"Voir plus loin" d'Esther Kinsky (Weither sehen)


Auteur : Esther Kinsky
Traduit de l’allemand par Cécile Wajsbrot
Éditions : Christian Bourgois (3 Octobre 2024)
ISBN : 9782267047851
226 pages

Quatrième de couverture

La narratrice de Voir plus loin voyage en Hongrie. Dans une petite localité au sud-est du pays, désertée par une partie de sa population, elle est frappée par la mélancolie qui émane du lieu. Plus encore, elle est fascinée par le « Mozi », l’ancienne salle de cinéma qui fut jadis au centre de la vie collective, l’endroit vers lequel les rêves des habitants convergeaient du temps du rideau de fer, lorsque nul autre voyage n’était possible. La passionnée de cinéma en elle est saisie par la magie du lieu, et elle se met alors en tête de le réhabiliter…

Mon avis

Aller au cinéma dilate le temps et le monde, le cinéma reste un endroit magique.

Rentrer dans la salle, choisir sa place (centrée ou pas ? dans les premiers rangs ou au fond?), s’asseoir, attendre que l’éclairage diminue et entrer dans un autre univers pour rêver, pleurer, avoir peur, s’évader etc … Seulement les images sur grand écran, on peut difficilement faire autre chose et le rapport à ce qu’on a sous les yeux n’est pas le même que lorsqu’on est chez soi. Les différences ? Un vrai public, un espace plus grand, un lieu dédié.

Pourtant, il arrive que des cinémas disparaissent …. Dans ce livre, la narratrice est en Hongrie, dans une petite ville ayant perdu de nombreux habitants. De ce fait, le cinéma a été abandonné mais en passant près de l’endroit où il était, elle ressent sa présence, son histoire et un projet fou lui vient à en tête. Lui redonner une existence, le remettre en état, le faire revivre et briller afin d’offrir aux spectateurs l’occasion de « Voir plus loin »… Au milieu du vide et du silence, le son et les vidéos pourraient revenir…

Avec ce livre, Esther Kinsky explore la place du cinéma dans notre vie, dans nos mémoires (ah, mes premiers films de Disney vus avec ma Maman, les premiers baisers dans la pénombre, Autant en emporte le vent sur grand écran avec toute une salle qui vibre des mêmes émotions) …. c’est autre chose qu’un DVD et une télévision.

Raconter les rencontres, la démarche de la reconstruction, c’est l’occasion pour l’auteur de s’interroger sur notre rapport à ce qu’on voit, à notre perception du monde, à notre lien aux autres ….

« Où porter le regard ?
Dans la vision, il y a deux aspects : ce qu’on voit et comment on voit. »

C’est avec une écriture (merci à la traductrice) poétique et aboutie qu’elle nous entraîne à sa suite.

« […] même si la fin était difficile à supporter. Pas en raison de l’histoire mais simplement parce que le film était terminé, parce qu’on ne pouvait plus voir plus loin, parce que le regard sur un ailleurs, depuis la fenêtre, se refermait. »

Au départ la narratrice n’agit pas, elle fait des repères, laisse les idées venir à elle, se demandant s’il faut se lancer dans cette aventure. Elle questionne, parle, va et revient et puis un jour « Veux-tu acheter le cinéma ? »
Faut-il se lancer là-dedans ? Pourquoi a-t-il été fermé ? (ce sera l’occasion d’un retour en arrière et pour le lecteur de découvrir celui qui avait lancé cette salle). C’est aussi la possibilité de réfléchir au pourquoi et au comment du déclin de ce lieu qui rassemblait …. et qui n’est plus utilisé.

Le récit est à la première personne et je me demande jusqu’où Esther Kinsky a mis d’elle dans son texte. J’ai lu que c’était une excellente cinéphile, ce qui explique qu’elle s’exprime si bien sur ce sujet. Son style est teinté de mélancolie, empli de délicatesse, elle raconte ceux qui ont aidé, donné de leur temps, de leur énergie pour arriver à l’objectif final. Mais une fois atteint, que se passera-t-il ?

En explorant ce thème avec de belles et profondes réflexions, l’auteur nous offre un recueil étonnant, surprenant, captivant, intéressant portant un message puissant.  

 

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