"Un autel rue de la Paix" de Florence Rhodes

 

Un autel rue de la Paix
Auteur : Florence Rhodes
Éditions du Caïman (4 novembre 2021)
ISBN : 978-2919066933
358 pages

Quatrième de couverture

Pas de congé paternité pour le commandant Hamelin. Lors d'un été caniculaire, il se lance aux trousses d'un tueur en série qui sévit aux adresses du plateau du jeu de Monopoly. Rue de Vaugirard, boulevard de la Villette, avenue Mozart, le compteur tourne, les cadavres s'empilent, et Abel Hamelin a la sensation oppressante que ce meurtrier, qui conserve toujours quelques cases d'avance, connaît tout de son passé, de ses fêlures et du secret familial qui le ronge.

Mon avis

Le commandant de police Hamelin est amoureux de la syntaxe, de la belle langue. Il n’hésite pas à reprendre ses collègues pour que tout le monde s’exprime de façon correcte et avec un vocabulaire de choix. On ne va s’en plaindre, d’autant plus qu’il excelle également pour les enquêtes. Il n’attaque pas directement, il tourne autour de sa proie, l’observe avec acuité, trouve la faille, s’y engouffre et fait craquer les coupables les plus retors. Il est tellement bon dans son métier qu’on le dérange un peu n’importe quand, même lorsque sa femme accouche ! Répondre présent, est-ce une façon de fuir pour lui qui se pose beaucoup de questions sur son futur rôle de père ?

On peut d’ailleurs se demander pourquoi ça le tourmente autant d’être bientôt Papa, d’habitude c’est plutôt source de joie…. On va le savoir, c’est lié à son histoire personnelle, à son enfance. Des failles et des douleurs qu’il porte en lui et qu’il cache. Mais pas le temps de s’attarder auprès du bébé, il faut se remettre au boulot…

Un meurtre, un deuxième, un autre, le tout en plein Paris…. Liés, pas liés ? Bien que les personnes assassinées n’aient rien en commun, les enquêteurs réalisent assez vite que les lieux où se déroulent les faits font penser au plateau de Monopoly….. Par contre, comment sont choisies les cases, que signifient les objets incongrus déposés dans les appartements où se déroulent les crimes ? La police cherche, essaie d’anticiper afin de devancer le tueur, et de le battre de vitesse mais ce n’est pas simple.

Abel Hamelin, lui, s’interroge, quelque chose le titille. Tout à coup, il réalise que tout concorde pour le mettre en situation délicate, le coincer, voire le faire accuser. Qui se cache derrière cet odieux jeu de Monopoly détourné ? Quel est son but ? Qui lui en veut au point de souhaiter le détruire ?

Parallèlement aux évènements du présent où Hamelin et son équipe mènent les investigations, nous faisons des sauts dans le passé, en 1980. En tant que lectrice, j’ai essayé d’assembler les éléments de ces deux époques pour comprendre les faits mais je ne voyais pas où aller….

Ce roman se lit tout seul et a été un agréable moment pour moi. Je n’avais pas vu venir le rôle trouble de certains personnages et ça c’est une bonne chose, j’aime bien être surprise, voire déstabilisée. L’écriture de Florence Rhodes est fluide, elle manie les mots à la perfection et pas seulement par l’intermédiaire d’Hamelin. Son intrigue, construite autour d’une idée originale se tient sans fausse note. Il y a un excellent dosage entre les pistes approximatives, les rebondissements, les coups bas, les menteurs, les traites et ceux sur qui on peut miser car ils sont droits dans leurs bottes.

La part d’ombre d’Abel Hamelin est intéressante et bien pensée, elle nous rappelle combien sont douloureux les traumatismes de l’enfance. On les traîne toute sa vie. Il conditionne l’homme et la femme que nous devenons. Sans eux, Abel serait différent, plus « léger » mais il doit vivre avec et s’en accommoder. Devenir père va peut-être l’aider à passer outre, à se sentir plus fort, c’est ce qu’on lui souhaite !


"Glory" d'Elizabeth Wetmore (Valentine)

 

Glory (Valentine)
Auteur : Elizabeth Wetmore
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Emmanuelle Aronson
Éditions : Les Escales (27 août 2020)
ISBN : 978-2365694599
320 pages

Quatrième de couverture

14 février 1976, jour de la Saint-Valentin. Dans la ville pétrolière d'Odessa, à l'ouest du Texas, Gloria Ramirez, quatorze ans, apparaît sur le pas de la porte de Mary Rose Whitehead. L'adolescente vient d'échapper de justesse à un crime brutal. Dans la petite ville, c'est dans les bars et dans les églises que l'on juge d'un crime avant qu'il ne soit porté devant un tribunal. Et quand la justice se dérobe, une des habitantes va prendre les choses en main, peu importe les conséquences.

Mon avis

Texas, 1976, Gloria rejette son prénom le jour de la Saint Valentin. Maintenant, elle sera Glory. Pourquoi ? Elle vient de subir, à quatorze ans, quelque chose qu’elle veut oublier, enterrer avec son ancien prénom. Pas facile… Elle est mexicaine, typée et l’agresseur est blanc. Ne l’a-t-elle pas un peu cherché ? Avant le jugement de l’homme, beaucoup vont revisiter les faits, donner leur avis, leur interprétation… Qui sera là pour la soutenir, qui aura compris sa douleur ?

Roman choral, roman de femmes, Glory donne la parole tour à tour à une autre jeune fille, une veuve alcoolique, une mère enceinte, etc. Elles témoignent, elles se confient, elles parlent de Glory, de leur vie. Ce n’est pas facile d’être une femme dans ce coin où les hommes aiment dominer, choisir, décider. Ce n’est pas aisé non plus de leur tenir tête, de dire ce qu’on pense dans une société qui ne laisse que peu de possibilités de s’exprimer à la gent féminine.

L’écriture (merci à la traductrice) est très visuelle. La construction désarçonne car on ne saisit pas forcément le lien entre Glory et les « témoins ». Cela gêne un peu pour rester dans l’histoire, parce qu’on voudrait connaître l’évolution de la situation de l’adolescente. Il n’en reste pas moins que ce récit est intéressant, il aborde de nombreux thèmes et la place que peut trouver (espérer ?) chacun lorsque les conventions rigides ont déjà décidé de tout….. Peut-on encore croire en des jours meilleurs ?


"American Dirt" de Jeanine Cummins (American Dirt)

 

American Dirt (American Dirt)
Auteur : Jeanine Cummins
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Françoise Adelstain et Christine Auché
Éditions : Philippe Rey (20 Août 2020)
ISBN : 978-2848768281
547 pages

Quatrième de couverture

Libraire à Acapulco, au Mexique, Lydia mène une vie calme avec son mari journaliste Sebastián et leur famille, malgré les tensions causées dans la ville par les puissants cartels de la drogue. Jusqu'au jour où Sebastián, s'apprêtant à révéler dans la presse l'identité du chef du principal cartel, apprend à Lydia que celui-ci n'est autre que Javier, un client érudit et délicat avec qui elle s'est liée dans sa librairie... La parution de son article, quelques jours plus tard, bouleverse leur destin à tous.

Mon avis

Ce roman a été synonyme d’une polémique aux Etats-Unis, il a propulsé sur le devant de la scène Jeanine Cummins qui n’en demandait pas tant. Pourquoi ? Ceux qui ont aimé sont enthousiastes devant l’histoire, l’écriture, le style, les personnages. Les détracteurs reprochent à l’auteur new yorkaise d’avoir écrit sur l’immigration latino, de donner une vision réductrice d’un Mexique corrompu jusqu’à la moelle par les cartels de la drogue. En résumé, elle n’est pas « légitime » pour évoquer le sujet de la fuite des migrants ….  

Alors, que penser de ce récit ? Oui, il a des défauts, des protagonistes un peu stéréotypés, des situations « clichés », des faits très linéaires racontant la fuite en avant d’une mère, Lydia, et de son fils, Luca….Avec malgré tout quelques souvenirs qui surgissent çà et là.  Ils n’ont pas eu le choix, leur mari et père, journaliste, a écrit un article sur le grand chef d’un cartel et celui-ci n’a pas apprécié…. Il avait pourtant noué des liens avec Lydia, en étant client de sa librairie. Ni l’un, ni l’autre ne savait qui était l’autre à ce moment-là et ils ne pouvaient pas deviner où les conversations sur leurs lectures allaient les entraîner….

Jeanine Cummins a montré un aspect bien noir du Mexique, on est loin des plages et des touristes, mais elle savait parfaitement de quoi elle voulait parler. Elle a mis quatre ans à écrire son texte, se renseignant, voyageant, faisant des recherches. On ne peut pas dire qu’elle est partie au hasard sans réfléchir, d’autant plus que son mari, à la base, est un homme sans papier….

Personnellement, j’ai beaucoup aimé cette lecture. L’écriture est prenante, les événements poignants, on ne peut rester indifférent devant ce que l’on « voit », ce qu’on entend, ce qu’on devine. On s’attache rapidement à certains individus, on en déteste d’autres. On ne lâche pas la main de cette mère et de son fils, ainsi que ceux qu’elle prend sous son aile. La peur, la méfiance, l’entraide, le partage, mais surtout une volonté farouche de s’en sortir accompagnent ces migrants sur le chemin difficile, long, dangereux pour arriver de l’autre côté. Ils sont portés par leur courage, leur détermination, ils veulent vivre libres….

Par la biais de son texte, Jeanine Cummins nous rappelle la lutte de tous ceux qui se battent pour survivre….. A nous de ne pas les oublier.


"L'ombre de la nuit" de Marco Pianelli

 

L’ombre de la nuit
Auteur : Marco Pianelli
Éditions : Jigal (25 Septembre 2021)
ISBN : 9782377221400
256 pages

Quatrième de couverture

Il fait nuit. Paco Sabian marche sur une route d’Ardèche. Il pleut, le froid s’immisce et glace ses os, la lune n’est pas prête à céder sa place. Une voiture s’arrête à cette heure incongrue. Une femme seule au volant. Une mère qui retrace le chemin sur lequel son fils a disparu il y a tout juste cinq ans. Depuis, plus rien. Paco, est un ténébreux, un taiseux qui traîne la fatalité, comme d’autres leur ombre. Qui est-il ? Pourquoi est-il là ?

Mon avis

« Celui qui disparaîtrait sans qu’on le retrouve jamais, celui dont on ne saurait rien, celui aussi impalpable qu’une ombre et aussi tangible que la mort, allait maintenant se retirer. »

Il y a des livres comme ça qui vous mettent une claque, qui vous bouleversent. « L’ombre de la nuit » en fait partie. Âpre et tendre à la fois, ce récit m’a scotchée. Une fois commencé, je ne pouvais plus m’arrêter. Il fallait, non pas que je sache (parce que d’abord j’avais lu la fin), mais que je reste avec Paco et Myriam. Comme lorsqu’on prend fait et cause pour quelqu’un et qu’on ressent le besoin de le soutenir. Pourtant Paco n’est pas « net », qu’est-ce qu’il fait seul, sous la pluie, sur la route, avec pour tout bagage un sac ? Et qu’est-ce qui peut pousser Myriam, une femme seule à s’arrêter pour prendre un inconnu dans sa voiture ?

Ces deux-là sont des écorchés, des blessés de la vie, des personnes qui ont souffert et qui sont restées droites, continuant à avancer un jour après l’autre, un pas après l’autre. Pourtant ce serait si facile de se laisser sombrer, de couler, de se faire oublier… Mais chacun à sa manière a quelque chose qui le porte, qui le dope. Son fils a disparu il y a cinq ans et elle veut savoir, elle veut comprendre. C’est le combat d’une mère pour savoir la vérité. Lui, c’est plus subtil. Mystérieux, secret, taiseux mais expérimenté face à la violence, capable de se bagarrer, sans émotion, pour la justice, il épouse la lutte de cette femme. Il se battra avec elle, pour elle, pour lui aussi car ainsi il existera … un temps, un temps seulement … parce que ce n’est pas un homme d’attache ….

Entre eux, ça accroche tout de suite, chacun accepte l’autre dans ses silences, dans sa façon d’être, dans ses secrets. Mais c’est ensemble qu’ils vont essayer de comprendre ce qu’il s’est passé il y a cinq ans. Il faudra creuser l’enquête policière, trouver les failles, louvoyer car ils vont vite saisir qu’ils dérangent, déjouer les pièges tendus pour espérer accéder à la vérité. Mais tenaces, opiniâtre, prêts à tout, ils ne lâcheront rien.

J’ai été charmée par Paco. Pourtant les baraqués plein de cicatrices ne sont pas mon type d’hommes. Mais là, ce n’est pas pareil. Sous ses airs bravaches, il cache un vrai cœur, sinon il ne serait pas resté. Pas le genre à se dévoiler, sauf au lit peut-être, il est en permanence en vigilance exacerbée, sur ses gardes, prêt à mordre. Je crois que c’est cela qui m’a plu avec un soupçon d’âme de révolté car il n’a pas l’intention de se laisser dicter sa conduite.

Dès les premières lignes, ça a matché entre l’écriture de Marco Pianelli et moi, le coup de foudre complet, pour le style, le phrasé, les personnages, le contexte, l’histoire elle-même. Il y a du rythme, ça bouge sans arrêt, les pistes vont de ci, de là, nous entraînant vers d’autres hypothèses. C’est noir, brut, l’auteur ne s’embarrasse pas de détails, on prend les faits comme ils sont, en pleine face. Certains esprits chagrins parleront de crédibilité, de mouvements dignes des plus grands films d’action, mais ce n’a aucune importance. Ce qui est essentiel, c’est que le lecteur soit comblé, et je l’ai été. Le vocabulaire, les phrases sont d’une qualité irréprochable, tout fait mouche immédiatement, vous frappent au cœur et à la tête. Je suis totalement admiratrice.

Un roman sombre, dur, avec en filigrane, une humanité qui se dévoile dans quelques gestes, quelques mots, quelques regards, simplement pour qu’on se souvienne que tout n’est pas noir…..

Monsieur Pianelli, pourquoi vous n’avez pas écrit avant ? Et c’est quand le prochain ?


"Fables d’aujourd’hui : 30 histoires à méditer pour s'épanouir sans oublier d'en rire" de Luc Fivet

 

Fables d’aujourd’hui : 30 histoires à méditer pour s'épanouir sans oublier d'en rire
Auteur : Luc Fivet
Éditions : Jouvence (14 Septembre 2021)
ISBN : 978-2-88953-530-9
162 pages

Quatrième de couverture

« Un jour, un libraire qui ouvrait sa boutique vit atterrir chez lui un livre surprenant : Un recueil de fables un peu humoristiques parlant de lâcher-prise et de moment présent. » ...vous avez hâte de connaître la suite ? Plongez dans trente histoires présentées sous forme de fables à la fois drôles et actuelles.

Mon avis

Les livres sur le développement personnel et le bien être sont de plus en plus nombreux, alors un de plus ? Pas vraiment car celui-ci a une forme suffisamment originale pour se démarquer. Luc Fivet a concocté trente petites histoires. Chaque fois, trois pages qui mettent en scène un ou des objets, des personnages, des émotions … Toujours suivies d’une réflexion profonde sur un ressenti évoqué dans le texte, et d’un mot de ce que je nommerai « un témoin ». Ce sont des personnes qui apportent un complément à ce qu’on vient de lire, ils et elles sont tous totalement différents-tes. Journaliste, psychanalyste, médecin, marin, comédienne…. Cette diversité offre une approche variée de « retours sur textes ». C’est le plus souvent un partage d’expérience personnelle. Un vrai partage, sans fard, sans a priori, simplement pour compléter ce qui a été écrit. C’est quelque chose d’appréciable, on a l’impression d’une confidence, d’un cadeau.

L’écriture de Luc Fivet est fine, concise, délicate et porteuse de sens. Ses historiettes font sourire, mais à les lire, ou les relire, on s’aperçoit très vite qu’on va bien plus loin dans la réflexion. La présentation apporte de la légèreté, ce n’est pas du tout dans le style « donneur de leçons » ou « vous devriez, il faut etc… ». C’est à chacun de puiser dans ces écrits ce qui l’aidera à avancer, à être en phase corps, cœur et esprit pour trouver l’équilibre qui permet d’aimer la vie, de profiter de chaque instant positif et d’être fort pour les moments plus difficiles.

Cet ouvrage est à offrir ou à s’offrir, c’est le genre de recueil que l’on peut reprendre régulièrement pour « butiner » un extrait permettant de se renforcer, d’avoir du recul pour éviter de se laisser happer par le stress. Peut-être une fable chaque soir en guise de bonne nuit pour s’endormir sur quelque chose qui nous donne le sourire et le peps ?

J’ai particulièrement aimé ce qui est écrit sur l’optimisme qui est « une source d’énergie gratuite, 100 % naturelle, inépuisable ….. »

Ma fable préférée ? Le bonheur, la Ferrari et le vélo.


"Le dernier Afghan" d' Alexeï Ivanov (HEHACTbE) (Nenaste)

 

Le dernier Afghan (HEHACTbE) (Nenaste)
Auteur : Alexeï Ivanov
Traduit du russe par Raphaëlle Pache
Éditions : Rivages Noir (6 Octobre 2021)
ISBN : 9782743654610
642 pages

Quatrième de couverture

Par amour, un soldat russe démobilisé dérobe le contenu d’un fourgon blindé : ainsi s’achève la longue histoire de la puissante Union des vétérans de l’Afghanistan.

Mon avis

« L’idée afghane, cela signifie qu’on défend nos droits ici, comme on a défendu notre vie en Afghanistan. Tous ensemble. Par la force. »

La guerre d'Afghanistan de 1979 à 1989 a monopolisé des soldats russes. On peut se demander ce qu’ils allaient faire là-bas. Et bien soutenir le pouvoir qui venait d’être victime d’un coup d’état. Le nouveau gouvernement étant socialiste et pro-soviétique, l’armée se devait de maintenir l’ordre. Ce conflit a duré une dizaine d’années et à leur retour en Russie, ces militaires ont eu du mal à retrouver une place.

C’est pour cela que Sergueï Likholiétov a créé une union d’anciens combattants, au début des années 90. Se serrer les coudes, ne jamais se trahir, rester unis entre afghans, c’est ça leur devise. Il fonde le Komintern, une structure qui a pour but de les occuper et de monter « des affaires ». Noble idée sur le principe, un peu moins sur le terrain…. Le chef Sergueï pense surtout en termes d’intérêts financiers ou autres, il a de l’influence sur « ses hommes » et petit à petit, il gagne du terrain, s’installe partout, accroit le pouvoir du Komintern et pas toujours de façon honnête…

Guerman Niévoline a connu Sergueï « là-bas » et lorsque ce dernier lui propose de le rejoindre, il se souvient des liens noués, de la fraternité, des valeurs communes défendues, et il arrive. Il sera chauffeur, transportant parfois de grosses sommes d’argent dans un fourgon blindé. Un jour il craque, et part avec l’argent, sans violence aucune. Qu’est-ce qui l’a poussé à agir ainsi ? Il se doute bien qu’il va être rapidement rattrapé, quelle idée !

C’est une fresque de plus de six cents pages que nous offre l’auteur. Par d’habiles retours en arrière, nous découvrons ce qui a amené Guerman à faire ce choix, ce qu’ont vécu ces guerriers, ce qui a été leur moteur, leurs raisons de poursuivre le combat ensemble sur deux lieux différents.

« En Afghanistan, on était des frères de l’Union soviétique et on combattait pour ça. Et en Union soviétique, on est des frères d’Afghanistan et on fait des affaires. »

Mais pendant qu’on visite le passé, que deviennent Sergueï et ses sacs de billets ? Régulièrement, on a de ses nouvelles. C’est un homme bon, qui ne veut pas le mal, qui aspire à autre chose, qui rêve sans doute car peut-être que ce mieux n’arrivera jamais… Il est désabusé, comme « à côté » de ce monde avec lequel il ne se sent pas en phase. Trop de violence, trop de corruption, trop de magouilles, trop de mensonges… Il essaie de se protéger mais que c’est difficile !

C’est un monde masculin, rude, brut de décoffrage, sans concession qu’on nous présente. C’est également le récit d’un pays et de ses habitants qui déchantent. Heureusement, il y a Tatiana, l’éternelle fiancée, celle qui ne pose pas de question, qui avance comme elle peut, avec ce que lui donne la vie. Elle sait pourquoi elle est née, elle voudrait croire en un avenir meilleur et elle s’accroche. Elle est la petite lueur dans tout ce noir.

L’écriture d’Alexeï Ivanov (merci à la traductrice : Raphaëlle Pache) est précise, détaillée, sans pour autant faire dans la fioriture. On suit les événements, on s’attache à Guerman, même s’il vole, car il essaie de fuir l’horreur. Une fois encore on réalise que la guerre fait des ravages, que la politique mal menée détruit les relations humaines, que le pouvoir modifie les être humains et fausse leur regard.

J’ai eu du mal à entrer dans ce livre, sur les premières pages, j’avais l’impression de me perdre avec les noms à consonance rugueuse. Et puis, rapidement, j’ai eu mes repères et à partir de là, j’ai été captivée et intéressée. J’ai vraiment apprécié ce récit complet, cette incursion dans un autre monde et la découverte d’un nouvel écrivain.


"Love me doux" de Sandra Nelson & Alice Quinn

 

Love me doux
Un Noël givré en Provence
Auteurs : Sandra Nelson & Alice Quinn
Éditions : Alliage (11 octobre 2021)
ISBN : 978-2369100607
270 pages

Quatrième de couverture

À deux jours de Noël, Angela, photographe de mode londonienne, doit se rendre en Provence, dans le village de son enfance, afin de toucher son héritage. Elle ne compte pas s'éterniser car son fiancé l'attend en Angleterre pour le réveillon. Mais une tempête de neige bouleverse ses plans (oui, il neige parfois en Provence !).

Mon avis

Le temps est gris, froid, brumeux ? Vous avez envie d’un canapé, d’un chocolat chaud, d’une tasse de thé et de petits biscuits dorés et croustillants ? Alors ce roman est fait pour vous. Installez-vous, prenez un plaid, une tasse, quelques gâteaux et chut laissez-vous emporter… Une romance qui apporte de la douceur, le sourire, et redonne le moral…  Que demander de plus ?

Angela habite Londres où elle est photographe de mode. Elle a un boy-friend, Edward, et tout va bien même si sa chef a tendance à vouloir tout de suite, et à faire des caprices de diva. Parfois Angela en a assez d’elle mais elle veut une place au soleil dans ce métier et elle se donne à fond. Ce soir-là, Edward lui annonce qu’ils fêteront Noël avec ses parents car il tient à présenter sa dulcinée. Elle pourrait se réjouir de cette rencontre officielle mais pas du tout. D’abord, elle déteste Noël (et oui ça arrive !), il va falloir qu’elle trouve des cadeaux pour le père et la mère de son cher et tendre. Cela va être difficile, ce sont des gens un peu « prout prout », va-t-elle trouver de quoi les satisfaire ? Angela se raconte, nous explique ses déboires d’une plume vive, pleine d’humour.

En parallèle, on découvre Matias, qui s’occupe d’un vignoble en France mais qui voyage pour vendre son vin, le faire découvrir. Pourtant il préfère le terrain aux vastes opérations de marketing. Mais bon, parfois, il faut en passer par là pour avoir suffisamment de relations pour écouler sa production.

Angela n’a vraiment pas envie de ce Noël avec la belle-famille et voilà qu’elle reçoit un appel téléphonique qui va bien l’arranger. Elle doit partir en Provence régler la succession de son père. Promis elle sera de retour pour le réveillon … Tout est prévu.

Tout, vraiment ? C’est sans compter une météo capricieuse avec la neige qui s’invite… Un clin d’œil du destin ? Peut-être…..

Écrit à quatre mains ou à dix doigts (Sandra et Alice se sont-elles partagées les personnages ? écrivant les chapitres à tour de rôle ?), ce récit, même parfois prévisible, fait du bien. Il y a de l’humour, des chansons, de bonnes choses qui vous font saliver ….  Différents thèmes sont délicatement abordés : le stress au travail, la filiation, le poids de l’héritage familial, l’approche des traditions, des fêtes, qui n’est pas la même pour chacun et qui peut changer suite à des événements douloureux.…

J’ai aimé les personnages, dont Angela au caractère bien trempé, pas toujours diplomate mais pleine de vie. Un feu follet qui illumine ce texte. Matias est plus pondéré mais il peut aussi monter dans les tours. Dans ce recueil, c’est la vie avec ses hauts et ses bas qui est évoquée, avec délicatesse, sans en rajouter, simplement des faits de tous les jours avec les rencontres qui créent des liens, et ce quotidien qui peut nous surprendre. C’est une romance, juste une histoire qui rend heureux et c’est déjà beaucoup.

Une play list, des recettes, complètent à merveille ce recueil pour en faire un cadeau à offrir ou à s’offrir.


"Les eaux noires" d'Estelle Tharreau

 

Les eaux noires
Auteur : Estelle Tharreau
Éditions : Taurnada (7 Octobre 2021)
ISBN : 978-2372580922
252 pages

Quatrième de couverture

Lorsque les eaux noires recrachent le corps de la fille de Joséfa, personne ne peut imaginer la descente aux enfers qui attend les habitants de la Baie des Naufragés. L'assassin restant introuvable, à l'abri des petits secrets et des grands vices, une mécanique de malheur va alors tout balayer sur son passage…

Mon avis

C’est presqu’au milieu de nulle part … Yprat, une baie peu habitée dans le Nord. Un cul de sac en quelque sorte avec quelques maisons. Tout se sait, tout se voit, tout s’entend … Pourtant dans chaque demeure, il y a des secrets, des non-dits. On s’attarde d’abord sur Joséfa qui élève seule sa fille, Suzy, 17 ans. Elle travaille de nuit et a confié la clé à des voisins obligeants que Suzy pourra appeler en cas de problème. Elle n’a pas vu ou plutôt pas voulu voir que son adolescente est en train de devenir une belle femme… Les enfants restent toujours les « petits » de leur mère. Alors quand Suzy est retrouvée morte dans une tenue légère, cette mère ne peut pas y croire. Ce n’est pas possible, qu’est-ce qui lui a échappé, de quoi est-elle coupable, elle qui a fait le maximum pour sa progéniture ?

Elle harcèle la police, les amies de Suzy, les voisins, celui qui sort le soir pour fumer, celui qui se promène la nuit pour faire des clichés d’oiseaux nocturnes, celle qui voit tout derrière ses rideaux…
Bien entendu, elle n’obtient pas de réponse, personne n’a rien vu ou personne ne veut parler, comment savoir où se situe la limite ? Elle devient lionne, s’accroche, insiste, sombre dans des espèces de délire, se met en colère contre tout le monde. Elle ne comprend pas, elle veut des réponses. On sent que c’est une mère courage, qu’elle se battra toujours quitte à y laisser son emploi, sa santé, ses quelques soutiens ….

Mais la situation traîne, les gens se moquent de cette femme qui continue de croire qu’elle va trouver le coupable. Enfin, sa fille dans cette tenue affriolante, ça voulait bien dire quelque chose non ? Et puis cette maman n’était-elle pas très (trop ?) proche de certains voisins célibataires ? On peut légitimement se poser des questions, non ?

Dans cette baie, tout se sait, mais rien ne se sait. Sans doute la faute à quelques taiseux, à quelques langues de vipère, les uns ne parlent pas assez, les autres parlent trop….pas de mesure et si en plus on rajoute les menteurs….

Avec une plume acérée, quasi chirurgicale, Estelle Tharreau décrit à la perfection ce microcosme humain. Chaque personnage est détaillé dans ses forces, dans ses failles, dans ce qu’il est, dans ce qu’il fait, dans ce qu’il cache, dans ce qu’il montre. Personne n’est vraiment celui ou celle qu’on imagine. Plus on avance dans le roman, plus on découvre de ci de là une petite révélation qui peut changer le cours de l’enquête qui piétine. Cela modifie également notre regard sur les habitants de ce coin paumé où même la nature semble hostile.

Le récit avance au fil des jours, des semaines, des mois. On suit les recherches de Jo, les investigations des policiers. Si la mer pouvait parler, si les vagues pouvaient murmurer… car c’est bien cette baie qui est le témoin majeur, celle qui sait tout et ne peut rien dire. En lisant, je visualisais les flots grondeurs, les cailloux, j’entendais le vent, le bruit du ressac, je sentais l’iode, et j’avais peur parfois… parce qu’on plonge dans cette histoire, elle nous colle à la peau, on ne peut pas la lâcher, on veut savoir, on veut que Jo trouve la paix ou quelque chose d’approchant….

Ce livre est réussi, il y a du rythme malgré un lieu pratiquement fixe qui fait penser à un huis clos, l’angoisse monte au fil des pages car on sent bien que personne n’est clair, qu’il faut se méfier et qu’une étincelle peut tout enflammer.

C’est un excellent thriller avec une approche psychologique des individus très intéressante.


"ALIENés" de Fabrice Papillon

 

ALIENés
Auteur : Fabrice Papillon
Éditions : Plon (14 Octobre 2021)
ISBN : 978-2259306003
512 pages

Quatrième de couverture

Mai 2022. À 400 kilomètres de la terre, la station spatiale internationale sombre dans la nuit artificielle. Tandis que l'équipage dort, le cadavre éventré d'un astronaute américain flotte en impesanteur dans l'un des modules de recherche. Le même jour, à Lyon, le corps éviscéré d'un biologiste américain est retrouvé à 30 mètres de profondeur, dans un mystérieux réseau de galeries souterraines baptisé les " arêtes de poisson ". S'engage une double enquête, d'abord internationale avec la NASA, aux États-Unis, pour tenter d'élucider un meurtre inédit dans l'histoire : celui d'un astronaute dans l'espace.

Mon avis

Fabrice Papillon est un journaliste scientifique, producteur de documentaires. ALIENés est son troisième roman. Ses nombreuses et solides connaissances, intégrées dans une intrigue habilement ficelée, permettent d’avoir un livre qui interroge et qui documente le lecteur, tout en lui faisant passer un excellent moment. C’est un thriller qui se déroule en 2022, avec une pointe d’anticipation, des investigations policières et un contexte très intéressant qui mêle personnages et situations réelles avec une fiction qui secoue.

L’ISS, vous connaissez ? Depuis que Thomas Pesquet est allé en mission là-haut, rares sont ceux qui n’ont pas entendu parler de ce lieu. Ce soir-là, dans l’espace, tout le monde dort ou presque… Pourtant, un astronaute américain est mort, éventré. Et lorsqu’ils s’en rendent compte, ses camarades prennent peur. Meurtre en huis-clos, que s’est-il passé ? Chacun des coéquipiers - pière (il y a une femme), peut être responsable. Comment continuer à travailler sereinement dans ces conditions ? Qui est coupable ? Et surtout que faire du corps ? Comment agir ? Dépêcher quelqu’un sur place ou enquêter à distance ?

Parallèlement, à Lyon, dans les fameuses arêtes de poisson, réseau souterrain bien connu dans cette ville, un homme est retrouvé, c’est également un américain et lui aussi est éventré. Louise Vernay, commandant à la PJ de la cité, est chargée de l’affaire. C’est une femme volontaire, un peu borderline, qui a « épousé » son métier, c’est toute sa vie. Elle veut comprendre, elle prend des risques, elle abuse de ses droits quitte à détourner la vérité pour obtenir ce qu’elle veut. Elle va loin, très loin mais elle arrive, le plus souvent, à ses fins. Pratiquement persuadée qu’il existe un lien entre ces deux morts inexpliquées, elle va se débrouiller pour agir, un peu en électron libre et se voir confier, de façon plus ou moins officielle, des investigations des deux côtés de l’océan.

Su un rythme endiablé, avec des effets à la James Bond, l’auteur nous a concocté une histoire qui ne souffre d’aucun temps mort. L’écriture est vive, fluide, totalement addictive. Le propos est intéressant, on passe d’un lieu à l’autre, d’un individu à l’autre sans jamais se perdre malgré les ramifications très bien amenées. J’ai particulièrement apprécié les nombreux thèmes abordés. Notamment la place des géants du numérique (GAFAM, NATU …) qui l’air de rien, gouvernent une partie du monde et l’influencent. Fabrice Papillon évoque de temps à autre des faits réels, nous obligeant à ne pas rester à la surface de son récit mais bien à réfléchir, à plonger dans les dessous de l’histoire de l’homme, des hommes. Comme il arrive à vulgariser tout ça, il ne perd pas le lecteur dans trop de détails et maintient intact son intérêt et le suspense.

Les personnages pourraient sembler caricaturaux au premier abord mais ils ne le sont pas tant que ça. Certains jouent sur plusieurs tableaux et sont peu clairs dans leurs rapports aux autres. A la place de Louise, je n’aurais pas su à qui faire confiance et je pense que j’aurais eu les mêmes envies qu’elle concernant Ethan ;-)

On se demande souvent comment peut se terminer une histoire comme celle-ci, et je dois dire que je ai trouvé la fin tout simplement réfléchie et réussie.

Cette lecture m’a beaucoup plu, je visualisais parfaitement les lieux lyonnais et j’avais l’impression d’avoir le plan de la ville sous les yeux (ou d’être dans un drone). Tout le côté scientifique m’a fascinée et m’a poussée à vérifier les différentes allégations.

C’était ma première rencontre avec l’auteur et j’ai très envie de découvrir d’autres titres.


"Le murmure des attentes" de Philippe Nonie

 

Le murmure des attentes
Auteur : Philippe Nonie
Éditions : Lucane (16 octobre 2013)
ISBN : 979-1091166034
216 pages

Quatrième de couverture

Mai 2012. Journaliste clandestine en Syrie, Nicole, touchée par un éclat d’obus se terre au fond d’une cave. Cette femme blessée se remémore les épisodes de sa vie et redécouvre le destin exceptionnel de son grand-père, Hô. Hô, arraché à son Tonkin natal en 1915, traverse les conflits mondiaux du XXe siècle, et garde l'espoir de revoir un jour son pays.

Mon avis

Nicole, correspondante de guerre en Syrie est blessée et de fait, immobilisée. Vient le temps de l’attente en espérant s’en sortir et être évacuée… Si tous nos temps d’attente étaient mis bout à bout, ne pourrions-nous pas vivre une autre vie ? Elle pense aux différentes périodes de sa vie, à des âges divers, où elle a dû attendre, à ses réactions, mais aussi à celles des autres… Tout cela la ramène à son grand père qui, la dernière fois où elle l’a vu, a parlé de l’attente. On retrouve entre les différents instants du présent de la journaliste, l’histoire de Hö, ce papy qui a quitté le Tonkin et qui voulait y retourner.

C’est le titre qui m’a attiré et donné envie de découvrir ce roman. Nicole ne peut plus agir donc elle doit laisser passer le temps. Son esprit, sa mémoire l’entraînent ailleurs dans le passé. Tout est évoqué avec beaucoup de retenue, de délicatesse. Elle met à profit ce temps de repos forcé car elle a toujours besoin d’agir. Elle est attachante, on a envie que son cheminement lui apporte quelque chose, qu’elle comprenne où est la vie.

A travers l’histoire de Hô, le grand-père nous revisitons les guerres, les relations entre les hommes. Nous découvrons un homme droit qui obéit et n’ose pas toujours se rebeller….

Les lieux et dates sont bien définis. Le rythme donné en changeant d’endroit est bien dosé. L’écriture est belle, les dialogues plaisants à lire.

C’est un beau roman et mettre toutes sortes d’attente dans un même recueil en gardant un récit linéaire, est un défi que Philippe Nonie relève avec doigté et finesse.


"L’histoire d’un mariage" d'Andrew Sean Greer (The Story of a Marriage)

 

L’histoire d’un mariage (The Story of a Marriage)
Auteur : Andrew Sean Greer
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Suzanne V. Mayoux.
Éditions : L’Olivier (7 Avril 2009)
ISBN : 978-2879296258
276 pages

Quatrième de couverture

Holland Cook est un jeune homme d’une grande beauté, à la personnalité mystérieuse. Pearlie tombe amoureuse de lui au premier regard. Séparés par la guerre, ils se retrouvent en 1949 à San Francisco et se marient. Pearlie pense vivre un bonheur tranquille. Quatre ans plus tard, la belle histoire vole en éclats lorsqu’elle reçoit la visite de Charles Drumer, un homme d’affaires qui lui propose un étrange marché.

Mon avis

Un roman dont le souvenir est très vivace en moi.

Un roman pour nous démontrer, si besoin est , le vieil adage "On ne connaît jamais vraiment ceux que l'on aime." Chacun porte en soi une "part d'ombre", plus ou moins importante.

Pearlie fait tout, absolument tout (trop sans aucun doute...) pour protéger son mari et le rendre heureux. S'oublie -t-elle pour faire le bonheur de son homme ou son bonheur est-il de le savoir heureux?

La vie s'écoule ainsi, huilée, lisse ... jusqu'au jour où une visite surprise et surpenante va faire voler en éclats les codes et habitudes établis. Pearlie est déstabilisée, ne sait pas, ne sait plus ....

J'ai beaucoup aimé l'approche de la ségrégation raciale dans cet écrit, c'est bien abordé.

Le livre reprend un sujet connu, les non-dits dans le couple, le "lourd secret" d'un des deux partenaires mais la façon de le traiter est originale. L'auteur emploie le ton juste même si on peut reprocher que certaines situations soient un peu exagérées.

C'est une écriture limpide, agréable, les événements s'enchaînent et nous n'avons aucune difficulté à suivre.

Ce n'est pas un "incontournable" mais un bon roman.

"Le maître américain" de Fabrizio Gatti (Educazione americana)

 

Le maître américain (Educazione americana)
Le roman qu’aucun agent de la CIA n’a jamais pu écrire
Auteur : Fabrizio Gatti
Traduit de l’italien par Jean-Luc Defromont
Éditions : Liana Levi (7 Octobre 2021)
ISBN : 979-1034904655
464 pages

Quatrième de couverture

Simone Pace a choisi de confier ses secrets à Fabrizio Gatti, lors de rendez-vous dans la basilique de San Pietro in Vincoli, à Rome. Son récit, il le déverse aux pieds du Moïse de Michel-Ange. Pourtant cet ancien policier recruté par la CIA se soucie peu de la Loi divine. Sa loi est celle que lui a dictée son maître américain : œuvrer pour influencer les démocraties européennes. Si, à un seul moment de leur vie, ils avaient emprunté une voie différente, le monde ne serait sans doute pas tel que nous le connaissons.

Mon avis

Magistral !

« Le monde des fantômes ne devrait jamais révéler ses secrets à l’inframonde de ceux qui ne se doutent de rien. »

Fabrizio Gatti est un journaliste très connu en Italie. Il s’infiltre ça et là pour mettre au jour des magouilles ou des fonctionnements qui lui posent question (son livre « Bilal » raconte comment il s’est glissé dans la peau d’un immigré clandestin). Il est honnête dans ce qu’il écrit, quitte à déranger. Il sait que la corruption est importante dans son pays mais il ne veut pas se taire.

Est-ce pour ça que Simone Pace l’a choisi pour se confier ? Peu importe, puisqu’il a accepté et de ce fait a écrit un « roman document d’une histoire vraie ». Est-ce que tout est réel, est-ce que tout est inventé ? Ce livre est classé dans la collection « Document » de l’éditeur, à vous de voir…

« Sans connaître le passé, vous ne pourriez pas décoder le présent. »

Est-ce que rien n’arrive au hasard dans le monde politique, chez nos nombreux gouvernants ? C’est ce que tend à démontrer ce recueil. Fabrizio Gatti a l’habitude de prendre des risques, de ne pas baisser les yeux, d’oser. Alors quand il est contacté par un homme, apparemment ancien agent de la CIA, qui a besoin de vider son sac, il saisit son carnet et son stylo et va au rendez-vous. Au fil des entretiens avec Simone Pace, il a pris la mesure de « tout ça » : les collaborations secrètes (entre autres avec la Cosa Nostra), les meurtres (comme celui de Gerald Bull en 1990), les trafics d’influence, les actes ratés qui influent le cours de l’histoire… Pace se raconte (sur une trentaine d’années de sa vie, depuis l’âge de vingt ans quand il a été « recruté » jusqu’à la cinquantaine). Gatti interroge de temps à autre mais il analyse et recherche entre deux rencontres et ses questions sont pertinentes, pointues, obligeant Simone à aller plus loin et même, quelques fois, à réaliser ce qui lui avait échappé.

Membre du réseau clandestin qu’utilise la CIA en Europe pour les « basses besognes », Simone n’a jamais fréquenté les hauts placés de l’agence. Il a toujours été en lien avec des « contrôleurs » qui servaient d’intermédiaires. De cette façon, il « n’existait pas », impossible de remonter à la source.
Une vie cachée, une vie à se cacher tout en se fondant dans la masse le plus anonymement possible. Son mariage y-a-t-il résisté ? Sa femme a-t-elle supporté ses absences plus ou moins justifiées, expliquées ? Difficile d’avoir deux vies, encore plus trois ou quatre….

Simone Pace explique. A chaque mission, refouler les souvenirs, faire du tri, oublier et passer à autre chose, ne pas vivre dans la peur, sentir l’adrénaline monter mais se dominer, rester impassible, être vigilant en permanence, travailler les réflexes qui permettent de savoir si on est suivi… etc…

Ce récit est passionnant, écrit (merci au traducteur) avec beaucoup d’intelligence. On pourrait imaginer que lire une suite d’événements va être barbant mais il n’en est rien, on revisite une actualité dont on a entendu parler, on la déchiffre sous un autre angle et ça fait froid dans le dos. Est-ce que les hommes politiques sont intouchables, est-ce qu’on est sans cesse manipulé, est-ce que l’information est détournée, modifiée, pour coller à ce que décident les têtes soient disant pensantes ? Est-ce que ce serait mieux si d’autres choix avaient été faits ? A-t-on les réponses ? Et surtout veut-on les connaître ?

J’ai lu cet opus d’une traite, retenant mon souffle, me glissant dans la peau de l’un, de l’autre, visualisant des scènes, essayant d’anticiper la suite… C’est un texte riche, abondant, fourmillant de renseignements, d’anecdotes. C’est captivant, intéressant et quelque part un peu déstabilisant … car la question : est-ce que tout est vrai ? vous hante lorsque vous tournez la dernière page….


"La péninsule ambiguë" de Gérard Saout

 

La péninsule ambiguë
Auteur : Gérard Saout
Éditions : Livre Actualité (26 mai 2021)
ISBN : 978-2754309172
485 pages

Quatrième de couverture

Imaginons un pays où tout n'est que luxe, gaz et vacuité, un gaz plus naturel qu'un luxe bling-bling dans son écrin désertique, un pays où les dirigeants se doivent d'investir pour l'après-pétrole et achète la France, y rachète entreprises, châteaux et demeures somptueuses, artistes et équipe de foot, se veut l'ami de nos élites, se voudrait discret mais intéresse trop les médias, se veut l'intermédiaire, le négociateur mais finance l'opaque, le trouble et croit intervenir dans la marche d'un monde qui l'aime peu. Imaginons l'un des intermédiaires qui, au nom de cet Émirat, suit, contrôle, finalise ces investissements d'après-pétrole, un bureau privé où les égos s'ébouriffent vite dans la valse des millions, un cabinet où tout ne devient que conflits, vétilles et ridicule.

Mon avis

« La péninsule ambiguë » est un livre foisonnant, intéressant, édifiant… L’auteur a travaillé comme comptable pour un émir du Qatar. Il a voyagé, suivi les « affaires » financières de cet homme et de ses « adjoints » pendant plusieurs années. Il a vu de près les « petits arrangements », les blanchiments qui ne portent pas ce nom car ils sont cachés, les trafics d’influence, les sous-entendus, les marchés détournés, les tricheries …. Lui, il était honnête, foncièrement honnête et droit alors forcément, certaines choses le gênaient et peut-être que c’est lui qui a finalement dérangé parce qu’il voyait trop clair ?

Interprétations des faits, ressentis, jugements, tout est différent suivant le pays où on se trouve, Gérard Saout nous le démontre. Il nous explique aussi qu’il a subi des « tests » car si la compétence est importante, la confiance l’est encore plus dans ces milieux. En essayant de le piéger, ses supérieurs vérifiaient sa probité. Crise diplomatique, anecdotes, comptes-rendus, les informations sont nombreuses et variées. On comprend vite le poids des finances, la force de l’argent qui gouverne tout. Ne dit-on pas qu’il est le nerf de la guerre ?

Les souvenirs sont égrenés. On suit le comptable dans ses tâches quotidiennes, on constate que son activité professionnelle déborde sur sa vie personnelle, que l’ambiance n’est pas toujours au top entre collègues, que certains se laissent manipuler.

Médiapart, le Canard, Marianne, ils ont été nombreux à contacter Gérard Saout pour écrire sur ce qu’il a vécu mais un article est toujours sujet à caution même si la personne qui le rédige essaie de rester impartial. « La péninsule ambiguë » offre un témoignage fort, troublant, sans retenue, bien documenté sur des situations précises, évoquées avec une écriture vive et parfois une pointe d’humour.

Aussi fort qu’un documentaire, une vue de l’intérieur, très forte, qui interpelle … on ne vit pas dans un monde bisounours, qu’on se le dise ….

Dans les dernières pages, des livres et articles sont cités. Rien n’a été laissé au hasard et le lecteur qui veut aller plus loin ne s’ennuiera pas une seconde.


"Evergreen Island" d'Heidi Perks (Evergreen Island)

 

Evergreen Island (Evergreen Island)
Auteur : Heidi Perks
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Carole Delporte
Éditions : Préludes (6 octobre 2021)
ISBN : 978-2253080800
450 pages

Quatrième de couverture

Au large des côtes de l’Angleterre, Evergreen Island abrite une petite communauté qui vit isolée du reste du monde. Lorsqu’un corps est déterré dans le jardin de la maison d’enfance de Stella Harvey, la jeune femme est bouleversée. Surtout que vingt-cinq ans auparavant, un soir de tempête, sa famille a mystérieusement fui les lieux…

Mon avis

Un peu plus de cent habitants sur l’île d’Evergreen, reliée au continent par un ferry. C’est dire si tout le monde se connaît (s’espionne ?), sait ce que fait le voisin… Stella y a passé son enfance avec sa sœur, son frère et leurs parents. Un soir de tempêté, ils sont partis. Partis ? Cela ressemblait plus à une fuite et ce choix paternel a été très difficile pour elle tant elle était attachée au lieu et à ceux qui le peuplaient. La distance n’aidant rien, elle n’a pas gardé de liens avec qui que ce soit. Est-ce parce qu’elle était mal loin de « son île » et pour « se réparer » qu’elle est devenue thérapeute ?

Vingt-cinq ans se sont écoulés et Stella a trouvé un équilibre. Jusqu’au jour où un policier la contacte pour l’interroger. Un corps a été découvert près de la maison où elle logeait avec sa famille. Au bras, un bracelet d’amitié qu’elle avait fabriqué il y a si longtemps….  Malgré les mises en garde de sa frangine, elle part passer quelques jours sur Evergreen. Elle veut comprendre pourquoi son père a décidé de quitter l’île précipitamment avec tous les siens. Elle est persuadée qu’on ne lui a pas tout dit, qu’on lui a toujours caché quelque chose…. Ce qu’elle n’a pas anticipé du tout, c’est que sa présence va vite déranger, qu’elle recevra des menaces anonymes et que ce qu’elle risque de mettre au jour peut l’ébranler, la déstabiliser….

Il n’est jamais bon de remuer le passé, pas plus que de garder des non-dits, des secrets familiaux qui finissent toujours par être éventés. L’auteur nous le rappelle dans un récit sans temps mort, construit entre passé et présent. Elle nous égare sur différentes pistes, nous fait approcher de la vérité pour nous en éloigner, jouant avec nos nerfs.

L’écriture fluide (merci à la traductrice) sans temps mort, est rythmée par les différentes rencontres que fait Stella. Nous passons du « autrefois » à maintenant, découvrant les rapports que les différents personnages avaient entre eux, ce qui les a rapprochés ou séparés. Une carte, située en début d’ouvrage, nous permet de repérer les lieux et de nous familiariser avec l’environnement.

J’ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture, je me suis attachée à Stella et même si j’avais deviné la fin, ça ne m’a pas gênée. L’histoire est prenante. L’atmosphère est bien retranscrite, on sent le poids des silences dès qu’on met le pied sur Evergreen, ça pèse lourd … L’angoisse monte parfois, on se demande jusqu’où peuvent aller les protagonistes. Et puis, Stella est confrontée à des choix terribles et on se demande comment on aurait réagi à sa place….


"Etre ou ne pas naître" de Klod Soløy

 

Être ou ne pas naître
Auteur : Klod Soløy
Éditions : Horsain (10décembre 2014)
ISBN : 978-2-36907-014-6
222 pages

Quatrième de couverture

Chroniconte des Cévennes… ou d’un ailleurs… aux marges du XXème siècle… Là-haut, la montagne est si belle, si apaisante quand les loups rôdent dans la vallée hostile et qu’au fil des torrents, dans l’étuve des filatures, se meurent les jolies filles sous les falbalas de leurs gorgettes. Itinéraire d’un enfant autiste, Poblank, venu de nulle part et qui aurait aimé s’appeler Tarzan, jeux de saute-laine avec Fangette la petite gardienne de cabras… Et l’insondable Puech aux Orties où se cache la grotte magique, matrice des origines, où l’on peut renaître… ou se perdre… quelque part en Afrique, ou dans un ailleurs proche…

Mon avis

Sache conserver ton innocence….

C’est ce qui est répété à l’enfant qui nous « parle » dans ce roman.

Parler est bien grand mot pour un petit bout d’homme coupé du monde par son silence. Il ne parle que dans sa tête et seul Terzenne entend ce qu’il dit en lui… Nous aussi, puisqu’il partage ses pensées avec nous…

Étrange conversation qui n’est pourtant pas à sens unique… Il y a tant de moyens de communiquer, tant de façons d’être ou de naître…car on ne naît pas qu’une fois…On naît à la vie, une première fois puis aux vies, celles qui nous hantent, celles qui nous habitent, celles que nous rêvons, celles que nous nous fabriquons…

Et on est, parce qu’on vit, et qu’un jour on est né mais comme on naît plusieurs fois, on est plusieurs fois également….

D’où vient-il ce garçon abandonné ? Lui qui a la peau si blanche et les mains magiques qui guérissent, qui est-il ? Combien de fois est-il né ? Lorsqu’il a été recueilli, est-il né une seconde ou une deuxième fois ? Que perçoit-il, que comprend-t-il de ce qui l’entoure ? Est-ce que son mutisme est un atout ou au contraire un obstacle à entrer dans le monde des hommes ? Garder son innocence, est-ce rester petit dans sa tête ou garder intact sa capacité d’émerveillement ? Que peut devenir ce jeune recueilli par un groupe atypique que je vous laisserai découvrir ? Que peut être la vie de celui qui ne cerne pas tous ses « pouvoirs » parce que dans la difficulté de les appréhender?

La langue occitane et le français se mêlent sous la plume décoiffante de l’auteur apportant une touche d’originalité, de poésie, et même un petit air désuet de temps à autre. Klod Soloy a une écriture particulière tout en pleins et déliés, en ressentis, en émotions glissées entre les lignes… Rien ne semble rectiligne quand on le lit, il vous porte, vous transporte, vous laisse parfois sur le bord du chemin, un peu sonné, abasourdi, et puis vous reprenez le livre car l’enfant, l’enfant qui meuble les pages, vous voudriez bien en savoir plus, le comprendre, l’ouvrir au monde, enfin à un autre monde que le sien qui est celui du silence….


"QI" de Christina Dalcher (master class)

 

QI (Master class)
Quand la réussite a un prix
Auteur : Christina Dalcher
Traduit de l’anglais par Michael Belano
Éditions : Nil (7 octobre 2021)
ISBN : 978-2378910235
416 pages

Quatrième de couverture

Le potentiel de chaque enfant est régulièrement calculé selon une mesure standardisée : le quotient Q. Si vous obtenez un score élevé, vous pourrez fréquenter une école d'élite avec à la clé un avenir en or. Si votre score est trop bas, ce sera un internat fédéral n'offrant que des débouchés très limités. Le but de cette politique ? Une meilleure société où les enseignants se concentrent sur les élèves les plus prometteurs. Elena Fairchild, enseignante dans un établissement d'élite, a toujours soutenu ce système. Mais lorsque sa fille de neuf ans rate un test et part pour une école au rabais à des centaines de kilomètres, elle n'est plus sûre de rien.

Mon avis

« Nous ne sommes pas tous les mêmes. »

Quel parent n’a pas un jour râlé contre le niveau de la classe de son enfant, niveau trop faible ou trop haut qui ne lui convenait pas et l’empêchait de progresser à son rythme ? Et les évaluations, mal dosées, mal placées dans le calendrier ou la journée, qui font paniquer les élèves, qui stressent les familles car on compare, on fait des groupes …

Dans ce roman, Christina Dalcher pointe du doigt les dérives auxquelles la société s’exposerait en voulant faire trop de tri, en choisissant des écoles d’élite en fonction des tests réussis ou pas autant par les enfants que les parents. Cela nous interroge. Qu’est-ce qu’un élève parfait ? Celui qui a toujours de bonnes notes ? Celui qui s’épanouit dans ce qu’il fait ? Celui qui a choisi la voie qu’espérait sa famille ? Que faire face au handicap, à la différence, aux troubles dys etc ?

Une famille ordinaire, un père, Malcolm, qui travaille au département de l’Éducation, une mère, Elena, enseignante, deux filles, Anne et Freddie. Tout pourrait aller pour le mieux mais la pression est permanente, les tests mis en place par le gouvernement pour classer les personnes au mérite, pèsent de plus en plus sur l’ambiance familiale. Surtout sur la maman et Freddie. Elena sent une certaine fragilité chez sa petite qui ne supporte plus toute cette charge mentale, bien trop lourde.

Pour l’instant, tout va encore à peu près bien mais ce matin-là, Freddie ne veut pas, son corps dit stop, son esprit sature, elle ne peut pas aller dans son établissement scolaire passer ce fameux examen. Elle est à bout et Elena, qui dans un premier temps, essaie de la persuader qu’elle va s’en sortir, que tout ira bien, ne sait plus que faire. Elle finit par mettre sa fille dans le car de ramassage. L’angoisse la prend, a-t-elle fait les bons choix ? Avant et maintenant ?

Ce qui est intéressant, c’est le cheminement d’Elena. Au départ, elle est enseignante pour le « haut du panier » et n’est pas contre le système. Elle observe les voisins dont les enfants, baissant de régime, changent de car et d’établissement scolaire. Elle regarde tout ça de loin même si on sent un peu d’énervement. Mais lorsque c’est sa propre gosse qui est rétrogradée, qui souffre, elle prend en pleine face la détresse de quelqu’un qu’elle aime plus que tout. Et ça fait mal, très mal….

J’ai trouvé le fonctionnement de l’éducation, des relations humaines, présenté avec beaucoup de doigté, de finesse. Les éléments sont amenés petit à petit, les interrogations, l’angoisse monte face à ces choix qui ont été faits. Que peut faire une pauvre mère de famille face des bulldozers humains qui pensent avoir raison ? Qui peut lui apporter du soutien ? Comment agir sans se faire prendre ?

C’est avec une écriture fluide (merci à la traductrice), sans temps mort, que l’auteur nous entraîne dans ce qui pourrait devenir le pire cauchemar de l’école. Les êtres humains ont déjà fonctionné de cette façon. Christina Dalcher nous rappelle l’eugénisme, ce contrôle sur les naissances pour ne faire que de « bons » enfants, a existé et que cette théorie qui ne visait qu’à avoir des gens de « valeur » était très dangereuse. Que serions-nous sans la richesse de nos différences ? Soyons vigilants, prudents dans nos actes et nos propos. Gardons une place privilégiée à l’enfance, aux rêves, à la vie mouvementée avec ses hauts, ses bas…  

Ce roman se lit d’une traite, il est fascinant, sans temps mort, on serre les poings, on sent la colère monter en nous, on espère … on est dedans, à fond …. Et quand on est dans l’enseignement (comme moi), on sait encore plus pourquoi on ne veut pas de classe homogène avec des élèves pantins tous pareils !


"Invisible" d'Antonio Dikele Distefano (Non ho mai avuto la mia età)

 

Invisible (Non ho mai avuto la mia età)
Auteur : Antonio Dikele Distefano
Traduit de l’italien par Marianne Faurobert
Éditions : Liana Levi (7 Octobre 2021)
ISBN : 9791034904556
226 pages

Quatrième de couverture

Enfant, le narrateur de ce roman l’a été trop brièvement. Dès l’âge de sept ans, il se pense «invisible». Invisible pour ses parents occupés par leurs conflits personnels. Invisible pour ceux qui le croisent dans la rue et ne voient que sa couleur de peau. Et invisible pour l’État italien, car il lui est impossible d’obtenir la nationalité de ce pays dans lequel il est né de parents étrangers. Quelle est alors son identité puisqu’il ne connaît pas l’Angola, terre de ses ancêtres ? Replié sur lui-même, Zéro -c’est ainsi qu’on le surnomme-encaisse les coups durs à chaque étape de sa vie.

Mon avis

Antonio Dikele Distefano est né en Italie de parents angolais. Sa Maman a ouvert un magasin d’alimentation exotique où il entendait les gens raconter leur vie. Alors, plus tard, il a écrit des histoires, tout en étant passionné de rap. Un éditeur l’a remarqué (il publiait sur Facebook) et c’est comme ça qu’il s’est mis à écrire des romans. « Invisible » est le quatrième et il a donné naissance à la série « Zéro » sur Netflix.

Zéro, c’est le narrateur de ce récit, on le suit de sept à dix-sept ans. Il est né italien, mais sa couleur de peau le rend étranger. Il est de nulle part puisque sur place, il n’est pas « reconnu » et là-bas, en Afrique, il ne peut pas y aller. Ses parents se séparent, la mère le garde puis elle finit par l’envoyer, avec sa sœur Stefania, chez leur père. Une vie meilleure ? Pas du tout.

Bien sûr, il y a les après-midis et les soirées avec les copains, les rêves qui permettent de croire en tous les possibles (avec une scène magnifique sur un toit), mais surtout les désillusions, le racisme quand on est rejeté, partout, comme si, marqués au fer rouge, vous ne pouviez pas être acceptés comme une personne ordinaire. Dans la cité où il habite, Zéro se lie avec d’autres garçons comme lui. Ils se comprennent, se soutiennent, jouent au foot (en se voyant déjà dans de grands clubs), font du vélo, regardent les filles et rient… Les espaces autour des HLM sont leur terrain de jeu. Ils savent qu’il faut se méfier des Blancs car comme le dit la mère : « Les Blancs voient toujours de la méchanceté chez les Noirs ».

Enfant, pour Zéro, ses amis sont à la fois son pays, sa maison, sa famille… Il n’a qu’eux. Sa frangine fait ce qu’elle peut et les parents ne sont pas très présents, pas investis (ou mal) dans leur rôle d’éducateurs. Zéro grandit sans confiance et ça le conditionne, il ne se sent pas légitime, toujours coupable ou presque. Il a le sentiment de ne pas avoir le droit d’être là, d’être en couple … Il y a toujours une assistance sociale, un propriétaire à qui son paternel doit des loyers, une personne agressive, pour déstabiliser le peu qu’il arrive à construire avec sa famille. Stefania l’aide, le conseille mais elle aussi vit des situations délicates.

C’est un récit qui fait un focus sur le quotidien d’un jeune. Un anonyme parmi tant d’autres, un invisible qui grandit trop vite, qui n’a pas d’âge (c’est le titre en italien) parce que c’est comme ça quand on doit assumer les failles des adultes. Comment penser à l’avenir lorsque vous ne pouvez pas vous projeter, comment espérer des jours meilleurs si la moindre amélioration est aussitôt suivie d’une débâcle ?

Comme le montre l’auteur, tout n’est pas que tristesse. Les jeunes sont contents d’un rien, de pédaler, de faire des blagues, de jouer au foot mais ce ne sont que des accalmies…. Pour autant, Zéro ne se plaint pas, il constate, il raconte ses rencontres, ses espoirs, ses échecs, ses erreurs, ses frayeurs, et à travers lui, c’est la voix de beaucoup d’invisibles qui s’élève, comme un cri qui enfle au fil des pages. « Je m’effaçais par crainte d’être jugé et exclu. »

J’ai trouvé ce roman émouvant, superbe. Plutôt que de nous parler de racisme et des difficultés à être africain dans un pays de Blancs, l’auteur nous conte l’histoire d’un garçon que l’on voit grandir, confronté à une société où il ne trouve pas sa place.

L’écriture (merci à Marianne Faurobert qui ne me déçoit jamais lorsque je lis un texte qu’elle a traduit) est lumineuse, élégante, porteuse de messages sans jugement. On souffre, on rit, on espère mais surtout on avance au côté de Zéro et on l’aime !

Un petit extrait pour le plaisir :

« J'ignorais qu'oublier une personne qu'on aime est plus difficile que de décider de ne plus la voir. Pour avancer, on est obligé de tuer une partie de soi et d'habiter le vide de la perte, et d'accepter qu'on ne sera plus jamais le même qu'avant. »


"Le serveur de Brick Lane" (The Waiter) de Ajay Chowdhury

 

Le serveur de Brick Lane (The Waiter)
Auteur : Ajay Chowdhury
Traduit de l’anglais par Lise Garond
Éditions : Liana Levi (7 Octobre 2012)
ISBN : 9791034904600
310 pages

Quatrième de couverture

Brick Lane. Dans ce quartier de Londres jeans et parkas se mélangent aux saris et les restaurants indiens proposent des currys aussi parfumés qu’au New Market de Calcutta. Kamil y est serveur depuis peu, mais de serveur, il n’a guère que l’habit, car son âme est celle d’un détective, et son modèle inavoué est Hercule Poirot. Mais de Londres à Calcutta, la mort a partout le même visage. Alors le serveur de Brick Lane troque son plateau contre sa casquette de détective, déterminé à affronter les fantômes du passé.

Mon avis

« Brick Lane » est le premier roman pour adultes de l’auteur. Il a vécu en Inde puis fait des études aux Etats-Unis avant de s’installer à Londres où il a fondé une compagnie de théâtre. Ce n’est pas le premier écrivain d’origine indienne mis à l’honneur par la maison d’éditions Liana Levi et c’est intéressant.

Ancien policier à Calcutta, Kamil est maintenant serveur à Londres dans le quartier de Brick Lane. Il est en situation illégale et travaille dans le restaurant d’un ami de son père. Pourquoi ? À Calcutta, il était policier, content de monter en grade et d’enquêter sur le meurtre d’une star de cinéma de Bollywood Asif Khan mais les événements ont mal tourné et il a perdu sa place. Non pas qu’il ait fait une ou des erreurs, mais sans doute que ce qu’il avait mis au jour, a dérangé. Lui, n’a pas eu envie de se taire, de faire semblant mais celui lui a coûté son emploi, sa fiancé et le fait d’être éloigné de sa famille. Son paternel ne lui manque pas trop car ils ont parfois des difficultés à se comprendre.

Troquer la casquette d’Hercule Poirot (qu’il admire) pour les gants blancs et le nœud papillon de serveur n’est pas chose aisée. Mais les gens qui l’ont accueilli, un couple et leur fille agréable, espiègle et joyeuse, l’aident et l’accompagnent avec beaucoup de bienveillance. Cela le soulage un peu mais on sent bien que son « vrai » métier lui manque énormément. Il l’exprime en évoquant son passé et sa dernière enquête régulièrement. C’est d’ailleurs lui qui parle en disant « je » dans ce récit.

En cet automne pluvieux, un ami du patron fête ses soixante ans dans le luxe et la volupté. Il a invité beaucoup de monde dont, au grand dam de sa très jeune épouse, son ex-femme, une personne peu discrète. Kamil est là en tant que personnel de service. Il observe, se montre efficace. Il constate rapidement que les gens voient le plateau qu’il tient mais pas lui. Il en profite et rien n’échappe à son regard acéré : tensions, discussions secrètes etc. En fin de soirée, le fêté, Rakesh Sharma, est retrouvé assassiné près de la piscine. Aussitôt les vieux réflexes d’enquêteur ressortent et avant l’arrivée des policiers londoniens, Kamil agit. Il sait qu’il doit se faire oublier, d’autant plus qu’il flirte avec l’illégalité en faisant cela et en travaillant mais comme dit le proverbe : chasser le naturel, il revient au galop …..

Le récit oscille entre le présent en Angleterre et le passé quelques mois auparavant en Inde. C’est l’occasion de comparer les méthodes d’investigation, le poids des hommes politiques ou des supérieurs, la façon dont sont menées les recherches, les interrogatoires, et comment sont construites les conclusions. Il y a également le poids du pays, on ne réagit pas de la même manière d’un côté et de l’autre. L’analyse que fait Ajay Chowdhury est bien menée pour quelqu’un qui ne vit pas à Calcutta. Pour l’Angleterre, le quartier de Brick Lane est un lieu à visiter, ne serait-ce qu’à travers ce livre (d’ailleurs, cette histoire va être adaptée en série, j’ai hâte de la visionner). On découvre les rites, les habitudes des deux lieux.

L’écriture est vivante (merci à Lisa Garond pour sa traduction), bien rythmée. Les protagonistes ont de la consistance et une part d’ombre, personne n’est vraiment lisse. On s’aperçoit que le passé, les préjugés, les us et coutumes influencent les ressentis, les déductions, les réponses comme si quelques fois, la parole avait encore du mal à se libérer.

Je ne doute pas une seconde que Kamil fera encore le détective et c’est avec beaucoup de plaisir que je le retrouverai !


"Jeu dangereux du chat et de la souris" d'Hélan Brédeau

 

Jeu dangereux du chat et de la souris
Auteur : Hélan Brédeau
Éditions : Books on Demand (4 juin 2021)
ISBN : 978-2322269082
272 pages

Quatrième de couverture

Paris. Dans un immeuble du XI arrondissement, Charlotte Mesnand, gentille épouse et mère de famille s'ennuie. Un peu aidée, sa vieille voisine acariâtre tombe et meurt dans l'escalier. Suite à ce décès, la jeune femme va devenir un peu trop curieuse. Cela va déclencher un jeu, le jeu du chat et de la souris entre elle et un policier véreux.

Mon avis

Charlotte Mesnand habite un petit immeuble parisien avec son époux et ses enfants. Elle ne travaille pas et ses journées sont rythmées par la préparation des repas, quelques courses et beaucoup de lecture, principalement des romans policiers. Parfois ceux-ci la laissent sur sa faim, elle a deviné qui avait tué et trouve l’enquêteur peu dégourdi ou pas assez rapide ou l’histoire toujours partagée entre les bons et les méchants. Tout ceci lui semble parfois trop prévisible et manquant de fantaisie.

Une question la taraude : est-ce qu’on peut tuer sans être pris ? Et si son quotidien, jugé un peu trop plat, lui donnait l’occasion de vivre autre chose ? Sa voisine peu gracieuse, voire carrément acariâtre vient de mourir, suite à une chute dans l’escalier de la résidence. Elle n’a pas d’héritier, à part un neveu que la police recherche. Charlotte voit dans cet « accident » et cette disparition, une formidable opportunité pour mettre un peu de piment dans la redondance de ses semaines. Elle ne se doute pas une seconde des événements qui vont se succéder et lui échapper.

Lorsqu’elle se trouve confrontée aux policiers qui font des prospections sur le neveu de la vieille dame, sa curiosité la titille, elle essaie d’écouter, d’analyser, de comprendre mais forcément, ils la remarquent et elle les dérange. Alors, elle se décide à agir en cachette. En voulant jouer au détective, elle met le doigt dans un engrenage qui va l’entraîner bien loin … au-delà de tout ce qu’elle avait imaginé.

C’est avec une écriture plaisante, des scènes très visuelles, et un contexte travaillé que l’auteur a construit son intrigue. C’est savamment réfléchi (même si le coup du sac poubelle est un peu invraisemblable) et plein de rebondissements. J’ai trouvé astucieux le « jeu » qui se met en place entre Charlotte et le policier véreux. On se demande sans cesse qui va voir le dernier mot et quelles méthodes vont être utilisées pour coincer l’autre.

Un bon moment de lecture, sans hémoglobine, avec du suspense et une idée de départ intéressante : que peut faire une femme désœuvrée pour sortir de la monotonie ?  


"Je revenais des autres" de Mélissa Da Costa

 

Je revenais des autres
Auteur : Mélissa Da Costa
Éditions : Albin Michel (5 Mai 2021)
ISBN : 978-2226456120
576 pages

Quatrième de couverture

Philippe a quarante ans, est directeur commercial, marié et père de deux enfants. Ambre a vingt ans, n’est rien et n’a personne. Sauf lui. Quand submergée par le vide de sa vie, elle essaie de mourir, Philippe l’envoie loin, dans un village de montagne, pour qu’elle se reconstruise, qu’elle apprenne à vivre sans lui. Pour sauver sa famille aussi. Le feuilleton d’un hôtel où vit une bande de saisonniers tous un peu abîmés par la vie.

Mon avis

C’est le troisième livre que je lis de Mélissa Da Costa et du premier à celui-ci, mon intérêt et mon plaisir sont allés decrescendo.

Cette lecture m’a paru longue, trop longue. Je la posais, la reprenais, me forçant à retourner dans le récit. J’ai trouvé qu’il y avait pas mal de redondances, que les personnages cabossés faisaient partie d’un casting prévisible pour avoir un panel suffisamment accrocheur. Mais vraiment plus de cinq cents pages pour tout ça, j’ai frisé la saturation.

Cela me chagrine car j’espérais autre chose, il me semble que la même histoire sur moins de pages aurait eu plus de punch, plus de rythme. Beaucoup d’éléments m’ont paru « surjoués », peu crédibles. A la fin, même peu vraisemblable, ça s’anime un peu mais bon, j’avais déjà bien décroché. J’ai eu de nombreuses fois un sentiment de « remplissage ».

L’écriture n’est pas désagréable mais ça reste sage, appliqué, sans fantaisie. Je suis désolée d’être si négative mais à part Wilson qui sort du lot, tout était un peu trop caricature pour moi.