"Le tchékiste" de Vladimir Zazoubrine (Chtchepka / Щепка)

 

Le tchékiste (Chtchepka / Щепка)
Auteur : Vladimir Zazoubrine
Traduit du russe par Wladimir Berelowitch
Éditions : Christian Bourgois (9 Janvier 2025)
ISBN : 978-2267053579
192 pages

Quatrième de couverture

Dans une ville de Sibérie, un responsable de la Tchéka – la police du régime bolchevique – accomplit son « travail » de bourreau. Pour servir la Révolution, il participe jour après jour à l’atroce procédure des interrogatoires, des procès sommaires et des exécutions anonymes dans la pénombre d’arrière-cours. Le tchékiste a pour mission d’éliminer tout opposant, réel ou supposé. Il ne s’attend pas à ce que l’horreur le rattrape.

Mon avis

Vladimir Zazoubrine est un écrivain et journaliste russe sibérien né en 1895. Il adhère au parti socialiste et s’engage en 1917 dans l’Armée Rouge. Il a été l’un des écrivains préférés de Staline mais il a dénoncé la destruction de l’environnement naturel par la politique d’industrialisation soviétique ainsi que la Révolution et ça n’a pas plus. Arrêté sans jugement au cours des Grandes Purges, il est mort fusillé en 1937 et n’a été réhabilité qu’en 1956, après la mort de Staline.

Ce court mais percutant roman écrit en 1923, a été censuré pendant longtemps. Il raconte l’histoire d’un « bourreau » de la Tchéka, la police politique chargée de combattre les ennemis du régime bolchévique. Le texte est une « claque » littéraire. Saisissant de réalisme, dévoilant l’horreur des exécutions, montrant le cynisme des exécutants, il donne des hauts le cœur, il prend aux tripes. C’est cru, violent, on est au cœur de l’action, les descriptions font appel à tous nos sens et on frissonne, le cœur en vrac.

Quand on découvre le ressenti du tortionnaire, on tremble. Pour le bourreau, le sang coule et c’est « normal », c’est son boulot. Il se doit d’agir pour Elle (avec une majuscule), cette Révolution à laquelle il est dévoué, il procède ainsi parce qu’il pense que c’est ce qu’il faut faire. Il adhère à ses idées, il les comprend, les accepte, les assume, comme si « Elle » le guidait.

« Or, il servait la Révolution consciencieusement, avec bonne volonté, comme il aurait servi un bon patron. Il ne tirait pas, il travaillait. »

Il s’habitue à tuer, il ne voit plus les visages. Est-ce que c’est une façon pour lui de se protéger ? De refuser de voir la vérité ? De se boucher les yeux ? Mais les sons des supplications, les pleurs, les gémissements sont toujours là, il ne peut pas y échapper…

Parfois, il est moins à l’aise, il cherche des justifications à ses actions. Il se questionne sur la présence d’une âme ou pas dans le souffle de ceux qu’il fait disparaître. Il ne doit rien montrer de ses émotions mais la nuit les cauchemars sont bien là preuve que ce qu’il vit l’interpelle. La machine à broyer, à tuer, est terrible, elle ne laisse aucun répit, elle avance implacable et il l’accompagne. Chez lui, son métier gêne son épouse et son fils qui se demandent qui il est devenu ? N’a-t-il pas banalisé ce qu’il fait ? Au nom de quoi ?

Et puis, il y a « Elle ». La Révolution, un « personnage » à part entière. La maîtresse qu’on veut satisfaire, qu’on aime et qu’on vénère. Elle est exigeante et demande à être « nourrie ». Lorsque l’auteur en parle, il la personnifie. Elle « imprègne » le récit.

L’écriture (merci au traducteur) est dure, tranchante, le style vif. Il y a du rythme et ça fait mal car on ne souffle pas On prend tout en pleine face. C’est douloureux car, même s’il s’agit d’un roman, on sait très bien que la réalité a ressemblé et ressemble encore quelques fois (trop de fois !) à ce qu’on lit.

Une longue et intéressante postface apporte un excellent complément à cette lecture que je n’oublierai pas.


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