"Réparer les vivants" de Maylis de Kerangal

 

Réparer les vivants
Auteur : Maylis de Kerangal
Éditions : Gallimard (2 Janvier 2014)
ISBN : 9782070144136
290 pages

Quatrième de couverture

«Le cœur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d'autres provinces, ils filaient vers d'autres corps.»

« Réparer les vivants » est le roman d'une transplantation cardiaque. Telle une chanson de gestes, il tisse les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer en vingt-quatre heures exactement. Roman de tension et de patience, d'accélérations paniques et de pauses méditatives, il trace une aventure métaphysique, à la fois collective et intime, où le cœur, au-delà de sa fonction organique, demeure le siège des affects et le symbole de l'amour.

Mon avis

Abandonner pour offrir....

Accepter l'idée de l'irréversibilité, de l'impossible retour en arrière.... Il y aura un avant et un après. Le temps a suspendu sa course et il est reparti ... sans lui.... ou avec lui autrement ...

C'est un livre qui palpite entre les mains, où, comme pour un cœur, parfois le rythme s'emballe, d'autres fois explose, ou traîne...

L'auteur a cette force d'adapter la cadence de ses mots à ce qu'elle veut nous faire vivre...

Son style est indéfinissable, ses phrases longues, très longues, contiennent autant de ramifications que le réseau veineux dans notre corps.... Ça s'étire, se tortille, se resserre, s'allonge à nouveau... Nos yeux restent accrochés aux points, aux virgules....notre  souffle est suspendu....

Et puis quatre ou cinq fois, une réplique, fuse, claque dans toute sa brutalité car là, le style redevient direct.

A la ligne, un tiret:

- Et pan

C'est court, sec, clair, précis, comme un couperet, c'est la réalité, la cruelle réalité, celle que l'on veut réfuter, repousser loin, très loin. C'est Marianne, la mère qui la reçoit la première en pleine face, puis Sean, le père, lui qui a transmis à leur fils l'amour du surf....et qui se sent coupable.

Car c'est au retour d'une série de vagues merveilleuses (dont la description est un régal de poésie) que l'accident a eu lieu... Comment ne pas s'en vouloir de lui avoir donné le goût de ce sport? Comment ne pas en vouloir à la terre entière, à la vie, à la mort? Mais c'est ainsi,  il faut accepter le fait que Simon, le fils,  ne soit plus, bien qu'il respire... Alors va se poser le choix du don d'organes alors que le jeune n'a rien exprimé de son souhait de  donner ou pas de son vivant...

C'est là que Thomas, à la tessiture qui sort de l'ordinaire, amoureux du chardonneret de Baïnem, au  nom de famille prédestiné puisqu'il s'appelle Rémige, va entrer dans la vie de cette famille. Un homme humain, simple, qui fait le lien entre les familles de donneurs potentiels et les équipes qui s'occupent des futurs greffés. Il parle peu, occupe l'espace avec délicatesse pour que les parents cheminent, accompagnés jusqu'au bout de leur choix, quel que soit ce que sera la résolution .... Il faut prendre une décision et vite car le temps presse....

C'est avec un vocabulaire ciblé, recherché, documenté sans aucun doute pour la partie médicale que Maylis de Kerangal va au fond des actes liés à la mort clinique pouvant entraîner un don d'organes, fouillant les âmes, plongeant au fond des cœurs aussi.... Tout est dévasté autour de cette famille, Simon les rassemble mais de quelle façon.... Dans la douleur, le chagrin, l'horreur de la situation....

Certains esprits chagrins trouveront que l'auteur a trop décrit, qu'elle en a trop fait sur la partie "hôpital" et que tous les détails n'ont pas lieu d'être, pas plus que ceux donnés sur le quotidien des uns ou des autres qui croiseront la route de Simon ou de ses parents durant ces vingt-quatre heures. Je crois, au contraire, qu'il le fallait pour montrer l'opposition entre la vie qui continue, qui avance, et celle qui s'est figée....

Ce roman sera pour moi un coup de cœur. D'abord pour l'écriture si singulière mais qui m'a parlé au coeur, ensuite pour la façon dont ce douloureux sujet est abordé, sans voyeurisme, sans pathos, et enfin pour l'humanité dont fait preuve l'auteur, posant les phrases, les gestes, comme une délicate évolution vers l'espoir, fil ténu reliant les vivants et les morts, maintenant la vie comme seule réponse à tous les conflits intérieurs face aux questions incessantes qui hantent ceux qui restent....


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