"Darktown" de Thomas Mullen (Darktown)


Darktown (Darktown)
Auteur : Thomas Mullen
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne-Marie Carrière
Éditions : Payot et Rivages (4 Mars 2020)
ISBN : 978-2743649821
480 pages

Quatrième de couverture
Atlanta, 1948. Répondant aux ordres d'en haut, le département de police d'Atlanta est forcé d'embaucher ses premiers officiers noirs. Mais dans l’Amérique de Jim Crow, un flic noir n'a pas le droit d'arrêter des suspects, de conduire des voitures de police ou de mettre les pieds dans les locaux de la police…

Mon avis

« Ne jamais montrer sa peur. »

Les lois Jim Crow en Amérique, vous connaissez ? C’est un ensemble d’arrêtés et de règlements promulgués généralement dans les États du Sud ou dans certaines de leurs municipalités, entre 1876 et 1965. Leur but ? Dire que les droits des hommes sont les mêmes tout en les distinguant selon leur appartenance raciale…..

Le roman se déroule en 1948, en Arizona. Les premiers policiers à peau noire ont été embauchés, ils sont huit. Relégués dans un sous-sol aux murs humides, sans voiture de fonction (contrairement aux « collègues » de race blanche), avec des horaires pourris, moins payés. Ils n’ont même pas le droit de rentrer par la porte principale du commissariat, encore moins de passer dans les locaux réservés aux blancs. Les tensions sont nombreuses entre les deux entités, pas de collaboration, on refile le sale boulot à ceux d’en bas, chaque rapport d’enquête qu’ils rendent, peut être falsifié, voire refusé ou non lu. Ils dérangent et une guerre d’usure est en place pour qu’ils démissionnent et s’ils résistent, les faire accuser de quelque chose pour qu’on n’entende plus parler d’eux. Et bien sûr, pour patrouiller, les quartiers sont délimités, on ne mélange pas ! Malheur au policier blanc qui pourrait dire que ce n’est pas juste en essayant de soutenir les blacks, il sera désavoué. Pourquoi tant de haine ? Le racisme est-il différent de nos jours ? Lorsqu’on voit les joueurs de football africains se faire huer sur certains terrains de foot… On peut se demander où est le respect de l’autre, même à notre époque et c’est très grave…...

Dans ce récit, qui est le premier d’une série de cinq, nous faisons connaissance avec deux policiers à peau noire. Lucius Boogs et Tommy Smith, des vétérans de guerre qui ont été embauchés pour faire « le quota » obligatoire d’employés de couleur dans la brigade. Une nuit, alors qu’ils sont en activité, ils assistent à une scène qui les dérange. Une jeune métisse, qui semble blessée, s’enfuit d’une voiture conduite par un blanc en infraction. Que faire ? Suivre la femme ou verbaliser ? Ils ont, entre autres consignes, l’ordre de ne pas se séparer. Ils décident de s’occuper de l’homme, mais la situation dégénère car c’est un blanc méprisant. Le lendemain, la demoiselle est retrouvée morte dans une décharge. Conclusion des chefs blancs ? Vous la devinez ? « On ne va pas mener d’enquête, on ne sait même pas de qui il s’agit. » Sauf que notre binôme et notamment Lucius ne l’entend pas de cette oreille. Et envers et contre tous, les deux équipiers vont combattre cette injustice, au péril de leur vie, ne lâchant rien. La difficulté principale est pour eux de ne pas se faire repérer, d’obtenir des informations fiables en instaurant un lien de confiance, de ne pas être dénoncés par ceux qu’ils rencontrent et d’obtenir des éclaircissements puis des réponses. Des personnes, plus ou moins dans l’ombre, deviendront leurs alliés, prouvant que quelques-uns ne cautionnent pas l’attitude générale.

La personnalité de ces deux coéquipiers est très intéressante et j’aurai plaisir à les retrouver puisqu’ils vont devenir des héros récurrents de l’auteur. Lucius vit encore chez ses parents, il est fils de pasteur, issu d’une bonne famille. Il a des valeurs et essaie de réfléchir avant d’agir. Tommy est beaucoup plus impulsif, rentre-dedans. Leur duo est très complémentaire, ils se motivent et s’équilibrent.

Ce livre m’a passionnée. Au-delà de l’enquête, qui n’est pas le point essentiel, c’est clairement le climat et les conditions de travail qui sont à découvrir. On réalise combien le racisme détruit les rapports humains, les rendant dangereux lorsque chacun campe sur ses positions sans écouter les autres. Quand je lis (page 156) que le « contact visuel inconvenant » est un chef d’accusation officiel, je suis révoltée, honteuse que des êtres humains aient rédiger de tels écrits.

« Darktown » est une lecture exigeante, pleine de sens. L’auteur a une écriture forte, puissante, un style percutant. Il n’y a pas un mot de trop, tout est dit.

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