Une terrible délicatesse (A Terrible Kindness)
Auteur : Jo Browning Wroe
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Carine Chichereau
Éditions : Les Escales (25 Août 2022)
ISBN : 978-2365695916
448 pages
Quatrième de couverture
Octobre 1966. William Lavery, dix-neuf ans, vient de
recevoir son diplôme. Il va rejoindre, comme son père et son grand-père avant
lui, l'entreprise de pompes funèbres familiale. Mais alors que la soirée de
remise des diplômes bat son plein, un télégramme annonce une terrible nouvelle
: un glissement de terrain dans la petite ville minière d'Aberfan a enseveli
une école. William se porte immédiatement volontaire pour prêter main-forte aux
autres embaumeurs. Sa vie sera irrémédiablement bouleversée par cette tragédie
qui jette une lumière aveuglante sur les secrets enfouis de son passé. Pourquoi
William a-t-il arrêté de chanter, lui qui est doué d'une voix exceptionnelle ?
Pourquoi ne parle-t-il plus à sa mère, ni à son meilleur ami ?
Mon avis
1966. William a dix-neuf ans, il a reçu récemment son
diplôme d’embaumeur, un métier « familial » puisque son père, son
grand-père, son oncle, ont eu ou ont encore le même emploi dans l’ entreprise
qu’ils ont fondée. Il est jeune et pourtant, il ne peut pas dire non et se
rend, avec d’autres à Aberfan, au pays de Galles, où un glissement de terrain a
englouti une école et des maisons, tuant cent seize enfants et vingt-huit
adultes (c’est un fait réel). Pendant des heures, il redonne allure humaine aux
corps pour que les parents puissent les identifier et « faire leur
deuil ». Il est concentré, il accompagne autant les vivants dans leurs
démarches de reconnaissance que les morts pour les rendre « beaux »….
Mais ces journées intenses ne le laisseront pas indemne, il voit la souffrance
des mères confrontées à la perte d’un enfant, ce qui n’est pas dans « la
logique ». Comment va -t-il ressortir de cette mission, comment « se
retrouver » et continuer d’avancer lorsqu’on a vu l’indicible ? Il
est non seulement bouleversé, mais il a perdu toute forme d’innocence.
« Mais Aberfan lui a arraché ses entrailles, l’a broyé et
expédié dans une dimension insondable. »
Mais pourquoi a-t-il choisi cette profession, quel a été son
cheminement ? Plusieurs retours en arrière permettent de comprendre le
parcours de ce jeune homme, excellent chanteur, choriste, qui aurait pu
« vivre » de sa voix. Pourquoi a-t-il cessé de chanter, lui qui avait
une tessiture exceptionnelle ? Pourquoi a-t-il coupé tout contact avec
certaines personnes ?
William n’a pas de soutien psychologique alors qu’il
intervient sur les lieux d’une tragédie (à l’époque, je pense que ça n’existait
pas). Il doit se débrouiller seul avec le traumatisme, les cauchemars, tout ce
qu’il rapporte avec lui. Il avait déjà un passé un peu difficile et ça
n’arrange rien.
J’ai découvert tout ça au fil des chapitres. C’est un
magnifique roman d’apprentissage, qui parle de la masculinité sous toutes ses
formes. De nombreux aspects sont explorés, à l’école, pendant les études
supérieures, en famille, en couple, avec des amis -es.
J’ai lu que l’auteur
a grandi dans un crématorium. Est-ce pour cette raison qu’elle a choisi de
parler des thanatopracteurs dans son premier titre ? A-t-elle des
souvenirs de la catastrophe d’Abferfan ? (Je n’ai pas sa date de
naissance). J’ai trouvé l’approche de cet emploi, très
« particulier », bien faite. J’ai ouvert les yeux sur toute
l’humanité qu’il y a derrière les gestes « médicaux », on peut même
parler d’amour. Ce récit aurait pu être
un peu trop « on va pleurer dans les chaumières » mais l’écueil a été
évité. Le texte ne s’appesantit pas sur les moments douloureux, quels qu’ils
soient, ni pathos, ni voyeurisme. La construction, avec différentes
temporalités, permet d’envisager plusieurs hypothèses avant de savoir la vérité
et de cerner tout ce qui a fait que William est tel qu’on le rencontre au début
de l’histoire.
L’écriture est plaisante, addictive (merci à la
traductrice). Les scènes sont bien décrites, les émotions des personnages
également. On voit toute la complexité des relations humaines, le poids du
passé dans les familles, les difficultés à dialoguer, à s’écouter, à accepter
les choix des uns ou des autres lorsqu’ils ne sont pas ceux qu’on aurait espérés
… J’ai apprécié les différents personnages avec une préférence pour Betty (même
si elle intervient peu) et sa sagesse….
Une chanson galloise : Myfanwy, ainsi que le Miserere sont
des fils conducteurs émouvants (je vous conseille d’écouter la première).
Une belle réussite pour un premier opus !
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