Le temps des faussaires (Wagfall’s Erbe)
Auteur : Bettina Wohlfarth
Traduit de l’allemand par Elisabeth Landes
Éditions : Liana Levi (6 Avril 2023)
ISBN : 979-1034907656
378 pages
Quatrième de couverture
Viktor ici, Isidor là. Deux rôles différents. Une double
identité, forgée dans les années trente à Stuttgart, puis lors d’une parenthèse
enchantée à Paris, en 1936. C’est là qu’Isidor, le jeune amateur d’art,
l’amoureux, le copiste de talent s’est épanoui. Pourtant, c’est Viktor, en fils
obéissant, qui a été rappelé en Allemagne pour faire son service. Exit Isidor!
Mais un peu plus tard, il revient à Paris. Il reprend ses habits de peintre et
sa fausse identité, pour mener une véritable et dangereuse double vie…
Mon avis
Bettina Wohlfarth est née en Allemagne en 1963, puis en 1990
elle s’est installée à Paris. Elle est journaliste freelance. Le temps des
faussaires est son premier roman (paru en 2019 dans son pays d’origine). Elle y
étudie le parcours d’un homme, passionné de peinture entre France et Allemagne,
avant et pendant la seconde guerre mondiale.
Viktor Wagfall aime l’art, en particulier la peinture depuis
tout petit. Pas forcément pour créer mais plutôt pour le plaisir de reproduire
des œuvres existantes. Non pas qu’il ait zéro imagination mais l’essentiel de
sa motivation réside dans la compréhension de la genèse du tableau afin de
cerner son histoire, sa toile de support, ses composants, et tout ce qui en
fait « un original ». Si une fois « la copie » créée, on ne
distingue plus le faux du vrai, c’est une réussite. La pigmentation, le
vieillissement, l’élaboration ont été parfaits et l’artiste a su exploiter ses
connaissances, les compléter si besoin pour parvenir à ses fins. Quel
intérêt ? L’adrénaline, ce sentiment de puissance qui s’apparente à une
drogue et dont on ne peut plus se passer. Et Viktor, dans ces cas-là devient Isidor
Sweig. Ce dernier brosse quelques copies pour un marchand d’art de Stuttgart puis
il part s’installer à Paris où il mène une double vie.
Le falsificateur agit le plus souvent, à la demande. Arrivé
dans la capitale française il a fait des rencontres déterminantes pour lui.
Amour, amitié, il veut tout vivre à fond mais c’est difficile car il est
écartelé entre ses deux visages.
Travaillant dans les chemins de fer, à une place tout à fait
neutre et honorable, Viktor peut renseigner Isidor. Il observe et exploite ce
qu’il peut, jouant sur plusieurs tableaux. Il y a une certaine ambivalence dans
sa personnalité, et c’est ce qui sera difficile pour sa fille lorsqu’elle
découvrira ce qu’il avait caché.
Ce livre alterne deux entrées. Les cahiers du faussaire qui
se livre, explique sa vie, ses choix, ses déboires, ses doutes, ses besoins,
son mal être parfois. Et les recherches de Karolin, sa fille photographe, qui
fouille, après avoir découvert les carnets paternels. À l’aide de clichés
décrits en quelques lignes, elle veut cerner qui était vraiment son père et
développe ses réflexions. Ces investigations sont déstabilisantes pour elle,
car ce n’est pas l’image qu’elle avait de lui. Mêlant habilement son intrigue à
un riche contexte historique (avec des personnages ayant existé), l’auteur
revient sur des faits graves, à savoir le trafic d’œuvres d’art et la
spoliation des biens juifs.
Ce récit est intéressant pour la place qu’il donne à la
peinture. De nombreux commentaires sur des toiles sont proposés au lecteur.
Chacun s’emparera de ce qu’il souhaite. Bettina Wohlfarth s’est documentée sur
la contrefaçon et le vol de patrimoine dans les années 30-40, cela se sent et
donne du poids à son propos.
L’écriture est complète, argumentée. Le style est fluide. L’aspect
psychologique est approfondi, travaillé pour montrer toute la complexité de l’esprit
du faussaire, son ambiguïté. Sa fille se sent de plus en plus proche en faisant
connaissance avec lui par l’intermédiaire des cahiers qu’il a laissés. Mais
elle aurait sans doute préféré en parler directement…
En lisant ce livre, je me suis plusieurs fois interrogée sur
les questions qu’il soulève. Jusqu’où est allée la spoliation des juifs? Qu’en
est-il du marché de l’art sous l’Occupation?
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