Le cœur de Kiev (Samson i Nadejda 2)
Auteur : Andreï Kourkov
Traduit du russe (Ukraine) par Paul Lequesne
Éditions : Liana Levi (5 Octobre 2023)
ISBN : 979-1034908189
354 pages
Quatrième de couverture
Une douce brise souffle sur Kiev, en ce mois d’avril 1919.
Pourtant, l’époque est à l’anxiété, au danger et à la faim. La population est
soumise au diktat de décrets promulgués quotidiennement par le nouveau pouvoir
bolchevique, que le jeune Samson, membre de la milice, est chargé de faire
respecter. Difficile de se promener fièrement au bras de sa tendre amie sans se
faire remarquer par les agents de la Tchéka. Sans parler des risques qu’il y a
à errer, la nuit, aux abords de la gare où règnent les agents sans scrupule de
la puissante direction des chemins de fer…
Mon avis
« L’époque était à l’anxiété permanente. »
Me revoici à Kiev en 1919 où je retrouve Samson, jeune
milicien qui a perdu son père, sa sœur et son oreille (mais détachée de lui,
elle entend tout, même s’il n’est pas à côté). Il vit dans son appartement avec
Nadejda. Il l’héberge et s’est attaché à elle mais il n’a pas déclaré sa
flamme.
L’insécurité est permanente, il faut être prudent quand on se déplace,
discrétion et silence sont de mise.
L’Ukraine a rêvé un temps d’indépendance mais les
bolchéviques sont là et rien n’est aisé. Surveillance accrue et restrictions
sont le quotidien. Samson doit enquêter car un homme a abattu le porc de son
voisin. Or, la Comrespappro (Commission régionale spéciale pour
l’approvisionnement en vivres) a lancé un nouveau décret. C’est comme un
ministère de l’alimentation, le temps étant à la famine, les personnes à
nourrir en priorité sont les soldats et les travailleurs. Il faut donc recenser
qui a profité du cochon tué et bien entendu arrêter celui qui a commis
l’exécution.
Vaste programme de recherches et d’investigations pour
Samson et ses collègues. Il n’est pas très à l’aise dans cet exercice, on le
sent. Il a toujours peur de se tromper, d’être injuste. Grâce aux remarques et
aux ressentis de ce personnage, l’auteur pointe du doigt le côté absurde de
certaines situations. C’est très drôle bien que ce soit, en même temps, un peu
dramatique.
En parallèle de cette mission délicate, Samson est inquiet
pour sa colocataire. Elle n’est pas protégée et exerce son activité
professionnelle, certes avec doigté, mais dans des conditions difficiles. Il
voudrait la mettre à l’abri.
L’écriture (merci au traducteur Paul Lequesne) d’Andreï
Kourkov est un régal de poésie.
« De temps à autre le désespoir s’infiltrait dans
ses pensées et changeait celles-ci en gomme de caoutchouc, les distendait comme
les cordes d’une guitare tsigane, au point qu’elles perdaient leur sens pour
n’être plus que son, plainte, tintement fébrile. »
Les descriptions tant pour les scènes que pour les ressentis
sont d’une grande finesse. On visualise sans problème le marché juif ou la
visite sur la tombe familiale avec toutes les émotions qui sont liées aux
lieux, aux moments vécus. L’atmosphère de tension, de peur, d’angoisse, est
décrite à la perfection. On serait prêt à regarder par-dessus son épaule tant
on est dans l’histoire. Samson est un homme intéressant, intègre, parfois
presque naïf. Il a déjà beaucoup souffert et s’accommode de son quotidien, même
lorsqu’il faut héberger des personnes qui prennent un peu trop de place chez
lui. Il fait preuve d’une forme de philosophie. Il lutte à sa manière,
discrètement, contre les dérives, utilise son oreille coupée comme espionne
sans en abuser (et parfois sans le faire exprès). Il y a un petit côté
jubilatoire à cette lecture malgré la gravité des propos et tout ce qui est
terrible à vivre. Je crois que l’auteur s’empare de cette période avec une
forme de dérision tout en restant réaliste. L’équilibre est excellent entre les
deux et c’est « goûteux » comme un mets exquis qui se savoure.
Lire Andreï Kourkov, c’est prendre le temps de s’imprégner
de l’ambiance, des événements, des individus atypiques, de la vision des
journées de tous ces gens (dont l’un peut prendre le temps de faire des
photos : cette séance est remarquable), et se dire « vivement le
prochain roman ! »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire