"L'affaire Vargas et autres enquêtes / Quaresma, déchiffreur" de Fernando Pessoa (Quaresma, decifrador)

 

L'affaire Vargas et autres enquêtes (Quaresma, decifrador)
Quaresma, déchiffreur
Auteur : Fernando Pessoa
Traduit du portugais et postfacé par Michelle Giudicelli
Éditions : Christian Bourgois (5 Juin 2025)
ISBN : 978-2267055146
578 pages

Quatrième de couverture

Grand admirateur d'Arthur Conan Doyle, Pessoa invente avec le personnage de Quaresma son propre Sherlock Holmes. Un vieux célibataire passionné de charades, médecin sans patients, reclus dans sa petite chambre de Lisbonne où il passe l'essentiel de son temps à lire, à fumer et à boire. Quaresma, doué d'un sens aigu de l'observation, est celui à qui fait appel son ami policier Manuel Guedes quand il cale sur une affaire insoluble - un parchemin disparu, une mort suspecte, le vol d'une caisse d'or...

Mon avis

Fernando Pessoa est né en 1888 à Lisbonne. Jeune homme introverti, idéaliste et anxieux, il a écrit sous de nombreux pseudonymes. À sa mort, on a découvert des manuscrits dont ces enquêtes sous forme de nouvelles.

Comme elles ont été retrouvées alors que l’auteur était décédé, elles sont plus ou moins abouties et d’inégale longueur. Ce qui est le plus intéressant, c’est de découvrir Quaresma, un personnage totalement atypique. C’est un vieil homme qui vit seul, médecin qui ne soigne personne, qui boit et fume trop. Il a un copain policier. Ce dernier doit, régulièrement, mener des enquêtes, observer sur les lieux des méfaits (assassinat, suicide, vol etc) et résoudre, au mieux, chaque affaire à laquelle il est confronté.

Lorsque ça coince, qu’il n’entrevoit pas de réponse, il fait appel à Quaresma. Celui-ci rentre alors en scène (et j’emploie ces mots à dessein), comme s’il jouait un rôle. Il parle à haute voix, fait des déductions, il se pose « en déchiffreur », il « appréhende » les choses à sa manière, avec une argumentation bien personnelle. Ses raisonnements sont longs, il part dans une direction, revient, repart et livre une finalité le plus souvent étonnante mais cohérente. Il a l’art de cerner ce que personne n’a imaginé. Il a une logique qui défrise, qui bouscule, qui régale car on ne voit rien venir. Le fonctionnement de son cerveau est unique, il développe sa pensée avec de nombreux détails, parfois il est obligé de se répéter, sans doute pour s’imprégner de ses idées, les « consolider ». Peut-être que certains lecteurs pourront être énervés par cette façon de faire. Personnellement, ça n’a pas été le cas, parce qu’au -delà du texte, des monologues ou des dialogues, j’ai été fascinée par la logique de cet homme.

Il se penche sur le comportement des hommes, en fait une analyse détaillée, explorant caractère, actions, motivations, folie cachée … Il part des faits incontestables et essaie de les relier par des hypothèses, et pour chacune, il évoque immédiatement son opposée pour avoir deux approches. Ensuite, il prend le temps d’aller encore plus loin : qu’est-ce qui est le plus crédible et pourquoi. Quand Quaresma s’exprime, il tricote et détricote au rythme de ses pensées. Si on adhère à cette forme de « parole », c’est purement jubilatoire car on a vraiment le sentiment d’être au cœur de son esprit. D’ailleurs, il doit avoir plus de plaisir à parler seul qu’à discuter et échanger avec les autres.

Les cheminements qu’ils empruntent pour arriver à la solution sont passionnants, tortueux, fins, bien amenés et très plaisants à lire. Sauter une page, ou plusieurs, parce qu’on sent des longueurs ou des répétitions, c’est perdre « l’essence » même de l’écriture que Fernando Pessoa a choisi pour ces histoires.

Dans sa préface, il présente Quaresma comme un vieil ami, lui donnant une place dans sa vie. C’est sans doute un moyen pour lui de se l’approprier et de le rendre vivant à nos yeux, ce qu’il réussit parfaitement. La postface de la traductrice complète bien ce qu'on a lu.

J’ai été agréablement surprise par cette lecture. Elle a un petit quelque chose de décalé, de suranné, de surprenant, d’innovant et mérite le détour.


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