Ce lien entre nous (The Line That Held Us)
Auteur : David Joy
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Fabrice Pointeau
Éditions : Sonatine (26 Mars 2020)
ISBN : 978-2355847295
340 pages
Quatrième de couverture
Caroline du Nord. Darl Moody vit dans un mobile home sur
l'ancienne propriété de sa famille. Un soir, alors qu'il braconne, il tue un
homme par accident. Le frère du défunt, connu pour sa violence et sa cruauté, a
vite fait de remonter la piste jusqu'à lui.
Mon avis
« L’esprit est un enfer à lui tout seul »
C’est le deuxième roman que je lis de David Joy. Il se passe
une nouvelle fois dans l’Etat de Caroline du Nord, un lieu où lorsqu’on est
loin des grandes villes, les conditions de vie ne sont pas faciles et le
secteur économique peu florissant. L’alcool est présent, le désœuvrement aussi,
et il n’est pas rare de voir les hommes se battre….
Braconner est un moyen de nourrir les siens, voler du ginseng également. N’importe quel petit trafic est bon pour s’en sortir.
Braconner est un moyen de nourrir les siens, voler du ginseng également. N’importe quel petit trafic est bon pour s’en sortir.
C’est ce que font Darl Moody et Carol Brewer, le premier
chasse un cerf, le second cherche la plante. Tous les deux sont sur la propriété
d’un autre homme et ils se cachent de lui, agissant la nuit. Mais quand tout
est sombre, les silhouettes sont plus floues et croyant tirer sur l’animal qu’il
convoite, Darl tue Carol. L’affolement fait place à la peur, il connaît le
frère de Carol et sait que si ce dernier a le moindre doute quant au décès, il
ne lâchera rien jusqu’à savoir. Il faut donc agir et vite. Cacher le corps, se
dénoncer en expliquant qu’il s’agit d’un accident, ne rien faire ? A l’heure
des choix, Darl est perdu, angoissé, il sait que sa vie est foutue s’il se
trompe (et peut-être même s’il ne fait pas d’erreur). Il est conscient qu’il va
vivre la peur au ventre, avec une épée de Damoclès en permanence au-dessus de
la tête. Quand on ne sait pas que faire, souvent, on s’adresse à ses amis ou sa
famille, ce sont eux les piliers de notre vie, ceux sur qui on peut s’appuyer,
ceux qui peuvent conseiller, aider, accompagner. Darl ne déroge pas à la règle,
il va se tourner vers Calvin, son pote de toujours. Ce dernier a une vie tranquille
et une amoureuse qui le « tire vers le haut ». Va-t-il aider Darl à
trouver une solution, va-t-il choisir de rester en dehors de tout ça pour ne
pas mettre en péril l’équilibre de sa vie ?
Comme dans son recueil précédent, l’auteur met l’homme face
à des décisions qui vont changer le cours de son existence. Le quotidien aura
un avant et un après, il faudra faire avec et essayer de se dire qu’il fallait
qu’il en soit ainsi.
« Il fallait qu’il en soit ainsi, répéta-t-il,
accentuant cette phrase comme si c’était le destin. »
C’est avec une écriture forte, puissante, où chaque mot pèse
que le récit prend forme. C’est empli de désespérance, de souffrance, de
violence plus ou moins contenue mais que c’est beau à lire. Et je ne peux que
remercier Fabrice Pointeau qui a su trouver le phrasé, le vocabulaire pour que
chaque ligne nous touche au cœur.
« Une seule émotion dont il savait qu’elle était
plus puissante que la souffrance. Avec le temps elle arriverait. Et alors il
saurait vers quoi diriger sa rage. »
Dans ce texte, le monde échappe à ceux qui vivent dans l’urgence
d’agir, contraints de vaincre l’incertitude et d’avancer coûte que coûte. La
vie n’est pas un jeu, on a des cartes en main, mais pas toutes et on ne connaît
pas celles de nos adversaires. Des faits extérieurs peuvent modifier la donne
et le hasard demeure, on ne maîtrise plus rien et certainement pas les
réactions de ceux qui nous font face ou qui se tapissent dans l’ombre…. C’est
tout cela qu’exprime l’auteur, avec un doigté minutieux, une certaine forme de
délicatesse envers ses personnages. Oui, ne nous leurrons pas la brutalité est
présente, la peine physique et morale est infinie. Mais l’amour, l’amitié, la
volonté d’avancer soulèvent des montagnes, pas toujours pour le bien être de
tous mais suffisamment pour que chacun ait le sentiment d’aller de l’avant. C’est
vraiment le point fort de l’auteur, il nous démontre la puissance des
sentiments qui pousse l’homme à aller plus loin que ses limites avant peut-être
d’accepter une forme de résilience. Nos émotions sont ambivalentes face à ses
protagonistes : sont-ils admirables, détestables ?
Une fois encore, l’histoire contée par David Joy m’a pris
aux tripes. Les laissés-pour-compte ont une place prépondérante dans ses
fictions et il les rend humains tout simplement.
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