"L'argent disputé" de Brigitte Condé

 

L’argent disputé
Auteur : Brigitte Condé
Éditions : Encre Rouge (1 juillet 2023)
ISBN : 978-2377897568
170 pages

Quatrième de couverture

Édouard de Sospercée, original, dépensier invétéré et détenteur d'un découvert colossal, est convoqué par Bereshit des Prêts, banquier de son état, qui le somme de rembourser sa dette dans les plus brefs délais et par les moyens qui lui conviendront. Si le découvert abyssal de son client tracasse le banquier, ce n'est pas le cas d'Édouard de Sospercée, lequel, n'étant jamais à court d'idées ni d'imagination, ne désespère pas de se sortir de cette situation délicate, avec élégance et doigté.

Mon avis

« L’argent n’est que la manifestation de nos efforts et de notre intelligence à faire notre place dans la vie. »

C’est avec beaucoup d’humour et de dérision que Brigitte Condé nous offre un roman à double facettes. Une réflexion sur le rapport à l’argent et une rencontre hilarante entre deux hommes totalement opposés.

Édouard et Bereshit naissent dans deux familles fort différentes. On assiste à l’accouchement d’une des deux mères et on comprend, déjà, que tout petit, l’influence de la famille dans laquelle on arrive peut jouer sur l’avenir. L’éducation n’est pas identique chez tout le monde et les priorités non plus. Certains pensent à éveiller leur enfant à tout ce que propose la vie : la nature, les arts etc… D’autres se disent que sans argent, on ne peut pas s’en sortir et ils « conditionnent » leur progéniture en ce sens.

Ces deux enfants devenus hommes vont se retrouver face à face. L’un est banquier et convoque l’autre qui a un gros découvert. Le premier a pour but de faire entendre raison au second afin qu’il cesse de dépenser… Mais y arrivera-t-il ?

Brigitte Condé a une écriture intéressante. Elle est drôle et pourtant son propos n’est pas dénué de sens. Grâce aux dialogues, aux remarques glissées çà et là, elle nous pousse à méditer sur les notions de richesse, de prêts, d’achats… Comment chacun de nous se positionne ? Bien sûr, ses personnages sont volontairement caricaturés pour aborder tout cela avec le sourire mais cela n’empêche pas de réfléchir, bien au contraire.

J’ai passé un moment de lecture bien plaisant avec ce roman. Les protagonistes ont des noms qui font sourire, les situations sont décrites de telle sorte qu’on les imagine sans peine que ce soit dans les actes ou les mimiques des individus. J’avais parfois l’impression de suivre un sketch télévisuel.

Un pur moment de détente accompagné d’un regard pertinent sur la relation à l’argent.


"Ma vie en partage" de Martin Gray

 

Ma vie en partage
Auteur : Martin Gray (Entretiens avec Mélanie Loisel)
Éditions de l’Aube: (17 Avril 2014)
ISBN : 978-2815909631
272 pages


Quatrième de couverture

Plus de dix ans après la parution de son dernier livre, ¬Martin Gray, âgé de 92 ans, sort de son silence grâce à Mélanie Loisel, jeune journaliste canadienne.
Stupéfiée par le destin de cet homme à la résilience peu commune, elle est allée le trouver et lui a posé les questions que nous aimerions tous lui poser sans voyeurisme, mais sans timidité.
Qu'a-t-il à nous dire, ce survivant du ghetto de Varsovie, cet homme qui a vécu le pire, d'abord lors de la Deuxième Guerre mondiale, puis avec la perte tragique de toute sa famille dans un incendie de forêt sur la Côte d Azur ? Eh bien, il nous délivre un message de force de vie incroyable ! Bien au-delà du récit de son parcours, ces entretiens précisent le rapport de Martin Gray au monde moderne, des grandes questions écologiques à la jeunesse, en passant par l'alimentation, la santé... Un entretien passionnant !

Mon avis

« L’homme est fait pour se dépasser. Je crois qu’il faut que dans la vie on marche avec les bras tendus vers le haut. »

Le regard clair, tourné vers le haut, le visage lumineux, Martin Gray est déjà « présence » sur la couverture du livre…
Cet homme qui n’a jamais baissé les bras, qui n’a eu de cesse de combattre, de témoigner, se livre à travers une série d’entretiens accordés à une jeune journaliste canadienne. C’est toute une vie qu’il partage avec nous, ses souvenirs ; ses coups de gueule, ses coups de cœur ; ses espoirs en l’homme, ses idées, ses souhaits …
Car ce n’est pas un homme désespéré, désabusé, dégoûté  que nous côtoyons au fil des pages; c’est un homme qui porte la Vie (avec une majuscule) comme une bannière, et, avec elle, l’espérance.

Il a eu ce qu’on appelle un destin hors du commun, repoussant toujours les limites de la souffrance, allant plus loin dans l’amour aussi. Je crois qu’il fait partie de ces hommes qui croient en l’Homme… « L’homme est capable de prendre et garder le visage du bien »
Il dit et répète « Vous êtes vivant ! » et si vous portez les forces de la vie, vous avez les possibilités du bonheur…. Encore faut-il s’en donner les moyens….

Mais également, il ne veut pas qu’on oublie que l’homme peut être un loup pour l’homme.
Il martèle que : « Il ne faut pas haïr les peuples mais les systèmes. », récidivant avec le fait qu’il faut parler, témoigner des horreurs que certains ont vécu pour qu’ils « existent » encore, qu’on ne les oublie pas. Il a accepté de répondre aux questions de Mélanie Loisel pour répondre à quelques uns de ses détracteurs, mais surtout pour témoigner encore et encore, pour rappeler tout ce qu’il a déjà écrit …. mais qui pour lui est essentiel tant tout cela fait partie de son existence.

« Vivre c’est créer son monde. C’est trouver sa paix. Et pour chacun, elle peut être différente. » Martin Gray pense que la vie est ce qu’on en fait que chaque épreuve, erreur, expérience font partie d’un long cheminement qui n’appartient qu’à nous. Il faut s’appuyer sur tout cela pour avancer vers la sagesse….

Merveilleuse rencontre que nous offrent les éditions de l’Aube…
Ce livre ne pourra pas être oublié….


"Des corps en silence" de Valentine Goby

 

Des corps en silence
Auteur: Valentine Goby
Éditions Gallimard (5 janvier 2010)
ISBN : 978-2070128044
144 pages

Quatrième de couverture

" Elle imagine possible un mari fidèle, pour ça elle est prête à faire sa fille des rues, sa prostituée, sa courtisane. Tout plutôt que ça : qu'il couche ailleurs. Elle dit tout, elle pense tout, elle l'aime à se tuer. " Deux femmes en résistance contre la fin du désir amoureux. A un siècle d'écart leurs chemins se croisent, se confondent, se séparent : l'une tente l'impossible pour reconquérir l'homme qu'elle aime, l'autre imagine une rupture radicale. Toutes deux refusent le silence des corps. Des corps en silence est le sixième roman de Valentine Goby.

Mon avis

Ce livre, pas très gros, retrace une période de la vie de deux femmes.

1913, l’hiver, il neige, il fait froid

Henriette Caillaux a épousé un homme pour lequel elle a divorcé. Cet homme lui a fait découvrir l’amour physique d’une autre façon que ce qu’elle avait connu.

Elle pense que c’est cela qui les lie et elle est prête à tout, dans ce domaine, pour ne pas le perdre.

« Elle l’aime à se tuer ». « Tout plutôt qu’il couche ailleurs. » Elle sent qu’il s’éloigne et ne sait comment le retenir, l’attirer encore… Elle « s’éteint » devant cette lutte inutile puis se reprend et essaie encore. Elle veut faire l’amour, seul signe, pour elle, qu’il lui est encore attaché. Son histoire ne se résume pas à cela mais je ne veux pas trop en dire...

Il est à signaler que cette femme a existé et que Valentine Goby est restée proche de ce qu’on sait d’elle.

Notre époque, l’été, il fait chaud.

Claire n’aime plus Alex, son mari et elle veut le quitter. Pourtant « Alex c’était trouver une maison ». Est-ce que la fin de l’amour est arrivée lorsqu’Alex est devenu le père de son enfant ? Elle ne sait pas, ne sait plus. Elle fuit avec sa fille, sans but, pour échapper à cet amour physique avec lui dont elle ne veut plus.

Quel que soit le lieu où elle envisage de se rendre, des souvenirs « d’avant », avec Alex, lui arrivent en pleine figure.

Ces deux femmes sont reliées par leur corps, dont elles sont prisonnières en quelque sorte. Elles sont aussi reliées par la musique et la mort (mais je n’en dirai pas plus pour ne pas raconter le livre). Tout cela est subtilement amené.

On les suit dans leur questionnement, leurs tourments, leur avancée, leur reculade. Elles souffrent … en silence …

Leurs corps sont silencieux, éteints, parce qu’ils ne vibrent plus sous les caresses d’un homme mais pas pour les mêmes raisons ….

L’amour entre un homme et une femme peut-il se résumer aux seuls échanges des corps, comme si seul le désir physique unissait ces couples ?

Les chapitres alternent de l’une à l’autre. La dernière phrase de chaque chapitre est inachevée, coupée net et se termine au début du chapitre suivant avec l’autre femme (de ce fait pas de majuscule au début du chapitre).

Il y a des phrases courtes (parfois deux mots) et d’autres très longues.

L’écriture est hachée, comme si les mots étaient jetés sur le papier. Les pensées, paroles retenues ou silencieuses sont écrites en italiques. C’est parfois dur, cru…

De temps à autre, une longue description de bruits, d’ambiance et d’un coup un objet dont l’auteur nous précise la couleur. Comme une tache au milieu d’un décor en noir et blanc.

C’est moins violent, moins puissant, moins dérangeant que « Qui touche à mon corps je le tue » mais un peu douloureux malgré tout….

Cela se ressent avec une écriture dépouillée, où l’auteur se place en observateur extérieur sans que jamais on n’imagine ce qu’elle ressent face à la souffrance de ces deux femmes.

Valentine Goby a trouvé un juste équilibre pour nous permettre de pénétrer ... silencieusement ...dans la vie de ces deux femmes et essayer de les comprendre ...

Difficile, une fois encore, en lisant cet écrivain de dire si j'ai aimé ou pas.

Je dois reconnaître la qualité de l'oeuvre mais je ne peux pas dire mon sentiment parce que, finalement, ces deux femmes, n'auraient-elles pas préféré que je les laisse seules?


"Banquises" de Valentine Goby

 

Banquises
Auteur : Valentine Goby
Éditions : Albin Michel (17 Août 2011)
ISBN : ‎ 978-2226229878
250 pages

Quatrième de couverture :

En 1982, Sarah a quitté la France pour Uummannaq au Groenland. Elle est montée dans un avion qui l’emportait vers la calotte glaciaire. C’est la dernière fois que sa famille l’a vue. Après, plus rien. Elle a disparu, corps et âme. Elle avait vingt-deux ans. Quand Lisa, vingt sept ans plus tard, se lance à la recherche de sa sœur, elle découvre un territoire dévasté et une population qui voit se réduire comme peau de chagrin son domaine de glace. Cette quête va la mener loin dans son propre cheminement identitaire, depuis l’impossibilité du deuil jusqu’à la construction de soi. Roman sur le temps, roman sur l’attente, roman sur l’urgence et magnifique évocation d’un Grand Nord en perdition. Valentine Goby signe ici un grand livre sur la disparition d’un monde.

Mon avis :

Une couverture blanche, blanche comme la banquise, cette banquise où il fait si froid….
Ce froid qui vous prend l’âme et le cœur, lorsque l’être aimé disparaît … Car c’est comme ça, lorsqu’un être cher n’est plus près de nous, on a froid, toujours, même au soleil, plus rien n’a le pouvoir de nous réchauffer et il faut du temps, beaucoup de temps, pour qu’un jour la chaleur pénètre à nouveau notre cœur, notre corps et que notre âme se réveille….
C’est encore pire si on ne sait pas ce qu’est devenu celui ou celle qui a disparu. Le froid reste, s’incruste, c’est l’impossible deuil….

L’absente c’est Sarah, disparue il y a vingt-sept ans…Disparition volontaire, accident, meurtre ? La famille ne sait pas et attend… Ne pas déménager, ne pas s’absenter, ne pas bouger, des fois que … arrêter le temps et se dire que demain, tout sera à nouveau comme avant…
La mère ne vit pas, elle survit, seule l’espérance d’un retour la tient debout.
Le père essaie d’être fort, d’apprivoiser sa douleur, il ne dit rien, souffre-t-il moins pour autant ? « Et s'il avait moins mal qu'elle, en effet ? S'il pouvait vivre avec cette douleur au lieu de vivre en elle ? »,
Lisa ; la sœur, part sur les traces de Sarah, plus de vingt après. Elle refait le même voyage, essaie de rencontrer les mêmes personnes … Elle va à la rencontre de …. sa sœur, elle-même, les autres ?
Une fois encore, la question est posée : faut-il aller à la rencontre des autres pour mieux se connaître ? Ne peut-on exister par soi-même ?

Cette œuvre évoque des thèmes chers à Valentine Goby :
- l’absence (« ça prend de la place l’absence »),
- le deuil, ici impossible (Vous avez un corps, vous pouvez faire le deuil…. Vous n’en avez pas, vous pouvez espérer…. Espérer jusqu’à quand ? Quand faut-il se résigner ? Un père, une mère peuvent-ils se résigner ? Et que deviennent les autres enfants ? ….)
- les corps, celui de la mère, de la fille encore vivante qui souffre un temps d’anorexie, celui des gens vivants, si chauds, si doux lorsqu’on les touche ….

La construction de ce livre peut désarçonner, des flash back, des informations (la vie des pêcheurs au Groenland), les parents face à eux-mêmes, la vie maintenant (l’euro alors que la disparue avait des francs) et en filigrane la quête de Lisa…. On peut avoir l’impression de ne pas suivre, de partir dans plusieurs directions sans aboutir …

Heureusement, il y a l’écriture de Valentine Goby, son phrasé haché, où les mots semblent se bousculer tant elle veut en dire …. A tel point que parfois, les verbes ne sont pas présents ….
Finalement il est peut-être là, le bémol de ce roman, elle a voulu trop en dire, trop exprimer de choses, d’émotions différentes, d’où un récit morcelé qui de ce fait perd un peu en « substance ».

Banquises, avec un « s », pourquoi ?
Pour cette banquise qui, à cause du réchauffement climatique, se découpe en morceaux et devient des banquises (comme le livre, elle est morcelée).
Pour cette banquise extérieure, celle qu’on voit, où on a froid au corps, et celle, intérieure (« Le Nord n’est pas un lieu géographique. C’est un lieu intérieur ») où on froid à l’âme ?
Ou pour toutes autres raisons que seule, Madame Goby, pourra nous dire …..

"Zukhabar" de Sammy Roussel

 

Zukhabar
Auteur : Sammy Roussel
Éditions du Volcan (23 Février 2023)
ISBN : 9791097339487
242 pages

Quatrième de couverture

Émile Drascher est un allégeur, un métier d’élite mais difficile qui se transmet inéluctablement de génération en génération et dans le plus grand secret. Au décès de son père Maximilien, Émile est obligé d’interrompre ses études et de se rendre dans les colonies, les « terres bréhaignes », pour reprendre le flambeau. Sur ces terres redoutables, le danger guette chaque jour Émile et ses trois compagnons clercs-allégeurs. Là-bas, la mort règne en maître entre l’aridité du désert et l’hostilité des Harachins, un peuple local en guerre contre les milices coloniales de l’Administration.

Mon avis

C’est un pays où il faut obéir à l’administration, sans discuter car les ordres ne sont pas faits pour être remis en cause. La loi n’a pas à être contournée et tout se passera bien sinon….
Émile est allégeur, comme son père avant lui. Un métier dont on évite de parler car le secret professionnel est essentiel alors pas de détails et une vie discrète. Pour cette tâche délicate, il revient d’une longue formation dans les colonies. Maintenant, il n’a plus le choix, il doit assumer et alléger…. Revenir en métropole après trois ans passés à apprendre, à manipuler, à se former en vase clos, est une épreuve. Le monde a changé, évolué, lui-même est devenu un autre…

Il est chef et doit gérer chaque mission qu’on confie à son équipe.  Si au début, ça se passe plutôt correctement, au fil du temps, ce n’est pas aisé pour lui, il ne se sent pas à sa place. Il souffre probablement du syndrome de culpabilité. Obéir ? Oui mais pourquoi et à quel prix ? Il est tellement mal qu’il ne sait plus que faire. Ses rapports aux autres que ce soit dans sa vie personnelle ou professionnelle sont empreints de doutes, de questions, de mal-être. Pour exorciser tout ça, il peint mais il est troublé, des visions, des odeurs l’envahissent….

Émile oscille entre deux univers, celui du travail, qu’il ne peut partager qu’avec quelques collègues, et celui, plus « classique » de son quotidien où il côtoie ses amis. L’écriture de l’auteur s’adapte au contexte. Une pointe d’humour dans certaines situations où il se « moque » gentiment, plus grave quand il évoque le malaise qui envahit Émile. J’ai trouvé cela d’une immense richesse. Sammy Roussel a retranscrit avec beaucoup de doigté les émotions et ressentis des protagonistes, notamment de l’allégeur. Son style est poétique, étincelant, léger malgré la gravité de quelques propos. L’atmosphère est prenante et l’ensemble bien équilibré est captivant.

Atypique, singulier, original, ce récit se démarque tout en nous renvoyant des interrogations bouleversantes sur la place du pouvoir, de l’autorité sur les hommes…

J’ai beaucoup apprécié cette lecture.


"Nore" de Philippe Paternolli

 

Nore
Auteur : Philippe Paternolli
Éditions : du Caïman (23 Mars 2023)
ISBN : 978-2493739070
220 pages

Quatrième de couverture

Qu’est-ce qui peut bien relier Frédéric Erno, guitariste de blues en panne d’inspiration, réfugié dans une ancienne ferme transformée en studio d’enregistrement au pied du pic de Nore, et toute une série de meurtres sans liens apparents entre eux ? Serait-ce son frère, jeune lieutenant de police ? Sa compagne qui réalise un tour du Monde, embarquée sur un cargo ? Ou peut-être ce journaliste qui rôde sur le massif et semble sur le point de démasquer un mystérieux médecin aux motivations troubles ?

Mon avis

Vincent Erno est un personnage récurrent de Philippe Paternolli (il y a une dizaine de romans le mettant en scène). Nore a été re écrit récemment mais il s’agit de la première intrigue où apparait Vincent en tant que lieutenant de police.

Avec ses collègues, ils sont confrontés à une série de crimes particulièrement sordides. S’agit-il d’un tueur en série ? Comment sont choisies les victimes ? Les policiers décident de ne pas trop en dire dans la presse et l’assassin enrage. Laissant des indices sur les lieux où il officie, il n’a toujours pas été « coincé ». Il faut être en avance d’un coup sur lui pour espérer quelque chose mais comment s’y prendre ? Il provoque les enquêteurs mais dans quel but ? Quelle « reconnaissance » recherche-t-il ?

En parallèle, Frédéric, le frère du lieutenant, guitariste de blues, s’isole vers le pic Nore pour retrouver l’envie de composer et renouer avec le succès. Sa compagne est partie sur un paquebot pour voyager. Cette césure va-t-elle être profitable à leur couple ou pas ? Frédéric a besoin de créer, il cherche comment faire, le déclic viendra ou pas… Une rencontre va sans doute être l’occasion de recouvrer un peu d’inspiration.

Les deux frères ne sont pas les meilleurs amis du monde. Leur univers sont totalement opposés et la communication n’est pas fluide. Pourtant, quelque chose relie les événements auxquels ils sont confrontés chacun de leur côté. En dire plus serait risqué, je ne veux rien dévoiler car le roman vaut le détour.

J’ai lu que Philippe Paternolli était un très bon photographe (d’ailleurs les photos de couverture de ses titres sont des clichés personnels). Il a un site qui vaut le détour. Il manie bien l’objectif, jouant avec la lumière qui sublime ce qu’il veut montrer. Et bien avec les mots, c’est la même chose ! Son écriture est tonique, nerveuse, épurée, chaque phrase fait mouche. Cela donne beaucoup de rythme au texte car il n’y a aucune fioriture, rien n’est délayé. Il a un style percutant. Son récit met en valeur des protagonistes au caractère bien trempé et de l’action. Les dialogues sont également très vifs.

Je ne sais pas comment l’auteur construit ses histoires. Mais une chose est sûre : ça bouge, ça vit, ça remue, c’est parfois sanglant mais entre les lignes, on sent les fêlures des individus. Même certains « méchants » ont une faille, presque une excuse à leur comportement irrationnel et violent. Pas toujours bien entendu, car quelques-uns sont de réelles crapules qui ne méritent pas de s’en sortir.

Je trouve intéressant de nous montrer que les hommes et les femmes peuvent avoir deux « facettes ». C’est présenté avec des interrogations tout à fait humaines qui montrent que parfois, les individus sont entraînés dans des actes qu’ils ne maîtrisent plus parce qu’ils sont allés trop loin.

Ce recueil est prenant, captivant, sans temps mort. J’aime beaucoup lire cet écrivain, sans doute parce qu’il sait créer une atmosphère avec un suspense qui va crescendo, nous prenant en otage car on n’a pas du tout envie de lâcher le bouquin. C’est un vrai plaisir de lecture !


"Le voyage immobile" de Valentine Goby

 

Le voyage immobile
Auteur: Valentine Goby
Éditions: Actes Sud Junior (Septembre 2012)
ISBN: 9782330 012144
75 pages

Quatrième de couverture


Devant son écran, Anna rêve d'ailleurs et étouffe dans sa vie d'ado qu'elle juge trop étriquée. Après un accident, Anna a eu les tendons de sa main droite sectionnés. Cela signifie ne plus pouvoir s'habiller seule, ne plus porter son plateau au self, être dépendante des autres. Elle découvre l'abattement, le découragement, l'entourage aux petits soins, et la tentation, parfois, de se laisser glisser dans le rôle de victime.

Mon avis


« ….je comprends que je porte le monde à l’intérieur, avec tous ses possibles. »

Valentine Goby parle souvent du corps, des corps...Là c'est la main....
En quelques secondes, la vie d'Anna a basculé, de l’insouciance de l’adolescente à la lutte de la malade ou de la victime, qui doit agir pour s'en sortir, ne pas se laisser aller...

Parfois, c'est presque plus facile de se faire plaindre, de baisser les bras, de dire "à quoi bon?"...

De son écriture hachée, saccadée, forte, parlant autant à notre corps qu'à notre tête, Valentine Goby envahit en quelques pages notre univers par l'intermédiaire d'Anna....
Les mots s'enchainent, se succèdent, on "sent l'essoufflement" car ils arrivent en flots et se bousculent dans les pensées d'Anna....

Anna, qui, face à l'épreuve, doit choisir de prendre ou pas la suite de sa vie en mains (sans mauvais jeu de mots...)
Anna qui découvre Cziffra (et moi son histoire par la même occasion...),sa façon de faire vivre la musique.....

Un court roman poignant à lire....


"Le chat du rocher -Tome 1 : Un meurtre peut en cacher un autre" de Alice Quinn & Sandra Nelson

 

Le chat du rocher : Un meurtre peut en cacher un autre
Auteurs : Alice Quinn & Sandra Nelson
Éditions : AFNIL - Alliage (21 juin 2023)
ISBN : 978-2369100645
309 pages

Quatrième de couverture

Qui peut prendre au sérieux une ancienne actrice qui enquête sur un meurtre avec, comme équipiers, une tante adepte de la divination dans le champagne et... un chat grincheux ?

Mon avis

Calypso, actrice en manque de film, s’installe chez sa tante Peggy qui tient une brocante sur le rocher. C’est toute son enfance qui lui revient en mémoire. Pour sa carrière de comédienne, elle s’est exilée au Brésil où elle a plutôt bien réussi. Elle était Zézé Pinta, une détective amateure qui se débrouillait plutôt pas mal. Assez à l’aise, elle n’a pas la langue dans sa poche. Comme elle n’a plus un sou, ou pas grand-chose, sa tante lui propose de la soutenir à la boutique, elle la loge et Calypso, soulagée, accepte cette solution qui devrait être temporaire. Peggy, quant à elle, pousse un gros ouf car son locataire gérant, Dick Pierson, est parti à la cloche de bois. Du jour au lendemain, abandonnant même son chat Poker. Elle va pouvoir, grâce à sa nièce, retrouver un peu de liberté.

Autour de cette boutique, gravite pas mal de monde, des ami-e-s de la tantine, de vieilles connaissances de l’artiste, des voisin-e-s. Il y a Colette et son mari Boris, Arthur (qui aide au magasin) en couple avec Louisette célèbre avocate. Colette tient une librairie et a Marion Ricci comme employée. Cette dernière tient le rayon « café et douceurs » du commerce. Elle a un don pour les gourmandises. Toutes ces personnes se côtoient en toute sympathie même si quelques fois, elles ne sont pas d’accord et ne disent pas tout. C’est un peu comme dans la vraie vie, des rivalités, des jalousies, des petits détails….

Colette fête son anniversaire au restaurant et voilà qu’elle se prend la tête avec son époux. Pourtant c’est lui qui avait organisé cette petite fête… Il n’est pas très apprécié des uns et des autres cet homme. Est-ce que cette dispute va plomber l’ambiance ? La personnalité du compagnon est sans doute plus complexe qu’elle en a l’air. Mais bon, chacun sa vie …. Et elle continue….

Peu après, une nuit, Caly est réveillée par du bruit (elle dort au-dessus de la brocante). Pas du tout rassurée, elle descend sur la pointe des pieds, accompagnée de Poker (on fait mieux comme garde du corps, mais bon…). Elle se retrouve avec un cadavre, prend peur (on la comprend) et prévient la police. Vadim, le commissaire débarque et là, ce n’est plus la même scène…. Calypso aurait-elle eu des visions ? Elle qui est habituée aux rôles de composition était peut-être dans son monde ?

Il va falloir mener des investigations, recouper des témoignages pas toujours très clairs et changeants… Calypso, « formée » aux enquêtes, vu ce qu’elle joue dans les sitcoms, se sent investie d’une mission pour les recherches (d’autant plus que tous semblent compter sur elle sauf Vadim). Elle fait tout pour comprendre et analyser les différents indices qu’elle récupère, les transmets à l’enquêteur (elle est bien brave de ne pas faire cavalier seul (e )). Vadim se rend rapidement compte que son esprit de déduction (elle n’avoue pas souvent que Poker lui donne un coup de main) peut l’aider… Elle agit un peu en électron libre mais on a beaucoup de plaisir à la suivre.

Ce cosy-mystery est mené de main de maître par deux autrices complices (pas de meurtre, je vous rassure, seulement d’écrits communs). On ne voit absolument pas qui rédige, c’est fluide, plaisant. Une pointe d’humour et de dérision, des indications distillées çà et là, petit à petit pour maintenir le suspense et un fond d’intrigue en lien avec l’art, quelques rebondissements, des fausses pistes, tout cela offre un ensemble équilibré et agréable à lire. Et surtout le chat Poker qui par ses facéties montre qu’il a dans la cervelle. Je crois bien qu’il va devenir un vrai héros !

"La lame et le sang - Tome 1 : Le seigneur maudit" de Julien Schneider

 

La lame et le sang - Tome 1 : Le seigneur maudit
Auteur : Julien Schneider
Éditions : Ogmios (13 Mai 2020)
ISBN : 978 2490352081
312 pages

Quatrième de couverture

Takeshi est le détenteur d’un étrange sabre maudit qui l’incite à verser toujours plus de sang. Devant lutter contre cette soif contre-nature, il cherche un moyen pour se libérer de ce fardeau. Il croise la route de son ancien frère d’armes, Akira, un samouraï en manque d’aventure devenu le yojimbo de Mariko, une mystérieuse jeune noble dépossédée de ses terres qui cherche à les récupérer. Akira demande alors à son ancien condisciple de les aider.

Mon avis

Ce roman est le premier d’une trilogie se déroulant sur fond de Japon médiéval avec une pointe de fantastique. On retrouve les « codes » du genre avec les samouraïs, les kamis (divinités), les rōnins etc. Et bien sûr un objet magique (ici un sabre). Il faut s’habituer au vocabulaire, mais il y a un lexique et on comprend grâce à quelques indications de quoi parle l’auteur. Les personnages ne sont pas trop nombreux et on se repère vite.

Dès le début, à travers une scène assez sanglante, nous faisons connaissance avec Takeshi. Il possède un sabre maudit qui a « soif » de sang. Donc son maître tue pour le nourrir. Mais il a toujours besoin de plus et Takeshi voudrait bien trouver une solution pour que ça cesse…. Il rencontre une jeune femme qui semble capable de l’éclairer sur les pouvoirs de son arme afin de mieux la comprendre.

De nombreuses épreuves ou rencontres jalonnent son chemin, permettant à l’auteur de glisser des combats très réalistes, des dialogues instructifs. Un rythme intéressant est installé ainsi qu’une atmosphère « vivante » (on a pratiquement les « images » sous les yeux). Le texte est entrecoupé de retours en arrière qui permettent de connaître le passé et les liens entre les uns et les autres. On voit ainsi comment ont évolué les protagonistes.

Takeshi m’a paru très détaché quand il tue, comme si la mort d’autres humains ne lui faisait ni chaud ni froid, puis j’ai découvert son histoire personnelle…

Dans ce style de livres, je n’ai lu que « le clan des Otori » (et finalement très peu de points communs entre les deux), autant dire que j’ai encore beaucoup à apprendre, à découvrir. Je ne dis pas que je vais tout retenir, mais je suis contente de savoir maintenant comment on « devient » samouraï par exemple.

J’avais peur d’un récit très manichéen. Bien entendu, il y a des bons et des méchants mais pas que…. Takeshi se pose des questions (page 183) par rapport à la vengeance, à la domination que lui impose son sabre, et, en élargissant, par rapport à la vie et ses choix…. J’avoue que cette part d’humanité m’a plu.

Julien Schneider a su doser son écrit pour présenter les rivalités, les émotions, les différentes scènes qui apportent des éléments sans tout dévoiler d’un coup. On sent qu’il s’est documenté, qu’il maîtrise son sujet et que ce doit être une passion pour lui car il n’en parlerait pas si bien.

Son écriture est plaisante, et l’équilibre entre conversations et descriptions est bon. Les rebondissements maintiennent le suspense et l’intérêt du lecteur.  

"Swan Hill - Tome 4 : Une chance à saisir" d'Anna Jacobs (The Trader’s Gift)

 

Swan Hill - Tome 4 : Une chance à saisir (The Trader’s Gift)
Auteur : Anna Jacobs
Traduit de l’anglais (Australie) par Catherine Delaruelle et Martine Desoille
Éditions : L’Archipel (15 juin 2023)
ISBN : 978-2809843057
332 pages

Quatrième de couverture

Australie-Occidentale, 1870. Bram Deagan, l'un des premiers colons de Swan Hill, dirige un négoce prospère. Il a en Isabella une épouse aimante et possède, depuis que sa sœur et sa tante l'ont rejoint, une famille unie et soudée. Seule ombre au tableau : ses amis Dougal et Mitchell sont encore célibataires. En Angleterre, Eleanor pense toujours à Dougal. Mais le capitaine ne l'a-t-il pas oubliée après une si longue séparation ?

Mon avis

C’est le tome 4 d’une série et je l’ai prise en cours de route. Cela ne m’a pas dérangée car quelques rappels discrets m’ont donné les éléments essentiels sur le passé des personnages. J’ai pu ainsi cerner rapidement les situations de famille, les « pourquoi et comment » du quotidien de chacun.

L’histoire se déroule entre 1870 et 1872. L’impérialisme britannique a pris fin et les colonies australiennes sont devenues des démocraties parlementaires autonomes. Malgré tout des liens existent entre l’Angleterre et l’Australie. Sur le continent australien, il y a beaucoup d’hommes et peu de femmes. Certaines anglaises font la traversée (deux mois en bateau) pour retrouver un mari, ou en chercher un sur place, voire épouser un presque inconnu en espérant que ça fonctionnera. C’est parfois pour échapper à des conditions de vie difficiles que ces femmes partent dans l’espoir d’un avenir meilleur.

Dans ce récit, nous faisons connaissance avec deux jeunes veuves qui, chacune pour une raison différente vont embarquer pour l’Australie. Elles n’ont rien en commun, ne se connaissent pas et l’une est en grand danger. On va suivre leur périple avant le départ, sur le bateau et une fois arrivées en terre étrangère. Je me suis très vite attachée à ces femmes battantes qui veulent s’en sortir. Elles se lancent dans l’inconnu très courageusement et après avoir fait connaissance, elles pourront se soutenir. Tout quitter pour aller à des milliers de kilomètres… elles se disent qu’elles n’ont rien à perdre et qu’elles verront une fois là-bas…. Bravo Mesdames !

Il y a de beaux portraits féminins dans ce livre. Toutes ont des qualités, et donnent le maximum pour avancer dans la vie, elles essaient de combattre leurs doutes, leur peur. L’auteur a dû se documenter sur la vie à l’époque car tout est bien expliqué (notamment la vie pendant la traversée). Que ce soit en mer ou sur terre, on ne se mélange pas car c’est ainsi. Les règles de la société définissent la place de chacun. Le cloisonnement est important, parfois les hommes dominent et dictent leurs lois. Heureusement, comme nous le verrons dans cet ouvrage, tous ne sont pas pareils.

C’est l’occasion pour Anna Jacobs de nous rappeler combien les rencontres sont importantes, combien il est essentiel de respecter les autres, de ne pas imposer des choix, de réfléchir avant de faire confiance. Elle montre les questionnements des personnes confrontées à des décisions ardues. Quelques fois, on a le sentiment qu’une seule solution est possible et que, même si on n’est pas complètement d’accord, on ne peut pas agir autrement. Elle décrit cette ambivalence, ce tiraillement face à des options délicates qui peuvent déchirer le cœur.

Cette lecture m’a intéressée et m’a permis de passer un agréable moment. L’écriture est fluide (merci aux deux traductrices). Les repères spatio-temporels permettent de bien suivre l’intrigue. J’ai aimé voyager d’un lieu à l’autre, ressentir diverses émotions, avoir envie de m’énerver contre quelques individus, en réconforter d’autres….ce qui prouve que j’étais dedans.

S’il y a une suite, j’ai hâte de la lire !

"L'étranger à ma porte" de Saskia Sarginson (The Stranger)

 

L’étranger à ma porte (The Stranger)
Auteur : Saskia Sarginson
Traduit de l’anglais par Charlotte Faraday
Éditions : Marabout (11 Octobre 2017)
ISBN : 9782501114530
320 pages

Quatrième de couverture

Nous avons tous nos secrets. Eleanor Rathmell en a gardé un toute sa vie. Et quand son son mari meurt dans un accident de voiture et qu'un étranger se présente à sa porte, sa vie bascule. Dans le village en apparence idyllique - mais très conservateur - où elle vit, tout le monde se méfie de cet homme, hormis Eleanor, dont la confiance la conduira à mettre sa vie en danger.

Mon avis

N’as-tu rien à me dire ?

Chacun a sa part d’ombre, ses secrets plus ou moins importants, plus ou moins partagés… William et Ellie (Eleanor) sont mariés depuis des années, ils habitent, par choix, dans la campagne anglaise. Elle tient un salon de thé dans le village, il est professeur « à la ville ». Ils possèdent une maison à eux, quelques animaux et vivent heureux, sans enfant. Chacun d’eux a un secret, dont ils n’ont pas parlé parce que cela ne leur a pas semblé nécessaire dans l’immédiat et que cela n’influence en rien sur leur quotidien. Une routine douce et agréable, un cocon, les enveloppe jusqu’au drame….. William se tue au volant de leur voiture, un soir, alors qu’il était censé être resté dans leur foyer, de plus, il était ivre, lui qui ne buvait que très peu….. Après la brutalité du choc, le désespoir, vient le temps des questions pour son épouse…. Son mari avait retiré une forte somme d’argent de leur compte sans lui en parler, des indices tendent à prouver qu’il lui cachait beaucoup de choses… Quel était donc ce secret ? Pourquoi ne lui a-t-il rien dit ? Une autre femme, une vie cachée, une envie d’ailleurs ? Ellie ne sait pas, ne sait plus… Heureusement, un gentil voisin, David, veuf lui aussi, lui vient en aide, l’entourant d’attentions et de bienveillance, ainsi que Luca, un réfugié qui va lui donner un coup de main pour l’entretien de sa demeure. Ces deux hommes sont diamétralement opposés et parfois elle ne cerne pas qui ils y sont réellement… De plus, depuis le décès de Will, des événements bizarres se produisent dans sa boutique ou chez elle, comme si on cherchait à l’effrayer. Dans quel but et pourquoi ? Elle n’a rien à se reprocher à moins que son cher et tendre n’ait trempé dans quelques trafics ….

Ancré dans le quotidien d’une petite bourgade où tout le monde surveille, épie, commente, les faits et gestes des habitants, situé dans le contexte difficile de l’année 2015 avec l’arrivée en masse de migrants cherchant du travail, un refuge, une protection, en Grande Bretagne, ce roman est puissant, bien écrit (bravo à la traductrice) et porteur de sens.

Évoquant le poids du passé, des habitudes familiales, des non-dits, des relations difficiles entre habitants du cru (à l’esprit fermé, ultra conservateur) et étrangers, ainsi que les conditions et choix de vie de chacun, ce livre est magnifique. Une fois commencé, je n’ai pas pu m’arrêter. On découvre Ellie petit à petit, sa jeunesse douloureuse son mal-être lorsqu’elle ne sait plus où elle en est. Son envie de poursuivre sa vie mais de ne pas se tromper dans ses choix. Se taire et préserver une forme de sécurité, parler au risque de perdre beaucoup ? Écouter le cœur ou la raison ?

Avec beaucoup de doigté, sans jugement excessif, Saskia Sarginson aborde les difficultés d’intégration des expatriés et combien il est facile, pour certains, de profiter de leur fragile statut. Ses protagonistes sont des personnes de caractère, bien incorporées dans le contexte global du recueil. Ellie est une femme attachante, forte et délicate, à la fois qui veut trouver la vérité et qui est prête à tout pour y parvenir.

J’ai énormément apprécié ce nouvel opus de chez Marabout. Le style est fluide, très vivant, le fait de dévoiler par bribes, le passé d’Ellie, nous permet de comprendre qui elle est maintenant. De plus, placer l’intrigue (le décès de William) dans un contexte socio économique bien choisi (le village un peu refermé sur lui-même et ses travailleurs venus d’ailleurs qui aident dérangent à la fois) lui donne une dimension supplémentaire. Je ne connaissais pas cet auteur mais je vais suivre ses futures publications de près !


"L’enquêteur agonisant" de Leif G.W. Persson (Der döende detektiven)

 

L’enquêteur agonisant (Der döende detektiven)
Auteur : 
Traduit du suédois par Esther Sermage
Éditions : Rivages (7 Juin 2023)
ISBN : 978-2743660383
450 pages

Quatrième de couverture

Rusé et perspicace, Lars Martin Johansson est une légende vivante. Aujourd’hui, il vit à la campagne et profite de sa retraite. Sauf que … Après avoir subi une attaque cérébrale, il se retrouve à reprendre du service et mener l’enquête de son lit d’hôpital.

Mon avis

Leif GW Persson est un criminologiste et profiler renommé. Dans ses romans, il analyse la société et observe les méthodes de la police suédoise.

Lars Martin Johansson, personnage récurrent dont je viens de faire connaissance, a été un excellent policier, un homme qui « voyait dans les coins ». Une intelligence vive, capable d’observations et de déductions fines pour résoudre des affaires difficiles. Mais lorsque l’âge est là, il faut savoir céder sa place et s’arrêter. C’est ce qu’il a fait. Il vit maintenant à la campagne, avec sa femme (plus jeune de vingt ans et donc encore en activité), il est en surpoids, parce qu’il aime bien manger et boire, profiter de la vie….

Et soudain, le trou noir, une attaque cérébrale. Lorsqu’il revient à lui, à l’hôpital, il a le côté droit paralysé. La jambe répond un peu mais pas le bras. Ses pensées sont parfois confuses (on s’en rend compte avec quelques remarques qu’il fait, écrites en italiques). Il est fatigué, diminué et pour un homme de sa trempe, cela ne lui convient pas du tout. La spécialiste qui le suit, explique qu’il va falloir changer les habitudes alimentaires, faire du sport, avoir une vie saine pour aller mieux. Renoncer à la bière, aux saucisses bien grasses, à la sauce, etc. C’est très dur pour Lars, il a l’impression d’être puni et surveillé en permanence. Est-il prêt à tous ces sacrifices ?

Heureusement, un dérivatif arrive à point nommé. La doctoresse lui parle d’un cold case : une fillette assassinée dont le meurtrier n’a jamais été arrêté. Il aura bientôt prescription mais c’est peut-être l’occasion pour Lars de s’occuper, comme ça en dilettante, à son rythme. Ce ne sera pas une enquête officielle puisqu’il n’est plus en service mais c’est un défi intéressant à relever et il se « prend au jeu ».

Que ce soit hospitalisé ou de retour chez lui, il se lance dans des investigations. Faisant appel à ses anciens collègues, il récupère des documents, réfléchit, déduit. Son esprit troublé par ses problèmes de santé ne réagit pas forcément assez rapidement. Il s’invective, fait de l’ironie sur son état physique et mental, se moque de lui-même et de sa faiblesse. Mais il ne baisse pas les bras, il veut coincer le tueur et ne lâche rien.

Chez lui, deux aides sont là pour le quotidien une jeune femme, et un « employé » de son frère. C’est provisoire, le temps qu’il se rétablisse. Mais ces deux personnes ne vont pas se contenter de faire garde-malade et c’est génial. Elles ont des caractères intéressants, des attitudes qui font mouche auprès de notre enquêteur pas si agonisant que ça.

Ce récit, sans crime « en direct », sans sang (ou si peu, juste un nez qui saigne), sans violence, se déroule dans une atmosphère qui m’a carrément conquise. Leif G.W. Persson mène son intrigue de main de maître, son histoire avance pas à pas, tout se tient et c’est vraiment très bien pensé. Je ne connaissais pas cet auteur mais je vais me pencher sérieusement sur ce qui a déjà été publié.

L’écriture (merci à la traductrice) et le style m’ont régalée. J’ai aimé les petites phrases à l’humour mordant, les relations que Lars entretient avec sa femme, son frère, ses aides, ses ex-collègues. Il a une façon de s’exprimer (les dialogues sont bien présents), l’air de rien, comme s’il était un peu « détaché » mais en réalité, il obtient ce qu’il veut. C’est un filou dans le bon sens du terme et franchement c’est un personnage comme je les aime !

Cette lecture a été un pur plaisir du début à la fin !

"Enfouis" de Lynda La Plante (Burried)

 

Jack Warr – Tome 1 : Enfouis (Burried)
Auteur : Lynda La Plante
Traduit de l’anglais par Sebastian Danchin
Éditions : L’Archipel (8 Juin 2023)
ISBN : 978-2809846904
384 pages

Quatrième de couverture

L'inspecteur Jack Warr se lance dans une enquête qui le plongera dans son passé... Jusqu'à pénétrer l'univers dangereux et secret de la pègre londonienne. La nouvelle série de Lynda La Plante, autrice et scénariste aux multiples récompenses, à l'origine d'une quarantaine de best-sellers internationaux.

Mon avis

Lynda La Plante a commencé une nouvelle série avec l’inspecteur Jack Warr en personnage principal. Je viens de découvrir le tome 1 de ses aventures. Il est en couple avec Maggie qui travaille en milieu hospitalier. Ils habitent Londre et n’ont pas d’enfant. Il a été adopté par Penny et Charlie qu’il aime comme de vrais parents et qui le lui rendent bien. Son chef voudrait qu’il postule pour devenir sergent car il croit en lui. Mais Jack est parfois un électron libre et pas toujours très assidu. Il a besoin de challenge, d’adrénaline.  Une de ses collègues est amoureuse de lui mais il ne le sait pas.

Mais voilà qu’un fait sortant de la routine se produit. Une maison non habitée incendiée, un cadavre calciné et énormément d’argent dans la cheminée. Les billets n’ont plus cours mais le rapprochement est vite fait. Un train transportant de l’argent, en 1995, a été arrêté par des explosifs et les sacs contenant la monnaie ont disparu. Une partie de la somme n’a plus cours, celle qu’on a retrouvé en partie dévorée par les flammes, mais il en restait beaucoup et elle peut être utilisée ! A-t-elle été récupérée et par qui ?

L’enquête va emmener les policiers sur la trace d’un groupe de femmes, autrefois malhonnêtes, mais disparues ou « rangées des voitures ». Mais comment auraient-elles pu transporter des besaces aussi lourdes ? Une autre piste évoque des malfrats, voire même un policier corrompu. Autant dire que c’est le flou total. En parallèle de tout ça, Jack cherche à retrouver son père biologique. C’est un besoin viscéral, il pense pouvoir ensuite mieux se comprendre, mieux cerner son caractère. En lisant, on réalise assez vite que les investigations sur la demeure brûlée et la quête du paternel vont se croiser, se compléter et donner un éclairage différent au passé et au présent. De nombreux retours en arrière nous apportent des éléments intéressants sur les personnages. Les profils psychologiques des uns et des autres sont réfléchis ainsi que les liens qui les unissent ou pas.

Jack est souvent écartelé entre vie professionnelle et vie personnelle. Ses priorités peuvent changer d’un moment à l’autre en fonction de son instinct, de son raisonnement. Parfois il délaisse sa femme, à d’autres moments, il horripile son supérieur. En tout cela, cet homme est très humain.

Ce roman soulève de nombreux thèmes, entre autres, la frontière, quelques fois ténue, entre le bien et le mal. Quelles définitions donnons-nous à ces mots ? Où se situe la malhonnêteté si ce qu’on vole sert à aider les plus démunis ?

Au départ, j’ai eu peur de me perdre entre tous les protagonistes présentés et les situations évoquées mais j’ai rapidement pris des repères. Et après, ça allait tout seul. L’atmosphère est palpable, on sent la tension, les doutes, les avancées dans les prospections, les erreurs, les réussites….

L’écriture est fluide (merci à Sebastian Danchin qui fait toujours un excellent travail de traduction). Le rythme est soutenu et tout est bien ficelé. On a déjà un bon aperçu du couple Maggie / Jack dont on voit l’évolution. Je ne doute pas que dans la suite des aventures de ce fin limier, on en saura encore plus. Je peux dire que je serai ravie de le retrouver (et pas seulement parce qu’il est beau gosse).

"Les Jaloux" de James Lee Burke (The Jealous Kind)

 

Les jaloux (The Jealous Kind)
Auteur : James Lee Burke
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christophe Mercier
Éditions : Rivages (7 juin 2023)
ISBN : 978-2743659912
434 pages

Quatrième de couverture

À Houston, dans les années 1950, le jeune Aaron Holland Broussard fait un rude apprentissage de la vie, entre trafics de drogue et familles mafieuses, sur fond de romance contrariée.

Mon avis

1952, Houdson au Texas. Aaron Holland Broussard a dix-sept ans et parle de son quotidien. Son père a combattu pendant la seconde guerre mondiale et veille sur son éducation. Un jour, dans un drive-in, il assiste à une dispute dans un couple. En enfant bien élevé, il demande si ça va et tombe immédiatement sous le charme de Valérie. Elle quitte son boy friend et accepte les « avances » d’Aaron. C’est une fille connue, appréciée, enviée et être avec elle, est déjà, en soi, une fabuleuse aventure. Mais il s’avère que ce coup de foudre va être synonyme d’ennuis et pas des petits. Pourquoi ? « L’ex » de Valérie est Grady Harrelson, un garçon riche qu’on ne contrarie pas. Et il veut se venger de l’humiliation que lui a fait subir Aaron. Ce dernier n’a pas envie de se transformer en carpette et entend bien se faire respecter. C’est sans compter « leurs amis » respectifs, leurs parents, qui vont s’en mêler, intervenir, conseiller.

Rivalités, jalousies, clans, tous ces adolescents (il y a très peu de filles donc je mets uniquement le masculin) sont en plein passage à l’âge adulte. Ils veulent se comporter en homme mais ce n’est pas chose aisée. Il faut encore étudier, travailler pour l’argent de poche, obéir à ses géniteurs. Saber, l’ami d’Aaron est un peu un électron libre et il est capable du meilleur comme du pire. Il ne réfléchit pas et se laisse manipuler malgré les avertissements de son camarade.

James Lee Burke décrit à merveille les caractères, les influences subies par chacun. Les fils pourraient partir se battre en Corée, les pères ont déjà vécu les conflits armés. D’ailleurs poignards et révolvers se promènent dans ce récit et font partie du quotidien. Est-ce que se bagarrer est une preuve qu’on grandit ?

Quelle que soit la génération, les dialogues sont ardus, tous semblent préférer l’action à la parole. Quand ils s’expriment, il y a souvent une part cachée, des non-dits, voire des sous-entendus. L’auteur montre la complexité des relations humaines dans une ville où la fracture entre les classes sociales est importante, allant même jusqu’à entraîner des faits de violence.

Ce roman est très intéressant, il présente l’évolution des personnages qui changent au fil des pages. À chaque nouvelle situation, ils essaient de réfléchir, parfois seuls ou avec l’aide des adultes mais en voulant en parallèle prouver qu’ils sont capables d’agir en solo ou éventuellement à deux. Ils sont écartelés régulièrement entre dire ou taire la vérité. Ils sont confrontés à la bestialité : « Le mal absolu a pénétré dans ta vie, et tu n’y es pour rien. C’est ce qui détruit les gens. »

J’aime beaucoup l’atmosphère qui est installée dans ce recueil. C’est noir, très représentatifs des tensions entre les individus, qui n’ont pas tous le même but, les mêmes envies. Des références musicales accompagnent le texte. Elles sont en lien avec certains événements et c’est très bien pensé. Le passé a laissé des traces et beaucoup de questions se posent, nous permettant de réfléchir : qu’est-ce que le péché ? Quelles sont les valeurs qui habitent Aaron et les autres ?

L’écriture (merci à Christophe Mercier le traducteur) est profonde, puissante, il a les mots justes. Le style est réaliste, on a vraiment l’impression d’y être. Je verrai bien une adaptation en film. J’ai beaucoup apprécié cette lecture car certains protagonistes puisent en eux le courage nécessaire pour faire face et avancer en pouvant se regarder dans une glace.  

"Les émeraudes de Satan" de Mathieu Bertrand

 

Les émeraudes de Satan
Auteur : Mathieu Bertrand
Éditions : Paulo Ramand (15 Novembre 2016)
ISBN : 978-2754305655
290 pages

Quatrième de couverture

1306, Poitiers : Le Grand Maître Jacques de Molay, sentant la fin de l'Ordre des Templiers approcher, informe le Pape Clément V qu'il est en possession d'une couronne ayant appartenu à Satan lui-même. Par peur de ne plus pouvoir en assurer la protection, il la confie au Saint-Père qui lui promet de la faire enterrer dans le Temple de Salomon, seul endroit sur Terre en mesure de limiter ses pouvoirs démoniaques. 2013, Rome : Le Pape découvre d'étranges courriers hérités de ses prédécesseurs. Il sollicite le Père Paul Kaminsky, agent du service des enquêtes spéciales du Vatican afin qu'il se rende en France et retrouve sept émeraudes, ornement d'une couronne ramenée de Terre Sainte au onzième siècle.

Mon avis

Ce roman n’est pas le premier à se situer au Vatican et à rappeler certains faits connus, les mêlant à d’autres totalement imaginés….
L’auteur a une écriture de qualité, il est très agréable à lire et son récit est captivant. Il alterne les passages où le Pape s’exprime à la première personne, livrant ses pensées, ses réflexions et d’autres pages où l’on voit ceux qui recherchent les émeraudes. Ces deux-là, sur le papier, tout les oppose et pourtant ils font équipe de bien belle manière ! Il y a du rythme, des rebondissements, on ne s’ennuie pas une seconde !

Au-delà de la quête des ornements de la couronne, ce texte permet d’aborder le respect entre les religions, et élargissant le respect entre les hommes. Ce n’est pas présenté avec un ton moralisateur mais à travers des faits tout simples qui montrent que certains savent vivre ensemble, en bonne entente….

C’est un livre où l’on trouve un peu d’ésotérisme, d’ambiance thriller, de fantastique…mais tout est dosé à merveille et l’ensemble est fort bien équilibré. Les lecteurs qui sont parfois rebutés par les gros pavés, auront plaisir à découvrir cet opus, complet mais bien moins lourd à tenir dans les mains…

La conclusion m’amène à penser que d’autres récits pourraient suivre celui-ci, avec les mêmes protagonistes et c’est avec plaisir que je les retrouverai !


"Que s'est-il passé?" de Hanif Kureishi (What happened)

 

Que s’est-il passé ? (What happened)
Auteur : Hanif Kureishi
Traduit de l’anglais par Florence Cabaret
Éditions : Christian Bourgois (1er Juin 2023)
ISBN : 978-2267050882
288 pages

Quatrième de couverture

Mettre des mots justes sur les événements dans lesquels nous sommes plongés à notre insu, trouver une cohérence au désordre du monde et au passé récent : voici la tâche à laquelle s’attelle avec une inventivité toujours renouvelée Hanif Kureishi, qui nous livre dans ce recueil de nouvelles et d’essais des réflexions foisonnantes, forgées à partir de sa propre expérience.

Mon avis

« L’écriture, c’est toute ma vie : à l’adolescence, j’ai décidé que je voulais raconter des histoires et j’étais certain que c’est ainsi que je gagnerais de quoi vivre. »

Voici la première phrase de l’introduction de ce livre. Le ton est donné. Écrire pour respirer, pour exister…. Hanif Kureishi est issu de l’immigration et c’est un des représentants de la nouvelle « école » des écrivains britanniques. Il est professeur en écriture créative à l'Université de Kingston.

Dans ce recueil, des nouvelles et des essais sur des sujets très divers (dont l’homme de la couverture que vous aurez sûrement reconnu : David Bowie), le racisme, le rapport d’Hanif au métissage (sa couleur de peau et ce qui en découle dans la vie de tous les jours avec le regard des autres), l’arrivée de son père en terre étrangère, la place de la parole dans le couple, la quête d’identité, etc.

L’auteur développe son rapport à l’écrit, son bonheur d’avoir l’impression de repartir de zéro à chaque fois qu’il se lance dans la rédaction. Même s’il y consacre beaucoup de temps, c’est toujours nouveau pour lui, presque une première fois…. Il explique les sentiments qui l’habitent lorsqu’il se retrouve seul en pleine composition. Il s’interroge : est-ce que les gens lisent encore ? Est-ce que ça les intéresse ? Il parle du processus de création et c’est très intéressant.

Hanif Kureishi est très cultivé et de ce fait, on apprend énormément en le lisant. Les thèmes très variés nous offrent des tas de pistes de réflexion, sur la politique, la société, les changements culturels d’un pays. L’auteur n’apporte pas de réponses toutes faites. Il a observé avec finesse et analysé pour ensuite partager avec nous. Il a une excellente capacité à prendre du recul et à « capter » ce qui est important.

Le texte « Nulle part » m’a bouleversée. Il fait une trentaine de pages. C’est pertinent, intelligent, édifiant. En quelques lignes, tout un tas d’émotions sont exprimées. Vivre sous les yeux de ceux qui ne vous voient pas, être regardés par ceux pour qui vous comptez. Se battre pour vivre, pour être libre, protégé. Se faire berner, avoir confiance. Avoir confiance ou pas. Aimer, donner, espérer… Et à la fin, quelle magnifique fin même si elle a un petit quelque chose de douloureux….

Cet écrivain sait manier les mots (et il est très très bien traduit pour qu’on puisse en profiter). Chaque mot fait mouche, comme s’il avait été minutieusement sélectionné. Ces phrases sont pleines de réalisme. Des valeurs fortes se découvrent entre les lignes et c’est puissant. Heureusement qu’il a choisi d’écrire, qu’il n’a jamais renoncé, cela aurait été du gâchis !

Je n’avais jamais entendu parler de lui, et je suis enchantée de cette belle découverte !

"Philosophie et art numérique: un monde extraterrestre" de Martine Bubb

 

Philosophie et art numérique
Un monde extraterrestre
Auteur : Martine Bubb
Éditions : L’Harmattan (9 Avril 2014)
ISBN : 9782343030463
300 pages

Quatrième de couverture

La figure polymorphe - à la fois fantastique, imaginaire, sociale et politique - de l'extraterrestre (étranger, handicapé, hérétique, parasite, fou, génie, monstre, ange ou sauveur...) s'est progressivement imposée, nous conduisant à interroger les problématiques portant sur la différence et sur les différends qu'elle suscite, sur l'errance, la spectralité, l'événement et l'univers infini, l'archaïque et l'ultramoderne...

Mon avis

Les artistes peuvent s’exprimer de nombreuses manières, avec différents outils. Certains utilisent des supports numériques qu’ils mêlent ou pas à des supports plus palpables. C’est ainsi qu’on peut voir associer sculpture et son, peinture et vidéo, photographie et musique ou d’autres binômes.

Dans ce livre, Martine Bubb, chercheuse, docteur en philosophie et diplômée des beaux-Arts s’interroge sur ces liens. Elle explique porter non pas une réflexion sur les œuvres, mais sur ce qu’elles peuvent évoquer ou inspirer a posteriori.

Elle rappelle que les recherches en art croisent différentes disciplines par des approches diverses et variées.

Attention, apporter de la technique ne doit pas étouffer l’art.  Elle peut accompagner, sublimer, offrir un plus. Mais il est nécessaire que l’art continue de s’exprimer, sans entrave.

Dans ce livre, l’auteur présente une étude approfondie, étoffée de nombreuses références (entre autres à Star Trek, ce qui en ravira plus d’un), et une réflexion intéressante sur comment, par l’expérience, matérialiser les immétariaux ….

La philosophie et l’art sont deux domaines que je ne côtoie pas régulièrement et de ce fait la lecture n’a pas toujours été fluide pour moi. Il fallait que je reste concentrée sur le propos même si l’écriture et le style étaient abordables. J’ai apprécié de découvrir des artistes dont j’ignorais tout et de comprendre le pourquoi de leurs démarches, le cheminement de leur pensée, l’interprétation que l’on peut faire de ce qu’ils ont présenté.

Sous le regard des « spectateurs », l’artiste peut agir différemment, les oublier ou s’appuyer sur leur présence pour produire autre chose. Les émotions, les ressentis sont très personnels face à tout ce que ces hommes et ces femmes créent. C’est également essentiel qu’ils gardent une part de mystère pour ne pas devenir « communs »….

Ce genre de lecture permet de regarder les œuvres que l’on découvre dans des expositions d’un autre œil et de les apprécier sans se poser de questions, ni justifier ses choix.


"The Gray Man – Tome 2 : La cible" de Mark Greaney (On Target)

 

The Gray Man – Tome 2 : La cible (On Target)
Auteur : Mark Greaney
Traduit de l’américain par Philippe Vigneron
Éditions : L’Archipel (1er Juin 2023)
ISBN : 978-2809842692
482 pages

Quatrième de couverture

Connu sous le pseudonyme de Gray Man, ce tueur à gages est devenu légendaire pour sa discrétion et son efficacité. Aujourd'hui pris entre deux feux – tuer un dictateur africain ou lui laisser la vie sauve –, le Gray Man est devenu la cible.

Mon avis

Court Gentry a été agent de la CIA (et a la formation qui va avec) mais c’est fini. Il est maintenant Gray Man, tueur à gages et vit plutôt en marge, sans se faire remarquer. Il a un sens de l’observation hyper développé, il analyse les gestes, les paroles, les regards. Cela lui permet d’avoir un peu d’avance sur ses adversaires, ou sur ceux qu’il rencontre. Cet aspect du personnage est très intéressant et plutôt bien développé. Évidemment, il a des capacités physiques hors normes et un cerveau qui réfléchit vite et bien. Malgré tout il est accro aux opiacés, comme quoi il n’est pas parfait.

Dans cette nouvelle aventure (je ne connaissais pas la précédente, adaptée en film et ça ne m’a pas dérangée), un commanditaire russe lui confie une mission. Il doit tuer un président africain. C’est dans ses cordes bien entendu. Il s’organise, commande son matériel et … Un autre « patron » (à qui il a déjà eu affaire) lui demande de kidnapper le même homme. À qui « obéir » ? Quoi qu’il fasse, il y aura des mécontents, qui voudront se venger et avoir « sa peau »…. Gentry est donc tiraillé, d’autant plus que les raisons données pour qu’il agisse ne sont pas toujours claires. Y-aurait-il du mensonge et de la manipulation dans l’air ? Comment va-t-il choisir son camp ? Et que répondre à celui à qui il dira non ?

Rien n’est jamais tout blanc ou tout noir et Court va se trouver rapidement au cœur de conflits et d’ennuis majeurs, surtout que son impulsivité peut lui jouer des tours. Il ne sera pas tout le temps en capacité de faire ce qu’il décide. Il se veut sans attache mais on ne sait jamais, n’est-ce pas ?

C’est un récit trépidant, avec énormément de dialogues, d’actions, de rebondissements. L’angoisse monte, on est sans arrêt à s’interroger sur la suite. Chaque décision que notre héros prend peut être lourde de conséquences. Il doit de temps à autre agir vite et la prise de risques est importante. Gray Man est un meurtrier mais il a une bonne part d’humanité malgré tout. Il ne cherche pas la mort pour la mort et il se révèle capable d’essayer de protéger ceux ou celles dont il pense qu’ils ou elles le méritent.

Netflix a fait une série de ce livre et on comprend pourquoi tant c’est addictif, prenant. On voyage, on bouge, le texte est déjà très visuel alors si en plus il y a l’apport des images ! D’autre part, au-delà de l’intrigue qui tourne autour de celui qui sera exécuté ou pas, l’auteur complète son propos avec une approche politique où les dirigeants de ce monde s’affrontent, par intermédiaire, pour s’approprier ce qui ne leur appartient pas vraiment et profiter de tout sans affect. Cela donne plus de profondeur et d’intérêt à son texte.

Impossible de s’endormir sur sa lecture avec une telle histoire ! Pas de temps mort, il se passe toujours quelque chose. Ça se bagarre, ça ruse, ça s’entourloupe, ça agit plus ou moins honnêtement… Peu de femmes, mais celle qui est le plus présente n’est pas mal du tout dans sa naïveté et sa droiture.

L’écriture dynamique (merci au traducteur) impulse le mouvement. De temps à autre, une vanne de Gray Man et une pointe de dérision. C’est fluide et addictif !

"Crossroads" de Jonathan Franzen (Crossroads)

 

Crossroads (Crossroads)
Auteur : Jonathan Franzen
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Olivier Deparis
Éditions : L’Olivier (23 Septembre 2022)
ISBN : ‎ 978-2823614565
704 pages

Quatrième de couverture

Nous sommes en 1971, à la veille de Noël, la météo annonce une importante perturbation. Russ Hildebrandt vit avec sa femme, Marion, et leurs enfants dans une banlieue cossue de Chicago. Pour ce pasteur libéral, l'attirance qu'il ressent à l'égard d'une jolie paroissienne est un vrai cas de conscience. À ses tourments s'ajoute l'arrivée de Rick Ambrose, le jeune pasteur cool qui cherche à l'évincer à la tête de l'association de jeunes qu'il a créée.

Mon avis

C’est parce que j’avais apprécié « Freedom » du même auteur que j’ai eu le souhait de découvrir Crossroads. C’est globalement une lecture intéressante mais j’ai ressenti quelques longueurs.

Nous sommes dans les années 70 et nous faisons connaissance avec une famille où le père est pasteur. Tous les membres de la famille (parents et enfants) vont être « décortiqués » avec un profil psychologique finement analysé (parfois trop à mon goût car je trouvais qu’un peu d’action aurait permis de maintenir mon intérêt). On s’aperçoit rapidement que le dialogue, l’écoute, ont disparu et que chacun a tendance à vivre sa vie sans se préoccuper de ce que pensent les autres. Parfois, il y a un peu de partage avec de vrais débats mais ça ne tien pas vraiment sur le long terme.

Les chapitres sont consacrés à l’un ou à l’autre que l’on suit dans son quotidien, ses questions existentielles, ses problèmes relationnels, ses troubles, ses petites réussites… Il n’y a pas un récit linéaire avec une intrigue, ce sont plutôt des « arrêts » sur image sur les différents personnages. Cela permet d’aborder beaucoup de thèmes : la guerre du Viet Nam, le choix des études, les tentations, la religion, la politique, le sexe…. Parfois, j’ai trouvé que les explications apportaient de la lourdeur par le nombre de détails, voire de digressions avec des retours en arrière.

L’équilibre familial est très fragile. Tout le monde est sur le fil, les nombreux non-dits et les mensonges empoisonnent les discussions qui de ce fait, ne sont pas fluides.

Je reconnais que Jonathan Franzen sait parfaitement « camper » une famille américaine avec toute sa complexité. Il décrit tout cela parfaitement ainsi que l’atmosphère du pays à cette époque. Son écriture (merci au traducteur) est plaisante mais le style manque de rythme. Certains chapitres étaient addictifs, je voulais savoir ce qui allait se passer, d’autres étaient trop lents à mon goût.

Ce livre est le premier d’une trilogie, donc à suivre…