Les enfants de Staline
(Stalin’s Children)
Auteur : Owen Matthews
Traduit de l'anglais par
Karine Reignier
Éditions : Belfond (3
Septembre 2009)
ISBN : 978-2714445926
410 pages
Quatrième de couverture
Dans la lignée de
Pasternak et de Soljenitsyne, une œuvre bouleversante qui convoque, parla grâce
de l'écriture, les destinées d'une famille sur trois générations. Sélectionné
pour le Guardian First Book Award, un témoignage aussi profond que déchirant,
la chronique flamboyante du XXe siècle russe, à travers d'inoubliables
histoires de survie et de rédemption. Au cœur du Moscou post-communiste des
années 1990, un jeune reporter retrouve la trace des siens et de ces existences
qui le hantent...
Mon avis
Ce qui frappe tout
d’abord, lorsqu’on prend ce livre en mains, ce sont les regards des deux
enfants sur la photo.
La sœur aînée qui semble
protéger la plus jeune et qui a le regard résigné de celle qui n’a pas choisi
mais subi et qui semble accepter.
Et puis, la plus jeune,
Ludmila, dont il sera beaucoup question dans ce livre (elle est la mère de
l’auteur), qui vous fixe de son regard grave. Un regard qui transperce, qui
interroge, qui porte déjà toute la souffrance accumulée, un regard qui
interpelle « Qu’as-tu fait, toi, pour m’aider ? .... »
Plus de quatre cents pages
pour quatorze chapitres (encadrés par un prologue et un épilogue), tous sur le
même modèle : un titre reprenant le contenu et une phrase en italiques
(citations diverses) puis l’écrit de l’auteur.
Contrairement à ce que
laisse penser la quatrième de couverture, c’est seulement dans le dernier tiers
que nous lirons de larges extraits des courriers échangés entre les parents de
l'auteur. Ce livre n’est donc pas de genre épistolaire.
Il retrace la vie de trois
générations.
Celle du grand-père
maternel: Boris Bibikov, soudain devenu « ennemi public ».
Celle de ses parents :
Ludmila et Mervyn. Une russe et un britannique amoureux, quelle idée de
se « compliquer » la vie !
Ceux-là mêmes qui, n’ayant eu que neuf mois de bonheur sans avoir le temps de
se marier vont être séparés pendant six ans. C’est pendant ces années qu’ils
s’écrivent : « Chaque phrase (de mes
lettres) est rédigée avec mon sang, celui qui vient du cœur ». écrit
Ludmila.
Ceux-là mêmes qui ont « figé leur amour » sur le papier, ce
qui leur a posé problème lorsqu’ils se sont retrouvés…
Et enfin celle de
l’auteur, expliquant sa propre « histoire » à travers celles de ceux qui l’ont
précédé, racontant l’URSS et la Russie, menant obstinément son enquête pour
comprendre, retrouvant, comme son père,
« ….tout ce qu’il aimait en Russie -cette fièvre
et cette force qui le fascinaient tant. »
Ludmila, Mila, Milotchka
(on retrouve ici, une «habitude » russe consistant à donner plusieurs noms pour
une même personne), ne s’est jamais résignée : « … armée de ses seules certitudes, elle s’est attaquée au mastodonte
de l’Etat soviétique et a remporté la bataille. »
Ludmila, pour qui « le mot mère n’a aucun sens » a
souffert, s’est battue mais n’a jamais
baissé les bras …
Pour moi, Ludmila est la «
force » de ce livre … Elle représente l’image de ces personnes russes,
humiliées, blessées, terrifiées …. qui renaissent toujours plus fortes, plus
émouvantes refusant le mot
« fatalité ».
Dans la première partie,
l’auteur nous fait découvrir Staline, les purges, les trahisons, le cheminement
des uns et des autres. Les scènes sont vives, poignantes, vous prenant aux
tripes parfois.
On suivra ensuite la tante
et la mère, ballotées de familles en orphelinats, accumulant la souffrance, se
forgeant une « carapace ».
Le dernier tiers du livre
consacré aux efforts de rapprochement de nos deux amoureux est plus léger et on
sent que l’auteur a posé une partie du fardeau familial. Il découvre (dans les
courriers) l’amour de ses parents, (parfois sa propre femme lui lit les
lettres), essayant de retranscrire ce qu’ils ont vécu, ressenti, espéré,
souffert, sans jamais se poser « en voyeur » de cette vie qui n’est pas la
sienne. Il avance doucement dans la découverte de chaque missive, à pas feutrés
…
On sent qu’il porte en
lui, les deux cultures, russe par sa mère, britannique par son père.
Tout au long de ce livre,
on ne peut s’empêcher de penser que, peut-être, pour Owen Matthews, ce livre a
été un exutoire.
Bien sûr, il voulait mieux
connaître l’histoire des siens mais à travers les choix et les décisions de
chacun, il ne cesse de nous livrer ses réflexions, ses avis : « Je me suis aperçu en écrivant ce livre que
j’aurais, moi, agi de manière radicalement différente … »
C’est aussi en ça que ce
livre est riche.
Parce que, oui, ce livre
est riche ….
Riche parce qu’il est un
véritable témoignage d’une époque, d'une famille.
Riche parce que bien
écrit, avec pudeur, profondeur, délicatesse.
Riche parce que porteur
d’une réelle analyse des faits, des choix, des questions de chacun.
Riche parce que Owen
Matthews a su habilement mêler son enquête (il est journaliste) et les témoignages
récents aux événements du passé.
Riche parce que vrai …
D’ailleurs par deux fois,
des pages de photos, pour nous rappeler, si besoin est, qu’on lit « une
histoire vraie », retraçant le cheminement de personnes aux destins si peu
ordinaires qu’ils nous « habiteront » encore longtemps ….
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