Dans les coulisses du musée (Behind the scenes at the
museum)
Auteur : Kate Atkinson
Traduit de l’anglais par Jean Bourdier
Éditions : Christian Bourgois (2 Mai 2024)
ISBN : 978-2267048711
528 pages
Quatrième de couverture
Dès sa conception, une nuit de 1951, la petite Ruby Lennox a
senti qu’on se serait bien passé d’elle… Ce qui ne l’empêche pas de nous
raconter, avec un humour et une lucidité féroces, l’histoire des siens – une
famille anglaise moyenne, mais tout sauf ordinaire, dont notre jeune narratrice
est bien décidée à dévoiler les secrets.
Mon avis
Dès les premières lignes, le ton est donné, Ruby se moque d’elle-même
avec dérision et humour. Elle se raconte dès sa conception, alors que personne
ne sait qu’elle est là, nichée au chaud dans l’utérus maternel, jusqu’à l’âge
adulte. Elle observe sa famille, une famille -presque-ordinaire, avec une
acuité pertinente. En tant que fœtus elle a accès aux pensées de sa génitrice
et c’est amusant. Une fois née, elle garde cet « œil extérieur ».
Elle porte un regard acéré sur tous ceux qui gravitent autour
d’elle, d’abord avec les yeux d’un bébé, puis d’une fillette qui va devenir
adolescente puis femme. Le vocabulaire et les réflexions évoluent avec sa
maturité. Il y a quelques annexes, alors écrites par un narrateur indépendant, qui
reviennent sur des faits. La plupart du temps, c’est comme une caméra qui
balaie les différentes situations et qui complète ce que Ruby a pu oublier ou
qu’elle ignorait. C’est vraiment très bien pensé !
Pa son approche mordante, elle explore les relations avec sa
mère, son père, ses sœurs etc. Sans être totalement dysfonctionnels, les liens sont
un peu atypiques. Le père est un coureur, les frangines sont dans leur monde ….La
maman a du mal à se positionner, aime-t-elle ses enfants ou se sent-elle
obligée de leur procurer un peu d’attention ? La tendresse, l’amour, le
dialogue, l’écoute, le partage ; n’en parlons pas…. Elle est parfois
maladroite, brusque, avec ses filles.
« Elle est toujours impatiente de nous en faire
sortir le matin, tirant brutalement les rideaux et nous extirpant de nos draps
bien chauds avec une hâte très proche du sadisme. »
L’histoire commence en 1951 et s’étale jusqu’en 1992 mais
avec les retours en arrière, on aura des informations sur des événements ponctuels
pendant les deux guerres mondiales et forcément ce qui en a découlé pour les
personnages qu’on connaît. Au fil des pages, quelques non-dits apparaissent et
on n’est pas au bout de nos surprises ! La principale révélation en fin d’ouvrage
mériterait qu’on relise tout pour relier ce qui aurait pu nous mettre la puce à
l’oreille.
Ce qui est assez jubilatoire c’est que Ruby donne le
sentiment de savoir plein de choses sur les autres (les rêves de sa mère,
comment se sont rencontrées certaines personnes…) alors qu’elle n’a pas les
éléments en main. C’est un peu comme si elle « planait » au-dessus de
tout le monde en analysant tout et en ayant accès à ce qui les concerne.
J’ai énormément apprécié ce roman. Ce n’est pas une saga familiale
ordinaire. La construction, l’écriture, les remarques piquantes de Ruby font
toute la différence. Le texte est à la fois jubilatoire, pétillant, émouvant,
plein de nuances. J’ai été totalement conquise par l’écriture (merci au
traducteur) qui nous prend à témoin de certaines scènes. Et je ne résiste pas à
partager une anecdote.
Exceptionnellement, Ruby est seule responsable du magasin de
ses parents où l’on vend, entre autres produits pharmaceutiques, des
préservatifs, pliés dans du papier d’emballage marron pour plus de discrétion.
Mais certains ne veulent pas acheter ce genre de choses à une gamine de
quatorze ans…
« Quand certains clients foncent dans la Boutique,
ils s’arrêtent net en me voyant et leur regard se porte soudain sur le premier
article à portée de leur main. Ils ressortent, déconfits et déçus, avec un
paquet de pansements adhésifs ou une paire de ciseaux à ongles. Je suis ainsi
probablement responsable de bien des grossesses non désirées. »
Je me suis attachée à Ruby, elle porte une certaine forme de
culpabilité, ne se sent pas toujours « reconnue » et ça crée un malaise
en elle. Elle essaie d’avancer, elle a quelques fois des attitudes qui ne sont
pas dans la « norme » mais lui a-t-on expliqué ? Elle a
globalement été souvent abandonnée, comme un vilain petit canard au milieu d’une
nichée (qu’on voudrait) de cygnes….
Ce livre, premier titre de l’auteur, publié, en 1995 était
indisponible depuis 2020. Il aurait été dommage qu’il ne soit pas réédité tant
c’est un petit bijou littéraire.
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