"Les saisons de Louveplaine" de Cloé Korman


Les Saisons de Louveplaine
Auteur : Cloé Korman
Éditions Points (18 Septembre 2014)
ISBN :  9782757845219
352 pages

Quatrième de couverture 

La dernière fois que Nour a vu son mari, Hassan, c'était à l'aéroport d'Alger. Il retournait travailler en France. Puis il n'a plus donné de nouvelles, et Nour a décidé de le retrouver. Quand elle arrive à Louveplaine, la cité de Seine-Saint-Denis où Hassan lui a promis qu'ils vivraient un jour, l'appartement est vide. Peu à peu, elle découvre la sombre renommée de cet homme qu’elle croyait connaître…

Mon avis

« Porter nos regards au-delà de la clôture, notre curiosité plus loin »

Au premier abord, ce roman ressemble à un documentaire.
Bien que la banlieue de Louveplaine soit fictive, on la regarde vivre et on l’aperçoit à travers les yeux de Nour, qui est venue pour retrouver son mari dont elle est sans nouvelles.

Petit  à petit, on « épouse » la cause de Nour, sa lutte pour retrouver son époux. Nous la suivons, au quotidien, quand elle découvre, au fil des jours, des semaines, des mois, le comportement erratique de celui-ci. Elle pensait le comprendre, le connaître.  Mais ce n’est pas lui , c’est un inconnu qui se révèle à ses yeux à travers les rencontres, parfois très douloureuses, qu’elle fait dans ce lieu qui était devenu le fief de l’homme dont elle partageait la vie, là-bas, « au pays ». La cité a emprisonné ce dernier, l’a englouti, lui a fait couper les liens, pour prendre vie « autrement », avec des « bandes », par l’intermédiaire  de trafics divers…  Quant à Nour, au début, elle a peur des tours, des voisins, elle se terre …. puis elle sort, prend de l’assurance et on se demande si, à la fin, la relation de peur ne s’est pas inversée…. Si ce n’est pas elle qui effraie les gens de la cité…

L’écriture est fascinante, parfaitement adaptée au tempo du livre. Avec des phrases courtes et incisives au départ car Nour est à bout de souffle, à bout de courage, pressée de retrouver celui qu’elle aime. La cadence est rapide, elle est mal, effrayée, elle a le souffle court, ensuite elle cherche à droite, à gauche, partout, toujours … Puis elle s’apaise, elle prend son rythme, elle s’est laissée apprivoiser par ce coin de banlieue, elle a créé des liens, établi des relations, elle devient plus forte, elle « ose », elle a réappris le mot « patience ».  Peut-on dire qu’elle revit ? Non, car c’est encore trop difficile pour elle, elle n’est pas au bout de son chemin, elle veut encore et encore retrouver Hassan et éventuellement  le comprendre….. A la fin, c’est plus lent, l’épuisement  a pris le dessus, peut-être, également, une certaine forme de résignation…

Je suis rentrée dans ce roman, sur la pointe des pieds. Au départ, j’ai pensé que j’allais rester en dehors, spectatrice, mais bien vite, j’ai compris que ce ne serait pas le cas. La cité me parlait, s’exposait, vibrait sous mes yeux, je l’entendais souffrir, se battre, tricher,  se soutenir, mais aussi s’aimer car un fil ténu relie ses habitants….
J’ai  haï les combats de chien, j’ai détesté Sonny parfois, j’ai eu pitié de lui à d’autres moments, j’ai voulu secouer Nour, lui ouvrir les yeux,  l’aider  dans sa quête, la soutenir…..

Un roman comme on les aime : réel.

"Le fruit de ma colère" de Mehdy Brunet


Le fruit de ma colère
Auteur : Mehdy Brunet
Éditions : Taurnada (15 Mars 2018)
ISBN :  978-2372580403
230 pages

Quatrième de couverture

Le jour où Ackerman vient demander de l'aide à Josey Kowalsky, le compte à rebours a déjà commencé. Il faut faire vite, agir rapidement. Josey n'hésite pas un seul instant à venir au secours de cet homme qui, par le passé, a su le comprendre.  Ensemble, ils vont découvrir que la colère et la vengeance peuvent prendre bien des visages.

Mon avis

Paul Ackermann n’a plus de nouvelles de son frère jumeau, Eric,  alors il demande de l’aide à Josey qui habite en Espagne. Ce dernier qui a vécu des choses terribles (voir le roman précédent de l’auteur),  n’a plus rien à perdre ou à gagner alors il accepte d’aider Paul et part avec lui. Ils ne savent pas, qu’en prenant cette décision, ils vont se mettre en danger et vivre des moments plus que difficiles. Ils démarrent une espèce de course contre la montre et de ce fait, l’écriture sera à la mesure de ce qu’ils vivent. C’est noir, c’est violent et ça vous percute de plein fouet. Dès les premières pages, on entre sans temps mort dans une histoire qui fait frémir. Pas de cadeau pour les deux hommes partis à  la  recherche d’Eric, pas de répit pour le lecteur. Ce dernier est toujours sous pression pendant cette lecture, se demandant à quel moment il pourra  se poser, respirer et avoir un peu de repos. C’est exactement la même chose pour les protagonistes, rares sont les instants où ils peuvent souffler et se reprendre. Ils sont toujours dans l’urgence.

Le début de ce roman m’a un peu prise de court, j’avais le sentiment d’être exclue et d’assister à des retrouvailles dont je ne savais rien (et du coup de suivre des conversations évoquant des faits passés que j’aurais voulu comprendre). Peut-être aurais je apprécié, en annexe, un petit résumé de « Sans raison » où les personnages étaient apparus la première fois. Ceci dit, ce n’est pas rédhibitoire et j’ai pu continuer ma lecture ;-) Les deux hommes partent en quête et vont croiser plusieurs femmes sur leur route. Ce ne seront pas des rencontres innocentes et faciles…. La souffrance passée peut conduire à des actes très forts de la part de ceux qui ont vécu l’horreur.  Pas de résilience…

Plusieurs thèmes sont abordés dans ce recueil, la vengeance, les secrets, la justice (celle qu’on rend et celle qu’on donne en agissant soi-même), l’honnêteté, le respect, les relations hommes-femmes etc ….  Comme le livre est court et qu’il y a beaucoup d’actions, on peut penser que tout cela est survolé. Pas vraiment car tout apparaît en filigrane, il n’y a pas à proprement parler une réflexion sur chacun des sujets mais les dialogues, les pensées, les actes des uns et des autres conduisent le lecteur à réfléchir à tout ça….

L’écriture de Mehdy Brunet est sèche, incisive. Les faits décrits tombent comme des couperets et il ne s’embarrasse pas de fioritures.  Les descriptions des événements sont très visuelles et font froid dans le dos certaines fois (ce qui prouve que c’est réussi). Le style est rapide, très adapté à l’ambiance et au texte qui, je le répète, ne laisse pas l’esprit du lecteur partir dans des digressions. On est au cœur de l’action. Les personnages sont des individus ayant du caractère,  opiniâtres, ils sont présentés en quelques lignes mais c’est suffisant pour prendre leur mesure.

J’ai lu ce livre d’une traite et c’est avec plaisir que je relirai cet auteur !


"Incarnatio" de Patrick S. Vast


Incarnatio
Auteur : Patrick S. Vast
Éditions : Fleur Sauvage (Novembre 2016)
ISBN : 979-1094428337
210 pages

Quatrième de couverture

Alex Shade, tueur à la hache qui a apporté gloire et fortune à James Simmons, devient son pire cauchemar quand le romancier se met à croire que le personnage qu'il a créé s'est incarné et le pourchasse.


Mon avis

Et si la fiction devenait réalité ?

Retrouver un texte d’un auteur qu’on suit depuis quelques années, c’est se demander si la magie de l’écriture va opérer une fois encore. En effet, il n’est jamais simple, pour un écrivain, de se renouveler, de donner encore envie à ses lecteurs de découvrir un nouveau récit. Soit il choisit la facilité en reprenant une « recette » qui fonctionne, soit il prend des risques.

Patrick S. Vast a décidé de revenir au thriller mais avec une pointe de « folie » sur un opus assez court puisqu’il est composé de seize chapitres. Il nous entraîne dans l’univers d’un romancier, dont le personnage récurrent, un tueur à la hache, devient présent, trop présent, palpable…. James Simmons vit avec sa femme et participe, de façon régulière, a des salons littéraires où il rencontre ceux qui le lisent. Un jour, parmi ces derniers, il fait connaissance avec un homme qui ressemble trait pour trait à celui qui est surgi tout droit de son imaginaire… Fiction ou réalité ? Est-il « malade » au point de donner le visage de celui qui hante ses romans à un inconnu croisé lors d’une dédicace ? Ou est-ce l’individu qui « s’amuse » de lui en se grimant afin de coller au tueur à la hache que James a créé ? Qu’en est-il de ces troubles qui semblent l’envahir et qui inquiètent son épouse ? De plus, des meurtres sordides ont lieu près de chez lui et le modus operandi est celui de son héros de papier….Bizarre et déstabilisant au possible d’autant plus qu’il a de plus en plus l’impression d’être épié, surveillé et que certains faits très perturbants « plombent » son quotidien. Sa tendre moitié est, elle-même, ébranlée par tout cela et se demande vers qui se tourner pour avoir de l’aide, ou à défaut une écoute. Lorqu’on décrit des situations qui n’ont rien de rationnel, il faut que les personnes à qui vous parlez vous comprennent et ce n’est pas gagné pour elle. Parallèlement à ce couple, on suit l’équipe de policiers qui mènent l’enquête et là aussi, les questions sont nombreuses et ils ne savent pas comment aborder les recherches qui leur sont confiées.

Patrick S. Vast a fait mouche, je me suis sentie très vite embarquée dans son intrigue avec un désir accru de voir comment il allait négocier la « chute » car il est primordial (et ce n’est pas si aisé qu’on le croit) de maintenir le suspense et l’intérêt jusqu’au bout. Chaque période évoquée est clairement déterminée avec l’heure et parfois une indication temporelle bien utile lorsqu’il s’agit de retour en arrière. Le passé va donner un éclairage essentiel au présent mais il nous sera livré par bribes. Sylvia, la compagne de Simmons, va assez rapidement s’apercevoir, qu’elle connaît mal « son homme » et qu’il cache une part d’ombre importante. L’ensemble est bien « ficelé » sans temps morte et sans redondance. On peut, peut-être, se dire que la fin est un peu amenée rapidement mais c’est simplement parce qu’on est « ancré » dans l’histoire et qu’on se dit que cela aurait pu durer encore un peu (c’est mieux qu’un sentiment de lassitude ;-)

L’écriture et le style sont vifs, les dialogues intéressants et l’atmosphère mystérieuse, parfois un tantinet angoissante. C’est donc un roman parfaitement maîtrisé que nous offre le nordiste à qui je souhaite d’avoir toujours autant de plaisir à écrire !

"Lady R." de Henri Courtade


Lady R.
Auteur : Henri Courtade
Éditions : Les nouveaux auteurs (14 Avril 2011)
Illustrations d’Anne Claire Payet
ISBN : 978-2819500759
600 pages

Quatrième de couverture

En l’an de grâce 1194, Lady Rowena de Windermere, agent de Sa Majesté Richard Coeur de Lion a pour mission de dérober aux Templiers des documents hérétiques menaçant la paix en Occident. De Venise à l’Écosse, en passant par l’Aquitaine d’Aliénor, Rowena dévoilera un terrible secret qui fera basculer sa vie et celle de tous ceux qui croiseront sa route. Dans un monde où les trahisons et les complots sont la règle, l’amour sera-t-il assez fort pour la sauver des griffes de la mort ? Pourchassée sans relâche par des ennemis de l’ombre, à qui pourra-t-elle accorder sa confiance ?

Mon avis

C’est en Europe (France, Italie, Angleterre, Ecosse…), à la fin du XII ème siècle que nous allons suivre les différents protagonistes de ce roman. Car il s’agit bien d’un roman, certains personnages évoqués ont des noms connus : Jean Sans Terre, Richard Cœur de Lion mais toute ressemblance etc… vous connaissez la suite …

Henri Courtade a donc écrit l’histoire à sa façon et ma foi, de bien belle manière !

De l’action, des complots, de l’amour, de l’amitié, un peu de surnaturel, de bonnes références sur la vie de l’époque, quelques clins d’œil historiques et vous avez entre les mains un livre qui se lit tout seul et où les événements s’enchaînent sans aucun temps mort. Le passé, le présent s’y côtoient facilement, les différents personnages, apparaissant au fur et à mesure pour les besoins de l’intrigue, s’intègrent parfaitement dans le « paysage ».
Templiers, guilde pérégrine, bâtisseurs de cathédrales …. l’auteur a l’intelligence de « ne pas trop en faire », ces éléments sont insérés dans le déroulement, avec juste ce qu’il faut de détails et d’informations pour les rendre crédibles sans pour autant lasser le lecteur qui aurait peur de se trouver face à un cours d’histoire, de religion ou d’architecture.
Rowena, Lady R, est bien décrite, on l’imagine sans peine, tant elle nous semble familière à travers les pages de ce récit enlevé, bien mené, bien argumenté.
Introduire une partie du passé sous forme d’un testament épistolaire et de manuscrits laissés par deux des personnages a permis au roman de ne pas être alourdi par des retours dans le passé et de permettre à tous (personnages et lecteur) de comprendre le présent.
Les personnages secondaires, qui évoluent auprès d'elle, sont "ciblés", chacun son "rôle" même si, parfois, et c'est une bonne chose, on se fait "manipuler", pensant que ... alors que .... (sauf, bien sûr, si, comme moi, on lit la fin, alors, là, on ne "nous la fait pas"....)

L’écriture est simple (je n’ai pas écrit « simpliste »), les dialogues apportent ce qu’il faut de
« mouvement » aux chapitres de longueur moyenne qui se suivent sans aucune difficulté. On repère sans aucun souci, le lieu, les relations entre les uns et les autres, les situations.

L’épilogue, en fin ouverte, laisse deviner une suite qui ne devrait pas tarder à ravir les amateurs du genre.

"L'ombre de ce que nous avons été" de Luis Sepúlveda (La sombra de lo que fuimos)

L'ombre de ce que nous avons été (La sombra de lo que fuimos)
Auteur : Luis Sepúlveda
Traduit de l’espagnol par Bertille Hausberg
Éditions : Métailié (14 janvier 2010)
ISBN : 978-2864247104
160 pages

Quatrième de couverture

Un jour de pluie à Santiago, trois vieux nostalgiques rêvent de propager la révolution. En attendant leur chef, " le Spécialiste ", Arancibia, Garmendia et Salinas boivent, fulminent et se disputent pour le plaisir. Mais " le Spécialiste " ne viendra pas : il est mort, assommé par un tourne-disque jeté d'un balcon lors d'une dispute conjugale. Aux vieux communistes de prendre leur destin en main...

Mon avis

Un livre qui va vite, un livre qui se lit vite ...

Une histoire courte dans le temps mais pas vraiment dans l’espace puisque beaucoup de lieux, autres que le principal où se déroulent les faits, seront évoqués.

Des hommes, des vrais, qui ont combattu pour un idéal, qui veulent encore une fois agir …. Leur force ? L’amitié, une amitié masculine, « brute de décoffrage », sans fioriture où on partage du poulet, où on ne s’attarde pas sur les souffrances, les tortures, l’exil subis. Une amitié où on continue de vivre, de rêver, de renverser des montagnes, de vouloir croire en d’autres possibles … Une amitié qui défie le temps, les séparations …

Une écriture accompagnée d’un humour dont je me suis régalée, permettant de sourire malgré la gravité des faits évoqués. Des descriptions jubilatoires (les différents scénarios imaginés par Aravena s’appuyant sur sa culture cinéphile), des échanges savoureux (les emails et certains dialogues) … tout cela contribue à donner au récit une légèreté de bon ton.

La force de l’auteur est d’avoir su glisser des allusions à des événements historiques comme autant de rappels et de portes entrouvertes pour nous pousser à aller plus loin dans la connaissance de l’Histoire (avec un H majuscule) mais aussi de nous-mêmes (que sont devenus nos rêves, nos combats ?....)
Tout ceci au milieu d’une histoire cocasse dont les invraisemblances ne nous gênent pas plus que ça tant elles sont bien amenées.

Cela permet peut-être de toucher un public plus large, d’être traduit et diffusé sans risque de censure et c’est une excellente manière de nous remémorer ce qu’on ne doit pas oublier (ce sont eux qui le disent dans le livre, pas moi.) :

« Comme l'a dit le camarade Lénine, les hommes ne peuvent pas corriger les choses du passé, mais ils peuvent anticiper celles de l'avenir."

J’ai lu un jour que pour Luis Sepúlveda, la littérature était une forme de résistance.
Il a souffert sous Pinochet, a connu les geôles, l’exil, la souffrance ….
Mais de quel bois est fait cet homme pour arriver à écrire de telles choses, on pourrait presque écrire qu’il rit de lui-même, de ce qu’il a vécu et je ne peux pas m’empêcher de penser à cette phrase de Boris Vian :

« L’humour est la politesse du désespoir. »

"Du barbelé sur le coeur" de Cédric Cham


Du barbelé sur le cœur
Auteur : Cédric Cham
Éditions : Fleur Sauvage (Octobre 2016)
ISBN: 979-1094428313
252 pages

Quatrième de couverture

Dris est un délinquant multi-récidiviste qui a décidé de se ranger et de commencer une nouvelle vie. Serge est un pédophile qui compte bien profiter de sa liberté nouvellement retrouvée. Schimanski est un flic de la BAC de Nuit qui se retrouve embarqué dans une enquête le conduisant hors procédure. Les chemins respectifs de ces trois hommes finiront par se télescoper…

Mon avis

Du lourd …..

Cédric Cham travaille en milieu carcéral et il sait de quoi il parle. Alors, forcément, il trouve les mots justes pour nous présenter ses protagonistes et évoquer les situations auxquelles ils sont confrontés. En outre, il a un regard acéré sur notre société et ses manques. Peut-être est-il parfois un peu désabusé mais la vie n’est pas toujours facile et il arrive que la mince lueur d’espoir que l’on guette sans relâche n’apparaisse pas….

Ils sont trois, des hommes (mais les femmes ne sont pas loin). Dris qui a eu sa dose de délinquance et de prison et qui souhaite « se ranger des voitures », mener une vie tranquille, reprendre la boxe et être clean…
Serge, lui, a été incarcéré pour pédophilie. Il cherche du boulot car il doit « faire ses preuves ».
Schimanski, c’est le plus sage des trois, forcément, c’est un flic, mais il a son caractère et les choses ne se déroulent pas toujours comme il voudrait. Et comme beaucoup dans son métier, il flirte avec la ligne jaune parfois….

Chez les femmes, dans la banlieue mal famée, il y a la mère de Dris, qui vit dans un appartement pas très bien entretenu ; trop « fatiguée », elle n’est jamais allée voir son fils en prison. Sarah, que Dris a connu, aimé, a un enfant maintenant et elle rêve d’autres lieux, d’une autre vie, et enfin, Dajmila qui se change avant d’arriver vers les HLM pour qu’on ne la charrie pas avec son boulot de serveuse..… Une femme résignée, deux qui veulent s’en sortir mais comment et à quel prix ?

Et puis, il ya la cité, presque un personnage à elle toute seule…. Elle chuchote, elle bruisse, elle surveille, elle « crise », elle s’emballe, elle hurle, elle souffre, elle se tait … ça dépend … mais elle vit… Elle en étouffe certains, elle a ses codes (est-ce que « passer par la case prison » n’en ferait pas un peu partie, histoire de montrer qu’on est un homme capable de vivre dangereusement, de narguer la flicaille ?...) Alors inévitablement, le quotidien n’est pas lisse, les heurts sont nombreux et rien n’est évident dans les rapports humains…

C’est tout cela dont nous parle l’auteur dans un style très vivant, très fluide. On accroche dès les premières lignes, on a tellement envie qu’ils s’en sortent …. Des hauts, des bas, des relations humaines cahoteuses, des coups durs, c’est un roman noir, violent quelques fois mais c’est l’humain qui est au cœur de tous ces barbelés qui emprisonnent, blessent, étouffent…..

Malgré son côté dur, ce roman m’a beaucoup touchée, il m’a bouleversée. Lorsque Cédric Cham décrit la vie dans la cité, on sait que c’est comme ça, qu’il ne faut pas se boucher les yeux, que, malheureusement, les clichés ont la vie dure, que ce sera pratiquement impossible d’influencer le cours d’une destinée tant le poids de tout ce qui est déjà en place est lourd, lourd…..

NB : une playlist accompagne ce recueil, et elle est en phase avec l’écrit, bravo !

"Après la chute" de Dennis Lehane (Since We Fell)


Après la chute (Since We Fell)
Auteur : Dennis Lehane
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Maillet
Éditions : Rivages (4 octobre 2017)
ISBN : 978-2743640590
460 pages

Quatrième de couverture

Journaliste en pleine ascension, Rachel Childs s'effondre en direct devant des millions de téléspectateurs. C'est le début de la chute. En peu de temps, elle perd tout : son emploi, son conjoint, sa vie idéale.


Mon avis

Comment se construire lorsqu’on a une mère toxique et un père inconnu ? C’est ce qui arrive à Rachel. Sa génitrice l’aimait mais mal, l’étouffant, la conditionnant à l’absence d’un géniteur qui ne pouvait qu’être un lâche. Il lui fallait l’exclusivité de l’amour de sa fille, lui prouvant encore et toujours « qu’elles étaient bien toutes les deux et n’avaient besoin de personne…. » Pourtant Rachel ne renonce pas à l’idée de découvrir un jour qui l’a engendrée, elle cherche….

Elle finit par voler de ses propres ailes, devenant une journaliste connue et reconnue. Mais, sous des dehors de femme indépendante, engagée, elle reste fragile, masquant ses failles le mieux possible pour ne pas laisser de prise à ce qui pourrait la faire souffrir…. Elle ne perd pas de vue son objectif principal : connaître la vérité sur sa naissance. Lors d’un reportage, dans une situation délicate, elle a une crise de panique et tout bascule…. Sa vie explose, ses repères ne sont plus les mêmes, elle n’est plus celle qu’on adulait et qu’on louait pour son professionnalisme mais la femme qui s’est effondrée en direct …..

Le traumatisme est immense, profond et il lui faudra du temps, beaucoup de temps pour ré apprivoiser la société, les gens …. Et voir une lumière au bout du tunnel….sous la forme d’un homme qui semble prêt à l’aider à dépasser ses peurs, à vivre….. Faut-il lui faire confiance ? Faut-il se méfier ? Rachel a tant besoin de sécurité, de se sentir aimée …. d’avoir des bras protecteurs dans lesquels se lover …... Est-ce que le quotidien avec cet homme sera rassurant ? Tout semble lui sourire et il l’aime tant…..

Construit en trois parties, ce roman nous emmène dans le quotidien d’une femme qui n’a de cesse de traquer la vérité dans sa vie personnelle mais aussi dans sa vie professionnelle. Rachel est une personne qui se bat contre ses démons, qui est entière et lorsqu’elle a un doute, elle va au fond des choses. Les hommes qu’elle côtoie sont plus ambivalents, pas toujours aussi authentiques qu’elle le pense. Elle va être confrontée à des événements douloureux, à des choix cornéliens et il lui faudra prendre des décisions dans l’urgence, seule, en son âme et conscience.

Par ce récit, l’auteur nous rappelle que les apparences peuvent être trompeuses, que certaines certitudes sont des illusions et que tout peut nous échapper d’un moment à l’autre. Il creuse le fait que notre enfance est un ancrage fort pour déterminer l’adulte qu’on sera, que certains acceptent le destin qui paraît tout tracé, inéluctable, alors que d’autres décideront d’essayer d’inverser la tendance et de prendre leur existence en mains.


L’écriture de Dennis Lehane est toujours aussi fluide (bravo à la traductrice qui sait choisir les bons mots pour maintenir l’esprit de l’auteur), son style vivant. Malgré tout, cet opus m’a semblé moins puissant que les recueils précédents, sans aucun doute moins abouti, un peu « cliché » par certains aspects. Je suis restée sur ma faim pour des événements qui auraient, à mon sens, mérité un développement plus approfondi et une ou deux fois, j’ai trouvé que ce qu’il se passait était prévisible. De plus il y a quelques longueurs en début d’ouvrage. J’ai été habituée, avec cet auteur, à plus de suspense, plus de noirceur psychologique, à des protagonistes plus « travaillés », à une atmosphère plus prenante et si je ne suis pas déçue de ma lecture, elle ne restera pas dans mes titres préférés ….

"La délicatesse du homard" de Laure Manel


La délicatesse du homard
Auteur : Laure Manel
Éditions : Michel Lafon (18 mai 2017)
ISBN : 978-2253088172
352 pages

Quatrième de couverture

Elle a échoué volontairement près d’un rocher du Finistère, face à la mer. Elle se fait appeler Elsa. Elle se prénomme Axelle. Elle ne veut pas qu’on lui pose de questions. Que cache-t-elle? Et lui, que cache sa rudesse ? Lui qui l’accueille sans même savoir pourquoi…
Un roman à deux voix. Deux voix qui se racontent, et se taisent. Deux voix qui laissent place aux pas des chevaux, au vent qui plie les herbes sur la dune, au ressac sur le rivage et aux souvenirs échoués sur le sable.

Mon avis

Guérir de son passé

Parfois, on a le moral un peu dans les chaussettes et on voudrait un remontant : chocolat chaud crémeux, couette douillette ou un livre doudou qui fait du bien.

Laure Manel, avec une écriture délicate, nous conte une belle histoire. Une de celles qui permettent de croire encore en la bonté des hommes et de rester optimistes en se disant pourquoi pas.

Une jeune femme « échouée » sur une plage est recueillie par un parfait inconnu, une chance pour elle : c’est un homme honnête. Il lui propose de l’héberger, le temps qu’elle se reprenne physiquement et moralement…. Il va vite découvrir qu’elle a des choses à cacher et qu’elle ne veut pas en parler…. Au fil des pages, à la manière d’un journal intime, Axelle et François « parlent ». Parfois, on a les deux points de vue d’un même événement et l’approche de chacun avec sa sensibilité. L’auteur alterne donc le regard d’un homme puis celui d’une femme sur des faits identiques. Elle arrive parfaitement à se mettre « dans la peau » de l’un ou de l’autre et à montrer combien ils sont différents et de temps à autre semblables…..

Si, dès le début du roman, on envisage la façon dont tout cela va se terminer, il est impossible d’imaginer le vécu de chacun et le douloureux chemin de ces deux êtres. Et les questions sont là : Qu’aurais-je fait, dit à leur place ? Serais-je resté debout ? Guérit-on de son passé et à quel prix ?

Avec un texte tout en nuances, Laure Manel nous emmène en Bretagne (et le charme du décor à une place prépondérante dans le récit) à la rencontre d’hommes et de femmes qui se doivent de prendre leur vie en mains sans se perdre sur des chemins de traverse. Une atmosphère « cocooning » que l’on quitte à regret.

"Frontier Hotel" de Alan Watt (Days are gone)


Frontier Hotel
Auteur : Alan Watt
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claire Breton
Éditions : Du Masque (Juin 2017)
ISBN : 9782702445259
352 pages

Quatrième de couverture 

Mariée à Chick Wolfson, star du rock vieillissante, Alice décide d'abandonner sa vie dorée à San Francisco et cet homme qu'elle n'a jamais aimé. Alors qu'elle tente de rejoindre sa famille, elle est prise de court  : Chick a bloqué ses cartes de crédit. À sec, bientôt en panne d'essence, Alice finit par atterrir à Waiden, une petite ville sur la côté orégonaise, où tout le monde se connaît.

Mon avis

« Frontier Hotel » porte bien son nom. En effet, Alice est entre deux univers, elle ne sait plus de quel côté aller. Revenir vers son mari, star du rock vieillissante mais encore adulée ou rester loin de lui, mais indubitablement loin de tout. Abandonner une grande ville, des relations et des amis, le confort, la sécurité matérielle représentent une prise de risque. La jeune femme est-elle prête à l’assumer ?  Aller vers l’inconnu, c’est forcément accepter de se mettre en danger, de ne pas tout maîtriser, de laisser venir des événements non prévisibles… Alice est partie, elle a choisi. Mais sans arrêt, elle s’interroge sur ses prises de décision. C’est aussi l’occasion, pour elle, de faire une « relecture » de sa vie. Comment est-elle arrivée là et maintenant ? Quelles étaient ses motivations à chaque bifurcation qu’a pris son destin, faisait-elle des  erreurs? Par quoi était-elle portée pour agir d’une façon ou d’une autre ? Toutes ces questions la hantent, d’autant plus que, lorsqu’elle se confie, certains ne la comprennent pas, d’autres la jugent très vite…

La voilà à Waiden, petite bourgade éloignée de San Francisco où elle a laissé ses habitudes, sa routine, sa vie, son quotidien. Elle rencontre un homme, repris de justice, que les habitants semblent craindre. De plus, comme elle lui parle, elle est mal vue…. Le poids du regard des autres est parfois trop lourd, les remarques à distance de sa famille sont douloureuses à entendre. Alice va-telle réussir à gérer tout cela, va-t-elle s’affranchir du « qu’en dira-t-on » et surtout est-ce qu’elle a raison d’agir ainsi ?

Avec une écriture fluide (bravo à la traductrice qui n’a pas cassé le rythme de ce roman), Alan Watt nous permet d’accompagner Alice sur le chemin qu’elle prend. Est-ce celui d’une re naissance, ou reviendra-t-elle sur ses pas ? L’auteur explique qu’il a mis quatorze ans à écrire cet opus, sans doute avec de nombreuses relectures. Il n’occulte rien des tourments de celle qu’il a présentée, maintenant l’attention du lecteur avec ce qu’il faut d’interventions de personnages extérieurs. Alice est attachante, au-delà de sa quête presque initiatique, on sent une femme qui se remet en cause, qui souhaite aller au-delà des apparences, qui veut creuser et comprendre les gens qui l’entourent. Elle se rebelle, il n’est plus question de lui dicter sa conduite, de lui dire d’obéir, elle veut vivre par elle-même mais que c’est difficile ! Qu’il est lourd le poids de l’éducation, des « codes » de la société ! Les personnages secondaires ont de la consistance et ne sont pas trop caricaturaux, ils permettent à l’auteur d’aborder d’autres thèmes comme le respect des femmes au travail etc….

On dit souvent que pour s’aimer, il faut aimer les autres. Je pense également que pour se pardonner, il faut pardonner aux autres… Le long chemin de la rédemption est parfaitement décrit dans ce recueil et là aussi, qu’il est délicat de trouver sa place une fois qu’on a été mis à l’écart pour une raison ou une autre.

J’ai eu beaucoup de plaisir à lire ce titre, j’ai apprécié qu’Alan Watt aborde des sujets grave tout en restant dans une « romance » Cela permettait d’en parler d’une façon simple mais pas mièvre et de rester agréable à lire.





"Dans la ville en feu" de Michael Connelly (The Black Box)


Dans la ville en feu (The Black Box)
Auteur : Michael Connelly
Traduit de l’anglais par Robert Pépin
Éditions : Camann-Levy (Mars 2015)
ISBN :  978-2702141564
400 pages

Quatrième de couverture

1992. Los Angeles est en proie aux émeutes et les pillages font rage quand Harry Bosch découvre, au détour d’une rue sombre, le cadavre d’Anneke Jespersen, une journaliste danoise. À l’époque, impossible pour l’inspecteur de s’attarder sur cette victime qui, finalement, n’en est qu’une parmi tant d’autres pour la police déployée dans la ville en feu. Vingt ans plus tard, au Bureau des Affaires non résolues, Bosch, qui n’a jamais oublié la jeune femme, a enfin l’occasion de lui rendre justice et de rouvrir le dossier du meurtre. Grâce à une douille recueillie sur la scène de crime et une boîte noire remplie d’archives, il remonte la trace d’un Beretta qui le met sur la piste d’individus prêts à tout pour cacher leur crime. Anneke faisait peut-être partie de ces journalistes qui dérangent quand ils fouillent d’un peu trop près ce que d’autres ont tout intérêt à laisser enfoui...

Mon avis

Et toujours la colère….

Harry Bosh est un vieil ami, on se connaît bien lui et moi, il m’est arrivé de lui pardonner ses imperfections mais là, j’ai été ravie de retrouver celui que j’apprécie. Le Harry un peu rebelle,  qui répond « c’est dans mon règlement à moi » lorsqu’on lui dit qu’il prend des libertés avec les textes législatifs. Celui qui a l’esprit toujours en ébullition et qui, même dans les cas extrêmes, raisonne pour trouver une solution. L’homme tenace qui colle aux basques de ceux qui ne lui paraissent pas nets, quitte à le faire avec des chemins de traverse en contournant ce qui le dérange. Et enfin, Harry, père, un vrai, pas un papa parfait non un père avec ses maladresses, ses erreurs, ses défauts mais son amour grand comme ça et c’est l’essentiel. Quelle belle relation avec sa fille !

Quand il est comme cela, malgré sa silhouette imparfaite, son équilibre alimentaire pas très bon, cet enquêteur me séduit. Je le suis pas à pas dans ses  cheminements,  je m’applique à comprendre sa logique, à la deviner,  à me glisser dans son esprit pour anticiper ses réactions et surtout ses déductions.
Car il est comme ça, Bosch, Il ne lâche rien et  ses notes écrites,  ses démarches, ses questions aux uns et aux autres ont autant d’importance que le reste, plus officiel de l’enquête : l’étude des photos, des emplois du temps etc….
Harry c’est, cerise sur le gâteau, un fin mélomane. Il écoute Art Pepper et d’autres… Vous vous prenez à chercher les musiques qu’il évoque tant il en parle bien…. Et vous écoutez en lisant, vous êtes dans l’histoire…..

Cela fait vingt ans qu’il traque des individus louches, il était parti à la retraite puis il a repris du service comme le lui permettait un contrat fait sur mesure mais il faut qu’il reste dans le rang. Pourtant  il n’aime pas qu’on lui dicte sa conduite alors les relations sont parfois tendues avec ses supérieurs mais il n’y attache pas une importance démesurée….
« Moi, les affaires, je les résous. Et pas pour les statistiques que vous envoyez pour les petites présentations Power Point du dixième étage. Non, moi, je les résous pour les victimes. Et leurs familles. »

Cette fois-ci, c’est une jeune journaliste danoise, assassinée en 1992 pendant les émeutes de Los Angelès, qui occupe l’esprit d’Harry. Il n’avait rien trouvé à l’époque et  il a l’occasion de se pencher à nouveau sur cette affaire et peut-être de la résoudre.  Le temps a passé mais notre héros est resté pugnace,  il veut y arriver, pour elle, pour sa famille qui la pleure mais aussi pour lui, pour réussir là où il avait échoué faute de temps. Deux décennies se sont écoulées  et remuer le passé n’est jamais bon.  Il vous entraîne là où vous n’auriez jamais pensé aller et les découvertes sont quelques fois terriblement déstabilisantes.  C’est à ça que nous sommes confrontés dans ce roman,  les événements anciens qui s’éclairent petit à petit. Pas d’action à outrance, une ambiance qui s’installe, un homme qui va son chemin, examinant chaque élément, se remémorant chaque scène, chaque parole … suivant son intuition, son sixième sens, nous dévoilant  ce qui a été, accompagné des  tenants et des aboutissants.

C’est donc un livre comme je les aime où l’esprit a la part belle.
L’écriture est finement ciselée, mettant en place, avec une cadence régulière, des situations en lumière pour que nous arrivions ensemble au coup de projecteur final .

NB : question pour le traducteur  (que je félicite pour son travail): page 273 : le « French Dip » s’appelle Pépin, est- ce une traduction ou un clin d’œil rien que pour vous ?

"Jusqu'à l'impensable" de Michael Connelly (The Crossing)


Jusqu'à l'impensable (The Crossing)
Auteur : Michael Connelly
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Robert Pépin
Éditions : Calmann-Levy (5 Avril 2017)
ISBN : 978-2702156513
400 pages

Quatrième de couverture

Harry Bosch, retraité du LAPD malgré lui, tente de tuer le temps en remontant une vieille Harley lorsque Mickey Haller, son demi-frère avocat de la défense, lui demande de travailler pour lui comme enquêteur. Cisco, qui occupe ce poste habituellement, vient d’être victime d’un accident de moto aux circonstances plus qu’étranges, et Haller est persuadé que seul Bosch pourra l’aider à innocenter Da Quan Foster, un ex-membre de gang accusé d’avoir battu à mort Lexi Parks, la directrice adjointe des services municipaux de West Hollywood.

Mon avis

« Jusqu’à l’impensable »…c’est quoi l’impensable ?

Pour Harry Bosh, retraité du LAPD (Los Angeles Police Department), c’est fréquenter l’ennemi, passer de l’autre côté et frôler (parfois même franchir) la ligne jaune…
Comment un homme aussi intègre que ce bon vieux Harry en est-il arrivé là ? Son demi-frère, Mickey Haller, est avocat de la défense et son boulot c’est de trouver des combines pour ses clients. C’est comme ça que des petits (et quelques fois grands…) malfrats se retrouvent libres…. Voilà Mick qui appelle Harry : il a l’impression qu’un de ses accusés à qui on reproche un meurtre est pris dans une belle magouille, sans doute pour sauver la mise au vrai assassin. Il a besoin d’un enquêteur, vu que le sien vient d’être accidenté et a pensé à son frangin…. Harry hésite parce qu’il sait bien que s’il accepte cette mission, cela va l’entraîner sur des sables mouvants (et il est loin d’imaginer jusqu’où il ira…)mais son instinct d’enquêteur prend le dessus et il dit oui.

Etre de l’autre côté pour Harry, c’est être libre de suivre chacune de ses intuitions sans rendre de compte, c’est se fier à une impression, même floue, c’est se mettre dans les lieux, dans la peau de ceux qui ont agi, s’imprégner de chaque détail connu ou envisagé, prendre le risque de passer la ligne jaune et surtout, surtout : être détesté, incompris de la plupart des anciens collègues qui hurleront à la trahison….et ça, Bosh a du mal… C’est d’ailleurs un des principaux attraits de ce livre, sentir combien notre vieil ami (c’est le vingt-et-unième opus de la série) est tiraillé entre deux envies : celle de rester droit et celle de trouver la réponse, de comprendre en allant fouiner partout. Il est entêté alors il ne lâche rien et plus il avance, plus il se rend compte des risques qu’il prend mais que faire ? L’enquête en elle-même, partie d’un détail infime (et vraiment bien pensé) n’est pas des plus captivantes mais je le répète, l’intérêt n’est pas là. Il faut s’attacher aux deux hommes, issus d’une même famille, ayant choisi des voies si différentes. L’un, un peu hâbleur, qui cherche comment détourner les événements pour sauver celui qu’il défend ; l’autre, attaché à la justice, qui a toujours fait régner la loi et pour qui le mot « tricherie » n’existe pas.

On passe sans cesse de l’un à l’autre, même si Harry a un rôle peut-être un peu plus important. Observer les réactions de chacun, finement décrites par l’auteur, est un régal, car cette ambivalence, représentée ici par deux hommes, pourrait bien être également, celle qu’on a en nous. A savoir, comment démêler le vrai du faux, qui croire lorsque quelqu’un hurle au coup monté et se dit innocent ?

Harry enquête pour la défense alors qu’il a été de l’autre côté pendant toute sa carrière de policier. Cela l’interpelle et lorsque sa fille lui fait comprendre qu’elle a honte de lui, il a peur de perdre l’embryon de complicité qu’il a établi avec elle, il est angoissé à l’idée de la décevoir…. Les rapports humains sont bouleversés pour Harry, comme si le fait d’avoir endossé « un nouveau costume » l’avait profondément changé…. Il lui faudra beaucoup de patience, mettre son poing dans sa poche (sans oublier le mouchoir dessus) pour arriver à comprendre et à se faire comprendre de ceux qui l’admiraient en tant que policier.

Ce recueil m’a beaucoup plu, par son contenu, mais aussi sa forme avec toutes les recherches des deux frères qui se télescopent ou se complètent. Il y a également leur cheminement distincts, leur force et leur faiblesse. Une écriture fluide, complète dans l’approche psychologique. Un traducteur qui a l’habitude de la série et qui fait un excellent travail. Et puis, toujours, ça et là, des références musicales de qualité pour notre plus grand plaisir. Un Connelly comme on les aime !

"Coupable" de Jacques-Olivier Bosco


Coupable
Auteur : Jacques-Olivier Bosco
Éditions : Robert Laffont (Février 2018)
Collection : La Bête Noire
400 pages
ISBN : 978-2221190760

Quatrième de couverture

Lise est lieutenante à la brigade criminelle de Paris. Quand elle est amenée à enquêter sur la mort de l'un de ses proches, le passé trouble de sa famille réapparaît. Et les secrets de son enfance refont surface.

Mon avis

C’est le deuxième livre dans lequel  Jacques-Olivier Bosco met en scène Lise Lartéguy. Je n’ai pas lu le premier mais ça ne m’a pas dérangée. Il y a quelques explications sur sa vie, suffisamment pour cerner ce qu’elle est ou ce qu’elle veut paraître…  C’est une jeune femme totalement atypique, avec des problèmes psy, souffrant d’un espèce de dédoublement de personnalité qui l’entraîne sur des chemins torturés et tortueux…. Elle ne supporte pas l’injustice et aime agir par elle-même pour faire souffrir ceux qui sont allés trop loin. Elle expulse ainsi  une sorte de haine, profondément ancrée en elle. Bien entendu, ses actions sont hors la loi …. mais elle sait agir en toute discrétion.  On devrait blâmer Lise d’user et d’abuser de ce que l’on peut assimiler à une loi du talion mais Jacques-Olivier Bosco réussit le tour de force de nous la rendre attachante. Pourtant, avec son côté sombre, sa part d’ombre, ses troubles psychologiques, elle ne rassure pas vraiment, Lise, mais on sent en elle, une sorte de fragilité, de tendresse qui ne demandent qu’à s’exprimer…..et on aurait presque envie de la protéger des autres, mais aussi d’elle-même…. Je pense que c’est une femme entière, qui ne pardonne et ne se pardonne rien, elle est prête à aller jusqu’au bout pour ses idées…quel que soit le prix à payer….et il peut être très cher….

L’écriture et le style de l’auteur donnent de la consistance, du poids à ce qu’il décrit et présente. Son phrasé est sec,  porteur de sens et beaucoup de choses sont exprimées en filigrane. Il n’hésite pas à évoquer les magouilles de la justice, les lenteurs de certaines procédures, les choix qui n’en sont pas et qui appartiennent à du « politiquement correct » pour ne pas semer le trouble …. Il vous remue avec des personnages hors du commun et pourtant tellement vrais  par leur humanité….  Il vous entraîne dans les travers de son héroïne et   vous vous surprenez à la comprendre et à l’absoudre…..et pourtant….

Et puis, il n’y a pas que Lise… Les autres protagonistes sont, comme elle, travaillés, présentés avec leurs secrets, leur volonté d’agir que soit au vue et  au su  de tout le monde ou en cachette…. Les rapports entre les uns et les autres sont rarement neutres, parfois brutaux, douloureux à d’autres moments. Le lecteur peut aller d’un sentiment éphémère de douceur à une cruauté terrible en passant par beaucoup de questions, d’interpellations sur le passé de ceux qu’il regarde vivre….
L’atmosphère est lourde, la cadence infernale et le lecteur est scotché aux pages.  Le plus intéressant ne réside pas dans l’intrigue mais dans tous les à-côtés et notamment le passé on ne peut plus obscur  de Lise. Avec des flash-back réguliers, sur deux époques distinctes, on découvre ce qu’a vécu Lise, quels étaient les liens entre son père, son parrain et des collègues à eux. Tout s’éclaircit petit à petit et on est obligé d’accepter l’indicible, de se rappeler que l’homme est un loup pour l’homme.

Qu’est-ce qui fait qu’on apprécie une lecture ? Parfois, on a envie de se détendre, de se changer les idées mais il arrive également que l’on soit satisfait d’être bousculé, de se trouver sur des chemins différents de ceux empruntés habituellement. Avec « Coupable », c’est ce que j’ai ressenti. Bien sûr, je lisais un roman policier mais il était accompagné d’une bande son, proposée à travers les chapitres l’air de rien, et ce n’était pas n’importe quoi ! Ça collait au texte, aux actions leur donnant encore plus de profondeur. De plus, Lise, comme sur la couverture (que je trouve en phase avec le contenu), emplissait les pages tout en restant floue, encore un peu cachée…pour mieux se dévoiler dans une autre aventure ?



"L'affaire Agathe Vanders" de Guillaume Lefebvre


L'affaire Agathe Vanders
Auteur : Guillaume Lefebvre
Éditions : Ravet-Anceau (10 Juin 2013)
Collection : Polars en Nord
ISBN : 978-2-35973-332-7
340 pages

Quatrième de couverture

En mer d’Opale deux incidents d’une proximité troublante se produisent la même nuit. Un pétrolier explose et une jeune femme, Agathe Vanders, est retrouvée carbonisée sur son voilier. Les autorités maritimes sont en effervescence. S’agit-il d’une simple coïncidence ou d’un dommage collatéral ? Une commission est chargée de lever ce doute. Parmi ses membres, le capitaine de navire, Armand Verrotier est un ami du père d’Agathe. En désaccord avec les conclusions de l’enquête, Armand va opérer seul pour rétablir la vérité. A ses risques et périls.

Mon avis

C’est une nouvelle fois dans le milieu maritime que nous entraîne Guillaume Lefebvre et nous retrouverons les embruns qui vous fouettent le visage, les limicoles qui s’envolent, les tempêtes qui effraient, les hommes avares de paroles, les non-dits et les secrets de ces personnes qui n’ont pas de temps à consacrer aux blablas…

Agathe Vanders, est une belle jeune femme, sûre d’elle, qui a une excellente situation. Elle part régulièrement avec son bateau.

Armand Verrotier, capitaine de navire, travaille pour une compagnie et accepte des missions plus ou moins longues, il peut aller parfois assez loin, en Afrique par exemple, et nous le suivrons…découvrant au passage certains aspects de la vie là-bas, le rôle des femmes, le regard sur les « blancs »….

Juliette Moreno, jeune maman, de Romain, se bat pour son fils qui souffre d’un léger handicap mental. Il a besoin d’être rassuré, aimé, accompagné. Juliette est assistante sociale et côtoie beaucoup de marins et leur famille.

Agathe va mourir et Armand et Juliette vont à cause de ce fait, se rencontrer…
La suite pourrait être : « ils s’aimèrent, furent heureux et eurent beaucoup d’enfants… »
Mais l’auteur nous maintient le plus souvent « dans la vraie vie » donc : « ils se rencontrèrent, se posèrent des questions et voulurent mener l’enquête… »
Et cela ne fut vraiment pas aisé….

Ni pour eux, ni pour nous….car l’intrigue a des ramifications et l’auteur sait parfaitement nous emmener de ci, de là. Une fois encore, j’ai apprécié que les individus aient un train de vie quasiment normal, sur plusieurs mois, ne voyant ressurgir qu’au détour d’un hasard, les interrogations qui sont restées en eux et de temps à autre, l’occasion d’avancer dans la compréhension de ce qui les a intrigués.

Mêlant avec habileté, secrets familiaux, vieilles rivalités professionnelles, multinationales et lobbying, nous avons affaire à un roman étoffé, complexe, mais accessible. De nombreux sujets sont abordés et nous poussent à la réflexion et il n’est pas évident de trancher et d’avoir une opinion. De plus, comme Armand voyage (pour ses recherches ou son travail), nous nous retrouvons, à sa suite, à Rome, au Kenya…. Il m’a semblé que l’auteur connaissait de visu les lieux dont il parlait car ses descriptions étaient précises. C’est, à mon avis, un plus, car « on s’y croirait… » (entre autres, pour Rome et le musée du Vatican…le Kenya, je ne connais pas…)

L’écriture est de qualité, seule une expression m’a surprise (elle est employée au moins deux fois, c’est : « être déballé » (bouleversé ?) que je ne connaissais pas… Les termes du monde des marins sont appropriés et donnent à Armand un air de vrai professionnel.
Les dialogues sont bien construits et rythment le récit
Il y a trois parties inégales, dans lesquelles on trouve des chapitres de plusieurs pages (qui ont des titres jusqu’au 13, puis cela s’arrête, pourquoi ?...) et un épilogue. Le tout est bien amené, bien bâti. Il y a plusieurs pistes et j’aimerais savoir si l’auteur avait préparé une trame générale avant de se lancer afin de ne pas s’embrouiller dans les différents aspects de son livre.

J’ai apprécié que les protagonistes soient présentés sous divers angles et que les relations qu’ils nouent soient développées. Il y a ainsi plus de profondeur dans le texte, on se sent plus proche des êtres de papier que l’on côtoie. De plus, comme on a l’impression de les « connaître » un peu mieux, on se prend à essayer d’imaginer leurs réaction, comme s’ils faisaient partie de nos familiers.

C’est un très bon roman, qui sans nous mettre face à des situations glauques, fait froid dans le dos… en effet, la réalité n’est pas si loin…quand on voit comment les grosses sociétés agissent (et encore, on ne sait pas tout…)

NB: Encore une belle couverture

"Les enfants de Staline " de Owen Matthews (Stalin’s Children)


Les enfants de Staline (Stalin’s Children)
Auteur : Owen Matthews
Traduit de l'anglais par Karine Reignier
Éditions : Belfond (3 Septembre 2009)
ISBN : 978-2714445926
410 pages

Quatrième de couverture

Dans la lignée de Pasternak et de Soljenitsyne, une œuvre bouleversante qui convoque, parla grâce de l'écriture, les destinées d'une famille sur trois générations. Sélectionné pour le Guardian First Book Award, un témoignage aussi profond que déchirant, la chronique flamboyante du XXe siècle russe, à travers d'inoubliables histoires de survie et de rédemption. Au cœur du Moscou post-communiste des années 1990, un jeune reporter retrouve la trace des siens et de ces existences qui le hantent...

Mon avis

Ce qui frappe tout d’abord, lorsqu’on prend ce livre en mains, ce sont les regards des deux enfants sur la photo.
La sœur aînée qui semble protéger la plus jeune et qui a le regard résigné de celle qui n’a pas choisi mais subi et qui semble accepter.
Et puis, la plus jeune, Ludmila, dont il sera beaucoup question dans ce livre (elle est la mère de l’auteur), qui vous fixe de son regard grave. Un regard qui transperce, qui interroge, qui porte déjà toute la souffrance accumulée, un regard qui interpelle « Qu’as-tu fait, toi, pour m’aider ? .... »

Plus de quatre cents pages pour quatorze chapitres (encadrés par un prologue et un épilogue), tous sur le même modèle : un titre reprenant le contenu et une phrase en italiques (citations diverses) puis l’écrit de l’auteur.

Contrairement à ce que laisse penser la quatrième de couverture, c’est seulement dans le dernier tiers que nous lirons de larges extraits des courriers échangés entre les parents de l'auteur. Ce livre n’est donc pas de genre épistolaire.

Il retrace la vie de trois générations.
Celle du grand-père maternel: Boris Bibikov, soudain devenu « ennemi public ».
Celle de ses parents : Ludmila et Mervyn. Une russe et un britannique amoureux, quelle idée de
se « compliquer » la vie ! Ceux-là mêmes qui, n’ayant eu que neuf mois de bonheur sans avoir le temps de se marier vont être séparés pendant six ans. C’est pendant ces années qu’ils s’écrivent : « Chaque phrase (de mes lettres) est rédigée avec mon sang, celui qui vient du cœur ». écrit Ludmila.
Ceux-là mêmes qui ont « figé leur amour » sur le papier, ce qui leur a posé problème lorsqu’ils se sont retrouvés…
Et enfin celle de l’auteur, expliquant sa propre « histoire » à travers celles de ceux qui l’ont précédé, racontant l’URSS et la Russie, menant obstinément son enquête pour comprendre, retrouvant, comme son père,
« ….tout ce qu’il aimait en Russie -cette fièvre et cette force qui le fascinaient tant. »

Ludmila, Mila, Milotchka (on retrouve ici, une «habitude » russe consistant à donner plusieurs noms pour une même personne), ne s’est jamais résignée : « … armée de ses seules certitudes, elle s’est attaquée au mastodonte de l’Etat soviétique et a remporté la bataille. »
Ludmila, pour qui « le mot mère n’a aucun sens » a souffert, s’est battue mais n’a jamais
baissé les bras …
Pour moi, Ludmila est la « force » de ce livre … Elle représente l’image de ces personnes russes, humiliées, blessées, terrifiées …. qui renaissent toujours plus fortes, plus émouvantes refusant le mot
« fatalité ».

Dans la première partie, l’auteur nous fait découvrir Staline, les purges, les trahisons, le cheminement des uns et des autres. Les scènes sont vives, poignantes, vous prenant aux tripes parfois.
On suivra ensuite la tante et la mère, ballotées de familles en orphelinats, accumulant la souffrance, se forgeant une « carapace ».
Le dernier tiers du livre consacré aux efforts de rapprochement de nos deux amoureux est plus léger et on sent que l’auteur a posé une partie du fardeau familial. Il découvre (dans les courriers) l’amour de ses parents, (parfois sa propre femme lui lit les lettres), essayant de retranscrire ce qu’ils ont vécu, ressenti, espéré, souffert, sans jamais se poser « en voyeur » de cette vie qui n’est pas la sienne. Il avance doucement dans la découverte de chaque missive, à pas feutrés …

On sent qu’il porte en lui, les deux cultures, russe par sa mère, britannique par son père.

Tout au long de ce livre, on ne peut s’empêcher de penser que, peut-être, pour Owen Matthews, ce livre a été un exutoire.
Bien sûr, il voulait mieux connaître l’histoire des siens mais à travers les choix et les décisions de chacun, il ne cesse de nous livrer ses réflexions, ses avis : « Je me suis aperçu en écrivant ce livre que j’aurais, moi, agi de manière radicalement différente … »
C’est aussi en ça que ce livre est riche.

Parce que, oui, ce livre est riche ….
Riche parce qu’il est un véritable témoignage d’une époque, d'une famille.
Riche parce que bien écrit, avec pudeur, profondeur, délicatesse.
Riche parce que porteur d’une réelle analyse des faits, des choix, des questions de chacun.
Riche parce que Owen Matthews a su habilement mêler son enquête (il est journaliste) et les témoignages récents aux événements du passé.
Riche parce que vrai …

D’ailleurs par deux fois, des pages de photos, pour nous rappeler, si besoin est, qu’on lit « une histoire vraie », retraçant le cheminement de personnes aux destins si peu ordinaires qu’ils nous « habiteront » encore longtemps ….

"Que Dieu me pardonne" de Philippe Hauret

Que Dieu me pardonne
Auteur : Philippe Hauret
Éditions : Jigal (18 Mai 2017)
ISBN :  978-2-37722-008-3
210 pages

Quatrième de couverture

Ici, une banlieue tranquille, un quartier résidentiel et ses somptueuses maisons dans lesquelles le gratin de la ville coule des jours paisibles… À quelques encablures, une petite cité, grise et crasseuse. Avec sa bande de jeunes désœuvrés qui végètent du matin au soir. Deux univers qui se frôlent sans jamais se toucher. D’un côté, il y a Kader, le roi de la glande et des petits trafics, Mélissa, la belle plante qui rêve d’une vie meilleure… De l’autre, Rayan, le bourgeois fortuné mais un peu détraqué… Et au milieu, Mattis, le flic ténébreux, toujours en quête de rédemption.

Mon avis

Cabossés par la vie…

Qu’ils soient pauvres ou nantis, désœuvrés ou travailleurs, les personnages de ce roman ont tous été à un moment ou un autre cabossés par la vie. Ils n’ont pas tous réagis de la même façon, certains luttent pour essayer de s’en sortir à l’image de la belle Mélissa, d’autres vivent « à la petite semaine » de trafics, de vols, de magouilles, comme Kader, d’autres encore profitent de leurs rentes et s’offrent la belle vie, comme Rayan Martel, le bourgeois ….  Au milieu de tout cela, les flics, Franck Mattis et son collègue Dan, qui n’ont pas la même approche des faits, ni des hommes. Le premier a encore un semblant d’espérance, le second, blasé, a baissé les bras et ne pense qu’à exterminer la racaille, à nettoyer la gangrène des cités….

Philippe Hauret a une belle écriture, il glisse ça et là des références musicales, des mots de haut niveau. On sent un humaniste cultivé qui se penche sur la vie, qui espère que les regards changent, que les bons ou les mauvais se peaufinent, les uns pour se pencher sur les plus « petits », les autres pour se donner les moyens (ou les accepter) de s’en sortir. Si chacun avance d’un pas, même minuscule, sa nouvelle approche modifiera sa perception de l’autre ….

C’est tout cela qui transparaît dans ce livre prenant, poignant, que j’ai lu en une nuit tant il m’a captivée. Pourquoi ces individus m’ont-ils tellement intéressée ? Tout simplement parce qu’ils « sonnaient » vrais. Des personnalités ni toutes blanches, ni toutes noires, des gens qui parfois se laissent attirer par la facilité même si pour ça ils renient leurs principes, et qui, à d’autres moments s’accrochent et essaient de redresser la barre. Des protagonistes qui vivent avec leur passé, comme ils peuvent quand il est lourd et douloureux, avec l’environnement du moment qui n’est pas toujours celui qu’ils espéraient, avec les hommes et les femmes qu’ils croisent et qu’ils ne regardent pas forcément comme ils le devraient…. Mais malgré tout, ils avancent, plus ou moins portés par la vie, ils n’ont pas le choix, il faut continuer, accepter ou s’accommoder de ce qu’ils ont ……

C’est si difficile de trouver le chemin lorsqu’on s’est égarée sur des voies de traverse, c’est si difficile de croire en soi quand aucun projet n’aboutit, c’est si difficile de parler d’espoir quand tout semble vouer à l’échec…. Et pourtant, par petites touches, au milieu de ces destins malheureux, égarés, l’auteur met de la couleur, de la lumière, de celle qui brille dans les yeux quand on a compris qu’il faut de temps à autre, si peu de choses, pour que la main se tende vers celui qui en a besoin…. On sent en filigrane que Philippe Hauret croit en l’homme….

Et si c’était ça, le cadeau de cet écrivain ? Un recueil sombre, des vies fracassées mais toujours (comme disait mon poète préféré Paul Eluard) au bout du chagrin une fenêtre ouverte, une fenêtre éclairée [….]des yeux attentifs, une vie : la vie à se partager ?

"La dame de la Sauve : 1075-1125 Tome 1 : La croisade" de Sandrine Biyi


La dame de la Sauve : 1075-1125
Tome 1 : La croisade
Auteur : Sandrine Biyi
Éditions : du halage (Novembre 2017)
ISBN :9782953602838
410 pages

Quatrième de couverture

Brunissende naît à Jérusalem en 1108. Elle est la fille d’un seigneur aquitain parti en Orient lors de la première croisade et d’une jeune femme médecin, Arabe de la dynastie des Abassides. Élevée dans ces milieux de grande culture et de tolérance que sont l’Orient et le Moyen Orient de cette époque, elle a accès à un savoir qui fait d’elle un danger dès son arrivée en Aquitaine et ce, malgré le soutien de son père Philippe.

Mon avis

C’est alors qu’elle est au chevet de son père tant aimé que la Belle Sarrasine se souvient et nous livre ses souvenirs. Les siens mais aussi ceux de ses parents qu’elle a reçus en confidence d’eux-mêmes ou de sa grand-mère. Elle, c’est Brunissende des Aygues, lui, c’est Philippe, seigneur aquitain parti en croisade avec le Duc Guillaume qui l’a fait chevalier. Les deux hommes étaient très proches malgré leurs différences et une amitié indéfectible les unissait.  Les deux compères en leur pays écrivaient des cansos  (chansons à strophes) et c’est parce que l’une d’elles fut considérée un tantinet irrévérencieuse que Philippe se dut de partir guerroyer afin d’ éviter une éventuelle excommunion.

 Ainsi, à vingt-trois ans, il quitte l’Aquitaine pour l’Orient, laissant derrière lui, ses parents dont sa mère qu’il aime plus que tout. Il y rencontrera Sara, jeune femme médecin Arabe de la dynasties des Abassides et s’installera avec elle là-bas. De leur union, naîtra la superbe Brunissende aux yeux verts. Dans ces contrées si différentes des siennes, il apporte beaucoup à ceux qu’il côtoie mais il reçoit tout autant.  Il est aimé, respecté, parfois même admiré pour ses choix, ses prises de risques.  C’est un homme bon, et le mot bon mériterait une majuscule tant ce mari et père respire la bonté et l’amour. Que ce soit avec sa femme ou sa fille, il n’a de cesse de les rendre heureuses, de les comprendre. Il est sans doute un des premiers à vivre le mot « parité ».


Brunissende a hérité de ses deux parents. Le goût des chevaux de son Papa et celui de la médecine de la part de sa Maman. Son caractère est un savant mélange des deux : aventureux, parfois un peu rebelle, respectueux de chacun,  prévenant avec les plus petits, à l’écoute de tous, droite dans ses bottes de cavalière ;-) Elle ne s’en laisse pas compter car elle entend bien mener sa vie à sa guise. Elle est imprégnée  des deux cultures  et cela lui donne une aura particulière. C’est une jeune femme vive, enjouée, harmonieuse. D’ailleurs, on la sent vivre entre les pages, elle est « présence ».

L’auteur a une écriture limpide, une connaissance de l’histoire de l’époque complète ce qui rend son récit parfaitement crédible.  Son texte est riche, « pétillant » sans temps mort. On s’attache rapidement aux personnages qu’elle présente et on les accompagne avec grand plaisir. J’ai eu un immense plaisir à me plonger dans ce recueil et je n’aurais pas imaginé un seul instant qu’il me passionne autant. J’ai été conquise non seulement par le contenu qui m’a intéressée et grâce auquel j’ai beaucoup appris mais aussi par le style de Sandrine Biyi. Je trouve qu’elle sait mettre à la portée de tous des repères et des faits historiques ainsi que les us et coutumes de la période qu’elle évoque. J’ai vraiment hâte de lire le tome deux.

"La fille sous la glace" de Robert Bryndza (The Girl in the Ice)


La fille sous la glace (The Girl in the Ice)
Auteur : Robert Bryndza
Traduit de l'anglais par Véronique Roland
Éditions : Belfond (25 Janvier 2018)
ISBN : 978-2714475930
450 pages

Quatrième de couverture

Le froid a figé la beauté de ses traits pour l’éternité.  La mort d’Andrea est un mystère, tout comme l’abominable secret qu’elle emporte avec elle… Connue pour son sang-froid, son esprit de déduction imparable et son verbe tranchant, l’inspectrice Erika Foster semble être la mieux placée pour mener l’enquête. En lutte contre ses propres fantômes, la super flic s’interroge : peut-elle encore faire confiance à son instinct ? Et si le plus dangereux dans cette affaire n’était pas le tueur, mais elle-même ?

Mon avis

Erika est slovaque, c’est une femme policière qui a souffert, elle a perdu son mari alors qu’ils étaient avec d’autres en embuscade pour arrêter des trafiquants. Elle a fait un burn out, rejetant tout pendant de longs mois. Elle vient d’être réintégrée et on lui demande de s’occuper d’une enquête où une jeune femme disparue a été assassinée. Pourquoi elle ? D’abord parce qu’elle a toujours été une enquêtrice hors pair et surtout que son statut de slovaque va peut être permettre à la mère de la jeune morte de se sentir en confiance vu qu’elle est de même origine….

Mais ça, c’est sur le papier … Parce que sur le terrain, Erika n’est pas du tout bien vue de la famille en deuil, mais alors pas du tout. Ses méthodes dérangent, son ton ne plaît pas et sa façon de faire n’est pas au goût de ses supérieurs…. Mais elle ne lâche pas le morceau et elle suit ses intuitions et c’est souvent cela qui permet de reconnaître un bon flic….

J’ai beaucoup aimé cet excellent roman (bien traduit d’ailleurs, il faut le souligner), car Erika est un personnage atypique et attachant. J’ai apprécié de suivre ses raisonnements, ses coups de g…. Si la fin est un peu rapide, elle n’en reste pas moins logique car sous le vernis, les apparats, parfois de bien vilaines choses se cachent……