Souvenirs du rivage des morts
Auteur : Michaël Prazan
Éditions : Payot & Rivages (8 Septembre 2021)
ISBN : 978-2-7436-5369-9
370 pages
Quatrième de couverture
M. Mizuno coule une retraite heureuse après une vie sans
histoire. Du moins c’est l’image qu’il s’applique à donner. Car son vrai nom
est Yasukazu Sanso, ancien activiste de l’Armée
rouge japonaise ayant déjà tué, et de sang-froid. La rencontre fortuite, à
Bangkok, avec un vieux camarade va déclencher la mécanique implacable du
souvenir. Comment, en quête d’idéal, s’est-il laissé embrigader dans les
mouvements universitaires des années 1960 ?
Mon avis
C’est un grand-père paisible, veuf depuis peu. Il passe
quelques jours de vacances dans un hôtel luxueux avec ses petits-enfants et sa
belle-fille, Hiromi. Il n’a pas une grosse retraite mais son fils, qui a bien
réussi, paie le séjour. D’ailleurs, ce dernier rejoindra les siens bientôt. Ce
papy, Monsieur Mizuno, profite de sa famille, des agréables moments passés avec
les petits, apprenant à nager à l’un, racontant des histoires, « tricotant »
des souvenirs, se reposant aussi ….
Et puis un regard et tout bascule…. Un regard ce n’est rien
pourtant, mais celui-ci va faire office de grain de sable dans la belle
mécanique bien huilée de sa vie. Pourquoi ? La personne dont il croise les
yeux est un allemand, connu il y a longtemps dans un passé qu’il a voulu
oublier, soigneusement enfoui au plus profond de lui.
Un regard et tout change. Les cauchemars reviennent, les
nuits agitées se réinstallent, la peur lui noue les tripes, il perd la maîtrise.
Il tremble. Et si ce qu’il a construit année après année s’écroulait ? Quel avenir aurait-il ? Il essaie
de se faire discret, de ne plus y penser. C’est peine perdue. Les réminiscences
remontent, violentes, encombrantes, effrayantes, douloureuses. Elles l’envahissent,
le submergent et le laissent vidé, défait… Mais pourquoi ? En plus, Hiromi
semble se poser des questions….
Cet homme, dont le véritable nom est Yasukazu Sanso, a été combattant
de l’Armée rouge japonaise. Qu’est-ce qui l’a conduit à faire ce choix, lui qui
était parti étudier à Tokyo ? Qu’est-ce qui pousse un être humain à
commettre l’irréparable, à devenir une machine de guerre ? Comment Yasukazu
s’est-il construit ? Quelles ont été ses décisions ? En quoi
ont-elles influencé le cours de son existence ? Aurait-il pu faire
autrement ?
C’est avec une plume d’une qualité indéniable que Michaël
Prazan nous présente le passé et le présent de cet aïeul. Trois jours pour ici
et maintenant, plusieurs années (de 1968 à 1974) pour « l’avant Monsieur
Mizuno ». On découvre le cheminement de l’étudiant, les raisons qui l’ont
poussé à faire sien les combats des activistes de l’Armée Rouge. Monsieur
Mizuno est attachant, il semble fragile, fatigué, on s’interroge sur ce qu’il
va devenir. En retournant en arrière, le lecteur découvre ce qui a été vécu
dans différents lieux du monde (je ne veux pas en dire trop). C’est parfois
très dur, et lorsqu’on sait que ça a existé, c’est encore pire.
Remarquablement documenté, (en fin d’ouvrage l’auteur a
écrit une note complémentaire), ce récit globalement véridique fait froid dans
le dos. C’est âpre, terrible, dur. C’est la folie des hommes dont il est
quasiment impossible de sortir indemne. Monsieur Mizuno vit avec ce fardeau sur
les épaules. Pendant quarante ans, il a réussi à vivre avec, non sans peine, et
puis un regard a tout déséquilibré.
L’écriture de l’auteur est puissante. Les phrases courtes,
parfois sans verbe, résonnent en nous. Comme les bruits qui accompagnent
certains actes et qui hantent le vieillard. Ils rythment le récit, comme autant
de coups de poings reçus pour ne pas oublier, pour ne pas faire « comme si »
…. Ce recueil est passionnant, intéressant, il tient le lecteur en haleine sur
les deux aspects qu’il présente.
Cette lecture m’a secouée car elle m’a fait connaître des
faits que j’ignorais et qui interrogent sur l’homme et ses dérives. Je ne
connaissais pas cet auteur et je suis admirative du travail de recherches qu’il
a dû effectuer. De plus, tout sonne juste, nous interpelle, et nous captive. C’est
un ouvrage à lire absolument !
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