"Embrasse tes petits pour moi" de Karen Ludriac

 

Embrasse tes petits pour moi
Auteur : Karen Ludriac
Éditions : kareneditions.com (9 novembre 2022)
ISBN : 9791041501595
244 pages

Quatrième de couverture

Mon père buvait trop.
Il avait beau me dire : « Laisse-moi crever ! », je ne pouvais m'y résigner.
Non pas à sa mort, mais à la façon dont il allait mourir.
Je voulais qu'il reste digne.

Mon avis

Dans ce récit autobiographique, Karen Ludriac évoque sa relation avec son père. Elle raconte l’histoire de ce dernier, jeune garçon réunionnais, séparé de ses frères et sœurs car adopté. Il s’est « construit » tout seul et l’alcool a été assez vite son talon d’Achille. Sa femme a divorcé et par la suite, il a eu une vie amoureuse parfois instable. Dans un premier temps, sa fille, Karen, qui a réussi de brillantes études, s’est mariée et a eu des enfants, s’est éloignée de lui, supportant difficilement cet état de faits. Et puis, un jour, un appel d’un hôpital. Karen et son frère reprennent contact avec leur paternel. Ils découvrent son environnement, ses failles, son addiction à l’alcool, ses faiblesses. Il n’est plus tout jeune, le temps presse. Karen ressent le besoin de connaître le passé de son Papa avec plus de détails. S’établit alors un lien unique malgré les difficultés. Un lien d’amour, de cet amour qui porte, qui aide, qui permet d’accepter ce qui est plus dur.

Karen Ludriac a commencé d’écrire quand elle a pensé perdre son père. Comme un exutoire, pour évacuer, laisser une trace, faire place nette dans sa tête et son cœur, poser des mots sur ce rapport « père / fille ». Peut-être, également, pour dire l’amour qu’elle portait à cet homme malgré ses imperfections ?

Elle a une très jolie plume. Son écriture est fluide, alerte. Elle n’en fait jamais trop dans le pathos et on suit cette « tranche de vie » avec beaucoup d’intérêt. Son père est un homme attachant. Bien sûr, il a des défauts, il fait des erreurs mais il est humain. Il n’a pas eu une enfance facile et cela peut expliquer certaines choses. On sent, au fil des pages, que Karen finit par accepter son père, tel qu’il est. Elle fait beaucoup pour lui et l’accompagne dans sa maladie.

Elle a questionné son Papa, elle a tout fait pour le comprendre, pour qu’il retrouve sa famille, elle a donné énormément pour lui. C’est avec délicatesse, même avec pudeur qu’elle évoque leurs parcours (le sien et celui de son géniteur). J’ai trouvé le ton très juste, le propos équilibré. Le texte est prenant, on s’intéresse et on a envie de savoir ce que ça va donner.

J’ai apprécié ce livre, je suis rentrée tout doucement dans la vie de ces personnes, sans les déranger. Passer un peu de temps avec eux a été enrichissant, intéressant.  Il n’est jamais aisé d’écrire une biographie, surtout quand certains passages de la vie sont plus compliqués mais Karen Ludriac a su trouver les mots pour mettre en avant les émotions ressenties et les transmettre au lecteur, à la lectrice.

Un beau livre, à découvrir.


"Par la racine" de Gérald Tenenbaum

 

Par la racine
Auteur : Gérald Tenenbaum
Éditions : Cohen-Cohen (26 Janvier 2023)
ISBN : 9782367491066
200 pages

Quatrième de couverture

Samuel Willar est un écrivain particulier, spécialisé dans la rédaction d'autobiographies imaginaires, tant pour les morts que pour les vivants. Lorsque son père, qui avait peu d'estime pour ce rapiéçage de vies, disparaît à son tour, un numéro de téléphone et une note manuscrite l'orientent vers une nouvelle commande, émanant d'une bibliothécaire de l'institut Rachi de Troyes. Il apparaît rapidement qu'une enquête s'impose, impliquant un voyage en commun à travers la France, l'Italie, la Méditerranée et au-delà.

Mon avis

« Par la racine », une couverture magnifique, un format de livre agréable, une belle couleur de papier…. Déjà, ça donne envie. Et puis les premiers mots, les premières lignes. Une mélodie dans le phrasé mais également par les extraits musicaux évoqués. Une douce mélancolie, une écriture sensible qui prend le temps, qui pose chaque mot, soigneusement choisi par l’auteur. C’est un érudit, on le sent, on le lit, son vocabulaire est riche sans être prétentieux. La poésie, la musique sont omniprésentes, comme un lien entre l’écrit et la vie quotidienne.

C’est l’histoire de Samuel Willar, un homme qui « tisse des vies », qui « part du vrai pour façonner le faux. » Il rédige des autobiographies, à la demande, arrangeant ce qui est réel pour que ça colle aux aspirations de celui ou celle qui commande l’ouvrage. À la mort de son père, qu’il a toujours appelé Baruch, il trouve une note manuscrite et un numéro de téléphone avec ces quelques mots : Pour Samuel, quand le temps sera venu. Pourquoi ce message pour lui, plutôt que pour son frère ou sa sœur ? Sans doute parce qu’au bout du fil, une personne pourra donner et recevoir, uniquement pour lui, avec lui.

C’est un roman de « racines », de filiations. Celle qu’on connaît, officielle, celle qu’on découvre quand, au décès de nos parents, on se lance sur le chemin de ce qu’ils ont été. Non pas qu’ils aient caché des épisodes, des faits, mais plutôt parce qu’enfant, jeune adulte, et plus tard pris par notre vie, on ne s’attarde pas. Quand vient la mort, on a besoin de réponses, même si on n’a pas de questions. Elles viennent, au fil des rencontres. Samuel fait connaissance avec Luce, comme si, indirectement, son père, Baruch, avait choisi de la mettre sur sa route. Elle a besoin d’une autobiographie « reformulée » pour obtenir un poste en adéquation avec ce qu’elle désire : directrice du YIvo, institut de recherche juive de Manhattan. Il est nécessaire de créer une enfance au kibboutz. Samuel accepte et ils partent tous les deux sur les traces de ce qu’a été la vie de la jeune femme afin d’intégrer des événements réels dans le texte en partie fictif qu’il va écrire. En partant avec elle, il suit en parallèle le cheminement de son père, il remonte le temps. On va aux rendez-vous avec différents personnages qui tous, apportent une pièce au puzzle qui prend forme sous nos yeux. Des liens se font, se défont, se nouent plus ou moins serrés.

« Par la racine » nous rappelle qu’au-delà de notre famille, on se construit avec des « racines » culturelles, amicales, etc. Ce sont toutes ces souches qui bâtissent l’homme ou la femme que nous sommes.

Gérald Tenenbaum écrit avec infiniment de délicatesse et de respect pour ceux qu’il présente. Ses protagonistes emplissent les pages, cousant leur vie, au fil des ans, avec ce qu’ils sont, ce qu’ils deviennent, ce qu’ils souhaitent être, puisant profondément dans la terre de leurs ancêtres et de tous ceux qui comptent pour eux, la force de dire « je suis, je veux… »

Ce dernier recueil de l’auteur est totalement abouti, affirmé dans le propos (notamment les liens avec la culture juive), la construction et la rédaction. C’est une belle réussite et j’ai été conquise.

Une vie bouleversée (Het verstoorde leven) de Etty Hillesum

 

Une vie bouleversée (Het verstoorde leven)
Suivi de lettres de Westerbork
Auteur : Etty Hillesum
Traduit du néerlandais par Philippe Noble
Éditions : Seuil (1er février 1985)
ISBN : 978-2020086295
250 pages

Quatrième de couverture

De 1941 à 1943, à Amsterdam, une jeune femme juive de vingt-sept ans tient un journal et y consigne ce que vont être les dernières expériences de sa vie. Le résultat : un document extraordinaire, tant par l'incontestable qualité littéraire que par la foi qui en émane. Une foi indéfectible en l'homme alors même qu'il accomplit ses plus noirs méfaits. Car si les années de guerre voient l'extermination des Juifs partout en Europe, elles sont belles et bien, pour Etty Hillesum, des années de développement personnel et de libération spirituelle.

Quelques mots sur l’auteur

Esther Hillesum est née le 15 janvier 1914 à Middelburg en Zélande, province des Pays-Bas. Au début de la première guerre mondiale - les armées allemandes ont envahi les Pays-Bas en mai 1940 - elle s'intéresse à la psychologie, ce qui l'amène à rencontrer, en février 1941, un ancien élève de Jung : Julius Spier. Celui-ci, psychologue, émigré de Berlin depuis deux ans, est juif comme elle. Il devient très vite son ami, son amant et son maître à penser, ou comme elle dira plus tard : "l'accoucheur de son âme". Le 9 mars 1941, sous son influence et sa direction, elle entame une longue démarche introspective en écrivant la première page de son journal. Elle a vingt-sept ans.

Mon avis

Il m’a fallu beaucoup de temps et près de quatre-vingts pages pour « rentrer » dans ce livre et me sentir intéressée.

Pourtant, j’apprécie en général, la lecture de journaux intimes, mais là…

J’ai trouvé que le début était très long, beaucoup trop à mon goût.

Le regard de l’auteur sur ce qu’elle vivait, son histoire d’amour avec son psy, tout cela m’a semblé proche du nombrilisme et pas très constructif. Bien entendu parler de soi et de son quotidien c’est le but d’un journal mais ce qu’elle expliquait ne me paraissait pas captivant.

Petit à petit, j’ai sans doute réussi à ne pas me focaliser sur les échanges avec le psy et à « lire plus loin » pour découvrir un contenu plus proche de ce que je recherchais : la vie en Hollande à cette époque bien que la place de sa foi et de sa relation à Dieu prenne de plus en plus de place tournant presqu’au mysticisme.

Je me dois de reconnaître plusieurs choses : l’écriture de l’auteur s’est améliorée au fil des pages, devenant plus « profonde ».

Si écrire lui a permis de rester debout, de garder sa dignité, de croire en quelque chose sans baisser les bras alors elle a eu raison de le faire….

"La carte postale" d'Anne Berest

 

La carte postale
Auteur : Anne Berest
Éditions : Grasset (18 Août 2021)
ISBN : 978-2246820499
512 pages

Quatrième de couverture

C’était en janvier 2003. Dans notre boîte aux lettres, au milieu des traditionnelles cartes de voeux, se trouvait une carte postale étrange. Elle n’était pas signée, l’auteur avait voulu rester anonyme. L’Opéra Garnier d’un côté, et de l’autre, les prénoms des grands-parents de ma mère, de sa tante et son oncle, morts à Auschwitz en 1942. Vingt ans plus tard, j’ai décidé de savoir qui nous avait envoyé cette carte postale. J’ai mené l’enquête, avec l’aide de ma mère. En explorant toutes les hypothèses qui s’ouvraient à moi.

Mon avis

C’est le sixième roman d’Anne Berest et il concerne sa famille. Entre récit historique, recherche à suspense, il nous offre un panel d’émotions et une belle quête identitaire. Une réussite !

Cette carte postale qui donne le titre au livre a été reçue en 2003. Elle a été l’occasion de découvrir en profondeur l’histoire de sa famille pour l’auteur, de creuser ce que sa mère n’avait que survolé dans les discussions, d’aller plus loin dans la compréhension des racines liées au judaïsme.

Le texte est riche. Anne Berest a fait de nombreuses recherches, elle s’est fait aider, elle est allée loin. Elle redonne vie aux quatre prénoms de la carte et pas seulement, elle laisse une trace pour les générations futures sur ce qu’a subi sa famille. C’est écrit avec intelligence, doigté, délicatesse. C’est magnifique et bouleversant.

J’ai été étonnée que lorsqu’Anne et sa Maman arrivent dans des lieux où ont vécu ceux qu’elles recherchent, on sent que les personnes sont mal à l’aise. Sans doute parce qu’elles ont dépouillé de leurs biens ceux qui ont été arrêtés car juifs. Il n’y a pas de réparation, ou très peu. C’est tout juste si on ne les renvoie pas en disant qu’elles dérangent…. Ah que le passé est lourd parfois !

Le procédé d’écriture est intéressant. L’auteur a réussi à présenter sous une forme romanesque le destin de plusieurs personnes, des proches dont elle ignorait la vie. Au fil de son enquête, elle a pu retracer l’essentiel de ce qu’ils ont vécu, les douleurs, les joies, les peines, les obstacles lorsqu’on est juif. Cela lui a sans doute permis de s’approprier ses ancêtres, sa judaïté, et d’éclairer cette part d’ombre qu’elle sentait sans avoir les éléments de connaissance suffisants pour comprendre. Et ainsi de cerner ce qui a pu influencer le présent et ce qu’elle vit (et est) maintenant.

Une lecture coup de cœur !


"L'enfant de Néandertal" de Thierry Béthune

 

L’enfant de Neandertal
Auteur: Thierry Béthune
Éditions: Albin Michel (30 Janvier 2013)
ISBN: 978-2226245281
286 pages

Quatrième de couverture

Il y a des milliers d’années, les derniers hommes de Néandertal s’éteignaient. Aujourd’hui, nous ne vivons plus qu’entre homo sapiens. À moins que la science ne soit parvenue à réveiller un enfant d’un sommeil de vingt-huit mille huit cent ans…

Mon avis

Une idée de départ originale mais totalement invraisemblable et un constat: nous allons assister à la fuite d’un jeune homme. A travers son long monologue, ses quelques rencontres, nous découvrirons, comme il le fera lui-même, qui il est et surtout d’où il vient….

Une suite de péripéties, quelques réflexions sur le sens de la vie, quelques unes sur l’éthique, parfois mais si peu, un peu de génétique et vous aurez une idée du contenu du livre.

A mon sens, il lui manque quelque chose pour en faire un bon thriller scientifique comme il est annoncé….. Ce n’est pas assez profond, pas suffisamment « étoffé ». Tous les sujets abordés sont survolés, effleurés….

Je pense qu’avec un thème comme celui-ci, il y avait matière à faire plus captivant et c’est dommage.

Il n’en reste pas moins que l’auteur a une écriture fluide, qui se lit bien, adaptée de belle façon à ce qu’il  veut exprimer. Des phrases courtes, sans verbes, faites de quelques mots, comme autant de coups de poings lorsqu’il veut faire ressentir la peur ou la violence. Des phrases plus longues lorsque le personnage principal analyse, réfléchit, revient sur son passé pour essayer de comprendre son présent.

Et il peut s’en poser des questions le bel ( ?) Abel !!!

On peut même aller jusqu’à penser qu’il n’est pas bien malin de ne pas s’en être posé avant, d’avoir plus subi que décidé de sa vie.

Il apparaît un peu fade et doté d’un caractère lymphatique qui accepte tout et puis….des événements graves vont l’obliger à se « révéler »…à se prendre en main, à devenir homme….

C’est certainement une facette intéressante de ce roman, de découvrir l’évolution d’Abel dans le monde des hommes, de s’interroger sur ce que vont être ses réactions et de voir quelles seront ses décisions finales et pourquoi il aura agi ainsi. De plus, c’est un jeune homme attachant, sympathique et avec un bon « esprit ».

Les autres aspects évoqués auraient mérité, je l’ai déjà dit, d’être développés, ne serait-ce que pour que le nom de « thriller scientifique » ne soit pas un leurre pour le lecteur attendant des réflexions sur des idées de fond de notre société et ses dérives (ou pas) scientifiques. .

Il faut toutefois reconnaître qu’une fois qu’on a commencé ce roman, on se laisse emporter par l’histoire, qu’on a envie de savoir ce qui va se passer et ce que sera la chute du récit.

Alors, ne boudons pas notre plaisir. Une lecture plus légère mais prenante de temps à autre, ce n’est pas désagréable !!!


"L'assassin est à la plage" d'Arlette Aguillon

 

L’assassin est à la plage
Auteur : Arlette Aguillon
Éditions : L’Archipel (18 Juin 2014)
ISBN : 9782809814774
350 pages

Quatrième de couverture

Engagé par Le Réveil, l’hebdo local dont Madeleine, 80 ans, est propriétaire, Maxime, 26 ans, est chargé avec Jasmine, 14 ans, photographe, de rédiger l’article sur un pendu mystérieux trouvé sur un rond-point de la charmante station balnéaire. En une semaine, trois autres cadavres sont découverts dans 3 autres ronds-points. Maxime entreprend alors une enquête peu orthodoxe, qui va le conduire à l’assassin. Passé en deux mois du statut de SDF à celui de héros national, ce gentil garçon est devenu la coqueluche de ces dames. Mais il se retrouve avec deux amoureuses problématiques sur les bras. L’une a 14 ans et l’autre 80. Que faire ? Pourquoi ne pas prendre la route avec l’ami Manu et son camion pizza ?

Mon avis

L’écriture, c’est de l’image et de l’émotion en conserve : tu ouvres la boîte et le parfum intact te saute à la figure.*

Ne me demandez pas pourquoi, je ne sais pas… Mais lorsque je serai en retraite, j’ai bien envie de commencer une collection de photos de ronds-points …

Certains sont très originaux et racontent presque une histoire…

Mais, maintenant que j’ai lu le roman d’Arlette Aguillon, je me demande si je ne vais pas changer mon fusil (ou plutôt mon Canon (excusez le mauvais jeu de mots)) d’épaule.

Bref, tout est histoire de regards, finalement…. Si je photographie de loin, je ne m’expose pas à de mauvaises surprises…

Désopilant et décapant, ce roman est une véritable bouffée d’oxygène. C’est un savoureux cocktail d’enquête policière et de description d’un coin du Sud habité de personnages truculents, se trouvant dans des situations multiples, plus ou moins cocasses, mais toutes retranscrites avec un langage qui sent bon la vie et un à propos de bon aloi. Car avouons-le, on rit, on jubile au contact de Maxime qui raconte (en italiques dans le texte) en commençant par la page deux (les romans, c’est comme les chroniques de livres, le plus difficile, c’est le début). Donc, on suit les réflexions et l’intrigue vues par le jeune journaliste et en parallèle, on lit également le récit, plus conventionnel d’un narrateur extérieur. L’alternance des deux est un régal à consommer sans modération.

Les protagonistes sont surprenants et restent tout à fait crédibles, ce qui est le fait d’un enchainement des scènes et des rôles de chacun tout à fait justifiés. Et pourtant, vu de l’extérieur, ce n’est pas si simple. Maxime, jeune chômeur, lettré (les références littéraires sont nombreuses et bien amenées) qui aimerait être embauché au journal « Le Réveil », pourrait donner l’impression d’être le plus facile à « camper ». Mais que dire de Madeleine, cette femme âgée, fortunée, qui a le sens de la répartie et ce cette très jeune Jasmine, surdouée dans un corps de bébé ? Laquelle des deux va faire son « quatre heures » de Maxime ? Et puis, est-ce bien raisonnable ? C’est là que tout l’art de l’auteur se fera sentir. Elle décortique à travers des regards croisés les relations de Maxime avec ces deux femmes (bien que Jasmine n’en soit pas totalement une) et tout cela est intéressant et réel, bien analysé (sans excès de psychologie ouf, Freud n’a pas débarqué…)

Ceux qui sont en second plan n’en sont pas moins captivants et ne sont pas aussi « lisses » qu’il y paraît. C’est avec bonheur que le lecteur découvrir quelques secrets d’alcôve….plus ou moins nets….

« Pour  conserver sa saveur, un secret crapuleux doit se distiller de bouche à oreille, goutte à goutte, comme une essence aromatique. »

Je pense qu’Arlette Aguillon a dû avoir beaucoup de plaisir à écrire ce roman décoiffant. Il est bien sûr classé en collection « suspense » chez Archipel mais il mérite une mention spéciale pour le bon moment qu’il fait passer au lecteur.

* page 43

"La ballade de Lila K" de Blandine Le Callet

 

La Ballade de Lila K
Auteur : Blandine Le Callet
Éditions : Stock (1 septembre 2010)
ISBN : 978-2234064829
400 pages

Quatrième de couverture

La ballade de Lila K, c’est d’abord une voix : celle d’une jeune femme sensible et caustique, fragile et volontaire, qui raconte son histoire depuis le jour où des hommes en noir l’ont brutalement arrachée à sa mère, et conduite dans un Centre, mi-pensionnat mi-prison, où on l’a prise en charge.  Surdouée, asociale, polytraumatisée, Lila a tout oublié de sa vie antérieure. Elle n’a qu’une obsession : retrouver sa mère, et sa mémoire perdue. Commence alors pour elle un chaotique apprentissage, au sein d’un univers étrangement décalé, où la sécurité semble désormais totalement assurée, mais où les livres n’ont plus droit de cité.

Mon avis

« …..avec le livre, tu possèdes le texte. Tu le possèdes vraiment. Il reste avec toi sans que personne ne puisse le modifier à ton insu. « Ex libris veritas ». »

« Je me moquais un peu du contenu des livres. Ce que je recherchais, surtout, c’est le pouvoir qu’il m’accordait. J’arrivais grâce à eux à m’abstraire de ma vie. »

« Mais on ne choisit pas toujours, n’est ce pas ? Parfois, c’est le hasard qui décide pour nous. Ensuite selon les conséquences, on appelle ça la chance, ou le mauvais sort. »

C’est d’une écriture douloureuse, hachée, au phrasé rythmé que Blandine le Callet plante le décor.

Au début du livre, on souffre avec Lila, on a mal pour elle et les mots se choquent, s’entrechoquent pour montrer cette douleur.

Puis Lila apprivoise ses souffrances et nous ? Nous, nous apprivoisons l’écriture de Blandine le Callet, nous avançons pas à pas vers un mieux. Un mieux choisi, orchestré par une Lila qui a compris et qui fait comme si pour qu’on la laisse en paix.

Dans la suite du roman, il y a comme un apaisement dans l’écriture dû à la soumission.

Soumission de Lila a une vie (est-ce une vie ?) réglée, sans imprévu, sans improvisation, une vie où la place des anxiolytiques est primordiale pour vite se stabiliser dès que « ça dérape », dès que ça ne nous appartient plus … Une vie sans saveur, sans couleur (sauf le chat abyssin), sans contact …

Une vie où Milo sera le déclencheur … Une vie où le plus difficile c’est d’accepter l’inattendu …

Cela m’a fait penser à une phrase d’un poète (mais je n’ai ni le poète ni les termes exacts) qui disait en substance :

« Naître …. Vivre …. C’est accepter l’imprévu, l’inattendu, la rencontre … »

Roman d’anticipation ? Bien entendu mais peut-être pas tant que ça …

Nous connaissons tous des personnes qui ont, à portée de mains, ces petites pilules qui aident à accepter le quotidien. Nous sommes tous plus ou moins fichés, surveillés (pensez à ces téléphones portables qui donnent la liberté d’appeler d’où on veut et qui sont si facilement repérables …).

Avons-nous encore de la place pour l’inattendu, la rencontre … ou préférons-nous être « les maîtres » de notre vie et gérer tout comme nous le voulons ?

Ce qui est remarquable dans ce livre, c’est que par sa façon d’enchaîner les mots, les phrases, Blandine le Callet a su nous transmettre et faire vivre les états d’âme de Lila ….

"Topographie de la terreur" de Régis Descott

Topographie de la terreur
Auteur: Régis Descott
Éditions : L’Archipel (19 Janvier 2023)
ISBN : 978-2809846300
320 pages

Quatrième de couverture

Gerhard Lenz, commissaire à la KriPo à Berlin, doit enquêter sur une série d'assassinats dont les mises en scène semblent ritualisées. Une investigation qui le conduira dans le dédale des administrations du Reich et lui fera découvrir l'ampleur du programme d'euthanasie de masse gardé secret par les autorités...

Mon avis

Le combat d’un homme….

1942, Gerhard Lenz est commissaire à la KriPo à Berlin. Il se retrouve à enquêter sur des assassinats qui semblent mis en scène. Il s’interroge et essaie de comprendre les motivations du tueur. En parallèle, tout le programme d’extermination des juifs commence à lui peser. Il ouvre les yeux sur les horreurs perpétrées par le régime nazi, la volonté d’exterminer ceux qui ne rentrent pas dans la norme : juifs, homosexuels, etc…  Comme dans sa vie personnelle, il côtoie des personnes en danger, il prend de plus en plus conscience de la violence, de l’iniquité de ce « programme ». De par son activité professionnelle, il ne peut montrer son ressenti et il se doit de lutter, le plus discrètement possible, dans l’ombre, sans partager ses sentiments.

L’auteur le dit dans ses notes (au demeurant très intéressantes) en fin d’ouvrage, il a eu « pour ambition d’étudier le courage et les possibilités de résistance d’un individu face à une organisation ou un Etat totalitaire. » Beaucoup de ses personnages ont réellement existé et le contexte historique, riche et détaillé, plonge le lecteur au cœur de l’atmosphère de l’époque à Berlin. On se sentirait presque surveillé en lisant ! D’ailleurs on ressent parfaitement l’équilibre précaire dans lequel se trouve le commissaire, il est sans cesse sur le fil. Il réalise bien que ses supérieurs, voire ses collègues, ont des doutes sur sa probité envers le régime. Il fait tout pour rester de marbre, quelles que soient les circonstances, même dans les situations les plus délicates où il est à deux doigts d’être mis en face de ses actions considérées comme des faux pas graves. Ce qui est captivant dans ce roman, à la fois historique et polar, c’est de suivre l’évolution de cet homme. Au fur et à mesure de sa conscientisation, il devient plus proche de ceux qu’il aime, quitte à se mettre en danger, et il est de plus en plus humain. Au début du récit, on le sent tiraillé entre sa conscience et son cœur mais plus il avance dans ses constats, plus ses décisions se précisent, plus il assume ce qu’il pense. Je dirai qu’il n’a plus peur et qu’il devient l’homme qu’il a choisi d’être. C’est sa volonté profonde qui s’installe au fil des pages.

L’atmosphère lourde, chargée de suspicion, est parfaitement retranscrite. On sent le poids de la surveillance des nazis sur les hommes et les femmes qui essaient de leur échapper. C’est étouffant et très bien brossé. La peur suinte dans les pages, le mépris de ceux qui s’imaginent plus forts également. On découvre des hommes et des femmes qui agissent dans l’ombre, au péril de leur vie, pour en maintenir d’autres en vie, ils les cachent, les accueillent, les aident, parce qu’ils ne supportent pas l’injustice.

Les deux approches : l’enquête et le questionnement de Gerhard Lenz se complètent parfaitement, on ne sent pas de clivage entre les deux. Tout est lié et il y a un très bon équilibre dans le contenu qui mêle en plus des individus fictifs à ceux qui ont existé. L’écriture et le style sont fluides et accrocheurs. Il y a du rythme, des rebondissements. L’auteur n’en fait jamais trop, il présente avec précision les faits, analyse les émotions des protagonistes, nous communique leur peur, leurs espoirs, leur souhaits … J’ai aimé l’idée que certains, nés du « mauvais côté » se battent pour un monde plus juste, contre l’inacceptable, l’indicible. Tant qu’il y aura des hommes comme Gerhard, la petite fleur espérance vivra et on pourra croire en l’avenir. Et puis, les convictions que cet homme a fini par épouser, il a su les transmettre et si d’aventure, lui ne pouvait plus agir, d’autres reprendront la bataille et la rébellion continuera de s’organiser…. 

 

"Juste un coeur" de Virginie Rouquette

 

 

Juste un cœur
Auteur : Virginie Rouquette
Éditions : Le Livre Actualité (10 Novembre 2017)
ISBN : 9782754306348
178 pages

Quatrième de couverture

Antoine, trentenaire accompli voit un jour sa vie basculer quand on lui apprend qu’il va devoir subir une greffe de cœur s’il veut rester en vie…
Vaste sujet que celui du don d’organes qui a permis en 2015 à 5746 personnes de poursuivre leur vie. Une ode à la vie, au partage…
Les autres nouvelles traitent du couple comme « Ailleurs », « Les âmes sœurs », « L’autostoppeuse », de l’amitié, « Vingt ans après », de la maladie, « Parallèle 23° 26’ 14” de latitude nord », de sa ville natale Béziers, si chère à son cœur avec « Le retour aux sources ».


Mon avis

Voici un agréable recueil de nouvelles ayant toutes pour point commun : le cœur au sens propre et au sens figuré. Celui qui bat et nous permet de vivre mais aussi celui qui nous offre la possibilité d’aimer (vous savez avec l’expression : « je t’aime de tout mon cœur »), celui qu’on dessine, en marge de ses cahiers lors des premiers émois….

La première histoire est celle d’un homme qui suite à des problèmes cardiaques va se retrouver face à une seule solution pour vivre : la greffe…. Vaste débat que celui du don d’organes… Accepter de recevoir et vivre avec un « corps » étranger » ? Accepter d’être prélevé (ou que la personne aimée le soit) ? Comment gérer l’avant, l’après ?
C’est avec infiniment de doigté que l’auteur aborde ce sujet, et les dialogues qu’elle présente sont très réalistes.

Les autres textes sont plus légers mais restent très intéressants car ils ouvrent sur des questions nous renvoyant aux choix que nous aurions fait si nous avions été confrontés aux événements évoqués.

L’écriture et le style de l’auteur sont agréables, fluides, on se prend très vite d’affection pour les personnages qui sont ancrés dans un quotidien qui pourrait être le nôtre. On reconnaît des situations connues de près ou de loin…

J’ai beaucoup apprécié cette lecture et je trouve bien que Virginie Rouquette parle du don d’organes comme elle le fait, elle offre différents points de vue qui peuvent ouvrir sur des discussions en famille….


"Peace and Death" de Patrick Cargnelutti

 

Peace and Death
Auteur : Patrick Cargnelutti
Éditions: Jigal (7 Septembre 2017)
ISBN: 978-2-37722-015-1
344 pages

Quatrième de couverture

Y a-t-il eu un meurtre à la résidence pour personnes âgées Les Lilas ? C’est la première question que se pose la lieutenant Céleste Alvarez en se rendant sur les lieux aux aurores. Odette gît, fracassée, au bas d’un escalier auquel elle n’aurait jamais dû avoir accès. Comment a-t-elle pu arriver là en pleine nuit ? L’enquête s’annonce complexe et les témoignages plutôt flous : le personnel est surchargé de travail, quant aux autres pensionnaires, ils semblent tous un peu perdus...

Mon avis

Les histoires d’amour….

Elle a connu les années « Peace and Love » aux Etats-Unis, Colette…  Elle a vécu l’amour fou qui ne s’embarrasse pas de questions, qui profite de chaque instant, qui vit à fond « ici et maintenant »….Mais aujourd’hui, c’est une vieille femme qui  est installée dans une résidence de personnes âgées où elle occupe une chambre depuis qu’elle a eu un AVC. Les journées sont longues pour elle, alors, allongée sur son lit, ou assise dans son fauteuil, elle se souvient…. L’esprit vif, acéré, elle n’a rien oublié et nous voilà plongé à ses côtés dans un Ranch du Nevada où ses parents l’ont envoyée, puis dans les rues de Los Angeles, sur les routes menant au Canada…..

Mais voilà qu’Odette, sa voisine de chambre a disparu, elle est tombée dans les escaliers et elle est morte…. Pourtant les « pensionnaires » ne vont jamais dans ce coin de la maison…. Mais bon, c’est bien connu, parfois « ces petits vieux » perdent la tête et font n’importe quoi….

La lieutenant Céline Alvarez est dépêchée sur les lieux. Enquête de routine, une chute malencontreuse dans un coin peu éclairé… Oui, mais une porte, fermée à clés, menait en haut des marches et la mamie qui s’est rompue le cou, n’avait pas de trousseau dans sa poche….

Céline, c’est une femme, alors forcément, elle « sent les choses », a des intuitions, les couleurs lui parlent et là, dans cette demeure accueillant ces personnes en fin de vie, elle pense de « source sûre » qu’il faut creuser, que des éléments lui échappent, qu’elle n’a pas tout vu, ni entendu…..  Au grand dam de son chef et de son collègue Manu, entêtée, comme seules les femmes savent l’être, elle creuse, elle fouille, flirtant allègrement avec l’illégalité…. De plus, Colette l’intrigue et elle aimerait bien en savoir plus sur son passé, elle sembla douée pour cacher des choses, devenir transparente et se taire quand elle l’a décidé….

J’ai lu ce roman d’une traite et j’ai beaucoup aimé me promener d’une époque à une autre. En 1967, l’auteur a intégré dans son récit des éléments historiques comme la guerre du Viet Nam… On sent que les conflits entre les hommes ont provoqué des dommages collatéraux, et qu’au nom d’un idéal, certains étaient prêts à tout, on devine aussi qu’au nom de la liberté, certains jouaient les Robin des Bois …. En 2017, Céline est une femme actuelle, elle mange des kebabs, des pizzas, ne se préoccupe pas (trop) de son surpoids mais elle ne lâche rien côté boulot…. Le quotidien dans la maison de retraite est bien décrit avec ses travers, ses interventions minutées, ses employés plus ou moins disponibles, attentifs…. Là, on se rend bien compte que les « anciens » n’attendent plus rien …..

Patrick Cargnelutti émaille son récit de références musicales, littéraires, cinématographiques,  artistiques (peinture) ….Elles sont glissées et intégrées dans le contexte et il cite Eluard « MON » poète….. Savoir ce qu’écoute un personnage, ce que lit un autre, les rend plus humains, et cela apporte un plus à la lecture.

Me plonger dans l’histoire d’amour de Colette m’a fait rêver. C’est un amour fort, fou, qui renverse tout sur son passage, qui se nourrit de lui-même, où rien n’existe que le couple…. Et puis quelques pages plus loin, on retombe dans un rythme plus lent, à petits pas, au ralenti avec les anciens…. L’ambivalence entre le jeune couple souriant qui brûle la vie par les deux bouts, à la James Dean,  et ses papis et mamies qui sont aux portes de la mort est une grande force du texte et cela nous ramène à notre condition de mortels……

Un excellent premier roman et un auteur à suivre !

"Trafiquante" de Eva Maria Staal (Probeer het mortuarium)

 

Trafiquante (Probeer het mortuarium)
Auteur: Eva Maria Staal
Traduit du néerlandais par Yvonne Pétrequin.
Éditions du Masque (5 Mars 2014)
ISBN:9872702439357
287 pages

Quatrième de couverture

Il y a dix ans, Eva Maria gardait toujours une arme dans son sac à main. Un cadeau de Jimmy Liu, son patron, marchand d armes fantasque d origine chinoise ayant un faible un peu trop prononcé pour les jeunes escort-boys.
Rattrapée par sa mauvaise conscience après une mission qui tourne mal, Eva Maria décide de raccrocher et se réfugie dans une vie paisible, sans armes mais avec mari, maison et bébé. Dix ans plus tard, le souvenir de son ancienne vie revient la hanter. À travers ses réminiscences, Eva Maria nous entraîne alors dans les turpitudes de son passé.

Mon avis

Eva Maria Staal est le pseudonyme d’une auteur néerlandaise à succès qui a travaillé dans la vente d’armes pendant plus de quinze ans.

Il vaut mieux ne pas chercher à connaître la part d’autobiographie dans ce roman…

Alternant passé et présent (les chapitres sont numérotés pour l’un, portent un titre pour l’autre), nous allons découvrir les deux facettes d’une même personne «Eva Maria ».

Eva Maria trafiquante d’armes, dans un monde louche, flou et dangereux et Eva Maria en couple, mère de famille « rangée des voitures » ou du moins essaie-t-elle de s’en persuader ou de le faire croire tant le passé lui colle à la peau.

Le milieu des trafiquants d’armes est sec, rigoureux, pointilleux, on ne peut rien laisser au hasard tant on risque sa vie. Et si un grain de sable se glisse dans le rouage, tout peut voler en éclats. Quand on côtoie Eva Maria dans ses affaires » (elle est le bras droit d’un grand ponte, sa confidente, son « indispensable »), les scènes de l’auteur sont précises, ciblées, décrivant les faits, les éléments dans un style expéditif, du « vécu » sans fioritures. Une écriture composée de phrases courtes, de mots secs comme si l’urgence était de dire les choses comme elles sont sans chercher à analyser, à composer, à développer. L’action, rien que l’action et les écrits en pleine figure brutalement …

Que l’on soit au passé ou dans l’instant, la narration est la même : tout au présent et des phrases de peu de termes. Cela donne un effet particulier car on prend ce qui a été vécu auparavant comme des événements se déroulant « en direct ». L’urgence est donc omniprésente. Urgence de survivre dans cet entourage périlleux mais porteur d’adrénaline, où les rencontres et les événements sont surprenants lorsqu’Eva Maria trafique. Urgence de vivre dans le présent, de profiter de sa fille, de la vie quotidienne plus calme, plus posée, lorsqu’on la découvre dans sa nouvelle existence…Comme si la peur que les antécédents, cette autre vie qu’Eva Maria n’a pas pu oublier, ne se pointent et ne gâchent l’équilibre précaire dans lequel elle est maintenant installée.

Elle prend peu de recul, elle n’a pas le temps ou ne souhaite pas se poser et le rythme est soutenu, sans arrêt. On dirait qu’elle court, qu’elle « vole » d’un lieu à l’autre et avec elle les vocables glissent, sautent, s’en vont sous nos yeux … Cela dépose en nous un sentiment indéfinissable, l’envie de lui dire « stop », assieds-toi et offre toi la possibilité de parler, d’expliquer… Mais…lorsqu’on sait que ce livre est inspiré d’une histoire vraie, on peut légitimement se poser la question de savoir s’il n’est pas préférable de ne pas creuser, de ne pas aller trop loin, d’ignorer certaines choses… Est-ce un choix de l’auteur d’avoir opté pour cette « forme » ou est-ce que cela est dû au fait que certains passages de ce roman ont déjà été publiés et qu’il fallait faire court et incisif?

On pourrait penser que cet opus est froid et qu’on ne ressentira aucune empathie pour la femme qui hante les pages. Je ne crois pas. En effet, il me semble qu’il est nécessaire de s’approcher un peu d’elle (bien qu’elle se tienne à distance) et on découvre de temps à autre, dans le texte et entre les lignes, une femme fragile qui se pose des questions sur le monde où elle a vécu et celui où elle vit…Tout n’est-il que corruption, violence (sa fille harcelant une camarade reproduit-elle à son échelle, la cruauté des hommes ?) Il appartiendra à chacun de se faire son opinion…..


"La faute" d'Alessandro Piperno (DI chi è la colpa)

 

La faute (DI chi è la colpa)
Auteur : Alessandro Piperno
Traduit de l’italien par Fanchita Gonzalez Batlle
Éditions : Liana Levi (12 Janvier 2023)
ISBN : 9791034907106
466 pages

Quatrième de couverture

Un imposteur. Voilà ce qu’est devenu, à son corps défendant, le narrateur de ce roman. Oubliés le père fantasque, tendre et dépensier, la mère austère et impénétrable. Fini le couple parental dysfonctionnel, les disputes, les fins de mois difficiles, les vacances annulées. À présent c’est dans un milieu totalement différent qu’il évolue, sous une autre identité et sous la houlette du providentiel oncle Gianni, ténor du barreau, qui aimerait bien que son protégé tire une croix sur son passé et épouse complètement son mode de vie flamboyant. Et pourtant, toujours, souvenirs et fantômes du passé ressurgissent, tourmentant sa conscience, titillant son sentiment de culpabilité, l’incitant à reparcourir les étapes d’un itinéraire qui a fait de lui ce qu’il est…

Mon avis

À qui la faute ? C’est ma faute, ta faute … Et la culpabilité pèse, enfonçant ceux qui la ressentent. Il en sera question dans ce roman. D’abord présente en filigrane, elle explosera au fil des pages lorsqu’on avancera dans le temps. Accompagnant un jeune garçon vers l’âge adulte, le lecteur va découvrir comment il s’est construit, de mensonges en faux semblants, gardant une ligne qui n’est pas toujours celle qu’il aurait choisie.

Tout commence lorsqu’il est jeune, ses parents sont endettés, et la famille semble tout le temps en équilibre précaire. L’humeur est inégale car les adultes sont sans cesse sur le fil. Le père n’a rien de stable dans son activité professionnelle, sa femme semble tout gouverner. Tout ce petit monde ne côtoie pas le côté maternel de la famille dont on ne sait rien. Un jour, l’enfant va à la plage avec son père au lieu d’aller en cours… S’ensuit une dispute, forte, comme souvent le soir entre les deux adultes… On est face à un couple dysfonctionnel et un fils qui ne grandit pas trop mal malgré les difficultés.

Et puis, un jour, une rencontre dans une boutique, une femme qui parle à la mère. L’enfant réalise alors qu’il ne sait rien des cousins, cousines, oncles, tantes de la branche maternelle… Et là, un tsunami, l’arrivée dans sa vie de traditions juives, d’une ribambelle d’inconnus qui sont du même sang que lui. Il est perdu face à tant de nouveautés. Ces gens prennent de la place dans son quotidien et vont même, suite à un événement dramatique être très présent pour lui. Que faire ? Il n’a pas le choix, il doit faire avec et accepter le lien qui se crée avec cette nouvelle branche de la famille. Pas facile car ce sont les « Sacerdoti ». Ils portent leur patronyme comme un étendard, comme une identité « pleine » avec un vocabulaire qui leur appartient en propre et qu’ils inventent parfois. Est-ce de l’orgueil ? Une façon de s’affirmer ?

« La perception qu’ils avaient d’eux-mêmes et de leur tribu était tellement mégalomane qu’elle les poussait à transformer leur nom en substantif ou en adjectif selon les besoins. Ils disaient : ce n’est pas une attitude sacerdotesque. »

Comment s’intégrer et garder malgré tout ses racines, son identité ? Chez les Sacerdoti, être un homme signifie avoir toujours raison. Est-ce ainsi que le narrateur de ce récit envisage sa vie ? Au début, il subit, puis s’affirme de plus en plus en grandissant faisant des choix. Est-ce que ce sont les bons ? Et si non, à qui la faute ? Pourquoi a-t-il fait des erreurs ? Quel est le poids des influences ? Le lecteur suit l’évolution du personnage au fil des années, l’ambiguïté de ses sentiments face à cette nouvelle famille qui l’attire et l’énerve à la fois.

Alessandro Piperno a une écriture précise, juste. Il décortique les personnalités de chacun, donnant des détails pour mieux les comprendre. Les personnalités sont cernées avec précision, tous les individus sont présentés et décortiqués. L’analyse des relations familiales est savamment faite, replaçant chacun dans son contexte, avec ses faiblesses et ses forces.

J’ai apprécié cette lecture et trouvé important que l’auteur arrive à un juste équilibre, il n’en fait pas trop ni dans un sens ni dans l’autre, il ne surjoue pas les interprétations des faits. Tout est parfaitement dosé pour un livre marquant et pleinement réussi.


"Un piolet dans les mogettes" de Philippe Manjotel

 

Un piolet dans les mogettes
Auteur : Philippe Manjotel
Éditions : Les 2 encres (20 Novembre 2014)
ISBN : 978 2351686867
172 pages

Quatrième de couverture

Un meurtre aux Éprax, paisible centre de vacances qui respire au rythme de Chamonix, la célèbre station alpine, véritable sanctuaire des sports de montagne. Mais qui donc s'est acharné avec une telle sauvagerie sur Antoine Michon, industriel vendéen habitué du site ? Le célèbre commissaire Delmas, lui aussi en villégiature au pied des glaciers du Mont-Blanc, fait appel à son vieux complice de toujours, le détective Jo Risel.

Mon avis

Une comédie policière qui pourrait parfaitement être adaptée en téléfilm tant le lieu (un centre de vacances à la montagne) et le duo d'enquêteurs (tous les deux très différents mais aux réparties très amusantes et de bon aloi) sont bien « plantés » dans un décor et une ambiance très bon enfant malgré un assassinat.

Le commissaire Delmas, en vacances, pas très loin du lieu où s'est déroulé le crime, est appelé à la rescousse pour élucider cette affaire. Mais sa femme et ses enfants ne l'entendent pas de cette oreille, les congés en famille c'est sacré ! C'est là que le policier pense à son ami de toujours (que son épouse apprécie), le détective Jo Risel, dragueur, hâbleur mais efficace. Les voilà donc réunis pour leur plus grand bonheur et celui des lecteurs.

L'écriture de Philippe Manjotel est un vrai régal, vive, parsemée de pointes d'humour, elle est ponctuée de dialogues et de scènes qui font sourire. Pourtant le propos est grave, puisqu'un homme a été tué pendant une soirée festive. Dans ce lieu de villégiature, tout le monde se connaît depuis des années, tous ont l'habitude de passer du temps ensemble et chacun peut être soupçonné car le mort était loin de faire l’unanimité. Quelle femme pouvait être amoureuse et jalouse au point de l'occire ? Quel homme voyait en lui son rival et ne supportait plus sa présence ? Quelles raisons animaient celui ou celle qui a brandi « l'arme » pour prendre le risque et tuer ?

C'est pour dénouer tous les fils de cet imbroglio que nos hommes enquêtent, questionnent, furètent dans tous les coins, auprès de toutes les personnes susceptibles d'être mêlées à cette histoire.

Ils vont aller de découvertes en découvertes, nous entraînant sur des voies de traverse avant un final surprenant. 


"Le bal mécanique" de Yannick Grannec

 

Le bal mécanique
Auteur : Yannick Grannec
Éditions : Anne Carrière (25 Août 2016)
ISBN : 9782843377549
540 pages

Quatrième de couverture

Un soir de 1929, la prestigieuse école du Bahaus, à Dessau, a donné un bal costumé. C'était avant que les nazis ne dévorent l'Europe, c'était un temps où l'on pouvait encore croire au progrès, à l'Art et au sens de l'Histoire. Pendant ce bal, une jeune femme, Magda, a dansé, bu et aimé.

Quel rapport avec Josh Shors, animateur à Chicago d'une émission de téléréalité dont le succès tapageur mêle décoration d'intérieur et thérapie familiale ? Quel rapport avec son père, Carl, peintre oublié qui finit sa vie à Saint-Paul-de-Vence, hanté par les fantômes de la guerre de Corée et les mensonges d'une enfance déracinée ? Quel rapport avec Cornelius Gurlitt, cet homme discret chez qui on a découvert en 2012 la plus grande collection d'art spoliée par le IIIe Reich ?

Mon avis

Deux « livres » en un pour deux époques d’une même famille. Dans la première partie, le fils : Josh, s’exprime le plus souvent à la première personne. Il est responsable d’une émission « Oh My Josh » très connue et très « hollywoodienne ». Comme il le dit lui-même : « Je ne prétends pas apporter le bonheur aux familles candidates . Je cherche à faire naître l’espoir chez les autres. » mais le but annoncé est malgré tout de faire avancer des familles (le but caché sera, bien sûr, de faire de l’audience, mais je ne vous apprends rien….) en « nettoyant » leur maison et en les confrontant à certains choix (ils ne peuvent pas emporter grand-chose….

On le voit évoluer dans sa vie professionnelle et personnelle, chaque chapitre est introduit par le titre d’une toile ou d’un film. Habilement, l’art est au cœur de cet ouvrage, de plus en plus présent au fil des pages.

Dans la seconde partie, on repart dans le passé et on découvre le père de Josh, appelé Carl, il vit à Saint Paul de Vence et il est peintre. Leurs rapports ne sont pas simples : l’un en France, l’autre aux USA, le fils n’ayant pas suivi la carrière envisagée par son géniteur. Et là, on rentre au cœur d’une intrigue parfaitement bien pensée, mêlant avec doigté personnages ayant existé et d’autres imaginaires. Secrets de filiation, trésors cachés par les nazis, etc…

Ce livre est très bien construit, riche, très riche. L’auteur aborde l’art sous différents points de vue, faisant revivre certains artistes talentueux, créant des liens entre différentes générations…. L’écriture est belle, travaillée, le style fluide. J’ai aimé les parallèles entre les époques, les liens qui se nouent, se dénouent, le fait de découvrir le passé dans un « autre livre »….Ce recueil est une œuvre d’exception, tant par le contenu dédié à l’art que par la forme ainsi que le choix minutieux de chaque tableau ou film mis en exergue au début de chaque chapitre.


"L'adulte surdoué : Apprendre à faire simple quand on est compliqué" de Monique de Kermadec

 

L'adulte surdoué : Apprendre à faire simple quand on est compliqué
Auteur : Monique de Kermadec
Éditions : Albin Michel (5 octobre 2011)
ISBN : 978-2226238542
194 pages

Quatrième de couverture

Être surdoué est une richesse formidable pour réussir sa vie. Alors pourquoi y a-t-il tant d'adultes surdoués malheureux ? Pourquoi tant d'anciens enfants précoces sont-ils en situation d'échec social, professionnel et sentimental ? Pourquoi les femmes et les hommes à fort potentiel vivent-ils si mal leur différence ?

Mon avis

« Il a besoin de nourrir sa curiosité naturelle, de faire travailler son intelligence en la confrontant à des problèmes concrets, de trouver des solutions, d’échanger sur les questions qui le taraudent. »

Ce livre à l’écriture fluide, abordable et intéressante est une vraie mine de renseignements. L’auteur, psychologue clinicienne, présente les adultes surdoués. Elle explique que certains sont mal à l’aise avec leur « douance » et qu’ils ont besoin de comprendre leurs différences pour savoir pourquoi ils se sentent si souvent « décalés ».

Être un adulte surdoué signifie qu’on a été un enfant précoce en le sachant ou pas et que des forces et des faiblesses sont présentes. Parfois il est difficile de s’épanouir parce qu’on se connaît mal, qu’on ne cerne pas ce qui coince. Et quelques-uns se referment.

Elle donne des caractéristiques de ces personnes, évoque leurs réactions, leurs relations, leur fonctionnement. Il n’y a pas de solutions, mais des pistes pour aider ceux qu’on connaît qui sont dans ce cas ou s’aider soi-même. Parfois certains refusent cet état de faits et disent qu’ils sont simplement plus curieux que les autres … Il n’est jamais simple d’accepter d’être différent, de risquer d’être marginalisé, de ne pas se sentir bien.

L’auteur conseille de voir un psychologue, de parler, de partager, d’échanger.

L’atout principal de ce recueil est de donner une première approche, facile d’accès pour le lecteur qui pourra creuser le thème dans les ouvrages suivants.


"Freedom" de Jonathan Franzen (Freedom)

 

Freedom (Freedom)
Auteur : Jonathan Franzen
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne Wicke
Éditions : L’Olivier (25 Novembre 2021)
ISBN : 978-2823618631
752 pages

Quatrième de couverture

Et si Patty Berglund était la femme idéale ? Pour Walter, son mari, cela ne fait aucun doute. Épouse aimante, mère parfaite, Patty a tout pour plaire. Mais au fond, qu'en pense-t-elle ? En renonçant à Richard, ce bad boy qui se trouve être le meilleur ami de Walter, Patty a peut-être commis l'erreur de sa vie.

Mon avis 

« Bienvenue à Pattyland, le pays des erreurs ».

Formidable chronique sociale de cette Amérique qui a voulu, qui voudrait mais qui …. subit les conséquences de ses erreurs, de ses choix.
Bien entendu, se tromper, choisir, tout cela fait « grandir », il faut en tirer des leçons, mais forcément, le cours de la destinée de chacun en est changé…

Trois générations se côtoient dans ce roman, trois générations décortiquées dans un pays, une ambiance, une vie, des vies tout simplement …. . Chaque personnage est finement analysé dans ses relations, leur évolution, les sentiments qu’il éprouve : jalousie, égoïsme, envie(s), rêve(s) d’un jour ou d’une vie….
Non-dits, secrets, mensonges, apparences, action ou vérité comme le jeu des grands adolescents …. Tout cela est présent dans les 718 pages qui défilent, comme autant de flashes sur ces familles américaines qu’il nous ait donné de rencontre le temps d’un livre.
Vit-on pour soi ou pour les autres ? Quel impact le regard de celui qui est en face ou à côté de moi ? Quelle force peut-il me donner ou me faire perdre ?

« J’ai découvert où je voulais être, et avec qui je voulais être. » dit Patty dans son journal d’ « autobiographe » où elle parle d’elle à la troisième personne et qu’elle a écrit à la demande de son thérapeute.
Cette partie, appelée « Des erreurs furent commises » examine soigneusement, avec acuité ; le parcours de Patty, ses doutes, ses choix, ses sentiments, son analyse de ce qu’elle a fait ou pas et ce que cela a engendré pour elle et sa famille …
Car les choix d’une personne ont un impact plus important que ce qu’on imagine …

Ce journal, on le lit entre les pages 45 et 246. Puis à la page 590, dans une conversation avec elle, son mari Walter dit : -Des erreurs furent commises.
Un constat lourd, pas de reproches, pas de remarques interminables, juste ces quatre mots …. Titre du journal intime …

Quatre mots lourds de sens ….
Est-ce que nos erreurs sont plus difficiles à porter que nos choix ? Est-ce qu’elles nous obligent à faire le deuil de certains de nos rêves ?
Est-ce nous, vraiment, qui faisons des erreurs, ou parfois, la vie nous pousse-t-elle à prendre une direction pour ne pas faire souffrir les autres ? …. Tiens on en revient aux autres … Quel est le poids de tout cela ?

J’ai beaucoup apprécié ce roman, sa construction, son écriture.
Je l’ai trouvé dense mais très intéressant.
Il offre une assez bonne « peinture » d’un pays, à une époque précise, dans un milieu donné et soulève par ce biais, beaucoup de questions.

D’autres, avant l’auteur, se sont "frottés" à cet exercice difficile de parler d’un pays à travers différentes familles mais je trouve que Jonathan Franzen s’en sort plutôt bien car je ne me suis pas ennuyée une seule seconde !

"Demain les ombres" de Noëlle Michel

 

Demain les ombres
Auteur : Noëlle Michel
Éditions : Le bruit du monde (5 Janvier 2022)
ISBN : 9782493206367
322 pages

Quatrième de couverture

C’est un clan d’humains. Ils chassent et cueillent, ils naissent et meurent, ils habitent des tentes de peau, ils peignent sur la paroi des grottes, ils perpétuent les légendes de leurs déesses et dansent autour du feu les soirs de fête. Leur univers est une forêt nourricière et, hormis les grands froids ou la maladie, ils n’ont à redouter que la Bête, qui rôde aux abords d’infranchissables Confins. Ils ignorent qu’un tout autre monde existe au-delà. Cet autre monde, c’est le nôtre ou presque, couvert de villes grises de pollution et peuplé de Sapiens dont quelques-uns vont bientôt rencontrer leurs lointains cousins du clan Neanderthal…

Mon avis

Jusqu’où iront les hommes ? C’est la question, légitime, qui m’est venue à l’esprit en fermant ce roman. En effet, ce dernier nous présente des dérives scientifiques mises en place sous prétexte d’études…. On se dit que dans le futur, de telles choses pourraient se produire. Bien sûr, le progrès c’est magnifique, mais il faut savoir le gérer et certains, malheureusement, ne savent pas s’arrêter. Dans ce récit, l’auteur montre le danger des émissions de téléréalité, de la connexion à outrance, de l’envie de satisfaire des voyeurs. Elle montre le pouvoir des gens qui manipulent les autres, les influencent.

Cette dystopie est très intéressante, elle met en avant de nombreuses problématiques et pose des questions qui dérangent. De plus, elle est très bien construite avec des dates en début de chapitres qui nous donnent les bons repères. Le parallèle entre les deux « sociétés » est captivant. D’un côté l’espèce Neandertal qui a été recréée pour être observée mais pas que… Les « Néans » sont en vase clos, vont-ils évoluer comme leurs ancêtres ou différemment, et comment feront-ils face à des obstacles apportés de toutes pièces ? De l’autre côté, les « Sapiens », ceux qui ont « inventé » cet autre monde ou ceux scotchés derrière leurs écrans prêts à voter, à choisir, à intervenir devant ce « spectacle » qui les captive. Eux, ils sont hyper connectés, tellement « branchés » qu’ils ne choisissent plus leur vie alors qu’ils s’en imaginent maîtres. Ont-ils vraiment les rênes en main ?  Ou ne sont-ils que des éléments dont on tire les ficelles pour les inciter à agir ?

Ce récit est captivant, bluffant. Écrit d’une plume fluide et alerte, il nous embarque dans son univers dès les premières pages. Je n’aurais pas imaginé en lisant la quatrième de couverture, être à ce point « dans l’histoire ». J’ai vraiment pris fait et cause pour certains personnages, j’en aurais giflé d’autres tant je hais le double jeu, l’injustice, les hypocrites, les fabulateurs. Je sentais la colère m’habiter.

Noëlle Michel a énormément de talent, elle a réussi à mettre du rythme dans son texte, du suspense, et surtout elle nous pousse dans nos retranchements et nous envoie en pleine face, quelques interrogations qui interpellent. Où est la limite du jeu ? Qu’est-ce que je fais pour ceux que je rencontre, pour la nature ? Est-ce que j’ose dire stop ou non lorsque je vois des dérives ou est-ce que je me cache (ou tourne la tête) comme si je n’avais pas compris ? C’est parfois plus facile de « se laisser porter », de ne rien dire …

Par la façon dont elle amène les différents personnages et lieux, l’auteur, avec beaucoup de finesse et de doigté, « campe » deux groupes dont on pourrait dire que tout les oppose. Et pourtant, l’homme quelle que soit l’époque où il vit, ressent des émotions (même s’il ne les exprime pas de manière semblable). Il peut aimer, détester, avoir peur, être heureux et se réjouir d’un rayon de soleil qui le réchauffe.

J’ai apprécié ce qui s’est construit au fil des pages de ce recueil. Je me suis attachée à Lune Rousse, à Pierre Debout etc. Par-dessus tout, j’aime l’idée de l’amour qui peut bouleverser le cours d’une vie et peut-être changer le destin ….

"Dans les forêts de Sibérie" de Sylvain Tesson

 

Dans les forêts de Sibérie
Auteur : Tesson Sylvain
Éditions : Galimard (1er Septembre 2011)
ISBN : 978-2070129256
270 pages

Quatrième de couverture

 Assez tôt, j'ai compris que je n'allais pas pouvoir faire grand-chose pour changer le monde. Je me suis alors promis de m'installer quelque temps, seul, dans une cabane. Dans les forêts de Sibérie.
J'ai acquis une isba de bois, loin de tout, sur les bords du lac Baïkal.
Là, pendant six mois, à cinq jours de marche du premier village, perdu dans une nature démesurée, j'ai tâché d'être heureux.

Mon avis

« …peut-on se supporter soi-même ? »

Voilà une des questions que se pose Sylvain Tesson pendant ses six mois d’isolement volontaire dans une isba russe perdue dans la nature et le grand froid…

Retour aux sources du corps et de l’esprit qui se transforment pendant ce séjour où' l'auteur revient à l’essentiel : « célébrer la vie ». Un oiseau qui passe devant la fenêtre et c’est le bonheur …
Qui n’a pas rêvé de tout lâcher un temps et de partir (de préférence avec sa pile de livres ;-) seul, loin de tout ?

La société est ainsi faite que l’on est toujours dans la course, le rendement … alors prendre le temps, ce n’est pas toujours facile et il faut parfois « se forcer »…
Une « parenthèse » de six mois, ça vous change un homme, ça modifie le regard sur le monde et ça permet de faire le point …
Dans le journal de bord de cette aventure, Sylvain Tesson livre ses doutes, ses joies, ses craintes, ses peurs, mais aussi une excellente réflexion sur la condition humaine et le rapport à l’autre.

On peut regretter que la vodka ait une place prépondérante mais à chacun sa « drogue » (moi, je serais partie avec du thé… et que les beuveries semblent de temps à autre le seul moyen de vivre quelque chose de sympathique avec le peu d’hommes qu’il rencontre. Il y a aussi le fait qu’il parle peu de sa famille et que sur ce point de vue-là, on ne sache rien de son ressenti.
Mis à part ces deux « bémols », j’ai eu beaucoup de plaisir à lire ce récit.

Bien sûr, se pose la question : « Que reste-t-il de tout cela ? » Souhaitons, pour l’auteur, que ce soit le titre de la dernière partie de son livre : La paix…celle dont tout un chacun a besoin pour être en phase avec lui-même, puis avec les autres….

"Les mots nus" de Rouda

 

Les mots nus
Auteur : Rouda
Éditions : Liana Levi (5 Janvier 2023)
ISBN : 9791034907069
162 pages

Quatrième de couverture

Entre Belleville et la Brousse, Ben cherche sa place. Il traverse les années 90, les bouleversements du monde et les luttes sociales qui secouent le pays.

Mon avis

Rouda est né en 1976, à Montrieul. Chanteur, slameur, auteur-compositeur-interprète et poète français, « Les mots nus » est son premier roman. Et ce titre est très bien choisi. Cet homme a tout compris du « pouvoir des mots ». Ceux qui bercent, ceux qui détruisent, ceux qui crient la révolte, ceux qui parlent d’amour ou d’amitié, ceux qui blessent, ceux qui « poétisent » …. C’est tellement fort un mot….ça peut tout bouleverser sur son passage. Rouda les aime, leur permet de donner le meilleur d’eux-mêmes, il les chuchote, les hurle, les « slame » pour le plus grand bonheur du lecteur.

Dans les premières pages, une bande son pour accompagner la lecture.

Au début du récit, 1990, Ben a quatorze ans. Il vit en banlieue, va au collège. Ce n’est pas toujours aisé mais il s’accommode de sa vie et de ses parents. Chez lui, on parle peu, ni des autres, ni d’eux, ni de ce qui rend tristes.

« C’est juste que mon père n’a pas assez de mots. Et que ma mère ne sait pas dans quelle langue il faut lui parler. »

Pour passer le bac, il va dans un établissement sur Paris, ça permet de s’inventer une autre vie, de faire comme si, de rêver, de profiter d’un quotidien différent. Et puis, c’est la faculté, les rencontres, les influences pas toujours bonnes, il faut bien que jeunesse se passe…. Et un jour, Oriane, une fille exceptionnelle, qui illumine par sa présence et c’est la découverte de l’amour. Elle est raisonnable, elle apaise Ben, elle le comprend mais pour combien de temps …

« On ne peut pas changer le monde, Ben, mais il faut tout faire pour qu’il ne nous change pas. »

Ben sait bien que « La violence qui fait du bien n’est pas une manière d’être. » Pourtant certaines situations le révoltent. Alors pour calmer ses colères, il absorbe les mots, il lit, il prend des notes, il découvre ceux qui ont lutté avant lui. Il se sent solidaire des chômeurs, de ceux qui sont malmenés, incompris, oubliés…. Alors, comme les curés prennent l’habit, il épouse la cause des laissés pour compte. Il se battra avec ses failles, avec ses forces, avec ses armes, avec ses mots….

Ben, tu as raison d’y croire, mais ce ne sera pas facile, et peut-être que tout ça ne servira à rien mais tu l’auras fait, c’est ça ? Tu auras essayé ? Tu as besoin d’aller jusqu’au bout, de ne rien lâcher, pour être toi …

Ben n’était pas destiné à se trouver en première ligne des combats, mais c’est ainsi, c’est parfois violent la vie, ça fait mal, ça fait peur, et puis on se relève et on continue. Ben ne peut pas envisager d’abandonner alors jusqu’au bout …il porte l’étendard de la révolte….

Ben, c’est vous, c’est moi, c’est eux, c’est tous ceux qui, un jour, se sont levés, même une seule fois, pour dire stop !

Ce roman est bouleversant par la place qu’il donne aux mots. C’est une vague, un murmure, un cri, un tsunami. J’ai aimé les textes, en italiques, semés ça et là, ils rythment l’histoire, lui donnent une autre dimension. Parfois, les phrases elles-mêmes semblent être du slam et on a envie d’entendre l’auteur nous les dire. Qui sait ? Peut-être certaines d’entre elles deviendront une mélodie le temps d’un slam ?