"Arizona Tom" de Norman Ginzberg

 

Arizona Tom 
Auteur : Norman Ginzberg ( de son vrai nom : Jean-Christophe Giesbert)
Éditions : Héloïse d’Ormesson (22 Août 2013)
ISBN : 978-2350872322
230 pages

Quatrième de couverture

À la fin de sa vie, Ocean Miller revient sur son itinéraire improbable de shérif : il raconte d’abord comment, lui, Juif d’Europe centrale, né sur un paquebot qui ralliait l’Amérique, a atterri dans une bourgade perdue d’Arizona. Puis il se souvient de l’affaire la plus marquante de sa carrière, celle de Tom, sourd-muet de douze ans à peine, qui a débarqué à Brewsterville en traînant un cadavre dépecé sur ses talons. Pour le maire et ses acolytes, le garçon est assurément coupable du meurtre. Mais pour Miller, sur le déclin et porté sur le bourbon, l’innocence de ce petit bonhomme ne fait aucun doute. Pour sauver Tom de la potence, et prouver qu’ il a encore un rôle à jouer, Miller se lance dans une enquête haletante pour débusquer le tueur.

Mon avis

 

Atypique et décalé, ce western (écrit) nous permet de rencontrer un shérif inhabituel, loin des codes du genre près du début des années 1900.

En effet Ocean Miller est un looser, un des ces hommes qui boit, qui fume, qui ne sent pas toujours très bon…Pas de fortune, pas de bien, pas de gare dans sa ville donc il « n’existe  pas »…

« J’avance comme un rameau d’épineux virevoltant,
balloté par les caprices du vent à travers le désert. »

Arrivé à ce poste, presque par hasard, le voilà confronté à une situation pour le moins insolite…et largement dérangeante… Tout paraît évident et tous semblent convenir que, le jeune garçon trainant un improbable cadavre incomplet, est le coupable. Alors pourquoi se compliquer la vie ? Qu’on le pende haut et fort et qu’on n’en parle plus ! Ce serait plus simple et plus rapide….

Ocean Miller, en règle générale, n’est pas un homme très courageux… et cette fois-ci, il se sent lâche d’abandonner ce gosse et ce qu’il promène. Et puis, peut-être qu’il a envie de montrer aux citoyens et aux voisins qu’ils se trompent en jugeant trop vite ? Ou alors, il a été touché, ému, par ce petit d’homme… Quelles que soient les raisons, il part avec le gamin mener l’enquête dans ce coin perdu d’Arizona. Des menteurs, des coyotes, des chacals, des indiens, des hypocrites, des froussards qui n’osent pas parler, d’autres qui en disent trop….

Miller avance, découvre, se questionne, interroge…

Nous suivons…il fait chaud, les chevaux sont fatigués, l’alcool est toujours présent, la poussière brûle les yeux…

Les phrases sont parfois longues, l’écriture très dense, ponctuée d’humour et de dérision à travers les situations mais aussi dans la façon de s’exprimer de notre marshal.

Dans une ambiance décrite au cordeau, visuelle comme si on y était, Norman Ginzberg

s’amuse et nous amuse… Ce n’est pas un roman de haute qualité littéraire avec de grandes réflexions existentielles ou philosophiques mais il a la richesse de son originalité, de son style en adéquation avec ses personnages …là-bas…au milieu de nulle part….


"Réparer les vivants" de Maylis de Kerangal

 

Réparer les vivants
Auteur : Maylis de Kerangal
Éditions : Gallimard (2 Janvier 2014)
ISBN : 9782070144136
290 pages

Quatrième de couverture

«Le cœur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d'autres provinces, ils filaient vers d'autres corps.»

« Réparer les vivants » est le roman d'une transplantation cardiaque. Telle une chanson de gestes, il tisse les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer en vingt-quatre heures exactement. Roman de tension et de patience, d'accélérations paniques et de pauses méditatives, il trace une aventure métaphysique, à la fois collective et intime, où le cœur, au-delà de sa fonction organique, demeure le siège des affects et le symbole de l'amour.

Mon avis

Abandonner pour offrir....

Accepter l'idée de l'irréversibilité, de l'impossible retour en arrière.... Il y aura un avant et un après. Le temps a suspendu sa course et il est reparti ... sans lui.... ou avec lui autrement ...

C'est un livre qui palpite entre les mains, où, comme pour un cœur, parfois le rythme s'emballe, d'autres fois explose, ou traîne...

L'auteur a cette force d'adapter la cadence de ses mots à ce qu'elle veut nous faire vivre...

Son style est indéfinissable, ses phrases longues, très longues, contiennent autant de ramifications que le réseau veineux dans notre corps.... Ça s'étire, se tortille, se resserre, s'allonge à nouveau... Nos yeux restent accrochés aux points, aux virgules....notre  souffle est suspendu....

Et puis quatre ou cinq fois, une réplique, fuse, claque dans toute sa brutalité car là, le style redevient direct.

A la ligne, un tiret:

- Et pan

C'est court, sec, clair, précis, comme un couperet, c'est la réalité, la cruelle réalité, celle que l'on veut réfuter, repousser loin, très loin. C'est Marianne, la mère qui la reçoit la première en pleine face, puis Sean, le père, lui qui a transmis à leur fils l'amour du surf....et qui se sent coupable.

Car c'est au retour d'une série de vagues merveilleuses (dont la description est un régal de poésie) que l'accident a eu lieu... Comment ne pas s'en vouloir de lui avoir donné le goût de ce sport? Comment ne pas en vouloir à la terre entière, à la vie, à la mort? Mais c'est ainsi,  il faut accepter le fait que Simon, le fils,  ne soit plus, bien qu'il respire... Alors va se poser le choix du don d'organes alors que le jeune n'a rien exprimé de son souhait de  donner ou pas de son vivant...

C'est là que Thomas, à la tessiture qui sort de l'ordinaire, amoureux du chardonneret de Baïnem, au  nom de famille prédestiné puisqu'il s'appelle Rémige, va entrer dans la vie de cette famille. Un homme humain, simple, qui fait le lien entre les familles de donneurs potentiels et les équipes qui s'occupent des futurs greffés. Il parle peu, occupe l'espace avec délicatesse pour que les parents cheminent, accompagnés jusqu'au bout de leur choix, quel que soit ce que sera la résolution .... Il faut prendre une décision et vite car le temps presse....

C'est avec un vocabulaire ciblé, recherché, documenté sans aucun doute pour la partie médicale que Maylis de Kerangal va au fond des actes liés à la mort clinique pouvant entraîner un don d'organes, fouillant les âmes, plongeant au fond des cœurs aussi.... Tout est dévasté autour de cette famille, Simon les rassemble mais de quelle façon.... Dans la douleur, le chagrin, l'horreur de la situation....

Certains esprits chagrins trouveront que l'auteur a trop décrit, qu'elle en a trop fait sur la partie "hôpital" et que tous les détails n'ont pas lieu d'être, pas plus que ceux donnés sur le quotidien des uns ou des autres qui croiseront la route de Simon ou de ses parents durant ces vingt-quatre heures. Je crois, au contraire, qu'il le fallait pour montrer l'opposition entre la vie qui continue, qui avance, et celle qui s'est figée....

Ce roman sera pour moi un coup de cœur. D'abord pour l'écriture si singulière mais qui m'a parlé au coeur, ensuite pour la façon dont ce douloureux sujet est abordé, sans voyeurisme, sans pathos, et enfin pour l'humanité dont fait preuve l'auteur, posant les phrases, les gestes, comme une délicate évolution vers l'espoir, fil ténu reliant les vivants et les morts, maintenant la vie comme seule réponse à tous les conflits intérieurs face aux questions incessantes qui hantent ceux qui restent....


"La Haie" de Claude Bourbonnais

 

La Haie
Auteur : Claude Bourbonnais
Éditions : Editlivre (19 Février 2016)
ISBN : 978-2334094870
40 pages

Quatrième de couverture

La Haie est le deuxième volet du triptyque Trois Voyages, qui veut explorer l'ensemble de l'âme humaine. Si le premier volet, sous forme de témoignage érotique, a parlé de l'amour, ce second volet, par un témoignage plus philosophique, évoque l'esprit d'une façon plus éthérée. Chaque instant de ce voyage au cœur de l'esprit du héros veut faire naître chez le lecteur une réflexion inattendue et semer des idées... Au delà des questions posées et des réponses qui y sont apportées, cette histoire originale, tirée partiellement d'une expérience vécue, pourra distraire et amuser, et peut-être même surprendre le lecteur le plus blasé !

Mon avis

Dans ce court opus, l’auteur nous livre une réflexion oscillant entre conte initiatique et philosophie.

Il dévoile l’essence même de l’être, les tréfonds de l’âme et la perception de soi en tant qu’entité. C’est une lecture courte mais intense avec  des mots qu’il faut peser, soupeser, digérer pour qu’ils apportent quelque chose. Mâcher et remâcher, lire et relire. Premier et second degrés….

Qu’est-ce que la pensée, qui l’installe, comment se crée-t-elle et qu’y avait-il avant elle ? Est-ce que j’existe parce que je pense ou je pense parce que j’existe ?

Tout au long de la lecture, des questions existentielles sont évoquées, avec ou sans réponse directe, parce que chacun va appréhender le sujet avec son passé, son présent, son idée de l’avenir, sa sensibilité, son émotivité, son approche de l’être et de la vie…. Le but n’est pas de donner des réponses mais de pousser chaque lecteur plus loin, sur le chemin de la connaissance personnelle….

L’écriture de l’auteur est singulière, éthérée, presqu’immatérielle tant elle transmet l’indicible, ce qui ne peut que difficilement s’exprimer en phrases.  Pourtant, on sentirait presque chaque mot pénétrer en nous comme animé d’une activité à part entière. Claude Bourbonnais parle de ce qui n’est pas palpable mais son phrasé lui donne un cœur qui bat, un rythme aérien….

C’est un texte surprenant, obligeant à faire une pause, qui peut parfois déstabiliser, et qui renvoie chacun de nous à ce qu’il est, a été et sera…….

Je n’ai pas pu m’empêcher de faire le parallèle avec la dernière phrase de « Martin Eden » de Jack London :

« Tout en bas étaient les ténèbres. Cela il le savait. Il sombrait dans les ténèbres. Et au moment où il le sut il cessa de le savoir. »

 


"Diables au paradis" de Franco Di Mare (Il paradiso dei diavoli)

Diables au paradis (Il paradiso dei diavoli)
Auteur : Franco Di Mare
Traduit de l’italien par Marianne Faurobert
Éditions : Liana Levi (5 Mai 2014)
ISBN : 978-2867467264
304 pages

Quatrième de couverture

Naples. Magique et terrifiante. Côté face, une des baies les plus spectaculaires au monde. Côté pile, des quartiers en décomposition. Le bien et le mal, indissolublement liés. Chacun, quel qu’il soit, participe à la corruption ou subit l’impitoyable machine à broyer du système mafieux.

Mon avis

« Chacun doit supporter son destin avec patience… » Marcus Manilius

Bien que le latin soit une langue morte, je l’apprécie beaucoup. Non seulement parce qu’il me permet de comprendre l’origine de certains mots mais aussi pour ces nombreuses citations.

Le roman de Franco Di Mare, que l’on pourrait appeler « un polar érudit » mais ce serait un raccourci trop facile, est remarquable, par ce qu’il nous apporte de références littéraires (latines ou contemporaines) merveilleusement intégrées à l’intrigue. De plus, elles sont parfaitement adaptées aux situations décrites et donnent, en quelque sorte, une dimension supplémentaire au contenu. De ce fait, l’histoire qui aurait pu sembler banale, ne l’est plus du tout.

Naples, « città bella », ensoleillée et ensorceleuse, va servir de décor à ce roman. Naples colorée, aux terrasses de café attrayantes (avec des suppli à déguster, miam), aux touristes qui se régalent mais également Naples, corrompue, aux camorristes (la Camorra est un système mafieux urbain) sans pitié (« Et n’oublie pas : une balle dans la tête pour être sûr qu’il soit mort… »), ne reculant devant rien et n’hésitant pas à faire table rase de tout…

« Corrompus, les meilleurs deviennent les pires… »

Le personnage principal est un jeune tueur à gages, diplômé d’un doctorat de philologie (étude d’une langue) romane, amoureux de sa copine (qui est professeur) et à qui il cache tout de ses activités. Comment un jeune docteur universitaire peut-il devenir un assassin et en vivre sans avoir mauvaise conscience ? Pourquoi Carmine a-t-il basculé de l’autre côté ? Ne comptez pas sur moi pour donner des détails et tout vous dévoiler. Un mauvais concours de circonstances et le fait de se sentir redevable ensuite. Le code d’honneur des personnes appartenant à un même groupe ou se sentant liées par un même secret. Tout cela le hante mais il se sent « coincé », il ne peut plus faire machine arrière. Heureusement, Lena, son amoureuse vive et dynamique, lui offre le « soleil » et quand il est avec elle, il oublie sa part d’ombre et profite de la lumière et de la légèreté du moment.

Cloisonnant sa vie, Carmine pourrait continuer comme ça longtemps.

Sa route croisera celle d’un rédacteur pour un quotidien local, Marco de Matteo, un homme épris de justice. Suite à un nouvel homicide, il cherche à comprendre le raisonnement du meurtrier. Il lui semble qu’au-delà du règlement de comptes spécifique à la Camorra, il y a un petit quelque chose de différent dans l’organisation de ce crime horrible.

Le meurtrier et le journaliste vont tisser des liens improbables, un étrange dialogue :

- D’après vous, que faut-il à un homme pour devenir un assassin ?

- Les offenses qu’on lui a infligées, par exemple.

Cette relation sera celle de deux hommes, capables de parler de la vie, de la mort, de la peur, peut-être capables de se comprendre ? Cette partie est un régal car on voit la progression du rapport humain et elle est accompagnée de beaucoup de citations qui aident le lecteur à mieux cerner les pensées de Carmine.

L’écriture de Franco Di Mare est alerte et fluide, les dialogues ciblés et précis. Le parcours de chaque protagoniste est habilement mis en place. On peut éventuellement émettre un petit bémol sur ce qui se passe juste avant la fin à l’université (je n’en dirai pas plus pour ne pas raconter) mais cela ne gâche en rien la lecture ou l’intrigue et c’est un livre que j’ai beaucoup aimé.

Sur la couverture, le pistolet côtoie la casserole aux douceurs culinaires et c’est bien de cela qu’il s’agit : les deux faces d’une ville …. ou d’une vie …..

 

"Dégâts des eaux" de Donald E. Westlake (Drowned Hopes)

 

Dégâts des eaux (Drowned Hopes)
Auteur: Donald E. Westlake
Traduit de l'Anglais (Etats-Unis) par Jean Esch
Édition: Payot & Rivages (269 Mars 2006)
ISBN: 978-2743615284
620 pages

Quatrième de couverture

Rentrant chez lui après un cambriolage, Dortmunder découvre avec effroi que son appartement est occupé par un ancien compagnon de cellule dont tout le monde croyait et espérait qu’il resterait derrière les barreaux jusqu’à la fin de ses jours. Quelque temps avant sa détention, le dénommé Tom Jimson ( !) avait réussi un gros coup dont il avait enterré le produit dans la petite ville de Putkin’s Corners. Hélas, pendant qu’il était nourri et logé aux frais de l’Etat, les autorités en ont lâchement profité pour édifier un barrage et engloutir toute la vallée. Résultat : le butin gît désormais sous vingt mètres d’eau. Mais Tom a un plan, efficace et radical : faire sauter le barrage pour assécher le réservoir et récupérer son magot.

Mon avis

Dans le mondes des livres policiers, il y a les thrillers psychologiques, les romans noirs, les huis-clos etc ….

Il va falloir rajouter un genre à cette énumération: « le polar jubilatoire ! »

J’en veux pour preuve la lecture que je viens de faire de « Dégâts des eaux ».

Scènes truculentes, personnages émoustillants, dialogues cocasses, tout est réuni pour faire travailler nos zygomatiques.

Au début, j’ai pensé que j’allais vite me lasser de ces « pieds nickelés » accumulant les gaffes, les impasses, les rencontres improbables, les remarques à contre-courant (dans une histoire d’eau, c’est un comble…)

« Le problème dans la vraie vie, c’est qu’il n’y a pas de bouton « reset »."

Et puis, je me suis laissée embarquer (que d’eau, que d’eau) et sans ramer une seconde, j’ai lu avec plaisir cet opus.

Le style est drôle, enlevé, on se demande ce qu’ils vont pouvoir inventer pour arriver à leurs fins…

Les protagonistes nous font rire aux larmes… Quelles scènes lorsqu’ils s’entrainent à la plongée !!! Ils se retrouvent ensemble par de bizarres concours de circonstances ou par choix mais leur équipe n’est pas facile à gérer…

On imagine tellement ce qui se passe que ce roman ferait un excellent film.

À lire pour se détendre !!!


"Tarmac Blues" de Gérard Carré

 

Tarmac Blues
Auteur : Gérard Carré
Éditions : Jigal (20 février 2021)
ISBN : 978-2377221264
370 pages

Quatrième de couverture

Léonard Delevigne est le tout jeune patron de la BAND, branche spéciale de la brigade des Stups de Paris en charge de la lutte contre le narco-djihadisme. Milovan Milosevic, commandant dans la même unité, est le « presque » frère de Léonard que ses parents ont adopté lorsqu’ils étaient adolescents. Jüri Ostnik, alias Viking, est le parrain d’un important cartel, incarcéré à Fleury pour détention et trafic de drogue. Afin de faire pression sur son mari, Viking donne l’ordre à ses hommes d’enlever Salomé (la compagne de Léonard) qui est enceinte et prête à accoucher de jumeaux…

Mon avis

Léonard dit « Léo » et Milovan, dit « Milo » sont plus que proches. Ils ont été élevés par les mêmes parents, le second étant adopté à la préadolescence. Ils ont ensuite fait face au deuil et les liens se sont encore plus consolidés. Ils sont tellement unis que Salomé, leur amie commune les avait à la bonne tous les deux. Elle a mis un certain temps à s’installer dans la vie avec Léo (d’ailleurs, c’est plutôt Milo qui s’est effacé). Elle attend des jumeaux et ils sont heureux.

Les deux hommes sont tous les deux dans la police, luttant contre le trafic de stupéfiants et le narco-djihadisme. Jüri Ostnik, appelé Viking, est en prison. Mais de sa cellule, il continue de mener la danse. Il demande à ses acolytes libres de récupérer une clé USB contenant des preuves compromettantes qui risquent de prolonger sa détention. Cette clé est entre les mains d’un indic, quelqu’un qui joue double-jeu, à la fois pour le caïd et également pour la police. Viking décide de savoir de qui il s’agit afin l’éliminer et de s’en sortir. Pour cela, il fait enlever Salomé et demande le nom de l’indic à Léo. Celui-ci découvre très vite que le contact de l’indic, au sein de la police, est Milo. Que faire ? Ne rien dire et trahir Milo pour sauver Salomé ? Chercher une autre solution en lui parlant, quitte à maintenir la femme qu’il aime en danger ? Il choisit d’agir en cavalier seul, ne voulant pas mêler son ami à cette affaire. Il sera pourtant obligé de le faire.

C’est sur un rythme trépidant que Gérard Carré nous emmène dans son histoire. C’est un récit dense, écrit en petits caractères, sans temps mort. Les chapitres sont plutôt courts et on suit, en parallèle, les différents personnages (avec leur prénom en titre pour bien se repérer) dans les lieux où ils évoulent. C’est un roman qui déménage, on pourrait aisément en faire un film. On en prend plein la vue, il y a des retournements de situation, du sang, des personnes improbables, et une volonté unique pour les deux copains : sauver Salomé. Salomé qui, de son côté, subit un stress important, souffre énormément et n’a qu’un but : que ses enfants vivent. Elle a du répondant et ses ravisseurs n’ont qu’à bien se tenir !

L’écriture est brute, ne s’embarrassant pas de fioritures, de détails inutiles. On est au chœur de l’action, présent sur tous les fronts, sur toutes les scènes, happé par le récit. Les protagonistes (mention très bien à Leïla) sont réalistes, humains avec des failles et des forces. Mais tous portent en eux l’amour sous différentes formes, même si c’est parfois de façon tourmentée. Ce rapport à ce qui peut s’apparenter à de l’amour incite les différents individus à faire des choix. Et quand on choisit, il y a forcément des conséquences, rien n’est simple. Chaque geste, chaque fait, dans ce recueil, peut modifier le cours de la vie, de l’intrigue. Le lecteur envisage une suite et finalement, paf, un petit quelque chose change tout. C’est parfaitement maîtrisé par l’auteur et tout se tient !

C’est fort, ça secoue, ça tient en haleine et on redemande !

"Retrouve-moi" de Lisa Gardner (Look for Me)

 

Retrouve-moi (Look for Me)
Auteur : Lisa Gardner
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Cécile Deniard
Éditions : Albin Michel (6 janvier 2021)
ISBN : 978-2226441973
480 pages

Quatrième de couverture

Découverte macabre à Boston : quatre membres d'une même famille sont retrouvés sauvagement assassinés chez eux. La mère, deux de ses enfants et son compagnon. Seule une personne semble avoir échappé au massacre : Roxanna, 16 ans, la fille aînée. Des témoins affirment l'avoir vue sortir promener les chiens avant les coups de feu. Heureux hasard ou aveu de culpabilité ?
En plongeant dans le passé de Juanita Baez, la mère des enfants, l'enquêtrice D. D. Warren découvre une histoire tourmentée, entre alcool, violences et familles d'accueil, qui pourrait laisser croire à une vengeance.

Mon avis

C’est avec impatience que j’attendais de lire ce roman. Et il n’a pas du tout été à la hauteur de mes espérances. Quel dommage ! La quatrième de couverture m’avait pourtant bien accrochée et le fait de retrouver l’enquêtrice D.D. Warren également.

Une famille recomposée a été en partie décimée, seule la fille aînée, Roxanna, dite Roxy, qui, semble-t-il, était sortie promener les chiens, aurait échappé à la catastrophe. En est-elle responsable, a-t-elle vu quelque chose qui l’a poussée à s’enfuir, se cache-t-elle et si oui pourquoi ? Autant d’interrogations qui vont hanter les policiers chargés des investigations.

Parallèlement aux recherches de D.D. et son équipe, on fait connaissance avec une jeune femme (présente dans un titre précédent de l’auteur), Flora, qui a été victime d’un enlèvement, séquestration et qui a survécu. Elle vit, hantée par son histoire, et a monté un groupe de soutien sur internet pour les « victimes » de ravisseurs ou autres personnes dangereuses. Roxy a demandé de l’aide et des renseignements sur le forum. Flora décide de la retrouver.

On rentre dans ce livre par ces deux accès. Plus un troisième : une rédaction libre que Roxy a écrit, en plusieurs épisodes, pour un de ses professeurs (à qui elle n’a donné que le début). Le concept global est sans doute intéressant mais il ne m’a pas convaincue.

J’ai trouvé l’écriture moins fluide que d’habitude. Je ne pense pas que ce soit dû à la traduction (merci à Cécile Deniard pour son travail) mais au texte original. Beaucoup de dialogues, de descriptions, qui, à mon avis, auraient pu être élagués. Peut-être que plus court ce récit m’aurait captivée.

Il y a malgré tout, des points positifs. Le thème des familles d’accueil, de la place du CASA (court appointed special advocate association), une association qui accompagne les enfants placés et fait tout pour qu’ils reviennent dans leur famille ainsi que les dégâts occasionnés par les parents enclins à des dérives ou les placements mal « surveillés ».  L’aspect psychologique des personnages est réfléchi, approfondi mais un peu trop « alambiqué » à mon goût.

L’ensemble me donne une impression mitigée, comme si le recueil manquait de relecture, de finition. En tout cas, je ne suis pas restée scotchée aux pages. J’ai même trouvé le temps long parfois.


"Rester fort" d'Emilie Monk

 

Rester fort
Auteur : Émilie Monk
Éditions : Slatkine (2 Mars 2017)
ISBN : 978-2889440283
126 pages

Quatrième de couverture

Le 19 décembre 2015, Émilie Monk s’est donné la mort en se jetant du balcon de sa chambre. Quelques mois plus tard, ses parents ont découvert le livre qu’elle écrivait. Ces mémoires inachevés racontent à mots choisis le quotidien d’une adolescente brisée par le harcèlement scolaire. Sa famille l’a prise au mot.

Mon avis

Bouleversant …

« Nous voulions un livre pudique, ni voyeuriste ni misérabiliste. » disent les parents d’Émilie…. Ils ont souhaité rendre public le journal « June » (comme le mois de Juin) que leur fille écrivait et qu’ils ont découvert après son décès.  Et comme, il était inachevé, ils ont complété avec leurs témoignages pour en faire « Rester fort » : un livre humain, fort, porteur de sens pour la famille mais également pour tous les lecteurs. Loin de se poser en donneurs de leçons, en moralistes, ils partagent leurs ressentis, leur cheminement, leurs réflexions personnelles (et certaines vont loin, se posant les bonnes questions sur le système éducatif).

Lorsqu’on est parents, comment survivre et continuer la route lorsqu’on perd un enfant qui plus est, de façon tragique ? Comment ne pas culpabiliser, s’interroger sur ce qu’on n’a pas vu, pas perçu ? La famille d’Émilie n’a jamais sous-estimé son mal-être, ils ont alerté les responsables de l’établissement scolaire où était inscrite leur fille. Ils n’ont pas failli mais le mal était déjà ancré et leur fille trop profondément enracinée dans la dépression.

C’est avec des mots simples, démontrant tout l’amour d’une famille que chacun s’exprime. Quant à « June » porté par le style personnel de cette jeune fille, il nous permet de découvrir ce qu’elle a vécu, combien elle a souffert avant de choisir d’être libre ….

C’est un témoignage très fort, empli de sensibilité, de délicatesse , rappelant à chacun  l’importance d’être vigilant face au harcèlement. C’est un fléau dangereux et qui sait bien se cacher…. Émilie souhaitait que « June » aide des victimes comme elle, « Rester fort » le fera et portera un message vers tous ceux qui ont pu être harceleurs (ou tentés de le devenir).


"La peur bleue" de Maurice Gouiran

 

La peur bleue
Auteur : Maurice Gouiran
Éditions : Jigal (20 Mai 2021)
ISBN : 978-2377221271
260 pages

Quatrième de couverture

Plusieurs meurtres de vieux harkis, dans une scénographie aussi horrible que spectaculaire, semblent dégager d’effrayants relents de vengeance. Mais qui peut en vouloir aujourd’hui à ces octogénaires ? Et pourquoi ? Clovis Narigou se laisse entraîner, une fois de plus, dans une enquête qui fera resurgir les vieux fantômes et les non-dits d’une guerre d‘Algérie qui n’osa jamais dire son nom. Les recherches de Clovis Narigou et de la capitaine Emma Govgaline s’avèrent d’autant plus délicates qu’il y a de l’électricité dans l’air : la cité phocéenne est en proie au scandale de l’habitat indigne, des immeubles effondrés et des logements insalubres loués par quelques élus locaux indélicats.

Mon avis

Maurice Gouiran est un dénicheur d’affaires tues, oubliées, ou dont on n’a qu’une version expurgée. Il n’hésite jamais à écorcher les hommes politiques vivants ou décédés. Autrement dit, il ne manie pas la langue de bois et secoue le cocotier, quitte à déranger. Sa grande force, c’est qu’il oblige le lecteur à aller plus loin, à réfléchir, voire à se documenter pour mieux comprendre les thématiques soulevées. C’est un aspect très intéressant et didactique de ses récits.

Cette fois-ci, on pénètre dans son roman par deux entrées. On est à Marseille où une enquête est diligentée pour comprendre pourquoi plusieurs immeubles se sont effondrés.  Les élus dénoncent la pluie qui a probablement provoqué des éboulements. La capitaine Emma Govgaline mène des investigations pour savoir, entre autres, si les travaux obligatoires d’entretien ont réellement été faits …. Qui se cache derrière la location de ces logements qui, au final, étaient non fonctionnels, insalubres ?

 En parallèle un vieil homme est retrouvé mort, assassiné. Un des policiers dépêchés sur les lieux reconnaît son père avec qui il avait perdu contact. La mise en scène pour présenter le corps est particulièrement horrible. Il s’avère que c’était un paisible retraité, harki et que ce crime ne va pas rester un cas isolé. Qui est le tueur ? Quel message essaie-t-il de faire passer en agissant ainsi ? Quel but poursuit-il ?

J’ai très vite réalisé que je connaissais peu de choses des harkis. La vie dans des camps (avec des conditions très difficiles), la non-reconnaissance par l’état, oui, mais je n’imaginais pas tout. Et surtout j’ignorais les mots durs prononcés par certains dirigeants français.

Je pense que Monsieur Gouiran est un humaniste. Il glisse sa gouaille marseillaise dans son texte mais on ne rit pas tant que ça. Finalement, pas étonnant qu’il cite Escudero, ils se ressemblent. Ce sont des « révoltés », droits, engagés, qui luttent avec leurs mots, et qui n’ont pas peur de dire ce qu’ils ressentent. Et qui nous obligent à ouvrir les yeux.

Dans ce recueil, l’auteur évoque la guerre d’Algérie et une opération : « La bleuite » ou « Le complot bleu », dont peu, tant en Algérie qu’en France ont entendu parler. Cela consistait à écrire des listes de soi-disant collaborateurs algériens de l'armée française et à les donner aux chefs de l’Armée de libération nationale (ALN) pour entraîner un « nettoyage » en tuant les personnes ainsi désignées. Des faits historiques réels et terriblement injustes. Ici, ils permettent de tisser une belle intrigue.

Clovis, le journaliste, berger dans la garrigue va aider Emma et ses collègues à questionner les personnes liées de près ou de loin aux harkis tués. Ils vont remonter la piste à l’envers pour comprendre l’indicible, alerter ceux qui restent, éviter que de telles erreurs se reproduisent.

C’est avec une écriture vive, alerte, accompagnée de nombreuses références historiques que l’auteur construit son texte. Il parle d’une guerre qui date de plus de soixante ans et qui a encore des répercussions aujourd’hui sur les descendants des harkis… C’est noir, c’est dur mais ça parle de la vraie vie, pas celle qu’on met en vitrine, non, l’autre, qui est dans l’arrière-boutique où il faut vraiment creuser pour voir….  

NB : Encore une superbe couverture !

Page 29, Lény Escudero - Sacco et les autres, je l’ai écouté avant de reprendre ma lecture…. Quel chanteur !

"Le corps des femmes est un champ de bataille" de Laurent Chabin

 

Le corps des femmes est un champ de bataille
Auteur : Laurent Chabin
Éditions : Coups De Tête (6 Juin 2013)
ISBN : 978-2896710706
220 pages

Quatrième de couverture

Le 1er septembre 2009, Lee Chatham, un écrivain américain reconnu coupable du meurtre de Léo Cavanagh, un écrivain canadien, et de son épouse, Maurine, est exécuté dans une prison du Missouri, et ce malgré qu'il ait toujours nié sa culpabilité.
Lara Crevier, étudiante en littérature et passionnée par les oeuvres des deux écrivains, tente de comprendre ce qui a pu pousser Chatham à assassiner Cavanagh et à violer et à tuer Maurine, dans sa maison de St. Louis, le 11 septembre 2001.

Mon avis

Vous avez dit polar ?

Un univers particulier pour un roman à la fois fascinant, dérangeant, déroutant, bluffant, percutant, mais qui laissera difficilement indifférent.

Il sera classé au rayon « policiers » parce qu’il y a des meurtres et une « enquête ». D’ailleurs, peut-on réellement appeler « enquête », la recherche d’une jeune étudiante qui, intéressée, par les textes d’un écrivain, décide d’écrire son mémoire de maîtrise sur l’œuvre de celui-ci ?

C’est elle qui dira « je » dans cet opus, expliquant son cheminement, ses recherches. Au-delà des prospections et des rencontres de cette femme pour comprendre l’homme dont elle étudie les textes, c’est tout ce qui est lié à l’écriture et à la personnalité des écrivains qui est vraiment captivant.

Les deux auteurs morts au début du livre, sont des hommes dont l’un est sur le déclin, l’autre une étoile montante. Le principe des vases communicants, comme si la notoriété de l’un faisait de l’ombre à l’autre, comme si la sève de l’inspiration pompée par l’un ne pouvait plus être fournie à l’autre….

Au cœur de ce roman, les nombreux démons des créateurs : Serais-je plus célèbre mort ou vivant ? Et si je n’ai plus d’idées ? Et si un de mes élèves me dépasse, moi, le maître ? Où puiser l’inspiration, comment être connu ? Ou tout simplement comment devenir célèbre lorsqu’on est persuadé d’avoir du talent  mais qu’on n’est reconnu par personne ?

Et toutes ces questions abordées par l’intermédiaire de dialogues, de quelques phrases fortes qui bousculent ….

« ….se sentait moins intéressé par la création littéraire en tant que telle, et il était davantage tourné vers les effets de la littérature sur les lecteurs. Les livres, selon lui, n’étaient pas grand-chose en eux-mêmes. Seule comptait l’interprétation que chaque lecteur pouvait en faire, l’impact qu’un texte pouvait exercer sur son environnement. »

« ….il considérait le livre comme une arme. »

Mais aussi une approche de la justice américaine qui va vite, qui ne s’interroge pas trop loin, des fois que ça gêne….. Ainsi qu’une critique rapide et acerbe des milieux dits littéraires où on ne pénètre pas si facilement qu’on pourrait l’imaginer….

Quelques scènes de sexe un peu torrides, pas forcément indispensables à mon sens, mais qui créent le climat dans lequel se retrouve celui ou celle qui lit. L’auteur nous provoque, nous irrite, nous envoûte (ou pas) mais il instille une atmosphère qui captive, qui attire comme un aimant ….

Son écriture est sèche, avec plus de questions littéraires que de réflexions sur « l’enquête ». Il y a de temps à autre ce qu’on peut assimiler à des parenthèses, comme s’il avait décidé de ne respecter aucun « code », ne suivant que son instinct, les mots étant plus forts que tout… les personnages ayant pris le dessus sur lui et l’entraînant en dehors de sentiers battus. Le vrai, le faux se mélangent allègrement, on est ballotté, désorienté, visitant les différents lieux sur la pointe des yeux, de peur que tout cela déteigne sur nous….

Parce qu’il faut le reconnaître, les personnages sont eux aussi dérangeants, totalement atypiques, de la jeune étudiante qui n’a pas froid aux yeux à Lee Chatham, assassin aux mobiles troubles en passant par les individus que Lara Crevier va rencontrer au cours de ses pérégrinations : professeurs peu nets et autres hommes (tiens les femmes sont plutôt transparentes dans l’ensemble …)

C’est un roman étonnant, qui ne peut être classé dans une aucune catégorie, dont on peut se poser la question de savoir si on l’a apprécié ou pas… Mais ce qui est certain, c’est que Laurent Chabin a réussi une sacrée performance au niveau du contenu* ….

* surtout lorsqu’on découvre dans les premières pages, les lignes suivantes :

Plusieurs des personnages et des lieux de ce roman --rebaptisés ou déplacés—existent ou ont existé. Aucune ressemblance avec des personnes ou des lieux réels n’est donc fortuite.


"Trois jours et une vie" de Pierre Lemaître

 

Trois jours et une vie
Auteur : Pierre Lemaître
Éditions : Albin Michel (2 Mars 2016)
ISBN : 978-2226325730
290 pages

Quatrième de couverture

À la fin de décembre 1999, une surprenante série d'événements tragiques s'abattit sur Beauval, au premier rang desquels, bien sûr, la disparition du petit Rémi Desmedt. Dans cette région couverte de forêts, soumise à des rythmes lents, la disparition soudaine de cet enfant provoqua la stupeur et fut même considérée, par bien des habitants, comme le signe annonciateur des catastrophes à venir.

Mon avis

Il faut être très prudent pour parler de ce livre afin de ne rien dire de ce qui se déroule.
C’est l’histoire d’une bourgade : Beauval et de ses habitants. […] une ville étriquée où chacun est observé par celui qu’il observe, dans laquelle l’opinion d’autrui est un poids écrasant.

Le maire a le pouvoir puisque propriétaire de la scierie, il fournit du travail à ces concitoyens. Alors, on le respecte, on l’écoute. Un jour de décembre, Rémi, six ans, disparaît. Enquête, recherches, battues en forêt sont interrompues par Lothar et Martin, des tempêtes exceptionnelles (on est en 1999). Rémi n’est pas oublié mais un peu relégué au second plan. Et le temps passe. On se retrouve en 2011, puis en 2015.

Tout au long de ces années qui se déroulent, quelqu’un sait ce qui est arrivé à Rémi. Cette personne vit dans la peur, la culpabilité, mais également une certaine forme de détachement car tout s’atténue au fil des mois…

On voit les habitants vieillir. « Beauval, c’était un peu ça, une ville où les enfants ressemblaient à leurs parents et attendaient de prendre leur place. » Mais rien ne change vraiment…

Dans ce roman, l’écriture de Pierre Lemaître s’apparente à un scanner. Il balaie de son regard acéré les événements, les ressentis de chacun. C’est pointu et précis, sans empathie pour les uns et les autres. A la manière d’un journaliste, il observe et analyse. Cela donne un texte particulier, parfois dur, épinglant les travers de chacun sans concession.

L’auteur a su se renouveler, présentant un récit totalement différent de ce qu’il a déjà écrit. Il le fait avec intelligence, sans en rajouter. C’est intéressant. On peut être un peu déstabilisé (ou mal à l’aise) par le contenu.

J’ai lu ce recueil d’une traite, je l’ai trouvé prenant, notamment dans la description de l’évolution de « la toile d’araignée » qui se tisse, jusqu’à piéger celui ou celle qui en savait trop….


"Le vendeur d’oranges" de Blanca Miosi (El Vendedor de naranjas)

 

Le vendeur d’oranges (El Vendedor de naranjas)
Auteur : Blanca Miosi
Traduit de l’espagnol par Maud Hillard
Éditions : Independently published (13 mars 2021)
ISBN : 979-8721477638
532 pages

Quatrième de couverture

Ramón Latorre de los Cobos y Ugarte, membre d'une puissante famille valencienne en déclin à la suite de la Seconde République, puis de la Guerre civile espagnole, passe son adolescence et sa jeunesse en Angleterre, où il devient membre du World Without Communism ou WWC. C'est là qu'il commence son premier rapprochement avec Peter Beigent, un observateur du Service Secret d'Intelligence, plus connu sous le nom de MI6 ou SIS.

Mon avis

Le nouveau roman de Blanca Miosi s’étale sur plusieurs années, allant de 1936 à 2005. On découvre la vie d’un enfant qui devient homme, mari et père sous nos yeux. Il s’appelle Ramón Latorre de los Cobos y Ugarte. Il vit dans une famille riche près de Valence, en Espagne. Un peu rebelle, pas assez attaché aux affaires familiales, son père l’envoie étudier en Angleterre afin de lui forger le caractère et l’astreindre à une certaine discipline. Il s’active un peu au sein d’un groupement du parti communiste et il est repéré par le MI6 (Military Intelligence, section 6), service secret britannique. On ne lui demande rien pour l’instant…. Ses diplômes en poche, il repart chez ses parents et il constate que leur entreprise va mal (ils vendent des oranges). Il va s’atteler à la remettre à flots et à la développer. Parallèlement le MI6 renoue avec lui et lui confie des tâches d’exfiltration de scientifiques allemands sous couvert du marché des agrumes qui sert d’écran. Il se rapproche ainsi du monde l’espionnage, de la face cachée des hommes politiques et se crée un réseau de diverses connaissances. Il reste, en apparence, un « monsieur » bien rangé.

Au fil des pages, l’histoire monte en intensité. On s’intéresse de plus en plus aux différents protagonistes, notamment à Ramón dans toute sa complexité. C’est un homme très souvent tiraillé entre ce qui se fait et ce qui est un peu « en marge ». Aimer une autre personne que sa femme, espionner pour le gouvernement, tirer profit de certaines situations, etc, le tout en donnant une image extérieure d’un homme d’affaire lisse et bien dans ses chaussures parfaitement cirées. Pourtant, il a un talon d’Achille, sa maîtresse qu’il aime ardemment.

Aux cotés de Ramón, nous voyageons dans le temps et l’espace. Étoffé par de nombreuses références historiques, de descriptions précises, ce récit nous entraîne dans de nombreux pays. On y découvre l’influence des liens tissés au fil du temps, le poids des préjugés, les trahisons, les compromis, la soif de vengeance ou la haine qui peuvent habiter certains. C’est très riche car tout est développé avec savoir-faire, que ce soit dans les événements, les relations, ou la personnalité de tous les personnages. On s’imprègne de l’atmosphère de chaque lieu, de chaque période. Chaque acte est suivi de conséquences, pas toujours anticipées par ceux qui agissent. Parfois, les conditions sont difficiles pour l’un ou l’autre et on ressent de la peur, voire de l’injustice.

Quel que soit l’individu évoqué, il l’est avec minutie, ce qui permet de cerner son tempérament et d’essayer de comprendre comment il va interagir, répondre ou réfléchir. C’est intéressant pour le lecteur à qui ça permet de s’approprier le contenu qui devient familier. On se sent impliqué et on veut savoir ce que devient chacun.

 J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce recueil. L’écriture fluide et prenante, certainement due à une excellente traduction, m’a captivée. Blanca Miosi se renouvelle avec brio dans chacun de ses livres. On sent qu’il y a, en amont, un profond travail de documentation, afin que tout s’emboîte au niveau historique, dates, etc. C’est remarquable. Chaque fois, elle exploite un nouveau domaine et réussit encore à me surprendre.

 


"Le pif dans la truffière" de Gilles Del Pappas

 

Le pif dans la truffière
Auteur : Gilles Del Pappas
Éditions : du Caïman (24 Juin 2021)
ISBN : 9782919066919
207 pages

Quatrième de couverture

« Il s'appelait Rudolph Pélican. C'était un patronyme qui, accolé à son nom de baptême... ouais, un tel prénom avec ce nom d'oiseau ridicule, aurait pu prêter à sourire, pourtant personne n'y songeait... » Et quand Rudolph Pélican, l'ancien légionnaire, décide de monter une arnaque monumentale dans un coin du Vaucluse, aidé de quelques anciens compagnons d'arme, on rit encore un peu moins.

Mon avis

Rudolph, drôle de prénom, n’est-ce pas ? Suivi du nom de Pélican… Difficile de passer inaperçu !  Et pourtant c’est ce qu’essaie de faire cet homme, se fondre dans la masse, se faire oublier. Après avoir été légionnaire, il s’est installé à Marseille puis à Avignon, bien décidé « à piocher dans le filet garni de la vie. » La pension octroyée par l’état français ne suffit pas à couvrir ses besoins financiers et il faut bien trouver un moyen pour améliorer l’ordinaire. Pour ne pas trop prendre de risques, ne pas se faire remarquer, il se lance dans de petites arnaques. Ça fonctionne bien et il devient plus gourmand…

Gourmand ? C’est le cas de le dire puisque qu’il monte une petite affaire en lien avec la truffe entre autres. D’ailleurs ne dit-on pas que ce champignon est de « l’or noir » ? De là à imaginer non pas une petite mais une grosse fortune, il n’y a que quelques pas à faire …. en forêt, de préférence de chênes. Il pourra alors se mettre à l’abri pour très longtemps sans plus avoir à se mettre en danger.

Rudolph est pointilleux, organise, minutieux. Il ne se lance pas au hasard, il réfléchit, planifie, examine, pense à tout ce qui pourrait se mettre en travers. Il anticipe les problèmes et une fois qu’il a bien tout en tête, il agit.  C’est donc pour cela que nous le suivons sur plusieurs semaines, il cherche et trouve les lieux adéquats. Il s’entoure des bonnes personnes et il sait parfaitement où il va.

En plus, cerise sur la truffe, il rencontre une belle enseignante ! Il témoigne auprès de ses élèves, des liens se crée, il est heureux. Et plus si affinité ? Ne croyez pas que je vais tout vous raconter.

C’est avec une écriture pleine d’humour et de fantaisie, sans temps mort que l’auteur nous entraîne à la suite de Rudolph. Il y a beaucoup de rythme, le style est vif, désopilant. Les événements se succèdent rapidement et le lecteur ne s’ennuie pas. Il a même le sourire devant certaines situations. Les protagonistes sont haut en couleurs. Pour la plupart ils n’ont pas la langue dans leur poche, ce qui offre quelques dialogues savoureux.

C’est un polar tourbillonnant sur une cadence endiablée qu’a écrit Gilles Del Pappas. Il a dû prendre énormément de plaisir à rédiger cette histoire. Quant à moi, je n’ai pas vu le temps passer et j’ai bien ri !

"L'oeil du chaos" de Jean-Marc Dhainaut

 

L’œil du chaos
Auteur : Jean-Marc Dhainaut
Éditions : Taurnada (8 Juillet 2021)
ISBN : 978-2372580885
242 pages

Quatrième de couverture

Tandis qu'une canicule sans précédent frappe l'Europe, Théo, un jeune lycéen de 17 ans, est terrifié quand il réalise que les photos qu'il vient de faire dévoilent l'horreur et le chaos 21 jours à l'avance… Mais personne ne le croit. Théo est alors loin d'imaginer l'incroyable mission de survie et d'espoir que le destin lui réserve.

Mon avis

Tout d’abord, une mention « magnifique » à la couverture que je trouve belle et lumineuse.

Jean-Marc Dhainaut aime bien inscrire ses récits dans des failles temporelles et ce dernier texte ne déroge pas à la règle même s’il est totalement différent des précédents puisqu’on n’y trouve pas son héros récurrent. Ce texte d’anticipation reprend un thème déjà exploré sous d’autres formes, à savoir un futur où le dérèglement climatique (ici la canicule) devient tel que tout le confort moderne (électricité, internet, etc) disparaît.

Théo est lycéen. Avec son meilleur ami, il aime faire des photos, se balader dans la nature, observer. Il décide de bricoler un de ses objectifs pour donner plus d’effet à ses clichés. Il en fait quelques-uns et réalise assez rapidement qu’ils ne montrent pas l’instant présent mais le futur, plus précisément dans vingt-et-un jours. La touffeur commence à être très forte sur le pays et ce que Théo découvre lui faire craindre le pire. Faut-il envisager que ces « prévisions » deviennent réelles ? Théo partage avec son camarade, ses copains, ses parents ou son frère mais personne ne peut croire une chose pareille.  Se taire ? Parler ? Insister ? Ameuter tout le monde ? Il n’a aucune preuve que ce que perçoit son appareil photo sera vrai dans quelque temps. Il essaie malgré tout de diffuser l’information mais ça ne sert à rien, la plupart des gens pensent qu’il est fou.

Trois semaines plus tard, la réalité rattrape tout le monde en pleine face. Les incrédules sont bien obligés d’admettre que Théo avait prévenu. Intervient-il dans ce qui se passe ? Comment a-t-il pu avoir de telles prémonitions ? La police se méfie de lui, tout se précipite. Le monde plonge dans un cauchemar, les gens fuient, d’autres pillent, volent et se battent. L’instinct de survie reste primordial mais beaucoup d’individus perdent toute humanité.

Théo se retrouve séparé de sa famille, perdu, épuisé, troublé, traumatisé. Le lecteur va le suivre dans sa lutte quotidienne, ses rencontres (surtout une qui va changer le cours de sa vie), ses peurs, ses angoisses.

Les images défilent sous nos yeux, c’est l’horreur mais il ne faut pas perdre de vue que :
« L’avenir n’est prometteur qu’à ceux qui y croient. »

Dans ce roman (ouf, ce n’est qu’une fiction), on voit les dangers qui nous guettent face aux problèmes de gestion de la terre. Ne pas préserver l’environnement, ne pas penser au réchauffement climatique, ne pas agir en se disant que… on verra bien…. On commence à voir, non ?
J’ai trouvé intéressant l’approche de l’avenir par le biais de la photographie et les thèmes évoqués en filigrane.

L’écriture de l’auteur est vive, les rebondissements sont nombreux, l’atmosphère anxiogène est parfaitement retranscrite. Le contexte est bien imaginé, très visuel. C’est très prenant. On s’attache à Théo, il est fragile et fort à la fois, ne voulant pas montrer sa faiblesse, son anxiété. Les individus qu’ils croisent peuvent être des alliés ou pas. Il ne sait pas à qui faire confiance.

Jean-Marc Dhainaut signe un recueil empreint de réalisme, rappelant que rien n’est acquis, que l’homme doit prendre soin de la terre qui lui est confiée avant qu’il ne soit trop tard.

 


"Les échos du souvenir" de Tamara McKinley (Echoes from Afar)

 

Les échos du souvenir (Echoes from Afar)
Auteur : Tamara McKinley
Traduit de l’anglais par Danièle Momont
Éditions : L’Archipel (1 er Avril 2021)
ISBN : 978-2809841275
417 pages

Quatrième de couverture

1936. À peine arrivée à Paris, la Ville Lumière apparaît à Annabelle Blake, jeune infirmière contrainte de fuir Londres, comme la cité de tous les possibles. Elle y fait la connaissance d'Étienne, poète en devenir, et de Henri, peintre en quête de reconnaissance. Ensemble, ils passent leurs journées à flirter et à prendre du bon temps. Mais ce Paris bohème n'est pas qu'une fête, d'autant que la guerre civile menace en Espagne...

Mon avis

Tamara Mckinley me permet toujours de passer un bon moment sans prise de tête, avec des personnages attachants et des thèmes abordés intéressants.

Ce roman n’a pas dérogé à la règle et je l’ai lu, avec plaisir, très rapidement.

L’histoire se déroule en 1936 à Paris, puis en Espagne où la guerre fait rage. On se retrouve assez vite vingt ans plus tard, de nouveau dans la capitale française où la fille d’un des personnages féminins de 1936 vient pour ses études.

Annabelle Blake, avec le soutien de sa mère, fuit Londres. Son père a décidé de détruire sa carrière d’infirmière. Il est très dur avec son épouse et il n’y a aucune raison pour qu’il en soit autrement avec sa fille. Annabelle s’installe donc en France chez sa tante Aline, sœur de sa maman, bien différente de cette dernière. Aline est « toute en couleurs », vive, un tantinet déluré. Elle a une grande maison fréquentée par de nombreux artistes (elle-même est peintre), il y a de la joie, de la vie, de la spontanéité chez elle et Annabelle est heureuse. Mais il lui est difficile de faire reconnaître son diplôme et elle se décide à partir soigner en Espagne, accompagnée par deux jeunes gens rencontrés chez sa tantine. Eux, ils y vont pour se battre.

Le contraste est saisissant entre Paris bohème, fait de légèreté et l’Espagne où tout est difficile, les conditions de travail, l’atmosphère pesante due aux combats, la peur quasi permanente et l’impossibilité de prendre du temps pour soi, de se reposer. Des événements graves se déroulent là-bas et personne n’en sort indemne.

Deux décennies plus tard, une jeune fille débarque à son tour chez Aline.  Le décor n’est plus le même. La seconde guerre mondiale est passée par là. Les stigmates sont nombreux, dans les têtes, dans les corps, dans les rapports humains. L’ambiance s’est alourdie et il est nécessaire que chacun trouve sa place…

Avec une écriture fluide, harmonieuse (merci à la traductrice), l’auteur nous enchante. Son récit est bien intégré dans le contexte historique, ceux qu’on y croise ont de la consistance. Elle décrit avec finesse les liens filiaux, les nombreuses interrogations que l’on peut ressentir face au passé lorsqu’on sent une zone d’ombre et elle parle également, entre autres sujets, de l’art.

J’ai beaucoup apprécié cette lecture.


"Manuel de survie à l'usage des incapables" de Thomas Gunzig

 

Manuel de survie à l'usage des incapables
Auteur : Thomas Gunzig
Éditions : Au Diable Vauvert (22 Août 2013)
ISBN : 978-2846264143
420 pages

Quatrième de couverture

Plaçant en exergue une citation d'Arnold Schwarzenegger, Thomas Gunzig revient au roman après cinq années de succès au théâtre, avec une dimension romanesque agrandie et un style plus drôle et ciselé que jamais. Comment un jeune employé malheureux, un assistant au rayon primeur, un baleinier compatissant et quatre frères, Blanc, Brun, Gris et Noir, quatre jeunes loups aux dents longues surentraînés et prêts à tout pour se faire une place au soleil, se retrouvent-ils liés par la conjonction fortuite d'un attentat frauduleux et d'un licenciement abusif ? On l'apprendra en suivant avec passion leurs aventures burlesques et noires dans les sinusoïdes étranges du destin, et leurs différentes façons de composer avec les sévères lois du cynisme contemporain.

Mon avis

Les œuvres de Thomas Gunzig sont souvent synonymes de titres hautement improbables et d’humour à décrypter.

Ce recueil n’échappe pas à la règle et ça passe ou ça casse …

Il faut être particulièrement bon public et se sentir prêt à voir sous le regard acide, tournant en dérision la société, une réflexion un peu plus avancée …

J’avoue que j’ai eu du mal à « entrer » dans le fonctionnement de l’auteur et je n’ai pas réellement pris de plaisir à la lecture.

Pourtant, il y a de l’idée, de la recherche et des références (entre autres Pumping Iron) mais tout cela ne m’a pas passionnée et mes zygomatiques sont restées statiques …

« Au moment où son système limbique noyait son organisme sous des litres d’adrénaline, son esprit était lui-même en proie à une confusion d’émotions aussi puissantes que contradictoires… » Même pas drôle….

Les personnages m’ont plutôt énervée sauf peut-être Marianne qui prend son destin en mains …

La première partie très courte m’avait semblé prometteuse mais pour moi, cela n’a pas duré …

Dommage


"Ville des Anges ou Le manteau de Freud" de Christa Wolf (The Overcoat of Dr Freud)

 

Ville des Anges ou Le manteau de Freud (The Overcoat of Dr Freud)
Auteur: Christa Wolf
Traduit de l’allemand par Alain Lance et Renate Lance-Otterbein
Éditions: Seuil (6 Septembre 2012)
ISBN: 978-2-02-104101-9
400 pages

Biographie de l'auteur

Née en 1929 en Prusse, Christa Wolf est l’un des plus grands écrivains de langue allemande. Son oeuvre, traduite dans le monde entier, a été largement distinguée en Allemagne par les prix les plus prestigieux : Prix national de la RDA, prix Georg Büchner, prix Thomas Mann et prix Uwe Johnson, parmi d’autres. Elle est décédée le 1er décembre 2011.

Quatrième de couverture

Los Angeles, la ville des anges.

La narratrice doit y séjourner neuf mois, au début des années 1990, après avoir obtenu une bourse de recherche. Il s’agit pour elle de percer un secret : dans quel but Emma, sa chère amie, lui a-t-elle remis avant de mourir une liasse de lettres qu’une certaine L., allemande comme elle, mais émigrée aux États-Unis, lui avait écrites ?

À la recherche de L. dans la ville des anges, donc. Là où trouvèrent refuge beaucoup d’émigrés allemands fuyant le nazisme. Brecht, Thomas Mann. Là où Christa Wolf elle-même s’installa deux ans après la réunification de l’Allemagne pour se protéger des incriminations qu’eurent alors à subir nombre de ceux qui étaient nés de l’autre côté du Mur.

La découverte de l’Amérique, anges et enfers, au moment même où l’Histoire ne laisse plus le choix et vous contraint à entreprendre un douloureux travail sur soi que l’éloignement permet enfin.

Mon avis

Christa Wolf, née le 18 mars 1929 et morte le 1er décembre 20111, est une romancière et essayiste allemande. C'est l'écrivain le plus célèbre de l'ex-République démocratique allemande. Elle a été encensée, aimée puis son attitude n’ayant pas toujours été comprise (notamment au moment de la réunification), elle a été démolie, critiquée. Une grande partie de son œuvre parle de la douleur d’un peuple qui ne sait pas se situer, comme elle, la citoyenne de RFA, un pays qui n’existe plus…..

C’est un roman aux accents de vérité et de réalisme, l’auteur a beau souligner que les personnages sont fictifs (sauf ceux existant réellement), on sent qu’elle a mis beaucoup d’elle dans ce livre… Ce n’est pas une lecture facile car le style est fort, les phrases parfois très longues mais le contenu est très intéressant.

L’Allemagne est réunifiée depuis trois ans et une jeune femme écrivain arrive aux Etats-Unis, pouvant y séjourner plusieurs mois car elle a reçu une bourse. Une relation allemande lui a donné, avant de mourir des lettres d’une amie exilée en Amérique qui ne signe que d’une initiale.

C’est la recherche de cette personne mystérieuse qui sert de filigrane à ce livre mais ce n’est pas l’essentiel…

Avec une écriture singulière où les dialogues sont « rapportés », comme « pensés », et jamais en style direct, Christa Wolf nous emmène sur les chemins tortueux de son esprit. Elle raconte son « enquête » mais c’est tout ce qui est « à côté » qui représente la force d’écriture de ce roman (je le redis : en est-il vraiment un ?)….

Christa Wolf nous entraîne à sa suite pour une longue réflexion sur la vie en Amérique, au gré de ses visites mais aussi en Allemagne de l’Est dans un passé plus ou moins proche…. Les espoirs, les désillusions, les combats, les doutes, le retour sur soi d’une femme…

Toute une vie ou presque…. Sa vie ?


"Le parfum de la tendresse" d'Alice Quinn

 

Le parfum de la tendresse
Auteur : Alice Quinn
Éditions : Alliage (1 juillet 2021)
ISBN : 978-2369100591
380 pages

Quatrième de couverture

Joseph Conté, cinquantenaire désenchanté, qualifié de trop gentil par ses collègues qui profitent de son hyper sensibilité, mène une vie discrète et solitaire entre son métier de prof et son chat. Si seulement sa fille acceptait de le revoir et de lui présenter son petit-fils ! Peut-être alors, parviendrait-il à faire la paix avec lui-même ?

Mon avis

Joseph est acariâtre, il traîne son pessimisme et sa grogne comme d’autres affichent leur bonne humeur. Lui, il essaie de devenir transparent, pour oublier que sa femme est décédée et qu’il se sent coupable, pour ne plus penser que sa fille, mère d’un petit garçon qu’il ne connaît pas, ne lui parle plus… Une vie fade, vide…. Alors, il la remplit en rendant service. C’est le prof qui accepte d’intervertir ses heures de cours, de dépanner les collègues, de faire plus. Bien sûr, il sait que les autres en profitent mais bon … lui personne ne l’attend à la maison…. On dirait presque qu’il entretient cet état de fait, il ne lutte pas si on oublie de lui rendre la monnaie, si on se moque de lui… Un de ses élèves l’intrigue et c’est peut-être la seule chose dans sa vie qui le sort de la monotonie.

Essayer de se battre, de changer le cours des événements, non, ce n’est pas pour lui. Pourtant, un coup de téléphone va chambouler son train-train, l’obliger à aller là où il n’avait jamais imaginé se rendre, au plus profond de lui-même. Déstabilisé, bousculé, bouleversé, que va faire cet homme ? Se laisser aller ? Réagir ? Attendre ?

Jo va puiser loin, très loin, en ayant des ressources insoupçonnées pour inverser le cours du destin, pour ne pas perdre de vue « la petite fleur espérance ». Le lecteur va observer cet homme qui, pas à pas, un jour après l’autre, petit à petit, accepte que l’autre, les autres, rentrent dans sa vie, une voisine impétueuse, des jeunes gens etc… La carapace se fissure, les bras s’ouvrent lentement, il avance Jo, c’est coûteux, difficile, mais il avance. L’appartement bien rangé, plutôt triste, devient vivant, « vibrant »…. Ce n’est plus comme s’il y avait quelqu’un de passage, il est « habité » dans tous les sens du mot.

Avec son écriture fluide et délicate, Alice Quinn campe un décor et des personnages de tous les jours. Des gens qu’on pourrait croiser ou connaître. Bien sûr, ils sont tous réunis et dans la vraie vie, ce serait un peu différent, moins « concentré » dans l’espace et le temps mais peu importe. Ses protagonistes sont de vrais être humains avec leurs défauts, leur qualités, leurs peurs, leurs faiblesses….mais la plupart ont une envie furieuse d’aider ceux qui sont en difficulté. C’est le style de livre qui vous réconcilie avec le genre humain.

L’auteur ne nie pas les moments difficiles de ceux qu’elle présente, elle ne pratique pas l’optimisme béat. Elle montre simplement qu’une main tendue, un geste amical, un peu d’écoute, peuvent modifier dans le bon sens le cours d’une vie. Elle rappelle qu’à plusieurs on est plus forts, que malgré les drames, la vie vaut la peine d’être vécue.

Son récit est beau. On a envie d’accompagner Jo sur le chemin du pardon, puis sur celui des rencontres qu’il fait, en lui soufflant à l’oreille de ne pas désespérer, de croire en l’homme, que demain est un autre jour et que le beau temps revient toujours après la pluie….


"Mauvaises eaux" d'Inger Wolf (Ondt Vand)

 

Mauvaises eaux (Ondt Vand)
Auteur : Inger Wolf
Traduit du danois par Alex Fouillet
Éditions Mirobole (12 Mars 2014)
ISBN : 979-1092145175
352 pages

Quatrième de couverture

Deux femmes disparaissent sans laisser de traces à Århus. Le même automne, un vieux paysan découvre dans son champ, sous un tas de pierres, deux valises. À l'intérieur, deux corps de femmes. La peau de la première victime présente une multitude de traces en « Y », comme autant de petites incisions ; les cheveux de la seconde sont piqués d'une fleur rarissime, qui pousse essentiellement dans les prairies américaines. En charge de l'enquête, le commissaire Daniel Trokic devra s'intéresser de près aux rituels d'Afrique noire, aux vieilles mines de charbon et aux sangsues.

Mon avis

Diablement ficelé….

Un polar nordique de plus ? Oui et non…

Oui pour le lieu, les nom et prénom de l’auteur, la météo….

Non pour les clichés, il n’y pas un seul enquêteur mais une équipe, c’est plus rapide que chez les autres et Inger Wolf a un style qui n’appartient qu’à elle….

Nous sommes à Århus, deuxième ville du Danemark, après Copenhague. Une équipe d’enquêteurs va devoir se pencher sur des faits pour le moins troublants : des disparitions de femmes et des marques suspectes sur leur corps lorsqu’elles sont retrouvées. Daniel Trokic, est le commissaire chargé de l’enquête. Un homme pas franchement heureux ni malheureux dont on sent que dès qu’il y a beaucoup de paperasses, que les choses deviennent trop linéaires ou ressemblent à une vie rangée, cela ne lui « correspond » plus… Il a à ses côtés Jasper, un adjoint efficace mais un peu secret, Lisa qui revient d’un congé maternité et qui a d’excellents talents de hacker ainsi que d’autres coéquipiers. Là va résider une des originalités du roman : on a affaire à une équipe composée d’individus très crédibles, tous différents mais qui vont œuvrer dans un même but : arrêter le tueur en série. Forcément travailler à plusieurs dans un espace assez restreint n’est pas toujours facile. On va donc retrouver des inimités, des tensions, petits, moyens ou grands soucis de tous les jours sans gros éclats de voix malgré tout. Trokic, Jasper et Lisa ont un rôle un peu plus mis en avant mais ils ont bien besoin de tous leurs collègues pour avancer dans l’enquête.

Soyons clair, une fois le mode opératoire du tueur mis à jour, on a froid partout et on se demande pourquoi, comment, et où l’auteur est allée chercher tout ça…brrrrrr…. La deuxième originalité sera donc là : la méthode utilisée par l’assassin et surtout l’explication de son choix…. C’est bien introduit et comme dans la « vraie vie », les indices arriveront petit à petit, il y aura des erreurs, des questionnements, des retours en arrière avant de comprendre et de réaliser que le poids du passé peut être très dangereux et influencer dans le mauvais sens les esprits fragiles…. Les explications apportées pour comprendre comment le meurtrier en est arrivé à agir ainsi sont captivantes par leurs côtés psychologiques. Inger Wolf aborde le profilage géographique et cela est une autre entrée intéressante.

La troisième originalité sera les ramifications de l’intrigue. On va aborder les coutumes ancestrales de certaines contrées d’Afrique, visiter de vieilles mines ….Et puis chaque fois qu’on croit être arrivés au but et avoir enfin trouvé et compris, un autre chemin se propose à nous pour nous égarer à nouveau. Tout cela est non seulement bien amené mais également bien conçu.

Quelques chapitres donnent la parole au tueur ou décortiquent ses actes installant une ambiance lourde. C’est difficile pour le lecteur qui prend les faits en pleine face et se sent terriblement impuissant puisqu’il ne peut rien dire aux enquêteurs…

L’écriture d’Inger Wolf n’est pas trop lente, elle est cadencée juste ce qu’il faut (contrairement à d’autres polars nordiques où le stylo de l’auteur doit être engourdi par le froid) apportant régulièrement des éléments nouveaux qui font rebondir l’enquête et donnent de nouvelles pistes aux policiers qui n’ont de cesse de résoudre le mystère. La plupart d’entre eux sont opiniâtres, volontaires, et aussi attachants. Les personnages et les situations sont bien installés, bien décrits et les indications pour cerner ce mystère imbitable seront distillées avec intelligence et à un bon rythme pour maintenir le lecteur dans le désir de comprendre, de savoir….

Un roman de très bonne facture et une écrivain danoise à suivre….

 


"La vie en chantier" de Pete Fromm (A job you mostly won’t know how to do)

 

La vie en chantier (A job you mostly won’t know how to do)
Auteur: Pete Fromm
Traduit de l’américain par Juliane Nivelt
Éditions: Gallmeister (5 Septembre 2019)
ISBN: 978-2351781968
384 pages

Quatrième de couverture

Marnie et Taz ont tout pour être heureux. Jeunes et énergiques, ils s'aiment, rient et travaillent ensemble. Lorsque Marnie apprend qu'elle est enceinte, leur vie s'en trouve bouleversée, mais le couple est prêt à relever le défi. Mais lorsque Marnie meurt en couches, Taz se retrouve seul face à un deuil impensable, avec sa fille nouvellement née sur les bras. Il plonge alors tête la première dans le monde inconnu et étrange de la paternité.

Mon avis

Résilience

Marnie et Taz ont tout pour être heureux malgré des fins de mois difficiles. Ils retapent une maison dans le Montana et essaient de gérer les factures. Lorsqu’elle est enceinte, ils sont bouleversés et ravis. Le jour où Midge nait, sa mère meurt. Un accident rarissime mais qui se produit parfois. Taz revient chez eux le cœur vide mais les bras pleins, portant un bébé fille dont il doit s’occuper. Plus rien n’existe à part ce nourrisson. Il s’oublie complètement.

Ce qui le tient debout c’est l’amour pour cet enfant, l’unique être vivant qui le raccroche au quotidien. Il vit au passé (mais vit-il vraiment ?), il voudrait apprivoiser le présent et, peut-être, un jour, se projeter dans l’avenir. Mais le chemin est long, très long….

Il est entouré d’amis dont Rudy, le plus fidèle, celui qui comprend ce qu’on ne lui dit pas, qui anticipe, qui est là. Il y a également sa belle-mère, puis Marko qui lui donne du travail (Taz est menuisier). Tous sont patients, attentifs, essayant de le sortir de son marasme, de l’empêcher de se noyer.

L’auteur égrène les jours, très serrés au début puis qui s’espacent, comme si on pouvait, pendant un temps lâcher la main de Taz, le laisser se débrouiller seul. Il chemine doucement, parfois bousculé par un camarade, ou la baby-sitter, des gens qui lui rappellent qu’il y a un futur, qu’il se doit de l’habiter un jour. Il se hasarde à aller vers les autres, à communiquer pour autre chose que le travail mais Marnie lui manque terriblement et il pense à elle. Il entend même ce qu’elle lui souffle à l’oreille, imaginant ses réactions, les anticipant.  On dirait qu’il ne s’autorise pas à vivre alors qu’elle n’est plus là.

« Vous n’avez jamais eu l’impression que faire le moindre pas en avant serait … mal ? Une sorte de trahison ? »

Et que même si on sent qu’il faut avancer, l’autre est toujours là, non ?

Il est seul, terriblement seul face à son malheur malgré la présence aimante et discrète de ceux qui le soutiennent.

Au bout d’un an, il se surprend à être sur le point d’éclater de rire. En a-t-il le droit ? Le remords ne va-t-il pas lui tomber dessus s’il se laisse aller à sourire, à se distraire, à vivre « normalement » ?

Certains esprits chagrins ne manqueront pas de dire qu’il ne se passe rien dans ce roman, que la fin est prévisible. L’essentiel est ailleurs. Il est dans l’écriture de Pete Fromm, lumineuse, sensible, délicate. La traductrice, Juliane Nivelt, fait un travail remarquable. Elle sait trouver les mots justes, ne rien briser de cette espèce « d’intimité psychologique » dans laquelle nous pénétrons. Ni voyeurisme, ni pathos, une vie pas facile, où chaque jour passé est une victoire sur l’adversité.

L’auteur sait parler de la souffrance. Avec des faits que l’on peut qualifier d’ordinaires, il décrit, analyse chaque échange, chaque geste. Il parle de la vie et de la mort comme peu de personnes savent le faire. Je suis sous le charme de son écriture, de ses intonations. C’est comme s’il me murmurait son texte à l’oreille. Je suis chaque fois « imbibée » de ses personnages. Sans doute parce qu’il les rend palpables et qu’en peu de pages, ils deviennent « familiers ». D’ailleurs, il n’y a pas pléthore d’individus, certains sont dans l’ombre, font quelques apparitions, sans plus d’importance que ça… Et puis, sous-jacent, il y a le rapport à la nature, le lien inexplicable qui se tisse entre le coin secret de Marnie et Taz, réinventant le passé pour le transformer en présent qui deviendra au fil du temps un futur, non pas en chantier, mais à réinventer.

 

 

 


"Constellation" d'Adrien Bosc

 

Constellation
Auteur : Adrien Bosc
Éditions :  Stock (20 août 2014)
ISBN:9782234077317
200 pages

Quatrième de couverture

Le 27 octobre 1949, le nouvel avion d’Air France, le Constellation, lancé par l’extravagant M. Howard Hughes, accueille trente-sept passagers. Le 28 octobre, l’avion ne répond plus à la tour de contrôle. Il a disparu en descendant sur l’île Santa Maria, dans l’archipel des Açores. Aucun survivant. La question que pose Adrien Bosc dans cet ambitieux premier roman n’est pas tant comment, mais pourquoi?

Mon avis

"La puissance discrète du hasard…. "

Constellation, c’est un nom pour rêver, pas pour mourir…

Et pourtant, l’avion nommé ainsi fut le cercueil de quarante-huit personnes. Des célèbres comme Marcel Cerdan ou Ginette Neveu, d’autres plus ou moins connus, et enfin des anonymes passés à la postérité par un curieux concours de circonstances (places échangées ou autres …) Ils ont pris cet avion pour de bonnes raisons mais aucun d’un ne partait en vacances. A l’époque, on utilisait moins ce mode de transport et investir dans un tel voyage n’était pas donné à tout le monde. Ils sont là, vivant sous nos yeux, tant l’auteur les replace chacun dans le contexte les ayant amenés à prendre ce vol puis ………… d’un coup, c’est le silence…. La disparition et les questions…..

L’écriture est incisive, précise, pas de voyeurisme. Une fine analyse des faits expliquant la présence de toutes ces personnes à l’instant T au même endroit. Un roman court, au ton juste car il est inutile d’en faire trop. Est-ce un hommage aux victimes ? Je ne le vois pas comme cela, simplement un regard sur un fait d’actualités des années après….

NB : J’ai beaucoup apprécié le post-scriptum


"Léon Gavet, Je vous écris des Samoa : Un demi-siècle de correspondance inédite 1858 - 1909 venue de la lointaine Océanie" de Serge Tcherkézoff (Préface), Mireille Dodart-de l'Hermuzière (Compilateur)

 

Léon Gavet, Je vous écris des Samoa :
Un demi-siècle de correspondance inédite 1858 - 1909 venue de la lointaine Océanie
Auteurs : Serge Tcherkézoff (Préface), Mireille Dodart-de l'Hermuzière (Compilateur)
Éditions : du Volcan (9 Février 2021)
ISBN : 979-1097339272
660 pages

Quatrième de couverture

Cette correspondance, présentée dans l'ordre chronologique de l'envoi des courriers, offre le tableau de la vie de Léon Gavet, missionnaire mariste aux îles Samoa, sur une période de 51 années de 1858 à 1909. Il y relate son voyage de 16 500 km dans des conditions précaires, puis, outre son travail apostolique auprès des populations indigènes, les menus faits de son quotidien, les événements majeurs en France et dans le monde, les luttes pour le pouvoir des grandes puissances : États-Unis, Angleterre, Allemagne, les guerres civiles des chefferies locales.

Mon avis

J’ai toujours considéré (et c’est encore vrai) qu’une lettre était un cadeau. Prendre le temps de choisir le papier (ou la carte), le stylo, se poser, chercher les mots, penser à celui ou celle qui recevra, offrir ainsi un peu de soi, son temps, ses pensées, partager….

Dans ce magnifique ouvrage, Nous retrouvons les lettres que Léon Gavet, mariste aux îles Samoa, a écrit à sa famille, ses connaissances pendant une cinquantaine d’années. Excellent travail de compilation, elles nous sont dévoilées dans l’ordre chronologique. Quelques photos en noir et blanc illustrent cette présentation complète, il y a même une copie d’une lettre de sa fine écriture et on imagine qu’il a fallu beaucoup de patience (et de temps) pour retrouver ces courriers, les classer et surtout les retranscrire pour que le lecteur les découvre.

Cet homme, animé d’une foi inébranlable, était parti évangéliser là-bas, loin de chez lui et de ses racines. Le voyage en bateau a duré deux mois. Les lettres arrivaient et partaient de façon aléatoire, deux fois l’an ou parfois plus souvent et il fallait plusieurs mois d’attente avant qu’il reçoive une réponse. Jamais il ne se plaint, au contraire, il écrit toujours qu’il ne veut pas qu’on s’inquiète pour lui. Il raconte d’une plume fine, avec une pointe de dérision son quotidien, ses rencontres, les réceptions, les mœurs différents (dont l’utilisation du mouchoir qui m’a amusée), la place de la religion dans ses journées. On devine que c’est quelques fois difficile car il est isolé et que les liens à construire ne sont pas évidents. Il ne juge pas les autochtones, il fait tout pour les comprendre, s’habituer à leur façon d’être sans les braquer, ni les faire fuir.

« Mais au milieu de ces inconvénients, le cœur de missionnaire se plaît à voir l’œuvre de Dieu dans les âmes. »

Ceux qu’il nomme au début « les sauvages » (sans note péjorative, simplement parce qu’il le ressent ainsi par méconnaissance de ces personnes), deviennent au fil des écrits : des fidèles, des brebis, puis une famille. On constate l’évolution du regard de Léon Gavet qui a vu ces hommes et ces femmes venir à lui, grandir, se marier, avoir des enfants, s’éloigner ou mourir. Il a connu plusieurs lieux de résidence dans le même secteur géographique, l’obligeant ainsi à réapprivoiser d’autres personnes, à se faire accepter, ce qu’il vit avec plus de facilité au fil du temps. Le lecteur le sent vieillir, sa compréhension des peuples devient de plus en plus affutée, il se fatigue plus vite mais il garde une écriture alerte, fascinante, analysant les faits sur place avec des détails savoureux mais également à distance. Il ne reste pas centré sur sa personne, il parle de ceux qu’il côtoie, de ce qu’il fait, et quand il rédige il a toujours un petit mot attentif pour celui qui recevra et pour tous ceux qu’il connaît.

Léon Gavet était un homme d’une grande humanité, humble et à l’écoute. J’ai eu énormément de plaisir à découvrir ses courriers. Je n’ai pas eu l’impression d’aller trop loin dans son intimité tant le contenu de ses messages donne de la place aux autres dans le partage et le respect. C’est une merveilleuse découverte d’une vie et pas n’importe laquelle. C’est dépaysant et enrichissant. Je suis impressionnée (et admirative) par la fidélité qu’a eu ce missionnaire envers tous ces correspondants.