"Un dromadaire dans la forêt" de Mikael Mignet (scénario) & Oz Bayol (dessins)

 

Un dromadaire dans la forêt
Auteurs : Mikael Mignet (scénario) & Oz Bayol (dessins)
Éditions : Jarjille (12 Janvier 2024)
ISBN : 978-2-493649-17-1
150 pages

Quatrième de couverture

Murphy est un citadin avec une bonne situation mais il est un peu basané. Il n’a pas vraiment de chance dans la vie. Après s’être fait plaquer par sa copine, il prend la route pour faire le vide. Alors qu’il traverse une épaisse forêt, c’est un dromadaire qui lui coupe la route et l’envoie dans le décor. Et quand il cherche du secours au milieu de ce nulle part, ce n’est pas de l’aide qu’il trouve mais des emmerdes.

Mon avis

Cet album est la première longue (au niveau du nombre de pages) collaboration entre les deux auteurs.

On fait connaissance avec Murphy, un homme maghrébin que sa compagne vient de quitter. Pour ne pas être submergé par le chagrin, il roule en campagne un moment. Mais un dromadaire surgit devant ses roues et c’est l’accident. L’absurde est rentré dans sa vie.

Son véhicule étant immobilisé, il s’approche d’une maison et voit un jeune garçon poursuivi par son père. Le gamin lui prend la main et l’entraîne avec lui, pas le temps de discuter. Le père va déposer plainte contre cet étranger qui a kidnappé son fils. Premier mensonge ….. Le lecteur va vite comprendre que ce papa est raciste. Ce qu’on nomme « le racisme ordinaire ». Les préjugés, les jugements sans fondement, les généralités stupides sans vérifications, c’est lui et ceux qu’ils entraînent dans ses convictions (les gendarmes qui l’écoutent, le croient, dans un premier temps…)

Et comme ça pourrait se passer dans la vraie vie, il y a ceux qui interprètent sans avoir vu, sans preuve. Par exemple une femme politique qui répète que les problèmes ne peuvent venir que de ceux qui n’ont rien à faire dans notre pays… Ajoutez à cela la violence dans le couple et la famille, les officiels qui cherchent à louvoyer pour éviter les conflits et vous aurez les thèmes très actuels abordés dans ce livre.

Au milieu de tout ça, Murphy est obligé de fuir car personne ne l’écoute et pour ajouter à la folie ambiante, il y a ce chameau. Est-il là pour alléger l’atmosphère, apporter de la fantaisie, dire à ce pourchassé qu’il n’est pas tout seul dans cette aventure d’apparence abracadabrante mais  … pas tant que ça, n’est-ce pas ? Le comportement de quelques-uns n’est pas sans rappeler des scènes et réflexions du quotidien ….

Le synopsis est donc très riche et peut provoquer d’intéressantes discussions, voire débats.

Quant aux dessins, ils appuient le propos. Ils sont simples mais représentatifs et expressifs. Les couleurs à l’eau passées au pinceau sont douces, j’aime beaucoup. La teinte du fond change suivant le lieu, le moment de la journée ou même l’atmosphère. C’est très bien pensé. Certaines planches tiennent une double page et ont encore plus de profondeur, d’impact sur le récit.

Ce roman graphique à la couverture solide est vraiment magnifique tant sur le fond que la forme. Une belle réussite !

 



"La Dame de la Roche" de Geneviève Marot (dessinatrice) & Jean-Michel Frémont (scénariste)

 

Cette nouvelle bande dessinée des éditions Jarjille (qui fêtera son vingtième anniversaire en 2024) a été réalisée dans le cadre d’une « résidence d’auteurs », grâce au soutien de la DRAC (Direction régionale des Affaires culturelles) Ile de France. Cela a permis à Jean-Michel Frémont (scénario) et Geneviève Marot (dessin) de passer du temps au château de la Roche-Guyon, d’être accompagnés dans leurs recherches et leur processus d’écriture. Ils se sont intéressés aux femmes qui ont eu un lien fort avec l’histoire de ce lieu, à savoir Perrette de la Rivière (XVe), la duchesse d’Enville (XVIIIe), une femme du village (1944), et une autre dans le futur !

Pensant au « Piège diabolique » de la série Blake & Mortimer d’Edgar P. Jacobs (publié il y a soixante ans, encore un anniversaire !) qui se déroulait au même endroit, ils se sont amusés à faire voyager Edgar, un artiste, à différentes époques. Il a ainsi rencontré des femmes importantes pour La Roche-Guyon et, sans changer le cours du destin, il les a aidées.

Voilà pour ce que je pourrais appeler « la genèse » de ce recueil. Je trouve important d’expliquer comment et pourquoi il a vu le jour.

Venons-en au contenu. On découvre un homme, Edgar, en 1960, qui discute avec un autre dans un café parisien. Il lui explique avoir « la vision » récurrente d’une femme, il peut même la dessiner ainsi que le donjon où elle apparaît. Le serveur, qui passe par là, semble connaître le lieu et Edgar décide d’y aller. À partir de là, il voyagera dans le temps.

Les planches sont magnifiques ! On dirait un film, les dessins (des peintures je pense) sont superbes. Les couleurs sont parfaitement adaptées, les décors bien représentés et les visages expressifs.


Quand un événement important se profile, la planche tient sur une double page pour donner plus de place aux « effets ». Ces images sont très lisibles, délicates et précises.

En ce qui concerne les bulles et les échanges, le vocabulaire est choisi, ciblé et de qualité. Il y a même des pointes d’humour (et des regards étonnés du personnage principal).

Le récit nous permet de rencontrer « la » dame de la Roche à différentes périodes. Comme Edgar connaît bien l’Histoire (avec un grand H) il peut agir sans faire d’erreurs. Le scénario est bien pensé.

C’est dommage que la quatrième de couverture ne montre pas une ou deux cases car on ne se rend peut-être pas compte de la beauté des illustrations si on ne feuillette pas cette bédé…..

J’ai énormément aimé cette lecture, je suis absolument fan du style, des dessins, de l’ensemble….


"Ibomiran" de Bernard Vitiello, Patrick Coulomb, Jacques Barbéri

 

Ibomiran
Auteurs : Bernard Vitiello, Patrick Coulomb, Jacques Barbéri
Éditions : The Melmac Cat (22 février 2024)
ISBN : 978-2492759130
220 pages

Quatrième de couverture

Je m’appelle Ibomiran. Ibomaran est mon nom. Je suis la déesse de l’Ailleurs. Celle qui règne sur les territoires que vous ne pouvez pas atteindre. Et qui pourtant vous hantent. Je suis Celle qui vous fait voyager dans les temps et dans les espaces.

Mon avis

Une vingtaine de textes pour trois auteurs avec une dominante de ceux de Patrick Coulomb. On est dans le fantastique et la science-fiction, tout en restant avec des être humains et des univers comme le nôtre. Pas de planète bizarre ou d’individus à deux têtes, verts ou d’une autre couleur. Ce qui fait que l’on visualise parfaitement les scènes, même celles qui ne pourraient pas vraiment exister….j’ai envie d’ajouter…pour l’instant …

En lisant ces nouvelles, on s’aperçoit que le fou n’est pas toujours celui qu’on a désigné comme tel et que, même bien prise en mains, une situation peut vite devenir incontrôlable.

Avez-vous déjà imaginé que des personnages imaginaires, voire des figurines, prennent vie sous vos yeux, entrant en interaction avec vous ?  Quelles seraient vos réactions ? Peur, dégoût, empathie, déni, compréhension, admiration ? J’ai bien aimé observer les deux jeunes coincés au musée et leur approche des événements.

Ces textes sont aussi l’occasion de donner pour les auteurs, à travers leurs écrits, leur vision de l’avenir du monde, qu’elle soit réaliste ou pas. Leur imaginaire travaille à plein régime, ils nous entraînent dans leur univers et ce n’est pas difficile d’y rentrer. C’est ce que j’ai apprécié, on reste dans un contexte qui nous « parle », avec juste une pointe de fantaisie, d’irrationnel, de folie et quelques fois un peu d’humour.

En lisant ces histoires, j’ai été déconnectée, dépaysée. J’ai voyagé dans le temps, l’espace, découvrant des mondes insoupçonnés, rêvant à d’autres possibles, me laissant emporter par la créativité débordante des rédacteurs.

L’écriture de chacun est fluide et addictive, le style bien vivant et prenant. Cela se lit sans prise de tête, pas besoin de plans, de listes de ceux qui interviennent pour se repérer.

J’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir ce recueil. Les trois auteurs ont de l’idée, du talent et savent doser « leurs effets » sans trop en faire pour ne pas lasser et maintenir notre intérêt. Un bel équilibre !

"C'est à la fin du bal qu'on paie les musiciens" de collectif d'auteurs

 

C’est à la fin du bal qu’on paie les musiciens
Nouvelles Dora-Suarez n° 10
Auteurs : Collectif
Éditions du Caïman (15 Février 2024)
ISBN : 9782493739179
234 pages

Quatrième de couverture

Pour ce dixième opus de la collection Nouvelles Dora-Suarez, neuf auteurs de polar, des plus aguerris aux plus prometteurs, se sont vu confier la tâche d’écrire un texte sur l’un des grands thèmes de la littérature noire, la vengeance... Chacun son univers... mais le résultat est le même : pas de quartier !

Les auteurs

Neuf auteurs se sont prêtés au jeu. Certains, comme Sandrine Cohen ou Jérémy ont pris la bonne habitude de publier des romans aux éditions du Caïman. D’autres, comme Cendrine Bertani ou Sandrine Durochat nous font le plaisir de nous rejoindre à nouveau pour un recueil collectif. Et nous souhaitons la bienvenue aux nouveaux : Jean-Luc Bizien, Quentin Bruet-Ferreol, Mallock, Ludovic Miserole, Estelle Tharreau...

Mon avis

Écrire des nouvelles est souvent un exercice périlleux. Il faut trouver la bonne longueur et surtout caser dans peu de pages une histoire bien menée avec un début, une fin, et une chute étonnante, marquante. Si en plus, le thème est « imposé » il faut coller à ce qu’on vous demande.

Neuf auteurs ont répondu présents pour ce dixième recueil, cinq hommes, quatre femmes. Certains que je connais et dont je « suis » les écrits à chaque parution, d’autres que je découvre entre ces pages. Ils sont tous d’horizons variés.

Les points communs dans la lecture sont les suivants : toutes les histoires parlent de vengeance, elles se passent dans un monde contemporain ou presque, mettent en scène des humains et sont très bien rédigées ! Les différences ? Chacun son style, son phrasé, son univers, ses personnages.

Ce qui est sûr et certain, c’est que tout se paie, un jour ou l’autre….

J’ai particulièrement apprécié le texte présentant une ministre mante religieuse à l’appétit féroce. Je n’avais rien vu venir ! J’ai été retournée comme une crêpe et complètement surprise (parce que, même en lisant la fin, je n’avais pas tous les éléments).

Dans d’autres petits récits, on sourit en pensant que tel est pris qui croyait prendre… parce qu’un renversement de situation (une panne, un impayé …) remet en cause tous les acquis, toutes les certitudes … 

Des thèmes bien actuels sont évoqués : les réseaux sociaux, les sites de rencontre, le harcèlement, la vie de couple etc… Chaque rédacteur est parti d’une situation, de quelques personnages (pas de choses trop complexes à lire) et la suite s’est mise en place. Tout est bien pensé, bien dosé….

Bien entendu, chacun a sa propre « plume », son choix d’atmosphère, de contexte, mais on ne ressent pas de scission trop grande entre chaque historiette et pour moi, c’est important. La lecture n’est pas hachée et tout s’enchaîne facilement. Les nouvelles sont de longueur inégale, classées par ordre alphabétique (c’est une bonne idée parce qu’après avoir réfléchi sur le sujet de la vengeance, je n’ose imaginer ce qui aurait pu se passer si l’un-e ou l’autre, jaloux et insatisfait de sa position dans le livre, avait utilisé son imagination …débordante d’inventivité…. Brrr……)

C’est un recueil qui détend, qui, malgré quelques passages plus angoissants, ne fait pas (trop) peur et embarque sans temps mort. Les protagonistes ont des idées parfois saugrenues si on les regarde de « haut » mais si on réfléchit bien et qu’on se met dans la « peau » du vengeur (pas forcément masqué, certains ne se cachent pas et avancent à découvert, cachant tellement leur jeu que la victime, confiante, tombe dans le panneau….), on peut les « comprendre »…. Ce qui est intéressant, c’est qu’on part de faits tout à fait « ordinaires », comme on en voit tous les jours et puis ça dérive, soit parce qu’on a des individus qui ont perdu tous sens commun, soit parce que, fous de rage, ils veulent une revanche et sont prêts à tout …. Et une dérive en entraînant une autre…..

Cette lecture a été un moment plaisant, dépaysant, décoiffant quelques fois. Je suis admirative de la créativité de chaque écrivain. Ils ont su se bousculer pour relever un défi pas aussi facile que le laissent penser les apparences. Bravo !


"Kaddish et autres poèmes" d'Allen Ginsberg (Kaddish and Other Poems)

Kaddish et autres poèmes (Kaddish and Other Poems)
1958-1960
Auteur : Allen Ginsberg
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard
Éditions : Globe (8 Février 2024) Nouvelle traduction
ISBN : 978-2267050349
240 pages

Quatrième de couverture

À 30 ans, Allen Ginsberg apprend la mort de sa mère, Naomi, confrontée depuis longtemps à la maladie mentale. Affecté en mission sur un bateau, il ne pourra pas assister à son enterrement. Il lui faudra trois années pour achever le poème qu’il lui a dédié. Second recueil poétique de Ginsberg paru en 1961 en anglais, comportant un long poème narratif et une quinzaine d’autres courts poèmes – nombre d’entre eux ayant été écrits sous influence –, Kaddish est l’une des œuvres marquantes de l’univers sulfureux de la Beat Generation.

Mon avis

Allen Ginsberg (1926-1975) est un poète américain. Il était membre de la Beat Generation, un mouvement littéraire aux Etats-Unis où les artistes se « libèrent », « osent » ce qui a donné lieu à divers scandales. C’était un homme atypique, aimant le jazz et la pop, hindouiste et bouddhiste, moderne, pacifiste et dérangeant dans ces premiers écrits, très crus.

Kaddish (une référence à la prière des morts chez les juifs), c’est un long poème narratif, écrit sous l’influence des amphétamines. Il y pose des réflexions sur le parcours et la mort de sa mère (Naomi). Elle a lutté toute sa vie contre des problèmes mentaux et a essayé divers traitements avant de mourir dans un asile.

Dans ce long texte, les pensées se bousculent, les mots arrivent à flots, racontant le quotidien de cette femme, vu par son fils, ses peurs à l’hôpital, leurs échanges, sa détresse à lui, l’attitude des uns et des autres face aux désordres mentaux de Naomi. Il a sans doute aimé sa génitrice, elle a aimé, à sa façon, son enfant. Avec maladresse, avec tendresse, avec une pointe de folie, des erreurs, mais qui n’en commet pas ? Il partage énormément de choses, très intimes, va-t-il trop loin ? Rédiger Kaddish a été un long chemin. Il en avait sans doute besoin puisqu’il n’était pas là lorsque sa mère est décédée.

Allen laisse les souvenirs venir à lui, ce n’est donc pas structuré, linéaire mais c’est vraiment comme dans notre esprit, une suite de « flashs » qui s’imposent, se mêlent, se superposent, l’un entraînant l’autre. Il les couche sur le papier. Hymne, ode, poésie, les mots voltigent, s’envolent, murmurent ou hurlent … Il parle de la vie de sa maman mais aussi de son ressenti, de ses émotions face à la mort (dont la sienne). La religion est évoquée, les questionnements face au sens de la vie, à ce qu’on veut mettre dans ses activités, ses choix.

Ce sont souvent des phrases de deux lignes avant d’en écrire une nouvelle, aussi longue. Quelques fois, un mot en retrait, certains sont répétés. L’auteur veut-il les imprimer en nous ? Il a écrit un poème fusée comme un message envoyé dans l’au-delà dont il se demande s’il sera compris ici sur terre ou là-bas.

Les autres poésies sont plus courtes, assez personnelles. Il se livre sans concession, il écorche les bien-pensants, les personnes trop lisses, l’Amérique. « Inutile d’écrire quand l’esprit ne guide pas », il a eu parfois recours à de stimulants pour sortir ce qui bouillonnait en lui ….

À la fin du recueil, les mêmes textes en version originale. Et, entre les deux, la vie de Naomi avec quelques photographies en noir et blanc. On y découvre une femme troublante, qui a sans doute chercher à exister dans un monde où il lui était difficile de trouver sa place,  d’être elle-même. La genèse de Kaddish est présente aussi dans cet ouvrage.

La poésie m’a toujours « parlée », elle me bouscule, elle m’émeut, elle me fait rêver, elle me procure de nombreuses émotions. J’aime que l’on joue avec les mots, qu’on les agence pour une mélodie qui me surprendra par différentes tonalités. C’est le cas avec ce recueil. Je ne connaissais pas Allen Ginsberg et je suis heureuse de cette « rencontre ».

 

"Comme un oiseau dans un bocal" de Lou Lubie

 

Comme un oiseau dans un bocal
Portraits de surdoués
Auteur : Lou Lubie (textes, dessins et couleurs)
Éditions : Delcourt (6 Septembre 2023)
ISBN : 978-2413077497
190 pages

Quatrième de couverture

On parle beaucoup des enfants précoces, mais que deviennent-ils une fois adultes ? Birdo, brillant chef de restaurant, discret et solitaire, sait qu'il est surdoué depuis tout petit. Raya, prise dans une vie qu'elle sabote inconsciemment, cherche des réponses dans son diagnostic tout récent de « Haut Potentiel Intellectuel ». En confrontant leurs expériences, ces deux êtres singuliers vont repenser leur rapport à la douance.

Mon avis

Birdo est un homme-oiseau, il est chef de restaurant et sait /sent depuis toujours qu’il a des facilités et qu’il est surdoué. Il s’en accommode car pour lui, ce n’est pas toujours simple à vivre. Il a un cerveau qui bout, voit rapidement ce qu’il faut faire, et c’est d’ailleurs pour ça que les collègues se reposent sur lui et qu’il a fini à ce poste où il prend des décisions.

Lors d'une soirée entre jeunes de son âge, il rencontre Raya, une femme-poisson. Quelques mots échangés et il a compris, sans qu’elle le dise. Elle est également surdouée, ou HPI ou tout ce qu’on veut pour désigner ces personnes qui raisonnent vite et bien. Elle vient de l’apprendre et elle semble plus déstabilisée que rassurée par ce diagnostic. C’est un peu comme si elle ne savait pas quoi faire de sa « différence »…. Elle a changé de travail plusieurs fois sans toutefois être pleinement à l’aise dans ce qu’elle fait.

Alors ces deux-là (un oiseau/un poisson n’ont normalement rien à se dire rien à échanger…) vont se « reconnaître », se parler, s’écouter, se comprendre et s’aider à avancer dans leur vie respective.  À travers leurs discussions, l’auteur va glisser des « définitions », des explications sur le fonctionnement, les ressentis de ces personnes dont on parle de plus en plus et qui ne représentent pourtant que 2,2 % de la population. Testé-e-s ou pas, l’essentiel est d’apprendre à vivre avec.

L’auteur qui « vulgarise » un sujet d’actualité nous rappelle que le QI n’est pas figé, que c’est une photo à un instant précis en fonction des circonstances. Ce n’est pas un chiffre (ou un nombre) mais un outil. Très souvent ces êtres qui ont mille idées à la minute ont une pensée en arborescence, tout va vite, et ils ne ressentent pas le besoin d’expliquer leur raisonnement (ce qui pose problème en classe, « d’où vient ton résultat ? »). Ils se sentent souvent en décalage… Ils ont un cerveau surefficient, c’est une réalité physique, il est plus connecté, plus efficace, plus rapide, c’est comme ça.  

« Surdoué ne veut pas dire « plus intelligent » mais ça veut dire « avoir un meilleur potentiel pour le devenir » ».

Les croquis dans les tons de bleu et jaune, avec seulement des animaux, permettent de se concentrer sur le texte, de ne pas se fixer sur un style d’humains (boutonneux à lunettes ? ;- ))  C’ est bien documenté, les références sont insérées dans les conversation et ne sont pas lourdes à lire. La mise en page est agréable et l’amitié entre Birdo et Raya bien exprimée. Les relations humaines ne sont pas aisées pour eux car il arrive que leur sensibilité, parfois extrême, les gêne.

J’ai trouvé cette lecture intéressante. Elle peut éclairer notre perception face à des connaissances ayant des points communs, voire un comportement, semblables à ceux de ces deux personnages.

Le style est fluide, abordable, le propos n’est pas surfait. Une belle réussite !


"Spirale (Mémoires d’un autre)" d'Eugène Ternovsky

 

Spirale
(Mémoires d’un autre)
Auteur : Eugène Ternovsky
Éditions :   Les sentiers du Livre (30 Mai 2016)
ISBN : 9782754305204
250 pages

Quatrième de couverture

Une vie familiale plus ordonnée, plus paisible que celle de M. Briard, j’en avais rarement rencontrée.
Il avait su prodigieusement éviter les folies et les troubles de ce siècle dément, heureusement disparu. Bien qu’orphelin, son enfance n’avait jamais été assombrie par les dépressions nerveuses ou par la dépréciation de lui-même. Adolescent, il s’était passionné (racontait-il) pour la natation, le rugby, la chevauchée, sans négliger pour autant les études. Jeune homme, il avait passé entre les mailles que tissaient les malheurs et les désastres de la guerre.
Il ignorait le chômage et autres naufrages qui guettaient la jeunesse déboussolée. Père de famille, il pouvait se flatter d’avoir réussi à élever sa progéniture non seulement avec soin et affection, mais aussi conformément aux stricts principes moraux.
Homme mûr, il put échapper aux graves maladies ; à part la grippe saisonnière, il n’en avait contracté aucune. Il approchait le grand âge avec sérénité, dans l’ambiance de quiétude et de prospérité.

Mon avis


Un homme pas si tranquille…..

Ne vous fiez pas à la quatrième de couverture de ce livre !! Elle est trompeuse et ne met pas en valeur le contenu très intéressant de cet opus. En effet, Monsieur Briard a tout de l’homme rangé, posé, à la vie morne, monotone, bien ordonnée…. L’ adage dit :  « Méfiez vous de l’eau qui dort »… Il s’adapte parfaitement à la situation présentée dans ce roman.

Revenons à ce brave retraité qui reçoit, un jour, une visite inopinée qui va remettre en question pas mal de choses. La personne qui vient recherche un livre et Monsieur Briard tenait une librairie… Pourrait-il chercher pour elle dans sa mémoire, lui donner des pistes pour retrouver « Spirale » (un livre mais également un réseau de résistants) ? Tout ça pour réhabiliter son grand-père qui, d’après elle, a été trahi par des traites …
Lorsqu’on a cessé toute activité professionnelle, on n’a pas forcément envie d’être dérangé, bousculé dans un quotidien bien rythmé… Mais « Spirale », c’était le temps de la Résistance et ce recueil, qui doit contenir des informations capitales est introuvable….  

On pourrait s’attendre à deux solutions « basiques » : il a le livre (ou il sait où se le procurer) ou il ne l’a pas. C’est bien plus subtil que ça … Et nous allons découvrir un Monsieur Briard, loin des clichés et de l’image de « papier glacé » qu’il nous offrait…. Que sait-il réellement ? A –t-il des choses à cacher ? Est-il aussi honnête qu’il en (toujours eu)  l’air ? Le lecteur n’est pas au bout de ses surprises…..

Alternant les points de vue, les approches des faits, le style d’écriture (narratif, courrier…)l’auteur, d’une écriture soignée, élégante  et parfois légèrement surannée (mais cela va si bien avec le personnage ….),  nous entraîne à la rencontre d’un  passé surprenant, déroutant….

Cette lecture m’a surprise agréablement, comme quoi, il ne faut pas se fier aux apparences. Ce récit mérite mieux qu’une première approche qui le ferait paraître quelconque et banal.

"Le Clan Snæberg" d'Eva Björg Ægisdóttir

 

Le Clan Snæberg (Þú sérð mig ekk)
Auteur : Eva Björg Ægisdóttir
Traduit de l’islandais par Jean-Christophe Salaün
Éditions : La Martinière (12 janvier 2024)
ISBN : 979-1040116974
429 pages

Quatrième de couverture

Alors que le temps se détériore et que l’alcool coule à flots, l’un des membres de la puissante famille disparaît. La menace d’un rôdeur sème le doute parmi les convives. Mais le vrai danger ne se trouverait-il pas… à l’intérieur de l’hôtel ?

Mon avis

On est en Novembre 2017, toute la famille Snæberg est rassemblée dans un hôtel islandais de luxe qu’ils ont privatisé. Ils sont là pour fêter les cent ans du patriarche fortuné qui est aujourd’hui décédé. C’est l’occasion pour tous de se revoir, de se parler, de s’aimer, de se détester…. Comme on est avec des gens riches, ils ne se refusent rien. Ceux qui ont envie de boire peuvent le faire (pour oublier ?), ceux qui ne veulent pas sortir restent au chaud, d’autres se promènent dans la neige. Le lieu est assez isolé et la tempête n’est pas loin.

Dès les premières pages, on comprend qu’il y a eu un drame puisque la police enquête mais aussitôt on repart en arrière, dans les deux jours précédents. On se retrouve alors face à un roman choral foisonnant (heureusement, j’avais photocopié l’arbre généalogique que l’auteur a établi et il m’a été très utile au début). Employés de l’hôtel ou membres de la famille prennent la parole tour à tour. Ils décrivent le quotidien du week-end, parlent d’eux et des autres. Au début, j’ai eu peur de trouver le temps long avec l’installation de tous ces personnages mais rapidement j’ai eu envie de comprendre les liens, de savoir qui disait la vérité, qui mentait car je sentais bien que certains n’étaient pas clairs.

J’ai beaucoup aimé cette construction, surprenante au départ, mais originale et intéressante. Petit à petit des éléments sont dévoilés, les choses s’éclaircissent.

J’ai trouvé l’écriture claire et plaisante, je pense que le traducteur a fait un excellent travail ! J’ai également beaucoup aimé l’ambiance, on se croirait dans un immense jeu où chacun essaie d’obtenir ce qu’il souhaite : des actes, des informations ou autres…

L’atmosphère s’alourdit au fil des pages car chacun commence à se montrer tel qu’il est. Et pour quelques-uns, ce n’est pas vraiment beau à voir. Bien sûr, les secrets, les non-dits vont apparaitre graduellement et j’ai été de plus en plus accrochée par l’histoire.

Un bon thriller psychologique !

"19, River Street" de Laure Rollier

 

19, River Street
Auteur : Laure Rollier
Éditions : Récamier (8 Février 2024)
ISBN : 9782385770914
274 pages

Quatrième de couverture

« Je sais ce qu’il s’est passé sur La Dernière danse. Josephine est en vie. Demain, 22 heures. Venez seule. » Ces simples mots, notés sur un bout de papier, confirment ce que Maddie a toujours su : sa fille est vivante, quelque part. Ce mot laissé devant chez elle représente alors un ultime espoir. Prête à tout pour retrouver son enfant, Maddie sollicite l'aide de Gabriel, un jeune écrivain en quête de tranquillité, à qui elle vient de louer l’étage de sa maison.

Mon avis

Un écrivain à succès, Gabriel, doit rédiger son prochain roman. Il décide de s’installer chez une psychologue, Maddie car elle loue le premier étage de sa maison. On découvre rapidement que c’est une femme traumatisée par la disparition de sa fille une dizaine d’années auparavant alors qu’elle était avec son mari (dont elle est séparée depuis) et leur second enfant : un garçon, Marcus, qu’elle ne rencontre pas souvent.

Le corps de la fillette n’ayant jamais été retrouvée, sa mère continue d’espérer en se disant que peut-être…
Un jour, elle trouve sur le pare-brise de sa voiture un message lui donnant rendez-vous et précisant que Josephine est en vie. N’importe quelle mère réagirait comme elle. Quand il y a un mince, même minuscule espoir, on s’accroche.
Donner suite ou pas à cette proposition de rencontre ? Prendre le risque de souffrir une nouvelle fois, d’être déçue ? Passer à côté, peut-être, d’une excellente nouvelle ? Se rendre sur place seule ou accompagnée et si c’est le cas, avec qui ? Son ex époux ? Son fils ? Y-a-t-il des bons et des mauvais choix ?

Dans ce très bon thriller psychologique, Laure Rollier a su me surprendre. Chaque personnage a sa part d’ombre, de secrets inavoués. Ils essaient souvent d’agir dans un but très précis, pas forcément de manipuler mais de maîtriser les événements sauf que ce n’est jamais comme ça. Tout le monde le sait, certains faits nous échappent, le hasard, le destin ou un grain de sable interviennent et rien n’est comme prévu.

C’est un roman choral où s’expriment principalement Maddie et Gabriel, puis Marcus. Parfois, leurs points de vue sur une même situation sont présentés. Mais le plus souvent, on suit leur quotidien, leurs échanges entre eux ou avec d’autres. On apprend à les connaître. Au fil des pages, on aperçoit leur passé. On observe leurs réactions en cherchant à les comprendre. Gabriel est intéressant dans son trouble face à la page blanche, obligé d’être aussi bon écrivain que pour son premier titre. Pourquoi a-t-il choisi de s’installer chez Maddie ? Y-a-t-il une raison précise ou pas ? Qu’est-ce qui bloque son écriture ? A-t-il des problèmes ou est-il simplement en manque d’inspiration ?

Au fur et à mesure, des informations supplémentaires sont apportées, nous offrant plusieurs pistes. On fait des hypothèses et puis un autre élément nous fait douter et on revoit nos déductions. Ce qui est sûr et certain que jamais je n’avais imaginé ce qu’il en était réellement. Chapeau bas à Laure Rollier, elle a fait très fort ! On ne voit rien venir, elle nous retourne comme une crêpe et hop, on reste figé, la bouche ouverte, totalement scotché par son imagination !

Les chapitres courts, l’écriture fluide, le style vif, les dialogues ciblés et le rythme rapide font de ce récit  un texte addictif, prenant, enthousiasmant par l’approche psychologique réfléchie et parfaitement dosée.

J’ai été rapidement embarquée dans cette histoire, je voulais avoir les tenants et les aboutissants, cerner ce que certains taisaient et pour quelles raisons et j’ai tourné les pages jusqu’à un final étourdissant de maîtrise !


"La librairie ambulante" de Christopher Morley (Parnassus on Wheels)

 

La librairie ambulante (Parnassus on Wheels)
Auteur : Christopher Morley
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Oscar Lalo
Éditions : Récamier (8 Février 2024)
ISBN : 9782385770372
196 pages

Quatrième de couverture

Roger Mifflin, vendeur charismatique, sage et farceur, traverse la Nouvelle-Angleterre à bord de sa célèbre librairie ambulante, chariot de fortune renfermant un immense trésor : des livres de toutes sortes, allant de Shakespeare au livre de cuisine. Un jour pourtant, il décide de vendre sa librairie ambulante à une certaine Helen McGill qui, du haut de ses trente-neuf ans, est plus que lasse de s'occuper de son frère Andrew et de leur ferme.

Mon avis

Ce petit livre est paru en 1917. À part la lettre introductive écrite par l’auteur, il est rédigé à la première personne et c’est une femme qui s’exprime. Elle s’appelle Helen, économise pour essayer de s’acheter une voiture. Elle vend les œufs de ses poules, ses confitures et elle s’occupe du quotidien de son frère et d’elle-même dans la ferme qu’ils habitent en Nouvelle-Angleterre. Elle a trente-neuf ans et une vie assez morne : cuisine, ménage, couture, rangements …. Son frangin, Andrew, ancien homme d’affaires, a maintenant réussi et a un peu prix la grosse tête. Il se montre un tantinet méprisant avec elle.

Un jour, une espèce de roulotte s’arrête devant leur demeure. Elle est seule et discute avec l’homme qui la conduit. Le véhicule est aménagé en « librairie ambulante ». Le propriétaire sillonne les routes avec son cheval, son chien et ses livres qu’il vend au gré de ses rencontres.  Il voudrait se poser pour écrire, raconter les anecdotes qu’il a vécues. Il a pour projet de faire affaire avec Andrew en espérant qu’il fasse l’acquisition du convoi. Helen, elle, a une envie de rébellion, elle a ras le bol de servir de bonne.

Un coup de folie, une envie de fantaisie ? Voilà que la transaction est signée. L’un vend, l’autre achète et les deux filent sur la route. Lui pour lui faire découvrir le métier, l’autre pour l’apprendre. Une lettre est déposée sur la table pour qu’Andrew soit informé. Le lecteur va suivre les premiers pas de la future libraire mais rien ne sera vraiment facile pour elle.

Ce roman est un petit bijou au charme suranné (déjà la couverture donnait le ton), à l’atmosphère exquise. Un récit avec de l’humour, de la sagesse, une pépite littéraire bien traduite (merci à Oscar Lalo) au phrasé pas si désuet qu’on pourrait le penser vu la première date de parution.

J’ai trouvé l’écriture très poétique et très évocatrice. Quand Helen parle du vendeur, c’est délicieux à lire.

« Déconcertée, j’observais ce petit coquin un tantinet ratatiné. Je découvrais une nouvelle facette de cet aimable idéaliste. Il y avait en lui, à côté de son doux amour des livres, un grain de diablerie intrépide. »

C’est une femme attachante qui va se découvrir en cheminant. On la voit évoluer, prendre de l’assurance, s’émanciper. Et à cette époque, ce genre de comportement, c’est une vraie révolution ! On verra comment certains s’y prennent pour entraver ses velléités d’indépendance.

Le texte est parsemé de références littéraires, elles sont très bien introduites. Les arguments pour conseiller les futurs acheteurs sont fins, drôles, raffinés.

« Un homme qui a quelques bons livres chez lui rend sa femme heureuse, donne à ses enfants un bon départ dans la vie et est susceptible d’être lui-même un meilleur citoyen. »

Cette lecture a été une parenthèse enchantée, une bulle de délicatesse. Les scènes et les relations entre les uns et les autres sont décrites avec une plume teintée de pureté. Je ne sais pas vraiment comment définir ce ressenti. C’est une histoire simple mais très belle, qui n’a pas besoin finalement d’être « décortiquée », analysée, il faut la lire tout simplement et se laisser porter par l’émotion qu’elle procure…..


"Zerbinette et les oiseaux" de Marie-Noëlle Combes & Mathilda Hirtz

 

Zerbinette et les oiseaux
Auteurs : Marie-Noëlle Combes & Mathilda Hirtz
Histoire lue par Julien Arruti
Éditions : Chérubins éditions (26 Octobre 2023)
ISBN : 979-1096726868
42 pages

Quatrième de couverture

Pars à l’aventure avec Zerbinette, une adorable petite chatte siamoise qui a une particularité originale : Elle adore les oiseaux, mais pas dans son assiette.

Mon avis

Chérubins éditions est une petite maison indépendante avec une cinquantaine de titres. Elle a été créée en 2016. Parmi d’autres objectifs, celui de mettre la lecture à la portée de tous quels que soient l’âge et les difficultés face à l’écrit. C’est pour cela qu’il y a des livres en deux langues, ou adaptés pour les enfants souffrant de troubles dys, ou même enregistrés pour ceux qui préfèrent écouter, voire re écouter après avoir découvert un album.

Zerbinette et les oiseaux a de très belles illustrations, expressives, pas trop surchargées et avec de belles couleurs. Je pense que dès quatre ans, les enfants peuvent découvrir ce petit récit où une chatte siamoise adore les oiseaux et ne les mange pas !

L’image la plus parlante est celle de Zerbinette entourée d’oiseaux où chacun semble détendu, heureux d’être ensemble. Elle peut donner lieu à de belles discussions sur la tolérance, le partage, l’écoute.

C’est l’occasion de parler de nature avec les plus petits, de respect, d’animaux. Cet ouvrage est très complet puisque sont inclus une version racontée sur fond de musique classique et un tutoriel pour fabriquer Zerbinette (comme ça le jeune enfant pourra devenir conteur à son tour).

Une belle découverte et un une excellente idée de cadeau !


"L'Appel de la terre sauvage" de Di Morrissey (Kimberley Sun)

 

L'Appel de la terre sauvage (Kimberley Sun)
Auteur : Di Morrissey
Traduit de l’australien par Penny Lewis
Éditions : Archipel (8 Février 2024)
ISBN : 978-2809848090
468 pages

Quatrième de couverture

Arrière-petite-fille d'un pêcheur de perles, Lily Barton retourne chaque année à Broome, au nord-ouest de l'Australie, pour renouer avec ses racines. Quand elle parvient à convaincre sa fille Sami, 30 ans, de l'accompagner dans son pèlerinage, Lily se promet de lui dévoiler un secret lié à leurs origines. Mais la disparition d'un touriste allemand et des rencontres inattendues chamboulent leurs plans. Ce voyage permettra-t-il malgré tout aux deux femmes d'aplanir leurs différends ?

Mon avis

C’est le premier livre que je lis de cette grande dame australienne. Il fait suite à un autre mais cela ne m’a pas dérangée. Quelques rappels discrets m’ont donné les informations nécessaires à la compréhension.

Il m’a fallu une cinquantaine de pages pour bien rentrer dans le contexte et l’histoire. Et puis c’était parti pour une grande aventure dans des paysages superbes (qui donnent envie de se rendre sur place un jour).

Après avoir découvert l’histoire de ses origines, Lily Barton se rend chaque année dans la ville de Broome, au bord de l’Océan Indien. C’est là que son arrière-grand-père était pêcheur de perles. Elle a maintenant cinquante-trois ans, elle est seule car sa fille Sami, est assez indépendante. Lily rêve d’un projet, d’un nouveau challenge. Va-t-elle le trouver dans ce coin de terre un peu isolé où elle a noué des liens forts avec certains habitants ?

Sami a une trentaine d’années et prépare une thèse, elle doit procéder à quelques investigations pour alimenter son mémoire. Elle n’aime pas trop se rendre à Broome car elle a été bouleversée par les révélations maternelles et n’a sans doute pas digéré tout ce qu’elle a appris. Pourtant, elle ne sera pas loin de sa maman pour ses recherches. Peut-être l’occasion de renouer des liens qui se distendent parfois ?

On suit donc ces deux femmes dans leur quotidien, passant de l’une à l’autre au fil des chapitres sauf lorsqu’elles se rencontrent. Sami n’est pas une fille facile, elle a un caractère impulsif, avec une pointe de jalousie. Elle surveille les relations de Lily car elle a peur qu’elle s’emballe. Lily est attachante, volontaire, elle donne beaucoup de sa personne, elle veut le meilleur pour ceux qui l’entourent.

En dehors de ses deux personnages, il y en a beaucoup d’autres et j’ai eu peur de me perdre entre les prénoms, les diminutifs qui se ressemblent quelques fois mais non. En fonction des lieux et des événements, on sait bien de qui il s’agit. Des aborigènes, des habitants de la ville, des artistes, des gens louches, des touristes ….. Toute une galerie de portraits qui nous emmènent dans un récit où se côtoient réalité, contes, légendes, traditions dans une atmosphère à la fois romantique et inquiétante. On oscille entre amour et enquête et c’est très prenant.

J’ai ressenti quelques longueurs ou digressions qui ne me semblaient pas indispensables mais les rebondissements étaient là pour maintenir un assez bon rythme. L’auteur aborde de nombreux thèmes, les liens familiaux, la passion pour un métier, l’art et les dérives ou les vols, l’appât du gain, la force des origines etc. C’est une grande conteuse, elle sait doser ses effets, glisser un nouvel élément pour faire rebondir le texte et nous inciter à poursuivre la lecture. J’ai été intéressée par les pêcheurs de perles et les détails historiques ou scientifiques glissés dans le livre. Je ne sais pas si les légendes évoquées font réellement partie du patrimoine du pays mais elles sont belles ! L’écriture est fluide (merci à la traductrice) et le style vivant.

C’est une lecture plaisante, dépaysante, portée par des protagonistes variés avec des états d’esprit bien diversifiés

NB : La photo de couverture est magnifique !


"À la gorge" de Max Monnehay

À la gorge
Auteur : Max Monnehay
Éditions : Seuil (9 Février 2024)
ISBN : 978-2021541823
370 pages

Quatrième de couverture

Dans quelques jours, ça fera dix ans qu’Émilien « Milou » Milkovitch a été condamné pour avoir étranglé un jeune couple. Après lui avoir rendu visite, Victor Caranne, psychologue carcéral à la prison de l’île de Ré, se met à douter sérieusement de sa culpabilité. Mais s’il veut l’aider, il va falloir faire vite : le détenu affirme qu’il se suicidera dans une semaine, le jour anniversaire de son incarcération.

Mon avis

C’est le deuxième livre de Max Monnehay que je lis. Cela confirme qu’elle peut jouer dans la cour des grands.

On retrouve les mêmes lieux, La Rochelle, l’île de Ré et les environs. Comme je connais, je visualise ce qu’elle décrit : immeubles, square, statues….c’est très agréable. Victor, psychologue carcéral et Anaïs, jeune fliquette sont présents. Ils sont potes et collaborent sans rien d’officiel. Ce sont des personnages récurrents et au fil des romans, on en sait un peu plus sur eux mais on peut lire chaque titre indépendamment.

Lui, il promène une culpabilité qui le ronge et dont on apprend des bribes. Elle, elle est impulsive, elle a un sens aigu de la justice et se donne pour mission de coincer tous ceux qui font souffrir les autres.  Il lui arrive de se mettre en danger car elle agit dans l’urgence et les collègues ne sont pas forcément assez réactifs à son goût.

Au moment où débute cette nouvelle aventure, Victor a été appelé pour rencontrer Émilien Milkovitch, dit Milou, incarcéré à Saint Martin en Ré. Il a été condamné pour le meurtre de deux jeunes gens. Ce jour-là, il déclare au psy qu’il va mourir bientôt et qu’il n’est pas coupable. Intuition, idée folle ? Il ne sait pas pourquoi mais Victor sent qu’il peut le croire. Il décide alors de solliciter Anaïs et de creuser un peu cette enquête vieille d’une dizaine d’années. Ni l’un, ni l’autre n’imagine(nt) sur quels chemins noirs, tortueux et dangereux ils vont s’engager.

Je disais en préambule que l’auteur confirmait son talent et je le répète. Non seulement son écriture est parfaitement aboutie, mais son intrigue est travaillée. Sans être complexe et compliquée, il y a suffisamment de ramifications, de fausses pistes avec ou sans indices pour que le lecteur se questionne. Si j’avais deviné une toute petite chose, ça ne m’a pas servi pour imaginer qui pouvait être coupable et pourquoi. Et là, Max a fait très très fort ! Elle est capable de relancer le suspense régulièrement avec une information nouvelle que vous n’aviez pas imaginée et que vous prenez en pleine face. C’est presque déstabilisant car tout ce qui semblait évident se trouve remis en question et vous ne savez plus que croire.

Je crois que si j’avais noté au fur et à mesure toutes mes hypothèses, j’aurais bien ri en voyant le résultat. Certains auteurs manipulent celui ou celle qui lit par une phrase, une interprétation, un dialogue, un faisceau de faits exposés d’une certaine façon qui transforment la vérité. Avec Max Monnehay, c’est plus subtil, plus « raffiné » dans l’intention. Elle énonce le déroulé des événements, avec leur lot de rebondissements mais elle comme chaque individu a une part d’ombre, de secrets plus ou moins avouables, on ne sait pas tout. Et c’est en découvrant ces éléments que le texte prend toute sa profondeur. Je suis bluffée !

Le style et le phrasé n’ont pas de fausse note. Des dialogues qui sonnent justes, une approche psychologique des protagonistes bien pensée, des situations bien visuelles (brrr parfois….), des chapitres assez courts (avec la date et l’heure) qui suivent les différentes personnes dans leur quotidien. Je pense que cela pourrait faire un excellent téléfilm !

Un récit comme je les aime, prenant, sans temps mort et bien dosé !

 

"Los Muertos" d'Éric Calatraba

 

Los Muertos
Auteur : Éric Calatraba
Éditions :  La Trace (15 Février 2024)
ISBN : 979-1097515850
132 pages

Quatrième de couverture

Christian Herrera, détective privé, accepte une dernière mission : partir à la recherche de Luisa, une jeune fille disparue sept ans auparavant. L’enquête entraîne le détective en Espagne qu’il parcourt du nord au sud au volant de sa vieille Mercedes. Le road trip lui rappelle l’histoire de sa propre famille qui a fui la guerre d’Espagne et la dictature. Par petites touches, Herrera nous livre les évènements qui ont fait de lui un homme seul. Persuadé que Luisa est en vie, il décide de se laisser guider… Retrouvera-t-il la jeune femme ?

Mon avis

Ça commence par une magnifique couverture. Une route à l’infini, des couleurs douces et tourmentées à la fois.
Ça continue avec un poème de Federico Lorca, Âme absente.
Le ton est donné, la lecture sera imprégnée d’une douce mélancolie mais aussi des inquiétudes et des côtés obscurs de chaque personnage.

Christian Herrera est détective privé. Il a décidé d’arrêter et de transmettre ses dossiers à un collègue. Non pas qu’il soit aigri, usé, fatigué, sans envie, sans vitalité … C’est tout simplement que le moment est venu pour lui de passer à autre chose. Il a l’air fort, mais on sent bien qu’il cache des fêlures, de celles dont il est difficile de se remettre, même si devant les autres, on reste droit.

Malgré tout, il accepte, un peu sur un coup de tête, une dernière mission. Est-ce que cette grand-mère, persuadée que sa petite fille, Luisa, n’est pas morte, alors qu’elle a disparu il y a sept ans, l’a ému ? Veut-il relever un dernier défi ? Il a dit oui pour cette mission sans se douter de la route qui va s’ouvrir à lui.

Après avoir interrogé l’ancien petit ami qu’elle devait épouser, ses copines et d’autres personnes, il se décide à suivre le fil qui s’offre à lui. Ses investigations, et surtout son instinct, l’emmènent dans des lieux atypiques où il rencontre des personnes qui ont côtoyé ou pas Luisa. Petit à petit, il se rapproche d’elle, de son parcours, sans toutefois savoir si elle est vivante ou morte. Il apprend à la connaître dans une Espagne encore marquée par l’Histoire. Comme ses propres ancêtres ont fui ce pays suite à la guerre, il revisite son passé et voyage à travers le temps et l’espace.

L’histoire personnelle de cet enquêteur s’imbrique dans celle de la disparue. Les souvenirs affluent, il les partage, on passe du passé au présent, on comprend sa vie, ses réactions et plus on le connaît, plus on s’attache à lui, le blessé de la vie qui a le droit de sourire à nouveau. C’est par petites touches qu’il se confie, c’est à petits pas qu’il avance. Il doit se montrer prudent s’il ne veut pas que le peu d’indices récoltés lui file entre les doigts sans pouvoir les utiliser.

C’est un roman comme je les aime, empli de pudeur contenue, avec une atmosphère délicate et des protagonistes aux caractères intéressants. Ils ont dû faire des choix, parfois contre leurs désirs mais peut-on tout le temps faire ce qu’on veut ?

L’écriture de l’auteur est aboutie, poétique, racée. Son style plaisant avec des phrases porteuses de sens et des mots bien choisis. Son récit nous entraîne au plus près des individus, de leur quotidien, de leurs pensées, de leurs émotions. On est au cœur des événements, on ressent chaque espoir, chaque déception, chaque petit bonheur…

J’avais lu « Munera » d’Éric Calatraba, un texte noir puissant, terrible. Découvrir un recueil totalement différent me plaît énormément. Il a plusieurs couleurs d’encre pour son stylo et je pense qu’il n’a pas fini de m’étonner …  


"Ne descends pas" de Thomas Martinetti

 

Ne descends pas
Auteur : Thomas Martinetti
Éditions : Kobo Originals (31 Janvier 2024)
ISBN : 9781774539125
250 pages

Quatrième de couverture

Un vieux chalet savoyard au bord d’un torrent de montagne, ce pourrait être le cadre idéal pour élever ses enfants. Surtout lorsque c’est une maison de famille. Sauf que depuis leur emménagement, Aude ne s’y est jamais sentie chez elle. Non seulement chaque recoin est chargé de souvenirs de sa belle-famille, mais pour couronner le tout, les travaux de rénovation de la cave s’éternisent. Pourtant, après une nuit tragique, cet immense chantier poussiéreux va l’obséder.

Mon avis

Aude vit près d’Annecy, à Thônes, dans un chalet qui a appartenu à la famille de son mari. Elle y installée avec lui et leurs deux filles. Elle encadre des séances de natation à la piscine municipale. Son époux, ancien militaire, travaille pour une entreprise et il est souvent en déplacement. Le chalet voisin est occupé par Séverine, sa meilleure amie, toujours disponible et à l’écoute. Elle est en couple avec Bastien et ils ont un fils. Parents et enfants s’entendent bien.

Pourtant, Aude n’est pas complètement épanouie. Elle ne sent pas chez elle dans cette demeure familiale où ses beaux parents s’invitent facilement et où un oncle, probablement jaloux de ne pas l’avoir eue, tourne autour d’eux en les surveillant. C’est certain, il n’est pas clair.

Ce mal-être empoisonne le quotidien d’Aude. De plus, elle entend des bruits venant de la cave humide où elle refuse de mettre les pieds tant le lieu est sinistre. Son compagnon essaie de relativiser, de la rassurer mais rien n’y fait. En outre, une météo pluvieuse et le torrent proche de chez eux qui menace de déborder ne la tranquillisent en rien.

Un jour, c’est l’inondation et le drame. Aude s’enfonce dans une profonde dépression. Séverine est là, fidèle au poste. Mais est-ce que ce sera suffisant ? Peut-elle reprendre le dessus ? Et à quel prix ?

Thomas Martinetti sait parfaitement planter une atmosphère et faire monter l’angoisse au fil des pages. C’est une fois de plus ce qu’il fait avec brio. Son écriture addictive, son style plaisant et les rebondissements insérés à bon escient maintiennent l’intérêt du lecteur. J’apprécie également qu’il creuse le profil psychologique et les ressentis des personnages. Même si, dans ce livre, j’ai trouvé qu’il aurait pu plus détailler les réactions, les comportements, mais j’ai pensé que ç’aurait été au détriment du rythme. Et c’était important qu’il n’y ait pas de temps mort, ni trop de digressions.

Il aborde de nombreux sujets, le stress post traumatique, les relations de couple, de famille, le deuil, la jalousie etc… Il y a matière à réflexion. Plusieurs fois, j’ai pensé à des situations que je connais et à la façon dont chacun peut appréhender un même fait. Parfois, j’aurais voulu aider Aude, la secouer, la prendre par la main pour qu’elle aille de l’avant.

C’est intéressant de voir que les individus ne sont pas tout le temps ceux qu’on imagine. C’est une des grandes forces de l’auteur, on lui fait confiance pour ses protagonistes gentils ou au contraire plutôt antipathiques et on s’aperçoit que les gens cachent bien leur jeu et que certains ne sont pas aussi lisses qu’ils le paraissent.

Une lecture agréable !


"Foucault à Varsovie" de Remigiusz Ryziński (Foucault w Warszawie)

 

Foucault à Varsovie (Foucault w Warszawie)
Auteur : Remigiusz Ryziński
Traduit du polonais par Margot Carlier
Éditions Globe (1er Février 2024)
ISBN : 978-2383612452
338 pages

Quatrième de couverture

En 1958, Michel Foucault arrive en Pologne. Il vient d’être nommé directeur du Centre de civilisation française de l’université de Varsovie et doit terminer sa thèse que le public découvrira plus tard sous le titre d’Histoire de la folie à l’âge classique. Son séjour est pourtant écourté : l’année suivante, il est contraint de quitter brusquement le pays pour éviter un scandale diplomatique lié à son homosexualité. En fouillant les archives et en recueillant les récits des témoins de l’époque, Remigiusz Ryziński tire le fil de cette opération de décrédibilisation et rejoue une période effacée de la vie de Michel Foucault

Mon avis

En s’appuyant sur le séjour d’un an de Michel Foucault à Varsovie, l’auteur aborde la question de l’homosexualité en Pologne. En effet, en 1958, Foucault a été nommé directeur du Centre de civilisation française de l’université de Varsovie. Il y terminera sa thèse intitulée « Histoire de la folie » dont quelques citations sont mises en exergue dans ce livre. Il ne restera qu’un an car on lui demandera de quitter le pays. La raison officielle étant « une conduite immorale ».

Foucault était homosexuel et « dérangeait ». Pourtant, d’autres hommes, dont Cocteau, l’était également et ne posait pas problème. Alors pourquoi lui, contrairement aux autres, était un souci ?

Mais revenons à ce séjour polonais. Lorsqu’il a voulu écrire ce livre, Remigiusz Ryziński a fait des recherches et il s’est heurté à un mur. Comme si Foucault n’était jamais venu, aucune trace, pas de photos, rien dans les archives. Avait-on voulu l’effacer, le faire disparaître ? Pourtant il savait qu’il y avait des documents. Alors, il a rusé (je laisse les futurs lecteurs découvrir comment) et a eu accès à quelques écrits parlant de cette année.

Des dossiers (des années 60) sont apparus, une période où les homosexuels étaient fichés, suivis à la trace. À partir de ce moment-là, ils ont « existé » et …. certains ne souhaitaient pas leur présence.

« Exactement, comme dans la théorie de Foucault : seule la chose décrite existe pleinement. »

Foucault était un homme bon, agréable, à l’écoute des autres. Facile à vivre et plaisant, essayant de ne pas faire parler de lui. D’ailleurs, peu de ceux qui l’ont connu, témoignent de ce qu’ils ont vécu ensemble ou de son passage. Foucault sert de fil conducteur à ce livre mais bien d’autres sujets sont abordés. C’est tout le cheminement pour faire accepter l’homosexualité qui est présenté. Obligés de se cacher dans des toilettes, se sachant surveillés, suivis à la trace, les gays (on ne parle que du côté hommes dans ce recueil) se faisaient oublier pour se noyer au milieu des autres. Mais quelle route difficile ! Vers 1980 (soit vingt ans après Foucault), l’opération Jacinthe (Hyacinthe) a été menée pour créer une base de données sur les « homos ». Quelle horreur ! Comment de tels écrits peuvent-ils exister ? Bien sûr, on ne les retrouve pas…. Bizarre non ?

J’ai trouvé ce livre très intéressant et édifiant, voire fascinant. L’écriture (merci à la traductrice) est précise, prenante. Chaque fait est bien situé dans l’époque, le contexte. On relie les différents événements pour avoir une approche sociétale du quotidien de l’époque. Avec le peu qu’il a obtenu comme renseignements, l’auteur émet des hypothèses, recoupe ce qu’il a appris, essaie d’avancer dans la connaissance des liens, des relations que ces hommes entretenaient.

Le gouvernement était plus que dur avec ces hommes. Avec quelques indices, quelques conversations, Remigiusz Ryziński construit un livre avec des bases solides, sur lesquelles il s’appuie pour extrapoler ce qu’il ne sait pas. C’est très bien fait et surtout captivant.

"L’homme qui vivait sous terre" de Richard Wright (The Man Who Lived Underground)

 

L’homme qui vivait sous terre (The Man Who Lived Underground)
Version intégrale suivie de Souvenirs de ma grand-mère
Auteur : Richard Wright
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nathalie Azoulai
Éditions : Christian Bourgois (1er Février 2024)
ISBN : 978-2267049961
242 pages

Quatrième de couverture

Fred Daniels, un jeune homme noir, se fait arrêter par la police à la fin d’une journée de travail, alors qu’il s’apprêtait à retrouver sa femme qui est sur le point d’accoucher. Un double meurtre a été commis dans le voisinage, et la police a besoin d’un coupable : ce sera Fred Daniels. Mais il parvient à s’échapper presque miraculeusement.

Mon avis

Le premier jet de ce récit a été écrit vers 1940, d’abord sous forme de nouvelle puis plus étoffé. Cette version intégrale est suivie de « Souvenirs de ma grand-mère » qui expliquent la genèse du roman, d’une postface et de remarques sur les textes. Cela complète vraiment la lecture en apportant d’autres angles de vue (notamment un parallèle avec l’allégorie de la caverne) et c’est très intéressant.

L’auteur, afro-américain, est décédé en 1960 à Paris où il s’était réfugié pour exprimer librement ses idées. Il était en contact avec Camus et Sartre. Il souhaitait que son œuvre serve à « rassembler deux mondes, celui des blancs et celui des noirs, afin de n'en faire plus qu'un. »

L’histoire contée ici, celle de Fred Daniels, m’a captivée. Elle parle de la place des personnes noires dans la société américaine, des violences policières, de la destruction d’un homme qui, embarqué dans un tourbillon qu’il ne maîtrise plus, devient un autre, comme si sa vie s’était scindée en deux.

C’est encore tellement d’actualité que c’en est troublant … Fred travaille chez un couple où il fait des petits travaux. Il repart avec sa paie de la semaine, content, pour aller retrouver sa femme sur le point d’accoucher. Un homme ordinaire pour une vie simple …. sauf que …. il croise une voiture avec des policiers blancs et lui, on le comprend, il est noir. Il y a eu un crime dans le quartier. À quoi bon chercher un coupable alors que les agents en ont un, potentiel, sous leurs yeux ?

Bien sûr, c’est totalement injuste mais sûrs d’eux, de leur suprématie, ils embarquent Fred qui ne comprend rien et essaie de se défendre. Il n’est pas écouté, il est violenté. Inquiet pour son épouse, il signe, à bout de force, des aveux. Pourtant, il pense à tous ceux qui pourraient témoigner et dire qu’il est quelqu’un de sérieux mais il sait bien que ça ne servira tant les autres sont, non pas persuadés de sa culpabilité mais persuadés qu’ils peuvent lui escroquer des aveux. Avant d’être incarcéré, on lui « offre » la possibilité de voir sa femme et lorsqu’il en a l’occasion, il s’enfuit. Un peu sur un coup de tête, sans réfléchir. Peut-être simplement, pour prendre du recul face à cette situation ubuesque et trouver comment remettre les choses en place.

L’endroit où il se cache est atypique et ne lui permet de rentrer en contact avec sa compagne. Il doit se débrouiller seul pour survivre et il voit en quelque sorte « l’envers du décor ». Il observe sans être vu, l’attitude de ses semblables, des policiers, de gens inconnus …. Il est déconnecté de son quotidien habituel, il est un autre homme.

« […… ]il était certain d’une chose : sa vie s’était comme fendue en deux. »

Mais Fred ne peut pas vivre caché car ce qu’il découvre le révolte. Alors, il veut revenir s’expliquer, se faire justice. Sera-t-il entendu, écouté, compris ?

C’est un livre puissant, parlant de nombreux thèmes : le racisme, l’injustice, les relations humaines etc. L’auteur envoie un message fort sur l’homme qui disparaît dans le noir et qui revenant à la lumière rencontre des problèmes. A-t-il été profondément transformé par son séjour loin du quotidien ?

L’écriture (merci à la traductrice) est fluide. C’est avec des mots simples qui font mouche que l’on pénètre tout d’abord dans un univers impitoyable puis dans un espace à part où la réalité s’éloigne.

Cet opus est marquant et restera gravé en moi.


"Le fils du coiffeur" de Gerbrand Bakker (De kapperszoon)

 

Le fils du coiffeur (De kapperszoon)
Auteur : Gerbrand Bakker
Traduit du néerlandais par Françoise Antoine
Éditions : Christian Bourgois (1er Février 2024)
ISBN : 978-2267050189
348 pages

Quatrième de couverture

Simon n'a jamais connu son père, Cornelis. Lorsque Anja, sa femme, lui avait annoncé qu'elle était enceinte, Cornelis avait déjà fait ses valises et, un jour plus tard, il était mort. Comme son père et son grand-père, Simon est coiffeur à Amsterdam. Son salon est plus souvent fermé qu’ouvert, car les interactions sociales le fatiguent, un comble pour un coiffeur. Mais il y a un client qu’il revoit régulièrement et à l’extérieur du salon : l'écrivain. L'écrivain cherche un sujet pour son prochain livre et est captivé par l'histoire du père de Simon.

Mon avis

Le fils du coiffeur … effectivement trois générations pour un métier identique. Le grand-père, le père et le fils, Simon, et toujours la même boutique, à Amsterdam.

Alors qu’elle était enceinte de Simon, la mère s’est retrouvée seule. Un matin, son compagnon a disparu avec ses valises, direction Tenerife et pas de chance, son avion est entré en collision avec un autre et il a été déclaré mort puisqu’il était sur la liste des passagers. Elle a élevé le mieux possible ou alors le moins mal possible son enfant. Et il a fini par reprendre le magasin, un peu comme si une espèce de tradition le poussait à agir ainsi. Il n’est pas fasciné par le travail et le panneau accroché à la porte est plus souvent du côté « fermé qu’ « ouvert » car lorsqu’il coupe, coiffe, ça lui prend de l’énergie et il doit se ressourcer ensuite. Il peigne quelques fidèles, dont son grand-père, un écrivain etc.

Simon a une quarantaine d’années, une vie sentimentale assez calme. Il préfère les garçons mais n’a pas d’histoire suivie, seulement quelques attirances, même virtuelles, comme le prouvent les posters d’anciens nageurs dans sa chambre… Il est d’ailleurs excellent en natation. Il a une relation atypique avec sa mère, ils sont assez distants et se parlent peu. Mais si elle demande un service, il obéit. Elle tente de l’influencer. Quand il essaie de creuser pour en savoir plus sur l’accident qui a coûté la vie à son père, elle ne dit rien, elle a même refusé que le nom de ce dernier apparaisse sur le monument commémoratif car son corps n’a pas été identifié.

Dès le début du récit, on constate qu’il aimerait en savoir plus sur ce fait. Il cherche sur internet, se renseigne, questionne son papy. Le manque est net, il veut comprendre à la fois la fuite pour ce voyage qui ne semblait pas programmé et ce qui s’est réellement passé. Il ne trouve pas grand-chose et s’obstine.

Ce récit est partagé en trois parties, la première nous présente la « quête » et le quotidien de Simon. Dans la deuxième, on part dans le passé voir les raisons qui ont poussé le père à partir. Dans la troisième, on retourne dans le présent au vécu de Simon.

De nombreux thèmes sont abordés dans ce recueil, l’homosexualité pas toujours simple à assumer, la relation mère/fils, les non-dits, la difficulté à faire « son deuil » lorsque la personne n’est pas retrouvée (pour qui est-ce le plus compliqué ? La femme qui perd son compagnon, le grand-père qui n’a plus de fils ou Simon qui n’aura jamais connu celui qui l’a engendré ?), les questionnements liés à une catastrophe aérienne qui ne s’explique pas. Le lecteur peut avoir des doutes sur ce qu’il apprend dans la partie deux : fiction ou réalité ? L’auteur se joue-t-il de nous ?

Le style fluide (merci à la traductrice), les dialogues vifs font de ce livre une lecture agréable et divertissante. La mise en abyme bien que légère, avec les recherches du client écrivain est un petit plus non négligeable. Les personnages ont parfois un côté un peu prévisible, et les coïncidences ont quelque chose de facile mais c’est rédigé avec humour et je crois que Gerbrand Bakker agit ainsi pour mieux s’amuser avec nous.

C’est une histoire qui m’a bien plu. Sous une apparence légère au début, la réalité nous rattrape petit à petit. L’atmosphère mélancolique peut se charger d’un peu plus de gravité tout en restant « supportable ». Je ne regrette pas d’avoir découvert cet écrivain.


"Les hommes les plus grands" de Fabián Martínez Siccardi (Los hombres más altos)

 

Les hommes les plus grands (Los hombres más altos)
Auteur : Fabián Martínez Siccardi
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon
Éditions : Liana Levi (25 Janvier 2024)
ISBN : 979-1034908608
260 pages

Quatrième de couverture

Parce qu’il est métis, qu’il appartient à la fois au peuple originaire de Patagonie et à celui de ses colonisateurs, Manuel Palacios se sent porteur d’une mission: raconter l’histoire des Tehuelches, la raconter autrement. Faire de ces hommes, que les premiers explorateurs européens surnommèrent «les géants de Patagonie», autre chose que des attractions pour expositions universelles, révéler la beauté de leur culture. Cette quête, menée sans relâche, de Buenos Aires à l’Italie, et lors de périlleuses expéditions dans la cordillère des Andes, sera jalonnée de rencontres déterminantes…

Mon avis

Fabián Martínez Siccardi, originaire de Río Gallegos, né en 1964, se sert probablement de ce qu’il a observé pour construire son roman et parler de ces hommes blancs qui ont colonisé ce coin de Patagonie.

On est au début du vingtième siècle, Manuel, né en 1906, est métis. Sa mère tehuelche et son père espagnol, ont fait de lui, un enfant, puis un homme partagé entre deux cultures. Rapidement seul avec sa mère (suite au décès du paternel), il se retrouve avec elle dans un ranch appartenant à des nord-américains. La propriétaire lui propose et impose un peu d’aller à l’école salésienne. Une fois là-bas, il comprend qu’il est un étranger, qu’il dérange et qu’il doit se plier à ce qu’on lui demande. Il se réfugie dans les études et excelle en dessin. Comme il s’intéresse aux peintures rupestres, il est choisi pour assister un archéologue sicilien, un scientifique atypique.

Au cours de ses observations, il est frappé par une peinture rupestre et voit un lien avec le peuple Tehuelche qu’il pense être « élu de Dieu » et venu de très loin. Devenu prêtre, pour une raison que je ne dévoilerai pas, il décide de partir à la recherche de la bête mystérieuse qu’il a vue. Il mettra à profit cette « enquête » pour mieux connaître la culture des Tehuelches en défendant leur cause. Ce ne sera, bien entendu, pas du goût de tout le monde. De plus, comme ses investigations ne tarderont pas à tourner à l’obsession, il ne sera pas forcément compris. Ce qu’il voudrait, au-delà de sa quête, c’est « avoir une place » dans la société, être traité comme les autres, reconnu en tant qu’être humain à part entière sans jugement faussé. Et bien sûr redonner une visibilité à tous les « oubliés ».

Ce récit mêle trame historique et imagination. L’auteur est passionné, ça se sent et il a dû énormément se documenter avant d’écrire.  Manuel devenu religieux fait preuve d’empathie et doit parfois se retenir face aux excès de « ses collègues » qui lui expliquent que les indiens « sont élevés dans l’inculture, l’errance, éloignés de la main de Dieu, de la civilisation et du progrès. » Il n’est pas d’accord. Il essaie d’agir, de faire bouger les lignes mais ce n’est pas aisé.

L’écriture est plaisante (merci à la traductrice), le texte nous fait vivre une belle aventure et c’est prenant. Le style indirect pour les dialogues est parfois un peu plus « morne » à lire. De l’action, des émotions, le dosage est bon. Le caractère et les réactions des différents personnages sont bien étudiés, les scènes décrites d’une façon très visuelle. Il y a une atmosphère hybride de mélancolie, excitation, colère …

J’ai été interpelée par cette lecture. Je ne connaissais pas la vie des indiens de Patagonie et ça me donne envie de me renseigner un peu plus sur eux, ce qu’ils ont subi et comment ils ont évolué.

Fabián Martínez Siccardi est un des rares auteurs écrivains qui parle du génocide des indiens dans ce coin du monde et de ses conséquences actuelles. Il prépare d’ailleurs une série de podcasts pour approfondir ce sujet et également ouvrir les yeux des argentins qui, pour beaucoup, ignorent ce passé peu glorieux. Il a vécu plusieurs années hors de son pays, s’est-il lui aussi senti « un étranger » lorsqu’il est revenu ?

"The Old Man" de Thomas Perry (The Old Man)

 

The Old Man (The Old Man)
Auteur : Thomas Perry
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sebastian Danchin
Éditions : L’Archipel (1 er Février 2024)
ISBN : 978-2809847628
370 pages

Quatrième de couverture

Ancien agent du Renseignement militaire américain, Dan Chase a été envoyé en Libye au début des années 1980. Sa mission : fournir 20 millions de dollars à un chef de guerre hostile à Kadhafi. Mais l'opération a mal tourné. Trente-cinq ans ont passé. Chase vit en solitaire dans le Vermont avec ses deux chiens. Jusqu'au jour où son ancienne vie le rattrape.

Mon avis

Ce roman a été adapté en série télévisée et c’est Jeff Bridges qui incarne le personnage principal. En regardant sa photo, c’est bien comme ça que je l’imaginais.

C’est un vieil homme portant beau, astucieux, capable de se défendre, d’anticiper, d’observer, de se fondre dans la foule. Son nom ? Dan Chase, enfin c’est selon. Si besoin il peut s’évanouir dans la nature et revenir avec une autre identité. Un vrai caméléon. C’est d’ailleurs à ce prix, qu’il peut continuer à vivre tout en prenant de nombreuses précautions.

Comment en est-il arrivé là ? Il était agent du renseignement pour les militaires américains. Un homme au profil intéressant, à qui tout réussissait car il avait le doigté, la méthode, la force discrète et l’énergie nécessaires pour arriver à ses fins. Sa dernière mission ne s’est pas déroulée comme prévu et il a dû disparaître tout en laissant un ennemi derrière lui et des supérieurs qui l’ont abandonné à son sort.

Maintenant c’est quelqu’un d’apparence ordinaire qui promène ses chiens et vit tranquille, bien qu’isolé, dans le Vermont. Son quotidien est plutôt réglé et calme mais ses sens sont toujours en alerte car il a peur d’un « retour de bâton ». Or, un jour, en passant sur un pont, il sent, il sait qu’il va falloir fuir à nouveau. C’en est fini de vivre en sécurité. Il prévient sa fille et s’évapore mais ….

En lisant la quatrième de couverture, je m’attendais à une course poursuite incessante avec des bons, des méchants et des rebondissements réguliers et bien, ce n’est pas ça et tant mieux ! D’abord ce n’est pas si manichéen qu’on aurait pu l’imaginer et ensuite, les protagonistes sont, pour quelques-uns, très nuancés.  J’ai particulièrement apprécié Julian. Il a su réfléchir, analyser, prendre du recul avant d’agir et de décider.

En outre, si Dan doit déguerpir, on n’assiste pas sans arrêt au jeu du chat et de la souris, c’est tout simplement bien plus subtil. Dan réfléchit et on suit ses raisonnements, on peut comprendre ses choix, ses hésitations, ses réactions. Il a du caractère, des idées et de la ressource. Et surtout il ne lâche rien. Bien sûr, sa solitude est parfois lourde à porter mais faire renter quelqu’un dans sa vie, c’est prendre le risque d’être plus fragile et il ne peut pas se le permettre. Mais parfois la vie vous tente ….et le cœur cède….

Le style fluide, sans doute bien aidé par l’excellente traduction de Sebastian Danchin, est totalement addictif. On ne s’ennuie pas une seconde. Les scènes décrites sont très visuelles ce qui permet de bien rentrer dans l’histoire. Et les dialogues vifs maintiennent le rythme. On peut penser que l’intrigue est assez simple mais ce qui est intéressant, c’est d’observer les comportements de chacun.

J’ai vraiment passé un excellent moment avec ce livre. Ça allait vite, il y avait de l’action et des situations où l’auteur distillait une pointe d’humour. Du suspense, un Dan Chase attachant et futé, tout pour plaire !