"Veiller sur elle" de Jean-Baptiste Andrea

 

Veiller sur elle
Auteur : Jean-Baptiste Andrea
Éditions : L’Iconoclaste (17 Août 2023)
ISBN : 978-2378803759
594 pages

Quatrième de couverture

Au grand jeu du destin, Mimo a tiré les mauvaises cartes. Né pauvre, il est confié en apprentissage à un sculpteur de pierre sans envergure. Mais il a du génie entre les mains. Toutes les fées ou presque se sont penchées sur Viola Orsini. Héritière d'une famille prestigieuse, elle a passé son enfance à l'ombre d'un palais génois. Mais elle a trop d'ambition pour se résigner à la place qu'on lui assigne.

Mon avis

1986, une communauté religieuse, quelque part en Italie. Les frères veillent l’un des leurs, même s’il n’a jamais prononcé de vœux alors qu’il est là depuis quarante ans. C’est la fin, à quatre-vingt-deux ans, il va mourir. Mais qui était cet homme ? Sous ses yeux fermés, dans sa demi-conscience, les souvenirs affluent et il les partage…

Ses parents ont fui la Ligurie, il est né en 1904 d’un père sculpteur. Il l’observe, l’écoute, s’imprègne de chaque geste, fasciné par son métier. Sa mère l’a nommé Michelangelo, comme si ce prénom pouvait lui donner un statut, de la force, à lui, qui est né avec un handicap (il est de petite taille). Mais le plus souvent, il est Mimo.

La première guerre mondiale arrive et c’est la mort du paternel. Sa Maman l’envoie en Italie, chez un oncle, sculpteur lui aussi, à Pietra d’Alba. Mais là-bas, le jeune garçon n’est pas aimé. Le tonton aime la divine bouteille et supporte mal que le rejeton soit meilleur que lui. Parce que, oui, déjà, à peine adolescent, son talent se dessine… Mais que c’est difficile avec son nanisme de s’imposer, d’être « reconnu ».

Un jour, il doit se rendre chez les Orsini, une famille fortunée non loin de l’atelier. Par un curieux coup du destin, il rencontre Viola, la fille de la maison. Une âme libre, qui n’a pas l’intention de se laisser voler sa vie, ses choix, malgré les conventions, la bienséance. Une amitié naît alors sous les yeux du lecteur attendri. Une de ses amitiés improbables mais vraies… Ces deux-là se « portent », se protègent, se cachent des adultes, se « nourrissent » l’un de l’autre. Ils peuvent parler et se taire ensemble, ils se comprennent….

« Nous ne sommes pas des aimants. Nous sommes une symphonie. Et même la musique a besoin de silence. »

Les adultes, les bien -pensants vont-ils tolérer une telle relation ? Qu’est-ce que l’avenir leur réserve ? Mimo rencontrera-t-il le succès qu’il mérite, lui dont l’art est toute sa vie ? Les carcans qui les enferment peuvent-ils disparaître ? Les personnalités des deux amis sont belles. Ils sont à la fois rebelles, attachants, volontaires, rayonnants. On accompagne ces deux destins, on espère avec eux, on souffre aussi.

Ancré dans un contexte historique très riche (l’auteur glisse de temps à autre des événements ayant existé) dans un pays bouleversé par la montée du fascisme, ce récit est magnifique. Porté par un souffle épique, accompagné d’un vocabulaire de qualité, recherché mais sans emphase, le texte nous porte et nous emporte. L’écriture de l’auteur est lumineuse, délicate, tout fait sens. Quand il parle de sculpture, on a envie d’aller visiter un musée et de voir cette oeuvre sur qui Mimo veillera jusqu’à la fin de sa vie….

« Imagine ton œuvre terminée qui prend vie. Que va-t-elle faire ? Tu dois imaginer ce qui se passera dans la seconde qui suit le moment que tu figes, et le suggérer. Une sculpture est une annonciation. »

Coup de coeur !

"Le dernier festin des vaincus" d'Estelle Tharreau

 

Le dernier festin des vaincus
Auteur : Estelle Tharreau
Éditions : Taurnada (2 novembre 2023)
ISBN : 978-2372581257
250 pages

Quatrième de couverture

Un soir de réveillon, Naomi Shehaan disparaît de la réserve indienne de Meshkanau. Dans une région minée par la corruption, le racisme, la violence et la misère, un jeune flic, Logan Robertson, tente de briser l'omerta qui entoure cette affaire. Il est rejoint par Nathan et Alice qui, en renouant avec leur passé, plongent dans l'enfer de ce dernier jalon avant la toundra. Un thriller dur qui éclaire sur les violences intracommunautaires et les traumatismes liés aux pensionnats indiens, dont les femmes sont les premières victimes. « Au Canada, une autochtone a dix fois plus de risque de se faire assassiner qu'une autre femme. »

Mon avis

Meshkanau, au Canada, une réserve indienne.

Un lendemain de réveillon, la mère de Naomi Shehaan réalise qu’elle n’est pas rentrée. Elle la recherche chez son petit ami, à droite, à gauche mais rien. Une fugue de plus ? Elle reviendra sans doute dans quelques jours…. ou pas …..

Ici, certains habitants sont partis vers les villes voisines, pour ne pas être stigmatisés, « parqués », catalogués, ou peut-être pour voir autre chose. Mais ce n’est pas forcément simple, leur aspect physique fait que de temps à autre, on les repère. Quelques-uns sont intégrés, en apparence seulement, car ils restent sur le qui-vive, de peur d’une dérive liée à leurs origines.

D’autres sont restés dans la réserve, malgré les difficultés croissantes, le manque de travail, la violence, l’alcool et la drogue qui rendent fou, la pauvreté, la peur de ne jamais s’en sortir. Autrefois, les enfants sont allés au pensionnat pour apprendre. Mais ils étaient « les étrangers », ceux dont on ne veut pas et ils ont été humiliés, détruits par des sévices insupportables, impardonnables. Marqués à vie, que sont-ils devenus ?

Quelques hommes qui ont le « pouvoir » profitent de leur position dans la réserve. Ils sont capables de « faire chanter » les indiens, de les manipuler, de les abuser. Ils mentent mais les autorités les croient.

Alors chercher Naomi, est-ce que ça vaut la peine que la police s’en mêle ? Peut-être qu’en confiant un semblant d’enquête à un jeune flic sans expérience, l’affaire sera réglée (et classée sans suite) très vite ?

Dans la réserve, les gens sont en colère. II est question d’implanter une scierie sur leurs terres. Pour faire passer la pilule, on leur promet du travail mais personne n’est dupe. Et puis, avec ce projet, les forêts seront abîmées, les lacs moins accessibles…. La protection de la nature n’est clairement pas la priorité de ceux qui veulent installer cette entreprise, business is business….  

C’est dans cette atmosphère délétère que les personnages évoluent. Les relations sont tendues entre « blancs » et indiens. Il y en a qui essaient de se parler, de communiquer, mais c’est tellement difficile. Nathan et Alice que tout pourrait opposer, veulent comprendre ce qu’il s’est passé pour Naomi. Parfois, ils avancent, mais on les rejette aussitôt, on leur met des bâtons dans les roues. De quoi s’occupent-ils ? Ne peuvent-ils pas rester à leur place ? Quand on gratte, on dérange…alors évidemment….

Toutes ces horreurs ont existé, existent encore. Estelle Tharreau les décrit factuellement, et ça nous fait d’autant plus mal. C’est terrible. Je connaissais déjà ces situations mais c’est toujours révoltant. L’auteur a su, une fois encore, se renseigner et inscrire son récit dans un contexte tangible.

Elle se renouvelle à chaque livre avec des sujets variés, toujours intéressants. Son écriture puissante transmet de nombreuses émotions. Le lecteur a peur, sent la colère monter, voit une pointe d’espérance avant que tout s’écroule et recommence…. C’est la réalité, la vie là-bas, mais aussi ailleurs…. Inscrit dans un contexte crédible, ce roman bouscule, bouleverse, prend aux tripes …  Une réussite !

"Un cursif ABC 26 poèmes dans la caboche d’une élève de CP" de Jean-Baptiste Verrier

 

Un cursif ABC
26 poèmes dans la caboche d’une élève de CP
Auteur : Jean-Baptiste Verrier
Illustrateur : Pierre François Rault
Éditions : du Volcan (8 novembre 2022)
ISBN : 979-1097339500
80 pages

Quatrième de couverture

Un cursif ABC, sous-titré 26 poèmes dans la caboche d’une élève de CP, fait du quotidien de millions d’écoliers âgés de 6 à 7 ans le sujet d’un recueil de poésie. Les poèmes rendent un hommage appuyé à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Ils célèbrent également les moments de vie inimitables de cet âge : les premiers « meilleure copine et meilleur copain », les confidences durant les récrés, le retour chez soi le soir auprès des parents… En une année de CP et 64 pages, on apprend bien des choses sur nos affreux et gentils gamins.

Mon avis

Dans la préface, écrite par Nathalie Duclos, une phrase de Paul Éluard est citée : « Il y a des mots qui font vivre. ». Le ton est donné….

Dans ce livre, chaque lettre de l’alphabet est révisée. Page de gauche un dessin en noir et blanc, la lettre, espiègle, s’échappe, se courbe, se penche… Chacune est mise en scène, parfois avec quelques mots qui font rire ou sourire. Les tracés semblent être faits à l’encre de Chine. C’est fin, aérien, tout doux…

Page de droite, un poème….. En lien avec l’école, les élèves, leurs questions, leurs gribouillis, leurs chamailleries etc… et avec un rappel de la lettre qui est en face (on est bien d’accord : K comme Kanard….)

L’écriture est légère, exquise, délicate. Les mots dansent, se figent, se posent, s’évadent… On les suit sur la feuille, on va à la ligne pour lire le vers suivant (pas le ver luisant…). Tout s’enchaîne sans fausse note, pour nous faire rêver… Ce sont des écrits à hauteur d’enfants. On y trouve de l’émotion, de la naïveté….

La poésie de la lettre L est ma préférée ;-) je lis des livres, tu lis des livres…

Ce petit recueil a du charme, les illustrations renforcent l’aspect poésie, complètent à merveille les textes. L’auteur et l’illustrateur sont doués !

C’est une lecture plaisir comme je les aime.


"Journal d’une vie Antoine de Saint-Exupéry , Petit Prince parmi les hommes" de Jean-Pierre Guéno

 

Journal d’une vie
Antoine de Saint-Exupéry , Petit Prince parmi les hommes
Auteur : Jean-Pierre Guéno
Éditions : KIWI (10 novembre 2022)
ISBN : 978-2378831097
222 pages

Quatrième de couverture

Ce journal de bord illustré, composé comme un scrapbook, comme un collector de vestiges vivants, comme un album rempli de trésors et de traces inestimables, nous offre une rencontre inoubliable avec l′aviateur-écrivain. Jean-Pierre Guéno y a rassemblé les pensées les plus fortes d′Antoine de Saint-Exupéry, ses objets les plus précieux, ses dessins les plus magiques, ses photographies les plus intimes et ses manuscrits les plus bouleversants.

Mon avis

Ce livre est une œuvre d’art. Il est magnifique par sa présentation, sa mise en page et son contenu. Une couverture légèrement cartonnée mais souple avec un titre en relief. Des couleurs sépia et des titres écrits en calligraphie à l’ancienne, à l’encre. Des photos, des croquis, des dessins, des documents (courriers de Saint-Exupéry, des commentaires de Jean-Pierre Guéno, dont certains écrits à la première personne émanent du « Petit Prince ». La plupart de ces apports sont authentiques, scotchés çà et là (on « voit » les adhésifs), comme un journal de bord qui aurait été construit petit à petit au fil du temps.

On y retrouve des éléments de l’expositions sur Le Petit Prince et Saint-Exupéry, que j’ai visitée à la Sucrière à Lyon en 2022. Elle était superbe !

L’auteur revient sur la vie et le cheminement d’Antoine de Saint Exupéry. J’ai été frappée par une lettre écrite à sa mère où il se plaint de perdre son temps à l’armée en attendant de pouvoir voler. Il était vraiment passionné ! Il avait peur du noir et l’exprime avec beaucoup de justesse.

Lire ce livre, c’est voyager dans le temps, prendre le temps, observer chaque cliché, chaque texte, se remémorer le  « Petit Prince » (si on l’a lu), repenser à ses ressentis, aux échanges qu’il a suscités….

J’ai beaucoup aimé les lettres qu’écrivait Saint-Exupéry, l’une d’elle se termine par « Dis-toi tout doucement pour t’endormir ce soir, que quelqu’un t’aime. » 
Sur le papier, on se confie, il n’y a pas l’obstacle d’un regard, d’un froncement de sourcils, d’une intervention extérieure. Dans ses missives, il parle de tout, de ses états d’âme, de ce qu’il vit, de ce qu’il souhaite, de ceux à qui il pense… Il écrit tellement bien…. C’est un réel partage.

Des personnes qui ont rédigé des textes sur une huitième planète (qui n’existe pas dans le livre) ont été sélectionnées et leurs écrits apparaissent dans ce recueil. Un jeune de quatorze ans présente « la planète de l’émerveillement ».

En fin d’ouvrage, quelques annexes.

C’est un « journal » à offrir et à s’offrir, à feuilleter, poser, reprendre, relire encore et encore. Chaque lecture apportera quelque chose, un petit détail pas observé, une citation…. C’est un régal de connaissances diverses, de poésie. On apprend à connaître l’homme, ceux qu’il a côtoyés …. Et on se dit « quel homme ! »



"Jason Bourne : Le mutation dans la peau" de Robert Ludlum et Brian Freeman (The Bourne Evolution)

 

Jason Bourne : Le mutation dans la peau (The Bourne Evolution)
Auteurs : Robert Ludlum & Brian Freeman
Traduit de l’américain par Philippe Vigneron
Éditions : L’Archipel (23 Novembre 2023)
ISBN : 978-2809847321
460 pages

Quatrième de couverture

Deux ans ont passé depuis que l'ex-tueur de la CIA a perdu la femme qu'il aimait lors d'une fusillade à Las Vegas. Il a désormais quitté Treadstone, l'agence qui l'employait. Nouveaux commanditaires, nouvelle mission : découvrir les intentions de Medusa, une organisation secrète. Mais lorsqu'un membre du Congrès est assassiné à New York, Jason Bourne est accusé du crime. Pour garder une longueur d'avance sur ses ennemis et découvrir qui l'a piégé, il fait équipe avec une journaliste, Abbey Laurent.

Mon avis

Jason Bourne est un espion (du bon côté de la barrière), un tueur si besoin mais également un homme. Suite à une balle reçue dans la tête, il a oublié son passé. Des images lui reviennent par flashs mais il n’arrive pas à les mettre bout à bout pour reconstituer son parcours. Il a un ami qui lui parle de ce qu’ils ont vécu ensemble mais ils ne se rencontrent pas régulièrement. La femme qu’il aimait a été assassinée et il est bien décidé à la venger si l’occasion se présenté. Certains alliés l’ont trahi et il se sait traqué, surveillé en permanence.

Le récit commence par les messages d’une journaliste, Abbey Laurent, qui tient ses followers au courant par Tweets successifs. Une congressiste, Sofia Ortiz va prendre la parole pour parler des abus de confidentialité dans le cadre des nouvelles technologies. Mais soudain, c’est l’horreur. La femme qui devait s’exprimer est tuée sous ses yeux et c’est l’émeute. Madame Ortiz n’a pas eu le temps de communiquer en détails sur ce qu’elle reproche aux géants de la Big Tech, à savoir, passer sous silence le piratage de nombreuses données des utilisateurs.

Tout semble accuser Jason Bourne et le désigner comme le meurtrier. Il devient donc l’homme à abattre. Les preuves sont là, contre lui, il ne peut rien faire pour prouver son innocence à part coincer ceux qui l’ont piégé. Il a entendu parler d’une organisation secrète : Medusa, qui pilote dans l’ombre, agit sur les réseaux sociaux, influence ceux qui les suivent et va bien plus loin…. C’est sans doute ce groupe qui tire les ficelles mais comment les atteindre, les rencontrer afin de les combattre ? Il ne sait rien d’eux ….

Jason va faire équipe avec Abbey. Cette jeune reporter pleine de sang-froid, qui n’aime qu’on décide pour elle, qu’on la manipule, qu’on lui dicte sa conduite, sera une alliée. Mais ne risquent-ils pas de se mettre en danger tous les deux ? Ceux qui sont en face sont très puissants, infiltrés partout (même au gouvernement) et la lutte est inégale…

Robert Ludlum a rédigé les premiers tomes de cette série et Brian Freeman a repris la suite tout en laissant le nom du « créateur ». L’écriture (merci au traducteur) est nerveuse, rythmée, il y a beaucoup de rebondissements et on ne s’ennuie pas une seconde. Au-delà de la course poursuite, de l’angoisse qui monte au fil des pages car on comprend vite que les truands veulent prendre le contrôle, il y a une réelle réflexion sur la place du numérique dans nos vies. Jusqu’à quel point est-on manœuvré ? Que fait-on de suggestions que nous proposent internet par le biais des cookies ou autres ? Jusqu’où garde-t-on notre liberté de penser ?

J’ai beaucoup aimé ce roman. On peut penser que certains aspects sont un peu prévisibles mais ça ne m’a pas gênée tant j’ai eu du plaisir à le lire. De l’action, des émotions diverses et variées, un Jason Bourne en pleine forme, actif, réfléchi, astucieux et une jeune Abbey absolument à la hauteur. J’ai apprécié son tempérament de feu, ses raisonnements intelligents et sa façon de réfléchir au lien qui se crée avec Jason.  Et ce livre me donne envie de me pencher sur ce qu’a vécu Jason Bourne avant que je fasse sa connaissance avec cette histoire.


"La vallée des éperdus" de Rémy Belhomme

 

La vallée des éperdus
Auteur : Rémy Belhomme
Éditions au Pluriel (29 Juin 2023)
ISBN : 978-2492598135
280 pages

Quatrième de couverture

1974, Virgile fuit la région parisienne et débarque en Ardèche méridionale. Qu’est-il venu chercher, que va-t-il trouver dans ce pays de châtaignes ? Entre son voisin Philo, qui peint des paysages ferroviaires et des « michelines » à longueur de journée, les communautés hippies qui ont investi les hameaux et les paysans qui gravitent autour de la bourgade des Vans, Virgile s’adaptera-t-il à cette vie entre campagne et montagne... Y-a-t-il, au fond, tant de différences entre eux ?

Mon avis

Je me demande parfois si tous les éperdus de la terre ne se sont pas donné rendez-vous au creux de notre vallée. *

1974, Virgile est un peu rebelle, sans doute ce qu’on a appelé « un soixante huitard attardé ». Il a gardé en lui une certaine forme de révolte. Bien sûr, on pourrait se questionner sur son passé. Pourquoi est-il comme ça ? Mais lorsqu’on fait sa connaissance, il vit de petits larcins, discrets, dans la banlieue parisienne. Il n’a pas de gros besoins, ça tombe bien. Mais à force de jouer avec le feu, il finit par se faire coincer…. Ceux qui l’arrêtent lui proposent un marché : pour éviter la case prison, un séjour en Ardèche dans un trou perdu où sa mission sera d’espionner (surtout les hippies, avec eux, la police craint des dérives) et de rendre compte de ce qu’il observe.

Est-ce que ça vaut le coup d’aller s’enterrer dans un coin paumé ? C’est toujours mieux que d’être entre quatre murs avec des barreaux aux fenêtres, non ? Virgile accepte.

Il part avec son combi Volkswagen, trouve la maison, vraiment isolée, à part un voisin, s’installe et examine l’environnement. Le village n’est pas à côté, les journées vont être longues…. L’espionnage et la délation, c’est pas son fort à Virgile…. Comment va-t-il satisfaire ses commanditaires ? Il se lie un peu avec Philo, le voisin, un vieux qui pourrait être son père… Une relation se noue entre les deux hommes et le lecteur découvre comment elle évolue…. Ensuite, il y a quelques personnes dans le village et aux alentours, des jeunes, d’autres plus âgés…. Virgile discute plus ou moins avec chacun, il essaie de s’acclimater, de tenir sa part du contrat avec ceux qui l’ont envoyé là-bas.

Ce n’est pas aisé. En Ardèche, les gens sont des taiseux…

« Les Ardéchois, économes de leurs effusions jusqu’à l’avarice, se contentent d’une fugace oscillation du menton. »

Virgile va-t-il s’en sortir ou retombera-t-il dans ses travers ? Ne risque-t-il pas de retrouver quelques mauvaises fréquentations ?  Ce n’est pas évident de passer de la région parisienne à un lieu un peu « hors du temps », parfois figé dans ses anciennes coutumes… Il risque de s’ennuyer et quand on s’ennuie …. On peut faire n’importe quoi …..

J’ai eu un immense plaisir à cette lecture. J’ai trouvé l’écriture délicate, adaptée aux lieux, à l’époque, aux personnages. Les lettres de Philo sont magnifiques, à la fois pleines de retenue et de vivacité dans un bel équilibre. Il y a d’intéressantes réflexions sur le monde rural, en comparaison avec la ville. L’auteur parle aussi de ces jeunes post 68 qui se cherchaient, chantaient, cuisinaient, s’installaient en communauté pour vivre de beaux moments ensemble. Il est également question d’amitié, de solidarité, de tout ce qui fait la vie, notamment les plaisirs simples qui procurent un sentiment de bien-être et de sérénité.

En exergue de chaque chapitre, un extrait de chanson, une citation, je me suis prise à fredonner plusieurs fois car même dans l’histoire, certains titres évoqués me rappelaient des souvenirs « buvons encore une dernière fois… »

Rémy Belhomme décrit (avec humour de temps en temps) tellement bien les situations, l’atmosphère, qu’on a l’impression de voir un film où les images défilent devant nos yeux.  Son récit m’a touchée, émue, sans doute parce que ses personnages sont palpables et qu’une humanité infinie se dégage de l’ensemble.

* page 193


"L'hôtel des oiseaux" de Joyce Maynard (The Bird Hotel)

 

L’hôtel des oiseaux (The Bird Hotel)
Auteur : Joyce Maynard
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Florence Lévy-Paoloni
Éditions : Philippe Rey (24 Août 2023)
ISBN : 978-2384820313
530 pages

Quatrième de couverture

1970. Une explosion a lieu dans un sous-sol, à New York, causée par une bombe artisanale. Parmi les apprentis terroristes décédés : la mère de Joan, six ans. Dans l'espoir fou de mener une vie ordinaire, la grand-mère de la fillette précipite leur départ, loin du drame, et lui fait changer de prénom : Joan s'appellera désormais Amelia.
À l'âge adulte, devenue épouse, mère et artiste talentueuse, Amelia vit une seconde tragédie qui la pousse à fuir de nouveau. Elle trouve refuge à des centaines de kilomètres dans un pays d'Amérique centrale, entre les murs d'un hôtel délabré, accueillie par la chaleureuse propriétaire, Leila.

Mon avis

La Maman de Joan, six ans, est morte dans une explosion. Elle faisait partie des apprenties terroristes. Pour ne pas que sa petite fille parte avec une « étiquette » dans la vie, sa grand-mère décide de disparaître avec elle. Le but ? Recommencer à zéro sous une autre identité, loin du drame.

Dans ce récit, Joan se raconte jusqu’à ce qu’elle ait une cinquantaine d’années. Nous découvrons l’enfance avec sa mère, la fuite, le passage à l’âge adulte. Elle se construit sous nos yeux avec ce passé douloureux qui reste chevillé au corps. C’est une femme blessée, prête à s’éteindre qui va essayer de rebondir sous nos yeux. On l’accompagne sur le chemin de la résilience.

La nature, ce qu’elle apporte d’apaisement et de sérénité, est bien exploitée dans ce roman. Végétaux et oiseaux ont la part belle. Pour autant, ce n’est jamais lourd ou pénible. Joyce Maynard dose parfaitement ses propos entre contemplation, émotions, quotidien, rebondissements dans la vie de son héroïne.

Je suis, chaque fois, infiniment charmée, par l’écriture (merci à la traductrice) de l’auteur. Elle me transporte ailleurs, me bouleverse, m’intéresse et me donne envie de lire encore et encore… Elle sait parler des sentiments humains, de ce qui habite chaque personnage (colère, peur, ou autre…) Son vocabulaire est choisi avec soin, adapté.

Je me suis attachée à Joan, à ceux qu’elle rencontre et qu’elle aime. J’ai aimé découvrir ce lieu hors du temps, les aventures des uns et des autres. Et par-dessus tout, j’ai apprécié l’espoir qui finit par toujours par éclairer les pages les plus sombres.


"Ou le dernier coquelicot" de Florence Herrlemann

 

Ou le dernier coquelicot
Auteur : Florence Herrlemann
Éditions : M + éditions (28 septembre 2023)
ISBN : 978-2382111741
226 pages

Quatrième de couverture

Après avoir fait le bilan d'une vie désastreuse, Léonor, la quarantaine, décide avec froideur et détachement, d'en finir. Elle veut commettre l'acte loin de Paris. Au volant de sa voiture, elle laisse faire le hasard qui la conduit sur un petit chemin de terre au bout duquel elle découvre une étrange maison. Sur le seuil, un chien immobile semble attendre quelque chose. Ou quelqu'un.

Mon avis

Léonor a une quarantaine d’années. Sa vie ne lui convient pas, rien ne l’accroche, elle n’a plus d’envie pour quoi que ce soit. Alors, elle se décide. Totalement détachée de tout, elle part loin de son lieu d’habitation (Paris), pour en finir. Elle monte dans sa voiture, roule, s’éloigne du tumulte, du mouvement, de la vie ….  C’est comme ça qu’elle se retrouve au milieu de nulle part et se pose un moment. Une maison abandonnée, un chien devant la porte, un panneau « à vendre ». Finalement, la mort peut attendre, non ? C’est Léonor qui choisit …

Un coup de fil à l’agent immobilier, une signature au bas d’une liasse de papiers et la voilà propriétaire de cette étrange habitation où certaines choses semblent avoir été figées par le temps. S’ensuit un récit à trois voix.
Celle de Léonor et de son quotidien. Ses questions, son mal être parfois, ses observations face à certains événements qu’elle trouve bizarres.
Celle de Robert, le commercial. Il est tombé sous le charme, l’aide et s’imagine aller plus loin….
Celle que je nommerai : la « voix de l’ombre ». Qui est-ce ? Un fantôme ? Quelqu’un qui existe ?
Pour chacune, l’auteur a adapté le vocabulaire, le phrasé pour bien coller à chaque protagoniste, à son caractère et sa personnalité.

Une atmosphère particulière se dégage de cette histoire, une aura de mystère. On sent bien que la bâtisse est presque un personnage à part entière. Qu’a-t-elle vu ? Cache-t-elle quelque chose ? Est-ce que Robert a dit tout ce qui concerne ces murs à Léonor ? Au début, on dirait qu’il y a comme de la brume. On se demande où l’auteur va nous emmener avec ces différents intervenants et cette espèce de huis-clos quelque fois oppressant.  La tension monte au fil des pages, certains sont déstabilisés, d’autres plus sûrs d’eux … On observe, de l’extérieur, les réactions des uns et des autres, les liens qui se nouent ou se dénouent … Le cheminement de cette femme qui, prête à se suicider, découvre un lieu où elle s’arrête afin de réfléchir. Cela s’éclaircit un peu, on relie les morceaux du puzzle….

L’écriture de l’auteur, sans dialogues, est singulière, c’est une grande force de ce roman car, à elle seule, elle crée l’ambiance qui règne dans ce recueil. Le rythme suit le fil des jours, des faits qui se succèdent, avec éventuellement quelques points de vue sur le passé. Il ne se passe pas énormément de choses mais c’est suffisant pour maintenir notre intérêt et nous entraîner dans ce contexte atypique, captivant, original.

J’ai beaucoup apprécié cette lecture, elle a un petit côté surprenant, presque décalée. Il n’est pas évident de deviner ce qu’il va se passer, d’anticiper. L’auteur a su mettre en place un décor, un « climat » qui détonnent avec ce qu’on voit habituellement.

"Jérôme K. Jérôme Bloche - Tome 24: L'Ermite" d'Alain Dodier

 

L’ermite
Jérôme K. Jérôme Bloche, Tome 24
Dessin : Dodier
Scénario : Dodier
Couleur : Cerise
Éditions : Dupuis (22 Août 2014)
ISBN : 9782800157580
56 pages

Quatrième de couverture


Mandaté par un notaire pour remettre une lettre à un vieil homme domicilié dans un village officiellement disparu, du côté de Grenoble, Jérôme va devenir, sans le vouloir, le messager d'un drame intime et familial encore à vif. Ancien détenu, condamné pour un double meurtre, Antoine Oliveira vit en ermite dans les ruines d'un village rayé des cartes administratives trente ans auparavant, avec son chien comme seul compagnon. Dans cette fameuse lettre, écrite par un mourant, réside une vérité que le vieil homme devra affronter. Accompagné de Babette, Jérôme va découvrir, fragment par fragment, l'histoire tragique d'une famille broyée. Une enquête qui démarre comme une mission de routine et qui nous précipite dans le passé d'un homme dévoré par la culpabilité.

Mon avis

J’avoue, je suis fan de l’homme au solex. Et pas uniquement à cause du solex.

Il a un petit quelque chose qui me plaît dans son approche aux autres. Quels que soient ses albums, il est à l’écoute de l’autre, des autres. Il respecte ceux qu’il rencontre et il essaie de les comprendre avant de leur « rentrer dedans ».
Il a des côtés amusants comme sa peur de l’avion, ses étourderies récurrentes, ses gaffes gentilles. Mais sous son chapeau malgré son air « Jean de la Lune », il y a un cerveau, un vrai.

Alors il essaie d’observer, de déduire, de relier les différents éléments, pour faire avancer les choses.
Cette fois-ci, il doit porter une lettre à un vieil homme qui n’a pas voulu vivre ailleurs que dans les ruines d’un village qui n’existe plus. Un repris de justice qui ne l’accueille pas avec le sourire et avec aucune bonhomie.
Des sujets sérieux : l’erreur judiciaire, les drames familiaux, les hasards de l’amour (qui n’en sont pas toujours) seront abordés dans cette bande dessinée mais il y aura toujours, à bon escient, un clin d’œil qui aidera à dédramatiser l’ambiance.

De plus, comme les autres fois, les dessins sobres, mais précis, aux tracés simples, aux ombres qui ont de l’importance et habillent le contenu de la vignette, les dessins, disais-je, nous entraînent dans une intrigue qui a tout d’un bon polar.

À consommer sans modération !


"Ce qui vient après" de JoAnne Tompkins (What Comes After)

 

Ce qui vient après (What Comes After)
Auteur : JoAnne Tompkins
Traduit de l’américain par Sophie Aslanides
Éditions : Gallmeister (Totem) (7 Septembre 2023
ISBN : 978-2-35178-891-2
530 pages

Quatrième de couverture

Dans l’État brumeux de Washington, Jonah a tué son meilleur ami Daniel, avant de se suicider sans laisser la moindre explication. Sidérés par cette tragédie, leurs parents, autrefois amis, s’évitent désormais, séparés par leur incommensurable douleur. Jusqu’à l’arrivée salutaire d’Evangeline, une vagabonde de seize ans, enceinte, que chacun souhaite aider et qui apporte de la lumière dans leur vie. Mais une révélation éclate, risquant de briser ce nouvel équilibre : la jeune fille a croisé le chemin des deux garçons quelques jours avant leur mort.

Mon avis

Daniel et Jonah se connaissent depuis l’enfance, ils sont très amis, leurs parents aussi. Un jour, Daniel disparait et ne rentre pas. Une semaine après Jonah se suicide en disant où trouver le corps de celui qu’il a assassiné. C’est l’incompréhension et la fracture entre les deux maisons voisines.
L’une avec Isaac, le père de Daniel et l’autre avec Lorrie et Nells, mère et sœur de Jonas.

Isaac est très déprimé, il vit seul avec son chien, la vaisselle sale s’accumule et il peine à reprendre le dessus. Pourtant ses amis, dont Peter et George, essaient de l’aider et à avancer afin qu’il reprenne les cours (il est enseignant). Heureusement, il a Rufus, son chien fidèle qui était très attaché à son fils et qui est sa seule compagnie.

Voilà qu’une jeune fille de seize ans, une vagabonde, enceinte, débarque au milieu de tout ça. Elle atterrit chez Isaac qui l’accueille pour lui éviter la rue. Il l’incite à retourner au lycée afin d’avoir une vie plus dans la normalité. Elle s’appelle Evangeline et il s’avère qu’elle a connu les deux garçons.

Une relation se noue, parfois difficile, parfois plus apaisée. Elle est enceinte et les questions vont fuser sur sa présence dans cette petite bourgade. On s’interroge, que fait-elle là, est-ce un « choix » d’avoir croisé la route de ces deux familles très éprouvées ? Que cherche-t-elle ?

Dans ce roman à l’écriture infiniment délicate, trois voix s’expriment : Jonah, Isaac, et un narrateur extérieur qui complète le tableau d’ensemble. À travers les chapitres de Jonah, on comprend ce qu’il s’est passé, pourquoi il a réagi ainsi. Ceux d’Isaac montre le rapport de cet homme avec son ex-femme, ses amis et la religion (c’est un quaker de la « société des amis »). On voit que ce mouvement religieux a beaucoup d’impact sur sa vie.

Avec la narration à la troisième personne, on suit Evangeline, son parcours difficile, même douloureux, sa difficulté à faire confiance, à s’attacher, à croire en un quotidien meilleur. Son cheminement tout au long de sa grossesse pour devenir mère.

« Elle se demanda si c’était ça, être mère. Souffrir pour une vie qui n’est pas la sienne, brûler d’amour pour un enfant qui pouvait, sans la moindre action de sa part à elle, disparaître totalement de son champ de vision. »

Tout au long de ce récit, on apprend tout ce qui a été tu, enfoui, mais rarement oublié. On pénètre dans les prémices des événements qui ont eu lieu et qui ont touché le vécu de tous les personnages. J’ai aimé Isaac, cet homme bourru, solitaire, taiseux qui par la grâce d’une rencontre se laisse apprivoiser. S’il a raté des choses dans son lien avec son fils, il s’en servira peut-être pour que ça aille mieux maintenant avec cette âme perdue qui est peut-être synonyme de résilience.

Cette lecture est bouleversante. Le style de l’auteur (merci à la traductrice) est lumineux, plein d’empathie pour ses protagonistes. Ils sont terriblement humains dans leur force et leur fragilité. Elle décrit à merveille les hésitations, les décisions, les peurs, les joies, les émotions de chaque individu. On pénètre dans l’intimité de chacun, on est au plus près d’eux, près à leur tenir la main, à les accompagner et c’est avec énormément de regrets que je les ai laissés poursuivre leur route. J’aurais voulu rester avec eux encore un peu.

"Scarlett et Novak" d'Alain Damasio

 

Scarlett et Novak
Auteur : Alain Damasio
Éditions : ‎ Rageot (3 mars 2021)
ISBN : 978-2700276947
64 pages

Quatrième de couverture

Novak court. Il est poursuivi et fuit pour sauver sa peau. Heureusement, il a Scarlett avec lui. Scarlett, l’intelligence artificielle de son brightphone. Celle qui connaît toute sa vie, tous ses secrets, qui le guide dans la ville, collecte chaque donnée, chaque information qui le concerne. Celle qui répond autant à ses demandes qu’aux battements de son cœur. Scarlett seule peut le mettre en sécurité. À moins que… Et si c’était elle, précisément, que pourchassaient ses deux assaillants ?

Mon avis

Un roman court à destination des jeunes et de leurs parents. Il met en garde contre les risques liés à l’addiction aux nouvelles technologies. Scarlett est la compagne de Novak, une intelligence artificielle qu’il a construit en cliquant pour choisir le visage, les yeux, la taille, la voix… Elle lui répond, ils échangent….  Elle lui propose des sujets de conversation, lui dit comment il respire, l’encourage, le soutient …. Il ne peut plus se passer d’elle ….

On n’en est pas là ? Hum, permettez-moi d’en douter, il y a ChatGPT, Siri, les notifications, le GPS, le calcul du nombre de pas et bien d’autres choses encore ….

Et si la machine tombe en panne, si le logiciel se trompe ? Il se passe quoi ? L’homme (ou la femme) est perdu-e, sans ressources numériques…. On peut être en pleine nomophobie… Et difficile de remonter la pente….

Je trouve ce livre intéressant, il peut être le point de départ d’une discussion avec des élèves, d’un dialogue avec ses enfants. C’est important d’en parler, de semer des graines de conscience qui germeront ou pas…

J’ai lu ce livre car je suis allée voir le spectacle éponyme monté par la comédie Vladimir Steyaert.

J’ai été scotchée par la mise en scène, parfaitement adaptée pour des adolescents, très visuelle, intéressante et faisant également référence aux émotions qui traversent Novak lorsqu’il « perd » Scarlett.

Livre ou pièce de théâtre ? Foncez !

NB : Scarlett, c’est en référence au film « Her » de Spike Jonze où le protagoniste tombe amoureux de la voix de son IA.



"Ave Verum Corpus" de Samuel Hurtrel

 

Ave verum corpus
Auteur : Samuel Hurtrel
Éditions : Le lys bleu (6 Février 2023)
ISBN : 979-1037783400
462 pages

Quatrième de couverture

Un prêtre expie la faute d’avoir mis sous le boisseau les cris de certains enfants martyrisés par sa hiérarchie et une aristocratie proche du pouvoir. Friedrich, homme d’affaires vivant en Suisse, sera le vengeur, avec ses pairs et ex-compagnons de route, de Lukas qui ne supportait plus son enfance brisée. Arrivé à Paris, il fait séquestrer le prêtre afin d’atteindre la tête de l’hydre. Eva la commissaire, avec l’aide d’Adam son second et d’Henri le légiste, son confident, est en quête d’une vérité trouble, trouvant dans le cheminement de son investigation la réponse qu’elle attendait depuis si longtemps.

Mon avis

Ave verum corpus est une prière catholique et également un morceau de musique de Mozart….

Comme le titre, tous les titres de chapitres de ce livre seront en latin (avec une traduction). Une façon pour l’auteur de nous rappeler les messes traditionnelles, à l’ancienne, pour nous mettre dans l’ambiance ? Peut-être….

Mais dans l’ambiance, on y est très vite. On suit deux récits en parallèle, l’enquête d’Eva et en italiques, la séquestration longue et mystérieuse d’un homme qui est l’instrument d’un autre…

Eva est une commissaire confrontée à plusieurs meurtres qu’elle essaie avec ces coéquipiers d’élucider afin d’arrêter la série. C’est une femme au profil psychologique bien réfléchie, elle a une part d’ombre, qu’est-ce qu’elle tait et qui la ronge ? Dans le cadre de ses investigations, elle rencontre un homme Friedrich. Elle ne sait pas quoi penser de lui, elle se sent attirée et pourtant elle ne souhaite pas s’attacher, ni faire confiance trop vite. Lui communique-t-il tous les éléments dont il dispose pour faire avancer ses recherches ? Et elle ? met-elle en place les bonnes actions pour résoudre les affaires qui lui sont confiées ?

Dans les chapitres en italiques, on découvre un homme qui se questionne, s’interroge afin de comprendre ce qui lui arrive. Là, les descriptions sont volontairement plus froides, plus cliniques.

Le lecteur plonge dans ce récit et ne connaît que peu de répit. Les événements s’enchaînent, le suspense monte, des choses se « dessinent ». On se dit que non, ce n’est pas possible et puis … La folie des hommes n’a pas de limite ….

Plusieurs thèmes sont abordés dans ce roman. On y parle de vengeance, de pédophilie, des choix pour faire justice, de ceux qui abusent de leur position pour soumettre les plus fragiles, de ceux qui savent et se taisent en couvrant des agissements violents, destructeurs. On voudrait repousser certaines situations, oublier que ça existe aussi dans la vraie vie …..

Samuel Hurtrel a une écriture fluide, addictive, un style vif. On ressent le besoin de comprendre, de savoir, de ne pas lâcher tant qu’on n’a pas toutes les explications. L’intérêt ne faiblit pas.

Un recueil et un auteur à découvrir.


"L'Amérique sera" de Joshua Bennett (Owed)

 

L'Amérique sera (Owed)
Auteur : Joshua Bennett
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Cécile Deniard
Éditions : Globe (9 Novembre 2023)
ISBN : 978-2-38361-220-9
210 pages

Quatrième de couverture

Qui doit quoi à qui ? Les odes de Bennett explorent les dettes sentimentales, philosophiques et politiques que Joshua doit aux choses, aux lieux et aux personnages qu’il a croisés au cours de son existence et qui, d’une manière ou d’une autre, ont nourri son imagination.

Mon avis

Joshua Bennett est un auteur, enseignant et artiste américain. Il est professeur de littérature et titulaire d’une chaire de sciences humaines. C’est un poète contemporain très connu aux Etats-Unis. Il n’a pas toujours eu une vie facile, et ses parents ont dû lutter pour avancer et s’en sortir. Il est en photo avec son père sur la couverture.

Dans ce recueil, on retrouve une partie de ses poèmes (à gauche en anglais, à droite en français). Ses sources d’inspiration sont multiples. Le bus scolaire, le barbier, un tableau, le commerce « tout à 99 cents », job d’été, et bien d’autres choses ordinaires qu’il sublime par ses mots. Ses vers donnent du sens à des termes simples, permettant d’exprimer ses ressentis, ses émotions, ce qu’il veut partager et surtout transmettre.

On sent qu’il défend les personnes de couleur, qu’il revendique les messages qu’il fait passer.

Dans le bouleversant poème « Mike Brown (jeune homme afro-américain, abattu par un policier blanc en 2014 alors qu’il était non armé) est une sorte de Christ », l’auteur parle d’événements graves qui le révoltent et qu’il ne veut plus voir.

« La nuit dernière,
j’ai imaginé les armes de tous les policiers
rassemblées et enfermées dans un coffre à l’épreuve des bombes
au bord de la grand-route, me suis demandé
ce qu’ils choisiraient de fabriquer
avec leurs mains, leurs yeux, depuis si longtemps
occupés à pourchasser
ce qui ne peut être contenu. »

Dans ses textes, Joshua Bennett évoque des thèmes en lien avec son enfance, la famille, la politique, etc. C’est vivant, émouvant, fin, lyrique. Il a un sens de l’observation acéré et quand il écrit (merci à la traductrice) il arrive à partager des instants de vie avec tout ce qu’ils contiennent de « rappels » sur les moments difficiles, ou d’autres plus doux.

Plusieurs écrits s’appellent « Réparation », je ne dirai rien sur leur contenu mais ils sont particulièrement poignants. Et j’irai plus loin dans ma réflexion, est-ce qu’en rédigeant ces « Réparation » l’auteur leur donne la possibilité d’être guéries parce que, couchées sur le papier, elles existent et ne seront pas tues, passées sous silence, oubliées ? Est-ce que ce recueil n’est pas lui aussi une « forme de réparation » de son âme parfois blessée, voire endeuillée ?

Quoiqu’il en soit, ces lignes m’ont profondément touchée et c’est ce que j’attends d’un poète. Alors merci à lui.

Il est intéressant, en fin d’ouvrage de lire les notes de traduction. En anglais, le titre est « Owed » s’apparente à un jeu de mots qui renvoie à l’idée d’ode et de dette. On peut l’interpréter comme le fait que l’Amérique ait une dette envers la population noire.

Des éléments qui pourraient nous questionner sont également expliqués avec les références historiques pour une meilleure compréhension.


"Récidive" de Sonja Delzongle

 

Récidive
Auteur : Sonja Delzongle
Éditions : Denoël (6 Avril 2017)
ISBN : 9782207135624
416 pages

Quatrième de couverture

Saint-Malo, hiver 2014. Du haut des remparts, sorti de prison, Erwan Kardec contemple la mer en savourant sa liberté. Il y a trente ans, il a tué sa femme à mains nues, devant leur fille, Hanah. Jamais il n’aurait été démasqué si la fillette n’avait eu le courage de le dénoncer. Malade, nourri d’une profonde haine, il n’aura de cesse de la retrouver avant de mourir.

À New York, au même moment, Hanah, qui a appris la libération de l’assassin de sa mère, est hantée par le serment qu’il lui a fait de se venger. De cauchemars en insomnies, son angoisse croît de jour en jour. Pourquoi a-t-il tué sa mère? Quand surgira-t-il? Quels sont ces appels anonymes?

Mon avis

Fragile équilibre….

Pari réussi pour Sonja Delzongle : mettre son enquêtrice récurrente au cœur de l’intrigue, nous maintenir en haleine, et parler de sujets graves dont la relation parentale et l’homosexualité… Chapeau bas ! Mis à part un passage où j’ai trouvé Hanah vraiment très naïve, le reste de l’histoire est parfaitement maîtrisée.  Cette profileuse, forte et fragile, vit à New-York, loin de la France où elle a passé son enfance. Son père, qui a tué sa mère, et qu’elle a dénoncé, vient de sortir de prison. Il a juré qu’il la tuerait et se vengerait. Étouffée par son passé, par les non-dits qui lui pourrissent la vie, angoissée par le présent où les menaces se précisent, blessée dans sa tête et dans son corps, on sent qu’Hanah perd pied et qu’elle fait tout pour raison garder. Mais que c’est difficile ! Lorsqu’elle perd la maîtrise des événements, elle nous entraîne dans ses appréhensions, ses pressentiments, ses peurs du présent et du futur….et pourtant, elle pourrait se croire tranquille de l’autre côté de l’Atlantique mais sachant son paternel sorti de prison, elle ne sera plus jamais sereine et il fera tout pour l’attirer dans ses rets ou la retrouver en allant la chercher là où elle se trouve….

La construction alterne le présent d’Hanah et le passé très récent de son père. De ce fait, les événements que nous découvrons sont décalés dans le temps, de peu mais suffisamment pour que l’on soit obligé de rester vigilants en ce qui concerne les dates de début de chapitres. Mais cela ne gêne en rien la lecture. Au contraire, cette façon de faire permet de voir les réactions d’Hanah sans forcément savoir qui a provoqué les incidents qui la déstabilisent …..

L’écriture et le style sont addictifs, vifs et aucune lourdeur ne vient peser sur le texte. Le profil psychologique des protagonistes est suffisamment détaillé pour que le lecteur ressente les émois, les tourments, et ce qui habite chacun. De plus, en quelques lignes, les scènes sont décrites et replacées dans le décor qu’il soit américain ou breton, l’un dans une grande métropole, l’autre fouetté par les vents et les embruns….

J’ai beaucoup apprécié la « lecture » du passé qui donne un éclairage sur ce qui se déroule « ici et maintenant », pas seulement pour Hanah mais également pour d’autres individus croisés dans cet opus. Cela nous rappelle, si besoin est, combien ce que nous avons vécu, consciemment ou pas, peut influencer ce que nous sommes…. J’ai également trouvé très intéressant la relation entre le médecin légiste et l’enquêteur de Saint Malo. Là aussi, on réalise ce que peut représenter le regard des autres….Lourd mais aussi difficile à supporter surtout lorsque la famille est en première ligne….On ne bafoue pas les traditions, on ne s’affranchit pas des codes familiaux du jour au lendemain et les choix pèsent….

L’ensemble du roman est très abouti, car plusieurs « entrées » sont possibles pour finir sur une seule issue :  Hanah.  Cette jeune femme atypique, opiniâtre, rationnelle parfois mais plus imprévue à d’autres moments, utilisant un pendule de Herkimer , écoutant de belles mélodies (toutes celles qui sont évoquées ont un « petit quelque chose » en plus), est attachante et c’est avec grand plaisir que je la retrouverai car j’ose espérer que Sonja Delzongle ne va pas l’abandonner en chemin….

"La trilogie de Copenhague -Tome 1 : Enfance" de Tove Ditlevsen (Barndom)

 

La trilogie de Copenhague -Tome 1 : Enfance (Barndom)
Auteur : Tove Ditlevsen
Traduit du danois par Christine Berlioz et Laila Flink Thullesen
Éditions : Globe (9 Novembre 2023)
ISBN : 978-2383612551
162 pages

Quatrième de couverture

Au fin fond de cette enfance, il y a Istedgade, la rue étroite de Vesterbro, le quartier ouvrier où s’entasse la famille de Tove dans un petit appartement ; il y a l’humeur changeante d’une mère violente, le rire d’un père aussi vieux et crasseux que le poêle, la crainte du chômage, celle de l’aide aux nécessiteux qui pend au-dessus des familles comme une menace moins honteuse que celle de devenir fille-mère avant dix-huit ans. Il y a l’école qu’il faudra arrêter à quatorze ans pour trouver un emploi. Heureusement, il y a Ruth, la meilleure amie, qui ne prend jamais rien au sérieux. Et il y a ce secret que Tove ne peut révéler à personne. Pas même à Ruth. Un jour pourtant, il faudra quitter cette rue étroite de l’enfance pour faire vivre ces mots mystérieux qui se glissent chaque jour sur son âme comme une membrane protectrice.

Mon avis

Moi aussi je veux être poète !

Tove Ditlevsen (1917-1976) a publié « Enfance » en 1967, pour la première fois. Elle y raconte son éducation dans les rues de Copenhague. Elle est née après la première guerre mondiale dans une famille qui ne roule pas sur l’or. C’est d’ailleurs à cause de son origine prolétarienne que son talent d’écrivain a tardé à être reconnu. Vivant dans un milieu pauvre, habitant avec son frère et ses parents un appartement moins cher car il n’avait pas vu sur la rue, elle s’est construite avec difficulté mais déjà petite, elle avait un cahier de poésies dans lequel elle couchait des vers.

Avec des mots simples, emplis de lyrisme, elle partage son quotidien, ses difficultés et par-dessus tout, ce besoin d’écrire. C’est ce qui la nourrit, lui permet de tenir et de rêver dans un monde où elle se sent à l’étroit, pas forcément à sa place. Elle doit obéir à des codes entre un père qui essaie de ne pas pointer au chômage, une mère qui ne sait pas être douce (elle ne semble heureuse que lorsqu’elle « oublie » l’existence de sa fille), et un frère moqueur pour ne pas montrer sa fragilité. Elle ressent une « fracture » entre ses parents et elle, dans cette famille où il est si difficile de dialoguer.

« L’enfance est longue et étroite comme un cercueil, on ne peut pas s’en échapper sans aide. »

Tove a peu d’ami-e-s. Heureusement il y a Ruth, mais même à elle, elle ne dit pas tout. Comment parler de cette envie permanente de lire et d’écrire ? Son papa semble la comprendre, mais pour sa maman, c’est une bizarrerie de plus de sa fille. Quelle idée que de vouloir bouquiner sans cesse ! Une éclaircie : quelle joie, à quatorze ans, d’avoir accès à la bibliothèque !

Dans « Enfance », elle nous confie des tranches de sa vie, avec un style assez simple mais une maturité et un recul étonnants. Normal me direz-vous puisqu’elle l’a écrit à l’âge adulte. Oui mais elle pose un regard acéré sur l’enfant qu’elle a été, celle qui ne faisait pas toujours ce qu’on attendait d’elle et on comprend que cela a été source d’anxiété.

Elle avait une douzaine d’années lorsqu’elle a écrit ses premières poésies, mais on s’est moqué d’elle, alors elle a caché ce qu’elle rédigeait. Je comprends que de ce fait, elle n’a jamais pu être sûre d’elle, sereine et elle s’est probablement laissé manger par ses angoisses…

« ….il ne me reste plus beaucoup de temps à avoir le droit d’être encore une enfant. »

C’est l’adolescence, le moment de quitter l’école, de trouver une place dans une maison. Tove a peur, ce n’est pas ça qu’elle veut vivre, mais comment faire ? Elle est désarmée face aux choix des adultes. Son frère, lui, aura plus de marge de manœuvre, brillant à l’école, les espoirs reposent sur lui. Pourtant Tove n’est pas nulle, loin de là mais les plans sont déjà établis. Point, pas de discussion.

Tove a un objectif et elle se donnera les moyens d’y arriver, on sent qu’elle sait où elle veut aller même si c’est difficile car elle est parfois détruite par les remarques et réflexions des uns et des autres.

« Même si personne n’apprécie mes poèmes, je suis obligée d’en écrire, parce que l’écriture apaise le chagrin de mon cœur en souffrance. »

C’est un livre empreint de sensibilité. On sent que l’auteur est à fleur de peau, à fleur de mots et c’est sans doute pour ça qu’elle écrit si bien (merci aux traductrices).


"Une façon d'aimer" de Dominique Barberis

 

Une façon d’aimer
Auteur : Dominique Barberis
Éditions : Gallimard (17 août 2023)
ISBN : 978-2073032362
210 pages

Quatrième de couverture

Quand Madeleine, beauté discrète et mélancolique des années cinquante, quitte sa Bretagne natale pour suivre son mari au Cameroun, elle se trouve plongée dans un monde étranger, violent et magnifique. À Douala, lors d'un bal à la Délégation, elle s'éprend d'Yves Prigent, mi-administrateur, mi-aventurier. Mais la décolonisation est en marche et annonce la fin de partie... Tendu entre la province d'après-guerre et une Afrique rêvée, Une façon d'aimer évoque la force de nos désirs secrets et la grâce de certaines rencontres. Par petites touches d'une infinie délicatesse, c'est toute l'épaisseur d'une vie de femme qui se dévoile.

Mon avis

Une photo jaunie, une remarque de sa grand-mère et la narratrice, soixante-dix ans après les faits, creuse pour comprendre quelle a pu être la bêtise que sa tante a évitée. On plonge alors au Cameroun, dans les années cinquante. Madeleine y a suivi Guy son mari. Un couple fusionnel puisqu’il se dit qu’il n’a pas supporté de rester seul à la mort de son épouse. Pourtant, là-bas, il semblerait qu’elle aurait pu se laisser tenter, se laisser séduire …

On découvre les colons, installés en Afrique, qui vivent entre eux, font leur soirée et emploient les locaux chez eux. Madeleine a un boy, il lui parle de ceux qu’il a servis avant qu’elle arrive, elle n’est pas à l’aise. Son mari travaille mais pour elle les journées sont plus longues alors elle se promène, retrouve celui qui lui a parlé lors d’une soirée. Il a la réputation d’être un beau parleur…. Alors, on suit le quotidien de toutes ces personnes. Celle qui raconte imagine, reconstitue le puzzle avec les éléments dont elle dispose. Tout n’est pas dit, certaines choses se comprennent entre les lignes, se glissent dans une atmosphère mélancolique.

C’est une histoire simple, celle d’un mariage et de ces gens qui vont vivre loin à cause du travail. On pourrait presque penser que ce récit va être « classique ». C’est sans compter sur la force de l’écriture de Dominique Barberis. C’est elle qui donne toute sa puissance au texte. Sensibilité, délicatesse, les phrases composent une dentelle sous nos yeux de lecteur charmé par la poésie qui se dégage des mots. C’est un phrasé brodé, à points comptés, qui dévoile par petites touches la vie d’une femme.

Une lecture coup de cœur !


"Jérôme K Jérôme Bloche - Tome 26 : Le couteau dans l'arbre" d'Alain Dodier

 

Le couteau dans l’arbre
Jérôme K. Jérôme Bloche Tome 26
Dessins et scénario : Alain Dodier
Couleur : Cerise
Éditions : Dupuis (27 Octobre 2017)
ISBN : 978-2800170435
66 pages

Quatrième de couverture

Collège Saint-Winoc, un soir de pluie. La petite Charlotte Demeester n'est pas rentrée chez elle. Son père, qui est aussi le patron de l'oncle de Jérôme Bloche, est à fleur de peau : alors que l'enfant avait été déposée par sa mère à l'école, elle ne s'est pas présentée aux cours. Fugue ? Enlèvement ? Les gendarmes restent bredouilles. Dépêché par son oncle la veille de ses vacances, Jérôme Bloche ne peut pourtant pas refuser cette nouvelle enquête.

Mon avis

 Je ne me lasse pas de retrouver ce détective et son solex !

Cette fois-ci, c’est un oncle qui l’appelle. Jérôme allait partir à Venise mais il décide d’aller voir tonton qui a besoin de lui. Babette, sa fiancée dit adieu aux gondoles mais elle n’est pas contente.

C’est le patron du tonton qui a demandé de l’aide. Sa fille, déposée devant l’école, a disparu sans se rendre en cours. Toutes les hypothèses sont envisagées : fugue, kidnapping, etc. Jérôme sent tout de suite que la situation est délicate, il arrive à avoir un contact avec le père mais pas avec la mère….  Une chose est sûre : ses questions dérangent et certaines personnes ne sont pas franches….

L’enquête est assez linéaire avec quelques souvenirs du passé qui ressurgissent pour Jérôme puisqu’il était dans le coin pendant son enfance. Cela permet de le connaitre un peu plus.

J’ai apprécié que certains personnages aient des profils psychologiques travaillés (ce n’est pas simple de l’expliquer en bande dessinée). Les expressions des visages sont significatives.

Une nouvelle aventure intéressante et des dessins qui me plaisent toujours autant !


"Le teorem des grands hommes" de Jean-Louis Nogaro

 

Le teorem des grands hommes
Auteur : Jean-Louis Nogaro
Éditions : Arcane 17 (21 septembre 2023)
ISBN : 978-2493049285
290 pages

Quatrième de couverture

Lorsque les gendarmes de St Malo découvrent un cadavre dans le Combi Wolkswagen d’un marginal, ils ne se doutent pas qu’ils viennent de déclencher un road-trip qui les mènera jusqu’à la région d’Aix-en-Provence, en passant par le Diois et le Massif du Pilat. Le tout au grand dam d’une officine cherchant à instrumentaliser des thèses complotistes afin de renouveler le pouvoir en place...

Mon avis

Ce roman m’a totalement surprise par sa qualité, sa construction, son contenu !

Le lecteur se retrouve face à plusieurs entrées (malgré le nombre, aucun risque de se perdre !).

Il y a ce nouveau parti politique qui recrute ses membres avec une méthode bien singulière afin d’avoir la main mise sur les heureux élus. C’est le mouvement qui monte, on ne sait pas trop pourquoi (tiens ça ne vous rappelle rien ?). Sans aucun doute parce qu’en ce qui concerne les autres, les électeurs en ont ras le bol de leurs promesses, de leurs changements de direction (Dutronc le chantait déjà en 1968, « je retourne ma veste… »), de leurs coups fourrés, de leurs pots de vin…. Alors un peu de nouveauté et l’espoir d’un monde meilleur avec des règles pour tenir en main tout ce qui va mal, ça en jette, non ?

D’un autre côté, on observe des gens dont on sent qu’ils magouillent quelque chose, ils ne sont pas nets, on se demande où ils vont aller en obéissant à des ordres mystérieux pour lesquels eux-mêmes ne semblent pas tout maîtriser.

Et puis, Yvon Ben Ouassil apparaît, avec son chien Ghriba. Ben Ouassil fait un petit road trip en Bretagne avec son van. À peine le temps de se retourner suite à une panne et hop un cadavre dans son Combi Wolkswagen. Il peut bien clamer son innocence, avec son look, les gendarmes (qui étaient en surveillance dans le coin) l’ont déjà catalogué et ils l’embarquent illico sans le chien qu’ils refilent au chenil. Ça ne devrait pas être trop long pour ce dernier, le temps qu’un pote d’Yvon, Ludovic Mermoz arrive des environs de Saint-Etienne et le récupère. Sauf qu’il ne va jamais arriver…. À leurs heures perdues, les deux copains écrivent dans un petit journal un peu gaucho, le style de papier qui dérange, alors peut-être que Ludo a choisi de se balader et qu’il s ‘en fiche du clébard ? va savoir avec des originaux de cet acabit …. Faut-il s’inquiéter pour lui ? Les gendarmes ne sont pas forcément d’accord sur les suites à donner…

On peut se demander, vu comme ça, de quelle manière le récit va s’articuler, où les différents points de vue vont nous entraîner…. Et bien, disons dans une histoire où plusieurs thèmes sont traités. Théorie du complot, superficialité de la politique qui manipule l’opinion, influence des médias, petit journal gaucho qui soulève des sujets qu’on cherche à cacher (si ça existe encore !), non-conformistes qui ont le droit d’être ainsi, de vivre leur vie sans être ennuyés etc. Tout cela est abordé avec intelligence.

J’ai eu un plaisir fou à suivre Yvon et Ludovic, ils sont plein de ressources, ils ont des idées, sont capables de profiter intelligemment d’une opportunité. Vraiment un régal ! Jean-Louis Nogaro a su mettre en place une atmosphère intéressante, bien retranscrite. Il passe d’un lieu à l’autre sans nous embrouiller et pourtant, les personnages sont nombreux. Tous ont des caractères bien définis. Les situations sont présentées assez visuellement, j’imaginais bien chaque scène.

L’écriture de l’auteur est fluide, plaisante, le vocabulaire choisi est adapté. Du rythme, de l’action, des rebondissements, un contexte qui donne à réfléchir et une pointe d’humour de temps en temps. Je me suis particulièrement attachée à Yvon. Il joue au loubard mais il en a sous le capot, il est loin d’être stupide. Un bad boy comme on les aime.

Le petit côté anarchiste, révolte m’a comblée. C’est particulièrement bien dosé et bien amené dans le texte. Habitant le coin où se déroule une partie des événements, je « voyais » nettement les différents lieux évoqués et c’était encore plus agréable.

Un livre comme je les aime où le fond et la forme sont en parfaite harmonie ! J’en redemande !


"Le dernier chapitre" de Jean-Marie Palach

 

Le dernier chapitre
Auteur : Jean-Marie Palach
Éditions : Daphnis et Chloé (25 octobre 2023)
ISBN : ‎ 979-1025300749
354 pages

Quatrième de couverture

"Je ne rentre pas ce soir ni demain, ne me pose pas de questions, je ne répondrai pas". Tel est le SMS laconique que reçoit un soir Mattéo, un jeune homme délicat et brillant, de Léa, la jeune femme avec qui il vivait depuis quelques années un amour parfait. Il s'efforce de la rechercher et de comprendre les raisons de sa disparition mystérieuse.

Mon avis

C’est au mariage de leur-e meilleur-e ami-e respectif-ve que Mattéo et Léa ont eu la chance de faire connaissance et de tomber amoureux. Lui, il est un peu désordonné, fougueux, parfois un brin torturé. Il voudrait écrire un roman mais il n’y arrive pas. L’inspiration le fuit sauf lorsqu’il va traîner dans les bars… Les rencontres qu’il fait alors nourrissent son imagination. Il dresse des portraits et espère un jour les intégrer à ce qui deviendra l’œuvre de sa vie. Elle, elle est plus posée, pas complètement raisonnable mais calme, organisée, même si elle oublie de ramasser les tas de poussière accumulés ça et là lorsqu’elle balaie. Ces deux-là sont heureux jusqu’au jour où…

Un SMS de Léa met fin à ce paisible quotidien. Elle prévient Mattéo, elle part, il ne doit pas chercher à la revoir, ni à poser des questions auxquelles elle ne répondra jamais… Il interroge famille et amis, personne ne peut l’aider…. Comment s’accrocher à la vie lorsque vous êtes dévasté ? Mattéo trouve refuge dans les bars et l’écriture. Ce sera pour l’auteur, l’occasion de nous faire découvrir ceux que cet homme côtoie au fil des soirées (belle galerie de portraits) et également de parler du processus d’écriture, des sources d’inspiration, du partage…

Émaillé de belles références littéraires (ah mon chouchou, Paul Éluard est présent ainsi qu’Aragon, Brel et bien d’autres…) ou musicales, ce récit tout en délicatesse est agréable à lire. Sous des dehors que certains qualifieront de légers, c’est une excellente et fine analyse de la société, des enjeux et relations qui s’y nouent, ainsi que de la communication dans un couple et des choix devant lesquels on est obligé d’agir dans un sens ou un autre.

Dans ce livre, on suit en parallèle Mattéo et Léa. On découvre leurs réactions face aux situations auxquelles ils sont confrontés, leurs décisions, leur évolution. On s’interroge, qu’aurais-je fait à leur place ou à la place de leurs amis ? C’est si difficile. On a beau peser le pour et le contre, parfois on se lance et on analyse seulement après pour se poser et réfléchir et se dire « est-ce que j’ai bien fait ? ».

Il y a beaucoup de sensibilité dans le texte, les émotions sont là, et elles nous touchent forcément. Jean-Marie Palach parle de sujets qui nous concernent tous d’une façon ou d’une autre et cela permet de rentrer au cœur de l’histoire.

Les personnages sont, dans l’ensemble, très attachants. Leur parcours, leur passé, nous éclairent sur la voie qu’ils suivent. Non pas que le passé conditionne le présent mais porteur d’expériences, chacun peut vivre sa vie en conscience.

J’ai beaucoup aimé cette lecture. L’auteur a su m’émouvoir, et rendre palpables ses protagonistes. J’aurai préféré un autre rôle pour Cassiopée ;- ) mais je lui pardonne car il a cité « Liberté » d’Éluard et ce poème est « ma » référence.


"du dimanche " de Patrick Da Silva

 

du dimanche
Auteur : Patrick Da Silva
Éditions : Le Sceau Du Tabellion (4 Septembre 2023)
ISBN : 9782958177133
114 pages

Quatrième de couverture

Jamais je n’écrirai tout ce que j’ai à écrire, grand Dieu non, et qu’il fasse que le livre cardinal pour moi soit toujours le prochain ; un jour qui vient déjà, demain peut-être, d’une manière ou d’une autre me brisera la plume, qu’importe ! jusqu’à ce jour je la tiendrai et je m’obstinerai à commettre ces textes impubliables dont on ne sait pas dire si ce sont des nouvelles, des récits, des romans, du théâtre – mais je sais bien, moi, que je n’écris jamais que des poèmes – ces textes inaccomplis qui ne peuvent se passer d’un lecteur à infester pour se gagner la chair et les songes qui leur manquent ; ces textes rétifs qui se gardent pour une autre lecture ; ces textes dont je ne sais pas moi-même, au fond, le fin mot de ce qu’ils racontent.

Mon avis

Tout est parti d’un poème …

« du dimanche » sans majuscule… parce que devant, si on le souhaite, on peut mettre « écrivain »… Patrick Da Silva réfute toute qualité d’auteur, il dit que l’on est écrivain lorsqu’on écrit. Le reste du temps, on est un homme ou une femme comme il y en a tant sur la terre. Pour lui, l’auteur est un maillon de la chaîne du livre.

L’écriture ? C’est un rendez-vous entre la feuille ou l’ordinateur et le rédacteur. Il aime écrire, ça se voit, ça se « lit » dans ses propos. Il continuerait de rédiger même s’il n’était pas édité, car c’est ce qui le nourrit, comme lire.

Dans ce court livre, il parle du processus d’écriture, de ce besoin de mettre des mots sur une feuille, peu importe ce qu’ils deviendront, s’ils trouveront un écho ou pas. Qu’il poétise, qu’il écrive, il le fait depuis des années parce que c’est comme ça qu’il est heureux.

« Mon temps, celui sur lequel je pouvais sans contexte jeter le filet du possessif -première personne du singulier- était strictement celui de l’écriture et je devais le dérober au temps hémorragique de la vie. » 

On découvre également ce qui le motive pour lire. Là, ce n’est pas un rendez-vous, je dirai qu’il dépeint cela plus comme une rencontre. Le livre l’attend là où il n’est pas.
Un livre, on le cherche, partout, ailleurs, il faut se remuer pour le dénicher…

« Ce qui me donne envie de lire, c’est ce feu-là que l’on respire dans les livres, sa brûlure quand il coule dans les poumons ; et on part à sa quête dans la vie pour de vrai. »

Il décortique l’acte d’écrire. Est-ce un métier ? Un art ? Pourquoi écrire ? Pour laisser une trace ? Exprimer ses idées, ses sentiments, ses pulsions etc … ? Est-ce qu’on peut tout dire ? Quid de la censure ? À quoi répond-on ?  Y-a-t-il des « attendus » ? Des normes auxquelles il faut se contraindre ? Autant prendre le maquis, n’est-ce pas Monsieur Da Silva ?

Cette lecture a été une bouffée d’air pur, une parenthèse enchantée, lyrique. Le vocabulaire est de qualité, le phrasé empli de sensibilité. Quelques paragraphes, sans ponctuation dont les phrases pourraient être scandées donnent du rythme au texte. J’ai apprécié la profondeur des ressentis de Patrick Da Silva, sa façon de les partager avec nous. Et puis, pour mon plus grand bonheur…

Tout se termine en poésie dans les dernières pages ….


"Une bonne raison de mourir" d'Arthur Caché

 

Une bonne raison de mourir
Auteur : Arthur Caché
Éditions : Taurnada (5 Octobre 2023)
ISBN : 978-2372581233
280 pages

Quatrième de couverture

Quand un ancien géologue disparaît mystérieusement près de Paris, Beryl, jeune chef de groupe à la Crim', se saisit aussitôt de l'affaire. Assistée de Rudy, son adjoint au passé tourmenté, puis d'Ara, un ancien flic reconverti dans le trafic de contrefaçons, elle remonte la piste d'une compagnie pétrolière en Turquie. Mais tandis que les découvertes troublantes se multiplient et que les cadavres s'accumulent, des profondeurs de la mer Noire surgit un terrible secret… Beryl comprend alors que le plus effroyable des comptes à rebours a déjà commencé…

Mon avis

Béryl est une jeune femme, chef de groupe à la Criminelle. Efficace, dégourdie, mais hantée par le décès de son père qui lui manque beaucoup (il a été assassiné pour son militantisme écologique). Elle travaille souvent avec Rudy. C’est un adjoint de qualité mais il est tourmenté par un drame personnel.

Un jour quelqu’un appelle et demande à parler à Beryl en précisant qu’il a été ami avec son paternel. Quand elle récupère le message, elle cherche à le joindre et doit, devant l’absence de réponse, se rendre sur place. Maison mise à sac, l’homme a disparu. C’était un géologue et Béryl s’interroge sur les liens réels qui unissaient cet homme et son papa. Et surtout, qu’avait-il à lui communiquer ?

Évidemment, elle se saisit de l’enquête concernant cette disparition bizarre. Mais est-ce une bonne idée de mener des investigations sur une personne qui a connu son père ? Ne risque-t-elle pas de découvrir des choses qui vont la déranger, voire la bouleverser ? Béryl est tenace et elle ne lâchera rien, elle veut comprendre.

Son enquête va l’entraîner très loin, dans d’autres villes et en Turquie où elle rencontrera un ancien flic Ara, qui l’aidera. Béryl, Rudy et Ara collaborent dans des conditions difficiles. Ils ont tous les trois un passé lourd qui les « travaille » et les entrave parfois mais ils sont également très volontaires. Béryl va découvrir la part d’ombre de son père et ce n’est pas facile. Il faut accepter l’idée de ne pas tout savoir de lui.

Plusieurs intrigues se recoupent. Elles sont liées à l’écologie, à l’exploitation du pétrole, aux sacrifices humains lorsque les chefs ne pensent qu’au rendement, aux choix politiques et économiques où tous les coups sont permis pour récupérer de l’argent, toujours plus….

L’angoisse et le rythme vont crescendo au fil des pages. L’histoire vous noue les tripes car il y a une part de folie des hommes dans certains événements et on se demande jusqu’où ils iront pour toujours plus de profit.

J’ai beaucoup aimé ce roman. Il est très documenté et je me demande comment l’auteur a fait pour construire son récit et chercher toutes ses informations qu’il a intégré de façon très intelligente à son texte. Il y a énormément de travail pour que tout s’emboîte et soit compréhensible à tous.

Personnellement, j’ai trouvé la dimension écologique très intéressante et la mauvaise attitude de certains chefs très (malheureusement) réaliste. Ce n’est pas réjouissant ….

Arthur Caché a su monter en puissance. Plus on avance dans la lecture, plus c’est prenant et inquiétant, plus on a envie de savoir…. Il maintient notre intérêt sans aucun problème ! Les personnages sont bien campés, personne n’est vraiment clair et plusieurs taisent des éléments importants. Les interactions entre les individus ne sont pas fluides car le dialogue n’est pas de mise.

L’écriture est efficace, avec ce qu’il faut de rebondissements pour qu’on ne s’ennuie pas une seconde.

Une lecture captivante dans un contexte original et parfaitement réfléchi.