"Digital Way of Life" d'Estelle Tharreau

 

Digital Way of Life
Auteur : Estelle Tharreau
Éditions : Taurnada (9 Juin 2022)
ISBN : B0B2KHDCY7
176 pages

Quatrième de couverture

Serons-nous l'esclave de notre assistante de vie connectée ?
Nos traces sur le Net constitueront-elles des preuves à charge ?
La parole et la pensée deviendront-elles pathologiques à l'heure de la communication concise et fonctionnelle ?
Qu'arrivera-t-il si les algorithmes des moteurs de recherche effaçaient des pans entiers de notre mémoire collective ?

Mon avis

Ce recueil regroupe dix nouvelles. Toutes ont un même postulat de départ : extrait d’articles, ou de documents existants, tous évoquant le numérique. L’auteur a choisi de « pousser » au maximum la « dérive » de ce qui est présenté et de construire le scénario du pire pour chaque situation.

Est-ce qu’elle veut nous faire peur ? Nous prévenir des risques ? Nous alerter afin que nous soyons vigilants ? Chacun verra et fera son choix…

Je fais une petite parenthèse : lorsque Jules Verne a rédigé ses romans, beaucoup ont pensé qu’il avait une imagination débordante… et puis…il avait quand même une sacrée capacité d’anticipation ! Je repense également au film « Avatar »… le progrès va vite, et parfois l’homme le maîtrise mal.

Je fais une seconde parenthèse : après son doctorat sur l’intelligence artificielle et les algorithmes, mon fils a choisi de garder un téléphone portable basique (sms et appels), de ne pas s’inscrire sur les réseaux sociaux, de ne prendre que des logiciels libres, et il met en garde tous ceux qui veulent bien l’écouter sur les dérives du numérique. Il a vu, par ses recherches, comment ça fonctionne et il ne veut pas être « pisté » et bien plus encore… Il anime des conférences et ça fait froid dans le dos comme les écrits d’Estelle…

Tout ça pour dire que la fiction deviendra réalité pour peu qu’on lui en laisse la place, simplement par négligence ou par peur de dire « non » et d’être marginalisé (parce que cela aussi peut aller très vite).

Toute cette introduction, sans doute un peu longue, pour dire que j’ai découvert ces dix courtes histoires tous les sens en alerte. Je ne parlerai pas de ce qu’elles contiennent en détails mais elles sont vraiment bien pensées, construites à la perfection et porteuses de sens. Elles nous parlent de la vie, de ceux qui sont différents, qui ne trouvent pas leur place, parce qu’ils n’ont pas choisi le numérique à fond par exemple (mon fils est professeur dans le supérieur et ses étudiants ne comprennent pas qu’il ne possède pas un smartphone « Mais monsieur, vous rigolez ? ». Non, il est bien sérieux). Que dire des jeux sur tablette ou en réalité virtuelle qui isolent (oui, les écoliers sont sages, chacun dans sa bulle, dans son univers mais la socialisation, les relations humaines ?), que dire du livre papier qui disparaît, de l’assistant de vie numérique qui vérifie la posture, les activités (et quelle chute pour cette nouvelle, bravo Estelle !), que dire de tout cela ? Et on pourrait parler des robots qui font tout, remplacent le chat, le chien, (avant peut-être de prendre la place du mari (il y aurait un bouton pour qu’il ne ronfle pas ?)?), des répondeurs : taper un, taper étoile et toutes nos lignes sont actuellement occupées…  

Bref. Je suis en colère ? Non, ces textes m’ont rappelé ma colère et le fait qu’il faut agir avant qu’il ne soit trop tard, en espérant que ce n’est pas déjà le cas. Je ne suis pas une vieille réactionnaire, je reconnais les bienfaits des évolutions scientifiques et je m’en réjouis. Mais je reste persuadée que l’homme ne doit pas baisser sa garde, encore moins tout accepter….

L’écriture d’Estelle Tharreau est percutante, elle ne s’embarrasse pas de fioritures, elle nous balance des faits, nous démontre comment un effet dominos peut se mettre en place. Un accord sur du numérique en entraîne un autre etc et jusqu’où le monde pourrait aller. J’ai été scotchée par ses recherches, par sa capacité à nous captiver, sans faire vraiment la leçon, simplement en énonçant de futures vérités. J’ai trouvé que le format de textes courts était parfaitement adapté aux propos. On n’a pas le temps de trop réfléchir, et on prend en pleine face le désarroi, la peur, les erreurs, ou les certitudes des protagonistes et ça nous fait forcément réfléchir….

Bravo Estelle !

NB : Pauvre Julien qui pense avoir retrouvé l’amour de sa fille….


"L'aube sera grandiose" de Anne-Laure Bondoux

 

L’aube sera grandiose
Auteur : Anne-Laure Bondoux
Éditions : Gallimard Jeunesse (21 septembre 2017)
ISBN : 978-2070665433
304 pages

Quatrième de couverture

Ce soir, Nine, seize ans, n'ira pas à la fête de son lycée. Titania, sa mère, en a décidé autrement. Elle embarque sa fille vers une destination inconnue, une cabane isolée, au bord d'un lac. Il est temps pour elle de lui révéler l'existence d'un passé soigneusement caché. Commence alors une nuit entière de révélations...

Mon avis

Lorsque j’ai acheté ce livre, chez ma libraire, il n’était pas classé en catégorie « littérature jeunesse » et elle ne m’en a pas parlé comme tel. Ceci dit, il peut être découvert par des adolescents ou des adultes.

C’est une lecture détente, avec des personnages attachants, un récit qui se tient, même si on peut y voir quelques situations un peu « surprenantes ». Je n’ai pas boudé mon plaisir et je l’ai trouvé très plaisant. Le récit met en scène une jeune lycéenne qui veut seule avec sa Maman, Titiana, séparée de son compagnon. Pas de famille à l’horizon, rien qu’elles deux, et le père de temps en temps. Nine a des amis dans sa classe et cette vie lui convient.

Ce soir, c’est la fête du lycée, elle se fait une joie de s’y rendre et peut-être que le garçon dont elle est secrètement amoureuse la verra ? Mais rien ne se passe comme prévu. Sa mère « l’enlève » et l’embarque pour une destination inconnue dans un coin de France. Le pourquoi ce cet acte ? Lui faire découvrir son passé et lui permettre de rencontrer une famille dont elle ignore tout. Évidemment, ça ne pouvait pas se faire avant cette date et nous allons en comprendre les raisons.

Titiana mettra la nuit à raconter et au matin plus rien ne sera pareil. L’aube sera-t-elle grandiose ? Alternant passé et présent, Anne-Laure Bondoux de sa plume alerte et vive nous entraîne à la découverte d’une famille totalement atypique. Il y a de l’action, du rire, de la tendresse, de l’amour.

Une histoire plaisante à lire pendant des vacances.


"Le peintre d’éventail" de Hubert Haddad

 

Le peintre d’éventail
Auteur : Hubert Haddad
Éditions : Zulma (Juillet 2013)
ISBN : 9782843045974
192 pages

Quatrième de couverture

C'est au fin fond de la contrée d'Atôra, au nord-est de l'île de Honshu, que Matabei se retire pour échapper à la fureur du monde. Dans cet endroit perdu entre montagnes et Pacifique, se cache la paisible pension de Dame Hison dont Matabei apprend à connaître les habitués, tous personnages singuliers et fantasques. Attenant à l'auberge se déploie un jardin hors du temps. Insensiblement, Matabei s'attache au vieux jardinier et découvre en lui un extraordinaire peintre d'éventail. Il devient oi le disciple dévoué de maître Osaki. Fabuleux labyrinthe aux perspectives trompeuses, le jardin de maître Osaki est aussi le cadre de déchirements et de passions, bien loin de la voie du Zen, en attendant d'autres bouleversements.

Mon avis

« Toute chose disparaît dans sa propre apparence. » 

C’est un livre qui ressemble à un jardin japonais : calme, paisible, même lorsqu’un violent orage s’abat sur les plantes. Il est parsemé de Haïkus comme le jardin est parsemé de fleurs, de ci, de là, sans ordre, pour le plaisir des yeux… pour la beauté tout simplement…tout comme les oiseaux parsèment les éventails …

C’est un de ces livres « bijoux » que l’on ne veut pas laisser, qu’on ne souhaite partager qu’avec ceux qui seront touchés par la musique des mots et qui le comprendront (merci à l’amie qui m’a jugée digne de ce trésor littéraire).

« Une sérénité d’un autre siècle émanait de ce globe de clarté au sein duquel un éventail assombri s’agitait de temps à autre comme l’aile d’un papillon de nuit. »

C’est un livre dont il ne faut presque rien dire tant en parler serait le déflorer….

L’écriture poétique est ciselée pour nous emporter dans ce coin de Japon où certains peignent des éventails, d’autres herborisent, tout un chacun vivant en harmonie avec ce qu’offre la nature … La diversité est là et malgré tout, tous semblent reliés pat cette sérénité qui « transpire »…

Lorsqu’on lit ce très court roman, on se retrouve dans une « bulle » de douceur, les mots, les phrases défilant comme autant de petites touches d’un tableau prenant vie sous nos yeux…

Ou comme une symphonie car on aurait parfois envie de dire « chut écoutez… » tant les mots sont comme les notes d’une délicieuse partition jouant un hymne à la vie près de nos oreilles ….

1Q84 Livre 1 Avril-Juin de Haruki Murakami (いちきゅうはちよん, Ichi-kyū-hachi-yon)

 

1Q84 Livre 1 avril-juin (いちきゅうはちよん, Ichi-kyū-hachi-yon)
Auteur : Haruki Murakami
Traduit du Japon par Hélène Morita 
Éditions : Belfond (29 Mai 2011)
ISBN: 978 2 7144 4707 4
534 pages

Quatrième de couverture

Le passé -tel qu’il était peut-être- fait surgir sur le miroir l’ombre d’un présent- différent de ce qu’il fut ? Un évènement éditorial sans précédent.  Une œuvre hypnotique et troublante. Un roman d’aventures. Une histoire d’amour. Deux êtres unis par un pacte secret. Dans le monde bien réel de 1984 et dans celui dangereusement séduisant de 1Q84 va se nouer le destin de Tengo et d’Aomamé.

Mon avis

« La vie réelle et les mathématiques, ce n’est pas pareil. Dans la vie, les choses ne se limitent pas à couler suivant le chemin le plus court. Pour les mathématiques, les choses sont là. Quand j’écris un roman, je cherche, grâce à mes mots, à transformer le paysage environnant pour qu’il me devienne plus naturel. »

Mathématiques, lecture, écriture, monde mystérieux, réflexion sur la relation à l’autre et sa différence, ses différences, la violence, les violences, le silence, les non-dits …. C’est avec une écriture douce et poétique que Haruki Murakami m’a emportée sur ses chemins de traverse …. J'ai été conquise, séduite, fascinée, comme hypnotisée par ce que je lisais ....

Aomamé, la jeune femme, et Tengo, le jeune homme, dans deux cheminements parallèles, nous donnent l’impression de lire deux histoires distinctes mais on sent, entre les lignes, un fil mystérieux qui les relie, on pense que les choses vont se mettre en place petit à petit et qu’on comprendra ce qui les rattache ….

« Le problème n’est pas en moi, mais dans le monde qui m’entoure. Ma conscience ou mon jugement ne se sont pas déréglés. »

Le rythme n’est pas rapide mais les situations évoluent, l’auteur manie la plume avec élégance, le verbe avec brio ….  Je serai tentée de dire que c’est une expression très « asiatique »… Rien n’est vraiment sûr, la réalité est peut-être là où on ne l’attend pas, entre les lignes, dans le ciel orné de deux lunes, dans les soupirs ….

1Q84, la référence a Big Brother et au livre d’Orwell est évidente …. Qu’en est-il de ces mondes qu’un seul homme domine?

Aomamé, secrète et sûre d’elle ; Tengo, qui voudrait écrire mais qui rencontre des difficultés ; Fukaéri, écrivain prometteuse mais maladroite dans la réalisation….

Trois personnages que je retrouverai avec bonheur dans le tome deux….

"Steamboat" de Craig Johnson (Spirit of Steamboat)

 

Steamboat (Spirit of Steamboat)
Auteur : Craig Johnson
Traduit de l’américain par Sophie Aslanides
Éditions : Gallmeister (5 Novembre 2015)
ISBN : 978-2351781005
194 pages

Quatrième de couverture

Plongé dans la lecture du Chant de Noël de Dickens, le shérif Walt Longmire voit surgir à la porte de son bureau une jeune femme élégante, cicatrice au front et mille questions en tête à propos de son passé et de l'ancien shérif, Lucian Connally. Mais impossible pour le vieil homme de se rappeler cette femme jusqu'à ce qu'elle prononce le nom de Steamboat. Tous replongent alors dans les souvenirs du Noël 1988 : une tempête de neige apocalyptique, un accident de la route meurtrier, et un seul moyen d'intervenir, un bombardier datant de la Seconde Guerre mondiale appelé Steamboat et que Lucian est seul capable de piloter.

Mon avis

Pour ceux qui connaissent Waly Longmire, je précise qu’il ne s’agit pas d’une enquête cette fois-ci. Ce court roman, qui, au départ devait être une nouvelle, raconte un fait survenu au début de sa carrière alors qu’il était l’adjoint de Lucian Connally, le shérif de l’époque.

C’est à cause de la visite d’une jeune femme que ce retour en arrière va être possible. Elle débarque dans le bureau de Walt et demande à rencontrer Lucian. Ce dernier a pris sa retraite et vit dans une maison pour personnes dépendantes. Walt et la jeune femme vont lui rendre visite.

Le lecteur, lui, fait un bond dans le passé pour comprendre pourquoi des années auparavant, la soirée de Noël, avait, comme maintenant, été bouleversée.

Noël 1988, de la neige, des routes bloquées et un accident grave, une petite fille à acheminer vers l’hôpital de Denver. Le sol est impraticable et personne ne veut se risquer dans les airs car la météo est plus que défavorable. Ils seront quelques-uns à tenter l’impossible. Pourquoi ?  Parce qu’ils ne pourront pas continuer de vivre sereinement s’ils ne le font pas. C’est cette expédition hors du commun que nous allons suivre.

L’écriture de Craig Johnson est un régal : suspense, humour, émotion, tout est réuni pour captiver celui qui découvre son récit. J’apprécie sa façon de s’exprimer, de poser les scènes et les sentiments, de nous prendre en quelque sorte à témoin des événements, nous obligeant à nous sentir concernés, à retenir notre souffle, à serrer les poings avant de relâcher en étant soulagés. Une fois encore, j’ai été conquise par ce qu’il écrit !

Un beau conte de Noël à lire à n’importe quelle période de l’année.


"Le bleu au-delà" de David Vann (Legend of a Suicide)

 

Le bleu au-delà (Legend of a Suicide)
Auteur : David Vann
Traduit de l'américain par Laura Derajinski )
Éditions : Gallmeister (3 janvier 2020)
ISBN : 978-2351787489
178 pages

Quatrième de couverture

Roy est encore un enfant lorsque son père, James Fenn, dentiste et pêcheur professionnel raté, se suicide d'une balle dans la tête. Tout au long de sa vie, Roy vivra avec ce drame qui deviendra son obsession, mais aussi une source, douloureuse, d'inspiration. Comment se créent et se transmettent des légendes familiales ? Quelles histoires notre mémoire choisit-elle de garder et sous quelle forme ?

Mon avis

Ce recueil de nouvelles met en scène un fils et son père. Sachant que le Papa de David Vann s’est suicidé lorsqu’il avait treize ans, on ne peut pas s’empêcher de faire le parallèle.

Toutes ces courtes histoires sont reliées par les mêmes personnages dans différentes situations à plusieurs moments de leur vie. On y retrouve les problématiques chères à l’auteur et des thèmes déjà évoqués dans ses romans (voire même des lieux ou des personnes, coïncidences qui laissent à penser qu’il n’écrit rien par hasard).

Le point de vue est toujours celui du fils, il se pose beaucoup de questions et parfois, son ressenti se modifie comme s’il évoluait avec le temps. C’est un peu déroutant.

 On retrouve la belle écriture, puissante, pleine d’émotion de l’auteur. Pour autant, ce n’est pas un livre qui vous happe, qui vous prend aux tripes. Pourtant, Vann se pose des questions : est-ce qu’on aurait pu empêcher ce suicide ? Qui est coupable ? De quoi ? A côté de quoi est-on passé sans s’en rendre compte ? Et si et si ?

David Vann a le cœur à fleur de peau, il souffrira toute sa vie, je pense, de ne pas connaître les raisons du choix de son père de quitter la vie. Est-ce qu’il lui en veut, est-ce qu’il a l’impression d’avoir été abandonné ?

Pour avoir lu plusieurs de ces écrits, je sens, en filigrane, cette béance, ce traumatisme qui donne à l’ensemble de l’œuvre de cet écrivain une dimension humaine très forte.


"L'Orchestre des Doigts Série - Tome 4" de Osamu Yamamoto (わが指のオーケストラ)

 

Seinen L'Orchestre des Doigts (4 tomes) (わが指のオーケストラ)
Auteur et scénariste : Osamu Yamamoto
Traduction et adaptation de Satô Naomiki de Marie-Saskia Rayna
Genre : historique, tranche de vie
Éditions ; Kankô  (2006 et 2007) (première publication en 1991)
Tome 4
ISBN :978-2745925886
Nombre de pages :250

Synopsis : En 1914, un jeune professeur qui a étudié la musique, arrive à Osaka, après avoir renoncé à poursuivre ses études en France pour travailler dans une école d’aveugles et de sourds-muets. Il y rencontre Issaku, jeune enfant sourd-muet, violent car ne sachant communiquer. Le professeur va l’aider et découvrira par la même occasion le monde complexe du silence et l’incompréhension qui l’entoure.

Mon avis

Il faut savoir que les faits relatés dans ces mangas sont largement inspirés de la réalité et que dans chaque tome, une partie « documents » avec texte, photos ou dessins d'époque complète le propos en apportant une somme énorme d'informations.

« Que mes doigts engendrent la musique dans le cœur de ces enfants. »

C'est à regret que j'ai lu ce tome 4, car cela signifiait que j'allais quitter des personnages qui me plaisaient.

Notamment le professeur (devenu directeur) qui est bon. Il veut le meilleur pour les sourds et je comprends ce combat qui a été le sien.

Ce dernier tome est beaucoup dans l'émotion, dans la lutte pour faire admettre que langue des signes et oralisation ne sont pas opposées et peuvent se compléter...

Je l'ai déjà écrit mais côtoyant de près la communauté sourde, je ressens cette façon de penser au plus profond de mon être et cette série ne peut qu'être un coup de cœur.....

« Quoi qu'il arrive, on ne peut arracher la langue des signes des mains des sourds. »


"Jack McEvoy - Tome 2: L'épouvantail" de Michael Connelly (The Scarecrow)

 

Jack McEvoy - Tome 2: L'épouvantail (The Scarecrow)
Auteur : Michael Connelly
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Robert Pépin
Éditions : Calmann-Lévy (17 novembre 2021)
ISBN : ‎ 978-2702182680
576 pages

Quatrième de couverture

" Dans la tête d'un tueur de 16 ans ", c'est l'article sur lequel travaille Jack McEvoy, journaliste au L.A. Times. Article en forme de vengeance : sa hiérarchie veut le virer. Comprenant vite que le gamin est innocent, il s'acharne à le prouver. Ce n'est pas du goût de tout le monde. Manipulé, traqué, Jack devient le jouet d'une force fantôme, en apparence immatérielle – et toute-puissante.

Mon avis

Personnellement, je classerai les livres de Michael Connelly en trois catégories : les excellents, les bons, les moyens.

Je mettrais « L’épouvantail » dans les « bons. Il n’est pas à lire en priorité mais il est à lire.

Pour qui a déjà côtoyé et apprécié l’auteur, ce ne sera pas un des meilleurs et une certaine habitude peut laisser entrevoir les événements. Mais il faut reconnaître que c’est bien écrit, bien enchaîné et qu’on se laisse emporter par l’histoire.

Les cent cinquante premières pages m’ont paru un peu longues mais après, j’ai trouvé que le rythme s’accélérait et qu’il devenait difficile de poser le livre.

Une des originalités de ce roman est sa construction.

On passe de parties en parties de McEvoy (journaliste) et son « enquête » à Carter et son domaine. On sait dès le début que Carter est le « méchant » mais ce qui est intéressant c’est de voir comment McEvoy va le découvrir et comment son amie Rachel interprète différents faits pour avoir des éléments pour avancer dans la recherche qu’ils font en commun.

Connelly a été journaliste et cela se ressent car l’ambiance du journal où travaille McEvoy est assez bien retranscrite notamment dans ce qu’on peut considérer comme les difficultés de la presse écrite.

Les médias et notamment la place et les dangers d’internet et de l’informatique en général sont bien décrits aussi puisque c’est le domaine de prédilection de Carter (même si certains « raccourcis » peuvent nous poser question). Carter est un hacker de haut vol qui nous rappelle qu’on n’est pas autant protégé qu’on le croit.

La deuxième originalité est qu’on sait qui est le "méchant" et que malgré tout, Connelly nous tient en haleine, le rythme est maintenu et on se demande comment McEvoy et son amie vont réussir à coincer Carter, qui est si habile à manipuler les données informatiques, à se jouer d'eux ….

Les références à des livres précédents ne gêneront en rien le nouveau lecteur.

Lorsqu’on retrouve McEvoy, le roman est écrit à la première personne, c’est McEvoy le narrateur qui fait un compte-rendu des différentes situations. Lorsqu’on retrouve Carter, c’est la troisième personne du singulier, le narrateur est extérieur.

Le style est agréable, rythmé, on ne s'ennuie pas, les dialogues ponctuent le récit, tout comme les réflexions personnelles de McEvoy. Il n'y a pas de longueur.

C'est donc un bon livre avec les bons ingrédients, tous très bien dosés .....


"L’art des liens" de Raphaëlle Thonont

 

L’art des liens
Auteur : Raphaëlle Thonont
Éditions : Écorce (1er Septembre 2013)
ISBN : 978-2-9535417-5-5
206 pages

Quatrième de couverture

« Comme un boxeur sonné, je m’endormirai dans tes cordes », se récite Léo Harossian face au tableau : un dos, sans visage, ligoté avec science.
Lui-même n’aurait pas su peindre aussi bien ses terreurs. Sous les liens, il perçoit la pulsation lancinante de l’attente.
Sept ans qu’il s’épuise à espérer le retour de Sofia.
Sept ans qu’il se racornit dans sa chrysalide de cordes, sous les yeux de sa fille Anouk.Sofia Harossian, née Ellman, écrivain, disparue le 22 juin 2004.
Dans son berceau, leur fille Anouk n’avait que vingt jours.Octobre 2011. Un message laissé par deux gamins sur le répondeur de Léo affirme que Sofia est vivante et a besoin d’aide.
Secondé par son ami Stephen Holmlund, ex-flic, Léo entraîne Anouk dans une quête sombre.
Pour que les chairs parlent à l’âme, il faut connaître les liens. C’est la voie du shibari et la leçon de la femme ligotée.

Mon avis

Sept ans…le temps de se faire une raison comme l’âge qui va avec … Ce pourrait être le choix de Léo… Sauf que ce n’est pas ce qu’il décide… Anouk avait vingt jours lorsque sa mère Sofia, écrivain, a disparu…Léo a pris les rênes, il le devait à leur fille (« L’enfance de sa fille est devenue son marathon »), il le devait à sa femme, il se le devait… Comme un devoir, comme une raison d’exister, de poursuivre, d’avancer …. A tâtons sur la corde raide, en équilibre précaire, instable, avec parfois le soutien de «l’herbe », d’autres fois celui des amis….

Mais connaît-on vraiment ses amis ?

Vaste réseau de liens qui se tissent, se sont tissés, s’étirent, s’écartent, se referment, autour de lui…Plus Léo avance dans la compréhension de l’éloignement, délaçant l’un après l’autre les secrets dont sa femme s’est entourée, plus un autre étau se resserre …

Le lecteur sent monter en lui insidieuse cette peur que tout vire au drame, car Léo va toujours plus loin dans sa recherche…

« Avec Sofia Ellman, le travail se tissait avec la légèreté d’une épeire à sa toile. »

Sofia, sa femme, il pensait tout savoir d’elle (ou presque) mais ce n’est pas le cas… La quête qu’il (re)commence, des années après sa disparition (car il n’a jamais vraiment baissé les bras) est à double tranchant : défaisant le nœud gordien dans lequel elle s’est engouffrée, il s’englue dans un autre, s’oubliant pour mieux la retrouver…. Ce « jeu » d’attaches qui n’en est pas un est troublant, captivant, bluffant …. scotchant le lecteur sous les mots qui l’engluent comme le fardeau qui alourdit Léo en appuyant de plus en plus sur ses épaules. Et ce qu’il découvre ne l’allège pas …loin de là…

« On ne peut pas toujours prendre de la hauteur. Depuis sa disparition, je patauge. Je m’envase. »

Les cordes sont présentes, lien invisible des pages de cet opus. A travers le shibari et l’hojōjutsu, purs produits de la culture japonaise, considérés comme des arts mais très dérangeants dans leurs styles, le lecteur, emporté dans les rets de Raphaëlle Thonont, sera subjugué, attiré, révolté, mais rarement indifférent…

L’art, il en est beaucoup question, Léo est peintre et ses œuvres sont bien supérieures depuis qu’il lutte contre le silence, contre l’absence, contre le doute…

Pourquoi ? Pour ne pas sombrer ? Pour donner le meilleur de lui-même en attendant le retour de l’aimée ? Pour exister ? Pour tenir debout ?

Mais l’art dans ce livre transpire dans les mots de l’auteur…

Son écriture est tour à tour

poétique :

« Le temps des questions vient après la tempête, celui des réponses avec la vieillesse. Quant à la colère, elle gonfle tes voiles et t’envoie sur les récifs. »

« tendue » et brève :

« Léo attend.

Udo s’endort. »

crue :

« Artiste, c’est pas une caution, c’est juste un moyen d’échapper aux autres, de se cacher derrière sa propre merde. »

et bien d’autres styles encore…

Lorsqu’on voit le visage souriant de l’auteur, on se demande où elle a puisé la force d’écrire une œuvre comme celle-ci…. Et puis on se souvient…Chacun de nous a une part d’ombre, une face cachée …. Et pour Raphaëlle Thonont, le noir lui va si bien….

"L'élixir des Templiers" d'Alfredo Colitto (Cuore di ferro)

 

L'élixir des Templiers (Cuore di ferro)
Auteur: Alfredo Colitto
Traduit de l’italien par Caroline Roptin
Éditions: L’Archipel (6 Juin 2012)
ISBN : 978280980720
390 pages

Quatrième de couverture 

Italie, 1310. Trois chevaliers du Temple sont retrouvés morts, la cage thoracique ouverte, le cœur transmuté en fer ! L’Inquisition est saisie. Un chirurgien mène la contre-enquête pour se disculpe.

Quelques mots sur l’auteur

Né à Campobasso, dans la région de Molise, Alfredo Colitto vit à Bologne. Romancier à succès, il est également le traducteur italien de Don Winslow et Joe R. Lansdale.

Mon avis

Note: En 1307, Philippe le Bel a souhaité que l’ordre des Templiers de France soit dissous, il a réussi et a récupéré leurs richesses.

Bologne, 1310. Un certain désordre règne en Europe suite aux événements provoqués par Philippe le Bel.

Trois chevaliers du Temple, habitant Naples, Chypre et Tolède reçoivent une missive les convoquant dans un lieu précis. La lettre, bien qu’anonyme, est très persuasive car elle est «accompagnée» de quelque chose qui pour eux est une preuve de la bonne foi de leur interlocuteur. De ce fait, ils n’hésitent pas et leur décision est très vite prise.

Les trois hommes vont donc partir en prévoyant de récupérer un secret, à savoir: le secret d’un certain élixir ….

Mais rien ne va se passer comme ils l’espéraient …

C’est donc la ville de Bologne que nous allons arpenter aux côtés d’une galerie de personnages très intéressante. En effet, un médecin va se trouver accusé d’un meurtre (qu’il n’a pas commis) et s’il ne mène pas sa propre recherche de l’assassin, il y a de fortes chances qu’il soit condamné. Un de ses étudiants sera lui aussi mêlé à l’affaire mais comme il a caché certains faits à son professeur, la confiance de ce dernier sera un peu émoussée….

Parallèlement les «officiels» de l’Inquisition effectuent leur propre enquête mais nettement moins discrètement….

Et il y aura, bien entendu, ceux qui ne sont pas très « nets », jouant double-jeu et trahissant régulièrement…..

De chassés croisés en chassés croisés, les protagonistes lâchent des bribes nous éclairant sur la vie des uns et des autres et le chemin parcouru pour être là « ici et maintenant ».

L’ambiance s’installe assez vite, on « ressent » bien l’époque, les différents lieux ou moments de la journée.

«La nuit ….Elle abritait et permettait de se cacher, y compris de soi-même. »

L’auteur (et sa traductrice) a su remarquablement décrire le Moyen-âge, sans pour autant nous donner l’impression d’assister à une conférence d’histoire. Le vocabulaire est en rapport avec l’époque mais jamais ostentatoire. Les descriptions concernant la médecine et l’alchimie sont très précises tout en restant assez simples à suivre. De plus, dans les deux domaines (mais avec une dominante pour la médecine), elles sont accompagnées des réflexions des personnages et de l’analyse de ce qu’ils ont remarqué sur l’utilisation de certains produits, sur les réactions à avoir face à la fièvre, face à la douleur ou autre. On sent que déjà, les hommes qui choisissaient cette fonction, n’avaient qu’un souhait : soulager leur prochain.

Une rencontre du médecin avec une femme mystérieuse va nous emporter sur le chemin de l’alchimie. Le père de cette personne, en l’absence d’un fils, s’est décidé à lui confier ses secrets.

Alchimie, médecine, deux domaines à la fois proches et éloignés à cette époque. Pourtant des deux côtés, les gens cherchent à améliorer la vie des hommes, leur vie propre aussi … 

Seize chapitres sont entourés par le prologue et l’épilogue. Le rythme est rapide, certaines phrases sont courtes pour donner de la vitesse aux actions, d’autres un peu plus longues.

L’écriture est de qualité, les individus croisés bien décrits, tant pour le physique que pour le caractère.

Je me suis particulièrement attachée à Fiamma, jeune femme « blessée » de la vie dans son corps et dans son âme, entière, fougueuse, volontaire, capable d’aller au bout de ses choix et de ses convictions….

Un thriller historique de très bonne qualité que je recommande aux amateurs du genre et à ceux qui veulent découvrir ce style de romans.

"La mécanique du pire" de Marco Pianelli

 

La mécanique du pire
Auteur : Marco Pianelli
Éditions : Jigal (3 Juin 2022)
ISBN : 978-2377221653
266 pages

Quatrième de couverture

Lander doit se rendre à Paris pour accomplir sa dernière mission. Un objectif très à risques, véritable raison de son retour en France et de son changement d’identité. Pour lui, le compte à rebours est déjà lancé. Mais en chemin, il croise la route de Marie.  Une jeune veuve dont l’époux policier s’est « suicidé » il y a quelques années, la laissant seule avec leurs deux enfants et beaucoup trop de questions… Lander a un doute, une intuition…

Mon avis

Rester ou continuer la route ?

Lorsqu’on le rencontre on pense sans doute qu’il s’agit d’une brute épaisse, un homme sans cœur, sans foi, ni loi mais en réalité c’est une ombre, un fantôme car c’est ainsi qu’il veut être…. Pourtant il est tellement « palpable » que l’on a sans cesse l’impression qu’il va surgir d’une minute à l’autre dans la pièce où on se trouve. Cet homme est si présent qu’il emplit le livre et en même temps il nous échappe car c’est un taiseux, un électron libre. Assoiffé de justice et de liberté, il a le regard direct de ceux qui perçoivent en quelques secondes ce que vous êtes, ce que vous ressentez. Un sens aigu de l’observation qui lui permet de se sortir de situations que l’on dirait inextricables. Chacune de ces décisions est mûrement réfléchie, pensée, soupesée et une fois le choix acté il est irrévocable. Il cloisonne soigneusement sa vie pour être invisible aux yeux de tous, disparaître ou réapparaître quand bon lui semble. On ne sait pas grand-chose de lui. Suffisamment pour apprendre qu’il a travaillé dans les services secrets, dans l’armée et qu’il s’en est affranchi. Il est dangereux dans le sens où il vaut mieux ne pas être, ou ne pas devenir, son ennemi. Quand il donne, il donne tout, son énergie, son affection, sa force, sa droiture, mais toujours en retenue comme s’il lui était indispensable de maîtriser chacun de ses actes, au risque de devenir vulnérable. S’il existait dans la vraie vie, ah s’il existait dans la vraie vie…sûr que certaines malversations seraient punies….

Cette fois-ci, il s’appelle Lander. Une identité d’emprunt mais bien solide. Sur sa route, il croise Marie et ses deux enfants. Il dépanne sa voiture, elle hésite mais puisqu’il pleut et que ses gosses la culpabilisent elle le fait monter sur le siège passager. Il finit chez elle, ou plutôt dans les chambres d’hôtes tenues par sa mère. Quelques échanges et il apprend que son mari s’est suicidé il y a quelque temps. Le peu qu’elle lui en dit ne lui semble pas clair. Il propose son aide, elle refuse, puis finit par dire oui sans savoir où tout cela les mènera. La grand-mère n’aime qu’on se mêle de leurs affaires, les jeunes sont sous le charme. Alors l’homme va creuser un peu cette disparition.

Avec des scènes et des portraits d’une précision chirurgicale, Marco Pianelli nous entraîne dans l’univers de Lander, au milieu des malfrats, des caïds qui tracent leur chemin sans se préoccuper de qui ou de quoi que ce soit. Sauf que là, ils ont trouvé plus rusé qu’eux. Leurs magouilles et combines vont être mises à mal. Comment Lander, face à des ogres, des gens armés jusqu’aux dents, couverts et blanchis par les autorités, pourra-t-il faire triompher le bien ? Il ne lâchera rien, ce n’est pas son style, il prendra le temps nécessaire mais il obtiendra des réponses, des vraies pas des faux semblants, des à peu près, des sourires en coin ou des « si », non, la vérité, brute, réelle même si elle doit faire mal.

Je suis envoûtée par l’écriture et le style de l’auteur. Des phrases courtes, des phrases chocs, qui percutent le cœur, l’esprit et qui font que le lecteur est tout de suite dans le récit. C’est comme si chacun de ses mots vibrait en moi, il me transmet tout : l’émotion, l’adrénaline, le dépaysement, je suis à fond.

De plus, comment dire, peut-on être dingue d’un héros de papier ? Je dois l’avouer, je suis folle de Lander, enfin de celui qui se cache sous ce nom, puisque dans le premier roman, il se nommait autrement. Pourtant, comme Marie, je ne suis pas spécialement attirée par les grands baraqués mais il a quelque chose d’indéfinissable qui fait qu’on ne peut que tomber sous son charme. Pourtant, on le sait, ce n’est pas un homme d’attache, plan plan, ni démonstratif, ni prêt à se poser mais à ses côtés, on se sent comprise, soutenue, et on soulèverait des montagnes pour lui dire merci.

Comme ce n’est pas possible, je vais me contenter de dire merci à Monsieur Marco Pianelli !

NB : Bravo Monsieur « Jigal » pour la couverture !

PS : Vous écrivez le prochain Marco ?

"Peut-être" de Kobi Yamada & Gabriella Barouch (Maybe)

 

Peut-être (Maybe)
Auteurs : Kobi Yamada (Auteur), Gabriella Barouch (Illustrations)
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne-Laure Estèves
Éditions : Le lotus et l'éléphant (8 septembre 2021)
ISBN : 978-2019457846
48 pages

Quatrième de couverture

Cette histoire révèle tous les talents qui sommeillent en toi.
Apprends à te connaître, rêve et laisse la vie te surprendre.
Alors, peut-être, dépasseras-tu tes rêves les plus fous...

Mon avis

Un album magnifique à offrir aux petits, aux grands, aux moyens, à tout âge. Des textes et des illustrations emplis de délicatesse, de sérénité, de bonté.

Des phrases pour croire en soi, apprendre à aimer ses singularités et celles des autres. Des mots pour gagner en confiance, pour avancer, pour apporter le meilleur et donc le recevoir…

« Peut-être aideras-tu les autres à voir la beauté qu’il y a en chaque jour ? »

Si vous offrez ce livre, c’est que vous savez que vous toucherez le cœur de la personne qui le recevra. Elle comprendra le texte, elle aura les yeux qui brillent devant les illustrations.

Si vous le recevez, c’est que quelqu’un, sans aucun doute un ou un-e ami-e vous connaît bien et sait que les « peut-être » sont à enlever pour voir « la beauté de tes actes et le cœur que tu mets dedans » (c’est un extrait de la dédicace que j’ai lue en recevant cet ouvrage).

Je vous souhaite de recevoir ou d’offrir cet album pour la beauté du partage….

NB : en dernière page, les deux auteurs se sont exprimés et en deux lignes, j’ai ressenti encore plus fort toute leur sensibilité, ce qu’ils écrivent est magnifique !

 À celle qui m'a offert ce trésor: merci !

"Une part de ciel" de Claudie Gallay

 

Une part de ciel
Auteur: Claudie Gallay
Éditions: Actes Sud (17 Août 2013)
ISBN:978 2330 022648
448 pages

Quatrième de couverture

Aux premiers jours de décembre, Carole regagne sa vallée natale, dans le massif de la Vanoise, où son père, Curtil, lui a donné rendez-vous. Elle retrouve son frère et sa soeur, restés depuis toujours dans le village de leur enfance.

Mon avis 

3 Décembre au 20 Janvier, le temps nécessaire pour apprivoiser l’absence…pour écouter et comprendre le silence…pour s’écouter et se comprendre…

Christo, l’artiste traduit par Carole, le personnage qui écrit le journal intime que nous lisons, voile les choses pour mieux les révéler… Claudie Gallay agit de façon identique par l’écriture. Ce n’est pas net, ni tranché, ça va, ça vient, c’est lent, comme cette neige qui tombe, comme le froid qui glace et gèle, immobilisant de temps à autre, figeant dans le temps et l’espace, les être humains mais aussi les objets et peut-être les pensées…

« ….je me suis dit que c’était ma minute d’éternité, celle à laquelle tout le monde a droit, la part accordée par les anges…. »

Ce roman n’aurait pas été le même s’il s’était déroulé pendant une autre saison, dans un autre lieu…

Carole est revenue sur les traces de son enfance, elle va redécouvrir son village mais aussi son frère, sa sœur, les voisins…

Peu de personnages, une photo qui relie les jours comme autant de cailloux semés pour aller vers le futur… Une lenteur lancinante mais nécessaire au cheminement…

Entre le 3 Décembre et le 20 Janvier, il y a Noël (fête plutôt familiale) puis la Saint Sylvestre (fête où l’on rencontre en général ses amis)….comme le lieu, le choix des dates de ce journal intime n’est pas anodin …. C’est une période de l’année où il arrive qu’on se recroqueville dans le cocon familial, ne ressentant le bonheur que lorsque tout le monde est réuni….

Carole, son frère et sa sœur ont rendez-vous avec leur père…. Mais….est-ce le véritable rendez-vous ?

"L'Orchestre des Doigts Série - Tome 3" de Osamu Yamamoto (わが指のオーケストラ)

 

Seinen L'Orchestre des Doigts (4 tomes) (わが指のオーケストラ)
Auteur et scénariste : Osamu Yamamoto
Traduction et adaptation de Satô Naomiki de Marie-Saskia Rayna
Genre : historique, tranche de vie
Éditions ; Kankô  (2006 et 2007) (première publication en 1991)
Tome 2
ISBN :978-2745925879
Nombre de pages :238

Synopsis : En 1914, un jeune professeur qui a étudié la musique, arrive à Osaka, après avoir renoncé à poursuivre ses études en France pour travailler dans une école d’aveugles et de sourds-muets. Il y rencontre Issaku, jeune enfant sourd-muet, violent car ne sachant communiquer. Le professeur va l’aider et découvrira par la même occasion le monde complexe du silence et l’incompréhension qui l’entoure.

Mon avis

Il faut savoir que les faits relatés dans ces mangas sont largement inspirés de la réalité et que dans chaque tome, une partie « documents » avec texte, photos ou dessins d'époque complète le propos en apportant une somme énorme d'informations.

Ce tome présente l'oralisation comme un bienfait pour les sourds. Nous sommes en 1921, la langue des signes est interdite, considérée comme discriminatoire car «enfermant » les personnes atteintes de surdité dans un monde à part. En France, un phénomène identique a eu lieu mais pas aux mêmes dates. Il n'y a pas de réponse juste ou fausse à la surdité. Il y a beaucoup de degrés pour la perte de l'audition et pour certains, seule la langue des signes sera bénéfique, permettant à  la personne de devenir un être humain  et pas « un handicapé ». Je côtoie pas mal de personnes sourdes, j'en connais qui ont choisi de laisser leurs appareils sur la table de chevet et qui ne communiquent qu'avec leurs corps (parce qu'en langue des signes, il n'y a pas que les mains, mais le corps, sa position, les expressions du visage etc...), j'en connais d'autres, qui, a contrario, privilégient l'oralisation parce que cela leur correspond mieux. Je crois que c'est à chacun de faire le choix de ce qu'il souhaite : l'un, l'autre, un mélange des deux ou le LPC (langage parlé complété). Ce qui est essentiel, c'est que la personne puisse s'exprimer et qu'elle soit heureuse.

Dans ce manga, le côté « borné » de certains adultes m'a exaspérée. Oui, il est difficile de passer de la langue des signes à l'écrit car la syntaxe est différente. En LSF, il n'y pas de verbes conjugués, d'articles et les phrases ne sont pas construites de la même façon etc...mais dire que « faire parler un enfant sourd est la seule voie noble ».... heureusement que c'était pour les besoins de l'histoire et que le professeur Takahashi continue de vouloir enseigner cette belle langue !!! C'est sur fond d'événements dramatiques (tremblement de terre de 1923 et persécutions des sourds et des coréens) que se déroule ce tome 3.


"Coquelicot et autres mots que j'aime" de Anne Sylvestre

 

Coquelicot et autres mots que j'aime
Auteur : Anne Sylvestre
Éditions : Points (10 Octobre 2014Collection : Points Goût des mots dirigée par Philippe Delerm
ISBN :978-2757830383
208 pages

Quatrième de couverture

Qu' ils soient mélancoliques comme « cahier », savoureux comme « frangipane », surprenants comme « libellule », drôles comme « s' esclaffer » ou nostalgiques comme « parfum », les mots préférés d Anne Sylvestre racontent son histoire, ses souvenirs d' enfance, sa poésie et son amour de la nature.

Mon avis

Anne : nom propre (« ah bon, il y a des noms sales, maîtresse ? » m'a dit un jour un élève -on devrait dire « nom personnel »-

Anne : joli prénom, court, facile à porter, car il évitera les diminutifs, les « comment c'est son prénom déjà ? »

Livre : nom commun, très commun, trop commun, pour désigner un recueil, un ouvrage, un opus, une série, un tome, mais également une pépite littéraire et là, le mot livre prend une autre dimension, n'est ce pas ?

Anne et livre, ça donne « Coquelicot et autres mots que j'aime » : un vrai bonheur de lecture.

Anne Sylvestre chantait les mots, maintenant elle les décline, elle les libère en leur donnant la parole. Pas n'importe lesquels, non, ceux de sa vie, de son enfance, de son quotidien, comme autant de secrets qu'elle partage avec nous. Chacun ses codes, chacun ses mots magiques, compris des plus proches, comme le nin-nin dont elle nous parle. Mais, même si elle nous confie ses mots, il résonne en nous. Nous leur donnons une place et ils font écho, se répercutent dans notre esprit, mais parfois, également dans notre cœur ....

Donner vie aux mots, c'est leur offrir la part belle, les mettre en valeur, tels des joyaux qui scintillent ou restent ternes suivant ce qu'ils expriment.

J'ai beaucoup aimé l'homme qui enfant, s'était vu supprimer son ours, car « maintenant tu es grand » et dont Anne dit que l'on fabrique ainsi « des handicapés du coeur »...

La place du « pourtant » dans notre vie et les aiguillées des brodeuses (trop courtes, trop longues ou juste comme il faut,,,pourtant, parfois, ça fait des nœuds;-)

Moi qui aime les mots, leur saveur, leurs sons, leur place dans la phrase, je me suis régalée de ces deux cent huit pages.

Madame Sylvestre, un dernier mot : merci !


"Retour à Killybegs" de Sorj Chalandon

 

Retour à Killybegs
Auteur : Sorj Chalandon
Éditions : Grasset (17 août 2011)
ISBN : 978-2246785699
360 pages

Quatrième de couverture

Maintenant que tout est découvert, ils vont parler à ma place. L'IRA, les Britanniques, ma famille, mes proches, des journalistes que je n'ai même jamais rencontrés. Certains oseront vous expliquer pourquoi et comment j'en suis venu à trahir. Des livres seront peut-être écrits sur moi, et j'enrage. N'écoutez rien de ce qu'ils prétendront. Ne vous fiez pas à mes ennemis, encore moins à mes amis. Détournez-vous de ceux qui diront m'avoir connu.

Mon avis

C’est un roman âpre où la dureté des hommes « transpire » à chaque page, sous-jacente dans les mots autant que dans les regards ou les actes.

Prisonnier de la brutalité de son père : « Je savais que cette main redeviendrait poing, qu’elle passerait bientôt du tendre au métal. » Tyrone fera des choix et avancera dans la vie. Il ne sera pas toujours compris et c’est à travers son journal intime que nous découvrirons certains faits.

L’écriture est hachée, saccadée, comme autant de coups de poing, quand la violence coupe le souffle et que les mots sont difficiles à trouver. Puis, parfois, elle est plus posée, moins « agressive ».

J’ai commencé ce roman avec beaucoup d’envie et d’enthousiasme mais l’intensité a diminué au fil de la lecture. Je n’ai pas réussi à m’expliquer pourquoi. Peut-être parce que j’ai trouvé une certaine forme de répétitions dans les scènes d’affrontement. J’aurais souhaité une approche plus complète des conflits, plus « historique » sans doute.

Par contre, j’ai bien apprécié la « forme », c'est-à-dire la voix du jeune Tyrone alternant avec celle de Tyrone vieilli, blessé, désabusé… Ainsi que les discussions sur la trahison (est-ce trahir que de faire des choix pour protéger un secret ?)

Donc un ressenti en dents de scie bien que je reconnaisse la qualité de l’ouvrage.


"Détective D.D Warren - Tome 12 : N’avoue jamais" de Lisa Gardner (Never Tell)

 

Détective D.D Warren - Tome 12 : N’avoue jamais (Never Tell)
Auteur : Lisa Gardner
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Cécile Deniard
Éditions : Albin Michel (5 Janvier 2022)
ISBN : 978-2226448866
498 pages

Quatrième de couverture

Un homme est abattu de trois coups de feu à son domicile. Lorsque la police arrive sur place, elle trouve sa femme, Evie, enceinte de cinq mois, l'arme à la main. Celle-ci n'est pas une inconnue pour l'enquêtrice D.D. Warren. Accusée d'avoir tué son propre père d'un coup de fusil alors qu'elle était âgée de seize ans, elle a finalement été innocentée, la justice ayant conclu à un accident. Simple coïncidence ? Evie est-elle coupable ou victime de son passé ?

Mon avis

Déçue par le dernier roman de l’auteur, j’ai malgré tout décidé de lire celui-ci en espérant retrouver le punch, le suspense, et tous les ingrédients qui font d’un livre un bon polar.

S’il y a un mieux évident et très net, on est encore un peu loin, à mon avis, des premiers récits addictifs et bourrés d’énergie. À moins que mon approche s’affine et que je devienne difficile. C’est une autre hypothèse.

Dans ce titre, on retrouve Flora qui était prisonnière dans le précédent ouvrage et que l’enquêtrice D.D. Warren a sauvé. Elle va servir d’indic à la policière et par son approche différente des faits, elle lui apportera de précieux renseignements. Bien entendu, ce n’est pas très réglo mais la fin justifie les moyens.

Mais venons-en aux faits. Un couple sans histoire, il est commercial, elle est enceinte, ils ont un petit pavillon, pas de gros moyens mais ça va. Un soir, des coups de feu sont entendus par les voisins, la police arrive sur les lieux. La femme a un pistolet à la main, le mari est mort, l’ordinateur explosé… D.D. Warren est mandatée pour aider ses collègues. Elle n’est plus sur le terrain, elle est maintenant superviseuse. Elle prend le recul nécessaire pour examiner, décortiquer ce qui s’est passé. Elle analyse et essaie de comprendre afin d’éviter le maximum d’erreurs, de fausses routes. Elle réalise rapidement qu’elle a déjà rencontré Evie, celle qui est censée avoir assassiné son époux. Il y a bien longtemps, à seize ans, elle avait tué son père avec un fusil de façon accidentelle. Cela fait beaucoup d’armes à feu pour une seule et même personne et cela interpelle D.D.

Ce roman est construit avec plusieurs narrateurs, ce qui offre parfois, différents angles de vue et autant d’approches d’une même situation. On découvre les collaborations des uns et des autres, voulues ou forcées, apportant leurs lots d’indices. Les chapitres courts s’enchaînent plutôt bien malgré un petit aspect « répétition » qui ralentit un peu le rythme. Malgré tout, on est plutôt dans l’histoire et on a envie de savoir.

Je n’ai pas ressenti d’empathie ou d’émotion particulière en lisant ce récit. Il doit lui manquer un petit quelque chose pour me captiver complètement. Je n’ai pas boudé mon plaisir malgré quelques ficelles un peu grosses ou invraisemblances mais je sais déjà qu’il ne me laissera pas un souvenir impérissable.

Je me dois quand même de reconnaître que l’écriture est fluide (merci à la traductrice), le thème de base intéressant et les tenants et aboutissants bien imaginés.


"Celle que je suis" de Claire Norton

 

Celle que je suis
Auteur : Claire Norton
Éditions : Robert Laffont (1 avril 2021)
ISBN : 978-2221251584
432 pages

Quatrième de couverture

Valentine vit dans une petite résidence d'une ville de province. Elle travaille à temps partiel au rayon librairie d'une grande surface culturelle. Les livres sont sa seule évasion ; son seul exutoire, le journal intime qu'elle cache dans le coffre à jouets de son fils. Et son seul bonheur, cet enfant, Nathan, qui vient de souffler ses six bougies. Pour le reste, Valentine vit dans la terreur qu'au moindre faux pas, la colère et la jalousie de son mari se reportent sur Nathan...

Mon avis

Les violences conjugales c’est un thème grave. Claire Norton a réussi à le présenter avec délicatesse et humanité.

Valentine est mariée à D. Elle parle de son mari, le plus souvent, en le nommant par son initiale : D. Comme s’il ne méritait pas un prénom parce qu’il n’est pas humain. Elle travaille à mi-temps dans une librairie, seuls moments où elle souffle. Elle est dépendante, pas autonome. Son mari exerce sur elle une emprise morale, financière et physique.

« J’ai autant peu de ses coups que de vivre sans lui. »

Il l’a dépossédé de tout, coupé du peu de personnes qu’elle aurait pu côtoyer vu qu’elle n’a pas de famille. Il alterne le chaud et le froid, l’isole sous prétexte qu’elle n’a besoin que de lui. Il la surveille, gère son emploi du temps. Pour protéger son fils (qui la protège lui aussi à sa façon en devenant transparent quand le père est en colère), elle banalise les faits, les minimise, se sent coupable. Elle est ainsi loin de toute relation amicale, de la société, des voisins. Ceux-ci entendent des bruits parfois mais …chacun chez soi et on fait comme si tout allait bien…

Et puis, un couple de personnes âgées s’installe sur le palier, dans l’appartement en face. Un lien ténu se crée entre les deux femmes. Valentine se met-elle en danger ? Va-t-elle être obligée de se cacher pour voir sa nouvelle voisine ? Bien sûr, son compagnon ne serait pas d’accord. Elle vit dans la peur d’être découverte jusqu’au jour où….

Ce roman est bouleversant parce qu’empreint de réalisme. L’auteur s’est renseignée et avec tout ce qu’elle a découvert, elle a rédigé ce récit. Le côté psychologique est très important. On voit Valentine qui lutte entre l’envie de fuir et la peur des représailles. Ses ressentis sont parfaitement décrits, on est avec elle. On serre les poings, on a peur du moindre dérapage. On suspend sa respiration le ventre noué….

J’ai trouvé l’écriture de Claire Norton parfaitement dosée, pas trop de pathos, juste les faits et c’est bien suffisant. Une lecture qui marque et des personnages difficiles à oublier.


"Le dernier vol" de Julie Clark (The Last Flight)

 

Le dernier vol (The Last Flight)
Auteur : Julie Clark
Traduit de l’américain par Penny Lewis
Éditions : L’Archipel (7 Juillet 2022)
ISBN : ‎ 978-2809841565
338 pages

Quatrième de couverture

Claire avait tout planifié pour fuir Rory, homme politique charismatique doublé d'un mari tyrannique. Mais, à la dernière minute, la mécanique s'enraye. Son chemin croise alors celui d'Eva à l'aéroport JFK. Elle aussi a de bonnes raisons de vouloir changer de vie. Et si chacune prenait la place de l'autre ? Claire s'envole donc pour Oakland au lieu de Porto Rico, où elle apprend, horrifiée, que le vol qu'elle aurait dû prendre s'est abîmé en mer. Claire est désormais Eva aux yeux de tous. Mais la nouvelle vie dont elle rêvait pourrait se révéler pire que celle qu'elle a laissée derrière elle.

Mon avis

Claire est mariée à Rory, l’homme idéal, beau, connu et reconnu que beaucoup de femmes lui envient. Ça c’est « sur le papier » car en vérité, Rory est un tyran, qui veut tout régenter, qui terrorise son épouse et l’a coupée de toutes ces connaissances pour mieux la dominer. Surveillée, « sous coupe », Claire étouffe mais ne sait pas comment sortir de cette situation inextricable. Rory est tellement puissant, influent, qu’il a le don de manipuler les faits, les personnes. Si elle se rebelle, il fera tout pour la détruire. Pourtant, depuis de longs mois, Claire prépare son envol. Aidée par Petra, une amie discrète et efficace, elle a tout planifié. Pour la fondation de son conjoint, elle participe à de nombreux événements pour des causes humanitaires, seule ou avec lui. Pour le prochain qui est programmé, elle ira seule en avion à Detroit et profitera de cette occasion pour disparaître. Malheureusement, le jour du départ, l’adjoint, le bras droit plutôt (et même le bras armé) de son compagnon la prévient que ce sera Porto Rico à la place de Detroit. Tout ce qu’elle avait mis en place, prévu, tombe à l’eau. C’est la panique complète. Que faire, comment se sortir de l’emprise de son compagnon ?

À l’aéroport, elle croise une jeune femme, Eva, et elles finissent par discuter. A demi-mots, elles se comprennent et décident de tenter un truc de fou. Échanger leurs identités et leurs vols respectifs. Chacune y gagnera et aura l’occasion de recommencer une nouvelle vie ailleurs. Est-ce que c’est si simple que ça ? Peut-être pas mais elles sont toutes les deux acculées, et c’est le moment ou jamais de prendre une autre direction. Alors elles foncent. Catastrophe ! L’avion d’Eva disparaît et Claire est seule désormais dans la peau et la vie d’Eva.

Ce roman se décline à travers les yeux des deux femmes. Les chapitres s’appellent « Eva » ou « Claire ». Pour la première il y a un narrateur extérieur, pour la seconde, le récit est à la première personne. Quand il s’agit d’Eva, on découvre son passé et on comprend pourquoi, elle aussi, avait ce désir de devenir une autre. Pour Claire, on est dans le présent le plus souvent.

L’écriture est très addictive (merci à la traductrice), le style vif, le phrasé fluide. Comme on passe de l’une à l’autre, le rythme est soutenu et l’intérêt va crescendo. Ce n’est pas aussi léger qu’on pourrait le croire en lisant le début. De nombreux sujets sont évoqués et certains événements (je pense à l’assistante) ont été soigneusement pensés pour que l’histoire se tienne. Ce qui fait, qu’à la fin toutes les pièces du puzzle s’emboîtent.

J’ai plongé tête première dans ce récit, et je n’avais pas envie de poser le livre. Je n’ai pas vu le temps passer. Les deux femmes, très différentes, sont attachantes dans leur détresse, leur désir de passer réellement à autre chose. On les sent fortes et fragiles à la fois, parfois démunies, hésitantes. Leurs personnalités sont bien décrites, tout à fait réalistes. Les hommes qui les manipulent se servent d’elles dans les deux cas. Et il leur faudra beaucoup de ténacité pour espérer trouver une solution. Un roman sans temps mort comme je les aime !


"Le boss de Boulogne " de Johann Zarca

 

Le boss de Boulogne
Auteur : Johann Zarca
A.K.A Le mec de l’Underground
Éditions : Don Quichotte (16 Janvier 2014)
ISBN : 978-2359492026
190 pages

Quatrième de couverture

«Les potos voulaient fêter ma sortie de placard à la Loco, la boîte à banlieusards de Pigalle. Simplement, débouler à sept paires de couilles sapées comme des scarlas, c'était sûr qu'on allait se faire refouler comme des trimards. Résultat, on pointe tous au bois de Boubou.

Ainsi commencent les confessions du Boss, dealer officiel des prostitués(es) transsexuel(le)s, des michetons et vagabonds du Bois de Boulogne et des environs.

Mon avis

« Underground », si je ne me trompe pas, c’est le monde qui est sous la terre, le monde des métros, des gares souterraines… Ici, c’est plutôt l’envers du décor du bois de Boulogne.

Pas celui des joggeurs empressés de réaliser une performance ou de se faire plaisir, ou des amis qui pique-niquent… Non, celui très sombre, des travestis, des drogués, des prostitués, des dealers, …. ce bois côté sombre où évoluent les gens de la nuit, tout en nuances mais brut de décoffrage malgré tout…

Voilà où va nous entraîner l’auteur, nous imposant une langue à la San Antonio, imagée, crue, mêlant verlan et grossièretés, parce que là-bas, lorsque le soir tombe, c’est une jungle qui officie et ou ça passe ou ça casse… Dans le vocabulaire aussi, si tu ne t’exprimes pas avec les « codes du genre », les trucs de oufs et si t’es pas chébran, t’as rien à faire vers eux, pigé ?

Oui, j’ai bien suivi Monsieur l’auteur, mais moi, ce ne sont pas des personnes que je fréquente, et je n’ai pas envie de les connaître, ni même de découvrir leur univers. Pourquoi ?

Parce que je n’ai pas le souhait de m’approcher d’eux, parce que je ne ressens pas d’empathie pour eux, même si certains sont très malheureux. C’est glauque, c’est violent, c’est provoquant, c’est trop pour moi. Alors oui, je reconnais ; c’est forcément bien retranscrit puisque ça me hérisse « comme si j’y étais », oui, c’est sans doute, par certains aspects, comme ça, là-bas… Mais le style m’a déplu, comme si en écrivant presque tout le livre sur ce ton, il y avait un manque de respect. Je l’ai lu pensant découvrir « l’envers du bois » mais pas comme ça. Il me semble qu’il aurait été intéressant d’avoir une analyse de la situation, pourquoi, comment, le bois est-il devenu ce lieu de perdition le soir, pourquoi, comment, à cause de quoi, certains hommes en viennent à se perdre là-bas ? Cela m’aurait apporté une connaissance supplémentaire alors que là…. Ça ne m’a pas suffi…. J’espérais, derrière les mots choquants, lire entre les lignes un peu d’humanité, pas trouvé… Je pensais discerner les deux « faces du bois de Boulogne », pas vu non plus…

Vous l’avez compris, le style est à « l’arrache », bien entendu, pas besoin de dictionnaire (vu le mélange : verlan, manouche, grossier etc…on n’aurait pas su lequel choisir). Avec le contexte on comprend ce qui est dit, peut-être pas tout mais l’essentiel (et pour ma part ça me convenait, je n’avais pas envie de creuser…) « Vous voulez tiser ? y a des Noiches avec des keus qui vendent d’la tise, d’la graille et tout. » Ça vous laisse pantois ? Moi aussi, j’avoue.

Cela s’intitule « roman » et on ne sait pas quel est la part de vrai et celle d’inventé dans ce récit. Johann Zarca (qui est-il vraiment ?) signe là son premier titre et je m’interroge sur la suite… Pourra-t-il offrir autre chose et les lecteurs déçus par « Le Boss de Boulogne » retenteront-ils l’expérience ? À suivre….

L'Orchestre des Doigts Série - Tome 2" de Osamu Yamamoto (わが指のオーケストラ)

 

Seinen L'Orchestre des Doigts (4 tomes) (わが指のオーケストラ)
Auteur et scénariste : Osamu Yamamoto
Traduction et adaptation de Satô Naomiki de Marie-Saskia Rayna
Genre : historique, tranche de vie
Éditions ; Kankô  (2006 et 2007) (première publication en 1991)
Tome 2
ISBN :978-2745925862
Nombre de pages :250

Synopsis : En 1914, un jeune professeur qui a étudié la musique, arrive à Osaka, après avoir renoncé à poursuivre ses études en France pour travailler dans une école d’aveugles et de sourds-muets. Il y rencontre Issaku, jeune enfant sourd-muet, violent car ne sachant communiquer. Le professeur va l’aider et découvrira par la même occasion le monde complexe du silence et l’incompréhension qui l’entoure.

Mon avis

Il faut savoir que les faits relatés dans ces mangas sont largement inspirés de la réalité et que dans chaque tome, une partie « documents » avec texte, photos ou dessins d'époque complète le propos en apportant une somme énorme d'informations.

Tome 2

Nous retrouvons les personnes rencontrées dans le tome 1 auxquels s'ajoutent d'autres protagonistes dont une petite fille. Son père pense que la langue des signes va la bloquer dans le monde des sourds et il souhaite qu'elle oralise. A travers les événements de l'année 1918 autour des « émeutes du riz » qui éclatèrent de Juillet à Septembre 1918, les personnages évoluent, notamment le professeur qui prend « de la consistance ». Il a été intéressant pour moi, de voir, comment, avec des dessins qui semblent simples, les sentiments sont exprimés.

Dans les notes de fin d'ouvrage, j'ai appris que, comme en France, la langue des signes a été interdite, pour obliger les sourds à oraliser. Puis l'évolution des mentalités a permis de considérer ce mode de communication comme une langue à part entière. Les sourds ne pouvaient pas conduire, ne pouvaient pas accéder à tout....

Il y a, à cause de la révolte évoquée autour du problème du riz, un peu de violence dans les pages de ce manga mais elle ne m'a pas empêchée de rester très attachée à ceux qui peuplent les pages. Il est important de souligner que la langue des signes, qui arrive enfin à fédérer les hommes, est présente dans les pages comme le fil conducteur indispensable à relier deux mondes.

J'ai beaucoup apprécié le passage où le professeur parle de la musique et de la langue des signes, mélopées pas si différentes qu'on voudrait le croire tant les deux sont poétiques et parlent au cœur.

"Meurtre à l'heure de pointe" de Dan Turèll (Mord i Myldretiden)

Meurtre à l'heure de pointe (Mord i Myldretiden)
Auteur : Dan Turèll
Traduit du danois par Orlando de Rudder et Nils Ahl
Éditions de l’Aube (Novembre 2012) (Première édition en 1985)
ISBN : 9782815906678
228 pages

Quatrième de couverture

Notre héros journaliste se promène dans Copenhague quand il tombe sur son ancien groupe de jazz, toujours mené par Carsten, le guitariste. Ce dernier s'effondre soudain sous ses yeux et l'autopsie révèle qu'il ne s'agit pas d'une overdose mais d'un empoisonnement... Pour trouver l'assassin de son ami, il évolue sans complexes dans les quartiers les plus mal famés de la capitale danoise, épaulé par le commissaire Ehlers, son acolyte dévoué, Kaspersen, et Bang, un médecin légiste pour le moins cynique, sans oublier Franck, bassiste du groupe et mentor de Carsten. Un humour grinçant sur fond de blues sombre et mélancolique qui accompagne ses personnages tout au long de leur passionnante enquête.

Mon avis

Live is life….

C’est aux sons de musiques « jazzy » (parfois folk, blues ou country) délicieusement surannées que j’ai lu ce roman. Il n’y a pas, officiellement, de play list associée à ce livre mais c’est tout comme, tant la musique est omniprésente, imprégnant le texte à tel point qu’à chaque titre mentionné, vous vous jetez sur internet pour écouter le morceau. Cela rajoute une atmosphère très particulière car les mélodies, le plus souvent, sont mélancoliques et vous mettent du vague à l’âme. Pour certaines, on entend même le diamant crisser sur le vinyle… Cela ne nous rajeunit pas…. D’ailleurs l’intrigue se déroule en 1985, alors ordinateur, téléphone portable, internet et tests ADN ne font pas partie du quotidien.

Le journaliste, personnage principal, dont nous savons qu’il a une compagne et un fils (dont il cherche le prénom vu qu’il a trois mois pour se décider), tape sur une machine à écrire et appelle d’une cabine, d’un bar ou de son fixe. On ne connaît pas son identité précise mais on sait qu’il a une maîtrise de criminalité ; qu’il aime son indépendance (pas pressé de rencontrer son futur beau-père ;-), le jazz (il a joué dans un orchestre), la bière, les quartiers loin du centre classique et que son métier de chroniqueur « free lance » lui colle à la peau.

C’est donc l’été, il fait chaud, très chaud, compagne et enfant sont absents quelques jours et Monsieur est resté en ville pour le travail. Il se promène « J’étais l’un de ces indolents flâneurs… » dans les coins un peu en marge du centre ville, là où l’animation est plus spontanée, là où l’on trouve de tout, même ce qu’il est préférable d’éviter (drogue, prostitution) mais il n’y touche pas…. Mélomane, il entend un air qu’il connaît bien, il s’approche et se trouve face à son ancien groupe, ceux avec qui il a joué avant de prendre une autre direction… Il fait une pause pour écouter, discuter et soudain, le drame, Friis Carsten, le guitariste s’effondre, victime supposée d’une overdose. Est-ce le fait d’avoir du temps, le retour du passé accompagné d’une forme de nostalgie, l’amitié qui l’a uni à Carsten, ou une autre raison, notre homme va se lancer dans une enquête serrée car il a des doutes sur la mort de Friis. Aidé d’un commissaire, Ehlers, d’un médecin légiste, il va avancer dans sa quête, doucement, à la cadence de la musique qui rythme ses rencontres.

L’écriture, teintée d’un humour de bon aloi « Que ferais-je sans mon petit amour de téléphone qui arrêtait net mes cauchemars pour me plonger, par pure philanthropie, dans l’univers effrayant de ceux des autres ? » m’a beaucoup plu. L’auteur pose les faits, les décors mais chaque passage retranscrit également une atmosphère ; éminemment harmonieuse tant par les mélodies citées, que par les extraits de poèmes placés ça et là mais aussi par l’écriture elle-même, très originale : un peu comme si l’auteur voulait faire celui qui n’a pas « travaillé » sa syntaxe alors que c’est tout le contraire, elle est raffinée « Cet espoir que les fait attendre quelque chose qui n’adviendra jamais, tandis qu’elles se contentent de ce qu’on trouve sur le marché : l’homme. ». Les chapitres s’enchaînent, on suit le narrateur dans ces questionnements, ses recherches, ses rapports aux autres, ses visites dans différents lieux…Ce n’est ni lent ni rapide, ça avance sans qu’on ressente une quelconque lassitude. On peut regretter que la fin arrive un peu trop « facilement », et que l’affaire soit ainsi réglée assez vite mais dans les chapitres précédents, Dan Turèll a pris soin de nous égarer, de nous « promener », nous lançant sur de fausses pistes alors on lui pardonne…

La musique jusqu’au bout…en guise d’épilogue, une coda de trois pages ….

Lire ce roman a été pour moi du pur bonheur tant je l’ai apprécié. Je n’ai qu’une hâte : retrouver cet auteur…et un regret : savoir qu’il est décédé…..

"Souviens-toi de Sarah" de Page Comann

 

Souviens-toi de Sarah
Auteur : Page Comann
Éditions : M + éditions (2 Juin 2022)
ISBN : 978-2-38211-068-3
482 pages

Quatrième de couverture

Diane, éditrice chez Sandwood Publishing à Londres, reçoit un manuscrit anonyme. Une jeune adolescente, Sarah, y confie sa vie de misère dans les années sombres de l'Angleterre des années 60. Elle y avoue aussi les crimes qu'elle a dû commettre pour échapper à son destin. Vraie confession ou habile fiction d'un écrivain contemporain ? Bouleversée par ce manuscrit, Diane cherche à en retrouver l'auteur et part sur les lieux où Sarah dit avoir vécu et souffert. Dans sa quête de vérité, elle traverse les paysages époustouflants d'Irlande et d'Écosse. Mais ce qui commence comme une enquête littéraire vire à l'horreur.

Mon avis

La vie n’est qu’une succession de choix avec lesquels Dieu nous demande de bricoler nos existences.

Écrit à quatre mains, ce roman est exceptionnel tant sur le fond que la forme. Il nous fait voyager dans le temps et dans les magnifiques paysages d’Irlande et d’Ecosse qui malgré leur beauté, cachent de bien vilaines personnes…..

Diane est éditrice et comme toutes les personnes qui travaillent dans ce milieu, elle reçoit, souvent, des manuscrits. Parfois, elle les zappe car le temps manque pour tout lire. Ce jour-là, c’est un de « ses » auteurs, Ashley, qui en feuillette un lorsqu’elle arrive. Devant son enthousiasme, elle décide de voir par elle-même ce que vaut cet écrit. Et elle est conquise ! Ce récit étant anonyme, si elle veut le publier, il faut retrouver celle qui l’a rédigée car ce doit être Sarah, la personne qui raconte son histoire dans le texte qu’elle a découvert. Avec les informations glanées dans sa lecture, Diane décide de mener l’enquête afin de vérifier l’exactitude des faits, rencontrer éventuellement ceux qui sont évoqués et surtout faire signer l’écrivain rédacteur !

Elle part de pas grand-chose mais bouleversée par ce qu’elle a perçu, elle fonce. Elle veut savoir, et le lecteur également, car elle transmet son désir de compréhension. C’est un recueil dans lequel on « rentre » dès les premières pages, on est captivé et on ne peut pas le laisser. La construction du texte alterne « le journal de Sarah » et les événements des années 60 avec l’époque contemporaine et les recherches. Je me suis demandée si les auteurs s’étaient partagés le travail avec ces deux entrées. Est-ce que l’un écrivait le passé et l’autre le présent ? Ce serait intéressant de savoir comment ils s’y sont pris pour la rédaction et les échanges afin de faire avancer leur fiction.

Lorsque Diane enquête, le parallèle entre le journal et ce qu’elle découvre sur place est fait. C’est très astucieux car cela évite toute forme de lassitude entre les deux aspects et c’est incroyable comme les choses s’emboîtent à la perfection entre les deux époques. Pas une fausse note et un texte fort, puissant. On suit Sarah, une jeune femme, qui subit des galères suite au décès de sa mère. Elle souffre, cherche des alliés, se bat, tombe amoureuse, se fait manipuler mais on sent bien que tout cela pourrait, malheureusement, être possible et c’est sans aucun doute pour cette raison que ce livre est émouvant, poignant. Diane, de son côté, comprend assez vite que ses investigations dérangent. Pourquoi ? Est-ce que ce passé a un impact sur le présent ? Qui veut l’empêcher de connaître la vérité ? Elle se sent en danger, qui croire ou ne pas croire ? Quelle est la part du mensonge, de la fourberie dans ce qu’elle voit, entend lorsqu’elle observe ou rencontre des personnes ?

Lorsque les deux auteurs décrivent les lieux, on s’y croirait (ça ferait un film magnifique), on visualise la côte sauvage, on sent le vent, la pluie, la tourbe, on est sur place, partie prenante de chaque action. On a le souhait de sauver Sarah, de lui offrir une vie meilleure, on s’identifie à Diane dans sa volonté de comprendre. J’ai pensé au film « Philoména » et à ces personnes qui pensent faire ce qui est bien alors qu’elles ont tout faux, parce qu’elles ont le cerveau « formaté ». Qu’il est dur de se rebeller contre les institutions bien pensantes et quel courage pour ceux qui agissent ! J’ai aimé que Sarah éprouve le besoin d’écrire comme si cet acte l’aidait à avancer.

Le style est magnifique, l’écriture profonde. C’est un livre vraiment complet, travaillé avec des personnages étoffés. J’ai été bluffée par cette collaboration. C’est impressionnant car ce n’est pas léger, il y a une réelle recherche, les sujets évoqués questionnent, d’autant plus que ce n’est pas si loin que ça dans le passé… brr… C’est un vrai coup de cœur.

NB : pourquoi le nom : Page Comann ?