Miranda
Auteur : Philippe Cuisset
Éditions : Kyklos (30 Octobre 2020)
ISBN : 978-2918406457
200 pages
Quatrième de couverture
Bien que Miranda soit essentiellement une héroïne de papier
ou l’ombre indécise de quelques souvenirs vagues, je l’ai croisée au cours de
l’automne 2017 à Reims sur un camp de réfugiés et de demandeurs d’asile.
Miranda n’est qu’une des innombrables figures de l’abandon
qui s’échouent sur les plages, s’épuisent au pied de murs fraîchement érigés,
disparaissent sur le fil ininterrompu de l’exil avant de mourir dans les
mascarades savantes des études statistiques. M’est-elle apparue dès le début
sous la forme d’un squelette ? Je l’ignore, mais il fallait bien que quelqu’un
songe un jour à lui rendre un peu de sa chair.
Mon avis
« L’indifférence ne cesse de nous anesthésier »
Miranda, c’est la voix de tous ceux qu’on oublie, qu’on ne
voit pas parce que c’est plus facile de faire comme si…. Parce qu’après tout,
on ne peut pas prendre toute la misère du monde sur son dos, et d’autres s’en
occupent et on n’a pas le temps…. Ce n’est pas qu’on ne veut pas hein, c’est
juste que c’est comme ça…
Et puis paf, on prend en pleine face un roman, parce que
oui, ce n’est qu’un roman ouf, enfin, pas vraiment, l’auteur semble être
bénévole pour ces gens qui n’ont plus rien, qui parfois ne sont plus rien….
Miranda est mexicaine, elle a cru à un bel avenir et pourtant
une mauvaise rencontre plus tard, elle s’est retrouvée prisonnière de sa vie,
soumise, éteinte, obligée d’obéir à son souteneur. Alors elle s’accroche à la Santa
Muerte, tatouée sur sa peau. Elle la prie régulièrement, attendant ses conseils,
lui demandant de l’aide, car elle peut protéger ou guérir. Pourquoi ne pas y
croire ? Dans cette ville de Reynosa où les cartels de la drogue se font
la guerre, que peut espérer la jeune femme ? Pas grand-chose. Un jour, Manuela,
qui tient le bar à tacos où elle se sert parfois, lui fait une proposition.
Fuir toutes les deux. Partir loin, tout laisser et rebondir ailleurs, dans le
Sud des Etats-Unis. Quand ? Une fête va bientôt être organisée dans la
ville, il faudra profiter du remue-ménage que ça provoquera.
Après avoir assisté impuissant au quotidien difficile de
Miranda, le lecteur l’accompagne dans sa fuite. Mais ce n’est pas pour autant
qu’on respire. La tension est là, hyper présente car les deux amies sont
poursuivies. On assiste, par l’intermédiaire de dialogues très réalistes, aux
questionnements qui surgissent, ont-elles fait le bon choix d’itinéraire, de
compagnie ? Est-ce un binôme qui peut fonctionner ? Vont-elles s’en
sortir ? Le tueur qui les trace va-t-il les rattraper ?
J’ai lu ce livre d’une traite, les descriptions sont saisissantes
de vérité. On est loin de l’image aseptisée du Mexique avec le folklore, le
clinquant, le soleil et le tourisme. On est dans le dur, avec de la violence, des
femmes qui ont été brisées. Miranda et Manuela partent, fuyant la pauvreté, ce
ne sera peut-être pas mieux ailleurs, la route sera longue et ardue mais elles
auront agi par elles-mêmes, elles auront pris leur destin en main.
Philippe Cuisset a su trouver les mots justes pour parler de
deux femmes alors qu’il est un homme. L’approche psychologique qu’il en fait
est excellente. La place donnée à la Sante Muerte aussi, parce qu’elle est la
mort et malgré tout elle apporte une note d’espoir, comme si elle transmettait
de la force à Miranda.
Par l’intermédiaire de son recueil, l’auteur nous rappelle
qu’ils sont nombreux à s’exiler dans l’espérance d’un meilleur futur, que leurs
voix ne sont pas toujours entendues, mais que ces gens luttent à chaque
instant, sans renoncer. Miranda puise au plus profond d’elle-même pour avancer,
elle a quitté la prostitution et n’abandonne pas, trouvant des ressources
insoupçonnées même lorsqu’elle pense être au bout du rouleau. Face à la peur, à
l’adversités, les hommes et les femmes sont capables de beaucoup.
En donnant vie à une laissée pour compte, Philippe Cuisset
offre de la dignité à tous ceux qui lui ressemblent nous obligeant à nous
pencher sur leur histoire, à les regarder dans les yeux, à entendre leurs
besoins (pas leurs paroles parce qu’ils ne crient pas, ils ne réclament pas…)…
Après à chacun de voir comment il peut tendre la main, agir,
en se souvenant de ce récit et de Miranda pour garder les yeux, le cœur et l’esprit
ouverts…..
« L’indifférence devant le malheur ne tient que
parce que nous nous agrippons à cette pensée : la mort se contente de nous
frôler de son aile et la vie, indolore et tenace, s’échappe au compte-goutte
sans que nous nous en rendions réellement compte. »
NB : Coup de cœur douloureux mais coup de cœur quand
même, Miranda, je ne vous oublierai pas.
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