"Les saisons" de Maurice Pons

 

Les saisons
Auteur : Maurice Pons
Éditions : Christian Bourgois (7 Mars 2024)
ISBN : 978-2267049282
272 pages

Quatrième de couverture

Un jour du seizième mois de l’automne, Siméon arrive dans une vallée perdue où se succèdent inlassablement deux saisons ― une de pluie et une de gel bleu ― et où seules les lentilles parviennent à germer. En pleine saison pourrie, cet étranger qui se déclare écrivain cherche à prendre place dans la communauté qui y vit, vaille que vaille. Isolé au milieu de ces habitants aux moeurs mystérieuses, Siméon affronte une hostilité grandissante…

Mon avis

Ce livre est indéfinissable, fascinant par son histoire, son phrasé, ses événements qui peuvent tour à tour vous dégoûter, vous surprendre, vous donner de l’espoir. Il ne laissera personne indifférent. Il a été publié la première fois en 1965.

Le récit se déroule dans un pays où les saisons sont rudes (après des mois de pluie, le gel peut rester présent trente à quarante mois), longues ; où la nature est difficile à maîtriser ; où la nourriture est rare et les occupations également….. Un homme, qui a beaucoup souffert, arrive dans un village au milieu de nulle part. Il veut s’installer quelque temps pour écrire. Les habitants, peu nombreux, sont soupçonneux et envoie les douaniers enquêter. Il arrive malgré tout à s’installer, dans des conditions précaires, chez une veuve qui tient ce qu’on pourrait appeler une auberge (mais elle ne ressemble en rien à un tel lieu).

Il pleut, tout le monde est hostile mais notre homme espère être avec son crayon, ses feuilles et les remplir. C’est son but et il le dit : « Je suis venu pour partager avec vous le pain des mots et le vin de la phrase ». (Oui, il y a quelques allusions à la Bible). Il essaie de surmonter chaque obstacle, d’avancer son projet mais toujours quelque chose se met en travers. L’auteur nous parle de la condition d’écrivain, des maux et des mots de ceux qui veulent transmettre, par un livre, un message, raconter une vie, des vies….

Un narrateur extérieur, parlant à la première personne et interpelant de temps à autre le lecteur, présente le quotidien de cet étranger, Siméon, qui a osé débarquer et surtout rester là alors qu’il n’est pas franchement le bienvenu. Il croit qu’on s’habitue à lui mais ce n’est pas si simple… Il fait tout pour apporter un peu de lumière, de chaleur, de printemps avec ce qu’il tente de transmettre.

La galerie de personnages est très riche, tous ont un petit côté burlesque qui s’explique par ce qu’on apprend sur eux, sur les traditions de ce coin du monde atypique, sur les relations que les gens entretiennent ou pas.

J’ai pensé à Kafka et « La métamorphose », un recueil inclassable lui aussi mais d’une force extraordinaire. Ce sont des textes qui restent dans notre mémoire, même des années plus tard. J’ai pensé à la cour des miracles et puis j’ai compris : « Les saisons » c’est incomparable.

C’est tendre, loufoque, décalé, hypnotisant. Maurice Pons a une écriture riche au vocabulaire soigné, aux tournures de phrases travaillées. La poésie est là même quand il décrit des moments plus ardus. C’est un sacré contraste d’utiliser un style qui magnifie chaque terme pour parler de la laideur (celle des autochtones, celle du paysage, celle des faits…..) J’ai été ébahi de la puissance de ce petit bouquin !

Rédiger ce texte a dû être aussi une prise de risque. Comment peut réagir un éditeur le découvrant la première fois ? Pense-t-il que l’originalité, la beauté du libellé, et tout ce qui fait l’unicité de cette rédaction, emporteront les lecteurs dans un univers qu’ils n’oublieront jamais, entre réel et imaginaire ?

C’est mon cas. Dire que j’aurais pu passer à côté de cette œuvre magistrale et ne jamais la lire ! Je ne l’oublierai pas !


"Le chat du rocher - Tome 3: Fatale Mona Lisa" d'Alice Quinn et Sandra Nelson

 

Fatale Mona Lisa
Auteurs : Sandra Nelson & Alice Quinn
Éditions : Alliage afnil (25 mars 2024)
ISBN : 978-2369100713
205 pages

Quatrième de couverture

Et si la Joconde, au Louvre, était une … copie ?
Que feriez-vous si un charmant italien prétendant posséder le chef-d’œuvre de
Léonard de Vinci, vous sollicitait pour le restituer au célèbre musée ?
Vous le traiteriez de cinglé et l’enverriez consulter un bon psy.
Mais pour Calypso Finn, ex-actrice de telenovelas reconvertie en brocanteuse,
rien n’est impossible.
À peine accepte-elle sa mission qu’elle est témoin d’un meurtre. Quant au
tableau, il s’est volatilisé.

Mon avis

Calypso est de retour !

Vous ne la connaissez pas ? C’est l’occasion de la rencontrer. Ancienne actrice, elle a quitté le Brésil car elle n’était plus la priorité du réalisateur, son ex-mari. Elle s’est installée sur le Rocher, où elle aide sa tante Peggy à tenir son magasin (une brocante). Pendant ses années de comédienne, elle était Zézé Pinta, une détective amateur, plutôt dégourdie. D’ailleurs cet ancien rôle l’a aidé à éclaircir des histoires et à donner un coup de main au vrai policier, le commissaire Vadim. On se demande si elle n’en pince pas pour lui mais bon… Elle est devenue assez copine avec Poker, un chat très futé qui observe et qui la guide lorsqu’il comprend qu’elle n’a pas su déceler ce qui va lui permettre d’avancer. Comme il ne parle pas, il prend des initiatives quitte à renverser un vase, cracher ou courir dans tous les sens !

Une fois encore, il y a meurtre et Caly ne peut pas s’empêcher de se mettre son joli nez et son magnifique chapeau orange un peu partout pour démêler le vrai du faux. Le vrai du faux ? c’est tout à fait ça ! Figurez-vous que la Joconde ne serait qu’une imitation fabuleuse et tellement bien réussie que même les experts n’ont rien vu. Je vous vois venir ! Qu’ont inventé les deux autrices ? Et bien, je ne dirai rien. Mais sachez que vous allez découvrir quelques éléments historiques intéressants dont un assez récent (en 2016 à Aix en Provence) tous en lien avec la peinture et l’art. On apprend même comment s’y prennent les faussaires pour faire plus vrai. C’est dire si Alice Quinn et Sandra Nelson se sont documentés avant d’écrire. Ce cosy mystery est donc bien étoffé et travaillé en profondeur.

C’est très plaisant à lire, d’abord parce qu’il y a régulièrement des pointes d’humour lorsque Calypso « entend » la voix de Zézé Pinta, son double de l’écran télé, qui lui suggère des idées surtout dans les situations délicates. Caly s’appuie également sur ce qu’elle faisait pendant la série et qui lui a apporté de l’expérience (pour crocheter une serrure par exemple). Et puis Poker, prend le lecteur en aparté avec ses réflexions bien senties. Ajouter à ça des protagonistes et une intrigue qui tiennent la route, quelques recettes qui mettent l’eau à la bouche et vous saurez pourquoi il faut se plonger dans cette lecture !

Mais Caly, parfois accompagnée de ses copines, est quelques fois trop impulsive et elle se retrouve confrontée à des événements qu’elle doit gérer avec doigté. À elle de ne pas se laisser déborder par ses émotions.

C’est un roman captivant, avec du rythme, un récit bien construit où on ne sent jamais de différence de style bien qu’il soit rédigé par deux écrivaines distinctes. J’ai particulièrement apprécié de voir l’évolution des personnages que je « suis » depuis le début, d’apprendre des anecdotes sur l’art, de suivre Caly (et Poker) dans une nouvelle aventure sans temps mort!


"La maison aux sortilèges" d'Emilia Hart (Weyward)

 

La maison aux sortilèges (Weyward)
Auteur : Emilia Hart
Traduit de l’anglais par Alice Delarbre
Éditions : Les  Escales (28 Septembre 2023)
ISBN : 9782365697002
450 pages

Quatrième de couverture

2019. Kate fuit Londres pour se réfugier dans une maison délabrée dont elle a hérité.
1942. Alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage, Violet est cloîtrée dans le grand domaine familial, étouffée par les conventions sociales. Elle vit avec le souvenir de sa mère, dont il ne lui reste qu'un mystérieux médaillon et une inscription étrange sur le mur de sa chambre.
1619. Altha connaît les secrets des plantes, savoir ancestral transmis de mère en fille. Pourtant, quand un fermier meurt piétiné par son troupeau, tous la pointent du doigt et l'accusent de sorcellerie.

Mon avis

Une journée aura été suffisante pour lire ce premier roman. Dans la lignée d’une Kate Morton, Emilia Hart a réussi haut la main son récit.

Trois magnifiques portraits de femmes sur trois périodes différentes. Elles sont reliées de près ou de loin par leur famille mais ne se connaîtront pas vraiment. C’est à travers différents écrits que le lien se fera. Le lecteur, lui, aura les détails de ces trois vies exceptionnelles.

Exceptionnelles car toutes ont dû se battre pour s’accomplir, faire ce qu’elles voulaient, choisir, face à des hommes qui entendaient dicter leur loi.

Et à aucun moment ce n’est simple car ils peuvent être pervers, retors, manipulateurs, dominateurs, sous couvert de « faire ce qui est le mieux pour toi ».

En 1619, connaître les plantes et faire mieux parfois qu’un médecin pouvait être dangereux. C’est vite fait d’être accusé de sorcellerie. C’est ce qui arrive à Altha qui a hérité du don de sa mère.

Violet, elle, en 1942, est une jeune fille passionnée de nature, d’insectes, d’animaux mais son père souhaite une demoiselle bien rangée, capable de sortir en société.

Quant à Kate, elle va « s’éteindre » par amour avant de comprendre que ce n’est pas ce sentiment qui est le plus fort dans son couple.

Nous passons de l’une à l’autre au gré des chapitres (leur nom au début donc on sait tout de suite de qui on parle). Chaque époque est présentée avec un contexte historique suffisant pour cerner les événements. Le caractère des protagonistes est précis et permet de comprendre les relations qui s’établissent.

L’écriture est fluide (merci à la traductrice), prenante, on est vite au cœur de l’histoire et on se prend d’affection pour ces trois femmes. On ne veut pas, plus, les voir souffrir, on les accompagne, on serre les poings à leurs côtés.

J’ai trouvé cet opus captivant, parfaitement construit. L’auteur maîtrise à merveille chaque individu pour créer des fils tendus entre eux. Elle a dû réfléchir avant de se lancer et tout est agencé sans fausse note. Bravo !


"La petite fille sur le pont" d'Isabelle Chaumard

 

La petite fille sur le pont
Auteur : Isabelle Chaumard
Éditions :  Independently published (25 mars 2024)
ISBN : 9798884293342
144 pages

Quatrième de couverture

Plongée dans le coma après un accident de voiture, une petite fille bascule en pleine seconde guerre mondiale. Dans un village occupé par les Allemands, elle découvre la noirceur des hommes. Son regard candide posé sur la période immerge le lecteur dans un univers naïf qui se révèle de plus en plus âpre.

Mon avis

S’inspirant de ce que sa mère, Michelle (avec deux ailes) a vécu pendant la seconde guerre mondiale (elle avait six ans en 1943), Isabelle Chaumard a rédigé un récit délicat et original.

Suite à un accident de voiture, une petite fille est plongée dans le coma. Entre rêve et réalité, elle est projetée dans un petit village de l’Ain, occupé par les allemands pendant la guerre. Elle réalise qu’elle est ainsi confrontée à l’horreur de cette période. Son esprit, resté dans le présent, se rappelle des cours d’histoire de son enseignante, des souvenirs de sa grand-mère (d’ailleurs n’est-ce pas elle qu’elle rencontre dans ce passé douloureux ?). Seule une fillette la voit et elle peut tisser un lien avec elle, malgré les difficultés.

Elle souhaite revenir dans son quotidien tranquille sans voir les souffrances, en oubliant tout ce qui est dur à observer, à vivre. Son principal problème, c’est qu’elle « sait ». Elle connaît l’issue pour les enfants juifs entre autres…

Dans son roman, écrit « à hauteur d’enfant », l’auteur souligne avec finesse les silences, les non-dits pour préserver les plus jeunes qui, malgré tout, comprennent, sentent ….et se posent de nombreuses questions.

L’écriture et le style sont plaisants, il y a toujours un peu d’action, des événements qui font avancer l’histoire de cette famille et de cette petite « invitée ».  J’ai beaucoup aimé les personnages dont certains sont très attachants.

On sent que ce texte a été rédigé après lecture d’un fonds documentaire important. Avec acuité, Isabelle Chaumard décrit les traumatismes, les actions mises en place, les « bêtises » des gosses qui veulent agir (et c’est beau…). Chacun, à son niveau, a des ressentis, des peurs, des émois et fait de son mieux.

Loin de ses écrits habituels, Isabelle Chaumard a su, d’une façon indirecte, rendre hommage à sa Maman. C’est un livre qui peut être lu avec des collégiens pour leur donner accès à l’histoire de notre pays par l’intermédiaire de mots qui leur parleront et les toucheront au cœur et à la tête.


"Sable noir" de Cristina Cassar Scalia (Sabbia nera)

 

Sable noir (Sabbia nera)
Auteur : Cristina Cassar Scalia
Traduit de l’italien par Laura Brignon
Éditions : L’Archipel (14 Mars 2024)
ISBN : 978-2809847383
380 pages

Quatrième de couverture

Le corps momifié d'une femme est retrouvé dans une villa sur les pentes de l'Etna, alors que le volcan répand une pluie de cendres noires sur toute la région. L'enquête est confiée à la commissaire Vanina Guarrasi qui, après trois années passées à Milan, est revenue dans sa Sicile natale diriger la brigade criminelle de Catane. Depuis un demi-siècle, la villa est quasiment à l'abandon, et découvrir l'identité de la victime – avant celle de l'assassin – va se révéler délicat.

Mon avis

Catane, une ville de Sicile. C’est l’été, il fait chaud, et l’Etna envoie de la cendre noire de partout. Les voitures en sont couvertes. La commissaire Giovanna Guarrasi, dite Vanina, a quitté Milan (on découvrira pourquoi) et est revenue dans ce coin où elle est née. Elle y dirige la brigade criminelle. Solitaire, elle vit dans le bourg de Santo Stefano, aime les vieux films italiens qu’elle regarde chez elle, se nourrit assez mal (malgré les efforts d’une gentille voisine), et semble hantée de temps à autre par des souvenirs douloureux. Elle a de bons adjoints, plutôt efficaces et s’il faut se mettre au boulot, tous sont prêts.

Alors qu’elle se prépare pour une soirée cinéma à la maison, Spanò, son collègue efficace, l’appelle. Un corps momifié a été trouvé dans le monte-charge inutilisé d’une villa. Qui ? Pourquoi ? Que s’est-il passé ? L’enquête promet d’être difficile car les faits datent forcément. Les recherches d’indices, d’ADN, ou autres, semblent déjà compromises. La demeure est en partie occupée par le neveu de la propriétaire mais pas du côté où a été retrouvée la morte (car il s’agit d’une femme). Les vêtements conservés correctement montrent qu’elle avait un certain niveau social. Le passe-plat fermant de l’extérieur, elle a dû être coincée là-dedans mais pourquoi n’a-t-elle pas appelé à l’aide ? Était-elle décédée avant d’être installée dans ce lieu ?

Le médecin légiste, les anciens du village, dont le commissaire retraité Patanè, quelques amis sûrs, vont apporter un peu d’aide, ou à défaut un autre éclairage sur cette situation pour le moins bizarre et surprenante. Vanina aura bien besoin de tout ce monde pour comprendre ce qu’il s’est passé.

Les investigations entraînent les policiers dans le passé. Vanina peut interroger quelques témoins de cette époque qui ont probablement connu la femme. Mais elle sent très vite qu’il y a rétention d’informations, qu’on ne lui dit pas tout. Il faudra ruser pour faire parler ces personnes, observer de vieux objets ou documents, recouper ce que lui souffle son instinct et ce qui est tangible.

Impliquant des habitants d’hier et d’aujourd’hui, ce récit est très intéressant. Il est situé en Sicile et les explications des mœurs, des habitudes, sont précises et amusantes…..

« Elle était arrivée en Sicile un peu plus d’un an auparavant. Elle s’était habituée à beaucoup de choses : les horaires flottants, les services inexistants ; elle avait appris à sortir avec des lunettes de soleil en plein hiver, […] »

De plus, comme Vanina mange souvent, les plats locaux sont souvent évoqués (on aurait presque pu nous mettre la liste et les recettes à la fin. C’est dire si on est dans l’atmosphère de cette histoire. Tout y est, l’Etna qui rejette le sable noir, la chaleur, le soleil éblouissant, les habitants taiseux, parfois pas très honnêtes, arrangeant la vérité à leur façon…ajouter à ça une commissaire attachante dans ses forces et sa fragilité, des personnages hauts en couleur, et vous avez une intrigue qui se tient.

L’écriture est plaisante (merci à la traductrice), les chapitres s’enchaînent et les rebondissements permettent de maintenir l’intérêt. Je pense que le « décor » est un atout pour « pimenter » la lecture. Cela m’a bien maintenu dans le contexte, c’est mieux car on s’imprègne plus du texte quand on « visualise » tout ce qui est décrit (et puis pour les spécialités culinaires, avoir uniquement la description, c’est pratique, on ne grossit pas ;- )

Un nouvel auteur à suivre !


"Fairyland" d'Alyssia Abbott (Fairyland)

Fairyland  (Fairyland)
Un poète homosexuel et sa fille à San Francisco dans les années 1970
Auteur : Alyssia Abbott
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard
Éditions : Globe (10/18) (7 Mars 2024)
ISBN :9782267049381
464 pages

Quatrième de couverture

1974. Après la mort de sa femme, Steve Abbott, écrivain et militant homosexuel, déménage à San Francisco. Avec sa fille de deux ans, Alysia, il s'installe dans le quartier de Haight-Ashbury, le centre névralgique de la culture hippie.

Mon avis

Ce récit aurait pu être écrit par le père de l’auteur mais il est décédé quand elle avait à peine vingt-deux ans. Des années plus tard, elle a repris les journaux intimes, les textes, les lettres de son Papa, ses souvenirs personnels, quelques photos, et elle s’est lancée. Dans ce livre, sur fond d’années sida pratiquement impossible à soigner, c’est l’amour, d’un père et de sa fille, accompagné d’un quotidien un peu bohème que le lecteur découvre. C’est représentatif d’une époque, d’un certain mode de vie, de choix le plus souvent assumés. C’est empli d’une forme de douce et tendre folie, de poésie.

Alyssia avait deux ans lorsque sa mère est morte. Son père décide alors de partir avec elle à San Francisco où il pense que ses penchants homosexuels seront plus faciles à assumer. La fillette le suit de locations (quand il paie) en hébergements chez des « amis ». Lui, ce qui le motive, c’est la poésie, c’est son moteur, son ambition. On ne s’improvise pas père alors il galère et sa gosse avec lui. La marginalité du paternel rejaillit sur elle et fait d’elle une marginale, les autres gamines la persécutent. Elle se tait, ça pourrait empirer. Elle sent, elle sait, que ce n’est pas la norme mais pas vraiment le choix.

« Il allait me falloir des années […] avant que je perçoive ma différence comme l’éclat désirable de la vie bohème »

Elle n’a pas « le rôle » d’une petite fille. Elle est la seule relation continue et stable de son paternel. Il fait tout pour elle et elle fait tout pour lui. Elle reçoit ses confidences, trop quelques fois, mais elle est là pour lui-même si ça lui pèse à certains moments.

Quand elle est jeune, elle le voit fréquenter des personnages atypiques, faire des soirées qui n’e finissent pas. Elle devrait être au lit et se retrouve sur le siège d’une voiture ou sur les genoux d’un copain. Elle ne dit rien. Inconsciemment, elle le protège par ses actes, par ses silences.

Plus tard, même quand ils sont un peu éloignés, jamais ils ne s’abandonnent. Parfois, elle se questionne sur sa mère, son attitude avant sa mort. Mais elle revient vite à celui qui remplit toute sa vie. Plus grande, elle s’éloigne, va vivre à Paris mais quand il appelle, elle vole à son secours.

Pas facile d’élever un enfant quand on essaie de se « nourrir » de la poésie, qu’on mène une vie bohème et qu’on souhaite assumer son homosexualité. C’est un sacré défi !

Au-delà de cette forte relation père / fille, l’auteur nous fait découvrir Sans Francisco en 1970/ 1980. Le sida qui fait son apparition et dont elle espère qu’il épargnera son père, les événements politiques, les soirées etc. Elle partage des anecdotes, des peurs, des espoirs, des coups de mou, des éclairs où tout paraît possible. Parfois, elle en a assez, elle veut dire non, stop, mais elle repart parce que le lien qui unit ces deux-là est tellement solide qu’il ne peut en être autrement.

Texte intime, intense, avec une écriture fine (merci au traducteur), Alyssia montre combien il lui a été difficile de se construire. Elle ne souligne pas les manquements de son père (même si le lecteur les lit), elle ne lui en veut sans doute pas mais on comprend bien que parfois elle était totalement déstabilisée, presque abandonnée, elle aurait pu être signalée aux services sociaux je pense. Mais à côté de ça, je crois que cette vie unique, indéfinissable l’a « forgée » et a fait d’elle la femme qu’elle est. Une écrivaine lucide qui nous offre un portrait de famille d’une authenticité bouleversante.

 

"Les entrailles de la nuit" de Marco Pianelli

 

Les entrailles de la nuit
Auteur : Marco Pianelli
Éditions : Plon (14 mars 2024)
ISBN : 9782259315814
290 pages

Quatrième de couverture

Lucie, huit ans et demi, vient d’être enlevée. Grâce à sa montre connectée, elle a pu donner l’alerte et le compte à rebours est lancé : dans vingt-quatre heures, les chances de la retrouver vivante seront moins qu’infimes… Le major Victor Tchaïev est dépêché sur place. Coriace et rugueux, il est spécialisé dans la résolution des crimes les plus complexes. Or, dans ce cas précis, il ne s’agit pas de confondre un criminel, mais de sauver une vie. Et plus l’enquête progresse, plus la vérité devient mirage. Car celui qui joue avec le sablier possède toujours un coup d’avance. Tchaïev va devoir affronter un maître dans l’art de manipuler les faits, les êtres et les esprits. S’il n’est pas déjà trop tard, comment arracher cette petite aux entrailles de la nuit ?

Mon avis

PRIX DU ROMAN DE LA GENDARMERIE NATIONALE 2024

En apnée, le souffle court, le cœur à cent à l’heure…. Dès les premières pages, j’ai été happée, presqu’incapable de poser ma lecture. Ce n’était pas envisageable. L’enquêteur l’avait dit : vingt-quatre heures pour retrouver la fillette, après c’est le plus souvent un échec.

Avec son écriture dynamique, puissante, avec ses puch lines, son style vif et un rythme rapide, l’auteur m’a pris dans ses rets. J’aime sa façon d’écrire, toujours en mouvement, sans temps mort.

Lucie, huit ans et demi a disparu, probablement enlevée. Par qui et pourquoi ? Elle a activé sa montre connectée et a ainsi alerté ses parents. La gendarmerie est prévenue et le major Victor Tchaïev est envoyé sur place, sur ordre du ministre qui connaît très bien la famille inquiète. On ne tarit pas d’éloges sur Victor qui a choisi de rester sur le terrain alors qu’il pourrait faire autre chose.

Lui, il a besoin de se confronter aux situations délicates, de chercher, de sentir l’adrénaline qui l’aide quand il est en danger. Derrière un bureau, ce n’est pas pareil, ça ne lui correspond pas, je suis sûre qu’il serait malheureux. Arrivé sur place, il collabore avec l’équipe de gendarmerie où tous les membres se mettent pratiquement à son service, prêts à l’aider, à le soutenir (ne serait-ce qu’en fournissant du café chaud), à lui expliquer la vie ici loin de la capitale, à l’accompagner dans sa réflexion et ses investigations.

En plus de toutes ces personnes motivées et à disposition, il a Pénélope dans l’ombre. Bras droit efficace, capable d’anticiper, de « sentir » ce que veut le major, une geek rapide, dégourdie, intuitive, une femme quoi ! Ce qui fait toute la différence, n’est-ce pas ? Ces deux-là communiquent à demi-mots, savent toujours où ils veulent aller et ce qu’il faut obtenir pour avancer.

La course contre la montre est engagée, Victor ne veut pas perdre. La caféine le maintiendra éveillé, sa volonté d’en découdre, de coincer le saligaud qui a fait ça, fera le reste. Victor c’est un homme brut de décoffrage, qui ne tergiverse pas, qui veut des résultats. Bougon mais attachant. Il exige de lui-même le maximum et les collègues doivent le suivre. Quand il s’exprime, on l’écoute, on agit et vite. C’est tout. Ses raisonnements sont « pointus » parce que son cerveau « scanne » ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il a analysé.

Dans chaque ligne, on sent l’urgence dans le phrasé. Les dialogues sont précis, ciblés, parfois teintés d’humour (et là d’un coup, on reprend sa respiration).

« -Je ne suis pas vraiment une anguille, major, plutôt un phacochère, faudrait pas que je reste coincé dans un terrier.
-Au moins, ça bouchera une sortie. »

Les scènes sont décrites avec des mots qui font mouche. On y est, on ressent l’atmosphère, on voit les lieux, on sent les odeurs qui envahissent les narines de Victor. Presque de la réalité virtuelle sans le casque, rien qu’en lisant, ça c’est fort !

« Sa superbe venait de faire faillite, le front offert à la sudation et la jambe droite remuant de manière épileptique, hurlaient le langage de la trouille. »

Marco Pianelli prend ses lecteurs en otage. Il sait bien qu’on ne lâchera pas le récit, qu’on voudra savoir, qu’on tremblera, que parfois un sourire pointera mais pas longtemps car l’angoisse, la peur, reprendront le dessus. On est comme Victor, on essaie de recouper les informations, de trouver un indice, et on est malheureux de ne pas y arriver.

C’est un roman qui a largement mérité le prix qu’il a reçu. L’intrigue est originale, réfléchie et elle met en avant plusieurs aspects du mensonge. Les personnages sont hauts en couleurs, « palpables »avec des caractères bien définis. Le contexte du kidnapping d’un enfant nous prend aux tripes et on aimerait intervenir. Voilà pour le fond. Quant à la forme…c’est une réussite, des chapitres courts, des phrases qui s’enchaînent et qui percutent et un Victor que je reverrai volontiers dans un prochain titre !