"Moïra" de John C. Patrick


Moïra    
Auteur : John C. Patrick       
Editions : Kyklos (Décembre 2013 )           
ISBN : 978 2 918406 34 1               
427 pages

Quatrième de couverture

1955. Un homme politique influent confie à Philippe Reuben, ancien Jedburgh, capitaine dans une unité parachutiste en Indochine, la tâche de démasquer les responsables d'une filière de prostitution située en Afrique du Nord alimentant des maisons closes clandestines en métropole.  Ebranlé dans ses convictions profondes du fait de ses liens étroits avec les services secrets, confronté aux événements tragiques de la guerre d'Algérie, sa traque le conduira jusqu'à Dallas lors d'une journée funeste de novembre 1963.

Mon avis

« La fin sera triste, et le présent est à la hauteur… »*

Vous connaissez « les trois singes de la sagesse » ? « Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire » ? C’est parfois beaucoup plus simple de faire comme si…. Âmes sensibles s’abstenir, John C. Patrick frappe fort et nous décille les yeux….et ça fait mal….

C’est sur une dizaine d’années (de 1955 à 1964) que le roman « Moïra » (le destin, celui qu’on ne choisit pas) se déroule, avec une intrigue complète dans laquelle nous entraîne John C. Patrick. On suit Philippe Reuben, un ancien Jedburgh d’Indochine, qui se fait enrôler pour mener à bien une enquête sur un réseau de prostitution de jeunes filles enlevées, séquestrées et envoyées dans différents lieux. Cette recherche sera le fil conducteur permettant de revisiter l’Histoire (avec un H majuscule) de cette période. En effet, Reuben (personnage fictif) entretient des liens étroits avec les services secrets, l’armée et certains groupes politiques. Cela permet d’aller à la rencontre de tout un panel d’êtres réels ou fictifs. L’auteur a, sans doute, réalisé un vrai travail de documentaliste avant de se lancer dans l’écriture. Il a exhumé des faits dont on parle moins, d’autres connus, avec des personnages publics. Introduisant habilement ce qu’il a inventé dans un réseau global de situations historiques, John C. Patrick captive le lecteur avec une écriture fluide, mais complète et très informée. Si on n’est pas historien (ou intéressé par le passé), les découvertes sont nombreuses et on se prend à vouloir en savoir plus et à faire des recherches. Le vrai et l’imaginaire sont habilement mêlés sans perturber celui ou celle qui lit. Les actes dont il parle sont loin de faire partie des connaissances de tout un chacun et on se demande combien de non-dits contient notre Histoire. C’est tellement plus facile de faire comme les trois singes…..

On redécouvre l’Algérie des années 50 et 60, la bataille d’Alger, les opposants au pouvoir algérien mais pas seulement, cela n’est que le point de départ….. Il n’y a pas de bons et de méchants, il y a surtout des hommes (et quelques femmes mais peu) durs, coriaces. La plupart avec une part d’ombre et de fragilité mais il faut gratter longtemps pour la trouver. Rien n’est lisse, les faits sont rudes, violents parfois, nous obligeant à ôter les mains qui couvraient notre regard…. C’est un contexte sans illusion, presque sans espoir et puis …Marie-Pia, un pigeon voyageur, une chanson, un regard vers l’horizon nous permettent d’espérer en l’homme, de croire en d’autres possibles….

Le vocabulaire emprunté à l’armée ou à la politique utilise assez fréquemment de nombreux sigles (FM : fusil mitrailleur, ALN : Armée de libération nationale (qui luttait contre les français en Algérie) etc…mais ce n’est pas gênant. J’ai trouvé très bien fait que les périodes évoquées le soient sans jugement, sans parti pris. Les différents protagonistes échangent leurs opinions, notamment sur le rôle du Général de Gaulles mais ils se respectent la plupart du temps. La conversation entre Reuben et un de ses amis sur le mouvement d’émancipation des peuples colonisés est ouverte et intéressante. Espionnage, enquête, armée « Si l’armée intervient, elle perd son âme… », indépendants, civils, militaires, hommes et femmes passionnés, croyant en leurs idées, prêts à tout pour les faire vivre, se croisent, s’entrecroisent, se retrouvent, se perdent de vue mais toujours vivent sous nos yeux ….Tous ces individus sont « palpables », crédibles et s’intègrent parfaitement dans cette grande fresque historique. Quelquefois, une référence littéraire ou poétique aide à la compréhension du propos.

Avoir du plaisir de lecture peut de temps à autre être douloureux. C’est ce qu’il s’est passé avec cette œuvre magistrale, c’est un coup de cœur, un de ceux qui vous laisse pantelant, qui vous marque au fer rouge pour longtemps et qui ne vous laisse pas indemne…..

Attendez-vous à être bousculés, étonnés, surpris mais aussi scotchés aux pages ….
Les romanciers américains qui font dans le noir n’ont qu’à bien se tenir, il y a aussi du lourd sur le marché français…

* page 159 du livre

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