"Qui touche à mon corps je le tue" de Valentine Goby

 

Qui touche à mon corps je le tue.
Auteur : Valentine Goby
Éditions : Gallimard (25 Août 2008)
ISBN : 978-2070120574
136 pages

Quatrième de couverture

«Marie G., faiseuse d'anges, dans sa cellule, condamnée à mort, l'une des dernières femmes guillotinées. Lucie L., femme avortée, dans l'obscurité de sa chambre. Henri D., exécuteur des hautes œuvres, dans l'attente du jour qui se lève. De l'aube à l'aube, trois corps en lutte pour la lumière, à la frontière de la vie et de la mort.»

Mon avis

Une couverture floue, dans les tons de rouge (est-ce volontaire pour rappeler le sang qui se trouve en filigrane des différents personnages ?), peu de pages : 136, tout se déroule en peu de temps : on commence à « l’aube » du premier jour et on finit à « l’aube » du second jour.

Pendant ces vingt-quatre heures, on va suivre les trois personnages, chacun désigné par un prénom et l’initiale de son nom. Des passages écrits en italiques avec leurs pensées respectives. Roman à quatre voix : la narratrice et les trois personnages.

Les personnages sont reliés par la mort. C’est dérangeant dans le principe, ça bouscule, ça révolte, ça fait réfléchir mais je ne pense pas que ça puisse laisser indifférent.

On sait, avant de commencer le roman, ce qu’ils sont et quel va être leur rôle.

Marie, Lucie et Henri ne sont « rien » mais ils nous interpellent.

La première dit que son prénom est « l’autre nom de l’oubli, l’autre nom de l’indifférence »…Elle se met à exister lorsqu’elle est jugée : « Depuis son jugement devant le tribunal d’Etat, son prénom existe, son nom existe ». Elle n’a pas une relation facile avec sa mère qui est blanchisseuse. Elle voudrait être un drap sale pour « passer entre les mains de sa mère ».

Lucie L n’est qu’une femme qui, comme d’autres, choisit l’avortement. On la voit souffrir dans son corps, dans sa tête. Refuse-t-elle cet enfant parce que les relations avec sa propre mère ne sont pas « abouties » ? Elle dit « « Mon vêtement, c’est la peau de ma mère, ma mère me tisse et j’adore ça ». Sa mère est tisseuse, beaucoup de couleurs….Elle dit aussi quand elle quitte la maison où elle vit avec ses parents : « Je n’emporte rien. Seulement mon corps. Qui touche à mon corps je le tue ». Elle n’a que ça « qui lui appartienne », son corps, et elle le fait souffrir, se regarde se tordre de douleur. La relation de Lucie lorsqu’elle est loin de sa mère est empreinte de désespoir, elle lutte, part, revient. Peut-être sont-elles « handicapées » de l’amour, incapables de dire leurs sentiments ? D’ailleurs lorsque Lucie est avec un homme, elle n’aime pas parce qu’elle ne s’aime pas….et ne s’aimant pas, elle ne peut pas envisager de donner la vie….

Henri est le bourreau. Du fait de son rôle, il a peu de contacts avec le reste de la population. Son métier le ronge et en même temps il ne sait rien faire d’autre. Lorsqu’il tue « il n’est pas un homme ». Il obéit sans juger, sans plaider, sans sentiments….

En dehors du fait que les trois personnages ont eu une relation peu simple avec leur mère (qui a conditionné ce qu’ils sont devenus ?), il y a le sang rouge qui les relie et par opposition, les couleurs (tissage de la mère de Lucie, linge lavé par celle de Marie, bobines de l’usine de bonneterie où le père d’Henri est responsable) et le bleu : bleu du pyjama d’Henri (qui est alors un « homme ordinaire »), bleu comme le paquet où se trouve la chemise de Lucie, bleu des draps froissés, bleu sur les pages du journal qui parle de Marie.

L’écriture est saccadée, violente, parfois crue comme si Valentine Goby cherchait à fouiller les âmes de ses protagonistes, comme si les mots, les pensées se bousculaient et qu’il fallait écrire dans l’urgence. Les phrases sont parfois longues, avec peu de ponctuation ce qui pourrait donner une idée de « lourdeur » au récit mais le sujet est grave et c’est peut-être un moyen, pour l’auteur de ne pas sombrer dans le pathos, de rester en dehors, comme avec un regard « clinique ». On a l’impression d’un « condensé » où l’on retrouve de véritables questions par rapport au droit sur son propre corps, au droit de donner ou ôter la vie…mais on ne ressent pas ce que pense Valentine Goby, elle s’efface derrière son écrit.

Il m’est difficile de dire mon ressenti par rapport à ce livre. Je ne peux pas dire que j’ai passé « un bon moment » dans le sens où ce n’est pas une lecture « détente ». Malgré tout, je peux écrire que c’est un bon livre car la façon de présenter les trois personnages, de « fouiller » leur âme ne m’a pas laissée indifférente. Je pense que Valentine Goby a réalisé « un exercice » difficile : écrire d’une façon troublante, sans jamais lasser, en nous donnant envie d’aller avec elle, plus loin, plus profond, pour comprendre chacun des trois sus nommés et se retirer ensuite sur la pointe des pieds….

 


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