"Laisse le monde tomber" de Jacques-Olivier Bosco


Laisse le monde tomber
Auteur : Jacques-Olivier Bosco
Éditions : French Pulp Éditions (24 Octobre 2019)
ISBN : 9791025106525
370 pages

Quatrième de couverture

À travers une succession de crimes, de jeunes policiers vont être confrontés à la violence sociale et humaine d’une grande cité de banlieue. « Et la violence ne se combat pas par la violence… » ; c’est ce qu’aimerait prouver Jef, le flic idéaliste et lâche, mais sa collègue Hélène, bouffie de mal-être, a de la rage à revendre, quant à Tracy dont le frère est mort lors des attentats de Paris, c’est de vengeance dont elle rêve.

Mon avis

On ne peut se battre contre l’évolution du monde *

Il y a des auteurs comme ça, qui vous prennent aux tripes, vous font monter les larmes aux yeux et vous abandonnent, pantelants, dans votre canapé …. JOB (Jacques-Olivier Bosco) est de ceux-là. A chaque fois, il fait mouche et pourtant, ces écrits sont noirs, terribles, emplis de souffrances, de violence, de …. réalisme……

On est en banlieue parisienne, les jeunes de la cité font la loi, la drogue circule sous le manteau … La maréchaussée sait tout cela, gère ce qu’elle peut, avec le plus de doigté possible, pour éviter de mettre les bâtiments à feu et à sang. D’ailleurs, ils rythment le roman et servent de numéro aux chapitres : BAT A, BAT B etc…. Lorsque tout cela a été construit, il y avait de la place pour tout le monde : black, blanc, beur comme on dit ainsi que différents milieux professionnels, de classe, disons, moyenne. Tous cohabitaient et puis …. Ces lieux sont devenus une zone de non droit où la police évite de se promener la nuit et reste peu le jour….

Jef Lenantais et Hélène Lartigue sont deux collègues policiers, ils ont atterri dans ce secteur et sont bien obligés de faire face. Ils savent que s’ils demandent leur mutation, ils ne l’auront pas car leur poste ne fait pas envie et puis, il semblerait qu’ils se soient habitués…. Cabossés par la vie, tous les deux ne savent plus où ils en sont, ce qu’ils veulent, à part, éventuellement, être aimés. Ils cachent leurs blessures. Alcool, tabac, etc…leur tiennent compagnie….

Dans la cité, un jeune garçon a été attaqué par ce qu’on apparente à un chien tueur ou un monstre aux dents acérés. Ce sont Jef et Hélène qui récupèrent l’enquête. Leur ténacité, leur volonté font qu’ils ne vont rien lâcher. Ils sont habités par une sorte de colère rentrée qui ne demande qu’à sortir, qu’à s’exprimer. Et ce n’est pas Tracy, une enquêtrice qu’ils vont croiser sur leur chemin qui va modifier cet état de faits. Elle est encore plus en rage qu’eux, presque détachée de tout, sans émotion. Le travail d’investigations n’est pas aisé, les tensions sont nombreuses et montent au fil des pages.

Lorsque l’auteur nous décrit le quotidien des forces de l’ordre, on se rend compte de la dangerosité de leur métier, des angoisses de leur famille, des choix qu’ils doivent faire dans l’urgence. Il leur faut agir toujours et encore. Se reposer, s’arrêter ? Ce n’est pas forcément possible quand les évènements violents se multiplient. Le lecteur est pris dans ce mouvement, il suit la peur au ventre, il cherche une lueur d’espoir pour s’accrocher et croire que demain est un autre jour…. Alors, oui, demain est un autre jour mais il n’est pas obligatoirement meilleur, ni plus calme…..Jacques-Olivier Bosco nous met au cœur du côté noir de notre société, il nous oblige à ouvrir les yeux, à tremper les mains dans le sang, un  filet glacé coulant au creux de nos reins…. En immersion, on serre les poings….

Lire ce genre de récit secoue, remue, ne laisse pas indifférent et renvoie des questions qui font mal….C’est dur, sombre, et pourtant, on le dévore, on en redemande, quitte à finir lessivé. La faute à son écriture choc, addictive, à ses mots qui percutent fort, si fort, à son style incisif qui ne s’embarrasse pas de fioriture, à ses personnages désenchantés auxquels on souhaite de s’en sortir, de retrouver goût en la vie …

NB : j’ai beaucoup apprécié les clins d’œil aux protagonistes des romans précédents, c’est fugace et sin on ne les connaît pas, ça ne gêne en rien la lecture.

*page 46…. Et si on essayait quand même, JOB ? Qu’en dites-vous ?

"Nuits grises" de Patrick-S. Vast


Nuits grises
Auteur : Patrick S. Vast
Éditions : Le Chat Moiré Éditions (15 Novembre 2019)
ISBN : 978-2-9561883-3-9
260 pages

Quatrième de couverture
Kevin et Pauline Roussel ont du mal à joindre les deux bouts. Pour que le couple ne se retrouve pas à la rue, Pauline cède aux sollicitations de Victor, le fils de la propriétaire. Un jour Kevin s’en aperçoit et tout risque alors de déraper.

Mon avis

Lorsqu’on a la chance de vivre avec un métier stable et un salaire correct, on sait que certains galèrent, mais on met parfois des œillères, histoire de ne pas trop y penser…. Le dernier roman de Patrick S. Vast, nous plonge dans le quotidien de toutes ces personnes qui doivent compter chaque euro pour s’en sortir. Kevin et Pauline sont de ceux-ci, ils rêvent d’une autre vie mais pour l’instant tout cela ne prend pas forme car c’est impossible avec leur budget. Dans leur immeuble, il y a également Suzy qui vit seule. Elle cumule plusieurs petits boulots pour faire face. Elle fait des ménages tôt le matin dans une galerie marchande, s’occupe d’une mamie …. Elle a peu de temps pour elle, ses employeurs ne sont pas agréables et seul Diego, un ancien militaire reconverti dans la surveillance lui témoigne de la sympathie, voire même de l’écoute. Elle a beau faire attention, elle n’y arrive plus… Alors son propriétaire, qui est aussi celui de Kevin et Pauline, lui propose un « arrangement » (un corps à corps ;-( pour les loyers en retard. Elle ne cède pas au chantage, mais la voisine si …. Un jour, Kevin rentre plus tôt et comprend  comment sa femme s’est arrangée avec le bailleur pour les sommes dues…. Que faire ? En parler ou pas ? Comment stopper cette spirale infernale ? Vers qui trouver du réconfort, de l’aide ?

Peu après le propriétaire disparaît et du sang correspondant à son groupe sanguin est retrouvé dans le hall de l’immeuble. Que s’est-il passé ? Le harceleur est-il tombé dans un traquenard ? Est-il mort, blessé ?  La police mène des investigations auprès des habitants. L’enquêteur est à l’écoute. Humain, il devine ce qu’on lui tait et sent bien que celui qui n’est plus là profitait de la détresse des habitants de la maison. Parmi eux certains savent, d’autres subodorent, d’autres encore refusent de voir l’évidence. Les réactions sont diverses, il y a ceux qui essaient d’aider, de comprendre, ceux qui profitent de la situation, ceux qui mentent par intérêt, par peur…

Ce qui est vraiment très intéressant dans ce livre, c’est de voir comment chacun peut réagir face à un même fait : avec distance, avec son cœur, avec ses tripes. La réflexion fait parfois défaut quand on agit dans l’urgence et les conséquences peuvent être lourdes. Il y a peu de personnages, l’atmosphère est bien retranscrite, montrant les difficultés ou l’indifférence dans les relations professionnelles ou personnelles. L’écriture fluide, réaliste nous fait glisser au cœur de l’histoire et on se sent proche des protagonistes qui souffrent.

Avec ce récit, Patrick S. Vast est sorti de sa zone de confort, il pointe du doigt les travers de notre société, la précarité, les inégalités, les fins de mois difficiles …. Face à tout cela, des hommes et des femmes prennent parfois des décisions insensées, des risques qui les entraînent dans une spirale infernale.  L’auteur ne fait pas la leçon, ne donne pas de conseils…Il constate et le constat est amer… Seule une infime lueur d’espoir, par l’intermédiaire de Diego, le vigile, apparaît. On s’y accroche, espérant toujours et encore, parce qu’après tout, demain est bien un autre jour ?

"J'ai tué Jimmy Hoffa" de Charles Brandt (I Heard You Paint Houses)


J’ai tué Jimmy Hoffa (I Heard You Paint Houses)
Auteur : Charles Brandt
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean Esch et Samuel Todd
Éditions : du Masque (30 Octobre 2019)
ISBN : 9782702449493
390 pages

Quatrième de couverture

Peindre des maisons, c’est la spécialité de Frank Sheeran, dit L’Irlandais, homme de main de la pègre. Il entre au service de Russell Bufalino, boss d’une grande famille mafieuse, et devient un solide soutien de Jimmy Hoffa au sein des Teamsters, le très influent syndicat des camionneurs. Lorsque Bufalino ordonne la mort de Hoffa, le 30 juillet 1975, L’Irlandais s’exécute, conscient que son refus lui coûterait sa propre vie.  Ce récit est le fruit de cinq ans d’interviews réalisées peu avant le décès de Frank Sheeran en 2003. L’Irlandais livre pour la première fois des révélations fascinantes sur la mystérieuse disparition de Jimmy Hoffa et sur d’autres assassinats tout aussi célèbres dont celui de John F. Kennedy.

Mon avis

C’est le 27 Novembre 2019 que le film de Martin Scorsese  « The Irishman » avec Robert De Niro, Al Pacino, Joe Pesci et quelques autres, va être diffusé sur Netflix. Il est l’adaptation du livre « J’ai tué Jimmy Hoffa ». Ce n’est pas un roman, ni un essai, c’est un recueil d’entretiens entre Charles Brandt, ancien procureur général du Delaware, et Frank Sheeran, un mafieux haut placé mais qui dépendait malgré tout de ses chefs. C’est comme ça qu’il a été « obligé » de tuer Jimmy Hoffa. Il n’avait pas le choix, c’était Hoffa ou lui….

Par le biais d’enregistrements, retranscrits sans modification, on découvre le cheminement de Frank Sheeran. C’est à la fin de sa vie qu’il s’est confié sur cet assassinat, il ne l’a jamais avoué au tribunal. Voulait-il soulager sa conscience ? Se libérer d’un poids ? Toujours est-il que les rencontres ont été nombreuses et leur contenu foisonnant. De fait, c’est une lecture qui demande d’être attentif pour bien cerner tout ce qui est évoqué. Mais que c’est intéressant !

Dans les années 50, Frank vendait de la viande. Il trichait sur les livraisons, histoire de gagner un peu plus que ce qu’on lui donnait. Lorsqu’une combien fonctionne, on a tendance à augmenter les risques et il a fini par se faire coincer. C’est peu après qu’il rencontre Jimmy Hoffa, alors président du syndicat des conducteurs routiers américains. C’est le roi des magouilles. Il participe au blanchiment de l’argent de la mafia, se rapproche du patronat (il vaut mieux être copain avec eux que les avoir contre soi). Il se place en utilisant des adjoints, des bras armés, évitant ainsi d’être en première ligne. Robert Kennedy, Ministre de la Justice, essaie de le coincer, il est alors emprisonné mais reste influent. Il sort, continue son business alors que la mafia elle-même lui demande de se calmer. Il ne donne plus signe de vie le 30 juillet 1975. Cette disparition restera longtemps un mystère car le corps n’est pas retrouvé. Que s’est-il passé ?

Ce qui est très intéressant dans ce livre, c’est d’une part, de voir que pour la première fois, Frank reconnaît avoir tué Hoffa et d’autre part, d’être du côté du crime organisé. Parce qu’il s’agit bien d’organisation et à grande échelle en plus…  Les paroles de Frank sont lourdes de sens, je pense notamment à ce qu’il dit sur son expérience de soldat (Cinq cent onze jours passés à tirer et à se faire tirer dessus sur la ligne de front.)  Ce vécu l’a conditionné. Je ne dis pas que cela excuse la violence, les meurtres mais ça a probablement modifié certaines perceptions de cet homme, d’autant plus que son enfance n’a pas été facile (il a commencé très tôt à accomplir de petits boulots).

Le style est l’écriture de Charles Brandt sont percutants. Il réussit à nous tenir en haleine avec des témoignages et les commentaires qu’il en fait. Il faut dire que certains passages sont de vraies révélations et même si quelques pistes (notamment sur l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy) ne sont qu’effleurées, elles n’en restent pas moi captivantes. Cette lecture apporte un éclairage complet sur les méthodes utilisées par la mafia, mais surtout sur son influence dans l’histoire politique des Etats-Unis pendant une vingtaine d’années. C’est vraiment impressionnant car on sent que le gouvernement a eu parfois « besoin » de ces mafieux et qu’après, pour s’en dépêtrer, ce n’était pas simple…


"L'envol du sari" de Nicole Giroud


L’envol du sari
Auteur : Nicole Giroud
Éditions : les Escales (3 Octobre 2019)
ISBN : 9782365694278
273 pages

Quatrième de couverture

En janvier 1966, un avion d’Air India explose en plein vol sur le massif du mont Blanc, à l’endroit même où le Malabar Princess s’était écrasé en 1950. On retrouve le corps intact d’une jeune femme, une Indienne nue, vêtue de ses seuls bijoux : c’est Rashna, la belle Parsie. Presque cinquante ans plus tard, sa fille Anusha reconnaît le sari de sa mère dans une exposition. Quentin, un écrivain en mal d’inspiration ayant perçu son trouble, est aussitôt subjugué par la jeune femme.

Mon avis

« C’est par les mots que l’on pénètre l’âme des hommes. »*

Ce roman est magnifique, tout d’abord en regardant ce sari qui s’envole sur la couverture et dont la pointe représenterait presque un livre….et ensuite, le contenu, intéressant, d’une finesse délicate qui ouvre sur de nombreux possibles.

Je connaissais l’histoire de l’avion, le Malabar Princess, ne serait-ce que par le film éponyme. Je n’avais jamais entendu parler du Boeing 707, Kangchenjunga, qui s’est écrasé seize après, au même endroit, dans le Mont Blanc. C’est à partir de ce fait que Nicole Giroud a tissé son histoire de fort belle manière.

Quentin est un écrivain, en panne d’inspiration. Il se retrouve en Savoie dans la maison de son père et se rend à une exposition. Des objets d’un accident aérien sont exposés (en creusant le sujet, j’ai d’ailleurs découvert qu’un homme, Daniel Roche a collecté plus d’une tonne de vestiges des crashs sur le Mont-Blanc…). Le comportement d’une femme l’interpelle et il demande à la rencontrer. Elle a reconnu le sari de sa mère dans ce qui est présenté au public. Ils vont se parler, échanger. Elle va libérer sa parole, évoquant sa Maman, par bribes (il devinera ou inventera le reste) Il va écrire pour raconter la vie de Rashna en 1950, là-bas, à Bombay.

Un livre dans le livre se construit sous nos yeux, une mise en abyme menée de main de maître par l’auteur. Quentin et Anusha, la jeune indienne communiquent par mails ou lors de rendez-vous. C’est un véritable dialogue qui s’établit entre l’écrivain et la lectrice qui donne son avis sur ce qu’elle découvre petit à petit. Sa mère faisait partie des Parsis et respectait les croyances et coutumes de ce peuple venu de Perse. Mais elle aimait danser, elle avait envie de vivre libre, de faire des études, de croire à l’amour…. Difficile à cette époque de s’émanciper, de se libérer ….

Nicole Giroud a su enrichir son texte d’un contexte historique captivant, amené dans le récit avec intelligence et apportant un intérêt supplémentaire à l’ensemble. C’est vraiment une réussite car, cela a dû lui demander de nombreuses heures de recherches et elle a su doser pour trouver le juste équilibre. Son écriture est adaptée à chaque situation. Au début, c’est un homme, Quentin, qui s’exprime en disant « je ». Anusha aura la parole elle aussi et à chaque fois, l’auteur trouve le bon ton, le style en lien avec le personnage. Les phrases sont courtes, percutantes, porteuses de sens. Le fil conducteur maintient le rythme et on ne ressent aucun temps mort.

J’ai découvert cette lecture avec un immense plaisir. Les protagonistes sont attachants pour la plupart, dans leur quête de vérité, de compréhension. On sent combien les différences de culture, d’époque, de milieu, d’éducation, peuvent cliver les relations humaines et combien il est difficile de ramer à contre-courant. De nombreux thèmes sont abordés : l’amour, les secrets de famille, les différences sociales, le mystère qui a entouré ce crash (une hypothèse envisage une collision, l’enquête a été tenue secrète longtemps etc….), la vie des Parsis, ….

Ce recueil a de nombreuses qualités et j’ai eu beaucoup de plaisir à le lire.

*page 69

"Peau vive" de Gérald Tene

Peau vive
Auteur : Gérard Tenenbaum
Éditions : La grande ourse (20 août 2014)
ISBN : 979-1091416221
240 pages

Quatrième de couverture

Ève, 37 ans, biologiste, souffre d’une phobie du toucher qui lui interdit toute vie normale et notamment de fonder un couple avec André, son amour d’enfance. Un soir d’octobre 1988, elle se trouve par hasard au cinéma Saint-Michel, à Paris, dans une salle où un attentat incendiaire est déclenché. Paralysée par l’idée de frôler les spectateurs qui se ruent vers la sortie, elle hésite. Longtemps, trop longtemps. Elle finit par perdre connaissance et tomber dans le coma. Grâce à l’intervention d’un mystérieux passant, elle est sauvée in extremis et transportée à l’hôpital.

Mon avis

Eve est à fleur de peau. Sans doute parce que son père était fourreur et qu’elle le voyait travailler les peaux. Elle ne supporte aucun contact, même pas la monnaie au creux de sa paume… Une sortie au cinéma, une explosion et la voilà dans le coma. La famille se reconstitue autour d’elle, son père lui parle comme s’il avait envie de rattraper des années de silence, de non-dits. Les amis sont là, s’interrogent sur cet état paradoxal, elle est là sans être là….

Elle va cheminer, d’abord dans l’inconscient puis dans le monde vivant, réel, où elle semble prendre pied pour la première fois tant tout est différent… Chemin initiatique, elle va se découvrir, rencontrer les autres avec un autre regard, une autre approche…

Eve est à fleur de peau et l’écriture est à fleur de mots, presque éthérée comme s’il était nécessaire que les mots frôlent la page, l’effleurent, pour ne pas engendrer  de gros tracés, de blessures. C’est poétique, doux comme un murmure, léger  comme une mélodie mais toujours porteur de sens…

En effet, que ce soit dans le présent ou grâce aux retours en arrière, l’auteur nous rappelle la fragilité des relations humaines mais également la force de la vie….

J’ai beaucoup apprécié cette lecture. Je me suis laissée porter par les mots, m’attachant plus à la forme qu’au contenu (même si celui-ci est loin d’être anodin).

"Le compagnon de voyage" de Curzio Malaparte


Le compagnon de voyage de (Il compagno di viaggio)
Auteur : Curzio Malaparte
Traduit de l’italien par Carole Cavallera
Éditions de La Table Ronde (17 Avril 2009)
ISBN : 978-2710330905
112  pages

Quatrième de couverture

Fable pudique, baroque et pleine d'humanité, Le Compagnon de voyage a pour cadre l'Italie de 1943. Après le renversement de Mussolini et le chaos que provoque la signature de l'armistice, les hommes de troupe, désormais sans ordres et sans chefs, décident de rentrer chez eux. Au milieu de celle débandade, Calusia, un soldat bergamasque, entame la lente remontée de la Péninsule jusqu'à Naples. Il s'est juré de rendre à sa famille la dépouille de son lieutenant, mort en Calabre lors des ultimes combats désespérés et vains contre le débarquement allié. Cet honnête paysan, fier de ses origines, traverse l'Italie en compagnie de l'âne Roméo et d'une jeune fille qu'il a prise sous sa protection. A travers ses rencontres se dessine un portrait tout en finesse du peuple italien, capable des pires bassesses, mais aussi plein de courage et de générosité.

Mon avis

Italie 1943

Au début du livre, neuf pages de photographies noir et blanc dont la première : un portait de l’auteur à dix-sept ans, engagé volontaire dans la Légion Garibaldienne.

L’histoire commence en Calabre (au Sud de l’Italie), début Septembre 1943. Quinze soldats et leur lieutenant guettent les forces alliées qui doivent débarquer. Pas d’excitation, ni de peur, ils attendent sans renoncer à leur engagement : ils devront se battre... Ils veulent, même s’ils imaginent le combat voué à l’échec, rester dignes pour eux mais aussi pour tout le peuple italien. Les relations entre le lieutenant et les hommes sont empreintes de respect, le chef étant, semble t-il, issu d’une haute « lignée ».
Les anglais débarquent, le combat a lieu. Des soldats meurent, le lieutenant tombe et avant de mourir, il demande à son ordonnance (Calusio) de ramener sa dépouille à Naples, vers sa mère.
Le décor est planté.
Nous allons, au fil des pages suivre Calusio et un âne (qui porte le « cercueil improvisé »), jusqu’à Naples. A travers les rencontres faites sur la route, nous allons au devant de l’Italie « du dedans », croiser ces gens qui ont souffert, des réfugiés, des soldats ennemis qui ne savent plus comment agir, des femmes qui accompagneront Calusio…. Il ne lâchera rien pour tenir sa promesse. De difficultés en difficultés, de rencontres en rencontres, il fera tout pour amener « son » lieutenant à Naples.

Ce petit roman est poétique, émouvant, parfois cocasse par certaines situations évoquées, dur aussi, tendre enfin. Les scènes se succèdent comme dans un film, parfois détaillées, parfois survolées mais toujours très « parlantes », très réelles.
Les phrases sont courtes, rythmées. On n’a pas le souhait de poser le livre avant d’avoir accompagné Calusia et son fardeau jusqu’au bout.

La postface est accompagnée de deux autres photos de Malaparte, en civil cette fois. Cette partie nous éclaire sur les rapports du romancier avec l’Italie, l’armée, rapports tourmentés, tumultueux car, comme beaucoup, face à la guerre et la violence, Curzio Malaparte, ne sait plus comment se situer, comment agir…

J’ai eu un vrai coup de cœur pour cette œuvre. C’est une histoire simple mais tellement remplie qu’on reste émue des heures après l’avoir lue.



"Quand on ne peut oublier" de Tamara McKinley (Always in my Heart)


Quand on ne peut oublier (Always in my Heart)
Auteur : Tamara McKinley
Traduit de l’anglais (Australie) par Danièle Momont
Éditions : L’Archipel (13 Novembre 2019)
ISBN : 978-2-8098-2730-9
384 pages

Quatrième de couverture

Décembre 1941. Le père de Sarah Fuller, 19 ans, dirige une plantation d'hévéas en Malaisie, où sa famille mène une vie de riches colons. Mais le conflit qui secoue l'Europe gagne cette partie du monde. Quand les Japonais commencent à bombarder Singapour, Sarah est contrainte de quitter sa famille et son fiancé. La longue traversée vers le vieux continent s'annonce périlleuse. Or, ni elle ni sa soeur Jane ne savent si leur grand-tante, censée les accueillir, est toujours de ce monde...

Mon avis

Ce roman fait partie d’une saga, appelée « La saga du bord de mer », il est le cinquième (et probablement pas le dernier). Je ne connais pas les tomes précédents mais cela ne m’a pas dérangée, chacun peut, sans aucun doute, être lu séparément.

Nous sommes en Malaisie, en décembre 1941. En Europe, la guerre est installée mais là-bas, au bout du monde, les habitants pensent être épargnés. Malheureusement, les japonais rentrent dans le conflit et le lendemain de l’attaque de Pearl Harbor, soit le 8 Décembre, ils bombardent Singapour et envahissent la Malaisie. Après avoir écouté les nouvelles à la radio pendant des jours et des jours, maintenant, les hommes sur place n’ont plus le choix, qu’ils soient colons ou pas, ils vont prendre part à la lutte. Monsieur Fuller, installé sur place depuis des années dirige une plantation et il est de ceux-là. Il décide de mettre sa famille à l’abri en envoyant sa femme enceinte et ses deux grandes filles en Angleterre où il espère qu’elles seront accueillies par deux tantes avec lesquelles il n’a pourtant plus de contact.

Le voyage sera périlleux, l’arrivée sur place, à Cliffehaven, également. De plus, en Angleterre, on est en période de restriction, tickets de rationnement et compagnie, l’argent de Malaisie ne vaut rien et ne peut être échangé contre la monnaie locale. Pour les sœurs Fuller, habituées à une vie plutôt facile, avec des domestiques, des vêtements sur mesure etc… Le changement va être radical. Elles se retrouvent sans rien ou presque. Vont-elles réussir à se faire une place, à s’habituer à ce nouvel environnement avec des personnes qui ne « fonctionnent » pas forcément comme elles, à cette vie totalement différente du quotidien qu’elles ont connu ?
Ce recueil est très bien écrit (et donc parfaitement traduit). L’écriture est fluide, le style agréable et rythmé par les événements dans un contexte historique bien présenté. L’auteur glisse, ça et là, des faits réels, intégrés au récit avec doigté. Cela apporte un plus pour le lecteur qui se replonge ainsi dans l’Histoire avec un grand H sans la lourdeur des manuels scolaires ou des encyclopédies.

Les différents personnages sont très intéressants. Tout d’abord, les deux filles qui essaient de faire face avec volonté à chaque difficulté, leurs parents qui restent droits et intègres, respectueux des autres. Il y a aussi toute une galerie de protagonistes pittoresques, amusants, hauts en couleurs et surtout attachants. Ce qui ressort de l’ensemble, c’est tout l’amour que se portent les uns et les autres et qui les aide à avancer malgré tout ce qui est difficile.

Il me semble que ce n’est pas évident d’écrire une histoire en intégrant des situations historiques, il ne faut pas que les choses réelles donnent le sentiment d’être « parachutées » là pour compléter et étoffer le reste. Tamara McKinley excelle dans cet exercice et décrit avec finesse et doigté un univers où tout paraît à sa place. Je suis conquise.

Cette lecture a été un vrai moment de plaisir. J’avais l’impression de vivre avec eux tant tous sont devenus des familiers. J’attends avec impatience la suite pour retrouver avec bonheur  ce petit monde et savoir comment tout a évolué !




"Benzos" de Noël Boudou


Benzos
Auteur : Noël Boudou
Éditions : Taurnada (14 Novembre 2019)
ISBN : 978-2372580601
232 pages

Quatrième de couverture

Vous est-il déjà arrivé de vous réveiller avec cette sensation de déjà-vu ? Sauriez-vous faire la différence entre le vrai et le faux ? Avez-vous une confiance absolue en vos proches ? Nick semble mener une vie tranquille, entouré de sa femme et de ses voisins. Pourtant, le jour où des amis de longue date arrivent, son existence tout entière va basculer dans l'étrange et l'impensable. Réalité ? Psychose ? Quelle preuve avez-vous finalement de votre réalité ?

Mon avis

Benzos ? Quel drôle de nom pour un roman. Est-ce le patronyme du personnage principal, un lieu, un animal, une chanson, un effet mode que je ne connais pas ? Rien de tout cela, benzos, c’est un raccourci pour benzodiazépines…. Vous savez ce que c’est ? Ce sont des médicaments anxiolytiques qui agissent également sur les troubles du sommeil.

Nick est accro aux benzos. Très jeune il en a eu besoin pour réguler ses nuits difficiles. Mais on dit que le corps s’habitue donc il a augmenté les doses et puis un petit cacheton dans la journée ça rassure aussi, non ? Ce qui, au départ, était une « béquille », une aide pour mieux vivre, est devenu une drogue. L’accoutumance est là, et c’est même pire, un réflexe. Dès que quelque chose ne va pas, semble bizarre à Nick, et hop, une pilule…enfin une…c’est plutôt nettement plus…

Pourtant, vu de l’extérieur, cet homme a, selon la formule consacrée, tout pour être heureux. Une femme aimante, une jolie maison, des amis…D’ailleurs un couple de bons potes qu’ils n’ont pas vus depuis longtemps, s’annonce. Ça va être la fête ! Ménage fait, bières au frais, rôti de bœuf prévu etc. Tout est en place pour un super séjour. L’épouse de Nick, en formation, sera absente, mais qu’à cela ne tienne, Nick va assumer et prendre du bon temps avec ses potes.  Sauf que rien ne se déroule comme prévu. Il vit des événements qui semblent s’être effacés le lendemain, certains éléments se modifient et le calendrier paraît chamboulé. Personne ne se rend compte de son désarroi face à cet état de faits, comme si tout restait dans la normalité. A-t-il des hallucinations, est-il victime d’une machination, est-ce un phénomène paranormal, un effet des médicaments ? Nick ne comprend pas, ne sait plus qui croire, à qui faire confiance …et le lecteur non plus….

Peu importe ce qui se passe, de toute façon, rien ne semble tourner rond. La force du récit est ailleurs. Elle est dans le style et l’écriture de Noël Boudou. Brut, violent parfois, sans détours, frôlant avec les limites. De plus, le texte est écrit à la première personne, le « je » nous prend aux tripes, parce qu’il est palpable. Les angoisses, les peurs, les démons de Nick transpirent, nous envahissent, nous prennent dans leurs rets. On souffre avec lui, on voudrait trouver une solution, l’aider mais on est impuissant. C’est angoissant à souhait, et on se demande bien comment tout cela va évoluer vu que tout échappe à la « normalité ».

L’auteur a eu l’intelligence de ne pas trop à faire. Il aurait pu rallonger son livre, rajouter des épisodes mais il a trouvé le bon équilibre. Juste ce qu’il faut pour présenter la situation, exprimer les dérives et tout ce qui part de travers avant une fin qui en surprendra plus d’un. Les différents protagonistes sont intéressants par leur rôle dans ce presque huis clos. Le rythme se maintient sans peine avec quelques indices ça et là qui mettent la puce à l’oreille de celui qui lit.

C’est un bon roman noir et c’est aussi un avertissement voilé sur les dégâts que peuvent entraîner certaines toxines. J’ai beaucoup apprécié cette lecture.

"Pas un mot de Brad Parks (Say nothing)


Pas un mot (Say nothing)
Auteur : Brad Parks
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Samuel Todd
Éditions : Mazarine (11 Octobre 2017)
ISBN : 9782863744505
508 pages

Quatrième de couverture

Le juge Scott Sampson s’apprête à aller chercher ses enfants à l’école. Et à plonger en plein cauchemar. Il reçoit un message anodin de sa femme adorée, Alison : elle ira récupérer les jumeaux pour les emmener chez le médecin. Alison rentre à la maison. Seule. Elle n’a jamais envoyé ce texto. Le téléphone sonne. Les enfants ont été enlevés.

Mon avis

Comment agir lorsque l’impensable vous tombe dessus ? Jusqu’où êtes-vous prêts à repousser vos limites pour sauver vos enfants ? Alison et Scott sont les heureux parents de jumeaux, un garçon : Sam et une fille : Emma. Après avoir travaillé pour un sénateur en étant son homme de confiance, Scott est maintenant juge et a régulièrement de nombreuses affaires à régler. Il est aidé par une équipe efficace et semble épanoui dans sa fonction. Ils habitent près de la famille d’Alison qui est très attachée à ses sœurs. Une vie faite de petits et grands bonheurs, quasi parfaite jusqu’au jour où tout bascule….. Les jumeaux ont été kidnappés ! Et là, Scott le magistrat, qui a toujours été intègre, droit dans ses bottes, se retrouve face à un terrible chantage : rendre un verdict exigé par les ravisseurs pour retrouver ses enfants chéris…. Que faire ? Scott sent que tout lui échappe….. S’il prend des décisions contraires à la logique, il va se faire remarquer, huer, licencier mais s’il agit autrement, sa progéniture va souffrir et mourir…. De plus les malfrats ont dit et répété à l’envi « Pas un mot ». Scott et Alison se sentent surveillés, épiés, et ils ne peuvent pas partager leurs tourments ….

Devant l’indicible, chacun réagit différemment,. On peut comprendre, ou pas, l’attitude des parents. L’auteur décrit parfaitement cette ambivalence continue, entre espoir et peur, dans l’attente d’un signe pour qu’une éclaircie, une avancée, permettent de se dire que demain est un autre jour et que peut-être le cauchemar sera fini….. La partie judicaire est elle aussi très bien présentée, avec des détails qui aident à comprendre les rouages, le rôle de chacun et les différentes interventions.

Scott sent bien qu’autour de lui, il y a des fuites … Qui soupçonner ? Sa femme qui ment parfois puisqu’elle fume en cachette, ses fidèles collaborateurs ? Un climat de suspicion s’installe, alourdissant l’atmosphère …. En outre, plus le temps passe, moins les personnes qui le côtoient comprennent sa façon de répondre que ce soit lors des audiences ou dans des entretiens plus privés…..

Porté par une écriture fluide et plaisante (merci au traducteur), par un style vif, ce roman est très addictif. Le couple est attachant et forcément, dès que des enfants sont en cause, on en a le souhait que tout se termine au mieux. Brad Parks a su instaurer une ambiance qui maintient le suspense, qui tient le lecteur en haleine. L’alternance entre la recherche des petits et le travail du juge est une bonne chose. Cela évite l’overdose de contenus juridiques ou de larmes familiales…. Les deux approches sont intelligemment dosées.

C’est une lecture qui m’a permis de passer un agréable moment, je peux peut-être regretter que tout ne s’éclaire que dans les dernières pages, quelques indices en amont (entre autres sur la complexité psychologique des coupables) auraient été intéressants.. Mais je ne suis pas déçue et je relirai volontiers cet auteur !

"Ne fais confiance à personne" de Paul Cleave (Trust No One)


Ne fais confiance à personne (Trust No One)
Auteur : Paul Cleave
Traduit de l’anglais (Nouvelle Zélande) par Fabrice Pointeau
Éditions : Sonatine (31 Août 2017)
ISBN : 978-2355846403
460 pages

Quatrième de couverture

Les auteurs de thrillers ne sont pas des personnes très fréquentables. Ils jouent du plaisir que nous avons à lire d'abominables histoires, de notre appétit pour des énigmes qui le plus souvent baignent dans le sang. Ce jeu dangereux peut parfois prendre des proportions inquiétantes et favoriser un passage à l'acte aux conséquences funestes. Eux les premiers, qui pensent connaître toutes les ficelles du crime parfait, ne sont pas à l'abri de faire de leurs fictions une réalité.

Mon avis

« Une sorte de vide avec une touche d’espoir et une touche de folie…. »*

Il a quarante-neuf ans, une femme aimante et une fille adorable qui va bientôt se marier. Son métier : auteur de thrillers, de romans policiers menés de main de maître. Ah non, je ne parle pas de Paul Cleave mais de Jerry Grey, son nouveau personnage. Ce dernier écrit sous un pseudo : Henry Cutter (est-ce que c’est plus facile de se cacher derrière un faux nom quand on écrit des choses affreuses ?). Il a tout pour être heureux ce brave homme alors forcément, un jour, la roue tourne… sous forme d’un sale diagnostic : le grand A est entré dans sa vie. A comme….. Alzheimer. Il faudra vivre avec ou plutôt sans…. Sans souvenirs de certains événements alors que d’autres seront très nets, sans autonomie parce que les repères seront perdus, sans famille car il faudra vivre dans un milieu « protégé » loin de ceux que vous aimez….

Comment agir ? Jerry va écrire, parce que c’est ce qu’il sait le mieux faire, parce qu’il veut garder une trace de ce qu’il oubliera pour plus tard, parce qu’il est auteur…parce que …. Mais le voilà qui se met à confondre la vie réelle et la fiction de ses bouquins… Il s’accuse de meurtres et donne des détails correspondant à ses écrits…. Où tout cela peut-il le mener ? Que peut penser la police face à une telle situation, où trouver des preuves (qu’il se trompe ou qu’il a finalement agi….) ?
Paul Cleave le dit « pour bien écrire, il faut parler de ce qu’on connaît…. ». Est-ce que cela signifie qu’en mode Henry, Jerry a besoin de tester grandeur nature ce qu’il raconte ensuite ? Où va-t-il lorsqu’il a des absences (tant au sens propre que figuré) ?) Qui peut l’aider ? Comment et pourquoi ?

La confusion intellectuelle de Jerry va servir de prétexte à Paul Cleave pour aborder des thèmes comme la recherche de sujets pour les écrivains, leur façon d’interpréter le regard et les commentaires des autres, la dualité entre celui qu’on est dans la vie et celui qu’on est quand on écrit (là, c’est super bien réussi !), la place de la maladie grave dans le quotidien surtout lorsqu’on va vers l’oubli….

La construction narrative est particulière, assorti de ce que je définirai comme un « faux rythme ». Il n’y a que peu d’actions, on lit le carnet de bord de Jerry / Henry (qui s’interpelle, se projette avec Jerry passé et Futur Jerry ) , on avance, on revient en arrière, on repart mais pas obligatoirement là où on s’était arrêté…. Les troubles mentaux seraient-ils en train de nous « contaminer » ? C’est contagieux docteur ? Ou bien est-ce pour finir de nous égarer ? L’écriture (merci au traducteur : Fabrice Pointeau) est troublante, d’autant plus qu’on oscille entre le « je », le « tu », le style impersonnel…..

Comme à son habitude, l’auteur aime à nous embrouiller, à ébranler chaque certitude (si on est capable d’en avoir dans un bouquin comme celui-ci), à nous embarquer d’un côté, de l’autre, à nous déstabiliser, à nous rendre (presque) aussi fou que l’individu qu’il nous décrit.

Bien sûr, c’est tordu, alambiqué, bizarre tant ça met mal à l’aise mais également terriblement bien pensé car si on ne lit pas la fin, le puzzle tarde à se mettre en place et …. de découverte en découverte, le final semble évident si on relie les points qui ont pu nous alerter (mais « Ne fais confiance à personne »… on ne pouvait pas y croire et puis qui nous a mis la puce à l’oreille ? Jerry ? Henry ? Le narrateur ? Un protagoniste ? On ne sait pas, on ne sait plus….)

Personnellement, j’ai eu un peu de mal au début : l’atmosphère me semblait lourde et presque pénible à supporter puis j’ai voulu connaître le secret de ce cerveau malade…. Et là, ma cadence de lecture s’est nettement accélérée …

* page 53

"Reflets des jours mauves" de Gérald Tenenbaum


Reflets des jours mauves
Auteur : Gérald Tenenbaum
Éditions : Héloïse d’Ormesson (3 Octobre 2019)
ISBN : 978-2350875569
210 pages

Quatrième de couverture

Lors d'une réception en son honneur, le professeur Lazare s'isole, las des sollicitudes. Abordé par un jeune journaliste, l'éminent généticien se surprend à lui proposer un verre dans un bar. Au fil des échanges, Lazare se déleste du secret qui entoure ses recherches. À quoi bon avoir déchiffré la partition du génome si cela conduit à trahir l'être cher et condamne à la solitude ?

Mon avis

Partition….

La vie est une partition, avec ses temps forts, rapides ou lents, ses bémols, ses pauses, son tempo … et l’écriture de l’auteur est une musique. A petites touches, délicatement, avec un style céleste, le phrasé de Gérald Tenenbaum résonne en vous, il fait écho, renvoyant des mélodies qui chantent sous nos yeux et se découvrent petit à petit.
« …[…] leur enchaînement dans la discontinuité le guidait vers une théorie du murmure et de l’écho […] »
L’histoire est celle du Professeur Lazare, un chercheur en génétique. Il a fait une découverte bouleversante, tellement difficile à concevoir qu’il ne peut pas la partager entièrement. Il est condamné au silence. Sa vie en sera changée à tout jamais. Lors d’une réception, il rencontre un jeune journaliste et entame une discussion avec lui. Sans doute, ce jour-là, est-il prêt à se confier, à partager son terrible secret, ce poids qui pèse sur ses épaules depuis des années. Alors, il parle, …toute une nuit …. Cette longue confidence, entrecoupée de courts instants dans le présent, nous plonge dans le passé du scientifique. Il évoque son parcours, la place de son métier dans sa vie, ses relations aux autres, ses angoisses, ses réussites, ses doutes… On voit bien toutes les embûches sur la route de ceux qui veulent faire avancer la science, ne serait-ce que les questions qu’ils se posent.

Le généticien, de part ses prospections, est toujours en mouvement, explorant le passé, envisageant le futur. Il est amoureux d’une femme qui « fige le présent », en prenant des photos qu’elle expose, qu’elle vend à des magazines. Dans les flous, les pixels, les clichés, Lazare voit le pendant des gènes portés par l’ADN. J’ai beaucoup aimé ce parallèle entre les deux.
Gérald Tenenbaum aime utiliser les subtilités des hasards de la vie pour démontrer que rien n’est acquis et qu’il n’y a pas d’amour heureux (l’allusion à Aragon page 117 est un régal). Il parcourt le destin des hommes avec finesse, les laissant s’exprimer à points comptés, dans des phrases porteuses de sens, avec un vocabulaire de qualité.

En mathématique, une formule, une équation peuvent apporter un bouleversement. En poésie, c’est un mot, une expression qui peuvent vous mettre les émotions à fleur de peau. C’est sans doute pour ça, que les mathématiciens, comme l’auteur de « Reflets des jours mauves » savent parler à notre cœur avec des termes qui sonnent justes.

J’aime les maths, j’aime les poèmes alors ce livre m’a offert un moment magique de lecture…..

"De lettres à l'être" d'Anne Fernandes


De lettres à l’être
Traversée d’une mémoire traumatique
Auteur : Anne Fernandes
Éditions : Éditions 7 (25 novembre 2019)
ISBN : 978-2361920920
255 pages

Quatrième de couverture

Quand la mémoire traumatique s'ouvre elle porte en elle de lourds fardeaux... Elle est aussi une alliée pour alléger la vie, construire le futur, regarder vers un ailleurs. L'auteure Anne Fernandes vous offre la traversée de sa mémoire traumatique. Du laid, elle a voulu faire du beau. Elle a manié les mots et y a ajouté les illustrations. Elle vous offre son chemin vers un futur lumineux alors que son passé était bien sombre.

Mon avis

Se souvenir pour enfin oublier

Le visuel de ce recueil, avec cette couverture un peu floue, trouble, dans les tons de sépia, m’a tout de suite fait penser à une blessure cachée, qui ne demandait qu’à s’exprimer. Lorsque je l’ai lu, j’avais le sentiment de tenir au creux de mes mains, toute la souffrance et la force de l’auteur. Les deux l’ont portée pour rester droite, faire face, avancer et croire en la vie malgré tout ce qu’elle avait subi. Elle a écrit et magnifiquement illustré des lettres, des textes, elle a libéré sa parole mais également celle des autres. Elle a puisé en elle, la volonté de s’en sortir, de ne pas se laisser abattre. Elle a mis des mots sur ses ressentis. Son style lumineux, d’une grande beauté, est empli de délicatesse, de pudeur.

Lorsque sa mémoire s’est rappelée à elle, faisant remonter de douloureux souvenirs, elle a accueilli la petite Anne, elle l’a rassurée comme si elle était une autre. Elle a alors pu être en harmonie, ne faisant plus qu’un avec elle-même, autorisant ce passé douloureux comme une part d’elle. 

Anne Fernandes ne se pose pas en victime, elle ne revendique rien. Elle se libère d’un poids et offre ce qu’elle écrit comme autant de douces flammes, de tendres lumières, qui l’ont réchauffée, qui l’ont aidée. En occultant les événements traumatisants de son passé, sa mémoire l’a conduite vers la beauté, le bien, puis, lorsqu’elle a été assez forte, par vagues, sont revenus ces réminiscences qu’elle a pu gérer avec l’aide de tous ceux qui l’ont accompagnée sur le chemin de la résilience personnelle. Elle a su dépasser son choc, se dépasser pour continuer la route sans se laisser ni briser, ni étouffer.

Pour elle, chaque matin est un autre jour, ouvert sur un futur bienveillant.
« J’y entends le silence d’un présent vivant où je suis libre ou libérée. »
Son phrasé poétique, dégageant une forme de sérénité face à l’indicible, m’a beaucoup touchée. Ses illustrations sont superbes, porteuses de sens. Toutes en retenue, elles expriment des messages forts. On sent qu’Anne Fernandes est en paix et on ne peut que lui souhaiter le meilleur pour l’avenir qui lui appartient.

"Cauchemar" de Paul Cleave (Whatever it Takes)


Cauchemar (Whatever it Takes)
Auteur : Paul Cleave
Traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Fabrice Pointeau
Éditions : Sonatine (7 Novembre 2019)
ISBN : 978-2355847660
450 pages

Quatrième de couverture

Acacia Pine, États-Unis. Une petite fille, Alyssa Stone a mystérieusement disparu. Noah, un des flics du village fait irruption chez le principal suspect. Envahi par la colère, il le séquestre et le torture jusqu'à ce que l'homme lui révèle le lieu où Alyssa est captive. Noah la retrouve enchaînée dans une cave, encore en vie. Fin de l'histoire ? Non. Douze ans plus tard, Alyssa est à nouveau portée disparue. Et le cauchemar recommence.

Mon avis

Paul Cleave a laissé de côté la ville où il a placé ses précédents romans et le style de personnage qu’on y trouvait. Nous voilà à Acacia Pine, aux Etats-Unis, dans une bourgade de taille moyenne où tout le monde se connaît. Dès les premières pages on entre dans une ère de violence puisqu’un policier, Noah Harper, frappe afin d’obtenir les aveux d’un suspect. C’est totalement immoral, bien sûr, mais ainsi, il sauve une petite fille, Alyssa, qui le considérera comme son sauveur. Comme sa méthode pour avoir une réponse n’a pas été dans les normes, le shérif lui demande de quitter la ville. Ce qu’il fait, laissant, au passage, sa femme derrière lui, ses amis, ses habitudes et son boulot…

Douze ans ont passé, il est co-gérant d’un bar, rangé des voitures, apparemment assez calme, moins « irréfléchi » … quoique… Son ex-épouse l’appelle pour lui dire qu’Alyssa a de nouveau disparu. Disparition volontaire, enlèvement, ou autre chose ? Noah sait très bien qu’il ne sera pas le bienvenu s’il retourne dans sa ville mais réagissant de façon impulsive, au quart de tour, il choisit de partir et d’aller là-bas. Rapidement, il sent que personne ne va l’aider, ni le croire. Son ex-coéquipier lui démontre qu’Alyssa est partie volontairement et qu’il ferait mieux de regagner ses pénates. Mais le père adoptif de la jeune femme, qui est un homme en fin de vie, ne l’entend pas de cette oreille. Il est persuadé qu’elle a été à nouveau kidnappée et supplie Noah de la rechercher. Et ce dernier va céder, sans penser à tous les dégâts collatéraux que son obstination risque de provoquer.

Si le scénario de cette intrigue possède quelques invraisemblances, elles ne m’ont pas vraiment gênée plus que ça. Sans aucun doute parce que l’écriture (bien traduite par Fabrice Pointeau) est toujours aussi accrocheuse, que les rebondissements sont nombreux et que l’auteur sait parfaitement nous balader d’une piste à une autre, nous entraînant sur des suspects potentiels avant de nous prouver le contraire. La fin est d’ailleurs très surprenante et je ne l’avais pas imaginée (par contre d’autres possibilités, que j’avais envisagées pour le reste de l’histoire, se sont avérées vraies). Le rythme est soutenu, parce que Noah n’arrête pas de « courir », d’aller à droite, à gauche, c’est un feu follet, assez imprévisible, en marge de la loi quand il trouve que ça ne va pas assez vite. Il est exaspérant à tout vouloir gérer lui-même mais également attachant car c’est un homme de parole et ça se fait rare. J’ai trouvé les autres personnages intéressants dans l’ensemble, notamment le vieux shérif. Certains traînent des « casseroles », d’autres une part d’ombre importante, tous ont des « raisons » d’agir comme ils l’ont fait. On se dit que parfois la frontière entre le bien et le mal est très fine. Alors, oui, Noah a tort, probablement d’agir en justicier, mais quels autres choix a-t-il face à ce qu’il découvre ? Quand on connaît la lenteur des procédures, les erreurs minimes qui peuvent mener à des non-lieux, on se demande ce qu’on aurait fait face à de telles atrocités.

Cauchemar est un recueil sans temps mort, abordant plusieurs thèmes qui poussent le lecteur à s’interroger, à aller plus loin dans la réflexion. Je n’ai pas vu le temps passer, j’ai presque fini essoufflée auprès de Noah. C’est dire si ce nouveau titre de Paul Cleave m’a captivée.



"L'art de courir sous la pluie" de Garth Stein (The Art of Racing in the Rain)


L’art de courir sous la pluie (The Art of Racing in the Rain)
Auteur : Garth Stein
Traduit de l’américain par Anath Riveline
Éditions : L’Archipel (6 Novembre 2019)
ISBN : 9782809827262
306 pages

Quatrième de couverture

Enzo est tout sauf un chien ordinaire. Il est persuadé qu’il sera un jour réincarné en homme. Cette certitude, il l’a acquise en regardant un documentaire sur la Mongolie. Ce qu’il a vu de mieux ala télé – sa passion – après un grand prix de Formule 1. Enzo, qui porte sur son maître Denny un regard attendri, en a tiré une philosophie : vivre n’est pas qu’une question de vitesse. Il faut aussi savoir passer entre les gouttes.

Mon avis

Agis avant de réagir….

Enzo est un chien. Il est persuadé qu’un jour il deviendra un humain et lorsqu’on fait sa connaissance, on se dit qu’effectivement, il ne lui manque que la parole !
Il a tout pour lui : la douceur, l’empathie, l’intelligence du cœur…
L’histoire est racontée par Enzo, c’est lui qui explique, qui présente les événements de ce roman. Il les analyse avec finesse, avec délicatesse et il serait de bon conseil pour son maître, si seulement il pouvait lui parler…

Denny est un homme, marié et père de famille, propriétaire d’Enzo. On le découvre à travers les yeux de son chien, qui est bien plus, pour lui, qu’un animal de compagnie, un soutien, un pilier de sa vie. Ces deux-là étaient vraiment faits pour s’entendre. Enzo comprend tout, sent les choses, porte un regard attendri sur toute la famille, même si au début l’épouse a été considérée comme une intruse. Il est dévoué, aimant, capable de s’oublier pour aider ceux qu’il aime. Assez fort pour essayer de les défendre face à la fourberie, aux mensonges.

L’écriture est fluide, belle, profonde car Enzo parle avec sérieux de ce qui se déroule. Il lui arrive de glisser une pointe d’humour, de concevoir une vengeance et c’est vraiment délicieux de constater comme il s’y prend, le plus souvent très bien avec les uns et les autres, arrivant à ses fins, l’air de rien. Denny a transmis à Enzo sa passion pour les courses automobiles (le passage sur la mort d’Ayrton Senna est bien « vu ») ainsi que « l’art de courir sous la pluie » qui est vraiment quelque chose d’important dans leur vie. C’est un peu comme l’art de rester droit dans ses bottes, de ne pas céder face aux éléments extérieurs. Je trouve cette métaphore bien pensée car il y a également l’idée de vitesse, de ce quotidien qui va vite, nous emporte et nous échappe. En outre, une allégorie est présentée avec le zèbre, personnage récurrent de ce récit, il« dérange » Enzo jusqu’à ce qu’il comprenne qui il est vraiment. Tout cela enrichit la narration et fait de ce texte un bel ensemble, équilibré, intéressant, captivant. Différents thèmes sont abordés, la maladie, la mort, les choix de vie, l’amitié, l’équilibre entre vie professionnelle et familiale, la place des grands-parents etc…  Tous ces sujets sont traités avec doigté, par petites touches. Jamais l’auteur n’en fait trop. Il reste respectueux de tout ce qu’il évoque et j’ai trouvé le « dosage » parfait.

J’ai adoré l’intervention d’Enzo (page 247), j’avais envie de lui caresser la tête en lui disant « bon chien, c’est bien, tu es super… » c’est vous dire que sa personnification est complète, on le « voit »….

C’est doux, c’est magique, c’est un pur moment de bonheur, une lecture hors du temps, pas mièvre, qui met le sourire aux lèvres, un peu les larmes aux yeux et qui rend heureux !

NB: Je ne sais pas encore si j'irai voir le film....

"Little Bird" de Craig Johnson (The Cold Dish)


Little Bird (The Cold Dish)
Auteur : Craig Johnson
Traduit de l’américain par  Sophie Aslanides
Éditions : Gallmeister (7 Juin 2009)
ISBN : 978-2-35178-025-1
430 pages

Quatrième de couverture

Dans le comté d’Absaroka, dans le Wyoming, on retrouve le corps de Cody Pritchard près de la réserve cheyenne. Deux années auparavant, Cody avait été l’un des quatre adolescents condamnés avec sursis pour le viol d’une jeune Indienne, Melissa Little Bird. Jugement qui avait avivé les tensions entre les deux communautés. Aujourd’hui, il semblerait que quelqu’un cherche à se venger. Le shérif Walt Longmire est chargé de l’enquête.

Mon avis

« Personne ne peut se faire un gilet pare-balle contre les émotions, alors, on ne peut que trimbaler les éclats d’obus avec soi. »

Premier volet d’une série où l’on retrouve le shérif Walt Longmire, je sais déjà que je serai heureuse de relire Craig Johnson.

Non pas que son héros, veuf, m’ait complètement séduite. Il est un tantinet bedonnant, il boit (trop) de bières, il n’essaie pas de lutter contre une certaine « nostalgie/déprime » et son côté asocial et « je-ne-vois-pas-où-est-le-problème » m’a parfois un peu exaspérée tant j’avais envie de le secouer… Il n’en reste pas moins que cet homme est formidablement humain, et que l’amitié n’est pas un vain mot pour lui (le passage où il va récupérer Henry est un pur délice de poésie, de sentiments forts).
Au-delà des faits qui sont racontés dans ce roman, on est dans une atmosphère particulière évoquée avec beaucoup de délicatesse, de finesse, de lyrisme par l’auteur.
On vit avec les protagonistes dans les grands espaces du Wioming, où se côtoient deux communautés : une indienne, une « américaine », sachant que les premiers sont logés dans la « réserve ».
Pas facile de vivre avec ses différences et lorsqu’une indienne juvénile, légèrement déficiente mentale, sera violée par quatre jeunes « cow boys », ils n’auront pas une grosse peine…Jusqu’au jour où l’un d’eux est retrouvé mort, tué par balle…
Accident de chasse, vengeance tardive ? Notre shérif se retrouve confronté à un beau sac de nœuds, d’autant plus que, s’il s’avère que c’est un assassinat, les suspects peuvent être nombreux, à commencer par son très bon ami Henry, oncle de la jeune fille et indien….

Il ne s’agit pas d’un de ces romans où les rebondissements sont légion et où le lecteur n’a pas un instant de répit. C’est d’une écriture sereine et calme, au faux rythme, que l’auteur nous fait avancer avec Walt Longmire.

Installant les personnages, tant physiquement que moralement, mettant au point les différentes relations entre eux (et qui sont pour la plupart assez subtiles), décrivant sans lourdeur, avec minutie, et sans jamais lasser les lieux évoqués, paysages, bureaux, saloons ou autres …. Craig Johnson nous fait pénétrer à petits pas dans l’univers où ses personnages évoluent.
Le froid et le blizzard semble figer tout cela avant un dernier rebondissement qui laissera sans doute pantois ceux qui auront la sagesse ( ce qui n’est pas mon cas ;- ) de ne pas lire la fin…

J’ai beaucoup aimé ce roman, tout d’abord, parce que, depuis toujours, j’ai un faible pour les indiens, leurs croyances, leurs mœurs et que ces sujets sont abordés dans ce livre ; ensuite parce que l’enquête tient la route ainsi que les différentes situations décrites mais aussi et surtout parce que le style et l’écriture de l’auteur sont « accomplis » dans le sens où il me semble que les mots sont choisis avec l’intelligence du cœur surtout lorsqu’il parle d’événements douloureux. On ne se sent jamais en position de voyeur, d’observateur…il y a un « je ne sais quoi » qui donne l’impression que les individus nous prennent par la main (et sans aucun doute par le cœur) pour nous faire partager, au long des quelques pages qui constituent cet écrit, non seulement leur quotidien, leurs pensées mais aussi un peu de leur âme…
Comme pour certains, elle est tourmentée, on se prend à espérer trouver des mots, des gestes, des signes, pour les apaiser …

Lorsqu’on referme la dernière page, on reste encore un peu, le livre en mains pour ne pas les abandonner puis quand on le repose, on le fait doucement, très doucement, comme si on s’en voulait de les laisser, comme s’il fallait éviter les mouvements brusques et se retirer sans faire de bruit ….

"Un prisonnier modèle" de Paul Cleave (Joe Victim)


Un prisonnier modèle (Joe Victim)
La suite de : « Un employé modèle »
Auteur : Paul Cleave
Traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Patrice Pointeau
Éditions : Sonatine (11 Février 2016)
ISBN : 978-2355843358
576 pages

Quatrième de couverture

Joe Middleton s'est tiré une balle dans la tête. Par malheur, il s'est raté et a atterri à l'hôpital, escorté par une horde de policiers qui se demandent déjà s'ils n'auraient pas mieux fait de l'achever discrètement. Peut-être en effet auraient-ils dû.
Un an plus tard, Joe est toujours derrière les barreaux d'un quartier de très haute sécurité, accusé d'une série de meurtres plus horribles les uns que les autres. En attendant son procès, qui doit s'ouvrir quelques jours plus tard, il s'apitoie sur les vicissitudes de sa vie de détenu et tente encore de se faire passer pour un simple d'esprit auprès des différents experts en psychiatrie.

Mon avis

Une intelligence perverse….

Ceux qui connaissent Joe, que nous pourrions appeler « Joe-le-caméléon » savent combien il sait s’adapter au public, aux circonstances, aux lieux, aux personnes ….. En fonction de la situation, il peut être Joe-l-optimiste, Joe-le-lent ou tout autre Joe qu’il jugera utile de « produire » pour manipuler un maximum de ceux qui le côtoient….

Dans ce livre où nous le retrouvons en prison, mais persuadé qu’il va sortir, nous redécouvrons son esprit pervers, son intelligence particulière. C’est sans doute une des questions que se poseront nombre de lecteurs : quels sont les caractéristiques de l’intellect de cet homme ? Jusqu’à quel point maîtrise-t-il ce qui se déroule et comment l’induit-il ? Carl Schroder, un ancien policier, qui a longtemps été « lié » à ce tueur, est probablement une des personnes qui le connaît le mieux et son but va être d’anticiper, de se mettre à la place pour imaginer les raisonnements de Joe et de Mélissa (amie intime de ce dernier) afin d’enrayer une évasion ou une fuite. Pas facile quand vous ne faites plus partie de la « maison et que les collègues enquêteurs n’apprécient pas trop ce que vous êtes devenu …. Il faut pourtant essayer encore et encore, conseiller, observer et tenter de garder un contact du côté des pros (et de l’autre également) pour faire avancer les choses. Carl est donc sans cesse sur le fil, conscient de flirter avec l’illégalité, mais se justifiant intérieurement en se disant qu’il n’existe peut-être pas d’autres solutions….

Alternant les chapitres où Joe s’exprime à la première personne avec ceux écrits en mode narratif, l’auteur nous entraîne dans de nombreux débats. Comment trouver la paix lorsqu’un des vôtres a été sauvagement exécuté et quels choix faire pour continuer à vivre, la nécessité ou pas du maintien de la peine de mort, quels accords accepter avec des êtres dangereux et dans quels buts ? Je ne suis pas certaine qu’il y ait des réponses franches et directes et je ne pense pas, non plus, que chacun a ses propres solutions, tout cela dépend de tant d’éléments… Paul Cleave en nous mettant sous les yeux, par bribes, le passé difficile de Joe, le rendrait presque (j’ai écrit « presque» hein ?) humain et on aurait presque (oui presque…) envie de lui trouver des excuses. C’est un jeu de dupes (ou pas) dans lequel l’écrivain excelle….et c’est d’autant plus intéressant pour le lecteur balancé d’une ambivalence à l’autre en permanence….

Le scénario est tordu mais bien pensé et le couple infernal a souvent une longueur d’avance sur les bien pensants… L’écriture de l’auteur, qui n’hésite jamais à utiliser l’humour noir, vous fait rire (parfois jaune) malgré la gravité des faits. Lorsque Joe se comporte comme un amnésique, un tantinet niais, il fait preuve d’une grande maîtrise et parallèlement, certaines de ses réactions nous exposent qu’il n’est pas en phase avec la réalité. Le style est fluide, tout s’enchaîne sans longueur et les rappels du passé ne sont pas trop lourds et permettent d’établir un rapport avec le présent (pour ceux qui ne feuilletteraient pas les deux opus à la suite).

C’est un roman noir car tout ne se passe pas toujours comme il le faudrait, ou comme on le souhaiterait….. Et puis, c’est terrible ce qui se passe mais …ce côté décalé et jubilatoire d’humour noir, de ce pauvre Joe-qui-ne-se souvient-de-rien-et-qui-n’a-peut-être-rien-fait-et-qu’on-accuse-à-tort……et bien tout cela est très ironique et tourne en dérision une part de notre environnement, que ce soit le système judiciaire, les médias ou les hommes qui se veulent honnêtes tout simplement…..



"Chiens de sang" de Karine Giebel


Chiens de sang
Auteur : Karine Giebel
Éditions : Fleuve éditions (13 novembre 2008)
ISBN : 978-2266207980
305 pages

Quatrième de couverture

Courir, toujours plus vite. Plus loin.
Fuir la mort qui plane au-dessus d'eux ;
oiseau de proie aux ailes gigantesques
dont l'ombre les dévore déjà.
Diane a choisi la fuite. D'instinct.
Elle sait qu'ils sont derrière. Juste derrière….


Mon avis

Pour ce livre, Karine Giebel réitère dans une histoire sordide, une écriture rapide, des scènes violentes, des chapitres courts et des événements qui s’enchaînent très vite, laissant le lecteur pantelant …

Deux histoires parallèles (qui malheureusement ne se rejoindront jamais et c’est bien dommage…) permettant d’aborder à travers la folie des hommes des thèmes tels la solidarité, l’exclusion, les erreurs de vie et leurs répercussions, les choix bons ou mauvais …

Les deux personnages principaux ont eu le tort de se trouver, sans l’avoir voulu bien entendu, au mauvais endroit au mauvais moment … Cela va modifier le cours de leur vie, les obliger à aller jusqu’au bout d’eux-mêmes ….
Le regard de Rémy sera transformé par ses rencontres …
Diane trouvera dans son épreuve l’occasion de revenir sur sa vie …
Karine Giebel sait parfaitement écrire pour prendre le lecteur aux tripes.
Phrases courtes, rythmées, parfois un mot. Peur. Douleur. Souffrance.
Parfois un verbe. Essayer encore. Pour assassiner.
Des articles supprimés pour prendre les mots plus vite en pleine face.
Des chapitres courts passant d’une histoire à l’autre.
Des questions qui interpellent le lecteur, qui l’obligent à ressentir de l’empathie pour ceux qui souffrent dans le roman.
Parce qu’il faut le savoir, avec Karine Giebel, on va loin dans les situations, loin dans la souffrance humaine et on y va très vite, dès les premières pages …

Ceux qui la liront pour la première fois seront emballés par ce roman, sans temps mort, rapide, concis, qu’on ne peut pas lâcher, et évoquant des sujets d’actualité (les survolant seulement….)

Ceux qui, comme moi, ne la liront pas pour la première fois, resteront, peut-être, un peu sur leur faim.

N’abuse-t-elle pas de ce type d’écriture qu’elle maîtrise très bien maintenant ?
Les problèmes d’actualité sont effleurés, c’est sans doute un choix pour que le contenu reste percutant mais de ce fait, qu’apporte la lecture, en dehors du fait de penser « Mon Dieu, quelle horreur, où va-t-elle chercher ça ? » et de passer une soirée à lire en oubliant tout le reste (oui, oui, je vous entends …. je suis d’accord, c’est déjà pas mal…. mais …. )
On sait peu de choses des protagonistes dans l’ensemble. Il aurait pu être intéressant d’en découvrir un peu plus, même si certains éléments nous sont dévoilés.

En conclusion, un livre à lire loin d’un autre Karine Giebel (prendre le temps d’oublier un peu le livre précédent du même auteur) pour ne pas être déçu, pour ne pas sentir de lassitude et donner toute sa chance au contenu de nous faire frémir (ce qui finalement est un des buts ….)

"Lovita broie ses couleurs" de Nicole Giroud


Lovita broie ses couleurs
Auteur : Nicole Giroud
Éditions : Plumitive Éditions (24 Mars 2014)
ISBN : 979-10-93327-00-6
177 pages

Quatrième de couverture

Comment s’en sortir dans la vie quand on a des cartes pourries mais un physique ravageur, une totale absence de scrupules et qu’on peint des tableaux qui troublent les hommes ? En exploitant les autres, les hommes bien sûr mais aussi Martha l’agent artistique obèse tombée en amour devant la peinture de Lovita et de son fils de huit ans, Martin.

Mon avis

« Votre âme partira sans doute en couleurs et votre fils aura une palette ineffable devant les yeux. »

Trois femmes : Lovita l’artiste, Martha son agent, amie qui aide au quotidien, la psy et Martin le fils de Lovita ...
Huis clos de femmes hormis le bambin…
Lovita est une écorchée vive, qui se cherche, qui broie les couleurs car le blanc lui pourrit la vie… Il n’y a que son atelier qui a l’air vivant car coloré, le reste est blanc et vide …
C’est une de ces femmes a la personnalité troublée et troublante, une femme qui dérange par son art….
« Ma main court toute seule, ma main est la messagère de toutes les femmes du passé, mais j’ai le pouvoir de l’artiste, ce que je fais est bien loin de la compulsion volontaire. »
Bien « qu’handicapée » des sentiments, Lovita aime son fils, mal ou bien, le lecteur ne doit pas se poser en juge car il ne sait pas tout, ou alors il hésite : où se trouve la frontière entre le vrai et le faux ? Entre ce que Lovita a réellement vécu ou totalement inventé ?

L’art de Lovita prend de la place, dans ses tableaux elle transmet ses colères, ses questions, sa révolte, elle choque volontairement car pour elle c’est le seul moyen d’exister. Il faudra qu’elle apprivoise sa relation avec son enfant pour exister autrement, pour elle-même, par elle-même et non pas par oeuvres interposées…..

Long cheminement fait de hauts de bas, de passages chez la psy pour garder son fils où elle essaie de donner le change, Lovita forte et fragile à la fois entraîne le lecteur sur les chemins de la vie qui n’est jamais simple….

L’écriture de Nicole Giroud est forte, elle est ponctuée de nombreux dialogues, parfois secs, comme autant de coups de massue reçus par ceux qui gravitent autour de Lovita, qu’ils soient in ou off…. Elle nous interroge sur la place d’un partenaire, d’un enfant, de la famille, dans la vie d’un artiste, sur ce qu’est l’inspiration, sur les limites de la bienséance dans l’art (est-ce que tout est permis au nom de l’art ?)….

Les réponses sont entre les lignes et appartiennent à chacun mais il est intéressant de s’approprier ce livre pour entrevoir comment l’auteur introduit ces sujets…..
Couleurs….douleurs….il n’y a qu’une lettre de différence….

"En moi le venin" de Philippe Hauret


En moi le venin
Auteur : Philippe Hauret
Éditions : Jigal (17 Septembre 2019)
ISBN : 978-2377220816
232 pages

Quatrième de couverture

Suite à un événement tragique, l’ancien lieutenant de police Franck Mattis se voit contraint de retourner sur les terres de son enfance. Il y retrouve d’anciens camarades de lycée. Franck Mattis se voit plongé au cœur d’un monde qu’il ne connaît que trop bien, celui de la nuit, de la violence, du mensonge et de la désespérance. Une fois encore, il lui faudra lutter contre ses propres démons, et qui sait, peut-être enfin trouver la paix…

Mon avis

Au bout de la nuit

Désabusé, déçu, Franck Mattis a laissé son boulot dans la police. Sa vie est maintenant faite de rien, il traîne sa misère dans des cafés avec des compagnons de beuverie…Un jour, un appel, sa mère est décédée. Il se rend sur place, et s’aperçoit que quelques jours plus tôt, son père est mort également. Il s’installe dans le vieil appartement de ses parents, dans la ville de sa jeunesse… Comme il n’a pas grand-chose à faire, il renoue avec d’anciennes connaissances. Esther lui plaît toujours autant, Ben, son vieux pote qui est autoentrepreneur semble bien seul, Valéry dirige une boîte de nuit assez torride, Maxence brigue la mairie…. Ils ne sont plus ni collégiens, ni lycéens, chacun a évolué, différemment, et les liens qui se (re) créent n’ont pas la même force. Les adultes qu’ils sont devenus analysent ce qu’ils vivent et beaucoup d’entre eux espèrent profiter au maximum de toutes les opportunités…. Le temps a passé et a laissé des traces. Les caractères de chaque protagoniste sont bien campés, certains nous paraissent rapidement imbuvables, d’autres laissent entrevoir une part d’humanité…. J’ai apprécié d’avoir quelques aspects de chacun lorsqu’ils étaient adolescents, cela permet de voir leur évolution….

Franck va rapidement se trouver à faire le chauffeur garde du corps pour le candidat à la mairie. Cela lui permet d’être avec Esther et d’approcher le monde de la nuit, dans le club de Valéry. Peut-on dire que son instinct de flic se réveille ou tout simplement que sa morale le titille ? Toujours est-il qu’il n’aime pas trop ce qu’il pense percevoir : l’exploitation sexuelle de très jeunes filles ….. Va-t-il s’en mêler alors que son nouveau patron a ses entrées dans ce lieu nocturne branché ? Qu’a-t-il à y gagner ? Probablement des ennuis et pas des moindres….

Bien sûr, il n’y a pas que cet aspect dans l’histoire, parfaitement maîtrisée par l’auteur. Il nous fait découvrir dans ce roman sombre, la part obscure de certains individus. Celle qui ne demande qu’à surgir lorsqu’ils s’imaginent être les plus forts, et avoir raison. Celle qui peut rester tapie mais qu’une étincelle peut allumer…. Violence, noirceur, tout est parfaitement présenté, très réaliste malheureusement. Par petites touches, avec des mots qui font mouche, Philippe Hauret écorche notre société et ceux qui parlent trop ou mal ou pas assez. Il évoque les EHPAD où le manque de moyens est criant, les programmes électoraux emplis de promesses qui ne sont jamais tenues, la solitude des hommes ou des femmes, les mères célibataires, la drogue, l’appât du gain, etc….

Une fois qu’on est entré dans ce récit, on ne le lâche plus, on essaie de s’accrocher à la petite lueur d’espérance qu’on a perçue dans toute cette noirceur, dans la solitude des uns et des autres. On se dit qu’il faut continuer de croire en l’homme car certains peuvent être bons, ou le devenir par la magie d’une rencontre.

Le rythme ne faiblit pas dans ce recueil, il y a de l’action, du mouvement. L’atmosphère est lourde de sens. L’écriture fluide rend toutes les scènes très visuelles en captivant le lecteur. Cette lecture m’a beaucoup interpellée car il faut bien reconnaître que l’auteur n’invente rien. Il présente plusieurs aspects de l’argent facile, des tentations qui peuvent pourrir des vies et pour lesquelles parfois, les autorités ferment les yeux…. C’est percutant, la désespérance est présente en filigrane, tout le temps ….  mais au bout de la nuit comme disait Eluard, il y a toujours – je cite-
un cœur généreux,
une main tendue,
une main ouverte,
des yeux attentifs,
une vie : la vie à se partager.