"Nulle autre voix" de Maïssa Bey


Nulle autre voix
Auteur : Maïssa Bey
Éditions : de l’Aube (23 Août 2018)
ISBN : 978-2-8159-3018-5
248 pages

Quatrième de couverture

Elle a tué un homme, son mari. Elle sort de prison, quinze ans après. Mais, après avoir purgé sa peine, a-elle vraiment retrouvé la liberté ? Être une femme en Algérie est déjà propice à l'enfermement et au silence. Être une femme condamnée pour avoir ôté la vie d'un homme est au-delà des mots. Une femme, qui se présente comme chercheuse, fait irruption dans sa vie. Jour après jour, par la force de la parole retrouvée, ces deux femmes que tout sépare vont à la rencontre l'une de l'autre.

Mon avis

Le visible et le caché *

Elle a tué pour se libérer ….mais qu’on ne compte pas sur elle pour demander qu’on la comprenne,  qu’on l’excuse, que son passé explique son acte, que sa condition de femme algérienne soumise soit une raison pour avoir agi ainsi… Non, elle se tait, accepte le verdict et part en prison… Quinze ans … quinze longues années avec peu ou pas de visites, à supporter la promiscuité, les conditions difficiles et à se taire toujours… Une lueur dans tout cela : elle est devenue « écrivain public » pour les autres détenues et l’écriture la libère un peu…. « Là-bas, dans la maison d’arrêt, l’écriture m’a sauvée »
Elle ? N’a-t-elle pas de prénom ?  Serait-elle devenue invisible ? « par l'acte que j'ai commis, j'ai effacé mon identité et le prénom que mes parents ont choisi pour moi le jour de ma naissance. »  C’est un peu cela, elle est devenue transparente. Revenue dans l’appartement où le crime a été commis, elle s’applique à ne pas déranger, sortant tôt le matin et ne bougeant plus de chez elle le reste de la journée. A-t-elle peur ? Est-elle angoissée au point de s’être construit « une nouvelle prison » ?

Un jour, une personne sonne à la porte. Une femme qui se dit « écrivaine » (revendique—t-elle la féminité de ce nom commun ? ) Elle souhaite écrire un roman inspiré de son histoire. De rencontres en rencontres, la meurtrière (car il faut bien l’appeler comme ça, non ?) se laisse apprivoiser, glissant ça et là des confidences supplémentaires.  Si,  au départ, elle a regretté d’avoir dit oui, maintenant c’est le contraire. Elle s’attache à cette femme qui, en lui rendant visite, la relie avec l’extérieur, elle guette et attend sa venue. Elle ressent, elle aussi, en miroir de cette situation, le besoin d’écrire. Alors, elle se met à rédiger des lettres pour celle qui l’interroge, des missives qui vont plus loin que leurs échanges, et qu’elle lui donnera peut-être un jour….  Elle se munie également de carnets et laisse glisser sa plume… C’est elle que nous lisons et qui dit « je »….
« Nos conversations me laissaient un goût d'inachevé. Je voulais aller plus loin. J'ai compris, en revenant à mes carnets chaque soir, que l'écriture libère bien plus que la parole. »

De nombreux thèmes sont abordés dans ce recueil, la place de la femme dans la société algérienne mais également dans le couple, la relation à la mère et aux enfants (parfois « programmés » pour être ce que les adultes pensent être le meilleur pour eux), le jugement de la famille, des voisins, les silences, les non-dits, le poids de tous les « bien pensants » qui croient avoir raison….

Maïssa Bey est la voix des femmes algériennes, c’est une femme engagée,  fondatrice et présidente de l’association de femmes « Paroles et écriture ». Elle ose écrire sur des sujets brûlants et le fait toujours avec intelligence  et acuité . Lorsque je regarde la couverture de ses romans, je retrouve son style d’expression et j’aime à penser qu’elle doit choisir les illustrations de ses livres. Si on observe la première page de « Nulle autre voix », on constate la luminosité derrière une silhouette sombre en mouvement, tourmentée, les pieds sont flous comme le visage, effacés ?  Et ce dessin colle tellement au récit, au phrasé qu’elle emploie que c’est déjà magnifique…. En lisant cet auteur, je retrouve exactement la même chose que dans cette image de première page : une écriture lumineuse, solaire avec des passages troublés, crus, puis d’autres emplis de poésie et un ensemble cohérent qui vous frappe au cœur de plein fouet. Les phrases sont souvent courtes, épurées, Maïssa Bey  retient les mots puis d’un coup les lâche alors ils prennent vie, si vite pour se faire une place, inventer leur propre chemin… et ils arrivent en saccades sur le papier…. C’est beau, c’est douloureux, c’est parfois plein de colère contenue, de « silences »que l’émotion pourrait étouffer, faire taire, mais l’auteur le dit elle-même : « Je me suis libérée au moment où j’ai commencé à écrire… » et elle le fait si bien ! Merci, Madame, d’avoir  pris la parole pour toutes celles qui ne l’ont pas, qui n’osent pas et qui grâce à vos écrits, existent et survivent ….

* « Le visible et le caché. Deux socles sur lesquels repose la société. Ce qui ne se voit pas n'existe pas et ne peut donc pas être répréhensible. » 

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