"Piège mortel en haute mer" de Guillaume Lefebvre

 

Piège mortel en haute mer
Auteur : Guillaume Lefebvre
Éditions : Aubane (25 janvier 2023)
ISBN : 978-2492738883
312 pages

Quatrième de couverture

Lorsque le capitaine Armand Verrotier accepte de prendre à son bord Louise Charpentier, jeune journaliste prometteuse native de Saint-Valéry-sur-Somme, il est loin de se douter que la jeune femme n’est pas là par hasard. Après avoir infiltré lors de son dernier reportage le milieu du trafic de stupéfiants, elle est maintenant recherchée et son ami a été enlevé. À bord de l’Opale, le duo va devoir affronter bien des tempêtes.

Mon avis

Guillaume Lefebvre était capitaine de navire et ses romans s’inscrivent dans ce contexte qu’il connaît bien, avec un vocabulaire ciblé. Le lire c’est découvrir une intrigue policière mais également la vie sur un navire de quatre-vingt-onze mètres de long sur lequel le quotidien est gouverné par certaines règles et par un fonctionnement bien précis.

C’est sur l’Opale que va se dérouler l’essentiel de cette histoire et pour que le lecteur soit au plus près des événements, il y a régulièrement des QR codes qui permettent de découvrir différents lieux du bâtiment ou des actions liées à ses activités. J’ai trouvé cela très astucieux et surtout intéressant car on visualise plus facilement les scènes. C’est vraiment un atout pour ce livre de voir ces vidéos ! Elles ne sont pas trop longues et on replonge facilement dans le récit.

Louise, une jeune journaliste, est amoureuse de Mike. Elle possède un voilier pour ses loisirs et elle aime les sorties en mer mais elle a quelques difficultés financières à cause de cet achat. Mike lui propose de se faire de l’argent facilement et elle accepte. Il faut dire que le beau gosse sait lui parler et qu’elle est sous son charme. Récupérer des sacs de drogue avec son bateau, les livrer, toucher le pactole et ce sera fini. Louise n’est pas très à l’aise avec cette idée mais Mike sera avec elle et ça ira vite et après ce sera fini, elle se laisse convaincre…. Les choses tournent mal, le jeune homme est enlevé par les malfrats et Louise est perdue…. Elle ne peut quand même pas demander de l’aide à la police ! Elle veut pourtant retrouver son chéri. En accord avec la rédaction de son journal, elle se retrouve sur l’Opale, dirigé par le capitaine Armand Verrotier. C’est peut-être un moyen de solutionner son problème. Armand pense qu’elle veut écrire un article sur la vie à bord, il ne se doute pas que sa présence apportera des ennuis en cascade (il en déjà quelques-uns) et que tout ça va l’entraîner loin.

L’auteur montre la différence de navigation entre l’embarcation de loisirs et les paquebots utilisés pour le travail. Les repères peuvent varier, on ne dirige pas ces bateaux de la même façon ! Il faut énormément de synchronisation sur l’Opale. Les repos peuvent être aléatoires, chacun est obligé de se tenir à son poste et prend son rôle au sérieux. Le capitaine doit se montrer ferme mais attentif à chacun.

J’ai trouvé ce livre bien construit. L’auteur glisse le vocabulaire maritime avec intelligence et les notes de bas de page nous aident à cerner ce qui nous échappe. Il est dans son élément, il sait de quoi il parle et ça donne de la consistance à ses personnages, notamment Armand Verrotier dont il analyse les ressentis, les hésitations, les prises de décision avec finesse. La vie en pleine mer est loin d’être un long fleuve tranquille ! Sans trop nous plomber par des descriptions, avec quelques détails et les QR codes, on est vraiment au cœur de l’action et on ressent bien l’atmosphère à bord. J’ai réalisé que ce n'était pas si grand que je l’imaginais et c’est presque un huis clos quand on vit ensemble plusieurs semaines ou mois. Il est difficile de s’échapper pour souffler !

L’écriture et le style de Guillaume Lefebvre s’affirment de plus en plus et c’est un vrai plaisir de retrouver cette ambiance bien particulière qu’il instaure. On s’y croirait !

"Fatum" de Sylvie Callet

 

Fatum
Auteur : Sylvie Callet
Éditions du Caïman (12 Janvier 2023)
ISBN : 978-2493739063
234 pages

Quatrième de couverture

Issue des quartiers, Samia, une lycéenne de 15 ans, rêve en secret de devenir écrivaine. Depuis qu’Amar, son père, est parti au bled, sa mère Sabine peine à joindre les deux bouts, son frère Sohan se radicalise, sa petite sœur Myriam devient ingérable. Abby, sa meilleure amie, submergée par un drame familial, part elle aussi à la dérive.

Mon avis

Habiter une cité, c’est déjà être étiqueté, comme si sur le front un coup de tampon indiquait « banlieue chaude ». Alors forcément, pour ne pas faire mentir les clichés, les jeunes traînent leur « seum », causent argot, dealent éventuellement, font sauter les cours, et se cherchent. Faut dire que leurs parents triment : usine, ménages, pas le temps de dialoguer, de construire une personnalité, de vivre de bons moments en famille, pour peu que le père aime la bouteille et que la mère soit un peu « éteinte », ou soumise.

Cette histoire pourrait se passer à côté de chez nous, ou dans la ville voisine, elle a des accents de vérité, de réalisme qui fait mal, de peur, d’angoisse et parfois d’amour parce qu’il y en a là-bas également même s’il n’est pas toujours exprimé.

Dans ce roman bluffant, Sylvie Callet nous prend aux tripes, son écriture fait mouche que ce soit avec l’argot ou une langue plus soutenue teintée de poésie (pour un texte en italiques rempli d’une émotion exceptionnelle). Elle sait manier les mots, avec brio. Cela donne de la profondeur à son récit car chaque terme bien choisi apporte un éclairage sur une scène, la personnalité ou les ressentis d’un protagoniste ainsi qu’une fine analyse des maux de notre société.

Que fait-on pour accompagner ces jeunes, dont certains sont déjà à la dérive et ne trouvent qu’une façon d’exister : la radicalisation ? Dans « Fatum » (qui signifie fatalité, destin), le quotidien est difficile mais Samia a trouvé une échappatoire, une bouée, une bouffée d’air au milieu de ce qui l’étouffe. Sa voisine, une femme âgée muette, lui prête des livres et elle les dévore. Cela lui permet d’espérer d’autres possibles, de croire en un avenir meilleur, de compléter ses connaissances. Bien sûr, sa meilleure amie Abby se moque d’elle. Son frère, Sohan hurle que la lecture ce n’est pas bon pour elle. Lui, il s’est décidé, il va écouter Kévin, devenu Younès, qui l’entraîne dans ses dérives. C’est ça la vraie vie et il va surveiller sa frangine, même si, de temps à autre, il hésite, se demandant s’il a raison d’agir ainsi.

Les chapitres parlent tour à tour, de chaque adolescent qu’on suit dans ses journées. On assiste impuissant au rejet, aux manques de suivi, aux interrogations qui les rongent, aux essais de faire autre chose autrement, aux erreurs assumées ou non… C’est, malheureusement, souvent noir et très réaliste. Oui, c’est compliqué, parfois impossible, de s’en sortir quand on a déjà été catalogué. À quoi bon lutter, pour qui ? Pour quoi ?  Ces jeunes sont parfaitement présentés dans leurs failles, leur angoisse (même en « jouant aux grands »  ce sont des gamins), leurs envies d’exister par eux-mêmes sans savoir comment s’y prendre.

Cet opus m’a bouleversée, remuée. L’auteur a su me toucher. Elle aborde des sujets graves, mais elle laisse une infime lueur d’espoir. Et le fait que cet espoir soit lié aux livres le rend encore plus merveilleux quand on sait la place qu’ils tiennent dans nos vies, et sans aucun doute dans celle de Sylvie Callet.

"Nuit polaire" de Balthazar Kaplan

 

Nuit polaire
Auteur : Balthazar Kaplan
Éditions : Ab irato (4 juin 2021)
ISBN : 978-2911917776
294 pages

Quatrième de couverture

Nuit polaire est un thriller qui se passe en Antarctique, dans un futur proche, aux alentours de 2040. L’enquête d’Apollon Maubrey sur la disparition mystérieuse d’un homme emmène les lectrices et lecteurs au croisement d’enjeux scientifiques, géopolitiques et écologiques que nul n’aurait imaginé vingt ans plus tôt.

Mon avis

« Nuit polaire » est un thriller comme je les aime. Écrit d’une plume nerveuse et musclée, sans temps mort, dans une atmosphère feutrée, presque en huis clos, il m’a tout de suite captivée. On est aux alentours de 2040, ce n’est pas loin et tout est plausible. En Antarctique, sur la base polaire où tout est soigneusement organisé, un homme a disparu. Il semblerait qu’il se soit suicidé mais son corps n’a pas été retrouvé. Bizarre…. Apollon Maubrey est envoyé sur place, officiellement pour le remplacer mais il est également chargé d’enquêter discrètement afin de comprendre ce qu’il s’est passé.

L’histoire commence sur Concordia (qui existe réellement) haut lieu de recherches pour entre autres, les réseaux d’observation sismique et géomagnétique de notre planète. Été comme hiver, les température sont très froides mais en hiver, il se peut que personne n’ait le droit de sortir, même avec les combinaisons spéciales tant la baisse de degrés est dangereuse. Il y a une quinzaine de personnes en permanence, d’autres vont et viennent, un peu plus nombreuses aux beaux jours. L’horizon est blanc, tout est glacé tout le temps. Alors, la couleur est à l’intérieur …. Balthazar Kaplan en parle avec « poésie » pages 72 et 73.

Dans un espace aussi restreint, tout se sait, le moindre flirt, la plus petite sortie, les regards échangés savent en dire long ….Les « habitants » peuvent se sentir surveillés, ou totalement en confiance ou entre les deux suivant les situations. L’auteur montre bien comment les ressentis évoluent en fonction des événements, des rencontres, des contacts établis.

Le décor est original et Balthazar Kaplan l’a parfaitement « installé. On dirait qu’il est allé sur place ! De plus, il a dû faire un réel travail de recherches. Il intègre les noms de scientifiques, présentant leurs investigations et les glissant dans son intrigue. C’est très bien amené ! Il a dû également se renseigner sur les enjeux du réchauffement climatique car c’est abordé intelligemment. C’est assez bluffant, il a réussi à rédiger un texte équilibré ou de nombreux sujets sont évoqués. Les luttes de pouvoirs entre les pays, les problèmes de climat, de pollution ….

Les personnages sont bien campés. Je me suis attachée à Apollon, cet homme robuste qui a le désir profond de comprendre. Il observe avec acuité, il écoute, il fait de belles déductions et il a une espèce de force placide qui lui permet de s’imposer sans écraser les autres. Il me plaît bien !

J’ai apprécié le style de Balthazar Kaplan. Il arrive dès les premières lignes à nous scotcher aux pages tant c’est addictif. Il manie le suspense avec doigté. Et comme ce qu’il écrit m’a renvoyé à des interrogations essentielles, je vais me renseigner plus avant sur ce qu’il m’a permis de découvrir.

Avec quelques années d’anticipation, ce livre plaisant à lire, nous fait rêver avec ses paysages immaculés, nous divertit avec de l’action mais nous fait réfléchir à l’avenir ! Un recueil complet, abouti et une lecture qui m’a enthousiasmée ! J’ai hâte d’avoir la suite entre les mains !


"L'été où tout a fondu" de Tiffany McDaniel (The Summer that Melted Everything)

 

L'été où tout a fondu (The Summer that Melted Everything)
Auteur : Tiffany McDaniel
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par François Happe
Éditions : Gallmeister (18 août 2022)
ISBN : 978-2351782514
480 pages

Quatrième de couverture

Été 1984 à Breathed, Ohio. Hanté par la lutte entre le bien et le mal, le procureur Autopsy Bliss publie une annonce dans le journal local : il invite le diable à venir lui rendre visite. Le lendemain, son fils Fielding découvre un jeune garçon à la peau noire et aux yeux d’un vert intense, planté devant le tribunal, qui se présente comme le diable en personne. Cet enfant à l’âme meurtrie, heureux d’être enfin le bienvenu quelque part, serait-il vraiment l’incarnation du mal ? Dubitatifs, les adultes le croient en fugue d’une des fermes voisines, et le shérif lance son enquête.

Mon avis

Publié une première fois, en mai 2019, par les éditions Joëlle Losfeld (et traduit par Christophe Mercier), ce roman a été réédité chez Gallmeister après le succès de Betty du même auteur.

1984, Autopsy Bliss, est procureur à Breathed, une petite ville de l’Ohio. Il se pose beaucoup de questions sur la justice et son application, ne risque-t-on pas de faire des erreurs et comment les réparer si … ? Voulant se heurter au Mal pour, entre autres, mieux comprendre le Bien, il passe une annonce où il invite le diable. Drôle d’idée mais après tout, pourquoi pas ?

Le lendemain, le fils du procureur, Fielding (qui est maintenant âgé et nous raconte l’histoire) se trouve face à un jeune garçon, Sal, à la peau noire et aux yeux verts surprenants. Ce dernier lui dit qu’il est le diable. Autopsy pense que c’est un fugueur et l’accueille chez lui le temps que le shérif fasse des démarches pour que sa famille le récupère. Sal s’installe, presque comme un fils supplémentaire dans cette famille peu ordinaire.

L’atmosphère est lourde, on est en pleine canicule. De plus, depuis que cet adolescent est arrivé, il se passe des événements bizarres. Dans cette bourgade, le racisme, le sectarisme, l’intransigeance sont forts. Certains se cachent derrière la religion mais il n’y a pas de cohérence entre leurs actes et leur foi… Sal est un individu troublant, fascinant, pas seulement pour ceux qui le croisent dans la ville mais également pour le lecteur. Le lieu a de l’importance, on sent au départ une communauté soudée mais un grain de sable et tout s’écroule. Était-ce une union de façade ? Sal est-il le catalyseur qui fait que chacun se montre tel qu’il est réellement ?

Celui qui revient sur les faits passés, est maintenant un homme solitaire, limite asocial. Il a du recul, analyse le passé mais sans s’appesantir. Est-ce qu’un adolescent peut être le mal incarné ou l’apporter ?

De nombreux thèmes sont abordés dans ce recueil. Tiffany McDaniel ouvre des pistes de réflexion. Son écriture (merci au traducteur) lumineuse, puissante, donne de la profondeur à son écrit. Ses personnages, (celui de la mère de famille est très intéressant) sont captivants ; originaux. J’ai apprécié d’observer l’évolution de chacun, leurs failles, leurs forces et la façon dont ils s’y prennent pour avancer malgré les difficultés. J’émets juste un petit bémol sur l’année 1984, j’avais plutôt l’impression d’être trente ou cinquante ans en arrière.

NB : j’ai adoré le gâteau d’anniversaire des treize ans !

"Sur un arbre perché" de Gérard Saryan

Sur un arbre perché
Auteur : Gérard Saryan
Éditions : Taurnada (19 Janvier 2023)
ISBN : 978-2372581134
378 pages

Quatrième de couverture

Une seule seconde d'inattention et la vie d'Alice bascule : Dimitri, 4 ans, le fils de son compagnon, échappe à sa vigilance. En panique, la jeune femme part à sa recherche, mais elle est victime d'un grave accident. À son réveil, elle doit se rendre à l'évidence : l'enfant a été kidnappé. Rejetée de tous et rongée par la culpabilité, la « belle-mère négligente » n'a désormais qu'une obsession : retrouver Dimitri, coûte que coûte. Ignorant alors tous les dangers…

Mon avis

Avec ce nouveau roman, Gérard Saryan frappe fort. Si, au départ, on s’attend à quelque chose d’assez classique, on se rend vite compte que ça ne va pas être le cas.

Alice, enceinte, est en couple avec Guillaume, un homme qui a déjà des enfants, dont Dimitri, 4 ans. Lors d’un voyage où elle doit rejoindre son compagnon, Dimitri disparaît, échappant à sa vigilance en pleine gare. C’est l’affolement total et malgré les recherches rapides, l’aide des caméras de surveillance, impossible de retrouver le garçonnet. La jeune femme est désespérée, son couple bat de l’aile, la mère du bambin lui en veut… De plus, elle est victime d’un grave accident et a du mal à se remettre de tout cela.

Présenté comme cela, le récit semble parti pour ressembler à plein d’autres et bien pas du tout ! Il est habilement construit et plusieurs histoires, plusieurs entrées, vont s’enchevêtrer pour ne faire qu’un grand puzzle dont la dernière pièce sera une révélation magistrale.

J’ai trouvé très intéressant la façon dont l’auteur a organisé son texte pour nous entraîner sur différentes pistes, toutes plausibles et nous perdre sur des chemins de traverse. Il fallait y penser ! C’est assez alambiqué mais pas stupide du tout et ça fait peur…. C’est sans aucun doute le but recherché avec un thriller et c’est particulièrement réussi. Les motivations vont loin, au plus profond des mauvais travers des hommes. Gérard Saryan analyse finement les volontés et les choix des protagonistes qui ont de la consistance et pour lesquels chaque personnalité est étoffée. Il y a ce qu’il faut de rebondissements pour maintenir notre intérêt et notre désir de tourner les pages.

L’écriture est prenante, pas de temps mort, du rythme et de l’action mais pas que. En effet, l’approche psychologique des personnages est très fouillée et même plus que ça. Chaque ressenti nous interpelle, surtout ceux d’Alice, avec cette culpabilité sur les épaules, comme une chape de plomb. J’ai vraiment compris son combat pour la vérité, pour comprendre et retrouver son « beau-fils ». Elle ne lâche rien, elle en veut et n’hésite pas à se mettre en danger. C’est parfaitement compréhensible car elle souhaite « rattraper » sa faute.

Cette intrigue multiple est ancrée dans un contexte d’actualités, qui renvoie des questionnements au lecteur, qui nous bouscule, nous bouleverse, nous révolte également. C’est sans aucun doute la grande force de ce recueil, nous offrir tout un panel d’émotions !

 

"Enfants d’hier, parents d’aujourd’hui" de Jean-Pierre Wenger

 

Enfants d’hier, parents d’aujourd’hui
Auteur : Jean-Pierre Wenger
Éditions : BOD (16 décembre 2022)
ISBN : 978-2322447527
248 pages

Quatrième de couverture

Dans une France rurale et rude, la petite Blanche et sa soeur Marie doivent affronter le deuil de leur mère et subir la méchanceté intéressée de leur marâtre, sous l'oeil indifférent d'un père qui se tue à la tâche. Blanche, la plus fragile, sera marquée, dans son corps et dans son esprit, par ce désamour et les brimades d'une belle-mère n'éprouvant pas la moindre empathie. Comment, dès lors, va-t-elle pouvoir se construire et s'épanouir, de son adolescence meurtrie à sa vie de femme incomprise ?

Mon avis

Blanche et Marie sont deux petites filles qui vivent à la campagne auprès d’un père charpentier et d’une mère au foyer. Cette dernière, ne donnant pas d’héritier mâle, est « répudiée » par son époux. Le récit se déroule à une époque où il est essentiel d’avoir un garçon dans la famille. Maria, la maman vit seule désormais et voit ses filles de temps à autre. De santé fragile, elle décède et la nouvelle femme, Louise, doit prendre en charge les deux fillettes. Elle n’en a pas du tout l’intention, elle les trouve encombrantes, et puis à cause d’elles, elle a moins d’argent à dépenser et plus de choses à faire au domicile. Ce n’est pas comme ça qu’elle voyait les choses. La situation se dégrade rapidement, elle devient vraiment méchante avec les deux gosses. Comme le papa rentre tard, il ne voit pas ce qu’il se passe. D’autant plus qu’il a deux versions, celle des gamines et celle de sa conjointe et bien entendu, elles sont totalement différentes. Qui croire sans preuve ?

Dans ces familles rurales, les habitants sont des « taiseux » et quand on rentre épuisé par une journée de labeur, on n’a pas envie d’entendre des plaintes. Alors, le paternel va à l’essentiel : il veut la paix au sein de son foyer. À quel prix ? Les deux enfants vont-elles être entendues par cet homme ou va-t-il prendre fait et cause pour sa compagne ?

La communication est difficile, l’écoute encore plus, les voisins, les enseignants n’ont pas forcément assez « de pouvoir » pour s’opposer et dire ce qu’ils ressentent. Et puis, au nom de quoi se mêlent-ils de ce qui ne les regarde pas ?

L’auteur, avec une plume sûre, de qualité, entraîne le lecteur dans les pas de ses personnages, principalement Blanche et Marie. Elles grandiront, deviendront adolescentes puis femmes sous nos yeux. Les traumatismes de leur jeunesse vont-ils laisser des traces ? Peut-on passer outre les blessures et vivre paisiblement ? Quels liens peuvent-elles maintenir avec leur famille ? Est-ce que c’est facile de s’installer dans la vie et d’obtenir ce qu’on veut ?

« Elle mesurait la différence entre ses espoirs, ses rêves d’enfance et la réalité. »

Dans un récit très bien construit, sur plusieurs années et divers lieux, Jean-Pierre Wenger aborde des thématiques intéressantes. Au-delà de tout ce qui peut construire ou détruire un couple, une famille, il évoque également le rapport au travail et entre collègues, la confiance, la place des français à l’étranger. Il décrit avec intelligence les ressentis des protagonistes. Il « égratigne » ceux (ou celles…) qui imposent, décident, choisissent pour les autres. Il rappelle combien le respect de la parole donnée, l’empathie, le dialogue sont importants pour avoir des relations saines et positives, et qui permettent à chacun d’avancer avec sérénité.

J’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir ce roman. Je suis « rentrée » dedans, ressentant de la colère parfois, de la pitié, du soulagement ou de l’énervement à d‘autres moments, ce qui prouve que le texte est vraiment « prenant » et réaliste.

"Le soleil rouge de l'Assam" d'Abir Mukherjee (Death in the East)

 

Le soleil rouge de l’Assam (Death in the East)
Auteur : Abir Mukherjee
Traduit de l’anglais par Fanchita Gonzales Batlle
Éditions : Liana Levi (2 Février 2023)
ISBN : 979-1034907250
416 pages

Quatrième de couverture

Venu se désintoxiquer de son addiction à l’opium dans un ashram au cœur de l’Assam, le capitaine Wyndham ne pensait pas prendre précisément des vacances. Cependant il ne pouvait imaginer qu’en ce mois de février 1922, à l’autre bout de la planète, un fantôme surgi d’un lointain passé londonien reviendrait le hanter. Mais que peut bien faire cet escroc dans ce coin paumé où on ne trouve pas un whisky convenable à des miles à la ronde ?

Mon avis

C’est le quatrième roman que je lis de cet auteur et j’aime beaucoup retrouver ses personnages récurrents et l’atmosphère indienne de l’époque (ici 1922). Le récit est une fois encore installé dans un contexte historique riche, soigneusement intégré à l’intrigue, notamment par le biais des relations entre le capitaine Wyndham (un anglais exilé -par punition- à Calcutta) et son adjoint indien Satyendra. De plus, Abir Mukherjee a une écriture encore plus aboutie (merci à sa fidèle traductrice), et la construction de ce nouveau livre est intéressante ainsi que les thématiques abordées. C’est vraiment une réussite et la lecture, addictive, a été un vrai plaisir ! Je signale que cette nouvelle aventure peut être lue indépendamment des autres, même si lire dans l’ordre permet de voir l’évolution des protagonistes.

Prenons le capitaine Wyndham, que je commence à connaître. Pour des raisons que je n’expliquerai pas ici, il est de plus en plus dépendant à l’opium. C’est devenu un besoin et un élément de sa survie. Pourtant, réalisant qu’il sombre, il a décidé de combattre cette drogue et il vient se réfugier pour quelque temps dans un ashram dans l’Assam pour suivre une cure de désintoxication, laissant son boulot de policier de côté pendant cette période. Il est donc sans collègue, un peu incognito. Il aperçoit, à la gare, un homme qui lui rappelle une affaire survenue en 1905 mais il se croit en proie à une hallucination. Des faits bizarres l’obligeront à sortir de sa réserve.

Nous allons alterner d’un chapitre à l’autre les événements de 1905 (à Londres dans le quartier de Whitechapel avec un Sam débutant et plein d’illusions, presqu’un peu trop sûr de lui) et ceux de 1922 (au début, c’est surtout la lutte du policier pour se sortir de sa dépendance). Son collègue, Sat, arrivera sur la fin (c’est un peu dommage car les conversations entre les deux hommes apportent un plus).

J’aime beaucoup les périodes évoquées : 1905 avec la place des immigrants juifs dans l’East End, un coin pauvre où ils sont rarement bien accueillis tant la misère est présente, et 1922 avec les indiens qui essaient de se débarrasser de la domination anglaise (le RAJ britannique), les références à Gandhi… On découvre l’histoire et on comprend les réactions des habitants.

Les deux enquêteurs ont muri, leur collaboration et leur lien ont évolué. On sent qu’ils osent plus se parler, surtout Sat (quelle belle phrase de conclusion à la dernière page !). Les différentes personnes qui interviennent dans le récit sont bien décrites et les questionnements pendant les investigations ne sont pas neutres. Il y a une réelle réflexion sur ce qui a bien pu se passer tout en tenant compte du contexte et des individus rencontrés. Les deux hommes observent, déduisent, interrogent à bon escient et on sent que l’indien prend de l’assurance (comme son peuple pour se débarrasser du joug anglais). Il n’hésite pas à s’assumer et on a envie de le soutenir.

J’aime beaucoup le style et le phrasé, les choses s’installent, il n’y a pas pléthore d’actions mais pas un seul temps mort. Une quatrième aventure parfaitement maîtrisée et très agréable à lire ! Je suis fan d’Abir Mukherjee !

"Trois heures avant l'aube" de Gilles Vincent

 

Trois heures avant l’aube
Auteur : Gilles Vincent
Éditions Jigal (15 Février 2014)
ISBN :979-10-92016-50-5
270 pages

Quatrième de couverture

Prier pour le meilleur, se préparer au pire ! Quel lien existe-t-il entre Kamel, jeune Marseillais d’une vingtaine d’années, Sabrina, femme de ménage à Valenciennes, et Grégor, ouvrier d’abattage près de Lorient… Entre les tragédies de notre temps et les personnages laminés par le monde d’aujourd’hui se tisse la chronique d’une époque où les destins hésitent entre fuite, abandon et passage à l’acte… Touchée de plein fouet par ces affaires enchevêtrées, la commissaire Aïcha Sadia va, dans cette nouvelle enquête, basculer sous nos yeux de la force à l'anéantissement.

Mon avis

Des trajectoires désespérées mais ô combien humaines….


En très peu de pages, avec un froid réalisme, Gilles Vincent installe trois destins. Trois chemins, trois déchirements, trois choix de vie qui n’ont rien en commun, si ce n’est leur propre chaos qui finira par les rassembler au cœur d’un même lieu.

Maitrisant parfaitement les lignes sinueuses et torturées de la vie, l’auteur nous entraîne dans trois univers. Celui de Kamel, un jeune radicalisé, celui de Grégor, un ouvrier au bord du gouffre car son usine licencie et celui de Sabrina, une femme révoltée face à la pédophilie. Tous trois ne supportent pas ce qu’ils assimilent à de l’injustice. Marseille, le Morbihan, Valenciennes, trois coins de France, trois enquêtes, trois situations n’ayant, à la base, aucun point commun. C’était sans compter sur l’art de Gille Vincent qui ramifie et réunit au final ses trois trajectoires désespérées. Vous croyez que vous allez être perdus ? Que nenni !  Tout s’imbrique sans soucis et lorsque vous pensez que c’est terminé, que vous avez tout compris, un petit supplément vous rappelle que chez Jigal, les textes sont choisis et pèsent lourd.
Ce qui est écrit, c’est dur et c’est beau. Ça vous parle au cœur, douloureusement, mais ça vous met en émoi. Pourquoi ? Tout au long des pages, une tendre humanité transpire. On se dit que la résilience n’est pas loin, que le pardon finira par se faire jour, que …. mais ce n’est pas ça la vie, la vraie vie et si besoin le contenu des chapitres nous le rappelle….

- Ce qui me fait peur chez les gosses, c'est qu'on croit qu'ils nous ressemblent, mais en fait, on a tout faux.
- Et à qui ils ressemblent, alors ?
- A leurs blessures, patronne. Les gamins, c'est rien que des cicatrices maintenues en vie. Rien d'autre. Et ça, on a du mal à se le dire, parce que les blessures, c'est nous, les grands, qu'on en est responsables.


C’est avec des dialogues comme celui-ci, qu’on prend en pleine face les questions sous jacentes.  Ne sommes-nous pas, nous les adultes, responsables de la trajectoire de nos jeunes ? Est-ce que le « ici et maintenant » n’est pas intiment relié à « là-bas et hier » ? Qu’a-t-on raté pour qu’ils prennent cette route qui n’est pas la bonne ? Qu’est-ce qui la fera bifurquer ? Kamel et sa compagne font partie de ces jeunes qui se cherchent et qui cherchent une voie, un idéal, une raison d’être… Ils sont capables de tout pour ne pas perdre la face mais parfois une rencontre et ……

Face aux événements que nous découvrons, tous les enquêteurs vont tenter une course contre la montre, essayer d’enrayer le destin avant que le jour se lève, sauver ce qui peut l’être encore. Avec des mots percutants, des phrases courtes, tout prend vie sous nos yeux. Sur quelques jours, Gilles Vincent nous offre une intrigue des plus abouties.

J’ai énormément apprécié ce recueil, je l’ai lu d’une traite. Aïcha, la commissaire, terriblement attachante dans sa force et sa fragilité, était là, tellement « vraie » à côté de moi. Je l’imaginais avec Sébastien et j’aurais aimé qu’elle soit réelle. Les autres enquêteurs m’ont interpelée, comme d’ailleurs tous les personnages du roman. L’auteur a une force d’écriture, qui, en peu de mots, donne un excellent aperçu psychologique de chacun. Il les rend tellement palpables qu’on a l’impression que chacun nous murmure sa détresse au creux de l’oreille. On voudrait presque les prendre par la main pour les emmener loin de tous ces bouleversements…. Et on reste là, terriblement impuissant, pourtant on veut encore espérer en l’homme….comme Aïcha dans les dernières pages.  Alors avec elle, j’aime à croire que, peut-être, au bout d’une des routes de certains des protagonistes de ce roman, la terrible désespérance deviendra espérance….et que le ciel, si sombre, s’éclaircira…


"Mort suspecte à Ho Ho Kus d'Aloysius Wilde

 

Mort Suspecte à Ho Ho Kus
Auteur : Aloysius Wilde
Éditions : ‎ Independently published (7 novembre 2022)
ISBN : 979-8362585334
268 pages

Quatrième de couverture

June Rivière décède de mort suspecte dans un hôtel d’Ho Ho Kus une petite ville du comté de Bergen. Quelques jours plus tard Jack Wells, son concubin échappe à une tentative d'assassinat à l’hôpital psychiatrique d’Harlem. Deux équipes d’inspecteurs à tempérament ratissent le terrain à la débroussailleuse pour mener l’enquête.

Mon avis

June Rivière est décédée et juste avant de mourir, elle avait téléphoné à son conjoint Jack Wells. Mais ce dernier ne sera d’aucune aide. Il est retrouvé dans son appartement en état de sidération, incapable de communiquer. C’est une psy qui va essayer de débloquer tout ça. En parallèle une enquête est mise en place pour comprendre ce qui est arrivé à June.

 Aloysius Wilde a une écriture vivante, fluide, pleine de pointes d’humour, parfois un peu cash mais très enlevée, dynamique. Les dialogues sont drôles (notamment avec Ulysse), les scènes parfois désopilantes et l’intrigue (dont une partie est liée au COVID) est bien pensée.

Cet auteur me surprend toujours, parce que sous des dehors légers, il a beaucoup de vocabulaire et de connaissances. Il n’est pas du tout superficiel. Il sait manier le suspense, entraîner le lecteur sur de fausses pistes avant de relier le tout intelligemment.

Les protagonistes ont des personnalités bien définies, avec des traits de caractère qu’on repère assez bien. Alicia Harris, inspectrice est un personnage récurrent de l’auteur. Elle est « sans filtre », brute de décoffrage mais bigrement futée. Parfois, elle exagère, on a envie de lui dire de mettre les formes, d’être plus délicate mais ce ne serait pas elle et finalement même avec son tempérament d’entêtée on l’aime beaucoup !

C’est un roman bien construit avec des repères sur le lieu et le jour au début de chaque chapitre. D’habiles retours en arrière éclairent le présent et aident à comprendre le comportement de chacun. Il n’y a pas de temps mort. On pourrait croire que ça part dans tous les sens mais on ne se « perd » pas du tout et tout s’emboîte à la perfection comme un bon puzzle.

J’apprécie l’univers d’ Aloysius Wilde, et en plus je découvre plein de choses sur le surf qu’il intègre très souvent à ses récits !

Mort Suspecte à Ho Ho Kus est un recueil addictif qui se lit avec grand plaisir !

"La dernière ville sur terre" de Thomas Mullen (The Last Town on Earth)

 

La dernière ville sur terre (The Last Town on Earth)
Auteur : Thomas Mullen
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Bondil
Éditions : Rivages (4 janvier 2023)-2006 en langue originale
ISBN : 978-2743658441
560 pages

Quatrième de couverture

1918, État de Washington. Au cœur des forêts du Nord-Ouest Pacifique se trouve une ville industrielle appelée Commonwealth, conçue comme un refuge pour les travailleurs et les syndicalistes. Le président Wilson a fait entrer son pays dans la Première Guerre. Mais une autre menace s'est abattue sur la région : la grippe espagnole. Lorsque les habitants de Commonwealth votent en faveur d'une quarantaine, des gardes sont postés sur l'unique route menant à la ville. Philip Worthy aura la malchance d'être en service lorsqu'un soldat se présentera pour demander l'asile.

Mon avis

Magistral ! Encore du très grand Thomas Mullen ! Avec lui, pas de rebondissements à outrance, d’actions sans arrêt mais une atmosphère qui s’installe durablement et des personnages dont la psychologie est finement étudiée.

On est en 1918, Commonwealth est une ville où il fait bon vivre. Elle a été conçue par Charles, il a installé la scierie où les ouvriers sont rémunérés et reconnus à leur juste valeur. Chaque salarié peut avoir un logement et construire une famille. Mais voilà qu’en plus de la guerre, la grippe espagnole est annoncée et tout le monde sait qu’elle fait de terribles ravages. La première bourgade est à vingt-cinq kilomètres, alors se confiner le temps de laisser passer le virus semble une solution plutôt pas mal. D’autant plus qu’à Commonwealth, rien ne manque : école, épicerie, médecin et hommes courageux, tout est là !

Voulant le soutien de la majorité, une réunion est mise en place et chacun peut donner son avis. Finalement, c’est oui, personne ne devra rentrer, ni sortir pendant quelque temps, histoire que la pandémie ne les touche pas. Des tours de garde sont organisés et Philip, un jeune homme de seize ans veut aider. Il est associé aux volontaires, notamment à Graham son ami plus âgé. La quarantaine ne devrait durer qu’un mois, tout au plus deux. Ils ont de quoi manger et rattraperont le travail plus tard.

Vu comme ça, cela paraît simple, un mauvais moment à passer, et peut-être pas si mauvais qu’on l’imagine puisqu’on restera entre personnes de connaissance. Et c’est là que l’auteur réussit un récit captivant. Il démontre combien ce presque huis clos modifie les rapports humains. Au début, tout est facile et puis une réflexion, une remarque et on peut se méfier du voisin, des décisions prises en remettant en cause leur légitimité. Le déclencheur ? Un homme qui arrive de la plaine, de l’extérieur et qui demande de l’aide, gîte et couvert…. Que faire ? Le chasser, l’accueillir en le tenant à l’écart ? Les ressentis ne sont pas les mêmes et il est pourtant nécessaire d’agir dans un sens ou un autre. Et une fois le choix fait, ne pas se laisser envahir par les questions, les regrets… Et tout cela peut être lourd de conséquences ….

Avec beaucoup de finesse, l’auteur décrypte les liens de cette communauté, leur évolution au fil des jours, des semaines.

« Tant de choses avaient changé depuis la quarantaine. Au coin des rues, les gens étaient peu loquaces, sur le pas des portes, les conversations vite interrompues, de brefs signes de tête remplaçaient les poignées de main. »

Les habitants n’osent plus sortir, la peur se diffuse même si personne n’est malade. La moindre toux, le plus petit reniflement…. Tiens ça ne vous fait penser à rien ? Bien sûr, on peut faire un parallèle avec le COVID. Lui aussi a modifié les relations entre les personnes. Mais attention, la parution de cet ouvrage en langue originale date de 2006 !

Dans ce roman, une réelle réflexion sur la guerre, les peurs humaines qui transforment les hommes, est menée. Le contexte historique est intéressant. Avec son écriture profonde, porteuse de sens, Thomas Mullen aborde différents thèmes avec brio. Une fois commencé, on n’a qu’un souhait : tourner les pages et suivre les protagonistes, attachants pour la plupart. On les comprend dans leur complexité, leurs interrogations, leur faiblesse, leur force…. Philip, Elsie et quelques autres sont charmants et j’ai eu du plaisir à les découvrir et à passer du temps avec eux.

J’ai été captivée par ce livre du début et à la fin !

"Sans un bruit" de Paul Cleave (The Quiet People)

 

Sans un bruit (The Quiet People)
Auteur : Paul Cleave
Traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Fabrice Pointeau
Éditions : Sonatine (10 Novembre 2022)
ISBN : 978-2355848940
496 pages

Quatrième de couverture

Auteurs de thrillers écrits à quatre mains, Cameron et Lisa Murdoch jouissent d'une confortable notoriété à Christchurch. Certes Zach, leur fils de sept ans, peut être difficile à vivre, mais Cameron et Lisa font face, s'arment de patience. Jusqu'au jour où Zach disparaît en pleine nuit. Fugue ? Enlèvement ? Les Murdoch sont bouleversés, prêts à tout pour retrouver leur fils. Mais lorsque les médias s'emparent de l'affaire, une vidéo fait surface : Cameron, visiblement excédé par une crise de Zach, emportant son fils sous son bras pour le jeter dans la voiture. Et le doute, lentement, s'insinue dans les esprits …

Mon avis

Dans des interviews, Cameron et Lisa Murdoch se sont plusieurs fois glorifiés d’être capables de réaliser le crime parfait… Normal, ils sont auteurs « à quatre mains » de romans policiers et thrillers. Peut-être auraient-ils mieux fait de se taire. Parce que leur petit Zach, un bambin de sept ans a disparu. Et une vidéo, montrant le père en train de « brutaliser » son enfant, vient d’être dévoilée. Il faut dire que Zach n’est pas un enfant facile. Probablement autiste, il a des troubles de caractères et de la personnalité. La police le sait bien, quand on cherche les coupables, ils sont souvent sous votre nez. Tout semble accuser le père, voire les deux parents….

Kent et ses collègues mènent l’enquête. Et effectivement tout incite à penser que le couple a voulu d’une part se faire de la pub, d’autre part se débarrasser d’un gosse pénible. Les voisins, les médias se mobilisent contre eux et c’est l’engrenage. Dans ce récit mené de main de maître, Paul Cleave montre le rôle de la presse, de la télévision, des influenceurs qui peuvent retourner une information et pire la transformer. Ces écrivains sans histoire étaient-ils aussi unis qu’ils tiennent à le faire croire ? Ne cachent-ils pas des failles, des fissures ? Kent et ses coéquipiers cherchent des preuves de leur culpabilité et les investigations piétinent. Chaque avancée peut être remise en cause dans les heures qui suivent.

Tout se déroule sur peu de temps et le lecteur sent l’angoisse augmenter au fil des pages. L’écriture est addictive, prenante, fluide (merci à Fabrice Pointeau, le fidèle traducteur). Les personnages sont assez ambigus pour qu’on se questionne sur leur honnêteté. Veulent-ils vraiment résoudre l’affaire ou faire le buzz ? Tous sont concernés par cette remarque.

J’ai pris plaisir à cette lecture et je n’ai pas ressenti de temps mort, même si ce n’est pas le meilleur recueil de Paul Cleave.

"L'enfant perdu" de John Hart (The last Children)

 

L’enfant perdu (The Last Child)
Auteur : John Hart
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sabine Boulongne
Éditions : Jean-Claude Lattès (2 Juin 2010)
ISBN : 978-2709634168
500 pages

Quelques mots sur l’auteur

John Hart est lauréat de l’Edgar Award et l’auteur de deux best-sellers couronnés par le New York Times, Le Roi des Mensonges et La Rivière rouge.
Ses livres ont été traduits en vingt-six langues et publiés dans plus d’une trentaine de pays. Ancien avocat pénaliste, il a également exercé les métiers de banquier, d’agent de change et de mécanicien d’hélicoptère.

Quatrième de couverture 

Un soir, alors qu'elle rentrait chez elle, la jeune Alyssa Merrimon disparaît. Un an après, Johnny, son frère jumeau, fouille toujours leur petite ville de Caroline du Nord, rue par rue, s'introduisant chez des hommes soupçonnés de comportements déviants, au risque de se faire prendre. Clyde Hunt, le policier chargé de l'affaire, le surveille discrètement, tout comme sa mère qui reste inconsolable. Mais la disparition d'une deuxième fillette, suivie de plusieurs découvertes macabres vont ébranler toute la petite communauté et menacer Johnny.


Mon avis :

« Le mal ronge sans doute le cœur des hommes. »


Dans le monde des romans policiers, le thème de la disparition d’un enfant n’est pas nouveau.
Mais celui d’un enfant de treize ans, jumeau de la disparue, menant l’enquête, est pour le moins un concept original qui change des trames habituelles.

Johnny prospecte, observe, décortique, note tout ce qu’il peut, obsédée par la disparition de sa sœur Alyssa et bien décidé à la retrouver.
Parallèlement, Hunt, chargé de l’affaire, qui s’est attaché à cet enfant tenace, reste lui aussi les sens en éveil dans l’espoir de résoudre un jour ce mystère.
Un an après le drame, chez lui, son bureau est encore envahi de toute la paperasse se rapportant à cette tragédie et il consacre tout son temps libre à lire, relire ses notes et les comptes rendus dans l’espoir de découvrir ce qui lui a, peut-être, échappé. Sa femme l’a quitté car elle a considéré qu’il consacrait trop de temps à ses recherches.

Comme Johnny, il ne vit plus que pour « ça »

L’enfant et le policier évoluent au gré des rencontres, des découvertes. Nous nous accrochons à leurs pas, bufflés par tant de volonté, de ténacité, de soif de comprendre.

Tout au long des cinq cents pages, divers thèmes vont être abordés de façon subtile : la rédemption, le racisme, l’amitié, la place de la foi dans la vie (suffit-il de prier Dieu pour être exaucés ?), les relations avec ceux « qui restent » lorsque quelqu’un disparaît, « l’enfance volée », l’amour maternel défaillant, la violence familiale, la culpabilité, le remord ….

En suivant le combat de Johnny, aidé de Jack, son fidèle ami, on voudrait qu’il soit « un vrai enfant », avec des yeux remplis d’innocence, dormant d’un sommeil léger, jouant au lieu d’errer à la recherche de sa sœur, laissant cette tâche aux adultes …. Mais Johnny n’est pas un enfant ordinaire, la rencontre avec l’horreur l’a fait grandir trop vite et la maturité est là …. Il veut y arriver, il veut comprendre, quels que soient les moyens, il est prêt à tout, même s’il doit souffrir….
« Le corps de Johnny tomba en panne. Sa poitrine oublia de bouger et tout vira au noir à la périphérie de sa vision. »….
sans doute pour vivre à nouveau, car sa vie, il l’a mise entre parenthèses …..

Dès les premières pages, j’ai été happée par l’écriture forte et douloureuse de John Hart, le poids des mots s’imprimant au fer rouge en moi ; par la puissance psychologique des personnages, l’intensité de leurs relations ; par l’humanité se dégageant de Hunt malgré sa fragilité ; par la gravité de Johnny malgré son jeune âge ….
En quelques pages à peine, « ils » étaient là « présents » dans mon quotidien, je ne pouvais plus les lâcher ….

Bien sûr, ce livre a quelques faiblesses :
des situations qui sont un peu surprenantes, avec des personnes qui sont là au bon moment, comme par hasard, laissant envisager un bon nombre de coïncidences ;
une intrigue peut-être pas assez « consistante » au goût de certains …
mais cela n’enlève rien à la valeur de cet excellent polar qui prend aux tripes et qui se lit d’une traite.

Je me suis posée la question de savoir si j’avais été touchée par cette lecture parce qu’il s’agissait d’un enfant cherchant sa sœur et que ceci signifiait qu’en tant que femme, ma corde sensible vibrait plus ….
Après réflexion, je ne crois pas, je pense qu’homme ou femme, chacun de nous sera ému, bouleversé par le combat de Johnny ; sera impressionné par la puissance de l’écriture donnant envie de retrouver très vite cet écrivain ….


"Le cimetière de la mer" d'Aslak Nore (Havets kirkegård)

 

Le cimetière de la mer (Havets kirkegård)
Auteur : Aslak Nore
Traduit du norvégien par Loup-Maëlle Besançon
Éditions : Le bruit du monde (2 Février 2023)
ISBN : 978-2493206237
514 pages

Quatrième de couverture

La famille Falck compte parmi les plus puissantes de Norvège. Le suicide de Vera Lind, la matriarche de la lignée, pourrait toutefois entraîner l'effondrement de leur empire : elle laisse derrière elle un testament disparu et convoité, ainsi que de nombreux mystères. Comme celui qui entoure la fin de sa carrière d'écrivaine à succès. Sasha, sa petite-fille, part alors à la recherche du dernier manuscrit de sa grand-mère, resté inédit, au sein duquel celle-ci aurait raconté le naufrage d'un express côtier qui a sombré pendant la seconde guerre mondiale, entraînant avec lui les secrets de sa jeunesse.

Mon avis

« Le cimetière de la mer » est un excellent roman et je comprends qu’il ait été traduit dans de nombreux pays. Il offre une approche sociale, une saga familiale et une enquête. Les événements se déroulent principalement en Norvège où une riche famille (on a un arbre généalogique en fin de livre) est à la tête d’une société importante, la fondation SAGA. Il y a Vera la grand-mère, Olav son fils, et les trois enfants de ce dernier dont une fille qui est mariée et mère de famille. Vera et Olav ont échappé, lorsqu’il était bébé, à un naufrage, pendant la seconde guerre mondiale, où l’époux (et père) a disparu. Un traumatisme important pour la jeune femme de l’époque. Elle n’a jamais réussi à en parler aux siens car c’était trop difficile.

Un jour, Vera se suicide, personne ne comprend son geste. Son testament a disparu et tout le monde s’interroge. Les tensions avec les descendants « non directs » s’installent. Apparemment, l’aïeule aurait laissé un manuscrit (elle était écrivain mais avait arrêté depuis longtemps) à son éditeur. Un texte dans lequel elle présenterait des « vérités » soigneusement cachées et tues depuis des années. Elle-même était dans l’obligation de ne rien dire ….    Sasha, sa petite-fille, responsable des archives de la fondation, veut comprendre son geste, connaître son histoire. Elle est troublée par l’attitude de son père, Olav et par quelques décisions qu’il a prises et dont elle prend connaissance. Elle décide de mener l’enquête et de retrouver l’écrit de sa Mamie. Elle va être aidée par un homme qui réalise des interviews mais qui a été également lié à certains actes au Moyen-Orient.

Mêlant habilement secrets de famille, politique ainsi que faits de société, ce récit est prenant et une fois commencé difficile de le lâcher. La mise en abyme du texte testamentaire de la grand-mère est parfaitement intégrée à l’histoire. De nombreuses personnes ont des choses à cacher, et se protègent des investigations de Sasha. Certains penseront qu’il n’est jamais bon de remuer le passé mais a-t-on le droit de construire sa vie sur des bases faussées ? Je comprends Sasha qui veut savoir, quitte à remettre en cause ses certitudes, à ne pas faire confiance à ses proches, à être obligée de se mettre en porte-à-faux avec sa famille.

Il est toujours dangereux de sortir « les cadavres des placards », mais c’est à ce prix-là que la paix peut revenir dans l’esprit de Sasha. J’ai admiré sa ténacité, son amour pour cette grand-mère qui la porte afin d’avoir des explications sur sa vie, ses choix, ce qu’elle a voulu, ce qu’elle a subi. Plus le lecteur avance dans les chapitres, plus il découvre ce qui a été dissimulé et les ramifications sont nombreuses, notamment dans le passé, avec le gouvernement ou autre. Ces gens étaient-ils aussi honnêtes qu’ils voulaient le faire croire ?

Aslak Nore est journaliste (il l’a été dans les forces norvégiennes en Afghanistan et les forces américaines en Irak), éditeur, écrivain… C’est sans doute un homme qui a énormément d’expérience ce qui explique un recueil bien construit, foisonnant, complet, intéressant et captivant. Son écriture (merci à la traductrice qui a un bien joli prénom) est puissante, elle porte à la fois un souffle romanesque et une excellente observation des relations humaines tant professionnelles que personnelles. L’atmosphère est norvégienne, il fait froid, les individus ne se confient pas facilement et les paysages sont dépouillés.  Les protagonistes sont bien détaillés, ils ont souvent une part d’ombre et ne sont pas sereins. Ce récit reprend l’histoire des Falck sur plus de cinquante ans et on peut observer l’évolution de certains membres. Les pages s’enchaînent toutes seules, sans temps mort, les révélations distillées ça et là maintenant notre intérêt jusqu’à la fin. 

Une lecture comme je les aime, avec de la profondeur et un déroulé sur plusieurs générations.

NB: et une couverture magnifique !


"Les Malvenus" d'Audrey Brière

 

Les malvenus
Auteur : Audrey Brière
Éditions : Seuil (3 Février 2023)
ISBN : 978-2021513240
356 pages

Quatrième de couverture

1917. Alors que la Première Guerre mondiale fait rage, un homme est retrouvé mort en Bourgogne. Ici, bon nombre des habitants ont grandi sans autre père et mère que les religieuses du majestueux couvent des Ursulines. C’est le cas de l’inspecteur de police Matthias Lavau. La victime aussi est un ancien des Ursulines : Thomas Sorel, bien connu dans les alentours, et presque unanimement détesté… Matthias et son assistante Esther vont devoir démêler les racines du Mal …

Mon avis

1917, un village en Bourgogne. Pas loin, un prieuré avec des religieuses. Des Ursulines qui élèvent des orphelins et des orphelines. Beaucoup se sont installés dans la bourgade, près de l’endroit où ils ont grandi donc tous ou presque se connaissent….

Mélanie, mère de Jeanne, découvre un matin, son gendre dit TS, ancien pensionnaire des Ursulines, sauvagement assassiné dans sa cave. Il était détesté de beaucoup, pour ne pas dire de tous (même de Jeanne son épouse) et il était le bras armé du maire, un homme qui fait peur. Même mal aimé, il est important de trouver qui a tué et c’est un copain d’enfance, sans parents lui aussi, à qui est confié l’enquête. Il s’appelle Matthias Lavau et il est aidé d’Esther Louve, une jeune femme à qui il confie quelques tâches car il craint le sang. L’atout principal de l’inspecteur Lavau est une mémoire exceptionnelle, il se souvient de tout ce qu’il lit. Pour se former, il est allé à Paris, a ingurgité des milliers (oui des milliers) de fiches avec les mesures anthropométriques et les descriptions de divers individus et bien entendu, il a tout retenu ! Ce qui l’a beaucoup aidé à se faire une réputation…. Il a également appris à relever des empreintes avec une poudre, à observer etc…et il est très physionomiste et a l’esprit vif. Il a bien l’intention de se servir de tout cela pour trouver le meurtrier.

Par d’habiles retours en arrière, Audrey Brière établit les liens entre les différents protagonistes. Elle distille les indices petit à petit, on ne cerne pas tout d’un coup et il faut avancer dans la lecture pour comprendre la complexité de certains individus. On découvre le rôle des religieuses, ce qu’elles ont soigneusement caché, ce qu’elles taisent encore. On a  quelques scènes dans les tranchées qui nous rappellent que l’intrigue se déroule en 1917 (ça ne se sent pas toujours dans la vie quotidienne du village bien qu’il y ait des problèmes de rationnement).

L’atmosphère, mystérieuse, est très bien retranscrite. Le couvent des Ursulines centralise beaucoup plus de choses qu’on le croit. Finalement les sœurs ne sont pas si saintes que ce qu’on veut bien nous faire croire ! Enfin, moi ce que j’en dis….

L’intrigue est bien menée, il y a suffisamment de rebondissements pour maintenir notre intérêt, pour nous donner envie de tourner les pages. Plus d’une personne pouvait avoir des raisons de vouloir se débarrasser de TS. Vengeance, jalousie, il dérangeait …. Mais qui et pourquoi ? Quelles pistes exploiter et comment ? Il faudra toute la sagacité d’Esther et Matthias pour résoudre cette affaire. Eux-mêmes recèlent une part de mystère. Qui sont-ils réellement ? Est-ce que les amitiés que le policier a noué dans son enfance ne vont pas interférer sur ses observations ? Le troubler ? Fausser son jugement ?

C’est un premier roman plutôt abouti et l’écriture d’Audrey Brière est prometteuse. On sent malgré tout qu’elle a une marge de progression, peut-être dans la construction et dans le fait de ne pas mettre trop d’éléments en place, même si cela ne m’a pas dérangée. J’ai beaucoup apprécié de découvrir les débuts « scientifiques » au niveau des investigations. On en est aux balbutiements et c’est très intéressant de voir ce qui se met en place pour aider les enquêteurs. Une lecture plaisante et agréable !

"De minuit à minuit" de Sara Mychkine

 

De minuit à minuit
Auteur : Sara Mychkine
Éditions : Le bruit du monde (2 Février 2023)
ISBN : 978-2493206503
146 pages

Quatrième de couverture

Une femme écrit à sa fille, dont la garde lui a été enlevée. Sa longue lettre revient sur les fragilités et les traumatismes qui ont conduit à ce déchirement, mais aussi sur les déterminismes familiaux, sociaux et historiques qui ont conditionné leur existence à toutes deux. Face à la désolation d'un quotidien misérable, face à la violence de l'addiction, se dresse le rempart d'amour absolu qu'une mère a érigé pour sa fille, quitte à la perdre, quitte à se perdre.

Mon avis

« Je t’écris cette lettre parce que ma mère ne m’en a pas laissé. »

On lui enlève sa fille, elle ne peut pas la garder mais elle a la possibilité de lui écrire une lettre, une seule. Alors, en seize mouvements et un post-scriptum, elle explique, elle crie son amour. Comme d’autres hurlent leur désespoir, elle, elle partage son histoire avec son enfant. Pour lui dire qu’elle l’aime, pour lui donner des racines (tu sauras qui est ta mère), pour qu’elle lise ce témoignage bouleversant qui ne correspondra peut-être pas à ce qu’on lui communiquera.

Quel est le « seul possible pour échapper au néant » ? se demande cette femme qui écrit : « avant d’être une addict au crack, je suis une femme, une mère, ma douce. » Elle reconnaît que c’est plus la honte, que la drogue qui l’a condamnée. Elle est bien consciente que la vie qu’elle pourrait offrir à sa fille n’est pas celle qui l’aiderait à s’épanouir, à grandir. Mais elle tient à lui dire son affection, à transmettre ses ressentis. Pas question de fuir la vérité. Oui, c’est dur et compliqué, oui, elle est accro mais qui peut se permettre de la critiquer, de la juger ?

Elle explique combien elle a souffert de se retrouver à la rue, rejetée, pas aidée, pas accompagnée, alors quand une échappatoire s’est profilée…. Bien sûr, la drogue, ce n’est pas la bonne solution mais quand on commence, sait-on où cela nous entraînera ?

C’est un texte magnifique, une longue incantation, un poème où chaque mot est fort. Le texte est écrit sous forme de vers
en allant
à la ligne
pour lui donner
plus de puissance.

Cette présentation donne de la force à l’écrit, montrant combien chaque mot s’échappe pour dire ce qui est si douloureux à vivre, à accepter. Pour celle qui ne peut garder sa fille, on sent que ce qu’elle veut partager se bouscule, que tout vient très vite, comme si elle était dans l’urgence de rédiger son courrier.

Alors elle écrit et ce récit épistolaire nous bouleverse par sa beauté, sa musicalité, ses intonations Il s’en dégage de l’émotion. Une émotion à fleur de peau, à fleur de mots.

En écrivant cette missive, cette mère aimante laisse une trace, elle permet à son enfant d’avancer dans la vie en connaissant son passé, en sachant qu’elle a été aimée. Elle lui offre son histoire pour qu’elle construise la sienne…

Un roman magnifique !

NB: la couverture est sublime !

"Femmes !" de Virginie Rouquette

 

Femmes !
Auteur : Virginie Rouquette
Éditions : Livre Actualité (28 novembre 2022)
ISBN : 978-2754310475
212 pages

Quatrième de couverture

Ana est enceinte de son premier enfant ; son père, écrivain célèbre fait du rangement dans ses affaires. Sa fille va découvrir un carton sur lequel est inscrit « Femmes ! » Après lui avoir confié qu'il avait commencé cet ouvrage quand elle grandissait dans le ventre de sa mère, Ana emporte le carton dans lequel sont rangés des dossiers pour les lire tranquillement. Ces dossiers peuvent être comparés à des serrures de porte par lesquelles on découvre curieusement chaque destin de femme.

Mon avis

Dans son dernier livre, Virginie Rouquette s’interroge sur la relation des femmes avec la maternité. Ana, enceinte de son premier enfant, découvre un ouvrage intitulé « Femmes ! » que son père, écrivain, avait ébauché et qui n’a jamais été publié. Elle décide de se plonger dedans et fait ainsi connaissance avec sept femmes. Toutes sont confrontées à la grossesse mais pas pour les mêmes raisons. Accidentelle, voulue, désirée, souhaitée, la mise au monde d’un enfant n’est pas une aventure ordinaire. L’auteur nous rappelle qu’elle transforme le corps, change les relations aux autres, interpelle sur la place du père ou de la mère dans le couple. La femme ne doit pas s’oublier pour ne devenir que mère, elle doit permettre à son conjoint d’avoir un rôle pour peu qu’il ne se sente pas mal à l’aise. Elle rappelle qu’enfanter, même si seule la Maman porte le bébé, est un choix à faire à deux. Il est donc primordial de ne pas perdre le dialogue, de s’écouter, de se parler et de décider ensemble.

C’est avec une écriture enlevée, dynamique et agréable que Virginie Rouquette nous présente ces différents portraits. Elle évite toute lassitude chez le lecteur en reliant les chapitres par quelques échanges entre Ana et son père. Ce qu’Ana lit la renvoie à son vécu et en écho, elle se pose des questions, s’interroge sur ses décisions et forcément le lecteur fait de même… Qu’aurais-je fait à sa place ? Le ton est très juste, tout semble plausible et donc intéressant. On ressent la sensibilité de l’auteur qui analyse finement les ressentis de chacun.

Toutes ces femmes sont attachantes que ce soit parce qu’elles espèrent, ont peur, s’interrogent. Elles nous renvoient à une part de nous plus ou moins enfouie. J’aurais parfois voulu entamer une discussion avec certaines d’entre elles pour aller plus loin, leur dire ce que j’en pensais. Cela tend à prouver, si besoin est, combien je suis facilement rentrer dans ce recueil.

J’ai apprécié cette lecture, ces rencontres et j’ai trouvé bien qu’en dernière page, en quelques lignes, je sache ce que chacune était devenue.


"Le village" de Brigitte Allègre

 

Le village
Auteur : Brigitte Allègre
Éditions : Librinova (22 Novembre 2022)
ISBN : 9791040518860
150 pages

Quatrième de couverture

Il n'est pas question de quitter le village, sauf à en payer le prix. Si on y arrive, c'est par hasard. Sénomagus, c'est le nom de ce lieu étrange. Rares sont ceux qui peuvent s'en aller et y revenir. C'est qu'il s'agit de bonheur, c'est qu'il s'agit d'amour, c'est qu'il s'agit de mort.

Mon avis

« Le village » est un roman atypique, porté par une écriture singulière, mystérieuse, poétique, faisant la part belle aux fantômes, aux secrets, à ce qui se sent mais ne se voit pas…

Flore est morte pour son trente-sixième anniversaire. Elle aurait voulu quitter Sénomagus, le village mais elle n’a pas pu, alors elle est restée. Elle n’a, en apparence, que rarement fait ce qu’elle voulait. En apparence seulement car elle est redoutable et capable de manipuler tout le monde. Observant jusqu’à espionner parfois, ceux qu’elle côtoie, qu’elle croise. Elle n’a pas une histoire facile, elle n’est pas toujours comprise … il faut dire qu’elle n’a pas une personnalité ordinaire.

Dans ce roman, Flore, qui pourtant n’est plus, s’exprime, un chapitre sur deux. Les autres, ce sont des habitants du village qui sont présentés. Tout est lié et pourtant on pourrait presque croire à un format de nouvelles.  

Il y a une forme de mystère qui plane sur ce qu’on lit, on s’attend à des révélations, des surprises, des faits qui vont confirmer ou non ce qu’on entrevoit. Brigitte Allègre entretient soigneusement cette part d’incertitude, faisant planer une atmosphère presqu’angoissante.

J’ai été surprise par la forme et le fond de ce livre mais pas au point d’être désarçonnée et mal à l’aise. Au contraire, j’aime bien que les auteurs prennent des risques en essayant de nous surprendre. Il faut reconnaître que c’est particulièrement réussi.

Au fil des chapitres le puzzle du village se met en place, les liens entre les personnages se précisent, ce qu’ils font, ce qu’ils sont. On les connaît mieux et on réalise toute la complexité des relations humaines dans un lieu quasi fermé, presqu’en huis clos.

Un texte et un phrasé qui se démarquent pour une lecture étonnante et plaisante !


"L'événement" d'Annie Ernaux

 

L’événement
Auteur : Annie Ernaux
Éditions : Gallimard (14 Mars 2000)
ISBN : 978-2070758012
120 pages

Quatrième de couverture

"Depuis des années, je tourne autour de cet événement de ma vie. Lire dans un roman le récit d'un avortement me plonge dans un saisissement sans images ni pensées, comme si les mots se changeaient instantanément en sensation violente. De la même façon entendre par hasard La javanaise, J'ai la mémoire qui flanche, n'importe quelle chanson qui m'a accompagnée durant cette période, me bouleverse." Annie Ernaux.

Mon avis

« D’avoir vécu une chose, quelle qu’elle soit, donne le droit imprescriptible de l’écrire. »

« Le véritable but de ma vie est peut-être celui-ci: que mon corps, mes sensations et mes pensées deviennent de l’écriture, c'est-à-dire quelque chose d’intelligible et de général, mon existence complètement dissoute dans la tête et la vie des autres. »

C’est plus de trente ans après avoir choisi et vécu un avortement, qu’Annie Ernaux, d’une écriture que je qualifierai de « clinique » nous fait le récit de ce passage de sa vie.

« Événement, épreuve, expérience humaine totale, de la vie et de la mort, vécue d’un bout à l’autre au travers du corps …. » comme elle l’écrit elle-même …

En utilisant son agenda et son journal intime de l’époque, elle « décortique » cet « événement » …. Oserais-je écrire « sans doute pour l’expulser définitivement ? »...

Parce qu’il s’agit bien de cela, en fait, utiliser l’écriture comme exutoire … verbaliser une bonne fois pour toutes pour espérer moins penser à ce qui a troublé, dérangé.

D'ailleurs elle dit qu'elle a fini de "mettre en mots", "réussi à effacer toute trace de culpabilité"...

L’écriture est suffisamment détachée pour que ni le misérabilisme, ni le voyeurisme n’aient leur place dans notre lecture.

Il n’en reste pas moins que le langage et la description de certaines scènes sont crus. Et je m’interroge … Annie Ernaux a-t-elle écrit ainsi par volonté d’être détachée ou parce que cette façon d’écrire s’est imposée à elle ?

Après avoir lu, il n’y a pas si longtemps « Qui touche à mon corps je le tue », je me suis retrouvée confrontée à la question de l’avortement, de la grossesse, des choix, de ces femmes en pleine détresse qui, à cette époque, n’avaient pas le « planning familial » et risquaient de mourir, seules dans leur coin …

Et revient, lancinante, cette question : « Vaut-il mieux avorter, abandonner un nouveau né, le garder et l’aimer mal ?... »

Que c’est beau la vie quand on est heureux de la donner, de l’offrir ….


"Notre dernière part de ciel" de Nicolás Ferraro (El cielo que nos queda)

 

Notre dernière part de ciel (El cielo que nos queda)
Auteur : Nicolás Ferraro
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Alexandra Carrasco et Georges Tyras
Éditions : Rivages (1 er Février 2023)
ISBN : 978-2-7436-5846-5
272 pages

Quatrième de couverture

Keegan et Zambrano, deux narcotrafiquants, se battent à bord d’un Cesna bourré de cocaïne qui finit par s'écraser. La cargaison se retrouve disséminée dans la campagne argentine. Survivants du crash, Keegan et le pilote sauvent une partie de la drogue et volent une voiture pour l'emporter. Mais ils savent que le reste va exciter les convoitises. Entre le gang qui veut récupérer son dû et les pauvres qui voient dans cette drogue une manne inespérée, une course poursuite s'engage.

Mon avis

Un avion, c’est fait pour voler d’un point à l’autre et se poser tranquillement…Oui, mais… Ce jour-là, à bord, éclate une terrible dispute assortie d’une fusillade. Le chargement s’échappe et l’avion finit par s’écraser. Deux survivants, deux ? Deux de trop ou pas assez … c’est selon… le côté où on regarde, où on se place ….

On est en Argentine, juste à la frontière entre le Brésil et le Paraguay. Les deux survivants doivent récupérer ce qu’ils ont perdu car leurs chefs ne laisseront rien passer. Mais les paquets ont été semés sur plusieurs kilomètres. Rien de simple pour retrouver les sacs, d’autant plus qu’il s’agit de cocaïne. Dans ce coin de pays où la pauvreté règne, c’est une aubaine pour certains, l’occasion de se faire un peu de fric mais à quel prix ? Une course poursuite va s’engager entre ceux qui espèrent échapper à une vie difficile et ceux qui veulent obtenir leur bien.

Avec une écriture ferme, nerveuse, l’auteur nous entraîne dans un récit musclé, vif où la violence suinte car certains n’ont que ce moyen pour se faire comprendre, faisant fi de toute discussion. Peu importe qu’on soit une femme, le but de ces malfrats c’est arriver à leurs fins. C’est une lecture terrible car le lecteur côtoie la misère, le quotidien ardu de ceux qui voient ces packs de coke comme une opportunité de s’en sortir. La terre est sèche, rien ne pousse, les récoltes sont maigres, l’eau manque, le dénuement est le lot de la plupart. Peut-on les blâmer de ramasser ce qui est tombé du ciel ? Peut-on les critiquer de vouloir fuir leur funeste destin ? Qui est-on pour juger, nous les nantis qui ne manquons de rien ? Oui, la violence est destructrice, elle ne devrait pas s’imposer comme unique réponse mais ce n’est pas possible. Pourquoi ? Parce que c’est trop dur, trop lourd de supporter la détresse quotidienne alors chacun se bat avec ses moyens.

Les criminels n’ont connu qu’une forme de dialogues : les coups, les tirs et ils ne savant plus échanger avec leurs pairs depuis longtemps…. Les habitants du cru, eux, ne connaissent plus le mot espoir, il ne fait pas partie de leur vocabulaire alors ils s’accrochent à cette idée que, peut-être, ils pourront monnayer quelque chose…

Nicolás Ferraro ne s’embarrasse pas de fioritures. Les faits sont là, bruts, pas de répit, ça flingue dans tous les sens. Pourtant, il y a de l’humanité dans le texte, une certaine forme de respect parfois. Quelques protagonistes ont « bon fond », comme on dit. Ce qui apparaissait comme un cadeau du ciel va se révéler comme étant totalement empoisonné. Pour autant, la plupart ne baissent pas les bras, ne trahissent pas, se battent jusqu’au bout. Sans doute pour garder une forme de dignité. Celle qui permet de rester debout.

« Je suis venu ici pour échapper aux flics, c’est vrai, mais aussi au type que j’étais en train de devenir. »

Cette phrase est significative, elle porte la volonté d’un des individus que l’on croise dans ce roman noir. Il veut rester un « type bien » malgré ses défauts, ses erreurs, ses failles. Il n’est pas le seul. C’est pour cela que « Notre dernière part de ciel » est un livre qui vaut le détour, pour toutes ces mini lueurs d’espoir entre les lignes, malgré la noirceur de l’ensemble. Et puis l’auteur est un petit nouveau (pour moi) et c’est avec grand plaisir que je l’ai découvert (merci aux deux traducteurs !).