"Et ils revêtirent leurs fourrures d’aiguilles" de Zuzana Říhová (Cestou špendlíků nebo jehel)

 

Et ils revêtirent leurs fourrures d’aiguilles (Cestou špendlíků nebo jehel)
Auteur : Zuzana Říhová
Traduit du tchèque par Benoît Meunier
Éditions ‏ : ‎ Seuil (29 Mars 2024)
ISBN : 978-2021518818
338 pages

Quatrième de couverture

Bohumil, Bohumila et leur fils ont quitté Prague pour sauver leur couple. Mais les habitants du village reculé où ils ont choisi de s’installer ne leur font pas bon accueil. Les regards en biais, les mensonges et les coutumes obscures trahissent une hostilité persistante. Chaque nuit, dans les bois épais qui entourent la maison où vit la famille praguoise, une présence rôde. Est-ce un loup ? Un des villageois ? Un jeu macabre se met en place dans la moiteur étouffante de l’été. Puis, lors d’une fête arrosée, tout va basculer.

Mon avis

Un couple quitte Prague avec leur fils pour s’installer à la campagne. Une façon pour eux de redémarrer, de donner un nouvel élan à leur union. Leur garçon (qui ne sera jamais nommé) souffre d’une déficience légère. Il aime les histoires de loup, les contes. Il les « revisite » à sa manière, découpe, colle, dessine, trace …. Leur maison, près d’un village, est isolée, mal placée, et semble habitée par un sombre passé.

Dès le début, on sent poindre une forme de méfiance, voire d’hostilité, de la part des villageois. Ils ne semblent pas franchement honnêtes, droits dans leurs baskets, ni heureux de voir arriver des « étrangers ». On sent tout de suite que rien ne sera facile pour Bohumil et Bohumila. Déjà que c’est compliqué entre eux et avec leur gosse, si l’environnement n’aide pas et devient presque hostile, arriveront-ils à s’en sortir, à inverser le cours des événements ? On le comprend à demi-mots, tous, dans ce coin perdu, se surveillent, et regardent dans le même sens seulement lorsqu’il s’agit de « zieuter » ces deux nouveaux qui ont débarqué avec un gamin bizarre.

Ce roman est une expérience de lecture singulière, totalement atypique. De temps en temps, des extraits de contes, de chants, de comptines nous emmènent dans un univers onirique parallèle, mais lié au récit par des métaphores, elles-mêmes rattachées aux faits décrits.

« Mais, même ici, la sueur leur sourd des oreilles pour disparaître comme un lézard effrayé derrière les cols sales de leurs chemises. »

On oscille entre réalité déformée et chimères plus ou moins stressantes. C’est presqu’indescriptible mais tellement bien pensé ! L’écriture est précise, les mots choisis (et ça là qu’on réalise l’importance d’un excellent traducteur, merci à Benoît Meunier !) pour exprimer toute une palette d’émotions, de ressentis. L’horreur peut côtoyer le beau ou le partage mais dans quel monde est-on ? Celui où les gens sont réellement ce qu’ils montrent ou un autre où ils se jouent des autres comme dans un livre d’enfant ?

Nombreux sont ceux qui ont tremblé en lisant Perrault, puis à l’âge adulte, des thrillers pour se faire peur et se rassurer en même temps. Les deux parents sont au milieu d’une de ces aventures. Dans ce texte, une ironie mordante peut succéder à une douceur déroutante. Il faut accepter d’être un peu bousculé par cet écrit où le rationnel n’existe pas, où, malgré tout, on se prend à espérer que les gens de la ville de Prague retrouvent un équilibre, un quotidien apaisé alors qu’on sait dès le départ que leurs chances sont infimes, quasi inexistantes.

La couverture nous met déjà dans une atmosphère particulière. On ne peut pas ignorer qu’on va rentrer dans une « autre dimension ». Zuzana Říhová a un style indéfinissable, ça gratte, ça pique, comme le décor décrit, ça dérange, ça interroge mais c’est inoubliable.

J’ai forcément pensé à la phrase : « L’homme est un loup pour l’homme ». Bohumil et Bohumila ne s’aiment plus, alors ont-ils besoin de souffrir pour ressentir quelque chose et se sentir vivants ?

C’est une lecture exigeante, peu ordinaire mais je ne regrette en rien ma découverte !


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