Les choses que nous avons vues (Wat wij zagen)
Auteur : Hanna Bervoets
Traduit du néerlandais (Pays6bas) par Noëlle Michel
Éditions : Le bruit du monde (3 Mars 2022)
ISBN : 978-2493206039
160 pages
Quatrième de couverture
Kailegh a appartenu à la cohorte de modérateurs de contenu
chargés de veiller sur les images et les textes qui circulent sur le web. Sur
un ton froid et désabusé, la jeune femme répond par courrier interposé à
l'avocat qui lui a proposé de participer à une action collective contre la
plateforme Internet qui l'employait. En dépit de la somme de vidéos barbares et
de commentaires haineux qui lui a été infligée le temps de ce travail précaire,
elle refuse de se joindre à ses anciens collègues, mais souhaite raconter ce
qui l'a personnellement traumatisée sur les lieux de ce travail.
Mon avis
Dans ce court mais percutant roman, rédigé après de
nombreuses recherches au niveau documentation, l’auteur nous montre l’envers du
décor, les difficultés à rester dans le réel lorsque vous passez vos journées à
visionner des images qui circulent sur le net.
Kayleigh est une jeune femme qui
a besoin de travailler. Elle est engagée comme modératrice pour une plateforme
internet, elle finira par arrêter. Sous la forme d’une longue lettre, d’un
monologue, cette femme blessée, presque détruite explique à un avocat pourquoi
elle ne participera pas à l’action collective contre son ancien patron.
Personne ne l’ignore, il y a des employés qui sont payés
(j’ai vu un reportage sur ce sujet) pour « modérer » à longueur de
journées les publications sur les réseaux sociaux. Un métier comme un
autre ? Non, pas du tout. C’est beaucoup plus difficile. Celui ou celle
qui examine les photos ou vidéos, voire textes, reçoit en pleine face,
quotidiennement, de la violence, des horreurs et il-elle doit faire le tri. Sur
quels critères ? Comment être certain qu’il ne s’agit pas d’une mise en
scène destinée à provoquer, une fake news (fausse information), une représentation
d’une théorie du complot basé sur du vide ? Cet aspect est déjà ardu, mais
il y a également les horaires compliqués, l’ambiance de travail lourde avec
tout ce qui est mis en place pour éviter les fuites, les pauses presque
inexistantes, le rendement obligatoire… Par-dessus tout, le plus grave est
qu’il n’y a aucun garde-fou, pas de « protection mentale ». Encore
moins de lieu d’échange, style « analyse de la pratique » où les salariés
pourraient évacuer, en toute confiance, ce qui les a choqués, bouleversés, et
ainsi prendre du recul.
Malgré tout, Kayleigh a tissé des liens au sein de
l’entreprise, elle s’est fait des amis mais tout cela n’est-il pas terriblement
superficiel ? Et lorsqu’elle décide de dire stop, la question récurrente, de
ceux qu’elle rencontre, est « Qu’avez-vous vu ? ». Beaucoup se
disent qu’il vaut mieux ne pas savoir mais ils la questionnent malgré tout. Intérêt ?
Curiosité morbide, de mauvais goût ? Cela montre l’impact des informations
visuelles sur nos ressentis. Comment décider de ce qui est visible ou
pas ? Où se situe la limite, la censure ? Qu’en est-il de la
sensibilité de chacun ? Nos pensées sont-elles influencées par ce qu’on
voit sur les écrans ? Un exemple est donné dans ce livre, d’une réalité
qui se déforme (lorsque des ouvriers sont sur le toit de l’immeuble en face). Kayleigh
va-t-elle réussir à se reconstruire ? Retrouvera-t-elle la réalité, quels
seront les dégâts psychologiques ?
De nombreux thèmes, en dehors de ceux que j’ai cités, sont
abordés dans ce récit. L’auteur les évoque avec une écriture sobre, précise (merci
à la traductrice). Tout est à la première personne puisque c’est Kayleigh qui
s’exprime. On découvre comment la jeune femme qui se raconte a évolué, ce que
ses fréquentations ou son activité professionnelle ont apporté sur son devenir.
On sent son mal être et sa solitude face à ce qu’elle vit. Les règles sont
dures, comme il est interdit d’en parler, c’est très difficile pour elle.
Et la question principale se pose : comment un monde
« virtuel » peut-il être à ce point destructeur ? Ce recueil
nous ouvre les yeux et nous incite à la prudence face à tout ce qui circule,
même si, dans l’ombre, des modérateurs veillent, souvent dans des conditions de
travail déplorables….
Je trouve très subtil que cet opus soit édité, en France par
une maison s’appelant « Le bruit du monde » comme si elle donnait la
parole à ceux qui, dans le monde, ont des choses à dire sur ce qu’ils -elles
ont vu…..pour que nous les entendions …..
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