"Tout droit" de Philippe Paternolli

 


Tout droit
Auteur : Philippe Paternolli
Éditions : du Caïman (7 avril 2021)
ISBN : 978-2919066889
196 pages

Quatrième de couverture

Juin 2013, deux accidents mortels surviennent à un jour d'intervalle sur la piste de Silverstone lors des essais du Grand Prix de F1. 2016, un couple de tigres est retrouvé décapité au zoo de la Barben en Provence. On retrouve, entre autres, le portefeuille de Noël Texier, patron d'un puissant groupe de communication, dans la gueule du mâle, et les restes de Texier dans l'estomac du fauve. Vincent Erno est dépêché par le Cube (cabinet noir en marge des Services Secrets français) pour enquêter sur cette mort visant l'un des hommes les plus puissants de France.

Mon avis

C’est avec une écriture vive, puissante et dénuée de toute fioriture que Philippe Paternolli nous emporte dans son nouveau roman. C’est une œuvre de fiction, il est bon de le rappeler car certains faits ne sont pas sans rappeler des événements réels….

Grand prix de Formule 1, en 2013, lors des essais d’un grand prix, deux véhicules vont « tout droit » et loupent un virage, bilan : deux conducteurs morts. Pourtant il s’agissait de pilotes aguerris, dont les bolides sont révisés avec soin, régulièrement par des professionnels. Manque de maîtrise liée à la vitesse : accidents et affaires classées. On n’en parle plus.

Trois ans plus tard, un tigre a eu un festin peu ordinaire, il a dévoré Noël Texier, patron d'un puissant groupe de communication. Bilan ? Un homme mort et deux tigres décapités (mais ils avaient le ventre plein ; -), dont l’un a en gueule le portefeuille de l’homme mangé. Bien sûr, une version édulcorée de ce décès est servie aux médias et au grand public. Pas la peine de donner des détails sordides. Il faut malgré tout démêler les faits et pour cela il est nécessaire de confier cette mission à une grande pointure. C’est Vincent Erno qui est mandaté. Il travaille pour un « cabinet noir » des services secrets. C’est un personnage récurrent de l’auteur mais on peut découvrir ce recueil sans savoir ce qu’il a vécu auparavant (si besoin, un petit rappel est glissé). Il va collaborer avec les flics du coin et comme il est bien placé, il sait pas mal de choses sur eux (et ça, c’est vraiment amusant parce que ceux qu’il côtoie s’imaginent que leur vie privée est bien discrète et pfff lui, l’air de rien, il leur balance ce qu’il a appris avec désinvolture…)

Collaboration… le mot est peut-être un peu surestimé. Erno, c’est lui qui tient les rênes et qui décide. D’ailleurs quand il interroge les personnes liées à l’affaire (épouse, collaborateurs ou autres), il semble poser des questions qui ne font pas toujours sens pour ceux qui participent. Et il attend qu’on l’interpelle, il est persuadé d’en apprendre plus quand ça se passe comme ça. Et c’est intéressant de voir comment son esprit fonctionne dans ces cas-là.

L’enquête de Vincent va l’emmener dans différents coins de France et il reliera 2016 à 2013. Des hommes tirent les ficelles dans l’ombre, manipulent les uns et les autres dans un but précis. Il faut stopper ce qui peut être dangereux, négocier de temps à autre sans pour autant perdre la main. Il faudra toute la sagacité et tout le doigté d’Erno pour avancer et décrypter l’ensemble des événements.

Ce récit est court mais dense. Pas de temps mort, du suspense, de l’action, une pointe d’humour, des rebondissements et en filigrane une solide réflexion sur les possibles dérives du monde…. Politique, informatique, influence, certains utilisent leur force pour de bien mauvais choix….

Ce recueil captivant est là pour nous détendre mais on peut aussi penser qu’il nous rappelle d’être vigilant face aux dérives sinon on ne sait pas où on va mais on ira « tout droit »…..

"La prophétie de l’âge d’or -Tome 2 : Rédemption" de Néo Leuduc

 

La prophétie de l’âge d’or -Tome 2 : Rédemption
Auteur : Néo Leuduc
Éditions : du Saule (12 Avril 2021)
ISBN : 978-2356770387
352 pages

Quatrième de couverture

Année 2200 : l'apocalypse a eu lieu, le monde a sombré dans le chaos, les Hommes sont en voie d'extinction. Tristan, Lou, Euxane et Cheng continuent leur périple au gré des prédictions de Nostradamus. Leur but : sauver ce qui reste d'humanité. Dans ce monde de désolation, l'heure de la rédemption a sonné...

L’avis de Franck

Voici la suite et fin du tome précédent qu’il est nécessaire d’avoir lu si on veut apprécier tous les enjeux de ce roman.

On retrouve notre compagnie d’aventuriers juste après les avoir quittés dans le premier livre de ce diptyque.

L’écriture est toujours aussi agréable. On sent que l’auteur s’est bien renseigné sur les enjeux scientifiques, sociologiques et géographiques qu’il a mis en filigrane de son récit. Les explications sur les enjeux de la génétique sont claires et intégrées dans la continuité du récit sans en couper le rythme.

La violence, l’amour, l’humour et l’aventure sont présents au fil du texte ce qui en rend la lecture très plaisante.

Il y a encore une petite incohérence temporelle qui m’a gêné : la ville/camp fortifié retranché de Pandoras qui s’est construite et organisée en si peu de temps me rappelle la transformation physique quasi instantanée de Kita dans le tome 1. Mais là aussi, cela ne nuit pas au tempo de l’histoire.

J’ai particulièrement apprécié la fin.

Enfin une histoire qui respecte sa logique interne !

Nous ne sommes pas dans un conte de fées...

Tout le monde ne sera peut-être pas sauvé mais, comme le dit l’auteur dans les remerciements : « Nous avons tous un rôle à jouer sur cette terre ».

Et, après avoir tenu le sien tout au long de l’histoire, le héros accepte à la fin son destin ….


"Séquences mortelles" de MIchael Connelly (Fair Warning)

 

Séquences mortelles (Fair Warning)
Auteur : Michael Connelly
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Robert Pépin
Éditions : Calmann-Lévy (10 mars 2021)
ISBN :
452 pages

Quatrième de couverture

L’illustre Jack McEvoy, maintenant journaliste au Fair Warning, un site Web de défense des consommateurs, a eu raison de bien des assassins. Jusqu’au jour où il est accusé de meurtre par deux inspecteurs du LAPD. Et leurs arguments ont du poids : il aurait tué une certaine Tina Portrero avec laquelle il a effectivement passé une nuit, et qu’il aurait harcelée en ligne. Malgré les interdictions de la police et de son propre patron, il enquête et découvre que d’autres femmes sont mortes de la même et parfaitement horrible façon : le cou brisé.

Mon avis

Qu’est-ce que ça fait du bien de lire un bon Connelly ! Un vrai, travaillé, pas superficiel, avec une bonne intrigue et un sujet qui tient la route. Pas de Harry Bos, de Mickey Haller, de Renée Ballard, on retrouve Jack McEvoy, rencontré dans « Le Poète » du même auteur.

Il est maintenant journaliste pour un site de défense des consommateurs. Parfois, ses articles sont repris par de grands quotidiens. Il n’a plus que de loin en loin des contacts avec son ex petite amie Rachel qui était profileuse au FBI.  Un jour, deux policiers débarquent chez Jack et il est interrogé. Une jeune femme a été tuée et il s’avère que, quelque temps auparavant, il a passé la nuit avec elle. Prélèvement d’ADN et tout le tralala, ça ne lui plaît pas du tout à Jack. Il est un tantinet susceptible, un peu vif et soupe au lait. Il sait bien qu’il n’a pas assassiné cette fille qui est morte par DAO (décapitation atlanto-occipitale autrement dit on tord le cou jusqu’à ce que ça casse). Jack va prendre un peu de temps et en creusant l’affaire, il constate que d’autres femmes ont subi la même chose. Toutes avaient envoyé leur ADN à une société d’analyse….

Y-a-t-il un lien entre les tests ADN et les meurtres ? Si oui, pourquoi ? Comment agir ? Jack ne veut pas que l’affaire soit classée. Quitte à déranger la police, il mène une enquête parallèle pour comprendre, d’autant plus qu’il reste un suspect potentiel. Il demande de l’aide à Rachel pour essayer de cerner le profil de celui qui agit dans l’ombre.

Ce récit est vraiment captivant et intéressant. Déjà, il n’y a qu’une intrigue et on ne part pas dans tout un tas de directions, et puis, l’auteur nous offre différents points de vue, ce qui permet d’affiner les personnalités et les faits. Ce que suggère Michael Connelly lorsqu’il parle des études ADN n’est certainement pas improbable et ça fait peur. Peut-on vendre des informations personnelles, les étudier pour les recouper ? L’air de rien, il aborde des sujets graves, le cyberharcèlement, les dérives avec la protection des données et les recherches ADN  …. Jack se lance dans des investigations pointues et précises aidé par une collaboratrice du site et par Rachel. Il a l’intention de dénoncer tout ça et d’écrire plusieurs articles. Il faut savoir que Fair Warning est un site qui existe réellement et qui mérite d’être visité (d’ailleurs Connelly fait partie du conseil d’administration). C’est la preuve que l’auteur s’inspire du vécu pour son contexte. Est-ce que ça rend tout cela plus crédible ? Sans doute.

Le suspense est présent, l’histoire construite avec intelligence, l’enchaînement des événements tout à fait cohérent, bref, je le redis un très bon Connelly. L’écriture est fluide (merci à Robert Pépin !), même les explications sur l’ADN sont digestes. Je n’ai pas vu le temps passer et j’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir ce roman.

 

 


"À l’abri du mal" de Sylvain Matoré

 

À l’abri du mal
Auteur : Sylvain Matoré
Éditions : Le mot et le reste (21 Mai 2021)
ISBN : 978-2361397968
312 pages

Quatrième de couverture

Au cœur des Pyrénées, dans la vallée de la Himone, coule la Lisette, cours d'eau dont la beauté n'est altérée que par la présence de l'usine Laely et de ses rejets toxiques. C'est sur la rive, non loin de ce monstre de ferraille, que le corps d'une jeune femme brûlée au troisième degré est retrouvé. L'hypothèse de l'accident chimique est sur toutes les lèvres. Convaincus qu'il ne peut en être autrement, Mélanie, une saisonnière idéaliste en manque de combats à mener, et son petit ami Abdel, ouvrier de l'usine et lascar repenti, vont se mettre en quête d'une justice que personne ne semble vouloir appliquer. Mais leurs espoirs seront bientôt piétinés par une imprévisible spirale de violence.

Mon avis

Comme un parfum de désespérance….

Dans cette vallée des Pyrénées, au cœur d’un petit village de montagne, il n’y pas grand-chose à faire. Mais la vie est calme, proche de la nature et la plupart s’en contentent. Surtout que l’usine Laely donne du boulot aux gens du coin. Bien sûr Jean-Paul Lanteau, le patron, n’est pas toujours très honnête dans sa charte de bonne conduite. Les déchets toxiques, censés être recyclés, sont parfois « échappés » dans la Lisette, la belle rivière sauvage qui coule à proximité. Mais on fait comme si on ne savait pas, et puis d’abord, il ne dépasse pas un certain taux et rien de grave n’en découle, n’est-ce pas ?

Sauf que ce jour-là, un corps féminin est retrouvé gravement brûlé, en partie dénudée, sur les berges. Un bain dans l’eau fraîche très polluée a-t-il pu provoquer de tels dégâts ? Ou est-ce autre chose ? L’enquête va commencer. Très vite, la police se questionne sur Laely et son personnel. D’abord faire le point sur les bidons de déchets dangereux, vérifier leur évacuation et tous ceux qui, dans l’entreprise, ont un lien avec cette tâche. D’ailleurs, parmi les employés, il y a Abdel, presque le profil idéal. Il a habité en banlieue, a participé à des trafics et a fait de la prison. N’aurait-il pas quelque chose à cacher ? Sa copine, c’est Mélanie, une fille toute maigre qui a traîné sur les routes et dans des squats avant de se poser là avec lui. Ce qui les unit ? En apparence un peu d’amour, un besoin de compter pour quelqu’un, des idées communes sur l’écologie, la tolérance et quelques autres combats bien actuels. Mais, si on creuse, je pense que ce qui les a rapprochés, ce sont leurs fêlures, leurs blessures invisibles. En prenant soin l’un de l’autre, ils se sentent, non pas investis d’une mission, mais utiles parce qu’ils « existent », ils ne sont plus « transparents ».

Justement, le décès de cette jeune femme va leur donner l’occasion d’agir. Il faut dénoncer les erreurs de la fabrique, ne pas oublier que la terre n’appartient pas à l’homme (c’est même le contraire), obliger le PDG à faire d’autres choix. C’est avec un autre couple, un peu désœuvré, Marco et Angèle, que la réflexion va être menée.  Un combat qu’il va falloir réfléchir en amont pour éviter toute erreur, des actions qui devront être discrètes mais virulentes et suffisamment parlantes pour que les débordements cessent.

Portés par leurs résolutions, Abdel et Mélanie ne renoncent à rien, ne baissent pas les bras. Ils refusent de se résigner, de laisser faire. La montagne et la nature autour d’eux sont tellement belles, il faut cesser leur destruction, surtout si cela entraîne des morts. Oui, ils ont peu de moyens mais, c’est le cas de le dire, ils soulèveront des montagnes et se remueront pour faire bouger les choses. Pendant ce temps, le PDG est blanchi, il n’a rien à se reprocher…. Paraît-il…. Mais qu’y- a-t-il sous les apparences bien lisses de cet homme et de sa société ? La lutte des jeunes gens n’est-elle pas vouée à l’échec ?

Cette lecture m’a captivée. J’ai apprécié l’omniprésence des Pyrénées, de l’environnement, des lieux présentés, tous sont évoqués avec beaucoup de doigté et d’intelligence. Ce n’est pas seulement l’aspect écologique, mais tout un ensemble qui démontre combien il est important de respecter le rythme naturel de chaque coin du monde pour vivre en harmonie. Ce roman policier, outre l’intrigue, est un véritable plaidoyer pour que le lecteur prenne conscience de certains faits. C’est très bien pensé cette « double entrée ». Les personnages ne sont pas trop caricaturaux, ils sont parfois dans le mal-être ou la toute puissance mais sans exagération. On comprend vite que certains vont être entraînés plus loin que ce qu’ils souhaitaient et qu’ils risquent de souffrir. L’écriture est belle, parfois poétique, enrichie par des approches très visuelles des lieux, j’avais presque l’impression de contempler des photos. L’atmosphère, teintée de désespérance, est lourde de sens. À nous de ne pas oublier, une fois le livre refermé.

 


"J’ai voulu oublier ce jour" de Laura Lippman (The Most Dangerous Thing)

 

J’ai voulu oublier ce jour (The Most Dangerous Thing)
Auteur : Laura Lippman
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Yoko Lacour
Les Éditions du Toucan (4 Décembre 2013)
ISBN : 9782810005316
432 pages

Quatrième de couverture

Il y a quelques années, ils formaient une bande d’amis, les meilleurs amis du monde. Mais le temps a passé et ils sont maintenant presque tous mariés, sont pris dans leurs vies de famille et se sont lentement perdus de vue. Jusqu’à oublier même leur terrible mensonge.
Mais quand Gordon, le plus attendrissant de la bande, meurt soudainement, tout s’écroule. Et les soupçons commencent à émerger….

Mon avis

Amateur de thriller glaçant, de suspense angoissant, d’enquêtes aux multiples ramifications, ce livre n’est pas fait pour vous ! Si vous cherchez un livre d’ambiance, d’évolution des relations humaines au fil du temps et transformées par un événement particulier, vous pourrez trouver votre bonheur….

Décliné en cinq parties (Go-go, nous, eux, pitié pour eux, pitié pour nous) de longueur inégale (la première ne faisant que quelques pages), ce roman nous entraîne de façon singulière au cœur d’une époque où les téléphones portables n’existaient pas et où les rapports entre les jeunes gens étaient simples, ceci pour ce qui est du passé. Le présent étant lui, bien plus complexe et compliqué…. En effet, le décès de l’un d’eux va remuer ce que chacun s’était appliqué à oublier.

Ils étaient cinq amis, trois frères, deux bonnes copines, et passaient beaucoup de temps ensemble. Suite à un fait, dont nous ne savons rien, chacun a suivi son chemin, différent de ce qu’il aurait pu être….
Laura Lippman sait à merveille se pencher sur les êtres, leurs tourments secrets, leurs questions, leur évolution, leur regard sur la société mais également sur les uns et les autres, sur les liens tissés qui se tendent, se distendent, se resserrent au gré du temps. Ceci est un point fort du roman ou comment le passé conditionne (empoisonne pour certains) le présent, ligotant l’expression d’une certaine façon surtout lorsqu’il y a un secret.

Car bien, entendu, il y a quelque chose de caché, évoqué entre les lignes, à mots couverts.
Alternant le passé et le présent, le style impersonnel (avec un narrateur extérieur) puis différent et particulier : un « nous » qui raconte alors que tous les individus sont nommés, comme s’il y avait une sixième personne…. Je crois pour rebondir sur cette formulation du « nous » que c’est volontaire de la part de l’auteur. Elle insiste, de nombreuses fois, sur le fait que les cinq compagnons forment, au début de leur amitié, un « bloc » serré et compact, d’où l’emploi de ce nous car aucun ne peut se mettre en avant pour « parler ». C’est leur histoire, leur vie….
De flash-back en flash back avec des pauses dans le présent, nous cheminerons avec les protagonistes et comprendront ce qui a provoqué l’éclatement du groupe.

Je suis immédiatement rentrée dans le récit, avide d’avancer dans les différentes directions et de savoir, j’ai lu d’une traite les deux cent-trente premières pages et puis une forme de lassitude s’est installée. L’écriture m’a semblé plus terne, plus redondante, les redites sur les personnages ne m’apportaient rien et au lieu de m’attacher à eux, ils ne m’intéressaient plus.

Laura Lippman dit que l’intrigue se déroule dans un coin qu’elle connaît bien… A-t-elle trop mis de ses souvenirs dans le texte ? Je ne sais pas. Toujours est-il que, bien qu’elle glisse çà et là, des choses ayant existé (l’ouragan de la Nouvelle Orléans) ou des faits de société marquants (l’homosexualité), tout ceci me semble trop « léger », pas assez fouillé, comme d’ailleurs l’âme de ses personnages. De plus, il aurait été intéressant d’en savoir plus sur l’attitude des parents. Leur place est assez obscure et méritait mieux pour en faire un vrai roman d’atmosphère.

L’ensemble n’est pas mauvais (la traduction m’a malgré tout posé quelques questions, certaines tournures de phrases me semblant « bizarres ») mais globalement, un manque de rythme et de profondeur en font un roman correct mais qui ne se détache pas et n’emballera peut-être pas les foules….

Je reste néanmoins persuadée que l’auteur a un excellent potentiel, je ne suis sans doute pas tombée sur son meilleur livre….

 


"Le dard du scorpion" de Douglas Preston & Lincoln Child (The Scorpion’s Tail)

 

Le dard du scorpion (The Scorpion’s Tail)
Auteurs : Douglas Preston & Lincoln Child
Traduit de l’américain par Sebastian Danchin
Éditions :  L’Archipel (20 mai 2021)
ISBN : 9782809841558
400 pages

Quatrième de couverture

Le corps étrangement momifié d'un homme est retrouvé dans une ville fantôme du Nouveau-Mexique. À son côté : une croix en or du XVIIe siècle datant de l'ère coloniale espagnole. L'archéologue Nora Kelly et Corrie Swanson, jeune agente du FBI, doivent déterrer l'homme pour l'identifier, déterminer les causes de sa mort et rechercher un éventuel trésor enfoui...

Mon avis

C’est dans « Tombes oubliées » des mêmes auteurs que Corrie Swanson, jeune recrue du FBI et Nora Kelly, une archéologue ont collaboré la première fois. Ces deux femmes sont complémentaires même si parfois elles se « titillent ». L’addition de leurs compétences les amènent à résoudre des situations parfois complexes. Elles ne travaillent pas ensemble et pour cette aventure, c’est Corrie qui fait appel à Nora. Corrie est une ancienne ado rebelle et cet aspect de sa personnalité ressort encore quelques fois. Elle a suivi les conseils de Pendergast (autre personnage récurrent de Preston & Child) et a intégré » le Bureau » mais elle n’a rien perdu de son caractère fougueux. Nora est veuve depuis peu, elle peine à se remettre de la mort de son époux et se donne à fond au travail pour oublier et s’occuper l’esprit. Il faut le préciser, même si on n’a pas lu le roman précédent, on comprend tout !

Nous sommes près d’Albuquerque, au Nouveau-Mexique, avec des paysages sublimes, parfois déserts (je regarde toujours les lieux cités pour voir s’ils existent mais également pour mieux m’imprégner du décor, il pourrait même y avoir quelques photos pour nous faire envie). Corrie, qui vient d’avoir un coup dur au boulot et qui a l’impression d’être mise sur la touche, est mandatée pour une nouvelle enquête. Elle va aider le shérif du comté de Socorro. Il a surpris un pillard, occupé à déterrer des restes humains dans un village fantôme, abandonné depuis des dizaines d’années. Comme elle est spécialisée en anthropologie médico-légale, elle lui sera d’une grande aide pour comprendre les raisons de cette mort qui remonte à très longtemps.

Aidée de Nora, Corrie se rend sur les lieux. Elles vont vite comprendre qu’elles dérangent. D’après la rumeur, ce coin isolé et perdu serait lié à un trésor. Mais d’abord pourquoi ce lieu a-t-il été totalement vidé de toute vie ? Que fait l’armée pas très loin de là, à surveiller, semble-t-il, les moindres faits et gestes ? Qu’en est-il des essais nucléaires qui se déroulent dans le coin ? Le trésor existe-t-il ? Il faudra des investigations minutieuses, beaucoup de persévérance également pour que ce duo féminin y voit plus clair.

J’ai vraiment apprécié ce récit. Je l’ai trouvé plus travaillé que les derniers du binôme d’écrivains. L’écriture est toujours fluide, accrocheuse, et le fidèle traducteur fait du bon travail car certains mots sont vraiment bien ciblés. Le contexte est intéressant, en lien avec l’histoire de la colonisation de l’état, la place de la religion, le respect (ou non) des communautés indiennes (les Pueblos entre autres). On réalise que, quelle que soit l’époque, l’appât de la richesse fait bien des dégâts. Pas mal d’hommes sont des machos dans ce livre, certains se moquent ouvertement de Corrie, remettant même en cause ses connaissances et ses qualités, ah l’orgueil de certains « mâles ». C’est très bien que ce soit des femmes qui aient plus de lumière. Toutes deux ont de l’humour, savent prendre du recul. Elles sont parfois un peu naïves mais tellement sympathiques ! Heureusement, le shérif Homère Watts est un homme ouvert d’esprit, à l’écoute, respectueux de la gent féminine (je verrai bien un flirt, voire plus, avec Corrie…)

L’ensemble est toujours aussi efficace, de l’action, quelques rebondissements, du suspense, une pointe de peur bien maîtrisée, des protagonistes attachants et régulièrement en danger et une fin comme on les aime. Certains esprits chagrins diront que c’est un peu toujours le même moule. Ce n’est pas faux mais ça reste prenant et puis il suffit de varier ses lectures. Personnellement, pour moi cela a été un vrai plaisir !

NB : je ne connaissais pas l’origine du mot scotch et je le sais depuis cette lecture !

 


"Rendors-toi, tout va bien" d'Agnès Laurent

 

Rendors-toi, tout va bien
Auteur : Agnès Laurent
Éditions : Plon (12 Mai 2021)
ISBN : 978-2259306300
224 pages

Quatrième de couverture

Une femme dans une voiture délabrée, une autoroute, un jour de grand départ. Et soudain, l'accident. Qui est la victime ? Épouse, mère, femme ordinaire ? Qu'a-t-elle fait durant les heures qui ont précédé le choc ? Pourquoi son mari a-t-il été arrêté un peu plus tôt ? Depuis sa cellule de garde à vue, ce dernier cherche à comprendre pourquoi sa femme a pris la fuite. Que n'a-t-il pas vu, que n'a-t-il pas voulu voir derrière les " rendors-toi, tout va bien " de celle qui vivait à ses côtés ?

Mon avis

Un vendredi de Juin, un accident sur l’autoroute A31 en direction de Dijon. Dans la voiture, une femme blessée, inconsciente, qui est-elle ? D’où vient-elle ? Que faisait-elle là ?

STOP ! On rembobine la pellicule …

Le matin du même jour à Sète … puis tout au long de la journée …
Des extraits de vie, des personnes qui connaissent de près ou de loin cette femme, qui l’ont croisée, ou cherchée, ou entrevue. Quelques pages pour chacun, famille, amis, voisins, connaissances, inconnus qui se sont trouvés à un moment ou un autre en sa présence. Et au milieu de ces rencontres, le mari, hagard, qui s’exprime en disant « je », en ne comprenant rien car la police l’a embarqué et mis en garde à vue. Il est dans le présent, un présent qui lui échappe, entendant des questions et des réflexions qui n’ont aucun sens pour lui, « Vous n’avez rien vu, rien senti ? Ne faites pas l’innocent… » Il essaie, péniblement, de penser à ce qui a pu lui échapper, à ce qu’il aurait dû voir… Pendant ce temps, l’horloge tourne, la femme roule, s’arrête, repart, elle ne sait pas où elle va, ce qu’elle veut…. Les « témoins » - mais peut-on appeler « témoin » des personnes qui ignorent tout ? - ceux-là mêmes qui en apprenant qu’il y a, sans doute, un problème au sein de ce couple « bien sous tous rapport » - se souviennent d’un geste, d’un fait, d’une larme, d’un début de phrase … mais ça ne suffit pas …. Seul le lecteur qui a accès à tous les éléments commencent à envisager l’emboîtement des pièces d’un puzzle dont il n’ose imaginer la photographie finale.

J’ai été fascinée par la construction de ce roman qui offre le déroulé de la journée. L’intérêt principal réside dans les différents points de vue, les divers angles d’approche d’une même problématique, à savoir : pourquoi une mère de famille ordinaire plaque tout un matin sans raison apparente ? Un mari, deux petites filles, une maison, de l’argent, une vie facile, que lui manquait-il ? Petit à petit, au fil des pages, nous apprenons à la connaître. Née dans une famille modeste, peu sûre d’elle et de sa valeur, une relation compliquée avec sa mère, une routine qui s’installe, le silence quand on ne sait que dire de sa journée, un fossé parfois, qui se creuse. 

« Il y a comme une bulle noire qui se forme entre nous, qu’aucun de nous deux ne parvient à percer et qui nous éloigne. »

L’écriture de l’auteur est presque chirurgicale, elle va au fond de chaque relation, de chaque situation, elle analyse les ressentis, les impressions. Petit à petit, la personnalité des deux époux se dessine, se précise, s’étoffe, alors, on entrevoit des possibilités, des secrets, des non-dits, un mal être…. Et on se dit que, bien sûr, la communication est la base de tout et que lorsqu’on la perd…. Mais c’est quelques fois plus aisé de fermer les yeux, de se tourner et de se rendormir, de se taire, de ne pas voir, de continuer le quotidien en faisant comme si… d’ailleurs on a peut-être rêvé, imaginé, alors à quoi bon se prendre la tête, se questionner puisque « tout va bien » ? Cherche-t-on alors à se persuader ? Et quand on réalise qu’on a fait une erreur, qu’on s’est trompé, il est trop tard et la culpabilité arrive …..

Malgré la douloureuse thématique abordée, ce récit ne sombre ni dans le voyeurisme, ni dans le pathos. Le ton est juste, les personnages sont tout à fait crédibles, humains. L’approche psychologique est pointue, réfléchie. Je ne sais pas comment, ni pourquoi, ni par qui la couverture a été choisie, mais je la trouve tout simplement superbe.

Ce premier roman est une réussite !


"Et pour le pire" de Noël Boudou

 

Et pour le pire
Auteur : Noël Boudou
Éditions : Taurnada (13 Mai 2021)
ISBN : 978-2-37258-084-7
256 pages

Quatrième de couverture

Bénédicte et Vincent auraient pu vieillir paisiblement ensemble. Malheureusement, le destin en a décidé autrement, il y a vingt ans… Vingt ans. Vingt ans à attendre… à attendre que les assassins de sa femme sortent de prison. Depuis vingt ans, Vincent Dolt n'a qu'une seule idée en tête : venger sa douce Bénédicte… Depuis vingt ans, seule la haine le maintient en vie. Mais une vengeance n'est jamais simple, surtout à 86 ans. Il a vécu le meilleur, il se prépare au pire…

Mon avis

Vincent le dit lui-même, il est un vieux con. Vieux, c’est sûr, il a dépassé les quatre-vingts ans, con … c’est à voir. Ce qui est sûr, c’est qu’il est asocial, solitaire, bougon. À part une aide-ménagère qui l’aide pour la douche une fois par semaine et les visites - tendues - d’un neveu, il ne souhaite voir personne, surtout pas les gens du village, ni de nouveaux voisins. On peut, dès le début se demander pourquoi il entretient si peu de liens avec les « anciens », qu’il doit bien connaître pourtant. Les personnes âgées, ça joue aux cartes, aux boules, ça discute au café du coin, enfin, c’est souvent comme ça, non ? Pas Vincent, lui, les bières, il les boit tout seul, dans son coin, devant sa maison ou à l’intérieur, comme s’il cherchait à noyer quelque chose. On va vite saisir de quoi il s’agit … Le chagrin, il y a vingt ans, l’a submergé, englouti. Sa douce épouse, Bénédicte, a subi d’atroces sévices, elle a souffert le martyr et il s’en veut de ne pas avoir senti qu’elle avait besoin de lui. Pourtant il n’y est pour rien. Malgré tout, il traîne une culpabilité qui le bouffe de l’intérieur, qui le ronge mais qui le maintient en vie également car il veut se venger. C’est sa seule raison d’exister, d’avancer malgré les douleurs, malgré les faiblesses liées à l’âge.  Il peaufine, se prépare, ça fait vingt ans qu’il attend. Ceux qui ont fait ça vont retrouver la liberté et lui, il a bien l’intention de leur ôter. Il est dans sa bulle de solitude prêt à mettre en place les représailles qu’il mijote.

Et puis la maison d’à côté s’anime, de nouvelles personnes s’installent. Il n’en veut pas Vincent, ça ne lui convient pas du tout, ça le dérange et il a vite fait de leur faire comprendre pour qu’ils se sentent rejetés. Sauf que les choses ne restent pas en l’état, elles évoluent et des liens se créent malgré lui et cela peut l’amener à modifier ses plans. Va-t-il continuer sur sa lancée au risque de mettre en danger la petite famille proche de chez lui ? Va-t-il abandonner ses projets alors qu’il ne vit que pour ça depuis deux décennies ?

Nous allons découvrir l’évolution de la situation, les discussions avec les uns et les autres, les pensées de Vincent, ses choix et les conséquences que cela aura sur la suite des événements. Les personnages sont surprenants, certains très durs, d’autres vibrant d’humanité contenue, on a l’impression que, souvent, tout est « sur le fil » prêt à exploser. L’auteur nous fait bien ressentir cette tension qui les habite. Même en restant sur ses gardes, Vincent va être confronté à des choses terribles, parce qu’on ne peut pas tout prévoir, parce que la cruauté des hommes n’a pas de limite…

C’est un livre dur, il y a des scènes qui sont à la limite du soutenable. Certains diront que ce n’était pas nécessaire de mettre tant de cruauté, que quelques faits ne sont pas vraiment crédibles. Oui, je peux le comprendre mais je ne me suis pas attardée là-dessus car j’y voyais autre chose : la puissance des mots, la force des émotions enfouies dans chaque individu, que ce soit la colère, la méchanceté gratuite, l’injustice révoltante, l’amour des siens, la soif de vengeance, le besoin de justice etc.

J’ai lu ce récit, d’une traite, en apnée, les poings serrés, prête moi aussi à en découdre avec certains. L’écriture de l’auteur est aboutie, affirmée, son style sec frappe fort et remue au plus profond. Une fois la dernière page tournée, on retrouve son souffle et on souffle …. Un roman réussi qui vous prend aux tripes et ne vous lâche plus.

 



"Une femme fuyant l'annonce" de David Grossman (אשה בורחת מבשורה) (Icha boharat mibsora)

 

Une femme fuyant l'annonce (אשה בורחת מבשורה) (Icha boharat mibsora)
Auteur : David Grossman
Traduit de l’hébreu par Sylvie Cohen
Éditions : Seuil (18 Août 2008)
ISBN : 9782021004625
672 pages

Quatrième de couverture

Ora, une femme séparée depuis peu d’Ilan, son mari, quitte son foyer de Jérusalem et fuit la nouvelle inéluctable que lui dicte son instinct maternel : la mort de son second fils, Ofer, qui, sur le point de terminer son service militaire, s’est porté volontaire pour « une opération d'envergure » de 28 jours dans une ville palestinienne, nouvelle que lui apporteraient l’officier et les soldats affectés à cette terrible tâche. Mais s’il faut une personne pour délivrer un message, il en faut une pour le recevoir, pense Ora. Tant que les messagers de la mort ne la trouvent pas, son fils sera sauf. Aussi décide-telle, sans aucune logique, pour conjurer le sort, de s’absenter durant ces 28 jours en se coupant de tout moyen de communication qui pourrait lui apporter la terrible nouvelle. Ayant prévu une randonnée à travers le pays avec Ofer, elle part malgré tout. Au passage, elle arrache à sa torpeur Avram, son amour de jeunesse (le père d’Ofer ?) et l’emmène avec elle sur les routes de Galilée pour lui raconter leur fils.

Mon avis

Je suis mère, mère jusqu’au bout des ongles, mère jusqu’au bout du cœur, mère dans chaque fibre de mon être… Si je savais mon fils en danger, je serai prête à tout, à faire un accord avec le diable, à marcher jusqu’au bout du monde, à donner ma vie sans concession….

Ce cri d’amour, c’est le mien.

Dans « Une femme fuyant l’annonce », c’est celui d’Ora, son cheminement, son pacte (qu’elle sait stupide) pour protéger son fils, que l’on entend, que l’on lit, qui nous transperce, nous hante …

Elle explique sa fuite….. Si elle ne parle pas, si personne n’arrive à la joindre, si on ne la retrouve pas… aucune mauvaise nouvelle ne pourra l’atteindre pense t’elle…

Lui, c’est Ofer, le fils. Il a pris l’initiative de retourner dans l’armée, vivant la mission à laquelle il va se consacrer comme « une aubaine ».

Il dit : « Si je suis tué, partez. Fichez le camp, il n’y a rien de bon à attendre ici. »

Elle entreprend, avec son amour de jeunesse, la randonnée qu’elle aurait dû faire avec son fils.

On les suit, oscillant entre passé (à travers les retours en arrière) et présent, avançant avec les difficultés inhérentes à un couple qui a du mal à se parler, se comprendre, se toucher aussi parfois ….

Elle voudrait oublier la guerre, les conflits mais …

«Elle gémit, se prend la tête dans les mains et serre fort, maudissant du fond du cœur cette guerre interminable qui, une fois de plus, a réussi à se frayer un chemin vers son âme. »

Cette marche est-elle un adieu à son pays, à son fils ?

Son amant lui parle de ses souffrances, de ce qu’il a vécu… Elle, elle raconte Ofer, elle le fait vivre, exister sous leurs yeux, elle le maintient en vie….

Ce n’est pas seulement dans les paroles d’Ora, d’Avram que l’on découvre la blessure d’un pays, d’un peuple, des peuples, des hommes, c’est aussi dans les silences, entre les lignes, dans les mots chuchotés, murmurés, par l’auteur, dans tout ce qui se sent mais ne se voit pas ….

L’écriture et le style de David Grossman sont aériens et profonds à la fois (et ce n’est pas, à mon sens, contradictoire). Aériens car les mots peuvent se montrer légers, poétiques même pour évoquer des événements, des réalités graves … Profonds car sous des aspects parfois confus (les pensées d’Ora sont quelquefois désordonnées car elle a peur, et s’affole sans vouloir le montrer), ce qui est écrit (et encore plus ce qui se devine entre les lignes) ne laissera personne indifférent ….

 Ce cri d’amour d’Ora est, je crois, le cri d’amour d’un écrivain pour la Paix…..


"La geôle des innocents" de Ensaf Haidar

 

La geôle des innocents
Auteur : Ensaf Haidar
Traduit de l’arabe par François Zabbal
Éditions : L’Archipel (12 Mai 2021)
ISBN : 978-2809840438
210 pages

Quatrième de couverture

Rachwan et Râm, deux travailleurs étrangers, sont venus chercher fortune en Arabie saoudite. Ils apprennent vite, à leurs dépens, ce qu'il en coûte d'enfreindre les règles du Royaume.
Dénoncé et jugé sans appel, Rachwan est incarcéré dans le terrible centre pénitentiaire de Briman, à Djeddah, pour liaison illégitime avec la belle Siham – détenue quant à elle dans la prison des femmes. Quant à Râm, après s'être enfui de la distillerie d'arak clandestine qui l'employait, il échoue également à Briman. Tous deux vont faire l'apprentissage de la détention dans toute sa rigueur.

Mon avis

Depuis plus de dix ans, le mari de l’auteur, le blogueur saoudien Raif Badawi, est emprisonné, pour avoir défendu la liberté de conscience, d’expression et les droits des femmes. Elle se bat pour le faire libérer. Elle est réfugiée politique au Canada où elle s’est installée avec leurs trois enfants à Sherbrook depuis 2013. Tout en continuant de militer pour la libération de son époux, elle a écrit un premier roman qui se déroule en prison mais qui n’est pas inspiré de ce que vit celui qu’elle aime car il ne lui parle jamais de son quotidien lorsqu’ils peuvent se téléphoner. S’interrogeant sur ce que peut être la vie dans une geôle saoudienne, elle a laissé libre cours à son imagination…

Rachwan et Râm, sont tous les deux venus chercher une vie meilleure en Arabie Saoudite.
Le premier est syrien, il a fui la guerre qui sévissait dans son pays mais, pour son malheur, il est tombé amoureux d’une femme divorcée ce qui est contraire aux lois religieuses. Il ne peut pas être vu avec elle dans des endroits publics où leur identité peut être contrôlée, encore moins envisager une quelconque possibilité de vie commune… Ils savent qu’ils prennent des risques mais l’amour est le plus fort. Malheureusement un jour, ils sont arrêtés et emprisonnés.
Le second est indien, et pour nourrir sa femme et leurs cinq enfants, il a cherché et trouvé un employeur. Il réalise assez vite qu’il se fait exploiter par son patron, qui lui a pris ses papiers et s’adonne au trafic d’alcool. Il décide alors de fuir et se fait prendre.

Ces deux hommes (et la femme) se retrouvent emprisonnés pour des raisons qui nous révoltent mais ils sont dans l’obligation de purger leur peine. Quel quotidien s’offre à eux ? La prison de Briman à Jeddah est un lieu pénitentiaire comme il en existe d’autres, régi par des codes internes aux détenus, des règles qu’il faut en quelque sorte « apprivoisées » pour faire sa place, être accepté par ceux qui sont là depuis longtemps. Loin de se douter de ce qui les attendait, Rachwan et Râm vivent des moments terribles, une vraie descente aux enfers. Violence, drogue, menaces, insultes, chantage, leurs journées sont plus que difficiles, parfois proches de la descente aux enfers. Ce qui se vit entre les murs est interdit à l’extérieur, même pas imaginable et malgré tout, certains surveillants le cautionnent….  Rachwan et Râm ne connaissaient pas l’Arabie Saoudite, ils ont été pris au piège par le fonctionnement d’une société qu’ils appréhendaient mal, dont ils ne soupçonnaient pas l’influence et la force. Plus qu’étrangers, rejetés, ils sont écrasés, détruits, réduits à survivre comme ils peuvent en acceptant parfois l’innommable…

En lisant ce recueil, j’avais vraiment l’impression qu’il s’agissait de faits réels, j’avais mal pour ceux qui souffraient, j’étais en colère contre les tourmenteurs, les manipulateurs, contre toutes les injustices. Et je me disais qu’on est assez souvent impuissant devant des faits qui nous révoltent…

Le propos est dur, l’écriture très réaliste (merci au traducteur), et même si ce récit est une fiction, il porte un message fort sur la tolérance, le respect, la liberté, la place des femmes et leurs droits, l’écoute….et c’est important de ne pas l’oublier

"Échange loft londonien contre cottage bucolique" de Beth O'Leary (The Switch)

 

Échange loft londonien contre cottage bucolique (The Switch)
Auteur : Beth O’Leary
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Karine Xaragai
Éditions :  Hugo Roman (12 Mai 2021)
ISBN : 9782755687859
337 pages

Quatrième de couverture

Leena Cotton est épuisée. Ce n'est pas elle qui le pense, c'est son corps qui le lui dit. Pour la peine, son employeur lui impose deux mois de congés. Elle aurait encore préféré mourir de surmenage que d'ennui...
Eileen Cotton a pris une décision : puisque son époux de toute une vie l'a quittée du jour au lendemain, elle a désormais le droit de vivre pour elle-même.
Un problème ? Une solution ! La grand-mère et la petite-fille n'ont qu'à échanger leurs vies.

Mon avis

Burn out … on se dit que c’est pour les autres, parce que nous, on tient le coup, on fait face, on y arrive…. Jusqu’au jour où…
C’est ce qui tombe, d’un coup, sur les épaules de Leena. Un deuil l’a touchée, elle s’est mise en mode « carapace », se noyant dans le travail, mettant toute son énergie pour réussir, faire du bon boulot, s’oubliant par la même occasion. Et un jour, pendant une présentation, elle craque, elle est à bout…. Et c’est la catastrophe, le genre de situation qui fait tout rater, qui fait perdre un contrat…. Sa supérieure lui impose deux mois de vacances obligatoires.  Vacances ? Elle ne sait même plus ce que signifie ce mot tant cela fait longtemps qu’elle n’en a pas pris. Elle vit très mal l’idée de s’arrêter mais elle n’a pas le choix… Alors, peut-être quitter Londres et aller dans un petit village du Yorkshire où vivent sa mère (avec qui les relations sont tendues) et sa grand-mère ?

Justement, Eileen, sa mamie ne va pas bien. Son époux l’a abandonnée et elle se sent un peu perdue. Ce n’est pas l’homme en lui-même qui lui manque, mais l’idée d’un mari. Quelqu’un sur qui on peut compter, qui est là, qui accompagne le quotidien. Mais Eileen pense qu’il faut réagir, aller de l’avant et elle s’en donne les moyens. Elle est attachante cette vieille dame, qui remplit un « carnet à projets » avec des profils de voisins pour évaluer les possibilités de « et plus si affinité ». Elle m’a bien amusée.

L’aïeule et sa petite-fille ont toutes les deux besoin de se poser, de prendre du recul, de prendre soin d’elles, de mettre les choses à plat et de voir où tout cela les mènera. Alors une idée leur vient. Pendant ces soixante jours d’arrêt forcé pour l’une, elles vont échanger leur vie, leur logement etc. C’est un moyen comme un autre d’essayer d’y voir clair, de sortir de leur zone de confort, de prendre des risques, de découvrir un environnement totalement à l’opposé de leurs habitudes, en décalage avec ce qu’elles connaissent donc très déstabilisant. La grande ville où tout bouge et va trop vite pour la mamie, la bourgade avec ses « gens d’un âge », parfois un peu lents (parce qu’ils ont le temps ?), qui observent (surveillent ?), qui organisent des animations, etc où Leena va se retrouver à prendre en charge tout ce que faisait Eileen …. L’occasion, pour chacune, d’une remise en question et peut-être de « guérir »…

Ce récit est empli d’émotion, de délicatesse, de tendresse, de douceur, et il ne manque pas d’humour non plus … Quelques fois, on sent venir les choses, mais ça n’a aucune importance. L’essentiel est ailleurs, dans ces vies (et pas seulement celles des deux personnages principaux) qui décident de choisir, de ne plus se laisser manipuler, de vivre « ici et maintenant » chaque instant en conscience. Chacune (car il s’agit surtout de portraits de femmes) des protagonistes chemine à son rythme, vers la résilience si nécessaire, pour être en harmonie, en équilibre avec ses valeurs personnelles.

L’air de rien, sous des dehors « Feel Good », ce recueil aborde des thématiques intéressantes. Les réactions face au deuil, avec le chagrin qui fait fuir, qui coupe le dialogue, qui modifie les relations familiales… la pression au travail, avec le rendement obligatoire… les rapports entre voisins, dans les couples, les choix de vie qu’on subit en fonction du contexte et une fois qu’on est dedans ….

Les chapitres nous présentent, en alternance, les deux femmes avec des lieux, des personnes, des activités, à apprivoiser, à connaître … L’écriture (merci à la traductrice) est délicieuse, l’atmosphère, anglaise, avec les scones, le thé, est bienveillante.  J’ai vraiment beaucoup apprécié cette lecture qui sous une apparence légère, nous pousse à réfléchir sans pour autant tomber dans la prise de tête.


"Fletch" de Gregory Mcdonald (Fletch)

 

Fletch (Fletch)
Auteur : Gregory Mcdonald
Traduit de l’américain par France-Marie Watkins
Éditions : Archipoche (12 mai 2021)
Première parution en 1974 (1977 en France)
ISBN : 978-2377354696
312 pages

Quatrième de couverture

" Je vous offre 50 000 dollars pour m'assassiner. "Proposition peu courante. C'est pourtant celle que vient de faire Alan Stanwyk à Fletch, un jeune drogué qu'il a repéré sur la plage. Ce qu'il n'a pas prévu, en revanche, c'est que, malgré son jean troué et sa maigreur de chat de gouttière, Fletch n'est pas aussi paumé qu'il en a l'air. En fait, il est journaliste. Et comme tout bon journaliste, Fletch est d'un naturel curieux, très curieux...

Mon avis

Écrit en 1974, ce roman a très bien vieilli et sa réédition en format poche est une excellente idée. Irwin Maurice Fletcher, dit Fletch, est journaliste. Un peu borderline au bureau, il se lance dans une enquête sur la drogue qui se vend en bord de mer. Afin d’en apprendre plus, il se fait passer pour un jeune drogué, maigre, les vêtements usés jusqu’à la trame, complètement perdu, le vagabond idéal sans attache. C’est sans doute pour ça qu’un homme l’aborde et lui propose un marché, le prenant pour un vrai SDF. Dans un premier temps, mille dollars pour l’écouter, puis 50000 pour le tuer dans une semaine exactement. Pourquoi cet homme veut-il mourir assassiné ? Il se sait condamner par un cancer, ne souhaite pas souffrir et veut que son épouse touche l’assurance vie (un suicide annulerait le versement de la prime).

Fletch joue le jeu et se dit prêt à accepter la transaction. Sauf que, comme beaucoup de journalistes, il est curieux et qu’il trouve cette démarche très très bizarre. Il va mettre à profit le délai de sept jours avant l’acte délictueux pour mener, le plus discrètement possible, une enquête sur le commanditaire, tout en continuant sa mission d’infiltration pour en savoir plus sur le trafic de substances illicites. C’est ainsi qu’il apprend que le futur mort est Alan Stanwyk, vice-président de Collins Aviation, marié à Joan dont le père est président directeur général de la compagnie. Une affaire familiale (de riches bourgeois) en lien avec les avions …

Le personnage de Fletch est très drôle, même si quelques fois, il dépasse les bornes. Il essaie de se débarrasser de ses deux ex épouses et des avocats qu’elles lui envoient pour non-paiement de la pension alimentaire. Il entretient des relations atypiques avec ses collègues et ses supérieurs. Il semble très insolent, détaché de tout mais sous des dehors « je m’en foutiste » il va au fond des choses. D’accord, ses méthodes ne sont pas très orthodoxes. Il se crée autant de fausses identités que nécessaires pour s’approcher de ceux qu’il veut interroger incognito et les dialogues qu’il établit alors avec ces personnes sont truculents. On a l’impression que cet homme se rit de tout, s’amuse de tout même lorsqu’il réalise que sa vie est en danger. Il fait preuve d’astuce, de fourberie, n’hésitant pas à mentir, tricher, manipuler, louvoyer, retourner sa veste, pour arriver à ses fins. Il n’a aucun scrupule, se fichant complètement des conséquences de ses actes, enfin c’est ce qu’il nous laisse croire. Fantasque ? Irresponsable ? Non, pas tant que ça, il assure ses arrières avec brio et intelligence et il est capable de retourner une situation à son avantage. Sa façon d’agir, parfois en marge, est un pur régal dans ce récit.

Fletch alterne les deux « mondes », celui de la plage où il côtoie des paumés et celui des riches (club de tennis et compagnie) où il fait tout pour comprendre le but d’Alan Stanwyk avec cette demande saugrenue d’être tué. Il est aussi à l’aise d’un côté que de l’autre, négligé ou élégant, rien ne le gêne, il passe partout pour obtenir des informations. Et il faut le dire, les découvertes sont nombreuses et sidérantes (mais ne comptez pas sur moi pour vous dire quoi que ce soit).

L’écriture (merci à la traductrice) est pétillante, emplie d’humour et de dérision. Le contexte de l’époque avec machine à écrire et vieux magnétophone est parfait pour cette double intrigue qui m’a procuré beaucoup de plaisir à la lecture !

 


"Vies dérobées" de Cinzia Leone (Ti rubo la vita)

 

Vies dérobées (Ti rubo la vita)
Auteur : Cinzia Leone
Traduit de l’italien par Marianne Faurobert
Éditions : Liana Levi (12 Mai 2021)
ISBN : 979-1034902934
566 pages

Quatrième de couverture

1936, Jaffa, Palestine. Ibrahim et Abraham, deux marchands de tissu voisins, l'un musulman d'Istanbul et l'autre juif d'Odessa, s'associent pour l'achat d'un précieux lot de coton égyptien. Mais lors d'un massacre, la famille d'Abraham est anéantie. Ibrahim, pour ne pas perdre son investissement et récupérer la part d'Abraham, décide d'usurper son identité. L'imposture aura plus tard des conséquences sur le destin de deux autres femmes.

Mon avis

« La guerre anéantit des êtres mais rien n’arrête les rêves des survivants. »

Peut-on construire sa vie sur une imposture ? Et si oui, quelles peuvent en être les conséquences pour les générations à venir ?

Un roman fort qui nous présente des destins entrelacés, parfois contrariés, avec des thématiques importantes telles l’identité, la tolérance, les valeurs familiales, religieuses. Un récit inoubliable avec des femmes de caractère, qui ne renoncent pas, qui pansent leurs cicatrices et qui avancent toujours et encore entraînant ceux qu’elles aiment dans leur sillon.

De 1936 à 1992, trois destins de femmes que nous suivons dans différentes contrées : Israël, l’Égypte, la Turquie, les Etats-Unis, l’Europe… De Miriam à Esther en passant par Giuditta, chacun des portraits est puissant, réaliste, détaillé… Pour chacune de ces femmes, des hommes ont voulu les façonner, les faire rentrer dans un « moule » qui n’était pas leur choix.

La première Miriam, la bien nommée, est musulmane, elle habite à Jaffa et son mari a fait affaire avec un juif pour des coupons de tissu. Une nuit, la famille juive est assassinée. Partageant la même habitation, Miriam, son mari, Ibrahim, et leur fille se cachent. Arrive alors l’heure de faire un choix qui peut tout bouleverser. Continuer vaille que vaille, ou, pour ne pas perdre d’argent et en s’appuyant sur une certaine ressemblance, prendre la place des personnes tuées. L’époux de Miriam voit ça comme une aubaine afin de mettre les siens à l’abri, il ne pense pas à mal, il a peur, il doit agir vite, dans l’urgence. La fuite avec ou sans la possibilité de recommencer une autre vie ailleurs sous un nouveau nom. Il choisit le changement d’identité et entraîne sa compagne et sa fille dans cette aventure. C’est très dur pour Miriam qui n’approuve pas, qui doit renoncer à sa religion, à sa façon de vivre, qui doit apprendre de nouveaux codes de conduite, accepter des fréquentations différentes et s’inventer un nouveau passé. Est-ce une folie d’agir ainsi ? Ibrahim veut-il simplement la sécurité pour ceux qu’il aime ou pense-t-il surtout aux finances ? Mesure-t-il les dégâts qui peuvent découler de sa décision ?

La deuxième, c’est Giuditta, elle est juive. Nous sommes en Italie, en 1938. Son père a été envoyé en relégation pour raisons politiques et sa mère, malade, va mourir. Accompagné de son frère, la jeune fille fuit avec peu de bagages et quelques noms donnés par son papa, des contacts susceptibles de les aider. Être juif, c’est se cacher, souffrir, appartenir à un « peuple » qui doit être vigilant pour s’en sortir sans trop de dommage.  Giuditta est pleine de fougue, elle ne baisse pas les yeux, elle ne veut pas qu’on lui dicte sa conduite, elle veut garder son libre arbitre, sa liberté de penser mais que ses journées sont difficiles …

Esther, la dernière, fera le lien entre les deux précédentes. 1991, une femme de notre temps, libre, qui s’interroge sur le sens de sa vie, sur ceux qui l’ont précédée, sur ce qu’elle souhaite au plus profond. Un homme lui fait une proposition surprenante qui va probablement chambouler ses habitudes et bien plus encore…   

Pour nous présenter ces trois existences, l’auteur utilise une écriture (merci à la traductrice) précise comme une dentelle, envoûtante, enveloppante, majestueuse. Chaque mot, chaque phrase, est à sa place, pas une longueur, pas de digressions ni fioritures inutiles. On n’est jamais perdu, c’est fluide. Des quotidiens à découvrir, rarement linéaires, quelques fois profondément bouleversés par un événement, un papier, un contrat, une rencontre, un regard…. Un kaléidoscope d’individus, de lieux, d’émotions, de situations. Un fond historique qui offre un contexte intéressant à ces vies contrariées. Et un fil ténu, magnifiquement bien pensé qui relie les trois parties d’une histoire qui traverse le temps et les pays.

Il y a longtemps que je n’avais pas lu un livre aussi poignant (que j’ai quitté à regret) dont les personnages puissants cachent leurs failles pour ne montrer que leur capacité de résistance. Qu’il est long le chemin vers la résilience mais qu’il est beau !

NB : La couverture est magnifique !

 


"Un polar mineur" de Sven Andersen

 

Un polar mineur
Auteur : Sven Andersen
Éditions : Les éditions du bord du Lot (13 Avril 2021)
ISBN : 9782352085836
308 pages

Quatrième de couverture

Dans les années quatre-vingt, à Bruxelles et ses environs. Une jeune femme a été découverte morte dans un entrepôt et sa sœur contacte un privé parce que la police ne semble pas près de trouver l’auteur du meurtre. Saura-t-il percer le mystère du meurtre de la jeune femme ?

Mon avis

Ce récit se déroule en 1986, en Belgique, à Bruxelles et dans les environs. Alexandra, une jeune femme dont la sœur Carole, a été découverte assassinée deux ans auparavant, fait appel à Hans Nollomont, un détective assez atypique, pour reprendre l’enquête et démêler l’affaire qui n’a pas été résolue par les policiers. Il accepte et se lance dans des investigations.

La personnalité du fin limier est bien détaillée, il aime son chat qui partage sa vie, les jolies femmes qui, elles, passent dans sa vie, la boisson, les belles voitures, il est armé (ça peut toujours servir) et manie le vocabulaire et la dérision à la perfection. Pour autant, il n’est pas toujours en réussite. Il lui faut parfois coincer des futurs maris qui se laissent tenter par la bagatelle (et ainsi faire annuler des mariages) ou d’autres petites enquêtes plus futiles pour faire bouillir la marmite ou plus prosaïquement acheter de la pâtée pour matous. Alors, cette mission est l’occasion de montrer de quoi il est capable !

Le voilà donc parti à la découverte de Carole qui était une adolescente comme les autres. Comme les autres vraiment ? Ça reste à prouver. Et ce que va entrevoir notre homme au fil de ses journées est loin d’être anodin. C’est lui qui s’exprime à la première personne et qui partage avec le lecteur non seulement ce qu’il apprend, ce qui lui pose question mais également quelques digressions. Cela m’a étonnée, j’ai pensé que si l’auteur digressait trop, il allait me perdre. Bien au contraire, c’est même un intérêt supplémentaire, d’abord parce qu’on observe comment il se comporte dans sa vie personnelle et ça nous apprend beaucoup sur lui, mais aussi parce qu’il « écorche » gentiment - on reste politiquement correct - certains aspects de la politique, de la maison poulaga qui veut garder le pouvoir, des trafics financiers et des messieurs soi-disant bien sous tous rapport qui sont en vérité de beaux saligauds etc.

Nous sommes dans les années quatre-vingt, pas d’ADN, de téléphone portable, on travaille à l’ancienne, à la manière d’un Nestor Burma, ou d’un Maigret. Hans (qu’il me pardonne cette familiarité) se coule dans les lieux un peu plus obscurs de la capitale belge, boîtes de nuit, bars plus ou moins bien fréquentés, endroits sombres, on découvre une autre face de cette ville. Il fait ce qu’il peut pour être discret, se faire oublier, se montrer presque transparent afin que les uns ou les autres se confient, se lâchent, lui fassent confiance et parlent. D’autres fois, il y va au rentre dedans, au culot. Il sait adapter ses méthodes à ses interlocuteurs. Il n’avance pas forcément très vite, il prend le temps mais pas à pas il connaît mieux la famille, les fréquentations et les amis de la disparue. Et certains faits font apparaître une vie moins lisse qu’on aurait pu l’imaginer.

L’atmosphère et les relations entre les individus sont finement décrites. L’auteur a un très beau glossaire (j’ai appris de nouveaux mots et ça m’a bien plu !) et un phrasé qui flirte avec l’humour et la raillerie par moments. Hans Nollomont ne se prend pas au sérieux mais il enquête avec application.  Un recueil un peu à l’ancienne et un enquêteur qui a sûrement de beaux jours devant lui !


"Sous le règne de Bone" de Russel Banks (Rule of the Bone)

 

Sous le règne de Bone (Rule of the Bone)
Auteur : Russel Banks
Traduit de l’américain par Pierre Furlan
Éditions : Actes Sud (4 Juin 199)
ISBN : 978-2-7427-0858-1
440 pages

Quatrième de couverture

"Mon existence est devenue intéressante, disons, l'été de mes quatorze ans. J'étais à fond dans la fumette et comme j'avais pas d'argent pour m'acheter de l'herbe je me suis mis à fouiner tout le temps dans la maison pour dénicher des trucs à vendre - mais il n'y avait pas grand-chose." C'est alors que Bone, avec sa crête, son nez percé et le tatouage fondateur de son identité - des os en croix - prend la route, et que le roman se déploie au fil de ses aventures et de ses rencontres avec tout ce que l'Amérique puis la Jamaïque comptent de marginaux, d'aventuriers et de sages. Un percutant roman de formation, proche du road movie, et devenu le texte emblématique d'une certaine jeunesse américaine de la fin du XXe siècle.

Quelques mots sur l’auteur

Né en 1940, Russell Banks, sans conteste l'un des écrivains majeurs de sa génération, est président du Parlement international des Ecrivains et membre de la prestigieuse American Academy of Arts and Letters. Son œuvre, traduite dans une vingtaine de langues et publiée en France par Actes Sud, a obtenu de nombreuses distinctions internationales. Il vit dans l'Etat de New York.

Mon avis

« Un tatouage vous fait ce genre de chose : il vous fait penser à votre corps comme à un costume particulier que vous pouvez mettre et enlever chaque fois que vous en avez envie. »

Un adolescent en mal de vivre, Chappie puis Bone, lorsqu’il décidera de changer son nom et de devenir un « autre », est un de ces « ados » sans repère, n’ayant pas « mauvais fond » mais se laissant entraîner à la suite d’erreurs de choix, à se droguer, voler, fuir tout en essayant de vivre sa vie …

Vu comme ça, pas très engageant ce roman, n’est-ce pas ?

Alors, changeons d’angle de prise de vue …

Russel Banks a pour point fort de réussir à la perfection « les rôles de composition ». Il se met dans la peau de son personnage, il en adopte le langage, les pensées, les doutes, les forces et les faiblesses …. Il EST Chappie puis Bone …

Il parvient ainsi à nous faire partager le voyage « initiatique » de ce jeune, un « road-movie » à l’américaine.

Voyage au demeurant intéressant, par la galerie de portraits rencontrés, par ces Etats-Unis (puis Jamaïque) que nous entrevoyons, par les expériences, auxquelles Bone va être confronté et qui entraîneront chez lui des opinions, des tâtonnements … Au fond, Bone, dans son voyage se cherche lui-même, mais il cherche aussi les autres (l’autre qui est ton frère…) pour voir s’il peut les croire, leur faire confiance, les aider, vivre des moments forts avec eux …

Une rencontre lui permettra de s’affirmer, mieux se connaître, mieux aller à la rencontre des autres, lui "apprendra" à dire « je » (même si le livre est dès le départ écrit à la première personne du singulier)….

La seconde partie évoquant la Jamaïque est remarquablement bien documentée et apporte des éléments intéressants.

Le voyage se finira-t-il un jour ? Peut-on savoir qui on est réellement ? Se connaît-on vraiment ?

Russel Bank touche du doigt un des problèmes majeurs de la société : argent, drogue, violence …. Comment grandir et s’épanouir dans un monde qui vous montre de telles choses ? Comment éviter les mauvais choix ?

L’écriture est en lien avec l’âge et la vie de Bone, langage familier (jamais vulgaire), mots écourtés, négations incomplètes. Les dialogues sont en style indirect, ce qui met un peu de lourdeur dans le propos mais donne « un style » tout particulier au récit.

Il est évident que ce roman m’a fait penser à « L’attrape-cœurs » de Stalinger. Il faut absolument le remettre dans son contexte (date, lieu…) pour en saisir la subtilité et l’apprécier.


"Un indien qui dérange" de Thomas King (DreadfulWater)

 

Un indien qui dérange (DreadfulWater)
Auteur : Thomas King
Traduit de l’anglais (Canada) par Lori Saint-Martin et Paul Gagné
Éditions : Liana Levi (6 Mai 2021)
ISBN : 9791034904150
304 pages

Quatrième de couverture

Pas une âme à Chinook ne pourrait s’offrir un appartement au Buffalo Mountain Resort, complexe immobilier de luxe au pied des Rocheuses. Même pas le petit studio avec vue sur le parking et le toit du casino. D’ailleurs, personne dans la réserve n’y songe. Tous savent que seuls les riches citadins blancs en mal de nature ou de jeux d’argent pourront se le permettre. Ce projet apporterait du travail aux Autochtones mais, soucieux de préserver leur culture, les activistes des Aigles rouges s’y opposent. DreadfulWater sait tout cela quand le shérif l’appelle pour prendre les photos d’un mort retrouvé dans un appartement-témoin, mais il refuse d’emblée le coupable tout désigné.

Mon avis

Thumps DreadfulWater est installé à Chinook, une réserve, vers les Rocheuses dans le nord-ouest des Etats-Unis. Il a laissé son poste de policier lorsqu’un drame personnel l’a brisé. Maintenant il est photographe. Il vit avec sa chatte Freeway qui partage vraiment son quotidien et qui a de l’importance à ses yeux. Dans la ville, des travaux sont en cours de finition pour installer un très luxueux complexe immobilier avec Casino etc… La société de consommation ?  Une occasion pour donner du travail aux autochtones ? Peut-être …. Mais est-ce que cela correspond à leurs valeurs, à ce dont ils ont besoin, à ce qu’ils recherchent ? Les Aigles Rouges, un groupe d’indiens, dont Stick, un militant très actif, s’oppose à ce projet controversé. Tout le monde n’est pas d’accord mais la construction va être très bientôt inaugurée et les appartements se vendent plutôt pas mal.

D’ailleurs, comme les logements témoins sont meublés, il faut vérifier qu’il n’y a pas d’ébats entre amoureux, de visiteurs intempestifs, de choses qui traînent et qui feraient désordre. Alors, régulièrement, un ou une commercial ( e )  passe voir que tout est impeccable. Or, ce jour-là, un homme est retrouvé assassiné. Il s’agit du programmateur du système informatique de l’ensemble touristique. Cette mort arrange les activistes et Stick, le plus virulent, est le coupable tout trouvé.

DreadfulWater est appelé sur les lieux pour faire des photos. Il connaît le shérif et le gardien des lieux. En parallèle, la mère de Stick, Claire le contacte. Elle souhaite qu’il retrouve au plus vite son fils (qui manque à l’appel), avant que la police ne l’arrête car elle se doute bien qu’il va être rapidement soupçonné. Claire est cheffe du conseil tribal qui a donné son accord pour les nouveaux bâtiments. Thumps et elle vivent tous les deux une relation en dents de scie parce qu’il n’arrive pas à oublier son passé et qu’ils sont à fleur de peau.

Thumps n’est plus enquêteur mais ça le démange d’observer, de faire des déductions, de passer avant les personnes officiellement chargées des investigations pour voir s’il n’y a pas un petit quelque chose qui pourrait lui permettre de comprendre et de résoudre l’affaire ou de faire avancer les choses l’air de rien. J’ai beaucoup aimé son fonctionnement, ses relations aux autres (notamment avec sa chatte, c’est très amusant). Il a une façon de se couler à droite à gauche, presque en se faisant oublier pour mieux resurgir plus loin, il est un peu roublard mais jamais méchamment.

Cette lecture a été pour moi une belle découverte, j’ai apprécié l’écriture fluide, prenante (merci aux traducteurs) avec une pointe d’humour, le style vif et l’atmosphère qui décrit les faits mais également les émotions des uns et des autres. Les nombreux personnages sont variés, certains ont du bagou, d’autres essaient d’être plus transparents. Les indiens sont partagés entre le fait d’avoir la possibilité de gagner de l’argent avec de nouveaux emplois et l’attachement à ce qu’ils sont profondément. Cette enquête policière permet de se poser une question très importante : quelle est la place des indiens qui vivent encore aux Etats-Unis ? Bien sûr, ce recueil n’apporte pas de réponse mais il nous alerte sur ce sujet à travers un récit plaisant et pas du tout moralisateur.

Il me semble que ce livre est le premier d’une série avec Thumps DreadfulWater. Et bien, tant mieux, j’ai hâte de le retrouver !


"Un flic bien trop honnête" de Franz Bartelt

 

Un flic bien trop honnête
Auteur : Franz Bartelt
Éditions : Seuil (6 Mai 2021)
ISBN : 9782021479348
208 pages

Quatrième de couverture

Dans une petite ville de province, un assassin prolifique terrorise les arrêts de bus et les passages piétons : plus de quarante cadavres sont à déplorer. Quatre ans que l’inspecteur Gamelle, dépressif et fraîchement largué, ainsi que le bourrin, son adjoint cul-de-jatte, pataugent dans la semoule. Quatre ans que les astres refusent de s’aligner pour leur donner une piste. Sacré Saturne ! Bien loin de laisser tomber l’affaire, Gamelle sera amené à se poser les mauvaises questions, à se méfier des bonnes personnes et à suivre les idées saugrenues d'un aveugle particulièrement intrusif…

Mon avis

Des crimes littéraires….

Raymond Queneau n’aurait pas renié Franz Bartelt. Dès le premier chapitre, qui aurait pu être le centième exercice de style* du livre de Queneau, on plonge dans le régal des mots bien nommés, bien placés, bien ciblés, qui glissent sous les yeux, sous la langue (lorsqu’on les prononce à haute voix), apportant le sourire, dégourdissant les zygomatiques, faisant oublier la morosité.

L’inspecteur Wilfried Gamelle (gare au jeu de mots de ses coéquipiers lorsqu’il en ramasse) traque un tueur depuis quatre ans. Quarante-deux assassinats, tous sur le même mode opératoire, une lame bien placée et hop plus personne. Des victimes sans lien apparent, ni le sexe, ni l’âge, ni la condition sociale ne permettent d’établir un semblant de rapprochement. Comment le serial killer choisit-il ceux qu’il fait disparaître ? Gamelle est aidé par un collège cul-de-jatte qui se déplace en chaise à porteurs et il a un supérieur, le commissaire Valentin qui attend et espère des résultats … mais pour l’instant, c’est en vain !

Wilfried est un peu dépressif, son enquête n’avance pas, sa femme l’a laissé (elle le trouvait trop lisse, sans allant, il ne boit pas et elle aime la divine bouteille, il ne fume pas, était-il un peu fade à ses yeux ?…), sa vie est bien terne, il se sent agacé de tout ça. C’est sans doute pour cette raison que lors d’un trajet en bus, où il essaie de comprendre le modus operandi du criminel (qui a l’air de suivre les arrêts du car), il s’énerve contre quelqu’un qui le bouscule. Pourtant, il n’est pas violent mais mal dans sa peau, physiquement, moralement et professionnellement, il s’est laissé déborder par ses émotions et le coup de poing est parti dans le ventre du quidam. Stupéfaction, il s’agit d’un aveugle qui n’a donc pas fait exprès de le pousser et dont il a cassé les lunettes hors de prix. Il va partir à la recherche de cet homme pour le dédommager de la casse et lui présenter ses excuses. Il ne se doute pas à ce moment-là que cette rencontre va, pour plusieurs raisons, modifier son quotidien. Tout le monde sait que les non-voyants voient et sentent des choses qui échappent au commun des mortels. De là, à se faire aider…. Il faut que l’inspecteur avance dans ses investigations et qu’il ait des réponses. Nous suivons son cheminement mais comme lui, nous n’arrivons pas à cerner le criminel.

J’ai lu ce roman d’une traite, un jour de pluie, je le précise car il m’a apporté de la couleur, de la fantaisie, de l’humour de bon goût. Le texte en lui-même est désopilant, empli de comiques de situation racontés avec un phrasé inénarrable, rien qu’en l’évoquant, j’ai encore le sourire aux lèvres. Les humoristes ne me contrediront pas, c’est parfois difficile de faire rire. Il faut le dosage subtil, qui n’est pas de la moquerie lourde, et qui n’épuise pas sans arrêt les mêmes ressorts car ça devient lassant.

J’ai tout aimé dans de récit, le fait que l’auteur « joue » avec les mots dans un style qui est réjouissant, les événements et leur enchaînement bien orchestré, les personnages atypiques mais attachants pour la plupart par leur côté décalé, l’univers imprévu de cette petite ville de province que décrit l’auteur, les relations entre les individus qui se construisent, se tissent de façon parfois surprenante, et l’ensemble qui donne un opus totalement abouti, équilibré, follement décalé, amusant et qui fait du bien !

* Exercices de style de Raymond Queneau, paru en 1947, ce livre singulier raconte 99 fois la même histoire, de 99 façons différentes.


"Faut pas rêver" de Pascale Dietrich

 

Faut pas rêver
Auteur : Pascale Dietrich
Éditions : Liana Levi (6 Mais 2021)
ISBN : 979-1034904051
210 pages

Quatrième de couverture

Rêver d’un crime fait-il du dormeur un suspect ? C’est ce que n’ose imaginer Louise, depuis deux mois, réveillée en sursaut au beau milieu de la nuit par Carlos. Son compagnon parle dans son sommeil, en espagnol et avec véhémence. Il semble revivre encore et toujours la même scène, dont il affirme ne pas se souvenir au matin. Sans cet inquiétant désagrément, Louise serait certaine d’avoir enfin rencontré l’homme idéal : Carlos a quitté l’Andalousie pour exercer le métier de sage-femme à Paris. Que cache sa somniloquie ?

Mon avis

Somniloquie

Somniloquie … je ne connaissais pas ce mot avant de commencer le roman. Bien sûr, je voyais le rapport avec le sommeil mais ça n’allait pas plus loin. Ce trouble, c’est le fait de parler en dormant (de façon plus ou moins intelligible). Cela peut se caractériser par quelques mots ou de longues phrases.

Le genre de chose qui fait rire quand c’est chez les autres et qu’on regarde de l’extérieur mais quand c’est dans son couple, de plus pratiquement toutes les nuits, c’est plutôt la « cata ». D’ailleurs, Louise en a ras le bol. Carlos, son compagnon, l’homme qu’elle aime par-dessus tout, somniloque tous les jours en milieu de nuit. Si seulement, il était calme, se contentant de grommeler quelques mots, ça irait. Mais non, il s’agite, il hurle, il crie en espagnol (sa langue d’origine) et bien sûr le matin, il ne se souvient pas…. Louise ne comprend rien mais vu le ton vindicatif, hargneux, violent employé par son conjoint, elle se pose des questions auxquelles il ne peut pas répondre …..Pourtant, des noms de personnes apparaissent dans ce qu’il dit….

Carlos aurait-il vécu un épisode de cruauté, a-t-il une part bestiale enfouie en lui ? Pourtant, c’est l’homme idéal. Il a suivi une reconversion après son départ de la péninsule ibérique et il a appris le métier de sage-femme. Écologique, défenseur de l’environnement, adepte du développement durable, attentionné, prêt à être Papa, il a tout pour plaire, non ? En général, c’est là qu’on dit « Oui, mais… »

Et effectivement « Oui, mais….. », il y a cette histoire de parlottes chaque nuit qui fatigue, inquiète, interroge Louise. Elle se décide à agir. Comme sa copine parle couramment l’espagnol, elle va utiliser un dictaphone lorsque son cher et tendre parlera et elle chargera sa camarade de traduire pour voir ce que ça donne. Secret de filles, chut !! Lui ne sera au courant de rien.

Elle prend des risques car ce qu’elle peut découvrir va peut-être modifier le regard qu’elle a sur son cher et tendre mais basta, elle veut savoir. De soirée en soirée, elle enregistre, glissant parfois un mot en espagnol pour relancer la diatribe, ne lâchant jamais son dictaphone et elle envoie le résultat à son amie. Les premières traductions lui font un peu hausser les épaules, du style « ouais tout ça pour ça » puis découvrant qu’un même scénario semble se répéter, elle essaie de tendre des perches dans les conversations « de jour » (sans succès) jusqu’à prendre une décision radicale qui l’entraînera bien plus loin que ce qu’elle avait imaginé.

En cette période morose de COVID, une lecture qui détend, sort de l’ordinaire sans tomber dans le loufoque, qu’est-ce que ça fait du bien (en plus, on apprend des choses, vous savez ce que c’est : un INFP ? L’écriture est pétillante de fantaisie, parfois décalée et pleine d’humour, de dérision. Quant au contexte, à lui seul, il vaut le détour. Je dis souvent que lorsqu’on rit, on gagne des minutes de vie, et bien là, ça se mesure en heures pas en minutes (pourtant le nombre de pages n’est pas excessif). L’air de rien, le propos n’est pas si anodin qu’on le pense. Le poids de la famille, des conventions familiales, la place des non-dits, le rôle de parents, la morosité dans les couples, le mensonge, sont, entre autres, des thèmes abordés, certes avec légèreté mais avec beaucoup d’intelligence.

Vous voulez lire une comédie noire et drôle ? (si, si, les deux ensemble, c’est possible) alors foncez !


"Vingt ans l'an quarante" de Michel Wyn

 

Vingt ans l’an quarante
Auteur : Michel Wyn
Éditions : Kyklos
ISBN : 978-2-918406-15-0
276 pages

Quatrième de couverture

Ils ont vingt ans, ils sont étudiants et ils s'aiment.
Mais c'est la guerre, les Allemands occupent Paris.
Alors eux, les étudiants, les amants, veulent combattre. Ils vont s'engager, même s'il faut soutenir la Milice, même s'il faut faire semblant.
Ce sont des audaces qui se paient au prix fort...

Mon avis

On a toujours le choix …

c’est une évidence.
On n'a pas tous les choix
mais on a toujours le choix.
Devant toute épreuve,
on a l'option d'en mourir ou d'y survivre
et devant l'échec, le choix de s'aimer
ou de se détruire.
Devant les imprévus, on possède la liberté
de rire ou de pleurer et dans l'adversité,
le choix de pardonner ou de culpabiliser.
Au milieu de la confusion, on a toujours
la faculté de voir et de croire,
l'alternative de se fermer et d'oublier.
Au coeur de la détresse,
on détient un éventail de paroles et de silences,
le loisir de parler ou de se taire,
Devant une décision,
on a le pouvoir d'agir ou de rester immobile,
et par dessus tout,
le choix de rester ou de partir.

Stéphanie Houle

L’essence profonde de ce roman est là : dans les choix de chacun, de nos amoureux mais aussi de ceux qui les côtoient, leurs parents, leurs familles, leurs amis …

Le décor : la France de 1943 qui souffre, qui combat, qui choisit d’agir en toute discrétion ou pas …

Les personnages : des gens « ordinaires », une fille d’une famille aisée, un « gone », un gaga (stéphanois en langage local) d’une famille de mineurs habitant rue Pointe Cadet (je le souligne car c’est la rue où j’ai vécu étant enfant et je la traverse tous les jours …) ils sont étudiants, découvrent l’amour, la folie, la trahison …

L’ambiance : très « visuelle ». On retrouve le Michel Win réalisateur, même dans son écriture.

Son livre est construit comme un film : un premier tiers où l’on installe le décor, les personnages, la problématique. On reste dans les généralités.

Puis vient le mouvement en accéléré, l’œil (la caméra, l’écriture ici) se rapproche des principaux protagonistes, fouille leur âme, leur ressenti … On les voit souffrir, s’interroger, se positionner, se requestionner (a-t-ton fait le bon choix ?)

Les événements s’enchaînent sans temps mort. Clotilde et Noël n’ont pas le temps de se poser les vraies questions ou ne prennent pas le temps …

Alors s’imposent les choix qu’ils doivent faire au nom de l’amour, au nom de l’amitié (mais où sont ses limites ?), au nom de la patrie, au nom de la vie et de la mort mais aussi tout simplement au nom de la faim et du froid qui tenaillent …

Puis enfin, la conclusion, comme la fin d’un film, plus calme, plus apaisante.

« Il y a la Résistance dans ta tête, celle de l’héroïsme. Mais il y a aussi celle de la vraie vie, celle de tous les dangers. »

L’écriture de Michel Win est faite de phrases courtes au vocabulaire simple, très accessible, parfois très familier. Certains passages auraient peut-être mérités des tournures et un vocabulaire plus recherchés. Il ne juge pas, ne se prononce pas (en bas de la page 244 « Sans la juger. » (même ses personnages ne jugent pas ou peu ….)) Sa façon d’écrire fait que nous avons systématiquement une « image » des lieux puis les faits qui s’y déroulent.

Il est assez bien documenté sur la vie des mineurs (le passage sur les jardins donnés aux mineurs pour les « occuper » page 75 est très explicite) et sur Saint-Etienne.

J’ai apprécié ce roman, cet éclairage « sous un autre angle » de la France en 1943. Une belle découverte que ce nouvel auteur pour moi !