Beyrouth, florissante sur le marché. Tout va bien, enfin presque … Aucun des quatre enfants (trois garçons, une fille) n’a l’intention de reprendre l’entreprise familiale. D’ailleurs le roman commence par la procession annuelle fêtant la création de la fabrique. C’est un passage obligé, même quand on n’habite pas sur place. C’est l’occasion pour les enfants de se retrouver et on sent déjà quelques tensions. Le fils aîné a tout raté, apparemment son mariage aussi (en couple avec une peste qu’incarnerait Balasko à la perfection). Le deuxième veut être journaliste, le troisième est amoureux d’un légionnaire, qui se bat actuellement à Saïgon et qu’il rêve de rejoindre. La fille a des idées mais ne sait pas trop où elle en est et hésite à partir. Les parents le savent : lorsqu’un enfant quitte le nid, il ne revient pas….

Le lecteur va de Beyrouth à Saïgon, passe par Paris, suit les uns, les autres et ceux qui les accompagnent sans jamais se perdre. On se demande quand certains vont se croiser, se retrouver à nouveau, se faire coincer. Les sous-entendus sont légion, habilement amenés jusqu’à une vérité originale qui pointe le bout de son nez. C’est très prenant, captivant, bien construit. Bien sûr, pour une seule fratrie, ça fait pas mal de personnes qui sortent de l’ordinaire mais aucune importance. On est dans le récit, on dévore les pages, on prend du plaisir. Que demander de plus ?

Le fond historique n’est pas développé comme dans d’autres écrits de l’auteur mais il suffit pour nous mettre la puce à l’oreille sur des faits réels (le trafic des piastres) et rien ne nous empêche de creuser cet aspect dans d’autres livres.

L’écriture est vive, avec des pointes d’humour (noir parfois), des rebondissements bien pensés et surtout bien dosés. Pas un protagoniste n’est abandonné au profit d’un autre. Chacun vit sa vie mais des connexions se créent et c’est un régal de voir comment elles se mettent en place (je serais curieuse de connaître, en amont, la méthode de l’auteur, pour que tout soit bien en phase). L’atmosphère des différents lieux est parfaitement adaptée à ce qu’on y vit à cette époque et c’est très fort car crédible et intéressant.

Quand on ferme la dernière page, on a envie de dire : Bon, à quand la suite ? Il faut attendre encore combien de temps ?

"Epaulard" de Thierry Brun

 

Épaulard
Auteur : Thierry Brun
Éditions : Jigal (3 Juin 2022)
ISBN : 978-2377221677
282 pages

Quatrième de couverture

Béatrice est Épaulard, agent privé de protection rapprochée, héroïne invisible, figure discrète et forte à la fois qui a sacrifié sa vie à sa profession. Exigeante, reconnue par ses pairs, elle est choisie pour sécuriser le déplacement d’une mère de famille et de ses deux filles mais le contrat se solde par une nuit d’horreur dont tous les médias se font écho. Traumatisée, le corps brisé, rongée par l’échec et la culpabilité, Béatrice se réfugie seule dans un village du centre de la France.

Mon avis

Elle s’appelle Béatrice. Belle, racée, musclée, intelligente, discrète, observatrice, il lui faut toutes ces qualités pour mener à bien les missions qu’on lui confie. Son travail ? Protéger des personnes connues que d’autres pourraient vouloir attaquer. Il est donc nécessaire qu’elle anticipe, qu’elle pense à tout, qu’elle planifie, qu’elle ne laisse rien au hasard et qu’elle soit hyper concentrée. C’est une « pointure », elle est excellente et ses compétences sont à la hauteur des tâches qu’elle doit mener à bien. Pas de fausse note, jamais. On la surnomme Épaulard, comme l’animal du même nom qui a une réputation de tueur.

Jusqu’au jour où…. Ayant accepté de travailler en freelance, la protection tourne mal. Une mère et ses enfants sont tués. Quant à elle, elle est grièvement blessée. Après un séjour à l’hôpital, elle ne reprend pas et se réfugie dans un petit village où elle s’installe discrètement. Elle est traumatisée, brisée physiquement et moralement. Qu’a -t-elle raté ? Elle savait pertinemment qu’on n’agit pas seule mais en équipe. S’est-elle crue plus forte que les autres ? A-t-elle fauté par orgueil ? Comment se fait-il qu’elle soit la seule rescapée ? Les enquêteurs cherchent à comprendre. Elle, cherche à se faire oublier….

Dans le coin perdu où elle s’est installée, certains mènent une vie un peu en marge. Elle ne peut pas s’empêcher d’analyser ce qu’elle voit, de déduire et surtout d’agir parfois. Forcément : chassez le naturel, il revient au galop. Les habitants de la bourgade vont vite se poser des questions sur elle quand ils apprennent comment elle se défend.

Béatrice peut-elle se reconstruire ? Comment accepter d’avoir échoué ? L’auteur nous montre à travers une intrigue finement menée, le cheminement vers l’acceptation de soi. Les traces indélébiles que portent Épaulard et avec lesquelles elle se doit de vivre, de continuer la route. C’est d’autant plus difficile que c’est une femme secrète, peu habituée à montrer ses émotions. Elle veut tout maîtriser et c’est peut-être pour cela qu’elle se refuse à tomber amoureuse ? Pour ne pas avoir de failles ? Pour que personne n’ait de prise sur elle ? Par peur d’être abandonnée un jour (parce que dans sa famille, les relations ne sont pas simples et comme épaulard échaudé craint …..ah non, c’est chat mais c’est pareil, non ?)

J’ai bien aimé l’écriture musclée de l’auteur, ses phrases courtes, l’atmosphère prenante qu’il installe et la tension qui va crescendo. Plus on avance, plus on apprend à connaître Béatrice, on lui souhaite de trouver les réponses à ses questions. En tout cas, moi, j’ai apprécié ce bon roman noir que j’ai lu d’une traite.


"Pat et Garrett" de Jacques Bablon

 

Pat et Garrett
Auteur : Jacques Bablon
Éditions : Jigal (3 Juin 2022)
ISBN : ‎ 978-2377221646
178 pages

Quatrième de couverture

Une mère, des jumeaux. Pat et Garrett. Pas de père déclaré. Suffisant pour faire une famille. Entre eux, les liens sont ténus. Elle n’a jamais ressenti d’amour pour ses fils. Les deux garçons ont passé leur jeunesse à se taper dessus. Leur en reste aujourd’hui une haine sourde. Quand leur mère dont ils ne connaissent rien, tombe sous des balles inconnues, la réaction des jumeaux est immédiate. Ils crient vengeance.Mais resserrer les liens après vingt ans de jalousie et de souffrance, ça donne quoi ? Venger sa mère quand le manque d’amour est criant, à quoi ça ressemble ?

Mon avis

Pour le meilleur et pour le pire….

Deux garçons, des jumeaux, qui s’aiment et se détestent à la fois. Petits, ils passaient beaucoup de temps à se chercher, se battre. Leur mère, Octavia, n’étant pas du tout démonstrative, sans doute handicapée de l’amour, les nourrissait et faisait le minimum. Il y avait également un homme, présent assez souvent, mais ils ne savaient pas grand-chose de lui… Régulièrement, ils déménageaient.

Maintenant, ils sont adultes, chacun sa vie. Leur réussite n’est pas tout à fait équilibrée et l’un domine plus que l’autre… mais comme ils se fréquentent peu, les tensions ne sont pas trop importantes.  Leur génitrice va avoir quarante ans, l’occasion d’un repas familial, d’une rencontre…. Elle se dit qu’elle pourrait leur parler, leur dire des choses puis finalement, elle renonce… Ça se passe et chacun repart chez soi…

Un événement imprévu, violent va les renvoyer auprès de celle qui les a élevés. Et là, les deux frangins s’aperçoivent que Maman cachait bien son jeu, qu’elle n’était pas une sainte… Ils vont essayer de démêler les fils de l’écheveau mais comment unir leur force alors qu’ils ont passé des années à se jalouser, se crêper le chignon, se détester, s’espionner, ?

L’auteur a magnifiquement retranscrit ce lien fort qui unit ces monozygotes. Ils ont besoin l’un de l’autre et en parallèle, ils ne peuvent pas se supporter, se piquent leurs affaires voire plus si affinités. Peut-être parce que leur mère n’a pas su leur témoigner son amour, sont-ils, eux aussi, maladroits dans les sentiments qui demandent de l’affection ? Je pense que c’est en grande partie pour cela qu’ils sont dans l’incapacité de communiquer correctement dans le respect et l’amour fraternel.  Ils ne peuvent pas donner ce qu’ils n’ont jamais reçu car ils ne savent pas faire.

Est-ce que la quête qu’ils vont mener va les rapprocher, les unir ou les diviser encore plus ? Leurs personnalités différentes ne vont-elles pas être un obstacle dans la recherche de la vérité ?

Les chapitres alternent les ressentis des deux hommes, Pat et Garrett s’expriment à tour de rôle, donnant leurs points de vue respectifs, leurs impressions, expliquant ce qu’ils vivent.

L’auteur ne s’embarrasse pas de détails, c’est brut, cash, comme le sont les jumeaux lorsqu’ils décident de faire le ménage. Ils vivent les choses de façon décalée parce que finalement, ils n’ont pas reçu « les codes » de la vie avec les autres.

C’est un roman qui se lit d’une traite, avec un côté fascinant malgré la violence parfois très présente. L’écriture est virile, accrocheuse, le rythme ne faiblit pas. Est-ce que les jumeaux ressortiront indemnes de cette poursuite qu’ils décident ? N’est-il pas risqué, même dangereux, de découvrir les non-dits, les cadavres dans le placard et les secrets soigneusement gardés et tus pendant des années ?

Une lecture sans temps mort, méritant largement le détour !