Le Glouton (The Glutton)
Auteur : A. K. Blakemore
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Francoise Adelstain
Éditions : Globe (16 Janvier 2025)
ISBN : 978-2383613428
384 pages
Quatrième de couverture
Sœur Perpétue doit veiller sur un patient à propos duquel
courent de glaçantes rumeurs. En proie à une faim dévorante et insatiable,
Tarare aurait englouti toutes sortes d’objets et de créatures, mortes comme
vivantes. Celui qui fut un jour un petit garçon candide au grand cœur a croisé,
sur les routes d’une France en pleine Révolution, des hommes qui n’ont pas
hésité à instrumentaliser son formidable appétit pour leur propre profit ou par
curiosité malsaine. Attaché à son lit et sous haute surveillance telle une bête
dangereuse, Tarare confie son histoire à la jeune nonne.
Mon avis
L’histoire du Glouton, appelé Tarare (comme le village du
même nom dans la région), est inspirée d’une personne réelle, ayant vécu près
de Lyon.
Le récit nous le fait découvrir sur son lit d’hôpital alors
que Sœur Perpétue veille sur lui. Il accepte de se confier à elle et revient
sur son passé. Né en 1772, il grandit avec sa mère dans des conditions
misérables puis il doit fuir. Il est un peu naïf, fait confiance trop facilement
et certains profitent de lui. D’autant plus qu’un peu comme une personne
atteinte de la maladie de Pica, il mange sans arrêt, tout et n’importe quoi,
même ce qui n’est pas mangeable pour le commun des mortels (il n’y a qu’à
regarder le dessin de couverture…) Il sait que ce besoin sera toujours présent
en lui et n’essaie pas de lutter.
« Tarare comprend que désormais son existence ne
sera qu’un manque implacable, irrémédiable. Une éternelle souffrance. »
Alors quand il fait de nouvelles connaissances, lorsqu’il
arrive dans un lieu où il est un inconnu, il attire l’attention et presque une
forme de convoitise, non pas que certains rêvent d’être comme lui, mais plutôt
dans l’idée de profiter de sa différence et de l’exploiter …
Maintenant qu’il arrive à la fin de sa route, menotté et
couché, il a sans doute besoin d’expulser tout ce qu’il a vécu, ingéré. Comme
si ce trop plein de nourriture accumulé tout au long de sa vie devait sortir…
alors il parle, parle et la religieuse écoute.
« Il veut être écouté, se décharger de son fardeau d’une
certaine manière. »
Le lecteur, médusé, attiré par ce parcours de vie hors du
commun dévore (je vous rassure, au sens figuré) les pages. Ce n’est pas une
attirance de mauvais goût, ce n’est pas de la pitié pour celui qui ne rentre
pas dans la norme, c’est une fascination pour l’ambiance et l’écriture.
Ce texte transgressif devrait, pourrait, déranger mais il n’en
est rien. Sans aucun doute parce que Amy Katrina Blakemore est une poétesse, qu’elle
aime les mots et que ses phrases rendent Tarare attachant. C’est un homme
simple qui n’a pas fait exprès d’être toujours affamé, de faire des rencontres qui
ne l’aident pas. On réalise que si cette envie de manger n’était pas aussi
présente, il aurait pu avoir une vie plus agréable, plus saine.
L’auteur a une écriture (merci à la traductrice) riche,
imagée, avec des pointes d’humour. Elle décrit très bien les relations
humaines, cet écart entre le dégoût et la fascination que Tarare provoque. Le
vocabulaire est adapté et en lien avec la période évoquée. Les activités, le
décor, la vie quotidienne sont également bien en rapport avec l’époque où se
déroulent les faits. Dans cette France révolutionnaire, quelle peut être la
place d’un homme comme Tarare ? Bête de foire, paria, tête de turc ? À
travers cette « fable » qui le présente, tous les rejetés, les laissés
pour compte, les mal aimés, tous ceux et celles, dont on oublie qu’ils sont
humains parce qu’ils nous mettent mal à l’aise, se glissent entre les lignes
pour nous rappeler le droit à la différence.
Lu d’une traite, ce livre original est une totale réussite.
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