"Avant que ça ne prenne trop de place" de Domas

 

Avant que ça ne prenne trop de place
Auteur : Domas
Éditions : Jarjille (15 Juin 2024)
ISBN : 978-2-493649-24-9
18 pages

Quatrième de couverture

Sous bock est une collection des éditions Jarjille.

Avant que ça ne prenne trop de place est le numéro 31 de la collection.

Mon avis

Comment raconter une histoire en petit format, avec peu de pages et autour d’une boisson partagée ? Dans un sous bock de chez Jarjille !

« Avant que ça ne prenne trop de place » raconte en noir et blanc, avec des dessins fins et suffisamment expressifs, la difficulté à communiquer. Comment se lancer et parler avant qu’il y ait malaise et/ ou mal donne, mauvaise interprétation.

Des dialogues courts et percutants, quelques mots qui font mouche et on est dedans. C’est quand même assez incroyable de pouvoir aborder un thème avec si peu de place !

J’ai beaucoup aimé le style épuré des croquis et le fait que chacun puisse s’identifier à la situation présentée.

Au-delà de la bière (qui aurait pu être un thé ou tout autre breuvage), le message est clair : le respect et l’écoute simplifient la vie ! Ne l’oublions pas !



"Mafalda mon héroïne" de treize autrices

 

Mafalda mon héroïne
Autrices : Pénélope Bagieu, Florence Cestac, Florence Dupré la Tour, Aude Picault, Véro Cazot, Anne Simon, Maud Begon, Soledad, Agathe de Lastic, Maëlle Reat, Marie Bardiaux-Vaïente, Miss Gally, Émilie Gleason
Éditions : Glénat (28 Août 2024)
ISBN : 9782344064580
96 pages

Quatrième de couverture

60 ans ça se fête : quand un collectif d’autrices rend hommage à une figure incontournable de la bande dessinée ! Depuis 60 ans, Mafalda décrypte le monde de ses yeux d’enfant ! Avec candeur, elle n’a cessé de révéler les injustices et souligner les paradoxes de nos sociétés.

Mon avis

Quino a créé Mafalda pour le plus grand bonheur de nombreux lecteurs dont je fais partie. Mais il est décédé en 2020 et la petite fille facétieuse, pertinente dans ses remarques, drôle et tendre n’avait plus de voix.

Alors treize femmes l’ont croquée, chacune avec son style, sans copier, en gardant les lignes de sa silhouette que je porte en pins sur mes vestes, avec sa bande d’amis. Lui rendre hommage, c’est parler de son « papa », lui redonner la parole pour quelques dessins. Chaque intervenante se présente en quelques lignes puis sur quelques pages, en noir et blanc ou en couleurs nous fait retrouver l’esprit Quino avec des observations fines sur la planète, ceux qui l’habitent. Les situations présentées paraissent anodines mais vues par les yeux d’une gamine espiègle,  elles sont littéralement décortiquées au sens premier (exemple : le père qui trébuche avec un arrosoir dont le contenu tombe sur le globe et Mafalda parle de la montée des eaux….) et c’est un régal !

Chaque illustratrice a mis un peu d’elle tout en respectant « le dressing code et les idées de base ». Mafalda a soixante ans mais elle, elle n’a pris aucune ride ! Elle pose toujours des questions qui dérangent la plupart des grandes personnes (vous savez ces interrogations que vous n’osez pas formuler, et bien elle, elle y va franco). Tout y passe : le gouvernement, les misogynes, les incohérences quotidiennes, etc. Et ce qui est stupéfiant, c’est que des années plus tard on peut reprendre la plupart des mêmes problématiques.

Mafalda est toujours d’actualité et c’est pour ça qu’on l’aime !

NB : quand mon frère était petit, il me disait lorsque je lisais les albums de Quino : Tu me prêtes Ta falda ? Merci à lui de m’avoir prêté celui-ci !


"Désolations" de David Vann (Caribou Island)

 

Désolations (Caribou Island)
Auteur : David Vann
Traduit de l’américain par Laura Derajinski
Éditions : Gallmeister (25 Août 2011)
ISBN : 978-2351780466
306 pages

Quatrième de couverture

Sur les rives d’un lac glaciaire au coeur de la péninsule de Kenai, en Alaska, Irene et Gary ont construit leur vie, élevé deux enfants aujourd'hui adultes. Mais après trente années d'une vie sans éclat, Gary est déterminé à bâtir sur un îlot désolé la cabane dont il a toujours rêvé. Irene se résout à l'accompagner en dépit des inexplicables maux de tête qui l'assaillent et ne lui laissent aucun répit.

Mon avis

David Vann n’est pas un écrivain optimiste. Son histoire personnelle, avec le suicide son père lorsqu’il avait treize ans, est douloureuse. Ses écrits mettent souvent en scène des personnes hantées par des névroses, des obsessions et ayant des relations familiales très difficiles.

« Désolations » ne déroge pas à la règle. C’est un roman triste où les couples s’enlisent car ils ne savent, ne peuvent, plus se parler. Parce que la banalité du quotidien les tue à petits feux. Parce qu’ils sont plus penchés sur eux-mêmes que sur les autres…. Alors tout devient ardu : communiquer, échanger, regarder autre chose que ses problèmes, s’ouvrir à la discussion…

« Gary était le champion des regrets. Le regret est une chose vivante, un lac au fond de lui. »

David Vann creuse les âmes tourmentées, les personnalités troubles. Il analyse les échecs à travers les différents personnages. Il montre la difficulté à maintenir du lien face à l’usure du temps. Les sentiments s’effacent petit à petit, disparaissent et on se recentre uniquement sur soi, ce qui n’est pas la bonne solution.

« Peut-être lui manquait-il une faculté humaine élémentaire, celle qui lie les gens les uns aux autres ? »

Je comprends que ce récit puisse ne pas plaire, sembler répétitif. L’Alaska et son climat parfois hostile, des individus dépressifs, c’est un peu l’univers de l’auteur.

Je pense qu’il ne faut lire plusieurs titres à la suite pour se préserver. Personnellement, j’ai retrouvé une écriture (merci à la traductrice) qui cerne les protagonistes, qui nous exprime leur mal-être, leurs questionnements. Et même si cette histoire est parfois prévisible, d’une tristesse infinie, sans lueur, côtoyant le désespoir et un gouffre sans fond, tout est bien retranscrit et ça c’est très fort !

"Vallée du silicium" d'Alain Damasio

 

Vallée du silicium
Auteur : Alain Damasio
Éditions : Seuil (12 Avril 2024)
ISBN : 978-2021558746
332 pages

Quatrième de couverture

À San Francisco, au coeur de la Silicon Valley, Alain Damasio met à l’épreuve sa pensée technocritique, dans l’idée de changer d’axe et de regard. Il arpente « le centre du monde » et se laisse traverser par un réel qui le bouleverse. Composé de sept chroniques littéraires et d’une nouvelle de science-fiction inédite, Vallée du silicium déploie un essai technopoétique troué par des visions qui entrelacent fascination, nostalgie et espoir.

Mon avis

Un jour, on résistera

Voilà un livre tout à fait exceptionnel. Dans le cadre d’une résidence au cœur de la Silicon Valley, Alain Damasio s’est interrogé sur la place de l’intelligence artificielle, des progrès du numérique, des nouveaux « maîtres » du monde : GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft) dont on peut difficilement se passer mais qu’il faut savoir gérer.

Il nous rappelle l’hégémonie d’Apple avec des appareils ultra performants mais peu compatibles avec d’autres (le chargeur est déjà différent…) Toutes les applications pour aller plus vite, ne plus perdre une minute, augmenter la production, automatiser. Il faut sans arrêt être appliqué et impliqué. Oui, mais :

« On voit bien ce qu’on y gagne : une énième paresse. »

Et bien sûr, j’ai pensé au Petit Prince :

- Bonjour, dit le petit prince.
- Bonjour, dit le marchand.
C'était un marchand de pilules perfectionnées qui apaisent la soif. On en avale une par semaine et l'on n'éprouve plus le besoin de boire.
- Pourquoi vends-tu ça ? dit le petit prince.
- C'est une grosse économie de temps, dit le marchand. Les experts ont fait des calculs. On épargne cinquante-trois minutes par semaine.
- Et que fait-on des cinquante-trois minutes ?
- On en fait ce que l'on veut...
"Moi, se dit le petit prince, si j'avais cinquante-trois minutes à dépenser, je marcherais tout doucement vers une fontaine..."

Alain Damasion reconnaît le côté pratique du GPS et de bien d’autres outils. Il nous met simplement en garde, avec des réflexions profondes et argumentées, des exemples concrets dont la voiture sans conducteur qui bugue.

Il écrit : « J’ai essayé de décoder ce que la technologie qui vient nous fait déjà, et va nous faire. »

« Je ne critique pas la technologie qu’on nous offre parce qu’elle serait inerte ou stupide, non responsive ou robotisante. Je la critique parce qu’elle nous dévitalise en nous donnant l’illusion de faire plus de choses. »

J’ai particulièrement apprécié sa remarque sur les réseaux sociaux qui nous connectent mais ne nous lient pas, sur la place du smartphone qui crée un cocon. J’ai été effarée par cet homme qui mesure la qualité de son sommeil en permanence, ne risque-t-il pas de stresser le jour où le pourcentage est moindre ? J’ai été très intéressée par le raisonnement sur les algorithmes (c’est un domaine qui m’interpelle).

« On invente puis on avise. C’est seulement ensuite qu’on cherche à savoir à quoi ça pourra servir et surtout comment faire du fric avec. »

Qu’un cadre dise ça, ça fait peur non ?

Si quelques mots de vocabulaire peuvent rebuter, l’ensemble est une lecture captivante et la nouvelle en fin d’ouvrage sera le cadeau qui fait réfléchir encore plus loin !

NB : Mon fils a un doctorat « Web Intelligence » et il vient de compléter avec un master sur la philosophie, l’histoire et l’éthique des sciences et du numérique car, comme Damasio, les débordements de l’IA et compagnie l’inquiètent et il souhaite alerter ses étudiants.
Restons vigilants.

« Ma puissance de vivre et d’agir par moi-même, avec les forces qui me traversent et avec lesquelles je danse. »


"Le Manoir aux roses" de Tracy Rees (The Rose Garden)

 

Le Manoir aux roses (The Rose Garden)
Auteur : Tracy Rees
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Jessica Shapiro
Éditions : Charleston (20 Avril 2022)
ISBN : 978-2368128015
530 pages

Quatrième de couverture

1895, Londres. Dame de compagnie d’Abigail Finch ! Pour Mabs Daley, habituée à trimer chaque jour aux canaux où elle décharge sans relâche les barges pour nourrir ses frères et soeurs, un emploi de domestique dans le quartier huppé de Hampstead est une opportunité de rêve. Mais derrière les lourdes portes de la somptueuse demeure, la jeune femme découvre un univers inquiétant.

Mon avis

Roman choral féminin et féministe, « Le Manoir aux roses » nous emmène à Londres en 1895. On suit plusieurs femmes, ou jeune adolescente (Otty a douze ans) dans leur quotidien. Mabs galère pour apporter de quoi vivre à sa grande famille ; Abigail mariée avec quatre enfants se morfond dans ses journées ; Otty, une de ses filles, aime apprendre et explorer le monde ; Olive cherche à faire le bien autour d’elle.

Elles n’ont rien en commun, ni leur éducation, ni leur milieu, ni leur façon de vivre. Pourtant, elles finiront par se croiser, se parler et vivre des choses ensemble.

Ce récit fait la part belle à l’amitié, au soutien entre « sœurs de cœur » face aux difficultés. On découvre la vie à cette époque, les difficultés pour trouver du travail, sa place, se faire accepter. On voit le mépris de certains hommes, bien trop présent dans ces années-là. Alors on peut se dire que du chemin a été parcouru même si dans certains coins de notre planète tout reste à faire.

J’ai lu ce livre d’une traite, sans m’arrêter. Je me suis attachée aux personnages, j’avais envie de voir la suite des événements. C’est fluide, agréable à lire (merci à la traductrice), sans prise de tête. Tracy Rees a adapté l’écriture en fonction de la personne qui s’exprime et c’est plutôt bien fait. J’ai également apprécié l’atmosphère bien retranscrite, sans fausse note historique.

Une lecture plaisante, assez bien documentée et avec de magnifiques portraits de femmes courageuses et battantes !

"Les Sept Soeurs -tome 7 : La soeur disparue" de Lucinda Riley (The Missing Sister)

 

Les Sept Sœurs – Tome 7 : La sœur disparue (The Missing Sister)
Auteur : Lucinda Riley
Traduit de l’anglais par Marie-Axelle de La Rochefoucauld
Éditions : Charleston (9 Juin 2021)
ISBN : 978-2368126011
784 pages

Quatrième de couverture

Maia, Ally, Star, CeCe, Tiggy et Électra. Recueillies bébés par l’énigmatique Pa Salt, les six soeurs d’Aplièse ont chacune découvert leur histoire. Mais elles ont toujours su qu’elles devraient être sept, tout comme les étoiles des Pléiades auxquelles elles doivent leurs prénoms. Nouvelle-Zélande, Canada, France, Irlande… Les six soeurs se lancent dans une quête haletante à travers le monde.

Mon avis

Dans ce livre, on découvre qui est la septième sœur avant les révélations finales (dans le dernier tome de la série). Une longue quête à travers le monde avec, comme toujours, un retour en arrière.

J’ai préféré ce les événements du passé, on sent que c’est très documenté et l’intérêt est plus important pour le lecteur. Dans le présent, le schéma de recherche m’a semblé très répétitif avec fuite et course contre la montre devant celle qui va échapper aux sœurs. J’ai trouvé l’histoire plus alambiquée, moins fluide même si ça reste très intéressant. Toutes les filles apparaissent, ça permet de se rappeler ce qu’elles ont vécu mais forcément, ça fait quelques longueurs si on n’en a pas besoin…

L’écriture est plaisante, la fidèle traductrice a fait du bon travail. Mais il m’a manqué un petit quelque chose pour être autant accrochés que dans les précédents titres. Et puis la fin laisse trop de questions sans réponse…..


"Retour après la nuit" de Bill James (Roses, Roses)

 

Retour après la nuit (Roses, Roses)
Auteur : Bill James
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Danièle et Pierre Bondil
Éditions : Rivages (15 Mars 2024)
ISBN : 978-2-7436-6258-5
380 pages

Quatrième de couverture

Lorsqu’elle fut assassinée de trois coups de couteau dans la poitrine sur un parking, Megan Harpur rentrait chez elle dire à son mari qu’elle le quittait pour un autre homme. C’était Harpur lui-même qui avait trouvé le corps de Megan aux premières lueurs de l’aube. A ce moment précis, il avait suivi la routine, il avait agi en policier, maître de ses réactions. Quand il dû annoncer la nouvelle chez lui, ses filles se préparaient pour l’école et, soudain, il redevint père et mari.

Mon avis

Bill James est un des noms de plume d’Allan James Tucker (1929-2023) qui a également écrit sous les patronymes de David Craig et de Judith Jones.

Sous le pseudo de Bill James, il a mis en scène deux personnages récurrents, le super intendant Colin Harpur et son patron Desmond Iles. Il y a trente-trois livres dans cette série, et seulement quatorze sont traduits en France. « Retour après la nuit » est le dixième mais le premier à avoir été publié par les éditions Rivages une première fois en 1998 puis en 2024.

Ce récit a été rédigé en 1995, c’est important de le savoir, pas de téléphone portable pour envoyer des textos ou passer des appels en cachette. Pourtant, Megan s’arrange pour aller à Londres assez régulièrement afin d’y retrouver son amant, Tambo. Elle rentre ensuite en soirée, assez tard, à la maison vers son mari, Colin, et ses filles. Personne n’est dupe mais la politique de l’autruche a parfois du bon. Mais cette fois-ci, c’est décidé, elle dira à son époux que c’est terminé, et qu’elle va vivre avec un autre. Après tout, les « petites » sont grandes, treize et quinze ans et elles comprendront que leur mère a besoin d’autre chose. De toute façon, elles s’en doutent et attendent probablement que les choses s’éclaircissent au plus vite. Elles en ont vraiment plus qu’assez, les secrets, les faux semblants, elles n’en veulent plus ! D’ailleurs, pour leur père, c’est la même chose. Qu’est-ce qu’il imagine ? Qu’elles ne voient rien ?

Ce jour-là, proche de Noël, Megan rentre de Londres en train comme toujours, elle a fait des achats de cadeaux et réfléchit à ce qu’elle va dire pour mettre un terme à son mariage. Mais elle n’arrivera jamais. Colin se rend en pleine nuit à la gare et découvre son cadavre à côté de son véhicule. Elle a été assassinée. Était-elle directement visée ou voulait-on le faire souffrir lui ? Ses enquêtes et ses méthodes dérangent quelques fois… Il ne peut pas, bien entendu, mener des investigations. Mais peut-il se contenter d’attendre ? Voir exposée sa vie, celle de Megan et celui qu’elle voyait en cachette ?  L’ambiance est tendue avec ses collègues, ils n’arrivent pas à communiquer, à s’écouter, voire à se faire confiance et ça ne simplifie rien.

Ce roman nous offre deux « entrées ». D’une part le présent avec Colin, ses filles, les co-équipiers, les « indics », les connaissances, qui cherchent, chacun à leur manière, à résoudre le mystère de ce meurtre. D’autre part, en parallèle, on revit la journée de Megan, on suit ses pensées, ses réflexions, notamment quelques petites choses qui la tracassaient chez son amoureux.

Un gigantesque puzzle se met en place. Colin est un spécialiste des zones d’ombre, il creuse pour cerner celle des autres, il s’applique à cacher les siennes. Il investigue sans en parler au boulot, ni chez lui. Mais les deux adolescentes de la famille, très terre à terre refusent de s’en laisser conter. Inutile de leur raconter des mensonges !

« - Un de tes rabatteurs, papa.
- Qui ?
- Ils ont des noms ? Mais en tout cas, il avait une voix d’indic. »

 Colin n’hésite pas à franchir la ligne rouge, à « s’arranger » avec la loi et la morale : dettes de reconnaissances secrètes, services rendus ou à rendre avec échanges d’informations sous le manteau. Ne pas tout écrire dans les rapports, ne pas tout dire… C’est ainsi, les policiers vivent sous pression permanente et il n’échappe pas à la règle…

Je ne connaissais pas cet auteur et cette lecture a été plus qu’agréable. J’ai apprécié l’écriture (merci pour la traduction) qui fouille les âmes, décortique les personnalités, et montre la fragilité d’un couple lorsque la profession de l’un est trop « prenante » et difficile à partager, à expliquer. J’ai aimé les raisonnements de Megan et Colin, chacun de leur côté, pour cerner les événements, finalement, c’est peut-être le moment où ils se sont le mieux compris, même si c’était trop tard !

Je vais lire d’autres aventures avec Colin Harpur !


"Quelqu'un à qui tendre la main" de Florence Clerfeuille

 

Quelqu'un à qui tendre la main
Auteur : Florence Clerfeuille
Éditions : FADM (4 novembre 2021)
ISBN: 979-1095023364
280 pages


Quatrième de couverture :

À 70 ans, Michelle vit seule depuis la mort de son mari. Son univers s’est rétréci. Pourtant, elle continue à aller de l’avant. Mais quand sa fille unique lui annonce qu’elle part vivre à l’autre bout du monde avec sa famille, ses dernières défenses s’écroulent. À 11 ans, Baptiste voit son monde s’écrouler. Plongé dans une spirale infernale, il sombre dans l’abîme. Si seulement il avait quelqu’un à qui tendre la main…

Mon avis

Ce roman met en scène, une dame veuve, Michelle, dont la fille, très occupée, vit à l’étranger avec mari et enfants. Les liens se sont distendus au fil du temps et Michelle a le sentiment de devenir transparente, même pour son chat….

Baptiste, lui, à onze ans, et sa vie n’est pas facile. Il n’arrive pas à partager ses soucis, ses problèmes…

Ce roman aborde de nombreux thèmes et si tout n’est pas totalement vraisemblable, ce n’est pas gênant. Ce qui est important c’est qu’on s’intéresse aux personnages, on a mal pour eux, on souhaite qu’ils s’en sortent. Les situations sont, le plus souvent, assez réalistes et le comportement des protagonistes également.

Ce récit nous rappelle les clés de la communication pour éviter le mal-être, la peur, les angoisses, les problèmes.

L’auteur s’empare de sujets forts, actuels, auxquels on a été confrontés ou dont on a entendu parler par d’autres personnes.

C’est avec une écriture fluide, plaisante, mêlant événements et ressentis qu’elle nous entraîne dans cette histoire pour laquelle diverses émotions nous traversent.

Une belle découverte !


"Aurec-sur-Loire" de Clélie Avit et Christophe Girard

 

Aurec-sur-Loire
Auteurs : Clélie Avit (textes) & Christophe Girard (illustrations)
Éditions : Jarjille (16 Juin 2024)
ISBN : 978-2-493649-16-4
128 pages

Quatrième de couverture

Aurec-sur-Loire est bien plus qu'un village.  C'est une histoire millénaire qui mêle des hommes et des femmes travailleurs et courageux. C'est une nature façonnée par le dernier fleuve sauvage d'Europe autour duquel une faune et une flore exceptionnelles prospèrent. Ce sont des sucs, des châteaux, des hameaux et des trésors de paysages. Ce sont des légendes et des mystères qui ont transformé des vies.

Mon avis

Aurec-sur-Loire est une bourgade située à trente minutes de Saint-Etienne.

Les deux auteurs ont relevé le défi de nous présenter cette petite ville dans toute sa diversité et avec tous ses atouts. C’est vraiment réussi tant sur le fond que la forme.

Apprécier une cité et ses environs c’est bien, savoir en parler, la connaître, donner au lecteur le souhait de s’y rendre, c’est autre chose. Clélie Avit et Christophe Girard ont fait très fort.

Ce livre se lit comme une histoire, une aventure qu’on a envie de vivre nous aussi. On parcourt les rues de cette commune dont on découvre l’historique dans le premier chapitre. Un passé riche et varié qui suscite d’emblée notre intérêt. J’ai ainsi appris l’évolution du nom et l’étymologie d’Aurec. C’est très documenté mais le texte n’est jamais rébarbatif. De plus, les dessins qui soutiennent le propos sont très fins, légers, précis et colorisés délicatement sans couleurs criardes. C’est superbe !

Dans les pages suivantes, on passe au « je », la narratrice marche et raconte, partage avec nous. On visite au gré de ses pas. On est au cœur de la nature, ou du bourg. On croise des coins plus ou moins secrets, la grotte de Mandrin, ou un lieu ouvert pour l’occasion, comme la maison du Bailli. Et là, les illustrations sont tellement détaillées qu’on croirait avoir une photo sous les yeux. Magnifique !

On commence la visite par le centre bourg puis on s’éloigne un peu, en prenant des chemins de traverse, de la hauteur pour profiter de tout ce qu’il y a à voir.

Je n’aurais jamais imaginé « voir » Aurec (que je croyais connaître) de cette façon. Tout y est ! Les murs, les habitations remarquables, le château, la faune, la flore, les paysages, l’atmposhère … On est en pleine immersion !  Tout m’a intéressée. Je pense que l’équilibre textes / dessins est excellent. Le patrimoine est riche, il avait déjà été mis en valeur, en partie, par « Les amis du vieil Aurec » mais là, il est sublimé.

Guide illustré, carnet de voyage, feuille de route (on peut partir en randonnée), … , autant de qualificatifs pour décrire un livre qui sort de l’ordinaire et qui plaira à beaucoup !

Le maire d’Aurec-sur-Loire a accompagné ce projet, le portant avec les auteurs et l’éditeur, bravo à tous !


"Liberté" de Paul Eluard

 

Liberté
Auteur : Paul Éluard
Illustrateurs : Cécile Gambini, Martin Jarrie, Noushin Sadeghian et quinze autres
Éditions : Rue du monde (31 mai 2024)
ISBN : 978-2355047664
54 pages

Quatrième de couverture

Ce poème, écrit et édité clandestinement en pleine Seconde Guerre mondiale, est un chant puissant contre la barbarie nazie, mais il est surtout un hymne universel à notre soif de liberté. Comme dans un miroir, chacun peut y lire ses propres rêves, à la manière des 15 illustrateurs qui nous offrent les leurs dans cet album. Avec un dossier documentaire sur Paul Éluard et son poème, illustré par de nombreuses photographies.

Mon avis

Un poème et dix-huit illustrateurs pour un album magnifique, unique ! Vendu dans le cadre de livre de l'opération l'Été des bouquins solidaires, en collaboration avec le Secours populaire.

« Liberté » de Paul Éluard est LE poème qui m’a fait aimer la poésie, j’ai les œuvres complètes de cet auteur. Ses textes me parlent, me plaisent, m’interpellent.

Quand ce recueil a croisé ma route, il était inimaginable qu’il ne finisse pas dans ma bibliothèque.

Sur chaque double page, un, deux ou trois paragraphes du poème illustré à chaque fois par un artiste différent. Cela peut être du collage, de l’aquarelle, des fusains, de l’acrylique, de l’encre, de la peinture au pinceau, au couteau, etc … En fin d’ouvrage chacun des participants est présenté en quelques lignes, c’est vraiment un plus ! Les styles sont très différents et c’est intéressant de découvrir la résonnance que les mots ont eu pour chaque intervenant-e et comment il ou elle l’a exprimé.



Un dossier documentaire, très référencé, de huit pages sur l’auteur complète ce beau livre. Il y a des photographies sépia, quelques lignes pour expliquer sa vie, ses choix et surtout la fabuleuse histoire de « Liberté », ce texte publié clandestinement, parachuté par les avions de la Royal Air Force sur la France occupée.

Il a été publié avec un autre titre (pour déjouer la censure) en juin 1942 à Alger. Le responsable de la revue qui trouvait pénible les répétitions « j’écris ton nom », n’a pas lu jusqu’au bout, persuadé que c’était une célébration de l’amour et il a mis le tampon « approuvé ». Une fois imprimé, il a réalisé que le message était plutôt porteur de résistance…

En France, ce sont les éditions de la Main à la Plume qui l’ont fait paraître en l’antidatant pour éviter une nouvelle fois tout problème.

Un extrait :

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable, sur la neige
J’écris ton nom…

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer : LIBERTÉ

J’ai, chaque année scolaire, fait apprendre tout ou une partie de Liberté à mes élèves. Les mots employés sont universels, ils seront toujours d’actualité car, malheureusement certains doivent encore lutter pour préserver leur-s liberté-s.


"La cité des nuages et des oiseaux" d'Anthony Doeer (Cloud Cuckoo Land)

 

La cité des nuages et des oiseaux (Cloud Cuckoo Land)
Auteur : Anthony Doerr
Traduit de l’américain par Marina Boraso
Éditions : Albin Michel (14 septembre 2022)
ISBN : 978-2226461537
704 pages

Quatrième de couverture

Un manuscrit ancien traverse le temps, unissant le passé, le présent et l'avenir de l'humanité. Avez-vous jamais lu un livre capable de vous transporter dans d'autres mondes et à d'autres époques, si fascinant que la seule chose qui compte est de continuer à en tourner les pages ?

Mon avis

Une cité dans les nuages. Un âne devant la mer. Un récit qui contient la totalité du monde. Et mêle les mystères qui se trouvent au-delà.

C’est un long récit aux multiples entrées qui s’emboîtent dans une parfaite cohérence, le tout relié par un ouvrage dont on a régulièrement des extraits. Le tout sans longueur, ni temps mort. Ce roman est un livre exceptionnel. Pourquoi ?

En premier lieu, la couverture magnifique donne envie de pénétrer dans l’univers ainsi représenté : les livres, la nature (avec les oiseaux et les nuages) et un « passage » dans lequel on veut se glisser pour découvrir tout ça …

Et en second lieu, le contenu. On suit cinq personnages sur huit siècles et chacun trouve du réconfort dans un livre (fictif) écrit en grec par Antonius Diogène au IIe siècle. Il raconte l'histoire d'Aethon, un berger en quête de paradis. Ce texte a été malmené, et a malgré tout traversé le temps, puisque le personnage du futur (Konstance au 22ème siècle, en route vers une nouvelle planète) en aura également connaissance.

Ceci nous amène à la question de la transmission. Combien d’écrits disparus, retrouvés en partie ou pas du tout, existent sur notre terre ? Sous quelle forme ?

Qu’ils habitent le passé, le présent ou le futur, les protagonistes ont ce point commun d’être fascinés par le conte parlant d’Aethon, qui essaie plusieurs méthodes pour arriver vers l’Eden. Chacun d’eux vit son quotidien avec ses passions, ses traumatismes, ses difficultés … Tous croient en l’amour qui peut abattre des frontières. Chaque histoire est intéressante, située dans un contexte riche, soigneusement pensé et orchestré.

Quel que soit le genre, historique, contemporain ou science-fiction, l’écriture (merci à la traductrice) est fluide, captivante et adaptée à l’époque. L’auteur aborde à travers son œuvre de nombreux thèmes : la nécessité de préserver la nature, le racisme, les progrès à mesurer et peut-être à tempérer, l’écologie, l’entraide et le respect, et bien d’autres encore. Mais en fil conducteur, il célèbre les mots, la littérature qui passe et reste à travers les années qui défilent. Cette littérature qui peut unir les hommes, les faire rêver et leur offrir un espace à eux …

Je suis profondément admirative de toutes les recherches entreprises en amont par Anthony Doerr ainsi que pour le travail de rédaction de ce recueil qui est absolument réussi, porteur de sens et original sans être décalé.

Un coup de cœur !

"Veilleur de nuit" d'Emil-Julian Sude (Paznic de noapte)

 

Veilleur de nuit (Paznic de noapte)
Auteur : Emil-Iulian Sude
Traduit du roumain par Gabrielle Danoux
Éditions : Maïa (11 Avril 2024)
ISBN : 9791042504397
84 pages

Quatrième de couverture

La poésie d’Emil-Iulian Sude se définit par un mélange organique d’ironie et d’auto-ironie avec une méditation spirituelle, une quête de soi, des préoccupations pour les droits de l’homme et la contestation de toute forme de discrimination.

Mon avis

nos cœurs de veilleur de nuit battent
d’amour.

Emil-Iulian Sude est l'un des premiers poètes d'origine rom écrivant en roumain à avoir eu de nombreuses récompenses pour ces écrits.

Je sais pertinemment que la poésie « ne parle pas » à tout le monde, qu’on peut aimer certains textes et pas d’autres ou carrément détester toutes formes de poèmes.

Ce recueil que je viens de découvrir est une œuvre subtile où l’auteur passe régulièrement du « nous » au « je ». C’est dire s’il se sent concerné par ce qu’il évoque. On se rapproche parfois de sa vie, de ses souvenirs, de son enfance, de ses errances puis il prend un peu de recul et parle de ceux qu’il côtoie, qu’il observe…

Avec des mots choisis, il partage des galères, des petits bonheurs, des coups de gueule, des coups de cœur …  C’est âpre, rugueux, douloureux, on prend tout ça en pleine face.

« Nous avons un colossal désir de vivre »

écrit-il. Et pourtant les conditions de vie ne sont pas agréables pour ceux qui luttent chaque jour pour s’en sortir. On sent la révolte sous les mots, mais jamais on ne lit de plaintes.

« Nous restons sans travail en plein hiver
mais nous ne nous plaignons guère. pour nous toujours
il y aura quelque chose à garder, nous bâtissons
nous-mêmes un objectif à garder »

J’ai pensé à la traductrice (que je remercie). Comment choisir chaque mot pour que le message, la musicalité de chaque ligne soit celui et celle que souhaitait l’auteur ? Je pense qu’il faut déjà bien le connaître, le comprendre pour transmettre ce qu’il a voulu exprimer. En tout cas, bravo !

J’aime que les mots volent et virevoltent, qu’ils me fassent rêver, qu’ils me portent et m’emportent dans un autre monde, même s’il est un peu sombre… on y trouve toujours des lucioles pour offrir une pointe de lumière et laisser celle-ci dans les yeux de la lectrice que je suis.


"Plus fort que la nuit" de Frédéric Lepage

 

Plus fort que la nuit
Auteur : Frédéric Lepage
Éditions : Taurnada (12 Septembre 2024)
ISBN : 978-2372581356
390 pages

Quatrième de couverture

En arrivant à New York, Lana Harpending, cavalière hors pair et nouvelle recrue de la police montée, ne s'attendait pas à tomber doublement amoureuse. D'abord, de son camarade de patrouille, Paul, qui va se retrouver au centre d'une affaire criminelle effroyable. Mais aussi du cheval qui lui est attribué, un appaloosa nommé Éridan, caractériel selon la rumeur, et dont elle parvient peu à peu à gagner la confiance.

Mon avis

"Elle va lui dire que la vie continue, que la grande ville ne croquera pas son âme […]
Il va lui dire qu’il ne veut plus la voir s’étioler comme une clématite qui agonise quand le vent d’été se lève. [..] Il va lui dire qu’elle doit tracer sa voie […]

Parce qu’elle a besoin d’autre chose, Lana quitte son père et son frère ainsi que les grands espaces pour un travail dans la police montée en ville, à New-York. C’est une excellente cavalière et ce nouveau job a tout pour lui plaire. Elle fait équipe avec Paul et surtout avec Éridan, un appaloosa. Ces chevaux sont connus pour leur docilité et leur bon tempérament le plus souvent. Mais on la prévient, le sien semble caractériel alors qu’elle se méfie !

Lana aime les équidés et ne tarde pas à se sentir en lien avec lui malgré son caractère. Et surtout, avant de juger, voire de critiquer, elle essaie de le comprendre, de l’apprivoiser. Plus elle sera proche d’Éridan, plus il sera stable, crédible et bonne monture ! Elle donne son temps, son énergie, mais surtout son amour, sa tendresse, à cet animal. Cette relation quasi fusionnelle qu’elle établit avec lui est superbement décrite. Frédéric Lepage centre une grande partie de son récit sur cette osmose, ce qui offre une autre entrée dans ce roman policier.

J’ai trouvé cela très fort et très intéressant. Souvent pour les polars ou les thrillers, afin de compléter enquête et investigations, on suit les amours, les ennuis, la vie personnelle des personnages. Là, c’est différent car il s’agit d’un animal et même si on n’est pas passionné d’équitation (ce qui est mon cas), on est accrochés par ce que Lana et Éridan vivent ensemble. Et je n’hésite pas une seconde à écrire que c’est magnifique.

Je pense que l’écriture de Frédéric Lepage est particulièrement puissante et porteuse de sensibilité, d’humanité, de douceur. Le rythme ralentit dans notre cœur lorsqu’il présente ce que ces deux-là mettent en place pour qu’une complicité, une écoute, se tissent. On ferme les yeux, on entend les sabots, les chuchotements, les images défilent …. Tous ces passages sont à la fois forts et délicats. C’est très émouvant.

Et puis, à côté, il y a le travail de recherches pour une affaire criminelle. Lana est opiniâtre, elle ne lâche rien, veut comprendre mais elle énerve et parfois dérange avec son côté têtu. Heureusement quelques collègues l’apprécient et la soutiennent. Il n’en reste pas moins que ce n’est pas aisé. Il y a des rebondissements, des ramifications, des faux semblants, des menteurs, du suspense… Notre intérêt ne faiblit pas même si cet aspect de la lecture est plus « classique ».

J’ai été littéralement bluffée et enthousiasmée par ce recueil, par le style de l’auteur. Son phrasé m’a séduite, envoutée, certaines phrases dégagent de la poésie. Il y a une atmosphère « palpable » dans toute l’histoire, on passe par diverses émotions et c’est une réussite tant par le fond que la forme !

"Tu seras mienne" de Peter James (I Follow You)

 

Tu seras mienne (I Follow You)
Auteur : Peter James
Traduit de l’anglais par Maït Foulkes
Éditions : Fleuve (12 Septembre 2024)
ISBN : ‎ 978-2265155664
450 pages

Quatrième de couverture

Pour tous, le docteur Marcus Valentine possède une vie idéale. Une femme aimante, trois enfants, un excellent poste, un charme dévastateur. Un matin, alors qu'il se rend au travail en voiture, perdu dans ses pensées, il manque de heurter une joggeuse sur un passage piéton. La jeune femme poursuit sa course, mais Marcus reste bouche bée. Elle est le portrait craché d'une fille dont il était fou amoureux à l'adolescence. Une fille qu'il n'a jamais réussi à oublier.

Mon avis

Marcus Valentine a tout pour être heureux. Une femme, deux enfants et un poste de chef de service en clinique. Sa mère, instable, était toujours en retard et il a développé un côté obsessionnel pour les montres, horloges et pendules qui doivent être en phase à la seconde près. Tout pour lui est une question de timing.

Au travail, c’est quelqu’un de reconnu pour ses compétences, son sérieux. Les collègues n’hésitent jamais à lui demander conseil. Pas de failles, est-il parfait ? On le sait les apparences sont parfois trompeuses. Son épouse reconnaît que ses idées fixes sur le rangement, le temps, la perfection, sont parfois poussées à l’extrême, comme quelqu’un qui aurait des traits autistiques. Quand ils se sont rencontrés, elle trouvait ça plutôt bien, voire amusant. Maintenant, il arrive que ce soit un peu trop et que ça l’énerve. Mais globalement ça va.

Jusqu’à ce jour, où la Porsche de Marcus manque de renverser une jeune femme faisant son jogging. Elle ressemble à une fille dont il a été amoureux. Il a envie de la revoir mais comment faire ? Commence alors une nouvelle marotte : tout savoir d’elle, la rencontrer souvent puis pourquoi pas « et plus si affinités » ? Ne lui a-t-elle pas lancé un regard éloquent laissant supposer qu’il l’intéresse ?

Certains lecteurs ne manqueront pas de souligner quelques coïncidences un peu « grosses » mais l’intérêt de ce roman n’est pas là. Il est dans la façon dont un esprit tourmenté, obsédé fonctionne. Marcus se « fait des films », ne pense plus qu’à cette femme et il est prêt à tout pour la faire rentrer dans sa vie. La folie est là, sous-jacente et l’auteur montre à la perfection, les dérives qu’elle entraîne ou pas.

J’ai apprécié la psychologie des personnages, le fait qu’un médecin estimé de tous, ne puisse qu’être irréprochable et que ceux qui émettent des soupçons ne peuvent que se tromper. D’ailleurs Marcus est sans doute simplement très pointilleux, très soucieux des autres, notamment lorsqu’il doit les suivre pour leur santé, n’est-ce pas ?

L’écriture (merci à la traductrice) est très fluide, prenante, on veut connaître la suite des événements. On est accroché par le récit car sans cesse, on se questionne. Jusqu’où peut aller Marcus ?

Les événements s’enchaînent sans temps mort pour notre plus grand plaisir !

Un livre à découvrir !

"Et vous passerez comme des vents fous" de Clara Arnaud

 

Et vous passerez comme des vents fous
Auteur : Clara Arnaud
Éditions : Actes Sud (23 Août 2023)
ISBN : 978-2330182250
390 pages

Quatrième de couverture

Gaspard, un berger pyrénéen, s’apprête à remonter en estive avec ses brebis, hanté par l’accident tragique survenu la saison précédente. Dans le même temps, Alma, une jeune éthologue, rejoint le Centre national pour la biodiversité, avec le projet d’étudier le comportement des ours et d’élaborer des réponses adaptées à la prédation.

Mon avis

Clara Arnaud s’est installée dans les Pyrénées pendant quelque temps avant d’écrire son roman. Elle a également beaucoup voyagé, souvent seule, partout dans le monde pour s’imprégner de nature et de grands espaces.

Dans son livre, trois histoires s’entremêlent (on passe de l’un à l’autre) mais ne se croisent pas vraiment.

Jules en 1883, vole un ourson dans sa tanière. Son but ? Devenir saltimbanque aux Etats-Unis. Montreur d’ours, gagner de l’argent et vivre une vie extraordinaire.

Gaspard, lui s’est installé récemment (avec femme et enfants) comme berger en laissant un métier et une situation stable derrière lui. Pour la transhumance, il part seul avec à peu près cinq cents brebis. C’est un besoin, une bouffée d’air indispensable, parfois difficile à comprendre pour son épouse. Il surveille les ours car il a peur pour son troupeau. En parallèle, il accepte et comprend leur présence.

Alma, docteur en biologie comportementale, fait des relevés en montagne sur le suivi des ours. Les habitants ne voient pas tous sa présence d’un bon œil, à elle de se faire discrète.

Trois mondes différents, tous unis par la montagne et les ours qui tiennent lieu de personnages principaux. Parce que le fil conducteur est là, la nature sublime et sublimée par le style de Clara Arnaud et ce plantigrade doux ou effrayant, tendre ou violent, mais tellement charismatique...

De nombreux thèmes sont abordés, avec intelligence, culture et délicatesse. La réintroduction des ours et la cohabitation avec l’homme, les conflits que cela entraîne, les différents points de vue (parce que les gens du coin n’ont pas envie que l’ours mange leurs bêtes), la place de la nature dans notre vie, celle qu’on lui donne, celle qu’on pourrait lui donner, la nécessité de continuer à s’émerveiller, de protéger ce que l’environnement nous offre etc. C’est un récit assez complet, bien documenté.

Un souffle épique, raffiné, poétique, porte ce recueil et on le referme avec des images plein les yeux….

Je ne résiste pas à partager le poème :

« Nous étions en paix comme nos montagnes
Vous êtes venus comme des vents fous.

Nous avons fait front comme nos montagnes
Vous avez hurlé comme les vents fous.

Éternels nous sommes comme nos montagnes
Et vous passerez comme des vents fous. »

 « Impromptu » de Hovhannès Chiraz


"Ces montagnes à jamais" de Joe Wilkins (Fall Back Down When I Die)

 

Ces montagnes à jamais (Fall Back Down When I Die)
Auteur : Joe Wilkins
Traduit de l‘américain par Laura Derajinski
Éditions : Gallmeister (5 Mars 2020)
ISBN : 978-2-35178-194-4
320 pages

Quatrième de couverture

Depuis la disparition de son père en plein cœur des Bull Mountains, il y a plusieurs années, et le décès récent de sa mère, Wendell Newman vivote de son salaire d’employé de ranch sur les terres qui appartenaient autrefois à sa famille. Comme un rayon de soleil débarque alors dans sa vie aride le petit Rowdy Burns, fils d’une cousine incarcérée, dont on lui confie la garde.

Mon avis

Sombre et envoutant

Wendell est ouvrier agricole. Son père n’est plus là, disparu depuis quelques années et sa mère vient de mourir. Elle a été très malade et il consacre l’essentiel de son salaire à rembourser les frais médicaux. Il vivote et ne rencontre pas grand monde. Il est assez solitaire.

Voilà que débarque dans sa vie, Rowdy, sept ans, mutique et porteur de caractéristiques autistiques. Ce petit garçon est « dans son monde », supporte difficilement les autres enfants, peut faire des crises assez fortes. D’abord désarçonné, Wendell finit par s’attacher à ce petit et un lien solide se tisse entre eux.

On est dans l’Est du Montana, les hommes doivent être des hommes et parfois ne s’affirment qu’avec la violence. Il est interdit de tuer les loups, mais s’ils menacent vos bêtes, il faut agir non ? La nature tient une bonne place dans ce roman, elle est parfois rude avec ceux qui y vivent. L’auteur nous en parle avec intensité.

On fait connaissance avec Gillian, une enseignante qui élève sa fille toute seule. Elle se retrouve avec une classe qu’elle ne souhaitait pas et fait tout pour aider ses élèves à progresser. On découvre également des extraits d’un journal intime.

On a donc trois « entrées » dans ce livre. Les routes se croiseront-elles ? Et de quelle façon ?

Ce récit est bouleversant. On sent que la situation est difficile pour Wendell mais on espère qu’il va trouver des solutions, des alliés. De petites lueurs nous permettent d’y croire. Et puis l’air devient plus lourd, plus pesant, le danger rode mais n’est pas encore présent. Il se rapproche, notre cœur se serre. On craint une tragédie …

L’écriture (merci à Laura Derajinski pour la traduction) est poétique, puissante.  Chaque phrase est lourde de sens. L’atmosphère qui oscille entre brusquerie, tendresse, peur, partage, est parfaitement retranscrite. On s’attache à ces personnages cabossés par la vie, pas toujours maître de leur destin. On s’interroge sur leur avenir, trouveront-ils la paix ? Et si oui, sous quelle forme ?

« Peut-être que c’est nous les fantômes et que la terre porte le deuil à notre départ. »


J’voulais naître gamin de Francesca Maria Benvenuto (L’amore assaje)

 

J’voulais naître gamin (L’amore assaje)
Auteur : Francesca Maria Benvenuto
Traduit de l’italien par Audrey Richaud
Éditions : Liana Levi (5 Septembre 2024)
ISBN : 9791034909582
160 pages

Quatrième de couverture

Du coup, moi c’est Zeno. J’suis coffré, à Nisida, la prison pour mineurs. J’ai chopé une peine, com’ tous les gamins ici, sauf que la mienne, elle est grosse com’ça! Et j’vous dis pas combien j’ai pris eh, parce que j’ai peur qu’ça vous choque après. Une prof ici, en taule, m’a promis que si j’écris, elle en touchera deux mots au directeur pour qui me file la permission de sortie à Noël, parce que maman est disponible pour me prendre deux jours.

Mon avis

J’suis né juste erroné.
Mais malheureusement, mon cœur est correct.

On est à 1991. Zeno a quinze ans, à cet âge, on ne devrait pas être en prison mais il y est parce qu’il a déjà agi comme les grands. Il est devenu adulte très vite, trop tôt, à dix ans, lorsque son père a fini en prison et que sa mère s’est prostituée pour gagner de quoi vivre et manger. Alors Zeno a dérivé du droit chemin lui aussi et quand ça a dégénéré, il s’est retrouvé derrière les barreaux. Il est à Nisida (une prison pour mineurs). Il a promis à son professeur d’italien de « se raconter ». En échange, elle fera tout pour qu’il ait une permission à Noël.

Et nous on découvre son histoire. C’est un gamin des rues, alors il s’exprime comme il peut, avec ses mots à lui, son franc parler, ses expressions, son dialecte (cela n’a pas dû être facile pour la traductrice, merci à elle). Il présente sa vie d’avant, son quotidien, ses journées.

« Nous on s’dérouille pour se sentir moins coffrés et plus dehors, comme avant d’arriver ici. »

Pour lui, il n’a pas eu le choix, c’était la continuité de tomber dans les magouilles, de tricher, de voler pour subsister. Comme une « marque de fabrique »…

« Les gens naissent au hasard et personne décide rien du tout. […] j’suis né d’une pute et de mon père. […] J’sais pas si on pourra devenir aut’chose qu’eux, quand on sera grands et qu’on aura grandi. »

On comprend qu’une espèce de fatalité l’a poursuivi, enfin c’est ce qu’il dit.

On pourrait penser qu’avec un tel phrasé, on va rester dans le « superficiel » et que ce roman n’apportera pas grand-chose. Et bien détrompez-vous ! Les remarques et réflexions de Zeno sont très pertinentes, il se pose les bonnes questions.

« J’sais pas moi si quand on aime quelqu’un, après l’autre est obligé d’aimer aussi, ou si y’a une loi qui l’interdit. »

Maintenant qu’il n’est plus un voleur, il se demande s’il « existe » encore.

« C’est pas l’business qui me manque, c’est d’être quelqu’un. »

Zeno essaie de rester « vivant » au sens où écrire et partager lui permet de l’être, mais que fera-t-il après ? Est-ce qu’il a encore moyen d’espérer ?

Cet opus m’a beaucoup plu par sa « fraîcheur », son côté « original » . Il y a des propos graves présentés avec une certaine forme de naïveté puisque, même s’il a grandi trop vite au niveau des responsabilités et des « bêtises », Zeno est encore un enfant dans sa tête. Il est tellement attachant !

 

Pour compléter : L’auteur a expliqué que sa mère avait eu une courte expérience de travail dans une prison et qu’elle racontait quelques anecdotes mais ce n’est pas ce qui l’a inspirée. Elle a elle-même côtoyé des mineurs emprisonnés et mis les pieds dans les maisons d’arrêt mais elle ne pensait pas à écrire. Et puis, en 2021, sa maman a reparlé de ses souvenirs et là, Zeno s’est imposé à elle. Sa « voix » lui soufflait le texte et c’était parti ! J’ai voulu citer la genèse de ce livre car on peut se demander comment elle a eu l’idée d’un tel écrit.

"Le guérisseur" de M.W. Craven (The Curator)

 

Le guérisseur (The Curator)
Une enquête de Washington Poe -Tome 3
Auteur : M.W. Craven
Traduit de l’anglais par Sebastian Danchin
Éditions : L’Archipel (5 Septembre 2024)
ISBN : 978-2809848731
432 pages

Quatrième de couverture

La dernière chose à laquelle on s'attend en déballant un cadeau, c'est bien de trouver à l'intérieur des fragments de corps humain... Bientôt, d'autres doigts sectionnés, accompagnés du même code cryptique, sont découverts dans des lieux aussi insolites que l'étal d'un boucher ou les fonts baptismaux d'une église. Face à ce jeu de pistes aussi macabre que déroutant, Washington Poe, de la National Crime Agency, pourra de nouveau compter sur Tilly Bradshaw, geek atypique, pour démêler les fils d'une enquête à double détente.

Mon avis

Troisième enquête de Washington Poe et je dois dire que l’auteur monte en puissance ! Cette lecture est un excellent thriller comme je les aime.

Tout commence avec la petite fête du sapin de Noël d’une entreprise. Le genre de soirée où chacun doit apporter un cadeau pas trop cher pour un ou une autre collègue. C’est d’ailleurs le cas de Craig qui s’est arrangé pour tirer au sort Barbara dont il est amoureux. Dans le paquet enrubanné, un mug dans lequel il a déposé une bague de fiançailles, l’occasion pour lui de déclarer son amour à sa belle. Sauf que ce qui devait être une magnifique déclaration va se révéler être un pitoyable fiasco. En cause ? Deux doigts humains en lieu et place de l’anneau ! Berk… et brrr ……

Washington Poe et ses collègues, notamment Tilly Bradshaw, une jeune femme geek et autiste asperger aux raisonnements exceptionnels, doivent mener les investigations. Et les choses se corsent rapidement quand d’autres doigts sont découverts. À qui appartiennent-ils, pourquoi et comment ont-ils été prélevés (sur des morts ou des vivants ?), y-a-t-il un lien entre ces trois affaires ? Est-ce la même personne qui agit dans l’ombre et si oui, quel est le but poursuivi ?

C’est une intrigue très travaillée mais très claire à suivre que propose l’auteur, c’est particulièrement réussi. On part sur une piste, persuadé d’avoir cerné l’essentiel, avant qu’un élément déstabilise nos convictions. C’est très prenant, totalement addictif. Comme c’est le troisième titre que je lis avec les mêmes personnages, j’ai eu le plaisir de les voir évoluer, entre autres la relation entre Washington et Tilly. Ils se comprennent, se protègent et se complètent ! Ils ne réfléchissent pas de la même manière mais ils savent parfaitement s’écouter, accepter les idées de l’autre, en retirer ce dont ils ont besoin pour avancer. Leurs dialogues, où Tilly est sans filtre (du fait de sa particularité) ont un côté « amusant » parfois et c’est une bonne chose car cela apporte un peu de légèreté dans un ensemble plutôt sombre car la peur est bien présente.

Le lien entre ces deux personnages que tout pourrait opposer, est d’ailleurs un point fort de ce roman. Je les aime beaucoup, probablement parce que je les comprends tous les deux. Ils ont un côté sauvage et solitaire, limite asocial, ils ne cherchent pas la compagnie mais se dévouent à leur travail sans compter, prêts à tout pour réussir. Et ça leur convient de vivre comme ça !

Quant aux événements qui se succèdent, avec leur lot de rebondissements, on s’interroge rapidement sur qui manipule qui. Ce n’est pas évident, que penser, que croire ? C’est vraiment réfléchi, bien pensé, parfaitement agencé. Le profil psychologique des protagonistes est étoffé, pour que leurs décisions coulent de source.

L’écriture (merci à Sebastian Danchin pour la qualité de ses traductions) est captivante, dosant d’une façon équilibrée, le suspense, les descriptions, les dialogues… Il n’y a pas de lourdeur, de longueur, on est à fond dedans.

M.W. Craven se bonifie de récit en récit. J’ai été scotchée par ce que j’ai découvert au fil des chapitres. Et la fin, la fin, que dire ? J’en ai encore des frissons….

"L’Invisible Madame Orwell" d'Anna Funder (Wifedom)

 

L’Invisible Madame Orwell (Wifedom)
Auteur : Anna Funder
Traduit de l’anglais (Australie) par Carine Chichereau
Éditions : Héloïse d'Ormesson (5 Septembre 2024)
ISBN : 9782350879338
496 pages

Quatrième de couverture

Femme oubliée de George Orwell, Eileen O'Shaughnessy a façonné la vie et l'œuvre de ce dernier. En s'appuyant sur ses lettres à sa meilleure amie, récemment découvertes, ce roman revisite le mariage des Orwell de la guerre civile espagnole à la Seconde Guerre mondiale à Londres. Levant le voile sur leur vie privée, il éclaire le rôle de cette épouse-modèle et la condition des femmes à l'époque.

Mon avis

Éric Blair, plus connu sous son nom de plume George Orwell, avait une femme : Eileen O'Shaughnessy. Il semble l’avoir oublié, elle est devenue quasiment invisible.

Anna Funder, fascinée par l’écrivain, a donné vie à cette épouse qui a eu un rôle important dans le quotidien et les écrits de son mari. Son texte est émaillé d’extraits de lettres qu’Eileen envoyait à sa meilleure amie, de photos en noir et blanc, de réflexions personnelles (entre autres, parce qu’elle met sa vie en parallèle avec celle de la compagne délaissée pour parler de la condition d’écrivain, de conjointe ….).

Peut-on parler de biographie romancée ? Sans doute, car, même si elle s’appuie sur une documentation très fournie, c’est elle qui interprète ce qu’elle découvre. Le mariage de ces deux là a été une affaire de hasard, ils ont connu la guerre civile espagnole, la seconde guerre mondiale. Toute dévouée à son époux, Eileen était prête à tout : le suivre partout (même sur le front), l’accompagner, lui souffler des idées… Seule la première année de leurs noces semble avoir été heureuse. Lui avait d’autres préoccupations (infidélités nombreuses, voire, d’après certains attirance pour les hommes). Ce qui est sûr, c’est que sa compagne de tous les jours n’était pas sa priorité.

«…Orwell lui-même a effacé ou rejeté dans l’ombre toutes les femmes qui sont intervenues dans sa vie. »

En sortant Eileen du placard, l’auteur l’a mise en lumière, lui rendant de la prestance et un certain statut. Elle s’est énormément renseignée, remettant bout à bout tout ce qu’elle a appris. Eileen a tout fait : l’entretien de la maison, le secrétariat, l’aide-médicale …. Et tout ça dans l’ombre !

Pourquoi n’apparaît-elle pas dans d’autres livres présentant la vie d’Orwell ? A-t-il, en accord, avec les biographes, demandé et choisi de la laisser « invisible » ? Anna s’interroge et partage son ressenti avec nous.

Son écriture est fluide (merci à la traductrice), son propos passionnant car on découvre l’autre face du grand Orwell…

Ce recueil nous permet de mieux connaître Eileen, de l’apprécier à sa juste valeur. C’est plaisant à lire. La mise en miroir Eileen / Anna ne m’a pas toujours convaincue mais ça n’a pas gâché ma lecture !


"Maniac" de Benjamin Labatut (Maniac)

 

Maniac  (Maniac)
Auteur : Benjamin Labatut
Traduit de l’anglais (Chili) par David Fauquemberg
Éditions : Grasset (4 Septembre 2024)
ISBN : 9782246833437
450 pages

Quatrième de couverture

John von Neumann a posé les bases mathématiques de la mécanique quantique, inventé la théorie des jeux, créé le premier ordinateur moderne et joué un rôle clé dans le projet Manhattan, la construction de la bombe atomique américaine. Mais lorsque, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il conçoit le MANIAC, une calculatrice qui selon ses mots «  saisirait la science à la gorge en libérant une puissance de calcul illimitée  », personne ne se doute que le monde est sur le point de changer pour toujours. Car le MANIAC, produit d’un esprit logique, cynique et visionnaire, ouvre les perspectives infinies de l’intelligence artificielle – à même de menacer la primauté de l’espèce humaine.
Benjamín Labatut place von Neumann au centre d’un roman qui débute avec Paul Ehrenfest, physicien autrichien et ami d’Einstein devenu fou après avoir compris que la science et la technologie allaient devenir des forces tyranniques. MANIAC se conclut une centaine d’années plus tard, au cœur d’une partie de Go entre le Maître sud-coréen Lee Sedol et AlphaGo, un programme d’intelligence artificielle. Le monde assiste alors à la naissance d’une forme d’intelligence encore hybride et capricieuse, qui se trompe, mais agit aussi par inspiration pure. Et d’autres suivront, toujours plus puissantes, toujours plus terrifiantes…
Triptyque inquiétant sur les rêves du XXe siècle et les cauchemars du XXIe, MANIAC entraîne le lecteur dans les labyrinthes de la science moderne et lui laisse entrevoir l’obscurité qui la nourrit. Un roman vertigineux sur les limites de la pensée et les délires de la raison.


Mon avis

Maniac est un roman flamboyant.

Benjamin Labatut y présente ce qui s’apparente à une biographie romancée de John von Neumann, mais il parle également de Paul Ehrenfest, de l’histoire de l’intelligence artificielle, du jeu de Go, de la physique quantique.

C’est fascinant, captivant, enthousiasmant car il a une écriture tellement fluide (merci au traducteur) que tout cela, malgré certains propos scientifiques ardus, semble couler de source et être à notre portée.

Une des grandes forces de ce texte est sa construction avec des interventions de ceux qui ont côtoyé John (comme s’ils répondaient à des questions dans un entretien) et qui parlent de lui ; des passages en italiques pour nous apporter des informations réelles importantes, des photos, des questionnements, des éléments pour mieux connaître la physique quantique, l’informatique…

John von Neumann est un homme à part. Il a appris à lire facilement, a « ingurgité » des notions mathématiques sans aide, etc …Il a participé à des projets sur l’arme nucléaire, sur la création de l’ordinateur MANIAC (« il savait que le vrai défi n’était pas de construire ce truc mais de lui poser les bonnes questions dans un langage intelligible pour la machine. ») C’est quelqu’un d’exceptionnel ; complet, complexe, déterminé.

« Nous lui devons tellement.
Parce qu’il ne nous a pas seulement fait don de l’avancée techonologique la plus importante du XX ème siècle.
il nous a légué une partie de son esprit. »

C’est comme s’il avait permis aux autres de raisonner autrement ! C’est fabuleux !

Dans la dernière partie, le jeu de Go est mis en exergue.  Lee Sedol, grand maître de cette discipline, perd contre un ordinateur en plusieurs manches. La machine peut-elle prendre le pas sur l’homme ? On peut s’interroger sur le pourquoi de cette partie, du lien avec le reste. Le jeu de Go est à la fois simple et complexe, tout à fait comme le langage binaire qui permet pourtant de grandes choses, non ?

L’auteur a écrit une fiction en partant de faits réels, il nous présente le fonctionnement de l’esprit de certains chercheurs, il cerne leur personnalité et leurs difficultés quand les recherches auxquelles ils se consacrent trouvent des limites.

Pour moi, un recueil à part, riche et qui m’a emportée !

S’il fallait mettre un bémol à ce livre, c’est peut-être le fait que la multitude des intervenants oblige le lecteur à bien cerner qui s’exprime.


"Avec l’espoir pour horizon" d'AnneMarie Brear (A Distant Horizon)

 

Avec l’espoir pour horizon (A Distant Horizon)
Auteur : AnneMarie Brear
Traduit de l’anglais par Anne-Judith Descombey
Éditions : L’Archipel (22 Août 2024)
ISBN : 978-2809848625
354 pages

Quatrième de couverture

Irlande, 1851. Depuis que la maladie de la pomme de terre a frappé le pays, les paysans crient famine. Comme nombre de métayers, Ellen Kittrick et son mari peinent à nourrir leurs enfants et craignent de perdre leur toit. Touchée par des drames successifs, la jeune femme choisit l'exil.

Mon avis

1851, la grande famine irlandaise est là. Beaucoup de familles d’agriculteurs, qui cultivaient la pomme de terre, se retrouvent sans ressource. Une maladie s’est déclarée sur les plants et personne ne trouve de solution. Il faut lutter sans cesse pour gagner quelques sous, afin de payer le loyer, faire manger les enfants, se chauffer, acheter des vêtements, vivre tout simplement … Si on ajoute que les conflits entre anglais et irlandais sont parfois violents, on a une idée de ce que vivent les métayers. Ils se sentent seuls, abandonnés.

C’est le cas d’Ellen Kittrick et sa famille. Son époux, Malachy, ne pouvant plus utiliser ses terres, a perdu pied. Il traîne dans les bars, dit qu’il cherche du travail, revient saoul au logis, disparaît à nouveau, elle ne peut pas compter sur lui. Ils ont quatre enfants à nourrir et il n’y a qu’elle pour faire « bouillir la marmite ».  Elle travaille au manoir des Wilton où vit un lord anglais compréhensif. Il essaie d’embaucher des personnes en difficulté pour leur procurer de l’aide. Ses employés le lui rendent bien. Parfois la cuisinière lui donne quelques restes pour améliorer l’ordinaire.

L’auteur nous plonge dans l’Histoire (avec un grand H) et décrit avec réalisme des situations de pauvreté terrible. Elle explique que certains accusés de vol ont été envoyés en exil, que les recouvreurs de loyer n’hésitaient à mettre le feu aux chaumières, mettant des familles entières à la rue.

À cette époque, la solidarité est de mise, Ellen peut compter sur ses proches, notamment un oncle religieux. Il lui a appris à lire, comme à ses petits et c’est un atout. Devant les difficultés, l’injustice, l’adversité, les aléas de la vie, elle se dit que la solution, c’est peut-être de partir en Australie avec l’aide du gouvernement. Là-bas, ils ont besoin de personnes courageuses dans tous les corps de métiers. Elle n’a jamais baissé les bras, elle a toujours tout donné alors pourquoi ne pas tenter l’aventure ?

C’est le portrait d’une femme battante, prête à tout pour que ses enfants soient heureux et aient des conditions de vie correcte, que nous offre AnneMarie Brear.  Ellen est attachante, opiniâtre, capable de choisir les priorités pour ses petits, en s’oubliant. Elle pense à eux avant de penser à elle. C’est admirable. On va suivre son parcours, les baisses de moral, les drames mais, chaque fois, elle se relève et pense à l’avenir.

Les protagonistes sont parfois un peu caricaturaux mais ce n’est pas gênant. Pour certains, on les sent tiraillés entre cœur et raison et c’est très humain. J’ai aimé le ton vif, on visualise sans problème ce qui est décrit, on est au cœur de cette aventure.

J’ai beaucoup apprécié cette lecture et je suis enchantée de savoir qu’il y a une suite déjà parue en langue originale. L’écriture est plaisante (merci à la traductrice), avec des dialogues vivants. Comme le récit est ancré dans un contexte historique intéressant et bien intégré à la fiction, j’ai appris beaucoup sur la vie quotidienne et les événements réels de cette période.  


"Le rêve du jaguar" de Miguel Bonnefoy

 

Le rêve du jaguar
Auteur : Miguel Bonnefoy
Éditions : Rivages (21 Août 2024)
ISBN : 978-2743664060
304 pages

Quatrième de couverture

Quand une mendiante muette de Maracaibo, au Venezuela, recueille un nouveau-né sur les marches d’une église, elle ne se doute pas du destin hors du commun qui attend l’orphelin. Élevé dans la misère, Antonio sera tour à tour vendeur de cigarettes, porteur sur les quais, domestique dans une maison close avant de devenir, grâce à son énergie bouillonnante, un des plus illustres chirurgiens de son pays.

Mon avis

Miguel Bonefoy est un écrivain né d’une mère vénézuélienne et d’un père chilien, mais il écrit en français (appris au lycée du même nom). Dans ses romans, il évoque souvent le Venezuela et son histoire. C’est le cas dans « Le rêve du jaguar ».

Tout commence en 1913, lorsqu’une mendiante recueille un bébé abandonné devant une église. Elle pense certainement qu’elle pourra faire plus pitié avec un nouveau-né à nourrir et elle le garde. On ne peut pas dire que c’est l’idéal pour ce petit Antonio, loin de là. Mais il grandit et montre une détermination à toute épreuve, un caractère fort. Le hasard des rencontres lui permettra d’avoir un destin extraordinaire. Ce n’est pas un secret, on nous l’annonce dès le début.

Le lecteur suit Antonio et celle qui deviendra sa femme ainsi que leurs descendants. Je n’en dirai pas plus. Une saga familiale ? Ce serait bien trop réducteur d’évoquer ce récit en employant ces mots. Les générations se succèdent, pas de repère temporel mais ce n’est pas nécessaire car les événements historiques intégrés au texte nous donnent si besoin, une idée de la période où se déroulent les faits.

Les personnages sont tous très charismatiques, ils dégagent de la force, n’ont pas toujours les mêmes objectifs, ne se comprennent pas forcément… Ils ont tous un côté « sauvage », un peu solitaire, brut… On s’attache à leurs pas, on découvre le Venezuela par leurs yeux avec l’aspect historique, mais également le côté « sorcellerie », les traditions. L’atmosphère est, de temps à autre, onirique mais sans qu’on perde pied.

La force de Miguel Bonnefoy c’est de nous emmener dans un univers réel avec une pointe de magie, juste ce qu’il faut pour s’évader, avoir les yeux qui pétillent, s’émerveiller du charme qui émane des pages, du phrasé. On voyage à ses côtés, côtoyant quelques fois la misère, puis passant vers ceux qui ont des biens, partant plus loin, avant de se recentrer sur l’essentiel : les passions des différents protagonistes qui sont des individus marquants. Chaque membre de cette famille d’exception est porté par une volonté farouche de réussir ce qu’il (elle) aime par-dessus tout. Renoncer à ce qui le (la) motive, l’anime, est la source même de son existence ? Jamais. Et en ça, l’auteur exprime parfaitement ce que chacun, chacune, est prêt-e à mettre en place, à sacrifier pour arriver à ses fins.

Pour apprécier à fond cet opus, j’ai lâché prise. J’ai laissé chaque mot, chaque ligne, m’éblouir par leur poésie, leur lumière. Parce que oui, l’écriture est lumineuse, rayonnante, fascinante, difficile à définir. De la puissance en ressort mêlée à une infinie délicatesse. C’est une alchimie flamboyante.

J’ai lu que l’auteur s’était inspiré de la vie de la famille du côté de sa mère pour écrire ce livre. Je ne sais pas dans quelle mesure. Ce qui est certain, c’est que pour moi, c’est une réussite totale tant dans le contenu alliant parcours de vie hors du commun, avec une part de mystère et une aura imaginaire bien dosée. Chapeau bas Monsieur Bonnefoy !

"Les guerres de Lucas" de Renaud Roche (dessin) et Laurent Hopman (scénario)

 

Les Guerres de Lucas
Auteurs : Renaud Roche (dessin) et Laurent Hopman (scénario)
Éditions : Deman (4 Octobre 2023)
ISBN : 9782493184993
208 pages

Quatrième de couverture

Scrupuleusement fidèle à la réalité historique, méticuleusement documenté, Les Guerres de Lucas met en scène l’invraisemblable épopée de George Lucas, enfant rebelle passé à côté de la mort, prodige du nouvel Hollywood et visionnaire indomptable. Une exploration inédite des coulisses de Star Wars, de l’enfer du casting au tournage cauchemardesque, où querelles entre acteurs, histoire d’amour secrète et désastres en pagaille jalonnent le quotidien. Un bourbier gigantesque dont sortira pourtant une œuvre majeure qui changera à jamais le cinéma.

Mon avis

Stupéfiant !

L’univers de Star Wars m’est presque totalement étranger. J’ai dû voir un film à la télévision et je ne me souviens que de peu de choses. Et c’est là que les auteurs font très fort. Même si vous ne vous intéressez pas à tout ça, ce roman graphique est captivant. Non seulement pour l’histoire de la création de ce film mais également pour la personnalité de Georges Lucas, son créateur. Totalement atypique, solitaire, voire asocial, obsédé par ses idées, maladroit à l’écrit (ne serait-il pas autiste asperger ?).

C’est incroyable la ténacité de cet homme, sa vision totalement nouvelle des choses. Personne ne croyait en lui ou si peu que ça passait presqu’inaperçu (j’ai bien aimé l’idée que Spielberg soit jaloux de lui mais ils ont fini par collaborer pour Indiana Jones). Il n’a jamais lâché, quitte à mal manger, à être épuisé, à se mettre en danger. Sa femme l’a toujours soutenu, encouragé, le remettant sur les rails si besoin. Coppola était présent également. La fabrication de ce film a duré plusieurs années !

Dans ce recueil, on découvre toutes les étapes de sa vie jusqu’à son immense succès. Son enfance, son adolescence avec des relations difficiles en famille (ah l’épisode de la tondeuse, comme j’ai ri ! voir photo), ses débuts, les castings, le tournage, ses recherches pour les effets spéciaux, le son, les costumes, etc.

On imagine difficilement le travail en amont pour le scénariste, les recherches, les lectures nécessaires (la bibliographie est impressionnante) pour produire un texte adapté au format bande dessinée et suffisamment complet pour retranscrire les informations utiles pour cerner la genèse de cet univers.

Le dessin noir et blanc a des touches de couleur ponctuelles, parfaitement ciblées pour mettre en avant un élément (j’en reviens à la tondeuse). C’est parfaitement bien pensé. Un port folio de quelques pages à la fin, permet au dessinateur d’expliquer ses choix.

Les dialogues sont truculents, parfois stratosphériques, à l'image de Lucas.

- Ils nous ont complètement snobés ! Je comprends pas que ça te laisse de marbre... (Marcia, sa femme)

- C'est comme les bons points à l'école, ça m'a jamais vraiment passionné... (Georges Lucas)

J’ai été captivée du début à la fin, j’ai appris plein de choses et ça m’a donné envie de mieux connaître Georges Lucas et sa filmographie.