"Les murs qui séparent les hommes ne montent pas jusqu’au ciel" de Reza Moghaddassi

 

Les murs qui séparent les hommes ne montent pas jusqu’au ciel
Auteur : Reza Moghaddassi
Éditions : Marabout (13 Janvier 2021)
ISBN : 9782501134002
194 pages

Quatrième de couverture

Nous bâtissons des murs autour de nous pour nous protéger. Ils forment une frontière entre l’intérieur et l’extérieur, entre soi et l’autre. Mais lorsqu’ils sont trop épais, ces murs gênent les échanges et nous éloignent les uns des autres. Qu’ils soient visibles comme des parois de pierre, ou invisibles comme des barrières mentales, ces murs nous emprisonnent dans nos convictions et nos croyances. Ils bouchent nos horizons et nous incitent au repli sur soi. Et si nous construisions des ponts au-dessus des murs, pour que notre ciel se dégage ? Et si nous prenions un peu de hauteur pour nous libérer des entraves que nous avons tendance à créer ?

Mon avis

Voilà un livre qui nous invite à nous poser, à méditer, à « philosopher », à prendre le temps de s’ouvrir à l’autre, en toute confiance, non pas pour juger et constater les différences, mais pour échanger et s’enrichir.
Pas si facile que ça !

C’est parfois un défi de se pencher sur l’autre, de le respecter dans ce qu’il est, dans ce qu’il pense, tant sa cohérence n’est pas la nôtre, et pourtant …. Il n’y a pas de bon ou de mauvais côté, chacun est lui-même avec sa propre histoire. Faire preuve d’humilité, regarder les autres sans le faire « de haut », c’est déjà leur donner la place qu’ils doivent avoir.

Le poète Houshang Ebtehadj dit que, dans les jardins séparés par des murs et des portails, « les arbres communiquent par les airs, et se tiennent main dans la main par les racines. »

Parfois, c’est par crainte ou par colère qu’on érige des murs qui nous séparent des autres, qui les rejettent. Il faut cerner les barrières mentales qui nous poussent à construire ces obstacles. Oui, il arrive que nous ayons besoin d’uniformité pour nous sentir reconnus, en phase mais nous n’avons pas tous les mêmes goûts, les mêmes envies. Heureusement ! Que serait un monde « lisse » où tout serait plat et identique ?

Dans son livre, l’auteur ne se pose pas en donneur de leçons, il offre des pistes de réflexion, pour mieux se comprendre dans un premier temps, et être en paix avec soi-même. Lorsqu’on se connaît bien, que l’on s’accepte, on peut s’ouvrir aux autres, leur donner une place, une écoute, les comprendre. Il nous rappelle qu’il ne faut pas réduire les personnes à leurs idées, ce sont des êtres humains qui méritent, la plupart du temps, que l’on s’attarde auprès d’eux pour discuter et pour entendre également ce qu’ils ne disent pas.

Un saint russe du XIX ème siècle à qui on demandait : « Maître, qui sont ceux qui sont le plus dans la vérité ? », répondit : « Ceux qui aiment le plus leurs ennemis. » À méditer, non ?

C’est une lecture que j’ai appréciée, j’ai pris le temps de la « digérer », la posant, la reprenant, écrivant des notes pour garder une trace. Ce recueil va rester à portée de main pour en relire des extraits et savourer les nombreuses références que l’on peut y trouver.


"Vie et destin" de Vassili Grossman (Жизнь и судьба) (Zhizn i Sudba)

 

Vie et destin (Жизнь и судьба (Zhizn i Sudba)
Auteur : Vassili Grossman
Traduit du russe par Alexis Berelowitch et Anne Coldefy-Faucard
Éditions : Livre de Poche (1 er Juin 2005)
ISBN : 978-2253110941
1175 pages

Quatrième de couverture

Dans ce roman-fresque, composé dans les années 1950, à la façon de Guerre et paix, Vassili Grossman (1905-1964) fait revivre l'URSS en guerre à travers le destin d'une famille, dont les membres nous amènent tour à tour dans Stalingrad assiégée, dans les laboratoires de recherche scientifique, dans la vie ordinaire du peuple russe, et jusqu'à Treblinka sur les pas de l'Armée rouge. Au-delà de ces destins souvent tragiques, il s'interroge sur la terrifiante convergence des systèmes nazi et communiste alors même qu'ils s'affrontent sans merci. Radicalement iconoclaste en son temps - le manuscrit fut confisqué par le KGB, tandis qu'une copie parvenait clandestinement en Occident -, ce livre pose sur l'histoire du XXe siècle une question que philosophes et historiens n'ont cessé d'explorer depuis lors. Il le fait sous la forme d'une grande œuvre littéraire, imprégnée de vie et d'humanité, qui transcende le documentaire et la polémique pour atteindre à une vision puissante, métaphysique, de la lutte éternelle du bien contre le mal.

Mon avis  

1175 pages et deux cartes géographiques : le front russe de décembre 1941 à Novembre 1942 et celle de la bataille de Stalingrad…

Ce livre a été saisi par le KGB et a disparu pendant près de vingt ans.

L’auteur, juif russe communiste a été longtemps persuadé du bien fondé de la politique communiste puis il a assisté au déchaînement de l’antisémitisme, à la création des camps de concentration et a été ainsi amené à revoir ses idées. Il a donc observé les deux visions, les deux côtés de l’horreur, de l’injustice, de ce que chacun croit être mieux.

À travers une fresque où se croisent différents personnages pendant une cinquantaine d’années, Vassili Grossman nous raconte sa Russie… On observe la bataille de Stalingrad décrite avec un sens accru de la réalité .On y voit des familles séparées par le Goulag, la ligne de front, certains dans des camps, d’autres au travail dans des conditions précaires. On y découvre le quotidien d’une époque de différents côtés de la barrière. On y voit les gens sous la pression qui finissent par craquer, d’autres qui résistent. On voit monter l’antisémitisme. Il n’y a pas de héros, seulement des gens ordinaires avec leurs tourments, leurs questions existentielles, leurs idées…

Une des principales difficultés est de repérer les différents lieux et les différents personnages et se remettre dans le contexte pour chaque situation. Les personnages changent de nom et il ne faut pas perdre le fil. Un exemple Victor Pavlovitch s’appelle aussi : Vitia et Strum !

Lorsqu’on connaît l’histoire personnelle de Vassili Grossman, on comprend comment il a pu faire « cheminer » ceux dont il parle. Il transpose sa réflexion personnelle sur ses personnages. Il ne dit jamais qu’il s’est trompé, que nazisme ou communisme ne sont pas bons. On sent parfois la désillusion mais tout cela reste formidablement humain. Ces russes qui font vivre ce livre, le font à travers l’amour de leur pays, où sont enracinées les vertus des hommes : courage, travail, patrie,…. restant éloignés des idéaux politiques qui déçoivent parfois.

Un « pavé » bien sûr, pas toujours facile à lire mais d’une écriture très vraie, très réelle. La forme, le foisonnement de lieux et de personnages peuvent rebuter mais il faut s’accrocher et se donner des atouts pour aimer cette lecture. J’avais, dès les premières pages écrit un arbre généalogique que j’ai complété petit à petit et qui m’a beaucoup aidé (entre autres pour ceux qui ont plusieurs noms).

Un livre à découvrir mais quand on a le temps et le souhait….


"L'histoire de Malala" de Viviana Mazza

 

L'histoire de Malala
Auteur : Viviana Mazza
Traduit de l'italien par Diane Ménard
Illustré par Paolo d'Altan
Éditions : Gallimard (21 octobre 2014)
Série: romans junior (à partir de 11 ans)
ISBN : 9782070659128
210 pages

Quatrième de couverture 

Malala n'a que onze ans lorsqu'elle décide d'élever la voix. Elle en a quinze quand, un jour comme tant d'autres, alors qu'elle rentre de l'école avec ses amies, les talibans tentent de la tuer. Pourquoi? Dans son pays, le Pakistan, elle s'est opposée à ceux qui voulaient supprimer les droits des femmes. Avec l'aide de sa famille, Malala a décidé de crier "non". Presque une petite fille encore, elle a lutté sans armes ni violence, mais avec le courage des mots et de l'intelligence, avec la force de la vérité et de l'innocence.

Mon avis

Avec des chapitres courts, des mots simples et un style fluide, l'auteur met à la portée de chacun l’histoire de Malala, cette jeune pakistanaise qui se bat pour le droit à l'éducation des filles.

La construction en chapitres successifs permet de présenter sous forme de « flash » des événements, des remarques, des réflexions. Ce procédé évite au jeune lecteur (puisqu'il s'agit à la base d'un livre jeunesse) de se lasser de descriptions ou de longs monologues philosophiques....

Viviana Mazza a la délicatesse et l'intelligence de ne pas « en rajouter » lorsqu'il s'agit d'événements graves, pour autant, elle ne les nie pas, elle les dénonce.

Je connaissais Malala et sa vie, déjà bien remplie, donc je n'ai rien appris. Je n'en ai pas moins apprécié cette lecture qui peut, pour un adulte, être une première approche pour faire connaissance avec cette jeune femme.


"Road Tripes" de Sébastien Gendron

 

Road Tripes
Auteur : Sébastien Gendron
Éditions : Albin Michel (27 Mars 2013)
ISBN : 978 2 226 24825 1
288 pages

Quatrième de couverture

Quand deux paumés décident de jouer aux cow-boys sur des routes où les pompes à essence ont remplacé les Indiens, cela donne une course folle et déjantée entre Bordeaux et Montélimar, soient 4000 kilomètres en dents de scie à manger des sardines à l’huile et des gâteaux secs, à foutre le feu aux forêts et à vider un fusil pour secouer le décor…

Mon avis

Et le perdant est….

Un Road Movie déjanté dû à une rencontre improbable ou comment se mettre dans la panade sans en avoir l’intention (heureusement !!!)…

Vincent Coste a un travail, une femme (enceinte), un logement, une famille qui l’aime. On pourrait utiliser le raccourci tant galvaudé « Tout pour être heureux »… Mais tout un chacun sait bien que « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué » ? Ce serait sans compter sur l’imagination débridée et sans fin d’un Sébastien Gendron déchaîné….

On aimera ou on n’aimera pas, il me semble que ce roman supportera difficilement la demi-mesure quoique…

Notre homme va donc se retrouver à chercher un travail, histoire de maintenir son statut social et, d’accessoirement, prouver à son épouse qu’il se prend en mains.

Il est donc embauché par une société de distribution de prospectus, pas de quoi pavoiser lorsqu’on a voulu être pianiste professionnel, mais au moins, il n’est pas à la rue, ni au chômage et il devrait recevoir un semblant de salaire pour peu qu’il respecte les consignes données par son employeur, à savoir, bien mettre les publicités dans les boîtes aux lettres de la zone qui lui a été allouée ….

Tout ceci en attendant de trouver mieux, cela s’entend….

Ceci c’est la version lisse et expurgée d’un livre qui n’en aurait pas été un sans la coïncidence qui met notre pauvre héros en face de Carell Lanusse, embauché par le même patron….

Nous allons nous retrouver avec deux losers sur les bras car le duo va vite être face à des événements qu’ils gèreront en accumulant les erreurs, Carell emmenant Vincent toujours plus loin, toujours plus bas….

Il est nécessaire, si l’on veut prendre du plaisir, de lire cet opus au second degré sinon on pensera très vite que l’on a à faire à deux dépravés et que c’est une « honte d’oser écrire des choses pareilles » faisant, en quelque sorte, une banalisation de la violence.

Car des morts, des blessés et du sang, il y en a à foison dans les pages qui racontent l’épopée de ces deux  êtres en perdition. Vincent, sans trop savoir pourquoi, est monté dans la voiture de Carell et tout est parti de là. De kilomètres en kilomètres (l’intitulé des chapitres nous dit la plupart du temps le kilométrage parcouru), la spirale infernale deviendra de plus en plus profonde, de plus en plus rapide car lorsqu’on commence à être en marge de la société il est difficile de s’arrêter….

Les personnages enchaineront les erreurs, les bêtises (et pas des petites) jusqu’à la conclusion … On pourra penser que l’auteur aurait pu écourter ou rallonger son texte à souhait car il suffisait de mettre une entrevue de plus ou de moins …. Sur ce point là le dosage (du nombre de pages) est le bon.

N’est pas Donald Westlake qui veut… Le trait m’a semblé parfois un peu lourd… et c’est sans doute dommage. Je n’ai pas ri autant que j’aurais pu le faire. Je reconnais malgré tout que l’écriture est acérée, mettant en dérision des actes qui sont graves dans les faits, mais qui, présentés comme ils le sont, portent à rire. Je pense aussi qu’il est plus difficile de faire rire que le contraire et l’écrivain a un talent indéniable (où est-il allé chercher tout ça ?,) les dialogues sont savoureux et amusants. Il glisse régulièrement des références musicales ou cinématographiques et cela étoffe le propos …

De plus, si on va plus loin que la musculation des zygomatiques, ce livre nous montre combien est fragile cette barrière qui sépare la normalité d’une vie « dérangée » (dans tous les sens du terme). Il suffit de peu pour passer de l’autre côté et une fois qu’on y est, on prend goût à certaine forme de « liberté » se moquant de tout ce qui semblait nous entraver dans le monde des « bien pensants….

Une playlist accompagne la lecture, on la découvre à la fin (sauf si on a commencé le livre par les dernières pages…). Il aurait été intéressant de la mettre en valeur de façon différente..

Une lecture originale qui détend, parfaite pour les transports cet été (mais ne suivez pas les idées de l'auteur ;-)


"Alan Lambin et le fantôme au crayon" de Jean-Marc Dhainaut

 

Alan Lambin et le fantôme au crayon
Auteur : Jean-Marc Dhainaut
Éditions : Taurnada (29 Juin 2017)
ISBN : 978-2372580281
24 pages

Quatrième de couverture

Six ans avant "La Maison bleu horizon", Alan Lambin était déjà confronté à l'impensable. Une enquête inédite explorant le monde du paranormal avec sensibilité et émotion…

Mon avis

Après avoir lu "La maison bleu horizon" du même auteur, je me suis plongée dans cette nouvelle parlant d'une situation évoquée dans le roman que je viens de citer.

L'écriture de Jean-Marc Dhainaut a quelque chose de magnétique. Elle vous attire, vous captive, vous tient attentif. Son texte, même court, dégage ce qu'on aime à retrouver pour se sentir partie prenante d'une lecture: une atmosphère, des personnages qui ont de la consistance, une intrigue intéressante...

J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ces quelques pages et j'ai hâte de retrouver un nouveau livre de l'auteur.

Et en plus la couverture est superbe !


"Fucking Melody" de Noël Sisinni

 

Fucking Melody
Auteur : Noël Sisinni
Éditions : Jigal (20 Mai 2021)
ISBN : 978-2377221332
232 pages

Quatrième de couverture

Elle a quinze ans, est en soins dans une clinique spécialisée et se fait appeler Fiorella. Pas sûr que ce soit son vrai prénom… Elle ment beaucoup, s’invente des passés, traficote le présent, et ne se projette pas dans l’avenir vu qu’elle vient d’apprendre que le sien est limité. Une saloperie quelque part dans la moelle épinière selon les médecins. Alors, il lui faut vivre, vivre passionnément et vite… Et comme toutes les filles de son âge, elle veut connaître l’amour. Alors elle jette son dévolu sur Boris, le compagnon de Soline, son amie qui officie comme clown dans la clinique.

Mon avis

Il y a des livres comme celui-ci qui vous mette une claque, vous envoie par terre, vous bouscule, vous bouleverse, vous laisse les yeux ouverts après avoir fermé la dernière page.

Pour plusieurs raisons : pour les personnages, pour l’histoire, pour l’écriture. Vous n’en sortez pas indemne, ça vous colle à la peau, ça reste ancré en vous de façon durable.

Fiorella, ce n’est pas son vrai nom mais c’est celui qu’elle s’est choisie, sans doute pour oublier sa vraie vie, s’en inventer une autre, faire comme si, mentir, rêver…. et peut-être espérer, non ? Elle est en soins en clinique et pour elle c’est trop, surtout qu’avant ça, son parcours chaotique a été fait d’abandons successifs. Alors, elle crache sa haine de cette situation en étant dans la provocation, parce que, ainsi, on la remarque, elle existe. Elle rejette l’autre avant de s’attacher, de peur d’avoir mal si on la laisse. Elle s’est forgée une carapace, elle agresse pour oublier sa souffrance en provoquant celle des autres, qu’elle soit physique ou morale. Il n’y a que Soline qui a établi un lien d’échange respectueux avec elle. Soline est clown, elle vient régulièrement rencontrer les jeunes hospitalisés, apporter de la joie et de la bonne humeur. Fio lui parle, l’écoute, lui raconte des craques mais elles en rient toutes les deux. Peut-être que Soline lui donne trop, trop de temps, trop de place dans sa vie, trop d’affection ? Mais est-ce qu’on peut mesurer ? Non, alors, c’est comme ça et basta, elles vivent … Quoique, justement, Fio a entendu que son avenir allait se restreindre, qu’une saleté la bouffait de l’intérieur ….

Pleurer, lutter, se taire, hurler ? Elle est révoltée mais elle ne lâchera rien. Ce qu’elle veut c’est aimer, aimer jusqu’à l’impossible. Connaître l’amour, celui qui grise, qui renverse tout sur son passage, celui pour lequel on peut tout donner, tout imaginer …. Et voilà que Boris, le compagnon de Soline, un doux rêveur, créateur de bandes dessinées, qui vit dans sa bulle, dans son monde, avec ceux qu’ils dessinent, ceux qu’ils cherchent car il les imagine mais n’arrive pas à les faire vivre, voilà que Boris, un homme, pas un jeune, se trouve sur son chemin ….

Le rouleau compresseur se met alors en marche, tout s’accélère. Flo n’a plus rien à perdre, sa vie sera courte, elle le sait. Elle va entraîner Boris dans un espèce de délire, dans une course contre la mort, dans un chemin empli de désespérance où des gens croiseront leur route pour le meilleur ou le pire.

Une écriture nerveuse et dynamique, de nombreux dialogues, du rythme, c’est sec, c’est brut, on serre les poings, on lit d’une traite, on se demande où on va, si la petite fleur espérance va arriver ou s’il faudra se faire à l’idée que tout cela reste sombre. On s’attache aux pas de Fio, on l’accompagne dans sa volonté de vivre, on ne cautionne pas ses choix, on s’en fiche complètement que ce soit plausible ou pas, ce qu’on souhaiterait presque, c’est qu’il y ait un miracle, que tout s’arrête et qu’on respire à nouveau parce qu’il faut bien le dire, on reste en apnée, le souffle coupé tant Noël Sisinni nous a pris dans ses rets….


"Chère Mamie au pays du confinement" de Virginie Grimaldi

 

Chère Mamie au pays du confinement
Auteur : Virginie Grimaldi
Éditions : Le Livre de Poche ; 1ère édition (28 octobre 2020)
ISBN : 978-2253078685
230 pages

Quatrième de couverture

Chère mamie,

J’espère que tu vas bien et que papy aussi.

Pendant 55 jours, pour se protéger du Covid-19, nous avons dû rester confinés chez nous. J’avais besoin de conjurer l’angoisse, alors chaque jour je t’ai écrit. La vie se chargeait de me fournir l’inspiration, et je ne manquais pas de grossir le trait, pour te distraire, pour me distraire. Aujourd’hui, je vais partager ces lettres avec tout le monde.  C’est très émouvant de penser que l’on a tous vécu la même chose au même moment.

Gros bisous à toi et à papy,

Ginie

Mon avis

Rythmé par les jours qui défilent plus ou moins lentement (confinement oblige), illustré avec humour, on retrouve ici l’écriture facétieuse de l’auteur. Librement inspirés de sa vie et de ce que devaient lui transmettre ses amis ou relations, les textes sont amusants et n’ont d’autre but que de faire sourire. Je comprends qu’elle ait été très suivie sur les réseaux sociaux tant les gens avaient besoin de se changer les idées pendant cette sinistrose…puisqu’elle publiait ses écrits chaque jour.

 C’est vraiment très ancré dans ce qu’a été notre quotidien pendant cette période où il fallait rester chez soi. Qui ne rêvait pas de retrouver son esthéticienne ou son coiffeur ? Qui n’a pas pensé : je ne supporte plus mes enfants et leurs devoirs, comment font les enseignants ? Ressenti : jour 30 alors qu’on en était qu’au cinquième ?

Un petit livre sans prétention, amusant et surtout dont les bénéfices sont reversés à la Fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France, une façon sympathique de partager, de dire merci et de soutenir le personnel soignant dont on a bien besoin en ces temps difficiles.


"Noir d'Espagne" de Philippe Huet

 

Noir d’Espagne
Auteur : Philippe Huet
Éditions : Payot & Rivages (2 Juin 2021)
ISBN : 978-2743653040
353 pages

Quatrième de couverture

Le Havre constitue la principale escale des navires qui ravitaillent en armes la République espagnole. Parmi les dockers locaux, Marcel Bailleul, qui ne dort plus depuis l’assassinat de son père Victor. Après avoir finalement découvert que le meurtrier a passé la frontière et rejoint les rangs de l’armée franquiste, Marcel cherche à s’enrôler dans les brigades internationales. Pour retrouver cet homme et venger son père. Par ailleurs, le journaliste Louis-Albert Fournier, envoyé spécial du Populaire en Espagne, se voit le destin d’un Hemingway. Mais pour l’un comme pour l’autre, quand les bombes pleuvent et que le sang coule, assouvir une vengeance ou des rêves de gloire semble bien dérisoire…

Mon avis

Philippe Huet a été journaliste à Paris Normandie, il connaît donc très bien la ville du Havre. C’est d’ailleurs là que commence son récit. Nous sommes en 1936 et le Front Populaire commence à s’essouffler, Léon Blum souhaite une pause. Plus bas, de l’autre côté de la frontière, en Espagne, le pays sombre dans le chaos et la guerre civile après le putsch de Franco.

Marcel Bailleul est docker, son père a été assassiné et il traîne en lui une soif de vengeance qui l’empoisonne. Ça le ronge tellement que son couple en pâtit. Il n’a plus d’énergie jusqu’au jour où il découvre en plus du nom du tueur, que celui-ci vient de s’engager auprès des franquistes. Et si lui aussi partait pour l’Espagne, se battre et traquer cet homme afin de le faire disparaître ? Il s’en va et se lie avec les Brigades internationales, bien décidé à faire le nécessaire pour que son esprit soit en paix. Il est rapidement pris en charge et découvre des hommes à l’affût. On lui demande d’espionner les uns ou les autres, de rendre des comptes à ceux qui se placent ici ou là en « patron ». Il n’est pas forcément à l’aise pour évoluer dans ce milieu.

En parallèle, on découvre une famille bourgeoise, les Hottenberg. Un père, le patriarche, vieillissant, continue de mener sa famille où il l’a décidé, l’air de rien. Sa dernière idée ? Racheter le journal le « Havre-Éclair ». Ce n’est pas vraiment du goût de ses deux filles mais bon, c’est ainsi. Les deux sœurs ont des vies personnelles bien difficiles, l’une est veuve, l’autre a un mari gravement handicapé. Mais elles ne se laissent pas abattre ! D’ailleurs, Hortense a pour amant un journaliste, Louis-Albert Fournier. Voilà que le Populaire demande à ce dernier de partir en Espagne pour faire un reportage. Une occasion à ne pas laisser passer, il est fier d’avoir été choisi et il compte bien en revenir grandi. Il s’imagine déjà en grand reporter de guerre. Sauf que sur le terrain, c’est rarement comme on l’a pensé….

Bien documenté, enraciné dans l’Histoire, avec des personnages crédibles, ce livre se découvre avec plaisir. L’auteur analyse les différences entre les couches sociales : la classe populaire, la bourgeoisie et tous les autres n’ont pas les mêmes combats, les mêmes souhaits, les mêmes envies. Il montre comment en terre hispanique, tout est déséquilibré, chaque homme doit se méfier de son voisin. Il décrit avec un style précis les lieux, les ambiances, les protagonistes, les faits. Son écriture est acérée,
« Dans un siècle, les riches voudront toujours être plus riches, et les pauvres n’auront qu’à fermer leur gueule quand on leur dira que c’est eux qui gaspillent le pognon ! », rugueuse parfois.

Plusieurs points de vue sont offerts aux lecteurs, c’est intéressant car les ressentis des individus, pour un même fait, ne sont pas identiques. Chacun sa sensibilité, son interprétation et suivant ce qu’on souhaite, on peut être emballé ou désabusé. Chez les « combattants », l’atmosphère est particulière : solidarité mais aussi suspicion. Le danger est permanent, il faut être sur ses gardes. Dans la famille Hottenberg, la méfiance est présente également de temps à autre. De beaux portraits d’hommes et de femmes pour un roman qui mêle aspect social, politique et approche policière dans une période historique présentée avec brio (sans doute une belle recherche documentaire).

NB : j’aime beaucoup la couverture !

 


"84 Charing Cross Road" de Helene Hanff (84 Charing Cross Road)

 

84 Charing Cross Road (84 Charing Cross Road)
Auteur : Helene Hanff
Traduit de l’anglais par Marie-Anne de Kisch
Éditions : Autrement (10 octobre 2013) (1 ère édition en 1970 aux Etats-Unis)
ISBN : 978-2746700581
180 pages

Quatrième de couverture

Par un beau jour d'octobre 1949, Helene Hanff s'adresse depuis New York à la librairie Marks & Co., sise 84, Charing Cross Road à Londres. Passionnée, maniaque, un peu fauchée, extravagante, Miss Hanff réclame à Frank Doel les livres introuvables qui assouviront son insatiable soif de découvertes.

Mon avis

Je viens de relire ce recueil et le plaisir est toujours au rendez-vous.

Helene Hanff vivait à New-York. Elle était auteur de livres pour la jeunesse, elle essayait aussi d’écrire des pièces de théâtre et des synopsis de films. Passionnée de littérature anglaise, elle prend contact avec la librairie Marks & Co. de Londres, spécialisée dans la recherche de livres anciens et épuisés. Elle espère que les propriétaires de cette boutique pourront l’aider car elle ne trouve dans sa ville certains ouvrages. Un des employés lui répond et sur une vingtaine d’années (de 1949 à 1968) des courriers (et des colis) vont être échangés.

Cette correspondance devient un livre très connu, adapté au cinéma et en pièce de théâtre, remis au goût du jour par Katherine Pancol dans « Un homme à distance » et offre à Helene Hanff un succès bien tardif.

Cet échange épistolaire est intéressant sur plusieurs points. D’abord, pour les nombreuses références littéraires citées dans les courriers. Si on les transforme en liste, on a de quoi lire pour des années ! Ensuite pour le côté « historique », la différence de vie entre les deux pays, l’approche des événements et leur interprétation par les différentes personnes qui s’expriment. Puis pour la personnalité des deux principaux expéditeurs ou destinataires. Helen, assez exubérante, à l’aise, ne s’embarrassant pas de « chichis », très vite prête à la familiarité. Et de l’autre côté, les anglais, plutôt « collet monté » et plus long à se laisser aller à un ton plus léger.

Charmée une nouvelle fois par cette correspondance, je crois que je ne m’en lasserai pas si je la relis encore dans quelque temps.


"Cargèse n'oublie jamais" d'Isabelle Chaumard

 

Cargèse n’oublie jamais
Auteur : Isabelle Chaumard
Éditions : Le mot et le reste (17 Juin 2021)
ISBN :978 2361397852
230 pages

Quatrième de couverture

À quarante ans, Clio perd son premier procès et par la même occasion son poste d’avocate dans le cabinet de son ex-beau-père. Comme les mauvaises nouvelles n’arrivent jamais seules, sa mère disparaît de l’hospice où elle était internée. Pour la retrouver, elle n’a qu’une piste à suivre, celle d’un notaire de Corse-du-Sud, installé à Cargèse, qui aurait peut-être bien quelques secrets de famille, longtemps enfouis sous les mensonges, à raconter.

Mon avis

Une bien belle réussite que ce roman qui mêle avec doigté et intelligence une quête identitaire à l’histoire de la Corse et de la Grèce. Et oui, en 1676, une colonie grecque en provenance du sud du Péloponnèse s'est installée sur le littoral occidental de Corse, d'abord à Paomia, puis à Cargèse, cœur de ce récit. C’est en se basant sur des faits réels que l’auteur a tissé tout autour, son intrigue. Et c’est vraiment très bien fait. De plus, dans les dernières pages, elle éclaire le lecteur en donnant des précisions permettant de séparer le vrai du faux.

Isabelle Chaumard a, sans aucun doute, fait un formidable travail de recherches avec des supports variés : thèse de doctorat, entretiens, lectures etc. Afin de donner du corps à son intrigue, elle a décortiqué tout cela, comparé, gardé des faits importants qu’elle a ensuite intégrés à son texte. C’est bien fait et on peut penser que tout cela est crédible tant ça tient la route.

Clio est avocate. Elle a postulé dans un grand cabinet où elle a été embauchée et cerise sur le gâteau, elle y a trouvé son mari. Elle s’est associée à lui et à son beau-père qui travaille également avec eux et a des parts dans l’affaire. Elle est plutôt en réussite lorsqu’elle plaide, elle consciencieuse, appliquée et trouve toujours la faille pour remporter le procès. Mais voilà que sa vie commence à s’effilocher, elle a quitté son époux qui ne la respectait plus, sa mère est placée car elle souffre de troubles de mémoire importants…. Et une catastrophe en entraînant une autre, elle vient de perdre un procès pour la première fois. Elle compte bien redresser la barre avec le client suivant mais son beau-père ne se montre pas très agréable. Elle ne sait plus où elle en est et son désarroi s’accentue lors d’une visite à sa mère. Cette dernière tient des propos décousus et lui parle d’un notaire installé en Corse à Cargèse qu’elle doit aller voir impérativement.

Elle se rend finalement sur place et se heurte très rapidement à un mur de silence. Les Corses seraient-ils des taiseux ? Ou en savent-ils trop sur cette femme qui débarque chez eux ? Des secrets, des non-dits, des allusions, des faits troublants, elle est perdue. Mais elle ne renonce pas car elle sent qu’on lui cache quelque chose. Comment les colons grecs de 1674 peuvent-ils avoir influencé sa vie personnelle ? Qui sont tous ces gens qui semblent posséder des informations sur elle ? Clio a l’impression qu’une vérité, tue depuis des années, va lui tomber dessus.

« Le problème, avec les vérités, c’est qu’une fois énoncées, elles viennent tout chambouler. C’est irrémédiable. Pourtant, ce qu’il reste à bouleverser, là, est déjà en ruine. »

Est-on prêt à accueillir des révélations qui remettent en cause tout ce qu’on sait de son passé ? Divulguer ce qui a été tu mais à quel prix et pourquoi ?

J’ai beaucoup apprécié cette lecture. L’écriture est prenante, vivante, elle transmet une atmosphère liée à la Corse, aux lieux, aux insulaires. On lit comme si on vivait sur place. Les descriptions sont telles qu’on visualise les lieux, les paysages. De plus le contexte historique est captivant et le déroulement entre passé et présent très bien pensé. Clio est un personnage attachant et certains de ceux qu’elle rencontre, finissent par accepter de créer des liens avec elle. C’est progressif car la confiance s’installe petit à petit. Les faits évoluent sous nos yeux. En découvrant ce texte, j’ai  eu envie d’aller visiter sur place !


"Une saison au bord de l'eau" de Jenny Colgan (The Summer Seaside Kitchen)

 

Une saison au bord de l’eau (The Summer Seaside Kitchen)
Auteur : Jenny Colgan
Traduit de l'anglais par Laure Motet
Éditions : Prisma (7 Juin 2018)
ISBN : 978-2810424504
472 pages

Quatrième de couverture

La jeune Flora MacKenzie travaille à Londres dans un cabinet d'avocats. Jamais elle n'avait imaginé que son emploi la conduirait à retourner sur son île natale, au nord de l'Écosse. Une île qu'elle a brutalement quittée après la mort de sa mère, quelques années plus tôt. La jeune femme sent très vite qu'elle n'y est pas la bienvenue. La plupart des habitants du village considèrent cette " fille de la ville " comme une étrangère, et les non-dits de l'histoire familiale compliquent les relations avec son père et ses frères.

Mon avis

Après le décès de sa mère, Flora a fui l’île où elle vivait avec sa famille. Au large de l’Ecosse, ce lieu isolé où les insulaires vivent une vie simple, avec le folklore, les légendes, les croyances, ne lui convenait plus. Installée à Londres, elle travaille pour un cabinet juridique, gardant des liens, de loin, avec son père et ses frères.

Son beau et mystérieux patron, Joël, pour qui elle est transparente (à son grand regret), lui confie une mission qui l’oblige à retourner sur les lieux de son enfance et de sa jeunesse. L’occasion de faire le point, de revenir vers les siens, de parler, de partager ? Ou une épreuve difficile, voire insoutenable ?

J’ai pris du plaisir à lire cette histoire, même si j’ai trouvé le temps long une ou deux fois. Flora est une jeune femme en souffrance, attachante, et j’ai apprécié son cheminement vers la résilience. J’ai trouvé très intéressant les descriptions de lieux, de sauvetage d’animaux marins, de soirées… on se sent vraiment dans l’ambiance. La famille de Flora, où il ne reste pratiquement que des hommes bourrus, a du mal lorsqu’il s’agit de parler, de s’écouter, parce que chacun a peur du jugement de l’autre. D’ailleurs, l’île n’est pas très grande et c’est vite fait de juger quelqu’un.

Pour moi, le contexte, le « décor » ont fait beaucoup pour cette romance, ce sont des endroits comme je les aime et si je pouvais repartir demain en Ecosse, je le ferai !


"Qui gagne perd" de Donald E. Westlake (Somebody Owes Me Money)

 

Qui gagne perd (Somebody Owes Me Money)
Auteur : Donal E. Westlake
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch)
Éditions : Payot & Rivages (2 Juin 2021) Première édition en 1969
ISBN : 978-2743653033
288 pages

Quatrième de couverture

Chet Conway est chauffeur de taxi. En guise de pourboire, il se fait refiler un tuyau sur un cheval gagnant. Un bon plan, sauf que lorsque Chet se présente chez le bookmaker pour collecter ses gains, le bookmaker est allongé par terre et il est tout ce qu’il y a de plus mort. Voilà Chet face à un triple problème. Comment expliquer aux flics qu’il n’y est pour rien ?

Mon avis

Un excellent remède contre la morosité !

Chet Conway est chauffeur de taxi, il vit avec son père et il organise ses semaines comme il le veut. Ça lui va bien. Il joue, entre autres, aux cartes et a quelques dettes qui traînent ici et là, mais régulièrement, il se met à jour et les prêteurs lui font confiance.

Un jour, alors qu’il attend un pourboire du client qu’il vient de déposer, celui-ci lui donne un tuyau sur un cheval gagnant. Il se décide et mise, espérant ainsi emporter un beau pactole et rembourser ce qu’il doit. Bingo, le canasson remporte la course ! Chet se rend alors chez le bookmaker pour récupérer son dû. Et là, c’est la catastrophe ! Il a été assassiné et Chet n’aura pas son argent. Moi, je serais partie discrètement et je me serais fait oublier. Pas lui …. Il touche le mort, se retrouve avec du sang sur ses vêtements etc. Pas très malin mais dans des situations surprenantes, on ne sait pas comment réagir. Il se décide à appeler la police lorsque la femme du macchabé débarque. Et le pauvre Chet va devoir prouver aux uns et aux autres qu’il n’est pour rien dans cette histoire, qu’il passait juste par hasard. Pas facile, hein ?

L’histoire pourrait s’arrêter là mais pas du tout pour le plus grand plaisir du lecteur ! Deux gangs rivaux en lien avec l’homme assassiné, s’imaginent que Chet l’a tué. Il est donc poursuivi, séquestré, interrogé. Là-dessus, la sœur du disparu s’en mêle et l’accuse également. Le pauvre taxi man ne sait plus comment agir. Dire la vérité ne semble pas toujours être la bonne solution, la plupart ne le croient pas. Mentir complique les choses car la vérité finit par ressortir et il faut à ce moment-là expliquer et justifier les mensonges.

Ce livre est bourré d’humour. Dans les événements, les dialogues, les pensées.

« Pas un geste », ordonna-t-il d’une voix composée à soixante pour cent de gravier et à quarante pour cent de matériaux inertes.

Les quiproquos sont légion et le sourire ne m’a pas quittée. Je pense que la traduction de Jean Esch est excellente (merci à lui) car rien ne sonnait faux. Les dialogues sont vraiment savoureux. L’écriture de l’auteur est pétillante, rapide. Il y a de l’ironie face à la problématique de l’honnêteté des uns et des autres. Chet, qui raconte, fait preuve de beaucoup de dérision. Il ne se prend pas au sérieux mais il veut son dû et entend bien l’obtenir. Lorsqu’il se trouve dans l’embarras, il essaie de réfléchir, d’anticiper mais ce n’est pas toujours une réussite. Heureusement, parfois, le destin intervient et le pire est évité.

Ce roman a été écrit en 1969, pas de téléphone portable, de trace ADN, et autres modernités. Pour autant, ce n’est pas une lecture désuète, contexte et phrasé sont hilarants. Les descriptions de Donal Westlake sont des pépites. On visualise les scènes, on s’en imprègne. J’ai particulièrement aimé la casquette orange de Chet et la course-poursuite dans la neige. Je pense que ce livre aurait pu être adapté en film tant il est empli de vivacité, de mouvements.

J’ai énormément apprécié cette comédie policière drôle, enlevé, sans longueur et je suis ravie d’avoir découvert un titre de plus de cet écrivain (décédé en 2008, il a écrit sous différents noms, plus d’une centaine de recueils, j’ai encore de quoi faire !)


"Seule la haine" de David Ruiz Martin

 

Seule la haine
Auteur : David Ruiz Martin
Éditions : Taurnada (10 Juin 2021)
ISBN : 978-2372580861
252 pages

Quatrième de couverture

Persuadé que le psychanalyste Larry Barney est responsable du suicide de son frère, Elliot le prend en otage dans son cabinet. Sous la menace d'une arme, Larry n'a pas d'autre choix que de laisser l'adolescent de 15 ans lui relater ses derniers mois. Mais très vite, c'est l'escalade de l'horreur : Larry est jeté dans un monde qui le dépasse, aux frontières de l'abject et de l'inhumanité.

Mon avis

Ce roman est glaçant, fort, puissant, violent.

C'est un huis clos lourd, où l'angoisse va crescendo. Tout se déroule dans le cabinet d’un psychanalyste, Larry, qui reçoit Elliot, le frère d’un de ses patients, décédé par suicide. Elliot est persuadé que tout aurait pu se dérouler autrement si le psy avait fait du bon boulot. Alors il le prend en otage et la soirée commence. Leur face à face est empli de questions, tant pour l’un que pour l’autre. L’adolescent accuse et culpabilise le psy, qui lui essaie de comprendre où ce cauchemar va l’emmener. La folie monte, les interrogations se bousculent, la tension est permanente et le lecteur ne peut pas souffler.

C’est anxiogène, noir. L’auteur décrit avec brio des scènes dures, à la limité du soutenable. On a envie de voir une lueur d’espoir, on la cherche mais l’étau, inexorablement, se resserre et la boule que l’on a au fond de la gorge est de plus en plus douloureuse. On sent l’engrenage qui entraîne les deux personnages de plus en plus loin. Larry essaie de rester rationnel mais c’est difficile tant Elliot le harcèle, le pousse dans ses retranchements, le titillant même sur sa vie personnelle.  

Dans ce récit, l’auteur appuie sur les mots, nous rappelant leur force, leur puissance, l’énergie qu’ils peuvent dégager. Un mot peut rendre heureux, un mot peut détruire. C’est encore plus vrai dans ce livre. C’est effrayant.

Elliot est un adolescent à haut potentiel. Ses émotions, comme souvent avec ce type de personnes, sont exacerbées, décuplées. Sa souffrance, sa colère, sa rage, sa soif de vengeance, tout est surdimensionné, ça l’envahit, ça l’asphyxie, ça lui enlève toute forme de jugement. Il poursuit inlassablement son but : punir celui qui, pour lui, a fauté.

Impuissant devant tant de haine, le lecteur ne peut que lire, tourner les pages, souhaiter qu’un vrai dialogue s’instaure entre les deux protagonistes. Mais il réalise que plus le temps passe, plus le fossé se creuse emportant les deux hommes dans une spirale infernale.

Qu’adviendra-t-il à l’issue de cette nuit ? Qui en sortira indemne ? Certainement pas celui ou celle qui lira ce recueil tant les thèmes abordés renvoient chacun à sa propre vie. Qu’en est-il de l’éducation que j’ai reçue, de celle que j’ai transmise ? Ai-je fait les bons choix ? L’enfant que j’ai été est-il devenu l’homme ou la femme que mes parents avaient imaginé ? Quelles sont les valeurs qui sont importantes à mes yeux et face à un choix cornélien, qu’aurais-je fait ?

L'écriture est captivante, on se sent pris par l’atmosphère pesante, par les événements qui ne laissent pas de place à l’espoir. C’est noir, terriblement sombre mais très bien écrit.

J'ai pensé au film "Usuals Suspects" où on comprend sur la fin tous les indices qui ont été semés....La manipulation mise en place est intéressante, c'est vraiment le point fort de ce récit. Un mini bémol pour l’épilogue que j’aurais préféré plus court mais ce n’est que mon avis.


"Le cerf-volant" de Laetitia Colombani

Le cerf-volant
Auteur : Laetitia Colombani
Éditions : Grasset (9 juin 2021)
ISBN : 978-2246828808
210 pages

Quatrième de couverture

Après le drame qui a fait basculer sa vie, Léna décide de tout quitter. Elle entreprend un voyage en Inde, au bord du Golfe du Bengale, pour tenter de se reconstruire. Hantée par les fantômes du passé, elle ne connait de répit qu'à l'aube, lorsqu'elle descend nager dans l’océan indien. Sur la plage encore déserte, elle aperçoit chaque matin une petite fille, seule, qui joue au cerf-volant.

Mon avis

Trois combattantes, trois rescapées, trois guerrières.

A cet exergue, j’aurais pu rajouter : trois destins de femmes.

Une fois encore, Laetitia Colombani met la condition féminine à l’honneur.

Son nouveau récit se déroule en Inde, où Léna est partie suite à un drame personnel. Elle est dans la ville de Mahäbalipuram dont elle découvre le côté sombre, où chacun lutte pour survivre. Elle veut panser ses blessures, oublier son métier d’enseignante et se faire oublier, essayer d’avancer… Mais la douleur la cloue, la mure, l’étouffe…jusqu’au jour où sur la plage, elle fait une rencontre. Une petite indienne qui, elle s’en aperçoit vite, travaille au lieu d’aller à l’école.

Dans certains pays, naître femme est un handicap, un obstacle majeur pour accéder au savoir et à la liberté. Malheureusement on ne choisit pas et dans ce cas-là, on se doit d’être obéissante et soumise sous peine de représailles.

Léna constate tout cela, se sent impuissante. Puis elle se « réveille », sort de sa torpeur, elle voudrait faire bouger les choses. Elle voit vite que le plus difficile, ce n’est pas l’extrême pauvreté mais le poids des traditions qui pèsent et qui empêchent les lignes de bouger. Bien que malheureux, les habitants n’envisagent pas de renoncer aux coutumes. C’est leur héritage, leur vie, leur essence.

Elle s’attache à la petite fille qu’elle a vue sur la plage et fait une autre rencontre : Preeti. Une jeune femme qui engagée avec les Red Brigades fondée en 2011 par Usha Vishwakarma (n’hésitez pas à aller lire son histoire personnelle). Elles se heurtent et finissent par s’apprivoiser.

Ces trois personnages féminins cheminent sous nos yeux. Chacune se construit pas à pas, hésitant, reculant, renonçant puis repartant en ne perdant pas espoir. Léna est une belle personne, elle a besoin de se raccrocher à la vie comme elle le peut et c’est en Inde qu’elle trouve une raison d’exister.

C’est avec une écriture au scalpel, lumineuse que l’auteur nous décrit leur quotidien, leurs luttes, leurs peurs, leurs espoirs. C’est empli d’une belle sensibilité nous rappelant l’importance de l’éducation. J’ai trouvé ce roman doux et beau, bien documenté (et ça, c’est vraiment intéressant !) et très réussi.

 

 

"Minuit à Atlanta" de Thomas Mullen (Midnight Atlanta)

 

Minuit à Atlanta (Midnight Atlanta)
Auteur : Thomas Mullen
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Blondil
Éditions : Payot & Rivages (5 Mai 2021)
ISBN : 978-2743653064
496 pages

Quatrième de couverture

Atlanta, 1956. L’ex-agent de police Tommy Smith a démissionné pour rejoindre le principal journal noir de la capitale en tant que reporter. Mais alors que l’Atlanta Daily Times couvre le boycott organisé par Rosa Parks à Montgomery, son directeur est retrouvé mort dans son bureau. FBI, flics racistes, agents Pinkerton : beaucoup de monde semble s’intéresser d’un peu trop près à cette affaire.

Mon avis

Après avoir lu Darktown et Temps noirs du même auteur, j’attendais avec impatience de découvrir ce nouveau roman qui allait me permettre de retrouver des personnages connus dans un contexte historique bouillonnant aux Etats-Unis. Nous sommes en 1956, les policiers à peau noire dérangent toujours autant. Les lois Jim Crow qui ont introduit la ségrégation dans les services publics, les lieux de rassemblement etc, sont toujours bien présentes. Mais l’Arrêt Brown est arrivé et il est considéré comme une étape décisive du mouvement américain des droits civiques pour obtenir l'égalité citoyenne des Afro-Américains. Une avancée qui n’est pas du goût de tout le monde (surtout des blancs …), on s’en rend vite compte en lisant ce roman….

Thomas Mullen tisse son récit avec des personnages fictifs évoluant dans une période historique qu’il a soigneusement étudiée. Cela représente sans aucun doute une somme de travail colossal, c’est impressionnant ! On croise çà et là des événements réels et toute son histoire sonne vraie. C’est ce que j’apprécie par-dessus tout dans ses écrits. On a vraiment l’impression de vivre les situations. On ressent les tensions, la peur, les petites victoires. On se révolte avec ceux qui luttent, on serre les poings, on hurle devant tant d’injustice, de mauvaise foi, de mensonges et de manipulation. Cet auteur me bluffe tant ses livres sont empreints de véracité, d’humanité, de profondeur.

Smith a fait partie du contingent des premiers policiers noirs mais il a démissionné et il est devenu reporter criminel pour un « journal noir » plutôt actif. Il se sent plus libre ainsi pour agir.

« Peut-être le meilleur moyen de réformer le système était-il de l’extérieur, après tout. Peut-être était-ce mieux comme ça. Peut-être n’avait-il pas simplement abandonné. »

Assez séducteur, il vit seul dans un petit espace car son salaire est peu élevé. Il est resté un peu en contact avec McInnis, son ancien chef, un blanc qui a appris à connaître ceux qui travaillent sous ses ordres et qui, petit à petit, leur a fait confiance. Son regard sur ces hommes a évolué au fil du temps et il s’est attaché à eux en quelque sorte. Pourtant, ce n’est pas simple, son rôle est mal vu par les autres blancs (dont certains très proches du Klan) qui se moquent de lui et de son équipe.

Un soir, Smith reste tard au journal et il s’endort. C’est un coup de feu qui le réveille et il monte vite à l’étage où Bishop, le directeur travaillait. Il est mort et Smith appelle aussitôt McInnis. Smith va très vite se retrouver en position d’accusé et il va lui falloir mener l’enquête pour comprendre ce qui a pu se passer, d’autant plus qu’il réalise que les policiers blancs n’ont pas l’intention de creuser. Beaucoup de personnes semblent s’intéresser à cette affaire et pas forcément pour les bonnes raisons, certaines fuient le contact notamment lors des funérailles. Que cachait Bishop ? L’atmosphère est électrique, pourquoi le FBI se mêle-t-il de ce fait ?

Smith et ses anciens coéquipiers vont mener des investigations en parallèle. Les événements sont articulés avec intelligence, les ressentis et les descriptions sont précises. Le rythme ne faiblit pas et chaque fois que quelque chose de nouveau se produit, on se demande où cela va nous entraîner.

L’écriture est puissante (merci au traducteur, qui n’est pas le même que pour les romans précédents, les a-t-il lus avant de traduire pour apprivoiser ambiance et individus ?), le texte étoffé, complet. On apprend énormément sur l’histoire du pays en découvrant ces aventures. L’enquête est loin d’être simple, les fausses pistes et les ramifications sont nombreuses, la vie passée de chaque protagoniste va intervenir de différentes façons, tout cela rend le texte de plus en plus addictif. Les protagonistes sont tous intéressants dans leur évolution, notamment McInnis, ils ont leurs failles, ils sont humains donc imparfaits.

Je suis totalement fan de Thomas Mullen et j’ai hâte de découvrir d’autres recueils qu’il a écrit (en plus il semblerait que les trois que j’ai cités vont être adaptés au cinéma…)

Entretien avec le traducteur

"Reikiller" de Laurent Philipparie

 

Reikiller
Auteur : Laurent Philipparie
Éditions : Plon (3 Juin 2021)
ISBN : 978-2259306621
336 pages

Quatrième de couverture

Jenny, prodigieuse acrobate, intègre la troupe d'un célèbre cabaret périgourdin. Elle vient de s'installer dans la région pour être aux côtés de Didier, gendarme à la Brigade de recherche de Sarlat. Ce dernier enquête sur la disparition de plusieurs touristes allemandes. Avec leur fille âgée de cinq ans, le couple aurait tout pour être heureux si la petite Luna n'avait pas développé une grave tumeur cérébrale contre laquelle la médecine conventionnelle ne peut rien. Les jours de l'enfant sont comptés.

Mon avis

Didier et Jenny forment un couple heureux, avec leur petite Luna. Lui est gendarme à la brigade de recherche de Sarlat. Elle, a trouvé une place de danseuse de pole dance dans un cabaret de la région. Deux quotidiens bien différents mais qui ne gênent en rien l’épanouissement de leur amour. Ils s’en accommodent.

Il est confronté à une affaire très intéressante, la disparition de jeunes femmes, toutes des touristes allemandes. Cela lui prend énormément de temps, il s’investit à fond car s’il réussit il sait bien que cela va booster sa carrière. De son côté, elle a parfois du mal à le comprendre de vivre dans tant de noirceur, alors qu’elle est sous le feu des projecteurs, mettant des étoiles dans les yeux des spectateurs.

Un jour, c’est le coup de massue, leur petite Luna est touchée par un gliome infiltrant du tronc cérébral, une tumeur inguérissable, elle est condamnée. Hospitalisée, il faut accepter l’idée de l’accompagner jusqu’au bout du chemin. C’est un tsunami pour les parents, comment réagir, que faire ? Face à la souffrance d’un proche, chacun réagit de façon différente, certains pratiquent le déni, d’autres baissent les bras s’en remettant à la fatalité, d’autres encore essaient d’espérer un miracle….Et si ?

Didier se noie dans le boulot, vivant de chantage avec lui-même, marchandant. « Si je coince le tueur alors ma fille sera sauvée… » Jenny ne sait pas, ne sait plus jusqu’à une discussion avec la patronne du cabaret, adepte de Reiki (une méthode de soins non conventionnelle d'origine japonaise, fondée sur des soins dits « énergétiques » par imposition des mains). Elle connaît une grande prêtresse et peut la faire intervenir pour sauver Luna. Jenny est rationnelle mais quand il ne reste plus d’espoir et que quelqu’un vous laisse une lueur, peut-on dire non ? Je n’ai pas pu blâmer cette mère, si la foi dans ce procédé lui permet de rester droite, pourquoi pas ? Mais il ne fallait pas qu’elle se laisse envahir, tout est question de dosage…

« Il y a ceux qui ne veulent pas croire, ceux qui ne peuvent pas croire, ceux qui croient mal…. Les plus dangereux restent ceux qui font semblant de croire, parfois contre leur gré… »

Le lecteur va suivre l’enquête des policiers, les interactions avec la jeune mère de famille, la vie de la troupe du cabaret où de nombreux artistes ont été convertis au Reiki par la patronne, la maladie de Luna et d’autres éléments liés à tout cela. Il y a des personnages forts : Goupil, le chef de Didier, un homme pragmatique qui avance pas à pas, qui ne veut pas que l’on bouscule les choses, la chef du cabaret qui ne jure que par le Reiki, les parents qui luttent pour tenir bon, et tous les autres, dont un tueur dans l’ombre, dangereux et violent à l’extrême….

Cette histoire aborde plusieurs thèmes, celui des croyances, le pouvoir et la force de la foi. L’évolution des personnes face à la maladie de ceux qu’ils aiment. L’Histoire avec H majuscule puisqu’on va découvrir des faits de résistance et des évènements concernant Joséphine Baker. Les investigations policières. Et les rapports humains qui se consolident ou se délitent. On pourrait penser que ça fait trop. Mais l’auteur articule tout cela avec doigté et il s’en sort bien. Son récit est prenant, découvrir l’univers du cabaret de l’intérieur, observer les ressentis de chacun, décrire les paysages où se déroulent certaines scènes difficiles, parler de l’Histoire, tout cela est écrit avec suffisamment de détails, sans en faire trop non plus. On peut mettre un bémol pour certains faits qui ne sont pas très vraisemblables, quoique…. Laurent Philipparie sait de quoi il parle puisqu’il est criminologue et capitaine de police.

Cette lecture a été une belle découverte pour moi. La construction avec plusieurs angles d’approche m’a bien plu ainsi que les sujets évoqués. L’écriture est accrocheuse, vivante et on ne s’ennuie pas une seconde !


"Lew Archer Tome 10 - Le corbillard zébré" de Ross Macdonald (The Zebra-Striped Hearse)

 

Lew Archer Tome 10 - Le corbillard zébré (The Zebra-Striped Hearse)
Auteur : Ross Macdonald
Traduit de l’américain par Jacques Mailhos
Éditions : Gallmeister (7 janvier 2021)
Parution : en anglais (Etats-Unis) en 1962, en français à partir de 1964
ISBN : 978-2351787298
336 pages

Quatrième de couverture

L'avenir sourit à Harriet Blackwell. À vingt-quatre ans, elle est sur le point d'hériter d'un demi-million de dollars et compte épouser un peintre désargenté dont elle est éperdument amoureuse. Seulement, son père, le colonel Blackwell, se méfie. Autoritaire et plein de certitudes, il charge Lew Archer d'en apprendre davantage sur le prétendant de sa fille, avec la ferme intention de le discréditer.

Quelques mots sur l’auteur

Ross Macdonald, de son vrai nom Kenneth Millar, est né en 1915 en Californie et a d'abord grandi au Canada avant de revenir s'installer aux Etats-Unis. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est officier de marine dans le Pacifique. À son retour, il publie quatre romans avant la parution de Cible mouvante en 1949, le premier livre où apparaît le détective privé Lew Archer, plus tard incarné à l'écran par Paul Newman. Ross Macdonald meurt en 1983. Il est considéré comme l'un des plus grands écrivains de romans noirs.

Mon avis

Merci aux éditions Gallmeister et à Partagelecture pour cette découverte.

C’est le titre original et surprenant qui m’a attirée dans cette lecture. Le corbillard zébré, pourquoi ? Un corbillard, c’est la mort, souvent à un âge avancé, mais zébré ? Dans le récit, ce véhicule est occupé par de jeunes surfeurs (un peu hippies on est dans les années 60), comme s’il s’agissait d’un moyen de transport ordinaire. Quant aux rayures fantaisistes, elles peuvent montrer l’écart entre les deux mondes : celui de la jeunesse insouciante (liée à l’intrigue et qui apparaît de temps à autre) et celui de l’âge mûr représenté par l’enquêteur qui nous rappelle régulièrement son âge (la quarantaine). Des traits qui séparent mais qui rassemblent aussi par intervalles….

Le colonel Blackwell voit d’un très mauvais œil le fait que sa fille Harriet soit tombée amoureuse d’un artiste sans le sou, d’autant plus que prochainement elle va hériter d’une fortune conséquente. Elle a décidé de l’épouser en plus ! Il mandate alors un détective, Lew Archer, pour enquêter sur cet homme et si possible découvrir de quoi le discréditer. Lew accepte l’affaire et se met au travail. Pourquoi le père ne veut-il pas de ce fiancé ? La jeune femme n’est pas très belle, est-ce qu’elle plaît vraiment au peintre ou vise-t-il sa fortune ?

Assez vite, le fin limier va sentir des zones d’ombre, des mensonges, des non-dits, des interprétations, entre les différents personnages qu’il côtoie. Rien n’est vraiment net, ciblé, certains fait sont troublants et le cheminement du futur mari semble relié à plusieurs décès. Lew Archer avance pas à pas, change de lieu, même d’état, c’est lui qui s’exprime dans le récit. Il fait une description très précise des lieux, des situations. Ses observations sont détaillées et il les utilise pour faire des recoupements, des hypothèses, lançant l’air de rien, quelques mots bien ciblés à ceux qu’il interroge.

Le contexte et les raisons d’agir des uns et des autres sont bien pensés, il n’y a pas de temps mort, suffisamment de rebondissements pour maintenir notre intérêt. Les travers de chaque individu sont glissés çà et là, au fil des chapitres, les caractères se précisent, se dévoilent jusqu’au dénouement final.

Le rythme est celui d’un enquêteur qui ne laisse rien au hasard, qui prend le temps, ne voulant rien rater. Méticuleux, intuitif, maniant l’humour noir et la dérision, il secoue ceux qu’il questionne, les pousse plus loin pour arriver à ses fins. Les dialogues sont vifs, certains paragraphes s’apparentent à de savoureux apartés, comme si Lew prenait le lecteur à témoin de ce qu’il constate. « Ce devait être un mariage d’inconvenance …. » Je pense que Jacques Mailhos a fait du bon travail car le texte est savoureux (donc parfaitement traduit)

Une lecture que j’ai beaucoup appréciée.

 


"Il est grand temps de rallumer les étoiles" de Virginie Grimaldi

 

Il est grand temps de rallumer les étoiles
Auteur : Virginie Grimaldi
Éditions : Fayard (2 mai 2018)
ISBN : 978-2213709703
396 pages

Quatrième de couverture

Anna, 37 ans, croule sous le travail et les relances des huissiers. Ses filles, elle ne fait que les croiser au petit déjeuner. Sa vie défile, et elle l’observe depuis la bulle dans laquelle elle s’est enfermée. Le jour où elle apprend que ses filles vont mal, Anna prend une décision folle : elle les embarque pour un périple en camping-car, direction la Scandinavie. Si on ne peut revenir en arrière, on peut choisir un autre chemin.

Mon avis

Mère de famille débordée, Anna jongle avec un emploi du temps difficile, ses filles adolescentes, son ex-mari, et un travail qui l’accapare beaucoup (et avec des conditions matérielles éprouvantes). Elle est à deux doigts de craquer et elle sent bien que l’éducation de ses enfants lui échappe. Pas le temps de se parler, de se poser, de vivre de bons moments, de les accompagner…. Elle est consciente de leur mal-être, de ses manques mais elle ne sait que faire…

Sur un coup de tête, avec l’aide de son père et un coup de pouce de sa grand-mère, elle part en camping-car avec ses deux filles, direction la Scandinavie pendant plusieurs semaines. L’occasion de se retrouver, de revenir à l’essentiel, de faire le point, de reconnecter le trio.

On va suivre ce périple par l’intermédiaire de trois regards. Anna qui raconte, son aînée qui tient un blog et la plus jeune qui écrit un journal intime. Ces différentes approches sont intéressantes, assez fines, pour nous offrir les ressentis de chacune et l’évolution de leur perception de ce voyage.

Des thèmes graves sont abordés mais sans pathos et avec un peu de légèreté ce qui en fait un bon roman tout public (ce n’est pas négatif). Il y a de l’humour, de la tendresse, des bons sentiments. C’est fluide, ça se lit tout seul.

J’ai bien apprécié de retrouver les coins de Scandinavie que j’ai déjà visités, en plus de l’écrit, les images me revenaient. Quand on a des ados qui se cherchent, ce livre peut être lu par la mère et la fille par exemple, car il peut offrir des temps de discussion en famille. Une lecture agréable.

"C'est douloureux, ce passage entre l'enfance et l'adolescence, quand les illusions volent en éclats et que les rêves se fracassent contre la réalité."

"Le cheval-drac de Molompize" de Gisèle Larraillet

 

Le cheval-drac de Molompize
Auteur (texte et dessins) : Gisèle Larraillet
Éditions : Contes à Nounette (Juin 2020)
32 pages




Mon avis

Ce conte illustré un peu comme une bande dessinée, met en scène une légende traditionnelle du Cantal. Il peut être lu dès huit ans, et a une très belle reliure japonaise (c’est-à-dire sans colle).

Les dessins sont magnifiques avec des couleurs bien choisies, toutes douces. Le contenu de chaque page est assez détaillé tant dans le texte que dans les images pour que les enfants suivent sans difficulté le récit. Les illustrations sont simples mais très « parlantes ».

Une grand-mère a raconté à sa petite fille l’histoire du cheval-drac, qui est un animal dangereux. La fillette fait une rencontre et se demande ce qu’elle doit faire. Serait-elle face à être de légende dont il faut se méfier ?

J’ai trouvé cet album intéressant pour plusieurs raisons.

Il transmet par écrit un texte qui n’était qu’oral mais qui fait totalement partie du village de Molompize. Il permet de le faire « vivre » encore même après la disparition des anciens. Il est important de garder une trace de l’héritage des aînés.

Il est adapté à un jeune public qui peut le découvrir en famille, les adultes racontent ou seul, lorsque l’enfant sait lire.

Il est beau tout simplement….

J’ai apprécié de découvrir ce texte traditionnel et je trouve très bien la réaction de l’enfant qui donne à réfléchir aux adultes pour d’autres situations, où il est important de ne pas se fier aux apparences !


"Dent de dinosaure" de Michael Crichton (Dragon Teeth)

 

Dent de dinosaure (Dragon Teeth)
Auteur : Michael Crichton
Traduit de l’anglais (États- Unis) par Pierre Brévignon
Éditions : L'Archipel (3 juin 2021)
ISBN : 978-2809841398
306 pages

Quatrième de couverture

1875. Dandy désœuvré, le jeune William Johnson, après avoir perdu un pari, doit partir pour le Far West. Quittant son univers privilégié, l'étudiant de Yale rejoint une expédition à la recherche de fossiles préhistoriques dans les territoires reculés et hostiles du Wyoming. Mais la plus sanglante des guerres indiennes vient d'éclater. Et avec elle un autre conflit, opposant deux célèbres paléontologues prêts à tout pour déterrer d'inestimables vestiges de dinosaures et accéder à la gloire.

Mon avis

Michael Crichton est décédé en 2008, mais son épouse qui signe une belle postface, offre aux lecteurs un roman retrouvé dans les archives de son mari. Ce recueil a inspiré Jurassic Park.

L’Ouest américain en 1875. William Johnson est étudiant à Yale, dans une université bien cotée. Il y est plus pour s’occuper que par goût personnel. Pourtant il a des facilités et s’en sort bien mais il n’a pas vraiment de but dans l’existence. Gosse de riches, enfant gâté, il se laisse vivre. Suite à un pari où il ne veut pas perdre la face, il se retrouve embarqué, alors qu’il n’a aucune connaissance pour le faire, dans une expédition pour la recherche de fossiles préhistoriques. Il trouvera une solution pour masquer son incapacité et être intégré dans le groupe d’un professeur renommé.

Les voyages forment la jeunesse, dit-on. Et bien, William peut rajouter à l’adage, que les voyages endurcissent, font grandir en maturité, affinent les personnalités, et bien d’autres choses encore. J’ose même écrire que pour le jeune homme, cette aventure est un réel cheminement vers l’âge adulte et une découverte de soi, des autres, de la vie. Cet aspect du récit est très intéressant. On voit comment celui qui n’était qu’un dandy, évolue, se demandant quelle idée il a eu en partant pour longtemps dans des territoires hostiles… Son approche des personnes, des événements change au fil des pages. Il devient un homme sous nos yeux. Et pour ce faire, il passe par plusieurs épreuves et difficultés. Rien ne lui sera épargné, besoin d’asseoir sa crédibilité, amours contrariées, indiens déchaînés (les guerres indiennes font rage et en plus, les chercheurs passent sur leur territoire), cow-boys dangereux, shérif pourri, villes totalement coupées de tout etc… Il est confronté à la peur, au danger, à l’hostilité permanente, au dédain….

Ce livre, inspiré de faits réels, met aussi en scène deux paléontologues connus : Edward Drinker Cope and Othniel Charles Marsh. Ils se disputaient sans cesse les découvertes, allant jusqu’à faire des faux pour se piéger l’un et l’autre. Au début, ils étaient amis mais ça n’a pas duré. Dans le récit, ils se surveillent, s’épient, se jalousent et c’est parfaitement retranscrit !

Au fil des pages, la tension ne faiblit pas. On sent que les situations sont, la plupart du temps, très nouvelles pour William et qu’il ne sait pas toujours comment réagir, comment faire. Il essaie de s’affirmer et en même temps, il ne veut pas se mettre qui que ce soit à dos, car le séjour va être long. Il vaut mieux avoir quelques soutiens solides….

Ce recueil est captivant, le rythme est dense, il y a des rebondissements. L’écriture (merci au traducteur) est fluide et accrocheuse. L’atmosphère de l’époque est décrite avec ce qu’il faut de détails pour qu’on s’imprègne de l’histoire. C’est très visuel à tout point de vue, j’avais l’impression d’entendre les bruits, de sentir la chaleur, le froid, la poussière….  Au niveau scientifique, l’auteur explique comment les chercheurs s’y prennent pour les fouilles, les heures de travail pour, parfois, un piètre résultat. La patience et l’abnégation sont indispensables. Il faut être passionnés et ne pas chercher la gloire.

C’est une lecture plaisante, mêlant habilement réalité historique et fiction, le suspense omniprésent donne l’envie permanente de tourner les pages. Et le sujet abordé, cette recherche de fossiles dans la seconde moitié du XIX ème siècle m’a vraiment incitée à creuser ces faits, à en savoir plus sur ces deux scientifiques et sur ce qu’ils ont réellement fait. J’apprécie énormément ce genre de récits qui titillent ma curiosité et m’ouvrent d’autres horizons.